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COLUMBIA UNIVERSITY
MEDICAL LIBRARY
IN MEMORY or CECILIA C. METTLER
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TOUS DROITS RESERVES
TRAITE
DES
DÉSIN
ET
DE LA DÉ
PAR
E. VALLIN
Médecin principal de 1'° classe de l'armée,
Professeur d'hygiène à l'école de médecine militaire du Val-de-Grâce,
Secrétaire du Comité consul latif d'hygiène publique de France,
Rédacteur on chef de la Revue d'hygiène et de police sanitaire, etc.
AVEC 27 FIGURES DANS LE TEXTE
PARIS
G. MASSON, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE l'ACADÉMIE DE MÉDECINE
Boulevard Saint-Germain et rue do l'Éperon
EN FACE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE
1882
Digitized by the Internet Archive
in 2010 witii funding from
Open Knowledge Gommons
http://www.archive.org/details/traitdesdsinOOvall
PREFACE
Un livre comme celui-ci n'a pas besoin de préface; son
utilité est évidente ; reste à savoir si la matière en a été
bien remplie. Un courant, auquel il ne faut pas s'aban-
donner trop complètement, nous entraîne de plus en plus
vers cette idée qu'un grand nombre de nos maladies résul-
tent de la souillure de l'organisme par des principes infec-
tieux, figurés ou non, contenus dans l'air que nous respi-
rons, dans le sol, les aliments, les boissons.
Si cette conception est justifiée, c'est le triomphe dans
un temps prochain de la prophylaxie et de l'hygiène ; la
classe des maladies évitables s'accroît chaque jour, et la
médecine préventive tient sa place à côté de la médecine
curative ou thérapeutique.
Jusqu'à ces dernières années, la question des désinfec-
tants était complètement négligée, à tel point que dans les
traités classiques d'hygiène publiés avant 1880, on ne
trouve point de chapitre consacré à la désinfection ; il n'en
est question qu'incidemment : parfois même le mot ne se
trouve pas à la table des matières. Le Traité des désin-
fectants publié en 1862 par Chevallier n'est qu'une édi-
tion amplifiée d'un ancien mémoire sur le chlore et les
chlorures. En outre, le jugement porté sur la valeur des
diverses substances désinfectantes manquait d'une base
positive; on s'appuyait sur le résultat obtenu dans cer-
I PRÉFACE.
laines maladies épidémiques, et l'on sait combien il est
difficile, dans les maladies populaires, de faire la part des
influences, de rattacher à leurs vraies causes les oscilla-
tions décroissantes et les exacerbations d'une épidé-
mie; souvent on induisait l'efficacité des désinfectants
exclusivement de leur composition chimique.
Depuis les dernières études sur les virus, cette question
est entrée dans une voie nouvelle ; c'est à l'expérimen-
tation qu'on demande des preuves de la valeur respective
des désinfectants ; on mêle un virus en certaines propor-
tions avec l'agent dont on veut contrôler la valeur, on
inocule le mélange, et le résultat donne la mesure de l'ef-
ficacité de la substance expérimentée. Les travaux de
Baxter, Davaine, Dougall, Sternberg, Arloing, Cornevin
et Thomas, ont jeté une vive lumière sur cette difficile
question ; il en est de même des cultures des bactéries et
des spores dans des liquides additionnés de substances
neutralisantes, en particulier des recherches de Kùhne,
Wernich, Jalan de La Croix, Koch et Wolffhiigel, etc. Ce
sont ces travaux que nous nous sommes proposé d'ex-
poser, de coordonner, de critiquer. La question est telle-
ment opportune, elle excite depuis moins d'un an un
tel intérêt, les travaux sur ce sujet se multiplient avec
une telle rapidité, que pendant l'impression de ce volume
nous avons été souvent obligé d'intercaler à la dernière
heure les résultats importants que venaient de publier les
auteurs.
L'impulsion est aujourd'hui donnée ; elle ne s'arrêtera
plus. Dans presque tous les pays, les municipahtés, sinon
les gouvernements, s'efforcent d'imposer la désinfection
PRÉFACE. m
obligatoire à la suite des maladies contagieuses; partout
l'on construit des étuves, des lazarets de désinfection. Les
accoucheurs et les chirurgiens ont fait cesser en grande
partie les désastres qui ravageaient jadis les hôpitaux, en
introduisant le pansement antiseptique, la purification
absolue des locaux, des objets d'habillement et de panse-
ment, des mains des opérateurs. Aucun exemple ne montre
mieux la toute-puissance des pratiques de la désinfection,
que les résultats obtenus dans leurs services par MM. Tar-
nier, Siredey, Lucas-Championnière, et par tous les chirur-
giens qui emploient soigneusement la méthode antisep-
tique.
Le public, qui d'ordinaire reste si indifférent à ce qui
concerne l'hygiène collective, commenceàs'intéresser à ce?
questions, et nous avons vu récemment quelle part il a
prise à la campagne contre l'infection par les égouts, les
vidanges, les fabriques de sels ammoniacaux.
Il nous a semblé nécessaire de réunir dans un livre
les renseignements nombreux, mais très disséminés sur cet
important sujet; pour juger, il faut pouvoir comparer et
trouver sous la main toutes les ressources qui ont été pro-
posées ou employées dans un cas particulier.
Nous nous sommes efforcé de rendre ce livre pratique;
puisse-t-il contribuer au progrès d'une question que nous
considérons comme la plus importante peut-être de l'hy-
giène.
Paris, le 1" septembre 1882.
E. Vallin.
TABLE DBS MATIERES
Préface i
Table des matières v
NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
définition 1
Historique 6
Plan 12
LIVRE PREMIER
DES DÉSINFECTANTS
CHAPITRE PREMIER. — Moyens MÉcvMQUES 23
Enlèvement direct des matières infectantes, lavage, ventilation . 23
CHAPITRE II. — Absorbants, désodorams 31
Article premier. — Absorbants physiques 33
Charbon, 33. ~ Poussières sèches, 41. — Terre sèche, 4o, —
Cendres . . . v * ■ . , , . 55
VI TABLE DES MATIÈRES.
Art. n. — Absorbants chimiques 56
Sels métalliques en général 56
Sulfate de fer, 62. — Sulfate de zinc, 64. — Perchlorure de
fer, 64. Chlorure de zinc, 66. — Azotate de plomb, 66
Chaux vive ou éteinte, eau et lait de chaux 69
Sous-nitrate de bismuth 13
CHAPITRE m. - Des antiseptiques 74
Article premier. — Des conditions antiseptiques 76
Soustraction de l'humidité, 76. — Froid, 81. — Soustraction du
contact de l'air 90
Art. II. — Des antiseptiques en général 91
Expériences sur la valeur comparée des antiseptiques 92
Art. III. — Des antiseptiques EN particulier. . 115
Bichlorure de mercure ou sublimé, 115. — Chlore, 123. — Chlo-
rure de sodium, 123. — Chlorure de zinc, 123. — Choral, 129.
— Chloralum ou chlorure d'aluminium, 132. — Acétate d'a-
lumine, 133. — Acide sulfurique, 135. — Acide sulfureux,
136. — Acide arsénieux, 138. — Acide borique et bo-
rate de soude, 139. — Silicate de soude, 151. — Acide
pyrogallique, 153. — Acide acétique, 155. — Acide picrique
ou carbo-azotique, 156. — Acido phénique, 158. — Goudron,
169. — Huiles lourdes de houille, 172. — Acide pyroligneux,
174. — Créosote, 174. — Crésol, 175. — Naphtaline, 176. —
Térébène, 176. — Acide Ihymique ou thymol, 178. — Menthol,
179. — Acide salicylique, 181. — Essence de Wintergreen ou
de gaulthéria, 194. — Eucalyptol, 195. — Résorcine, 196. --
Acide benzoïque et benzoates, 199. — Tannin, 202. — Alcool,
203. — Chloroforme, 205. — Ether azoteux ou azotiife d'éthyle, . 206
CHAPITRE IV. — Neutralisants 216
Article premier. — Des neutralisants en général 216
Expériences sur la valeur comparée des neutralisants 216
Atténuation des \irus par les désinfectants 222
Art. II. — Des neutralisants en particulier 226
Chaleur, 226. — Acides sulfurique, nitrique, chromique, 238. —
Acide sulfureux, 243. — Fumigations d'acide nitrique, 265. —
Fumigations nitreuses et d'acide hypoazotique, 269. — Fu-
migations d'acide chlorhydrique, 275. — Chlore et chlorures,
TABLE DES MATIÈRES. vir
:279. — Iode et brome, 29o. — Oxygène, 302. — Eau oxy-
génée, .309. — Ozone, 313. — Permanganate de potasse, .323.
— Acide phénique, 328. — Suc de feuilles de noyer, etc. . . . 33 i
LIVRE DEUXIEME
DE LA DÉSINFECTION.
CHAPITRE PREMIER. — Désinfection xosocomiale 338
Article puemier. — Désinfection des plaies ou de la LÉiioN. . 338
Méthode de Lister, 339. — Plaies gangreneuses, cancéreuses,
ozène, . . . 3iO
Haleine, lochies fétides, lavage des plèvres, . , 346
Art. II. — Plaies venimeuses ou virulentes .349
Piqûres ou morsures venimeuses 350
Plaies, inoculations, morsures virulentes, 333. — Pourriture d'hô-
pital, 357
Art. III. — Désinfection du malade , 359
Désinfection externe 339
Désinfection interne 361
Putridité intestinale, 361 . — Traitement interne des maladies zy-
motiques par les sulfites, l'acide borique, l'acide phonique, etc. .363
Désinfection des sécrétions, des selles des malades 3"9
Vases de nuit, tables de nuit, 380
Aht. IV. — Désinfection des locaux , 386
A. — Locaux non habités 386
Évacuation et chômage, 383. — Blanchiment, 389. — La-
vage des parois, 390. — Fumigations nitreuses, 391; — chlo-
rhydriques, 39.3; — sulfureuses, 397. — Chlore, iOO
B. — Locaux non incessamment habités -^03
Évacuations partielles, dissémination, ventilation perma-
nente, 40,0. Pulvérisation et lavage des parois, 406
Min TABLE DES MATIÈRES.
C. — Locaux incessamment occupés 408
Ventilation, 409. — Dégagement artificiel d'oxygène, 409; —
d'ozone, 410. — Azotite d'éthyle, 411 ; — Acide sulfureux et
bougies soufrées, 413. — Fumigations d'acides azotique et
chlorhyJrique, 414
Art. V. — Désinfection des vêtements 421
^.i.— Chaleur 423
Action destructive de la chaleur sur les germes ; expériences,
427. — Action sur les tissus de laine, de coton, 428
A. — Description et critique des appareils à air chaud et ètuves. 433
Étuves sèches à feu nu : Conditions générales, 435. —
Thermo-régulateurs divers, 436. — Étuve de Ransom, 440.
— Four Léoni, 445. — Chambre désinfectante de Scott,
446. — Appareil de Nelson et Somer, 448. — do Fraser,
— Éluve d'Amersfoort, 450; — de l'hôpital Saint-Louis, 430.
— Chambre à air chaud de M. Herscher 454
Etuves chauffées par les parois : Appareils de Esse, de
Berlin, 460; — de l'hôpital Moabit, 462. — Four de Chris-
tiansand, 467
B. — Désinfection par la vapeur 467
Expériences de Koch, Gaffky et Lœffler, 467. — Appareils
de Washington Lyon, de Bâte, 469
C. — Appareils mobiles 472
Étuves ambulantes de Fraser, Stoobs and Seagrave, etc.,
475. — D'Albenois de 31arseiile, 475
D. — Lazarets de dédnfection 476
Corporation disinfecting stations, 477. — Lazaret de M. Hers-
cher, 472 ; — de Pétruschky, de Stettin, 480
g 2. — Acide sulfureux 482
Action de l'acide sulfureux sur la couleur et la résistance
des tissus, 482. — Action sur les bactéries, les spores . . 487
^,S.— Chlore, chlorures, elc 488-
Action du chlore sur la couleur et la résistance des tissus. 490
^,i!.— Pratique des opérations de désinfection 493
Vêtements, 493. — Linge sale et linge à pansements, 495. —
Matelas, literie, 497
Art. VI. — Désinfection du matériel chirurgical 508
Art. VII. — Désinfection du personnel médicai 510
Art. VIII. — Désinfection des véhicules 522
TABLE DES MATIÈRES. ix
Art. IX. — DÉS1NFECTI0>' OBLIGATOIRE DES MALADES 525
Marseille, 527. — Le Havre, 529. — Paris, 53L — Pays-Bas,
333.— Belgique, 538. — Turin, 542. — Angleterre, 543. États-
Unis, 545. — Suisse, 532. — Norwcge, 553. — Danemark, Alle-
magne 534
CHAPITRE IL — Désinfection yiARANTEXAiRE 556
Règlement sanitaire maritime de 1806, 536. — Chiffons, 539. —
Cuirs, cornes, crins et laines, 367. — Vêtements, colis postaux,
570. — Les personnes, 371. — La cargaison, 371. — Le navire. 573
CHAPITRE m. — Désinfection vétérinaire 587
Loi sur la police sanitaire des animaux, 587. — Wagons et voi-
tures de transport, 589. — Cadavres d'animaux, 391. — Écuries,
litières, 394. — Expériences sur la destruction du virus du
charbon symptomatique, 596
CHAPITRE IV. — Désinfection des aliments et des boissons . . 599
Viandes altérées, trichinées, suspectes, 399. — Poisson, 601. —
Vins et bières, eau, alcools de mauvais goùl, 602
CHAPITRE V. — Désinfection des habitations collectives . . . 003
Article premier. — Locaux d'habitation 603
Dortoirs et chambrées, 603. — Purification des murailles, des
parquets, 607
Art. II. — .Destruction des parasites 613
Art. III. — Éviers, tuyaux de conduite des eaux ménagères. . 614
Art. IV. — Résidus de cuisine 616
Art. V. — Latrines 617
Principes généraux, 617. — A. — Le cabinet, 617. — B. — La
fosse, 623. — Sels métalliques, 623. — Chlorures, 628. —
Huile lourde de houille, 629. — Acide phénique, 632. — Su-
blimé, 635. — Acide sulfurique, 633. — Désodorant de Sii-
vern,636. — Cheminées d'appel, 639. — Closet Marino, 644.
— Acide sulfo-nitreux. Appareils de MM. Pabst et Girard,
645. — Terre sèche, earth-system, 645. — Système Goux-
Thulasne , 652
CHAPITRE VI. — Désinfection industrielle "657
Article premier. — Émanations industrielles, dégagements. . 657
X TABLE DES MATIÈRES.
Condensation des vapeurs et des gaz par l'eau, 638. — Com-r
bastion des buées et fumées sous les foyers, 639. — Neutra-
lisation chimique des dégagements, 662. — Appareils protec-
teurs et masques, 663
Art. il — Désinfection kt épuration des eaux industrielles. . 665
Lois et arrêtés 666
gl. — Clarification 668
Précipitation spontanée, 669. — Précipitation par réactifs
chimiques, 669. — Épuration par la chaux, 671. — Trai-
tement des vinasses, 673. — Procédé ABC, 675. — Adjonction
des sels de fer, de manganèse à la chaux, 675. — Laves
calciques, 678. -— Sulfate d'alumine ferrugineux 679
12.~ Épuration par le sol 683
Irrigation intermittente sur un sol drainé . , 684
§3. — Neutralisation chimique 687
Saturation des acides 688
§4. — Évaporation et destruction des résidus par le feu .... 690
^5.— Puisards 691
Art. III. — Désinfection des résidus solides 692
Engrais, composts, débris d'équarrissage et d'abattoirs, fu-
miers 695
CHAPITRE VIL — Désinfection municipale 696
Article premier. — Désinfection de la voie publique 696
Immondices et boues, 697. — Désinfectants adoptés par la villa
de Paris pour la voie publique, 701. — Désinfection de l'eau
des bains sulfureux »« 702
Art. il — Désinfection des ports de mer 703
Art. III. — Désinfection des halles et marchés 704
• Art. IV. — Morgues, amphithéâtres de dissection, abattoirs. . 706
Morgues, 706. — Amphithéâtres, 7M. — Abattoirs, .... 723
Art. V. — Inhumations, exhumations, cimetières 724
Inhumations, 724. — Exhumations. „ 728
Art. VI. — Désinfection des égouts 732
1° Lavage intermittent à grande eau, 732. — 2° Curage des
égouts, 734. — 3° Établissement des pentes, 733. — 4° Imper-
méabilité des conduits, 736. — S" Ventilation des égouts, 736 ;
ventilateurs-ûltres à charbon, 741 ; occlusion hydraulique,
7i5. — 6° Désinfection chimique des égouts 746
TABLE DES MATIÈRES. xi
Art. vil — Vidanges 750
Ordonnances concornant la desinfection des fosses, "32. — Emploi
du sulfate do fer, 734. — Desinfection chimique des gaz des
tonnes, 762. — Brûlage des gaz, 763. — Désinfection préven-
tive des tinettes mobiles, 766. — Désinfection dans les fabriques
do sels ammoniacaux, 768. — Désinfection et épuration des
matières de vidanges par le sol 771
CHAPITRE VIII. — DÉSINFECTION DU SOL 773
Art. premier. — Terrains marécageux 773
Art. II. -— Assainissement des champs de bataille 779
Prix approximatif des substances désinfectantes 789
Table des figures 791
Table alphabétique 793
Errata . 799
TRAITÉ
DES DÉSINFECTANTS
ET
DE LA DÉSINFECTION
NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
DEFINITION.
La désinfection est la suppression de l'infection. Mal-
heureusement, les acceptions si diverses qu'a subies le
mot infection depuis un grand nombre d'années, empê-
chent de trouver dans cette antithèse d'expression et
d'idée la base d'une définition rigoureuse. L'on ne saurait
nier, toutefois, que le mot infection implique surtout
l'idée de souillure, ce qui est conforme à l'étymologie :
infîcere, souiller. On pourrait donc dire que désinfecter,
c'est supprimer la souillure des milieux ou des matières
qui peuvent agir d'une manière fâcheuse sur les sens ou
sur la santé de l'homme et des animaux.
Il est en effet difficile de ne pas tenir compte à la fois
du sens vulgaire et du sens scientifique qu'on donne habi-
tuellement au mot désinfecter. Ce mot retient quelque
chose des deux acceptions de son radical : infect, toute
Valli.n. — Désixfectams. 1
2 NOTIONS PRELIMINAIRES.
chose qui a mauvaise odeur; infectieux, qui souille par
des principes morbifîques, effluves, miasmes, germes,
contages, parasites, etc. A ce point de vue, désinfection a
une signification bien plus étendue qu'infection. Dans le
langage médical, l'infection est une cause et un mode de
développement de maladies ; on l'a souvent opposée à la
contagion, et cependant un mot unique, désinfection, s'em-
ploie pour exprimer la destruction des propriétés à la fois
infectieuses et contagieuses de l'air ou d'un foyer. On dit
désinfecter les égouts, les fosses de vidanges contenant du
sulfhydrate d'ammoniaque, désinfecter un navire en pa-
tente brute de fièvre jaune, aussi bien que désinfecter une
salle qui a reçu des varioleux ; on dit même désinfecter les
habits d'un galeux.
On ne saurait le nier, le mot désinfecter implique :
1° une action sur certains principes volatils, sur des éma-
nations dont l'existence matérielle se traduit par des réac-
tions chimiques ou par des propriétés organoleptiques;
2° une action sur des principes morbides de nature mal
déterminée, variable ou ne se traduisant le plus souvent
que par leurs effets sur l'organisme, germes spécifiques
ou contages.
Au point de vue scientifique, il y a peut-être quelque
inconvénient à introduire dans l'idée de désinfection la
suppression des odeurs qui blessent l'odorat. La mauvaise
odeur n'est pas nuisible par elle-même ; c'est un épiphé-
nomène qui ne donne pas nécessairement la mesure des
propriétés nocives de l'air ou d'une substance quelconque.
Le public , étranger à la médecine, a précisément une
tendance fâcheuse à' juger de l'insalubrité par la mauvaise
odeur ; fabsence de celle-ci lui donne une sécurité trompeuse ;
en la masquant par des artifices divers, il croit d'ordinaire
avoir fait disparaître tout le danger. Toutefois, il faut évi-
ter ici de violenter le sens ordinaire des mots : une atmos-
phère qui ne blesse en rien l'odorat peut certainement être
DEFINITION. 3
insalubre et engendrer les maladies les plus graves; mais
les odeurs fétides ou désagréables sont un témoin révéla-
teur qui implique la présence de principes nuisibles, de
gaz toxiques, ou de matières organiques en décomposition;
il ne faut pas trop en diminuer l'importance aux yeux du
public, pour qui, à juste titre, tout ce qui sent mauvais
est suspect.
Sans doute, au point de vue de l'hygiène, la désinfec-
tion n'est vraiment nécessaire que lorsque les émanations
mal odorantes, infectes, sont capables de compromettre la
santé des êtres vivants; mais, quoi qu'on en ait dit, il est
rare qu'une odeur vraiment infecte blesse longtemps le
sens olfactif sans qu'il y ait en même temps quelque dan-
ger pour la santé de l'homme. M. Chevreul, qui a fait de
longues études pour s'efforcer de réduire les odeurs à des
éléments chimiques saisissables, croit pouvoir les ratta-
cher à l'ammoniaque, à l'acide butyrique, caproïque, etc.,
toutes substances qui sont pour la plupart de véritables
poisons pour l'organisme. On peut dire avec raison que
toute mauvaise odeur rend la désinfection nécessaire; mais
il n'en suit nullement que la désinfection soit inutile quand
il n'existe aucune émanation appréciable par l'odorat.
d'est pour cela qu'il nous est impossible d'accepter la défi-
nition donnée par Littré dans son Dictionnaire de la lan-
gue française : « Désinfectants, substances qui détruisent
chimiquement les mauvaises odeurs . »
La décomposition des matières organiques, la présence
des produits de la fermentation putride, etc. sont cer-
tainement une cause très commune de cette souillure des
milieux que la désinfection s'efforce de détruire ; mais il
est impossible de limiter à cet ordre de causes l'action des
désinfectants. C'est aussi ce qui nous empêche d'accepter
la définition de Fleury qui, dans son Cours cVhijgiène, a
longuement discuté la signification qu'il fallait attribuer à
■ce mot. « La ventilation et la désinfection, dit-il, sont les
4 NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
moyens que l'on met en usage pour prévenir et pour neu-
traliser les émanations animales putrides. » Dans tout le
chapitre, il n'est question que de ces émanations putrides;
pour lui, la désinfection semble ne pas s'appliquer aux
germes morbides, il paraît oublier que la désinfection,
comprise dans ce dernier sens, est mentionnée à chaque
page de nos règlements sanitaires et des prescriptions
quarantenaires. Aussi, sommes-nous étonné de voir en-
core M. Rabuteau (1) définir les désinfectants : « Lesagents
qui détruisent les mauvaises odeurs développées pendant
la fermentation putride; » il est vrai qu'il ajoute : « ou
produites par une autre cause. »
A ces définitions trop limitées, nous préférerions celle
de Tardieii (2) : « On donne le nom de désinfection à l'opé-
ration à l'aide de laquelle on cherche à détruire les quahtés
nuisibles de l'air. » Mais à quelle Umite s'arrêter? L'ex-
trême sécheresse, l'extrême chaleur, le refroidissement
excessif, sont assurément f?es qualités nuisibles de l'air;
il est impossible de faire rentrer dans la désinfection la
suppression de ces conditions fâcheuses. En outre, la désin-
fection ne s'applique pas seulement à l'air : on désinfecte
les plaies aussi bien pour empêcher la souillure de l'air,
que pour prévenir la résorption de Hquides putrides ; on
désinfecte des objets matériels, des vêtements, la literie,
les parois intérieures d'un navire; on désinfecte les eaux
industrielles, les égouts, les selles d'un cholérique, etc.
Tandis que les uns limitent la désinfection aux émana-
tions putrides, que les autres retendent à tout ce qui peut
nuire, Parkes (3) au contraire la restreint exclusivement à
ce qui empêche l'extension des maladies infectio-conta-
(1) Rabutenu , Manuel de thérapeutique; désinfectants.
(2) A. ïuidicu , Dictionnaire d'hygiène publique et de salubrité, 2» édi-
tion, 1862 ; t. 1, p. 688. "
(3) Parkes, A Manual of practical hygiène, 5^ édition by F. do Chau-
mont, London, J. et A. Ghurcbill, 1818 , p. 508.
DEFINITION. 5
gieuses, en détruisant leurs poisons spécifiques. Dans son
Traité d'Iiiigiène, la désinfection ne s'applique qu'aux
contages, aux virus, aux germes morbides, aux parasites;
à la rigueur il y rattacherait la destruction des entozoaires,
les Isenifuges, etc. Le terme général de purificateurs de
l'air est donné par lui aux agents, quels qu'ils soient,
qui peuvent nettoyer (to cleanse) l'air, et la désinfection
n'est qu'une forme particulière de cette purification. Le
traitement hygiénique des égouts, des vidanges, etc.,
rentre dans l'étude des air purifier s, non pas dans celle
des désinfectants. A tout médecin français, cette concep-
tion paraîtra arbitraire et trop restreinte : dans notre pays
au moins, le désaccord serait trop grand entre le langage
courant, l'acception usuelle, et une acception scientifique
aussi rigoureuse; nous n'oserions affirmer qu'il en soit
ainsi dans la langue anglaise.
Nous disions en commençant que, grammaticalement,
désinfection était la suppression de l'infection; on voit que
Parkes n'a pas reculé devant cette donnée, et qu'il a pris
pour point de départ le sens moderne, spécial, très limité
du mot infection. Nous sommes bien loin de l'époque oîi
Rochoux {Dictionnaire de médecine, 1823 et 1835) con-
cluait, avec Arejula, que « les fumigations désinfectantes
étaient sinon nuisibles, tout au moins inutiles contre les
maladies infectieuses ».
Chalvet (1), dans le mémoire que l'Académie de médecine
a couronné en 1863, a donné une définition qui nous pa-
raît très complète, et qui serait irréprochable si elle n'était
trop longue et trop compliquée; elle s'applique, il est vrai,
plutôt aux désinfectants qu'à la désinfection : « Un
« corps est dit désinfectant, lorsqu'il possède la pro-
« priété d'enlever à l'air ou à une matière quelconque,
11) Chalvet. Des désinfectants et de leurs applications à la thérapeu-
tique et à l'hygiène. (Mémoires de l'Académie de médecine, 1863, tome
XXVI, p. 473.)
6 NOTIONS PRELIMINAIRES.
« des qualités nuisibles contractées par l'imprégnation de
« substances fort tenaces et de diverse nature, appelées
« miasmes, émanations, effluves; ou bien d'anéantir les
« éléments fétides qui naissent sous l'influence de la dé-
« composition partielle des corps organiques privés de vie. »
Nous aimerions mieux dire avec lui, d'une façon -plus
concise, que les désinfectants sont Us substances capa-
bles de neutraliser les principes morbifiques, virus, ger-
mes, miasmes, ou de décomposer les particules fétides et
les gaz qui se dégagent des matières en putréfaction.
Il est assez curieux de constater que cette définition se
rapproche plus que toutes les autres de celle qui était
donnée par Halle et Nysten dans le Dictionnaire des scien-
ces médicales en 1814, et qui aujourd'hui encore nous
paraît excellente, si on la limite à ce premier membre de
phrase : « La désinfection s'entend spécialement de la
destruction des émanations malfaisantes qui peuvent agir
sur nos corps ...»
Il est inutile d'ailleurs de poursuivre outre mesure une
définition rigoureuse et complète ; le temps est passé de
ces formules scolastiques et un peu pédantesques. Nos
connaissances sur la nature des maladies dites infectieuses
sont en voie de se transformer; ce qui serait vrai dans
l'état actuel de la science, courrait risque de ne plus l'être
demain. Il importe moins de limiter rigoureusement
le sujet, que de tracer ici un cadre dans lequel viendront
se ranger, dans un ordre raisonnable et commode, toutes
les notions ayant trait à la désinfection et aux désinfec-
tants.
HISTORIQUE.
La répugnance instinctive qu'inspirent les mauvaises
odeurs, a conduit l'homme dans les temps les plus re-
culés à les masquer par des aromates, et ceux-ci ont été
HISTORIQUE. 7
le plus souvent associés aux désinfectants proprement dits.
Les cérémonies religieuses n'allaient point, même dans
l'origine, sans qu'on brulàL des parfums; cette apération
entraînait une pensée de purification et de désinfection, à
tel point que le mot parfums est resté dmis nos vieilles
pratiques quarantenaires, pour désigner ces mélanges
d'une odeur forte^ composés de goudron, de genièvre, de
poudre à canon, de soufre, dont on se servait dans les laza-
rets et les navires pour désinfecter les personnes et les
choses. Pendant de longs siècles, et même jusqu'à nos
jours, la désinfection a souvent consisté à masquer les
mauvaises odeurs par d'autres odeurs fortes ou aromatiques,
sans efficacité réelle au point de vue de l'hygiène. Cepen-
dant le soufre, dès la plus haute antiquité, était employé
dans les rites religieux ; on en trouve la preuve dans le
passage suivant d'Homère. Ulysse vient de massacrer les
prétendants ; Télémaque vient de faire pendre les esclaves
infidèles ; les pasteurs ont coupé à Mélanthe le nez et les
oreilles. Alors, s'adressant à sa nourrice chérie : « Vieille,
« dit Ulysse, apporte-moi du soufre et du feu, pour que ie
« dégage l'air de ses poisons et purifie ce palais. Eury-
« clée obéit, elle apporte le feu et le soufre; un parfum
« s'élève par les soins du héros, et se répand dans la salle,
« le portique, la cour et tout le palais (1). »
Sans doute, Ulysse fait brider du soufre dans le palais,
non pas seulement pour faire disparaître les odeurs que
laissent les cadavres, mais encore pour accomplir un rite
religieux ; l'emploi de ces fumigations paraît avoir été
usuel à l'époque d'Homère. Du temps d'Hippocrate, le
soufre était décoré de l'épithète : anUloïmique, c'est-à-
dire anti-pestilentiel, de Xotaoç, peste.
Les bergers de l'antiquité employaient le soufre à la
fois pour blanchir la laine des toisons et pour purifier les
moutons, atteints souvent de maladies contagieuses.
(1) Odyssée, chant XXII, vers 492, traduction de Bitaubé.
8 NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
Dans les Fastes où Ovide décrit, parmi beaucoup de
choses, les cérémonies religieuses et les coutumes domes-
tiques, il dit : livre IV, vers 135 :
Pastor, oves saturas ad prima crepusciila lustra ;
Cserulei liant vivo de sulphure fumi ;
Tacta que fumanti sulphure balet ovis.
« Berger, répands l'eau lustrale sur tes brebis repues;...
que le soufre vierge jette une flamme azurée; que la fumée
arrivant jusqu'à la brebis, provoque ses bêlements. »
L'emploi des antiseptiques dans les embaumements
remonte aux temps les plus reculés de l'histoire ; l'usage
du goudron, des résines, de la poix, s'est transmis d'âge
en âge jusqu'à une époque récente. Parmi les produits de
la distillation du bois, employés par les Égyptiens pour
la préparation de leurs momies, se trouvaient l'acide pyro-
ligneux, la créosote, dont l'action antiseptique est très
énergique. Pline raconte que les embaumeurs égyptiens
faisaient usage des produits de la distillation du goudron;
la substance désignée par eux sous le nom de -KiGnù-àiov
huile de poix, représente sans doute nos huiles lourdes de
goudron, l'anthracène, le chrysène, le pyrène, des chi-
mistes modernes, et aussi l'acide phénique.
Pendant la peste d'Athènes, le médecin Acron se rendit
célèbre en faisant allumer de grands feux au milieu des
places publiques et dans les rues remplies de* cadavres.
Au dire de Plutarque, on attribua à ce moyen le mérite
d'avoir purifié la ville et d'avoir arrêté l'épidémie.
Tout le monde connaît les mesures sévères et parfois
étranges de purification que la loi mosaïque inspirait aux
Hébreux .
Les grandes épidémies qui ont fait tant de ravages au
moyen âge et jusqu'aux premiers siècles de l'ère moderne ,
la terreur qu'inspiraient des maladies contagieuses ou
réputées telles, la peste, la lèpre, et tant de ces épidé-
mies disparues dont Anglada nous a retracé l'histoire,
HISTORIQUE. 9
conduisirent à des pratiques de désinfection et de qua-
rantaines qui se sont perpétuées dans nos lazarets jusqu'à
la fin du XVIII* siècle, comme les vestiges attardés et ridi-
cules d'une civilisation barbare. A cette époque, les idées
théoriques sur les esprits animaux, sur l'iatrochimie,
dirigeaient seules le choix et l'invention des agents répu-
tés désinfectants ; c'est le règne des préjugés les plus gros-
siers, de l'empirisme le plus aveugle; c'est le chaos.
Pringle, l'illustre auteur des Observations sur les ma-
ladies des armées, est un des premiers qui aient introduit
l'expérimentation directe et méthodique dans l'étude des
désinfectants. Dans son Mémoire sur les substances septi-
ques et aidiseptiques, lu en 1750, au milieu d'idées doc-
trinaires qui ne sont plus acceptables, on trouve 48 expé-
riences, dont plusieurs peuvent encore aujourd'hui être
considérées comme très correctes. Il plaçait des morceaux
de viande fraîche en contact avec des doses variées des sub-
stances en expérience, dans des flacons bouchés et soumis
à l'étuve, et notait jusqu'à quel moment la putréfaction
était retardée. Il prit pour point de départ et de compa-
raison, pour unité, l'action antiseptique de 60 grains de sel
marin sur 2 grammes de viande de bœuf plongée dans
2 onces d'eau de citerne, maintenue à 38" centigrades ; le
mélange se maintint en bon état, sans odeur de corrup-
tion, pendant plus de trente heures. Pringle a résumé ses
expériences dans le tableau suivant, que nous avons com-
plété en y joignant les résultats indiqués dans les autres
chapitres de son mémoire.
Table des vertus relatives des sels pour résister
à la putréfaction :
Sel marin 1
Tarlre vitriolé . . • '
Esprit do Mindererus (Acétate d'ammoniaque liquide). /
Sel diurétique (acétate de potasse) i
Tartre vitriolé. . , )
(1) Pringle, Observations sur les maladies des armées, etc., édition
Perler, 1863, p. 144.
10 NOTIONS PRELIMINAIRES.
Sel ammoniac ^ v 3
Nitre )
Sel de corne de cerf ( 4
Sel d'absinthe (sous-carbonale de potasse) )
Borax 12à20elplus.
Sel de succin (acide succinique) .... 20
Alun 30
Myrrhe j ^^
Aloès, assa fœtida, cachou )
Fleurs de camoniilo ) .^^
Serpentaire de Virginie \
Camphre 60 à 300.
L'on trouve dans ce mémoire de curieuses observations,
qu'il serait intéressant de contrôler. Les fleurs de camo-
mille, soit en infusion, soit en poudre, sont pour Pringle
un puissant antiseptique. En saupoudrant des tranches de
viande fraîche avec de la poudre de quinquina, de serpen-
taire de Virginie, ou de camomille, il trouva que la putré-
faction était retardée dans l'ordre ci-dessus ; la camomille
surtout rendait la viande sèche, dure, en apparence incor-
ruptible, bien qu'on fût en plein été. Il faut sans doute
faire la part de la forme pulvérulente qui favorisait la dessic-
cation ; cependant le même effet se produisit avec l'infusion
de camomille qui empêchait la putréfaction de la viande ou
du jaune d'œuf (Exp. VII et XVII). Bien plus un morceau
de viande en pleine putréfaction, qui était devenu mol-
lasse et gonflé de gaz, perdit toute fétidité, resta frais et
garda sa contexture ferme pendant plus d'un -an, dans une
infusion de fleurs de camomille (Obs. XIII). Voilà un fait
qu'il serait intéressant d'examiner de nouveau.
C'est de la création de la chimie moderne, c'est des
dernières années du xvnf siècle, que datent les premiers
travaux sérieux sur les désinfectants proprement dits. A
l'empirisme encore grossier, aux théories humorales, à
l'alchimie, succèdent les grandes découvertes de Priestley,
de Lavoisier, de Scheele, de Gay-Lussac, etc., faisant con-
naître la véritable nature de l'oxygène, de l'eau, de l'air,
du chlore, etc. A cette époque se rattachent les travaux de
HISTORIQUE. If
Carmiehael Smith, Giiytoii-Morveaii, Fourcroy, Halle,
Cruikshank, sur les fumigations d'acide nitreux, d'acide
chlorhydrique, de chlore, etc. Mais on n'appréciait encore
la valeur des désinfectants que par leur action sur les éma-
nations odorantes ; on connaissait trop mal la distinction
entre les gaz de la putréfaction, les miasmes et les virus,
pour distinguer les manières différentes d'agir des désin-
fectants. Cette étude est toute moderne : elle a été la con-
séquence des progrès réalisés en pathologie générale, en
physiologie pathologique, en pathologie comparée. Il ne
faut donc pas s'étonner si elle n'a commencé qu'en ces-
dernières années. Renault d'Alfort (1) est entré l'un des
premiers dans cette voie : étant reconnu que certaines ma-
ladies donnent des produits inoculables qui reproduisent
presque certainement l'affection primitive, Renault a sou-
mis ces liquides virulents à l'action des agents réputés dé-
sinfectants, il les a ensuite inoculés, et le résultat obtenu
indiquait la valeur réelle du désinfectant. Baxter (2), Da-
vaine (3), Sternberg (4), en ces quinze dernières années,
ont soumis à ce contrôle un grand nombre de substances, et
nous ont fourni une base scientifique pour l'appréciation et
le classement de ces médicaments. Malgré les progrès ac-
complis, la question n'est qu'ébauchée : nous sommes en-
core ignorants ou incertains sur la valeur réelle d'agents
(1) Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie vétérinaires do
Bouley et Reyiial. — Désinfection par Reynal.
(2) Baxter, Report on an expérimental study of certain disinfectants
(appendice lo iho Report of the médical officer of the Privy Council, 1876,
T. VI, p. 216à 236).
(3) Davaine , Recherches relatives à l'action de la chaleur sur le virus
charbonneux. [Académie des sciences, 29 septembre 1873.) — Recherches
relatives à l'action des substances antiseptiques sur le virus de la sep-
ticémie. [Gaz. méd., 1874.) — Recherches sur quelques conditions qui fa-
vorisent ou qui empêchent le développement de la septicémie. (Acad. de
médecine, 18 février 1879.)
(4) Slernberg W. , Experiments designed to test the value of certains
(jaseuus and volatil disinfeclants, {National Board of health,lVashington
1880, T. I, n" 29 à 37 el Revue d'hygiène, 18SQ, p. 810.)
12 NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
qui jouissent d'une réputation peut-être mal justifiée ; une
substance qui neutralise immédiatement tel virus peut être
sans action appréciable sur un autre virus. Nos connaissances
sur l'action des désinfectants marchent d'un pas égal avec
nos connaissances sur la nature intime des infections, des
ferments, des virus, des germes parasitaires, des produits
inoculables et transmissibles. Les travaux de Pasteur sur les
fermentations ont conduit à la méthode antiseptique, au pro-
cédé de Lister, comme aux pansements par occlusion à l'aide
de la ouate (A. Guérin), c'est-à-dire à ce que beaucoup consi-
dèrent comme l'un des plus grands progrès que la chirurgie
ait réalisés depuis un siècle. Les découvertes de Davaine
sur la nature du charbon et de la septicémie l'ont conduit
à expérimenter l'action des antivirulents.
Nous ne savons ce que l'avenir nous réserve, mais il
n'est pas douteux que l'emploi raisonné des désinfectants
tend chaque jour à prendre une place plus importante au
point de vue de l'hygiène et de la thérapeutique. La désin-
fection, c'est la prophylaxie, c'est la médecine préventive,
c'est la suppression d'une cause incessante d'aggravation
des maladies confirmées, et de l'éclosion de maladies nou-
velles, c'est par conséquent un progrès qui ne s'arrêtera
pas.
PLAN.
Avant de faire connaître l'ordre, d'ailleurs un peu arbi-
traire , dans lequel nous allons présenter les notions
actuelles sur les désinfectants, et pour justifier le plan
que nous avons adopté, nous croyons utile de passer en
revue et de soumettre à la critique le plan suivi par quel-
ques-uns des auteurs dont nous avons consulté les ou-
vrages.
Dans beaucoup de traités et même de mémoires, l'étude
des désinfectants est précédée d'un long chapitre sur les
PLAN. 13
fermentations, la putréfaction, les miasmes, les virus, les
contagcs, etc ; dans certains mémoires mêmes, ces géné-
ralités ont pris tant de place, qu'il n'en reste presque plus
pour décrire les agents et les procédés de désinfection.
De pareilles digressions sont inopportunes ; elles ne ren-
trent pas nécessairement dans le sujet. La question est d'ail-
leurs à l'ordre du jour, et il se pourrait que telle page,
au courant de la science la plus moderne au moment où
elle a été écrite, se trouvât très arriérée lorsqu'elle sera
imprimée dans ce volume. Donc, tout en appréciant la
valeur des considérations générales sur la nature de l'in-
fection, contenues dans le chapitre du Traité dliygiène de
MM. Roth et Lex (1), ou dans le mémoire couronné de
Chalvet, nous croyons devoir nous abstenir ici de ce
préambule un peu trop doctrinaire.
C'est surtout en ce qui concerne la classification des
agents désinfectants, que les auteurs se sont donné libre
carrière. Le plus souvent, il est facile de voir que certains arti-
cles ont été écrits par des chimistes, non par des hygié-
nistes. Il nous est impossible, par exemple, de suivre le plan
adopté par 0. Réveil (2) dans le mémoire qu'il a présenté
au concours institué par l'Académie de médecine en 1860
sur la question des désinfectants et de leurs applications à la
thérapeutique, et reproduit en partie dans les Archives de
médecine de 1863.
Le but de la désinfection est ainsi défini par 0. Réveil :
1° détruire les odeurs incommodes ; 2" rendre aux tissus la
vitalité nécessaire à leur reconstitution et à la cicatrisation;
3° s'opposer à la formation du pus, ou changer le pus de
mauvaise nature en pus de bonne nature ; 4" surtout et par-
dessus tout, détruire les miasmes, les émanations, et em-
pêcher qu'ils ne portent autour d'eux leurs ravages.
(1) Rolh und Lcx, Handbuch der militar-Gesundheilspflege, Berlin, 1872,
T. I, p. 502.
(2) 0. Réveil, Mémoire sur les désinfectants. [Archives génér. de méd.
1863 cl Formulaire raisonné des médicaments nouveaux, 2e édilion 1S63.)
14 NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
Réveil divise les désinfectants de la façon suivante :
lo Agents physiques : ventilation, soustraction au con-
tact de l'air, élévation ou abaissement de température;
2° Agents mécaniques : corps poreux.
3" Agents chimiques purs : ce sont les plus nombreux;
4° Agents mixtes : association de plusieurs moyens ou
mélange de plusieurs substances.
Nous oserions dire qu'un tel plan est l'erreur d'un
esprit très distingué ; car rendre la vitalité aux tissus est
une tâche obscure et difficile, qui n'a rien à faire avec le
but que poursuit la désinfection, etc. Ces distinctions sont
beaucoup trop théoriques. La division des désinfectants
en métalliques, par oxidation chimique, ah&orhants et an-
tiseptiques, adoptée par M. Roussin dans l'article Désinfec-
tants du D/(?iw)i?ia/re de Jaccoud, est déjà beaucoup meil-
leure, mais elle eyt encore un peu chimique.
P. Chalvet dans son mémoire sur les désinfectants,
distingue trois classes d'agents : la première classe
est la désinfection chimique, la seconde est celle par mo-
dification de la vitalité ; la troisième, enfin, est obtenue
par des moyens purement physiques. « Cette division,
dit-il, nous paraît plus pratique. Les désinfectants par
modification de la vitalité sont les divers topiques em-
ployés pour changer l'aspect et le mode de, suppuration
des plaies, tels que les caustiques, en général, les vési-
cants, etc, »
Il nous est impossible d'admettre cette troisième catégorie
de désinfectants ; il semble qu'à cette époque les médecins,
— et les pharmaciens — aient obéi à une sorte de mot
d'ordre. On croirait qu'un maître, un haut baron de la mé-
decine ou de la chirurgie, comme on disait alors, a ex-
primé cette opinion, et que tout le monde se soit cru obligé
de s'y conformer. Aujourd'hui, plus indépendants, nous ne
pouvons y souscrire, et personne ne consentirait plus à
ranger les vésicants parmi les désinfectants.
PLAN. 15
Gubler et Bordier (1) , limitant d'ailleurs leur étude aux
-antiputrides et aux antifermentescibles, ont adopté une
classification qui est plus doctrinale que pratique. Ils dis-
tinguent les agents qui agissent directement sur le ferment
et ceux qui n'agissent sur ceux-ci qu'indirectement, en
modifiant les milieux dans lequels ils sont destinés à vivre
et à se développer. A. Action sur le ferment : 1° agents
coagulants (chaleur, acide phénique, créosote, tannin, iode,
perchlorure de fer, sublimé, nitrate d'argent et de mercure,
acides azotique, chlorhydrique, alcool, sulfate de fer) ;
2° action toxique sur les ferments (soufre, goudron, sulfate
de quinine, acide cyanhydrique, acides aromatiques) ; 3" ac-
tion incrustante sur les germes ou ferments (silicate de
soude). B. Action sur les milieux où vit le ferment :
r agents qui détruisent ou empêchent la production du fer-
ment, en rendant le milieu acide (pernicieux pour les
ferments animaux), ou alcalin (nuisible pour les pro-
torganismes végétaux) ; 2° dessiccation du milieu (privation
d'eau, alun calciné, poudres absorbantes) ; 3° substances à
grande affinité pour l'hydrogène (chlore); 4" substances
oxydantes (hypochlorites, phosphores); 5" substances réduc-
trices (sulfites).
Ce plan est ingénieux, assurément, mais il est aussi trop
théorique, et n'est pas d'une application facile dans la pra-
tique journalière de la désinfection,
Kletzinsky distingue les désinfectants en deux clfesses:
1° ceux qui détruisent les miasmes, — a, par oxydation:
térébène, chlore, oi^one, hypochlorites, fumigations de ni-
trate de potasse, hijpermanganates alcalins, etc. ; —
b, par absorption : corps poreux, charbon, terre sèche —
c, par précipitation : sulfates et chlorures métalliques,
acide sulfureux, etc. 2" ceux qui détruisent les contages:
— d, lavage, froid, chaleur; — e, par coagulation de l'al-
(1) Gubler et Bordier, Des substances antiputrides et antifenne.itesci-
bles. {BuUetin de thérapeutique, 1873. T. 84'', p. 233.)
16 NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
bumine des ferments : alcool, créosote, acide phénique.
siihlimé , arsenic; — f, par destruction chimique des
cellules : lessives alcalines, acides fortement oxydants,
— ^, par soustraction de l'eau : carbonisation par V acide
sulfurique, par le feu.
Nous voyons trop, dans ce groupement ingénieux, la
part faite à la théorie , pas assez celle qui doit être réser-
vée à la commodité de l'application.
Hoffmann est entrédans une meilleure voie,en distinguant
parmi les désinfectants : les agents fixateurs, antiseptiques,
oxydants. On voit qu'il s'est placé au point de vue du but à at-
teindre, et sous des désignations qui sont encore un peu
trop chimiques, on reconnaît que sa classification est au-
jourd'hui même l'une des plus acceptables. C'est toutefois
encore le chimiste qui prédomine.
Dans une conférence, d'ailleurs très riche de faits, don-
née par M. Jeanael (1), en 1870, à l'École d'apphcation de
l'artillerie et du génie, dans Metz assiégée par l'armée
allemande, M. Jeannel divise ainsi les désinfectants :
1" agents co?nburants, qui détruisent les gaz fétides ou les
miasmes en les brûlant par l'oxygène : ozone, air atmos-
phérique, permanganate de potasse, acide hypoazotique;
:2° déshydrogénants : chlore, hypochlorites, iode, brome;
3" désoxydants : acide sulfureux, sulfites, hyposulfites ;
4" désuif iirants et coagulants des matières protéiques :
chaux, sels d'albumine, sels de fer (sulfate, persulfate,
perchlorure), sels de zinc (sulfate, chlorure, etc. ; '&' agents
antisepticiues, qui détruisent ou paralysent les germes des
fermentations : acides phénique et thymique , créosote,
goudron de bois, goudron de houille ou coaltar, suie de
cheminée; chloroforme, éther, sulfure de carbone, carbures
(1) Jeanne], Conférence sur les désinfectants, faite à l'École d'applica-
tion du génie et de l'artillerie de Metz, le 24 septembre 1870. {Union
médicale, 14 septembre 1871.
PLAN. n
d'hydrogène liquides, acide cyanhydrique, essence d'a-
mandes amères, essence de laurier cerise ; 6° agents ab-
sorbants : charbon animal.
On ne peut méconnaître que M. .Teannel a formé de la
sorte certains groupements qui séduisent au premier abord ;
ces groupes sont naturels ; en effet, ils rapprochent des
choses comparables , mais comparables seulement au point
de vue de la théorie chimique. Il importe au contraire
assez peu à l'hygiéniste de savoir que le brome désinfecte
en enlevant de l'hydrogène, l'acide sulfureux en enlevant
de l'oxygène, l'acide hypoazotique ou les permanganates
en apportant de l'oxygène ; ce qui lui importe, c'est de
ne pas confondre le sulfate de fer, qui absorbe simplement
les produits sulfurés au fur et à mesure qu'ils se dégagent,
avec l'acide sulfureux qui détruit radicalement toute vie
et toute virulence dans les milieux suspects.
A. Wernich(l), dans son livre très récent sur la désin-
fection, s'est placé presque exclusivement au point de
vue de l'hypothèse des microbes comme agents de l'in-
fection, et plus de la moitié de son traité (p. 1 à 153) est
employée à démontrer la réalité de la doctrine parasi-
taire. Dans la seconde partie, consacrée aux applications
pratiques de la désinfection, il adopte la division suivante
qui est la conséquence naturelle de sa conception théo-
rique : A. destruction de l'agent morbide (contrôle par la
méthode bactérioscopique) ; B. rédintégration ou purifica-
tion des objets matériel?, souillés par les germes morbides
(instruments de chirurgie, d'exploration, linge ou vêtements
des malades) ; désinfection par la chaleur : purification de
l'air, du sol, des navires, des voitures, souillés par les
malades; purification des marchandises, des voyageurs,
désinfection dans les quarantaines; C. prophylaxie mé-
thodique ; interception par des moyens mécaniques de toute
(1) Wernich, Grundriss der DesinfecHonslehre zum praclischen Ge-
brauch. \yjen 1880, l vol. in-8'' do 258 pages.
Vallix. — Désixfectams. 2
18 NOTIONS PRÉLIMINAIRES,
communication entre le sujet exposé et les matières sus-
pectes ; méthode antiseptique ; immunité acquise ; isole-
ment.
L'on voit que l'auteur a traité bien plus des moyens de
préservation contre les germes parasitaires, que de la
désinfection et des désinfectants. Le chapitre A contient
des recherches intéressantes, mais il est impossible d'a-
dopter un plan qui repose sur une conception aussi théo-
rique.
Nous avons déjà dit que la division adoptée par Parkes
dans son Traité dliyglène, est peut-être rigoureusement
scientifique, mais qu'elle s'éloigne trop de l'acception
ordinaire donnée dans notre langue au mot désinfectant.
Parkes étudie, sous ce dernier nom, exclusivement les
antivirulents , les agents neutralisateurs des virus , et
dans une autre partie de son livre , sous le nom de
purificateurs de l'air, de Veau, il passe en revue tous les
moyens capables d'assurer cîtte purification. Ces chapitres,
ou pour mieux dire ces paragraphes, sont excellents ;
mais ils sont disséminés çà et là dans l'ouvrage, et au point
de vue pratique, il est malaisé de lés consulter.
Dans l'article très court et très élémentaire du grand
Traité d'Hygiène dirigé par le docteur Buck (1), à New-
York , M. Elwyn Waller n'a point cherché à suivre un
plan méthodique ; il se contente de dire quelques mots sur
chacun des désinfectants les plus habituellement employés.
Le plan adopté par MM. Roth et Lex, dans leur Traité
dliygiène militaire, nous paraît déjà beaucoup meilleur.
Après des généralités trop étendues sur la putréfaction,
es fermentations, les germes morbides, virus proprement
dits et parasites, les contages, les épidémies, après un
essai théorique de classement des désinfectants, les au-
teurs entrent dans le vif du sujet, ils en répartissent l'étude
(I) Elwyn y^ SiWar, Disinfeclants, m tho A. H. Buck' s Treatise on hy-
giène and public health, lb79, 2 vol. in-8". — T. 2, p. 543 à 569.
PLAN. 19»
en chapitres. /, moyens de purification de l'air : désinfec-
tants de l'air; solides, liquides, gazéiformes (charbon, terre'
sèche, hypermanganate dépotasse, chloralum, etc. ozone,,
chlore, iode, brome, acide sulfureux, etc.). //, moyens de
désodorisation (charbon, terre, chaux, chlorures, sulfates,
et chlorures métalliques, acide phénique, etc.). ///, désin-
fectants spécifiques, destructeurs des contages ; désin-
fection dans chaque maladie en particulier. /F, de la dé-
sinfection dans ses applications (désinfection des habits,,
des espaces clos, des wagons, des latrines, des selles, des-
cadavres d'animaux, etc. ; désinfection des champs de ba-
tailles, des villages occupés, des camps ; description des
appareils à désinfection ; formules et modes d'emploi des
désinfectants).
Ce plan est incontestablement supérieur à ceux quâ
précèdent ; on voit que les auteurs ont senti le besoin de
se placer au point de vue pratique. Qu'ils nous permettent
cependant quelques critiques. Pourquoi consacrer un
chapitre spécial à la désinfection ou purification de l'air?
n'est-ce pas s'exposer à chaque page à des doubles em-
plois ou à des renvois incessants aux chapitres suivants ?
On trouve là rangées un grand nombre de notions qui
pourraient tout aussi justement figurer dans un autre cha-
pitre ; est-ce que pour purifier l'air, il ne faut pas cher-
cher à le désodoriser (chap. II), à détruire les contages
(chap. III) qui peuvent s'y trouver ? Ce qui s'applique à
l'air, ne s'applique-t-il pas aussi bien aux objets matériels?
Il serait injuste toutefois de méconnaître à quel point
cette étude est supérieure à toutes celles qui l'ont précédée ;
on voit qu'elle a été faite par des hygiénistes compétents,.
à la fois hommes de science et de pratique ; elle constitue
une mine précieuse de renseignements, et nous aurons
de fréquentes occasions d'y puiser largement.
Nous reconnaissons d'ailleurs qu'il est difficile d'adopter
un plan définitif et pleinement satisfaisant, parce que la
20 NOTIONS PRELIMINAIRES.
question est à l'ordre du jour, et que chacune des décou-
vertes de MM. Pasteur, Chauveau, Toussaint, etc., sur la
nature et le mode de propagation de certaines maladies vi-
rulentes peut changer la théorie et la pratique des moyens
de désinfection et de préservation.
Dans l'état actuel de la science, l'infection peut se réduire ■
d'une manière générale à trois sources : 1° les produits
de la décomposition de la matière organique, dont la pu-
tréfaction est le type ; 2° les virus ; 3° les germes animés
et les parasites. Tous ces groupes se relient entre eux ; la
septicémie ou empoisonnement putride interne, dont le virus
contient des vibrions, sert de transition entre le premier et
le deuxième groupe. Les deux derniers groupes se rap-
prochent l'un de l'autre, depuis les travaux récents sur
les microbes ; ils ne se confondent pas cependant, car il y
a loin du virus varioleux ou du virus syphihtique, oîi
l'on n'a encore découvert aucun germe animé, il y a loin,
disons-nous, de ces virus à l'acarus de la gale et ati tri-
cophyton de l'herpès tonsurant.
Toutefois, ce serait étendre d'une façon abusive le mot
désinfectant que d'y comprendre tous les parasiticides ; à
ce compte, les anthelminthiques, les tœnifuges seraient des
désinfectants ! On dit bien désinfecter les vêtements d'un
galeux, mais cette habitude de langage remonte à une
époque où l'on ne connaissait pas encore l'existence de
l'acarus. On désinfecte cependant les virus charbonneux
en détruisant les bactéridies que ce virus contient. La
transition est insensible entre les divers parasites. Dans
la pratique, et pour ne pas confondre des choses trop dis-
semblables, nous limiterons les désinfectants aux parasiti-
cides, aux germicides qui ne détruisent que les protorga-
nismes microscopiques : la distinction est quelque peu
arbitraire, mais elle est imposée pour la facilité de l'é-
tude.
En résumé, la matière organique, en se décomposant et
PLAN. 21
particulièrement en subissant la fermentation putride,
donne naissance à des produits malodorants, infects, in-
commodes ou nuisibles, dont il importe d'abord de se dé-
barrasser, soit en les expulsant directement {enlèvement,
lavage, ventilation, etc.), soit en les fixant par des corps
absorbants, physiques {charbon, terre sèche), ou chimi-
ques {sels métalliciues). Mais il ne suffit pas d'enlever ces
produits de décomposition, il faut en tarir la source, soit par
l'enlèvement de celle-ci, ce qui est rarement possible, soit
par l'emploi des antiseptiques, cest-k-dïre^dir l'emploi des
agents qui préviennent ou empêchent la putréfaction.
Gomme on attribue les fermentations à la présence de
protorganismes jouant le rôle de ferments, les substances
qui détruisent ou empêchent le développement et la repul-
lulation de ces protorganismes viennent au premier rang
parmi les antiseptiques {germicides).
Enfin, en dehors de toutes les putréfactions apparentes,
certains organismes malades engendrent des principes
virulents, souvent inoculables, transmissibles d'individu
à individu, et capables de reproduire chez un sujet sain la
maladie qui les a fait naître. Les agents qui font disparaître
cette source générale d'infection, ceux qui neutralisent ces
virus, animés ou non, sont appelés antivirulents.
Voici le plan général que nous adoptons pour cet ou-
vrage :
Dans une première partie, nous ferons une étude détail-
lée des DÉSINFECTANTS, qui peuvent être hiérarchisés
de la façon suivante :
I. Moyens mécaniques : enlèvement des sources ou des
produits de l'infection ; ventilation, lavage, etc.
II. Absorbants, désodorants ; agents fixateurs des pro-
duits de la décomposition.
III. Antiseptiques ; agents qui retardent, suspendent ou
empêchent la décomposition.
22 NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
IV. Antivirulents ; agents qui détruisent, neutralisent
les virus, les contages, les germes morbides, soit à l'exté-
rieur, soit à l'intérieur de l'organisme.
Chacun de ces quatre groupes sera étudié successi-
vement, d'abord dans ses généralités, puis en passant
en revue chacun des agents qui méritent plus particuliè-
rement de figurer dans ce groupe. C'est là qu'on trouvera
l'histoire, en quelque sorte doctrinaire, de toutes les sub-
stances réputées désinfectantes ; nous nous efforcerons
d'apprécier le plus souvent par des expériences positives
leur valeur réciproque et leur efficacité plus ou moins
réelle.
Dans une seconde partie, consacrée spécialement aux
applications pratiques, nous passerons en revue toutes les
circonstances où l'on peut être conduit à recourir à la
DÉSINFECTION, et nous indiquerons les agents et les pro-
cédés qui conviennent le mieux dans chaque cas particulier.
On utilisera alors, en y renvoyant, les indications réunies
dans la première partie du travail. Nous étudierons succes-
sivement :
I. La désinfection nosocomiale (malade, locaux, vête-
ments, literie, matériel instrumental, personnel médical
et auxiliaire).
II. Désinfection quarantenaire.
ill. Désinfection vétérinaire.
IV. Désinfection des matières alimentaires.
V. Désinfection des haritations privées et collectives.
VI. Désinfection industrielle.
VII. Désinfection municipale (voirie, marchés, abattoirs,
morgues, égouts, vidanges, etc.).
VIII. Désinfection des champs de bataille, etc.
LIVRE PREMIER
DES DÉSINFECTANTS
CHAPITRE PREMIER.
MOYENS MÉCANIQUES.
ENLÈVEMENT DIRECT DES MATIÈRES INFECTANTES.
Il va de soi que la première condition de la désinfec-
tion est l'enlèvement, la suppression de la source même
de l'infection. C'est ici une question de sens commun,
et pourtant il n'est pas rare de voir cette précaution mé-
connue ou négligée. Parfois d'ailleurs, cette source, cette
cause de l'infection n'est pas évidente; on ne réussit pas
toujours à la découvrir... surtout quatid on ne la cherche
pas. Il suffit de mentionner les cadavres d'hommes et
d'animaux enfouis dans le sol, parfois dans le périmètre
des baraques ou des tentes, comme en Crimée; la présence
de cadavres de rongeurs sous les planchers de nos habi-
tations, ou entre les parois des navires; la fermentation
lente des laines mal épurées et du crin des literies; les
fissures laissant filtrer le gaz ou les liquides des égouts ;
les matières organiques provenant des exhalations pulmo-
naires et cutanées, et que la vapeur d'eau en se condensant
a laissé pénétrer dans l'épaisseur des murailles poreuses.
Le lavage à l'eau simple est à la fois un moyen d'enlè-
24 MOYENS MÉCANIQUES DE DÉSINFECTION.
vement des matières susceptibles de se décomposer, et
aussi un moyen d'atténuer par la dilution l'activité des
principes réellement virulents. Sans doute, il est grande-
ment avantageux d'ajouter aux eaux de lavage des sub-
stances antiseptiques ou neutralisantes ; mais l'action
même de laver, ne fût-ce qu'avec de l'eau pure, est en
quelque sorte le préambule de toute entreprise de désin-
fection.
Nous ne saurions assez insister sur la nécessité de la-
ver avec une éponge humide ou un linge mouillé, tous les
mois au moins sinon toutes les semaines, les parois des
habitations collectives, rendues imperméables par la pein-
ture à l'huile, les vernis ou le stuc. A quoi sert dans nos
hôpitaux, par exemple, d'établir à grands frais des lambris
stuqués qui imitent les marbres précieux, si on laisse s'y
accumuler, par l'évaporation des eaux de condensation,
une mince couche de déchets et de poussières organiques,
véritable nappe de fumier qui fermente à chaque retour
d'humidité, et qui dégage par une immense surface les
gaz et les produits de la putréfaction animale? Dans les
casernes, les prisons, les écoles, les écailles poreuses du
lait de chaux desséché s'imprègnent en peu de mois de
tous les miasmes que dégagent l'haleine et la sueur d'un
grand nombre d'habitants souvent malpropres, et avant de
recourir aux désinfectants, on doit commencer par enlever
au moyen du grattage ces squames puantes et sordides.
Les bois des planchers, quand ils ne sont pas rendus im-
perméables par la cire et les enduits siccatifs ou huileux,
s'imprègnent également des eaux de toilette, des liquides
alimentaires, des produits de l'expectoration, des boues
provenant des cours fangeuses ou des écuries; dans les
casernes en particulier, c'est une des sources de cette
odeur fade et nauséeuse, que n'oublient jamais ceux qui
ont pénétré dans les chambrées au réveil des hommes.
Que peuvent les désinfectants, si l'on n'a pas le soin d'enir
NETTOYAGE, LAVAGE, VENTILATION. 23
pêcher cette souillure, ou si l'on n'en enlève pas les traces
en frottant le sol avec du sablon pliéniqué?
A un autre point de vue, les croûtes qui se détachent du
corps des varioleux en desquamation forment le matin,
sur le sol, alors que les draps des malades ont été secoués
en refaisant les lits, des amas dont on a peine à se figurer
le volume quand on n'a pas assisté au balayage matinal.
N'est-il pas évident que ces poussières virulentes, inocu-
lables, jetées sur le fumier, dans un coin du jardin où le
moindre coup de vent les soulève dans l'atmosphère, peu-
vent devenir un agent de dissémination et de propagation
de la variole, non seulement dans tout l'hôpital, mais dans
le quartier voisin? A quoi servirait-il de répandre dans
la salle des varioleux des torrents d'un liquide pulvérisé
ou d'un gaz désinfectant, si on ne prend pas le soin d'en-
lever directement le corps grossier du délit? Depuis long-
temps, nous avons adopté l'habitude de faire répandre
chaque matin sur le sol, dans nos salles de varioleux,
après la réfection des lits, une certaine quantité de sciure
de bois ou de sablon très légèrement imprégné d'une so-
lution phéniquée; l'acide phénique ne joue ici qu'un rôle
accessoire, nous pourrions dire illusoire ; le balai pro-
mène à la surface du sol cette couche à peine humide, à
laquelle les poussières dangereuses s'attachent au lieu
d'être soulevées et disséminées dans les parties élevées de
la chambre. Le tout est immédiatement jeté et détruit dans
la cheminée ou le poêle allumés pendant l'hiver : pen-
dant l'été, on allume exprès dans la salle un feu vif et léger
qui est destiné à consumer ces virulentes ordures.
Les poussières, les matières corruptibles qui flottent
dans l'air, les miasmes mêmes, peu vent être retenus ou
enlevés par de simples moyens mécaniques ; tels sont ces
larges écrans garnis d'ouate que l'air neuf traverse dans
les couloirs souterrains du nouvel Hôtel-Dieu de Paris,
avant de pénétrer dans les salles. De même, M. Golds-
■26 MOYENS MÉCANIQUES DE DÉSINFECTION.
worthy Gurney a disposé, pour la salle du Parlement an-
.glais, un appareil destiné à laver l'air qui entre dans la
salle des séances, à l'aide d'un nuage de poussière d'eau
qui vient se briser sur une plaque métallique. C'est un
phénomène identique qui se produit par la pulvérisation,
dans le pansement de Lister, où à l'action spéciale de l'a-
rgent antiseptique, s'ajoute certainement l'action purement
physique du liquide, quelle que soit d'ailleurs sa com-
position chimique.
Le poudroiement de l'eau qui tient en dissolution un sel
quelconque a une action désinfectante qu'on ne saurait
méconnaître ; cette action tient à deux causes.
1° MM. Marié-Davy et Miquel, dans leurs recherches bac-
térimétriques de l'air, ne trouvent plus qu'un nombre re-
lativement faible de bactéries par millimètre cube de l'eau
qui a servi à laver un mètre cube d'air, lorsque le temps
€St pluvieux et que la pluie a balayé l'atmosphère pendant
plusieurs heures. Les bactéries, les vibrions, les germes
morbides, les poussières suspectes, sont entraînés par la
pluie qui ruisselle sur le sol ; celui ci, largement humecté,
les retient et ne les laisse plus emporter par le moindre
souffle de vent. Au contraire, quand le temps est sec, la
poussière que le vent soulève contient un certain nombre
de ferments, de protorganismes, dont quelques-uns sans
doute sont pathogéniques, et c'est peut-être ainsi que les
maladies contagieuses, infectieuses, transmissibles se dissé-
minent et se propagent. Dans une chambre de malades,
où l'on a lancé dans l'air pendant un certain temps des
nuages de poussière d'eau, il se produit probablement le
même phénomène que dans la chambre à expérience dont
Tyndall enduit les parois avec de la glycérine. Dans la
(1) Pierre Miquel, Étude générale sur les bactéries de V atmosphère,
[Annuaire de Montsoiiris pour l'année 1881.) Paris, Gauthicr-Viliars,
1881.
NETTOYAGE, LAVAGE, VENTILATION. 27
cage fermée de Tyndall, où Tair est immobile, les corpus-
cules en suspension dans l'air tombent peu à peu, en vertu
de leur plus grande densité, sur les parois humides ; ils y
adhèrent, l'air y devient optiquement pur, et un faisceau
lumineux projeté à travers cet espace n'y permet plus de
découvrir ces innombrables corps en suspension que nous
voyons étinceler quand un rayon de soleil traverse une
chambre obscure. Quand on lance un jet de spray au voi-
sinage d'une partie du corps qu'on va inciser et qu'on veut
préserver de toute souillure, il est probable que chaque
petit globule d'eau fixe les poussières en suspension dans
l'air, les entraîne par son poids, et purifie l'atmosphère
qui va tout à l'heure se trouver en contact avec la solution
de continuité. Cette action est plus puissante quand le li-
quide pulvérisé est un antiseptique ou un désinfectant ; le
contact du liquide avec chaque grain de poussière est plus
intime, plus prolongé.
2° Dans la pulvérisation, chaque globule quasi microsco-
copique de poussière d'eau absorbe de l'air, de l'oxygène,
on peut dire qu'il en est saturé ; la pulvérisation est donc
aussi un moyen d'activer les phénomènes d'oxydation, de
combustion par l'oxygène de l'air, des particules organi-
ques que celui-ci contient.
Quand la putréfaction ou l'encombrement ont versé
dans l'atmosphère des gaz et des produits infects et insa-
lubres, il va de soi qu'il faut avant tout donner large-
ment issue à ces émanations pestilentielles. Le meilleur
moyen de désinfecter est tout d'abord le renouvellement
complet de l'atmosphère empestée ; cela justifie cette
boutade de je ne sais quel médecin à celui qui demandait :
Quel est le meilleur désinfectant? — C'est celui qui sent
le plus mauvais, parce qu'il oblige à ouvrir immédiate-
ment toutes les fenêtres.
A ce titre, la ventilation vient au premier rang parmi
les désinfectants; il est inutile d'insister. Au surplus, et
2S MOYENS MÉCANIQUES DE DÉSINFECTION.
au point de vue qui nous occupe, la ventilation n'agit pas
seulement en expulsant, en dispersant, en disséminant les
gaz, les miasmes, les germes morbides que l'air d'une
localité peut contenir; elle agit aussi en activant l'action
comburante de l'oxygène de l'air sur les produits organiques
en suspension dans l'atmosphère. Nous renvoyons à un
chapitre ultérieur {Action désinfectante de l'oxygène, de
Vowne, etc.) pour le développement de cette importante
question qui nous semble mériter une attention très sé-
rieuse.En tout cas, la ventilation doit être autant que pos-
sible continue, afin d'empêcher ces condensations sur les
murailles, de la vapeur chargée de matières organiques
provenant des exhalaisons humaines, et des germes mor-
bides que l'air pourrait contenir.
C'est d'après le même principe qu'on établit des cou-
rants d'air artificiels dans les excavations, les puits, les
trous de mine, les égouts, les cales de navire, oîi la sta-
gnation de l'air permet l'accumulation des gaz toxiques.
Dans les navires, on dispose des manches à vent permet-
tant à l'air de s'engouffrer dans des tubes épanouis en en-
tonnoir , ouverts du côté de la poupe, et amenant par
l'excès de pression, de l'air neuf dans les parties profondes.
Dans les mines creusées à une grande profondeur, on
allume jour et nuit de grands feux qui établissent des cou-
rants descendants et ascendants, destinés à renouveler l'air
souillé par la respiration des hommes et des animaux et
par les gaz toxiques que dégage le sol. Lorsqu'un puits ou
un égout ont été longtemps sans communication libre avec
l'atmosphère extérieure, il s'y accumule de l'acide carbo-
nique, du sulfhydrate d'ammoniaque, de l'acide sulfhydri-
que, et autres gaz dont l'inhalation est dangereuse ou
mortelle. Avant d'y ^faire descendre les ouvriers employés
au curage ou aux réparations, il est nécessaire de prendre
certaines précautions imposées par l'ordonnance de police
du 20 juillet |1 838, et que nous exposerons avec détail en
NETTOYAGE, LAVAGE, VENTILATION. 29
traitant de la dksinfection industrielle et municipale. On
allume des feux aspirateurs, qu'on place à rorifice incom-
plètement obturé, tandis qu'un tuyau injecteur conduit l'air
de l'extérieur au fond du puits; on ne peut descendre le
brasier au fond même de l'excavation, que dans le cas où
celle-ci est assez large et où la quantité de gaz nuisible
n'est pas assez grande pour qu'on ait à craindre de voir le
feu s'éteindre par privation d'oxygène. Dans beaucoup de
ces cas, la désinfection ne se fait que par le déplacement,
par la soustraction mécanique des gaz irrespirables.
L'enlèvement immédiat des linges, des pièces à panse-
ment souillées, des matières putrescibles que contiennent
souvent les salles des malades, doit précéder toute prati-
que de désinfection.
Rappelons ici que l'on a parfois attribué en partie l'in-
salubrité de certains services d'accouchement au séjour
prolongé sous les lits de vases contenant les placentas, les
caillots sanguins, les eaux de l'amnios; dans certaines ma-
ternités au contraire, les placentas sont emportés immé-
diatement hors de la salle, ou jetés directement dans un
réservoir rempli d'un liquide désinfectant très actif. Il en
est de même dans les amphithéâtres de dissection, les
chantiers d'équarrissage, les étables remplies de fumiers,
les amas de résidus industriels, les dépotoirs, etc. ; l'enlè-
vement régulier des matières en décomposition est la
condition indispensable de toute tentative de désinfection.
Les instruments qui servent aux opérations sont parfois
souillés, dans leurs parties profondes, de principes infec-
tieux ou virulents, et ont été dans un assez grand nombre
de cas bien observés, le point de départ d'accidents graves.
Des sondes en gomme noire ou en argent incomplètement
lavées ont porté dans la vessie le ferment de la décom-
position de l'urée, et un simple cathétérisme a pu devenir
l'origine d'une fermentation intra-vésicale rebelle. Il y a
quelques années, plusieurs cas de syphilis gutturale, ont
30 MOYENS MÉGANIQUES DE DÉSINFECTION.
été observés chez des malades qui tous avaient subi, dans
le cabinet du même spécialiste, le cathétérisme de la trompe
d'Eustache avec un instrument sans doute mal entretenu.
Aussi, certains chirurgiens n'introduisent-ils jamais une
sonde ou un stylet dans une cavité naturelle ou dans un -
trajet fistuleux, sans avoir lavé à l'alcool phéniqué ou
flambé les instruments.
C'est un axiome banal, mais qu'on ne saurait trop ré-
péter ; la propreté est l'un des meilleurs désinfectants ;
nous ne pouvions nous dispenser de le rappeler en tète de
cette énumération des agents de la désinfection.
ABSORBANTS, DÉSODORANTS. 3t
CHAPITRE II.
ABSORBANTS, DÉSODORANTS.
La décomposition de la matière organique se traduit sur-
tout par la formation de principes volatils ou de gaz qui
se dégagent dans l'air et se dissolvent dans l'eau. Ces gaz
ont le plus souvent une odeur infecte qui nous révèle
l'existence des matières en décomposition, et c'est déjà
contribuer pour une part sérieuse à la désinfection, que
de faire disparaître ces odeurs nauséabondes.
Un certain nombre de corps et de composés chimiques
ont la propriété de fixer d'une façon plus ou moins intime
la plupart de ces gaz, tantôt par une combinaison véri-
table, tantôt par une propriété physique, la porosité.
Il existe donc des corps qui méritent à la fois le nom
d'absorbants et celui de désodorants ; après l'action de ces
corps , ratm(»sphère ne cesse pas complètement d'être
souillée; l'odeur a disparu, mais les produits malsains ou
dangereux ne sont pas tous définitivement détruits ; cer-
tains gaz, ou à la rigueur certains principes volatils sont
simplement retenus, fixés provisoirement, emprisonnés
dans les porosités des agents dits absorbants. Pour le pu-
blic qui s'arrête à l'apparence et qui attache une impor-
tance excessive à l'odeur, la désinfection paraît complète :
pour l'hygiéniste, elle n'est réelle que si les gaz, les mias-
mes, les virus, les protorganismes que l'air pouvait con-
tenir ont été détruits, s'ils ont perdu à la fois leurs
propriétés chimiques et leurs propriétés biologiques.
Pour ne venir qu'au second plan, la désodorisation n'en
est pas moins une ressource précieuse, un complément in-
32 ABSORBANTS, DÉSODORANTS.
dispensable, d'autant plus que l'atmosphère d'une localité
peut, à la rigueur, être plus nauséabonde que dangereuse,
parce qu'elle ne contient pas de principes morbifiques
spécifiques. La souillure de l'air par des déjections ré-
centes provenant d'un individu sain n'est-elle pas plus in-
commode que dangereuse? L'absorption de l'hydrogène
sulfuré, de l'ammoniaque, etc., est facile; celle des pro-
duits moins volatils, du scatol, par exemple est plus mal
aisée ; il existe sans doute enfin certains principes mal
définis qui sont tout à fait réfractaires à l'absorption ;
c'est ce qui fait le danger des milieux qu'on s'est contenté
simplement de désodoriser.
Les premières expérimentations de Barker (1) sur
la valeur des désodorisants étaient un peu primitives. Il
prenait du lait, du sang corrompu, des débris intestinaux
infects, et les mélangeait avec de la sciure de bois imbibée
de divers agents réputés désinfectants, afin de rechercher
quels étaient ceux de ces agents qui produisaient le mieux
la désodorisation. Ceux qui firent le plus rapidement dis-
paraître la mauvaise odeur furent : le vinaigre de bois, la
solution d'acide sulfureux, la teinture d'iode, la térében-
thine ; ceux qui diminuèrent seulement l'odeur furent :
l'alcool, l'eau chlorée, le permanganate de potasse, le chlo-
rure de soude, les sulfates de fer et de cuivre ; d'autres
enfin, même après vingt-quatre heures de contact, n'a-
vaient que faiblement diminué l'odeur : l'eau oxygénée,
l'ammoniaque liquide, le sulfate de magnésie, le nitrate de
plomb et de potasse, l'alun, etc.
Il faut bien reconnaître que ces indications nous ren-
seignent assez mal ; certains résultats nous semblent d'ail-
leurs difficilement explicables. Il est nécessaire de faire
des divisions, et la classification fondée sur les agents ]?/iî/-
(1) Barker, On désodorisation and disinfection. (Bristish médical jour-
nal, 1866.)
CHARBON. 33
siques ou chimiques qui font disparaître l'odeur, nous
parait la meilleure.
ARTICLE I". — ABSORBANTS PHYSIQUES.
Charbon. — La faculté d'absorption du charbon est en
rapport avec sa porosité ; les gaz se logent dans les pores,
comme l'eau se loge dans les vacuoles d'une éponge. Le
diamètre moyen des pores du charbon de bois est, d'après
Mitsclierlich, d'environ un centième de millimètre; la sur-
face totale des cellules, dans un morceau pesant un gram-
me, serait de 8 mètres carrés, et un centimètre carré de
charbon représenterait une surface totale de r^'^SO*^'. Le
tableau suivant indique combien de volumes de gaz 1 vo-
lume de charbon peut absorber, à la pression et à la tem-
pérature ordinaires ; cette quantité varie singulièrement
pour des gaz différents :
Un volume de charbon peut absorber 90 volumes de gaz ammoniac.
— 65 — de gaz acide sulfureux.
— 55 — (legaz acide sulfhyrique
— 35 — de gaz ac de carbonique
— 35 — de gazhydr.bicarboné.
9.42 — de gaz oxyde de carbone
9.25 — d'oxygène.
La faculté absorbante du charbon porte à la fois sur la
vapeur d'eau et sur les gaz ; c'est ce qui explique avec
quelle rapidité le charbon de bois, récemment éteint,
augmente de poids et perd sa capacité pour les gaz.
Eulenberg et Vohl (1), dans leurs recherches sur
l'action désinfectante du charbon, sont arrivés à cette con-
clusion : « Les charbons poreux (ceux de bois, de tourbe,
de coke) absorbent énergiquement l'oxyde de carbone,
l'acide sulfureux, l'hydrogène sulfuré, le sulfliydrate d'am-
(1) Eulenberg et Vohl. Die Kohle als Desinfectionsmitlel und A^tidot.
(Vierteljahrsschrift fur gerichtliche und offentliche Medicine, juillet
1870.)
Vallin. — Désinfectaints . 3
34 ABSORBANTS PHYSIQUES.
moniaque, etc. Ces composés s'oxydent aussitôt après leur
absorption par le charbon. L'hydrogène sulfuré se trans-
forme en acide sulfureux et celui-ci en acide sulfurique, l'am-
moniaque en nitrate d'ammoniaque . La plupart des matières
odorantes sont détruites par l'oxydation. Les charbons les
plus désodorants sont ceux de bois légers, de tourbe Jégère,
dont les cendres contiennent du gypse et des carbonates
terreux. Les mélanges de chaux, de magnésie et de char-
bon, fixent l'ammoniaque et l'acide phosphorique des excré-
ments . X.
Letheby a analysé les filtres au charbon, placés au-
dessous des bouches d'égouts à Londres, et destinés à
filtrer l'air de l'égout avant de le laisser s'échapper sur la
voie pubHque. Il a trouvé dans ces filtres une quantité
assez notable de composés ammoniacaux, qui lui semblent
provenir de l'oxydation de l'azote contenu dans les parti-
cules de matière en décomposition, arrêtées par le filtre.
Sepys a trouvé qu'en 1 jours :
Le charbon de sapin augmente en poids do 13,0 pour 100.
— de hêtre — 16,3 —
— de chêne — 16,5 —
— d'acajou — 18,0 —
C'est l'humidité surtout qui cause cette augmentation
rapide de poids, laquelle, de ce fait, atteint d'ordinaire
de 8 à 12 pour 100.
Le charbon absorbe donc d'autant plus qu'il a été plus
récemment éteint. Hubbart, de New-York, qui, l'un des
premiers, a appliqué le pouvoir absorbant du charbon aux
besoins de l'hygiène, purifiait avec du charbon encore en-
flammé certaines mines et puits, où l'air était rendu irres-
pirable par l'acide carbonique et autres gaz dangereux.
On faisait descendre à plusieurs reprises au fond de l'exca-
vation, des fourneaux de braise bien allumée : le charbon
s'éteignait, en absorbant au bout de plusieurs heures la
plus grande partie des gaz suspects. Il est évident qu'une
CHARBON. :j;i
pareille pratique serait extrêmement dangereuse dans
tous les cas où la présence de j^az inflammables et déton-
nants est à craindre. Ce procédé doit être complètement
distingué de celui où on allume des feux pour établir des
courants d'air et déplacer les gaz nuisibles, par la diffé-
rence de densité des zones chauffées. Il va de soi qu'il est
indispensable de remplacer souvent le charbon destiné à
filtrer l'air, ou de déplacer et de détruire les gaz empri-
sonnés dans ses pores en le revivifiant par une nouvelle
combustion.
Les gaz ainsi absorbés paraissent n'être le plus souvent
que mécaniquement retenus dans les pores du charbon ;
car, si l'on porte sous le vide d'une machine pneumatique
un fragment de ce corps qui a absorbé une quantité déter-
minée d'un gaz, on peut retrouver sous la cloche la pres-
que totalité du gaz emmagasiné . Le même effet se pro-
duit d'ailleurs pour les principes colorants. Si l'on décolore
par du charbon une décoction de cochenille, ou de bois
de Fernambouc, ce charbon ne cède point à l'eau bouil-
lante la couleur qu'il a enlevée au liquide; mais, si on
ajoute une solution faible de potasse à l'eau bouillante où
plonge le charbon, celui-ci dégage immédiatement la cou-
leur rouge.
Nous savons qu'un même volume de charbon absorbe
des quantités très différentes de gaz différents. C'est sans
doute par cette affinité plus grande des gaz ammoniac,
sulfureux, sulfhydrique, etc., qu'il faut expliquer le pou-
voir désinfectant de ce corps. Lorsqu'on entoure de braise
ou de poussière de charbon une pièce de viande, de
poisson ou de substance organique facilement altérable,
l'altération en est retardée, et la décomposition ne se
traduit par aucune odeur appréciable. Ce pouvoir désin-
fectant du charbon est connu depuis très longtemps,
et il a été utilisé, dès 1790, par un chimiste russe,
Lorvitz, pour la marine de l'État. L'on peut admettre
3!] ABSORBANTS PHYSIQUES.
avec M. Stenhouse, que cette action résultederaccumulation
d'une énorme quantité d'oxygène dans les pores du char-
bon ; il y a sans doute, non seulement emmagasinement,
absorption des gaz et des miasmes putrides, mais aussi
oxydation rapide de ces miasmes qui se transforment en
composés nouveaux, inodores et inoffensifs.
Il semble, cependant, que le charbon puisse avoir encore
un autre mode d'action, qu'il retarde ou empêche la putré-
faction, qu'il soit antiseptique. Déjà, les Égyptiens fai-
saient usage de la poudre de charbon dans l'embaumement
des cadavres, et lui attribuaient la vertu de conserver, de
momifier les corps. Il est de pratique assez répandue, dans
les grandes chaleurs et en temps d'orage, pour empêcher
la décomposition des substances alimentaires, de les plonger
directement dans une couche épaisse de poudre de charbon;
non seulement les produits putrides sont absorbés, mais la
fermentation est prévenue ou retardée, peut-être par l'obs-
tacle à l'arrivée jusqu'à la viande, des germes de l'atmos-
phère.
M. Stenhouse, de Londres, Pettenkofer, et plus récem-
ment M. le D"'Hornemann(l) de Copenhague, au Congrès de
Bruxelles, en 1876, ont préconisé l'emploi du charbon
pour prévenir la décomposition des cadavres dans le sol.
Le procédé suivant, employé par Hornemann, paraît avoir
donné de bons résultats. On place une mince couche de
copeaux au fond de la bière ; on y étend un lit de poudre
de charbon de 2 à 9 centimètres d'épaisseur. On dispose le
linceul ; on y verse une nouvelle couche de charbon pilé
de 6 à 7 centimètres d'épaisseur, et sur cette couche on
fait reposer directement le corps. Les bords du linceul
sont relevés de tous côtés, et avant de fermer la bière on
répand sur le drap replié une nouvelle couche de
(1) Hornemann, in L'exposition et le Congrès d^hygiène et de sauvetage de
Bruxelles en 1876, par le D'O. Du Mesnil, (Annales d'hygiène et de méde-
cine légale, 1877, t. XLVH, p. 52.)
CHARBON. 37
charbon de 6 à 7 centimètres. Non seulement on peut con-
server ainsi les cadavres à l'abri de toute émanation odo-
rante pendant 8 ou 10 jours, avant une inhumation retar-
dée, mais encore le corps se dessèche à la longue et se
momifie. M. Hornemann a enfermé dans une boite en bois
très mince un enfant nouveau-né, entouré d'une couche
de charbon de cinq centimètres d'épaisseur ; au bout de
11 mois, après suintement de quelques grammes seule-
ment d'un liquide épais et semblable à du goudron, le
corps s'était changé en une masse noire, cassante, res-
semblant aux restes carbonisés d'un corps consumé par le
feu ; l'on ne dit pas si ces restes avaient une odeur pu-
tride.
Malgré les observations de MM. Stenhouseet Hornemann,
il nous reste encore quelques doutes sur la valeur réellement
antiseptique de la poudre de charbon ; peut-être n'y a-t-il
qu'une absorption très complète des liquides ou des gaz
putrides, et oxydation ultérieure de ces produits par l'ac-
tion de l'oxygène accumulé dans les pores. On comprend
toutefois que la présence d'une couche épaisse de charbon
empêche l'arrivée, jusqu'au coips enveloppé, de tous les
germes, ferments, microbes que l'air peut contenir ; la
fermentation putride serait ici prévenue, comme dans
l'urine neutre bouillie, contenue dans un flacon bouché
avec un tampon d'ouate sortant de l'étuve à lâO de-
grés.
0. Réveil (1) a fait, en 1860, des expériences ana-
logues à celles de Stenhouse, et il a obtenu, non pas un
retard de la décomposition des corps inhumés, mais du
moins une décomposition sans dégagement au dehors de
produits odorants.
Le 22 juillet 1860, six volailles plumées, accidentelle-
(1) Réveil, Mémoire sur les désinfectants, Archives générales de médecine
1863, et Formulaire raisonné des médicaments nouveaux, 2° édit., Paris
1865, p. 516.
38 ABSORBANTS PHYSIQUES.
ment empoisonnées par du phosphore, ont été placées dans
six boîtes égales, et entourées d'une couche épaisse des
poudres suivantes :
N" 1 Charbou de Lois.
— 2 Plâtre au coaltar.
— 3 Plâtre goudronné.
— 4 Charbon animal.
— 5 Poudre de tan.
— 6 Chlorure de chaux.
Les caisses clouées ont été enfoncées à une profondeur
de 70 centimètres, et examinées tous les 15 jours. Le 8
août, c'est-à-dire le IV jour, on constata les résultats sui-
vants :
N° 1 Pas trace d'infection.
— 2 Odeur de coaltar pur.
— 3 Odeur de goudron pur.
— 4 Odeur putride prononcée.
— ."> Odeur putride ti'ès prononcée.
— G Odeur de chlore avec légère odeur putride.
Le 15 septembre (SS'^ jour) :
N° 1 et 2 Nulle odeur.
— 3 Odeur de goudron avec légère odeur putride.
— 4 et 5 Odeur putride légère.
— 6 Très légère odeur de chlore et odeur putride.
Enfin le 20 octobre, on ouvre les caisses ; on les trouve
remplies de larves, excepté le n° 6. Le n° 1 n'a aucune
trace d'odeur ; mais le poulet est exactement réduit à son
squelette, sans trace de chair et de ligaments ; il est évident
que la putréfaction et les larves ont tout fait disparaître,
mais les gaz et les liquides putrides ont été absorbés par
le charbon, ce qui explique l'absence complète d'odeur.
N'» 2. L'odeur de coaltar persiste ; le poulet est des-
séché ; des parties charnues se remarquent au bréchet et
aux cuisses ; légère odeur putride. N° 3. Le corps est dans
le même état que le précédent ; l'odeur de goudron a dis-
paru ; l'odeur putride est prononcée. N" 4. Le corps laisse
CHARBON. 39
encore voir des parties charnues ; l'odeur putride est pro-
noncée. N° 3. Le poulet est desséché ; les parties charnues
sont réduites à une matière dure, coriace, paraissant impu-
trescible ; toutefois l'odeur infecte est très prononcée ,
ce qu'on attribue à la masse intestinale. N" 6. L'odeur de
chlore est très faible, l'odeur putride des intestins très
prononcée ; il reste peu de parties charnues ; la caisse ne
présente ni larves ni insectes.
Réveil a recommencé sur deux cadavres de lapin la
même expérience avec le charbon végétal, et il a obtenu
exactement le même résultat. Il se demande si, outre son
action absorbante incontestable, le charbon de bois n'au-
rait pas la propriété, par une sorte d'action de contact, de
déterminer la combinaison rapide des éléments de la ma-
tière organique morte, et de hâter ainsi leur transformatian
en principes minéraux.
Il est digne de remarque que, au bout de trois mois, les
parties molles du corps enveloppé de poudre de charbon de
bois, aient été plus rapidement et plus complètement dé-
truites que dans les autres cas ; c'est exactement le con-
. traire de ce que MM. Stenhouse etHorneraann ont observé.
De plus, l'enveloppement dans une couche de charbon n'a-
vait pas empêché la pénétration des larves jusqu'aux par-
ties centrales ; il est vrai qu'avant l'enfouissement dans
cette couche de charbon, le cadavre de l'animal était sans
doute resté exposé au libre contact de l'air, et que les ger-
mes avaient été ensevelis avec lui sous le charbon. Enfin,
contrairement à ce qu'on aurait pu croire, le charbon
animal, dont le pouvoir décolorant est si puissant, s'est
montré ici inférieur, comme désinfectant, au charbon de
bois.
L'on sait qu'elle action puissante a le charbon, et surtout
le noir animal, pour désinfecter l'eau et les liquides cor-
rompus. Nous ne pouvons trop insister, avec Chevallier,
sur les ressources que peut présenter le charbon, pour
40 ABSORBANTS PHYSIQUES.
absorber les gaz malodorants ou nuisibles que contient
parfois l'eau des puits, des citernes, des réservoirs, etc.
Le docteur Stenhouse (1) a donné une théorie assez satis-
faisante de l'action du charbon sur la destruction des ma-
tières organiques qu'il absorbe. La putréfaction des subs-
tances animales et végétales, dit-il, n'est qu'une décompo-
sition incomplète, un état imparfait d'oxydation. Lorsque
cette oxydation se fait lentement, elle donne lieu à une
multitude de produits intermédiaires dont l'odeur est dés-
agréable et l'influence nuisible. M. Stenhouse croit que
le charbon, en absorbant ces matières, peut activer
leur oxydation par l'action de l'oxygène accumulé dans
ses pores. Il cite l'expérience suivante faite par un
chimiste de Glasgow, M. Turnbull. Ce dernier entoura
d'une couche épaisse de charbon le corps de deux
chiens qui venaient de périr, et enferma le tout dans une
boite. Au bout de six mois, il ouvrit la boîte ; le contenu
n'exha'ait aucune mauvaise odeur, la matière organique
avait complètement disparu, il ne restait plus que les os.
La poussière de charbon environnante fut analysée par
M. Stenhouse, qui n'y trouva aucune trace d'hydrogène
sulfuré; tout au plus y avait-il des traces d'ammoniaque,
d'acide sulfurique, d'acide nitrique et de phosphate acide
de chaux. M. Stenhouse en conclut qu'on ne peut admettre
que le charbon agisse comme les antiseptiques ordinaires,
en prévenant ou en retardant la décomposition des ma-
tières animales ; au contraire, dans l'expérience précédente,
la décomposition était activée et poussée à ses dernières
iimites. D'après M. Stenhouse, c'est en condensant l'oxy-
gène de l'air dans ses pores, et en le présentant, ainsi
condensé, à la matière organique, que le charbon détruit
cette dernière par un mécanisme encore mal exphqué.
Quelques faits, cependant, permettront de comprendre ce
(1) Stenhouse , Journal de pharmacie, 1834, t. XXVI.
POUSSIÈRES SÈCHES. 41
processus. L'hydrogène sulfuré et l'acide sulfureux sont
sans action l'un sur l'autre; mais si l'on fait intervenir
un corps poreux, du charbon, par exemple, il y a formation
d'eau et dépôt de soufre (Thénard) ; c'est ce qu'on a appelé
provisoirement force de contact, force catalytique. Cette
idée nouvelle assimile le charbon à l'éponge de platine.
Il est cependant une objection à cette manière de voir.
Quand on agite pendant quelque temps avec du charbon
certains principes actifs d'origine végétale et qu'on sou-
met le charbon à un traitement convenable, en vue d'ex-
traire ces substances, on les retrouve telles qu'elles étaient
originairement, et sans qu'elles aient subi aucune décom-
position, aucun changement appréciable.
M. Stenlwuse a proposé d'employer le charbon à la fil-
tration de l'air, de la même façon qu'on l'emploie depuis
longtemps à la fdtration de l'eau. Il a imaginé, à ce point
de vue, un inhalateur, sousforme d'un petit masque s'appli-
quant exactement sur la bouche et les narines ; ce masque
est formé de deux feuilles de toile métallique, dans l'in-
tervalle desquelles se trouve interposée une couche de
charbon animal en poudre grossière. On a pu, de cette fa-
çon, permettre l'introduction de sauveteurs et de pompiers
dans des milieux contenant des gaz toxiques, ammoniaque,
hydrogène sulfuré, sulfhydrate d'ammoniaque, chlore. Dans
certains cas, le même appareil pourrait, sans doute, être
employé pour se préserver momentanément contre certains
miasmes dangereux. Nous parlerons plus loin (Désinfec-
tion municipale) des filtres au charbon disposés à Londres
au-devant de toutes les bouches d'égout.
Poussières sèches. — H y a vingt ans, un vicaire
de Fordington, dans le comté de Dorset, le révérend
docteur H. Moule, mort en 1880, entreprit des ex-
périences sur la désinfection des déjections humaines au
moyen de la terre desséchée et sur l'emploi du mélange
42 ABSORBANTS PHYSIQUES.
comme agent fertilisant. Voici en quelques mots en quoi
consiste le procédé qui porte son nom : on recueille de la
terre commune, de préférence de la terre argileuse ; on la
fait sécher au soleil ou sur des fours ; on la pulvérise gros-
sièrement au rouleau et on la passe à la claie ; après cha-
que évacuation, et avant que les matières aient subi un
commencement de fermentation, on répand une certaine
quantité de cette terre sur les matières, soit directement,
soit au moyen d'un appareil automatique très simple et
dont il existe un grand nombre de modèles en Angleterre.
Au bout de quelques jours, le tonneau mobile ainsi rempli
est enlevé ; son contenu n'exhale aucune mauvaise odeur,
il peut être répandu sur le sol et servir immédiatement
comme engrais; mais il est préférable de l'abandonner, pen-
dant un mois ou six semaines, sous un hangar à l'abri de la
pluie et bien ventilé. Au bout de ce temps, et sans qu'il se soit
développé d'odeur sensible, le mélange est intime ; il est
difficile, en remuant l'amas, de retrouver l'apparence des
matières qu'on y a introduites; elles sont en quelque sorte
digérées, assimilées, transformées en humus. Bien plus,
ce compost lui-même peut, au bout de deux mois, être
desséché, pulvérisé, et servir de nouveau une deuxième,
une troisième et même huit ou dix fois, sans que ses pro-
priétés absorbantes et désinfectantes soient notablement
diminuées. Ce dernier point a une importance considéra-
ble, puisqu'il permet d'augmenter la richesse fertilisante
du produit, tout en diminuant les difficultés et les dépenses
du transport.
A la suite des succès obtenus par M. Moule, sa méthode
prit bientôt une grande extension ; elle fut adoptée presque
immédiatement dans les pénitenciers des Indes anglaises,
et, plus tard, par plusieurs villes d'Angleterre pour leur
service public ; le eartli System (ou système à la terre) fut
mis en opposition avec le luater System (ou système à
l'eau). En 1869 et en 1814, le Conseil sanitaire supérieur
POUSSIÈRES SÈCHES. 43
de l'Angleterre délégua deux de ses membres les plus dis-
tingués, 3IM. Buchanan et Netten Radcliffe, pour aller étu-
dier le fonctionnement de cette méthode dans différentes
villes du Royaume-Uni ; nous aurons l'occasion de faire
plus d'un emprunt au rapport de M. Buchanan, qui est de-
venu une monographie aujourd'hui classique en Angle-
terre (l).
Ces propriétés de la terre sèche, si singulières et si im-
portantes au point de vue de l'hygiène, sont peu connues
en France; à part quelques tentatives faites par deux de
nos collègues de l'armée, MM. Fée (2) et Alix (3), à part
celles que nous avons poursuivies pendant deux années au
Val-de-Grâce, on peut dire que ce moyen n'a pas eu d'ap-
plication sérieuse dans notre pays.
Nous avons montré, dans un travail inséré dans la
Revue d'hygiène (4) , que cette invention qui nous arrive
d'Angleterre, retour de l'Inde, a pris naissance en France,
ou tout au moins que la méthode, en honneur en Chine
depuis un temps immémorial, a été mise en pratique chez
nous bien avant les premiers essais de M, Moule. Chaptal
en 4823, Salmon et Payen en 1826, M. Moll, par le mé-
lange des matières de vidange avec les vases marécageuses
desséchées ou avec de la terre écobuée, transformaient les
matières de vidange en un engrais fertile (5).
Il faut toutefois reconnaître aux Anglais, et à M. Moule
en particulier, le mérite d'avoir vulgarisé et formulé avec
(1) Buclianan aud Netten Radcliffe, On ihe dry System of dealinrj ivith
excrément. [Reports oftlie médical of/icer of tlie Privy Council, 1870,
T. XII, p. 80 el 111. — 1874, p. 137 et 214.)
(2) F. Fée, De l'emploi de la terre argileuse comme désinfectant des
matières fécales. [Recueil des mémoires de médecine militaire, 1873,
t. XXI.)
(3) D'' Alix, Communication manuscrite.
(4) E. Vallin, De la désinfection par les poussières sèches, [Revue dliygiène
et de police sanitaire, 1879, p. 43 et 106.)
fo) Lecadre, Ulilisation des matières fécales an profit de l'agriculture.
(Annales d'hyyiène, 18oo, t. XXIII, p. 297.)
U ABSORBANTS PHYSIQUES.
précision la désinfection par la terre. Au lieu de s'arrêter
au fait expérimental et empirique, ils en ont fait le point
de départ d'une véritable méthode. Le système ancien ou
actuel consiste à diluer les immondices dans une énorme
quantité d'eau qui rend leur putréfaction plus facile, qui
les transporte, souvent insidieusement, loin du lieu d'ori-
gine, et dont il est toujours difficile de se débarrasser. A
ce système, ils en ont opposé un autre, qui consiste à con-
centrer, en quelque sorte, les matières suspectes sous un
faible volume, à les retenir sur place sous forme d'un
foyer limité, circonscrit, facile à surveiller. Les matières
sont desséchées, momifiées, on s'efforce de restreindre et
même de faire disparaître toute humidité; la putréfaction
ou fermentation putride, infecte, nuisible, conséquence
presque inévitable de cette humidité, est remplacée par une
sorte de transformation humiqueqai se fait sans odeur, et
probablement sans dégagement de principes nuisibles pour
la santé. Non seulement on sait ce que deviennent ces rési-
dus dangereux, non seulement on a la certitude qu'ils
n'iront pas souiller l'eau de nos boissons ou l'air que nous
respirons ; mais encore ils restituent à la terre, sous forme
d'engrais, les éléments de la force que nous avons utilisée
et qu'ils nous réservent encore.
Il ne s'agit donc pas seulement d'un procédé, mais bien
d'une méthode; ce n'est plus simplement le procédé par la
terre sèche, c'est le eartli system,\d.métlwde par la voie
sèche. Le principe étant admis, ses avantages hygiéniques
reconnus, il importe de rechercher, parmi ces substances
ou ces poussières sèches, celles qui permettent le mieux de
concilier les nécessités de l'hygiène avec le profit pour
l'agriculture.
Nous passerons en revue les matières qui ont été suc-
cessivement expérimentées et préconisées dans différents
pays : la terre, les cendres, les résidus carbonisés, les
mélanges artificiels et complexes, etc.
TERRE SÈCHE. 45
Terre sèche. — L'emploi delà terre nécessite certaines
précautions et certaines règles dont la négligence a sou-
vent compromis la valeur du procédé.
1° La terre doit être répandue sur les matières au mo-
ment même de leur émission ; quand celles-ci ont déjà
subi un commencement de décomposition putride, l'action
neutralisante est beaucoup moindre, et l'on pourrait dire
que l'enrobement par la terre sèche prévient, empêche la
décomposition, plutôt qu'il ne désinfecte les matières déjà
altérées et putrides.
2" La terre doit être complètement sèche avant d'être
répandue sur les matières. En été, il suffit de balayer la
couche la plus superficielle du sol qui a subi pendant plu-
sieurs jours de sécheresse l'action du vent et du soleil, et
d'en garder sous un hangar couvert une provision suffi-
sante pour tout l'hiver. Mais dans les pays pluvieux et
froids, pendant une grande partie de Tannée, on est sou-
vent obligé de recourir à des moyens artificiels : en Angle-
terre, dans certains villages où ce système fonctionne,
on fait passer de la terre chaque jour renouvelée sur la
partie supérieure des fours qui servent à la cuisson du
pain; on utilise de la même façon la chaleur perdue des
chaudières à vapeur et des fourneaux, dans un grand
nombre d'étabUssements hospitaliers ou industriels. Dans
plusieurs villes, on a construit des fours spéciaux destinés
à cet us:ige; au camp de Wimbledon, pendant les manœu-
vres des volontaires, on chauffe la terre sur des plaques de
fonte au-dessous desquelles on allume des feux. La terre
ainsi desséchée est grossièrement broyée au moyen de
rouleaux de jardin, ou de tout autre appareil; puis on la
passe à la claie, on la crible pour retenir les pierres et
les corps étrangers. Il n'est pas nécessaire qu'elle soit ré-
duite en poussière trop fine, et fon a observé qu'une
poudre grossière produisait un 'effet plus rapide et plus
complet.
46 ABSORBAINTS PHYSIQUES.
Le D'' Rolleston (1), qui cependant est un adversaire de la
méthode, a montré par des expériences fort simples que
les gaz cessaient d'être retenus par la terre quand celle-ci
était trop humectée. Dans un appareil de Woolf muni de
tubes de Nesslsr, il mêle de la terre sèche avec une petite
quantité de solution ammoniacale titrée ; l'air qui traverse
le flacon ne contient pas trace de vapeur d'ammoniaque,
il ne détermine aucun précipité dans le réactif de Nessler;
au contraire, si on noie le mélange de terre et d'ammo-
niaque sous une grande quantité d'eau simple, l'air aspiré
par le flacon contient des traces très sensibles de ce gaz,
le réactif de Nessler devient jaune, puis abandonne un
précipité rouge abondant.
Lors des premiers essais du earth System dans des loca-
lités où l'expérience se faisait pour la première fois, on a
cru pouvoir négliger cette opération difficile ou coûteuse
du dessèchement préalable de la terre : l'insuccès a été tel
qu'on a déclaré le système lui-même détestable. N'est-ce
pas à cette cause qu'il faut attribuer l'insuccès relatif de
la méthode dans certaines prisons de la présidence de Ma-
dras? Le D"" Mouat (2), en effet, nous apprend que pour re-
cueillir plus facilement la terre qui devait servir à la désin-
fection et que l'extrême sécheresse avait durcie, les hommes
arrosaient le sol pour le ramolUr avant de l'attaquer avec
leurs pioches. Dans plusieurs relations, nous trouvons la
preuve d'une négligence analogue.
3° Le succès dépend encore de la qualité et de la quan-
tité de la terre. Ces deux conditions sont connexes; la
terre la meilleure est celle dont il faut la moindre quan-
tité. En général, on a classé les différentes espèces de
terre dans l'ordre suivant : sable ou gravier, effet nul —
terre crayeuse, effet presque nul — argile et en parti-
(1) D'' G. Rolleston, The earth-closet sijstem. [The Lancet, mars 1859,
p. 319 et 411.)
(1) D-' Mouat, Report on gaols of Lower Provinces, 1868, p. 144.
TERRE SÈCHE. 47
culier terre à brique, excellente — terre de jardin ou de
culture (loam), très bonne. Certains auteurs déclarent mau-
vaise la terre qui contient déjà de la matière organique;
Buchanan et Radcliffe la disent assez bonne, et nous ver-
rons tout à l'heure, en effet, que le terreau et la terre de
bruyère viennent à un bon rang. Les observateurs anglais
écrivent 'que 1 livre et demie (680 gr.) de terre sèche pré-
serve de toute odeur une déjection, et que la même quan-
tité de terre est nécessaire pour neutraliser une demi-
pinte (283 gr.) d'urine; il en résulte qu'une exonération
complète, représentant en moyenne : matières solides
150 grammes, urine 200 grammes, exigerait 1 kil. 400 de
terre sèche (1). Ces chiffres ont été souvent reproduits ou
interprétés d'une façon inexacte; beaucoup d'ouvrages, el
le rapport même du D'" Buchanan en 1869, considèrent
les 100 grammes de terre sèche comme la quantité suffisante
pour une exonération complète : nous croyons que c'est
une erreur, et que cette quantité est insuffisante.
On voit qu'il est beaucoup plus facile de neutraliser les
130 grammes de matières solides rendues en 24 heures, que
les 1,200 à 1,800 grammes d'urine journalière; le principe
de la méthode est, en effet, l'absence d'humidité, la séche-
resse relative du mélange initial. Nous pouvons le dire dès à
présent, le point faible du earth System, c'est la difficulté
de neutralisation de l'urine; on réussit sans trop de peine
à désinfecter et à rendre inertes les matières solides ; le
mélange de l'urine est une source de difficultés presque
insurmontables à cause de l'énorme quantité de terre que
ce liquide exige.
Nous avons fait de nombreuses expériences pour déter-
miner et mesurer les propriétés désinfectantes des diverses
espèces de terre, surtout en ce qui concerne l'action sur
(1) M. Moule disait: 5 fois le poids des matières, soit environ lk.7oO
pour une évacuation complète. (D'' Moule, The dry earth System, The
Laiicet, 13 mars 1869, p. 383.)
48 ABSORBANTS PHYSIQUES.
l'urine. Nous avons d'abord établi par des pesées et des
mensurations les valeurs suivantes :
Poids du litre Volume du
kilog. en
cent, cubes.
Argile séchce et pulvérisée 1.400 714
Terre de jardin séchée et pulvérisée . 1.200 833
— sans apprêt, recueillie
par un temps sec 1.030 950
Terre de bruyère criblée et très sèche. 0.928 1.080
La neutralisation d'une évacuation solide (150 à 200 gr.),
est obtenue par les quantités minima qui suivent : argile,
un demi-litre ou 700 grammes, et même moins ; — terre
de jardin, trois quarts de litre ou 800 grammes; — terre
de bruyère ou terreau, 1 litre au moins ou 1 kilogramme.
L'ordre de classement diffère notablement, quant à la
désinfection de l'urine ; un litre d'urine reste à peu près
inodore quand il est mélangé avec : terre de bruyère,
2 kilogrammes et demi ou 2 litres et demi — terre de
jardin, 3 kilogrammes ou 2 litres et demi; — argile, 1 ki-
logrammes ou 5 litres.
Nous n'avons trouvé nulle part signalée cette infériorité
du pouvoir désinfectant de l'argile en ce qui concerne
l'urine. Nos expériences ont été cependant renouvelées
bien des fois, elles ont toujours donné le même résultat.
Un litre de bonne terre de jardin séchée au four peut rece-
voir jusqu'à 400 grammes d'urine fraîche; le deuxième, le
quatrième, le huitième jour, on ne perçoit qu'une odeur de
cave ou de terre humide; c'est à peine si, en remuant la
masse, on réussit à percevoir de très près, à 4 ou 5 centi-
mètres de distance, une odeur fade, mal définie, qui n'est
nullement fétide ; à partir du huitième ou dixième jour, il
n'y a pas de différence avec de la terre non souillée. La
terre de bruyère peut absorber une plus grande quantité
d'urine, jusqu'à 540 grammes pour un litre de terre. Le
deuxième ou troisième jour, il se développe parfois une
odeur piquante en remuant la terre humide, mais cette
TERRE SÈCHE. 49
odeur n'est jamais putride, et elle disparaît complètement
au bout de peu de jours. Au contraire, avec l'argile, dont
une quantité très faible neutralise si facilement les ma-
tières solides, 200 grammes d'urine, mêlés à un litre d'ar-
gile pesant 1 kil. 400, forment un mélange presque pul-
vérulent ; dès le troisième jour apparaît une odeur de dépôt
urinaire ancien, et un peu ammoniacale; au bout de quinze
jours, cette odeur est encore légèrement perceptible, alors
que les autres sortes de terre sont depuis longtemps ino-
dores. Quand on 'mélange à 1 litre d'argile 400 grammes
d'urine, l'odeur est vraiment désagréable et persiste pen-
dant plus d'un mois.
On voit que la terre moyenne et légère de jardin, ce que
les Anglais appellent le loam, tient en somme le premier
rang s'il s'agit de désinfecter à la fois les matières solides
et liquides. Pour une évacuation complète (ISO grammes de
matières solides 200 grammes d'urine), 1 kilogramme et
demi de cette terre est nécessaire; il faudrait au moins
2 kilogrammes d'argile. Il va de soi que dans un hôpital,
pour des selles diarrhéiques mêlées à de l'urine, ces pro-
portions ne sont plus acceptables, et que la terre doit être
en quantité telle que le mélange ne soit jamais diffluent.
Le système à la terre, bon pour les matières solides, est
médiocre ou mauvais pour l'urine. Nous verrons plus tard
quelles dispositions on a imaginées pour séparer l'urine des
fèces; en définitive, il faut partout installer des urinoirs du
modèle ordinaire, indépendants des earth-closets, et ceux-ci
doivent recevoir tout au plus l'urine émise pendant l'acte
de la défécation. C'est dans cette prévision et sous ces
réserves, qu'on peut fixer à 1 kil. 500 environ la quan-
tité de terre nécessaire par jour et par personne.
En 1876 et en 1878, nous avons organisé et fait fonc-
tionner pendant plusieurs mois ce système au Val-de-
Grâce, et voilà les résultats définitifs que nous avons
obtenus : le tonneau qui avait reçu le mélange de terre et
Vallin. — Désinfectaxts. 4
50 ABSORBANTS PHISIQUES.
de matières était pesé plein, puis vide; on savait d'autre
part le poids de la terre qui avait été dépensée; il était
facile, par conséquent, d'en déduire le poids des matières
fécales, ainsi que la proportion de celles-ci par rapport à
la terre. Nous avons trouvé les chiffres suivants pour
100 kilogrammes du mélange total :
1° Matières. 21 kilog. ) Soit une quantité de terre égale à moins de
Terre . . 90 — ) 4 fois le poids des matières.
2° Matières. 21 — j g^j^. „ j^j^ ^^ .^^ ^^^ matières.
Terre . . 83 — ) '
Z- Matières. 14 — j g^.^ ^ ^^j^ j^ .^^ ^^^ matières.
Terre . • 86 — ^ ^
Dans le premier cas, l'odeur du mélange était désa-
gréable à une courte distance ; dans les deux autres cas,
elle était presque nulle : nous sommes donc autorisé à
conclure qu'en pratique, la proportion de 5 kilogrammes
de terre pour 1 kilogramme de matières est suffisante
pour assurer la désinfection.
M. le professeur Alex. Millier (1), qui a fait ses expériences
à l'Arbeithaus de Berlin, a obtenu des résultats en appa-
rence différents ; il a trouvé que la quantité de terre dé-
pensée par chaque évacuation était égale à H fois et de-
mie son poids pour l'argile, et à 14 fois et demie son poids
pour la terre de jardin. Mais M. A. Millier a signalé ail-
leurs le mauvais fonctionnement de l'appareil : la terre
continuait à s'écouler pendant tout le temps que le malade
restait assis, ce qui entraînait une dépense exagérée et
inutile de terre. C'est donc à tort que ces chiffres ont été
signalés comme exprimant la quantité de terre nécessaire
pour assurer la désinfection.
Au camp de Wimbledon (2), on dépensa enlSjotirs
140 tonnes de terre sèche pour 30 tonnes de déjections,
(1) Al. Mûller, Actenstucke uber die Entwasserung Berlins. {Deutsche
Vierteljahrssch. f. ôff. Gesundheitspflege, 1872, t. IV, p. 470.)
(2) Mervin Drake, The dry-earth cloaet System- {The Lancet, 24 july
1»69.)
TERRE SÈCHE. Dl
soit une quantité de terre représentant quatre fois et de-
mi le poids de celles-ci. La désinfection était complète,
et une poignée de poudre prise dans la fosse n'avait
qu'une odeur de bois de sapin mouillé, nullement répu-
gnante.
La nature des transformations qui se produisent au con-
tact de la terre sèche et des matières fécales est encore
mal connue. Il faut invoquer sans doute ces phénomènes
de fermentation humique, que Liebig a désignés sous le
nom d'érémacausie ; l'absence d'une quantité suffisante
d'eau empêche peut-être le développement de la fermentation
putride ; la terre sèche et poreuse doit retenir les gaz et
multiplier les contacts de la matière organique avec l'oxy-
gène. Le mécanisme des opérations chimiques est sans
doute très comparable à ce qui se passe quand on met de
la matière organique en contact avec du charbon végétal
ou animal. Un fait est certain : quand on sectionne les
masses excrémentielles entourées de terre, on retrouve au
centre une matière qui a l'apparence et, à un très faible
degré, l'odeur fécale, mais cette odeur n'est jamais pu-
tride ; on y voit une grande quantité de moisissures vertes
et blanches, et il ne serait pas impossible que cette végé-
tation cryptogamique jouât un rôle dans la réduction des
matières à leurs éléments chimiques. Au bout de 5 à 6 se-
maines, les parties centrales ne diffèrent plus, quant à
l'apparence, de la couche de terre périphérique.
L'on comprend dès lors un fait dont l'énoncé cause tout
d'abord une véritable surprise. Ce mélange, ainsi aban-
donné à lui-même pendant deux mois, peut être desséché
au soleil ou sur les fours et réduit en poudre ; il est sans
odeur, il a l'apparence de la terre ordinaire ; en le prenant
dans la main on ne soupçonnerait ni sa nature ni sa pro-
venance; il peut être employé de nouveau et désinfecte
aussi bien que de la terre neuve. La même opération peut
être recommencée un grand nombre de fois, et l'on n'a pas
52 ABSORBANTS PHYSIQUES.
encore fixé le degré de saturation où la désinfection n'est
plus complète. « Dans certains cas, dit Buchanan, l'expé-
rience a été continuée 12 fois et plus, et quoique le mé-
lange contînt plus de la moitié de son volume de matières
fécales, la désinfection était encore parfaite. » Fée a obtenu
les mêmes résultats à l'hôpital militaire de Biskraen 1873.
Nous-mème, nous avons utilisé de nouveau, en 18T7 et en
1878, un mélange provenant d'expériences faites au Val-
de-Grâce en 1876 ; la terre ayant servi trois fois produisait
encore un bon effet. Nous devons cependant reconnaître
que cette terre noire avait une odeur fade, sut generis ;
elle prenait un peu le caractère fécaloïde, quand ce mélange
au 3* ou au 4^ degré était resté pendant plusieurs jours
exposé à la pluie.
■ Nous croyons donc qu'il y a une certaine exagération à
dire que la terre désinfecte mieux quand elle a déjà plusieurs
fois servi ; c'est une protestation contre l'opinion primiti-
vement acceptée et erronée qui déclarait impropre à cet
usage la terre contenant de la matière organique ; l'argile
paraissait alors la terre la plus convenable. La matière
organique, sous un certain état, dans une certaine propor-
tion, paraît favoriser les décompositions de la matière. On
connaît les remarquables recherches de MM. Miintz et
Schlœsing sur la propriété qu'a la terre de brûler les ma-
tières organiques des eaux d'égout et de nitrifier l'azote.
Si on verse de l'eau d'égout sur une tranche filtrante assez
épaisse, l'eau qui sort du filtre a transformé tout son azote
organique en nitrates ; mais si l'on imprègne cette couche
filtrante de vapeurs de chloroforme, la nitrifîcation est
absolument suspendue ; [il semble que le chloroforme ait
arrêté la vie des protorganismes contenus dans le sol, et
qui agissent peut-être, dans la combustion de l'azote et
dans l'acte de la nitrifîcation, comme le mycoderma aceti
agit dans la fermentation acétique.
Cette possibilité de faire servir plusieurs fois la même
TERRE SÈCHE.
53
terre après a voir bien desséché le mélange, est dans cer-
tains cas un avantage précieux. On diminue la main-
d'œuvre, on augmente la richesse fertilisante et la valeur
vénale de l'engrais.
Radcliffe a donné le tableau suivant, montrant la compo-
sition de la terre provenant des earth closets de West-Ri-
ding Prison, à Wakefield; l'analyse a été faite sur le mé-
lange séché à 100° centigrades.
TERRE
APRÈS
APRÈS
APRÈS
n'ayant pas
le premier
le deuxième
le troisième
encore servi.
emploi.
emploi.
emploi.
Mat. or^aniq. cl eau de
combinaison ....
9.79
9.88
11.53
12.22
Oxyde de fer et alumine
12.95
16.15
14.11
12.48
Acide phosphorique. .
0.18
0.25
0.44
0.51
Carbonate de chaux. .
2.21
2.2o
2.13
2.14
Magnésie, alcalis et
pertes
2.79
2.63
1.49
1.64
Argile et sable ....
71.79
68.93
70.30
71.01
Matières azotées . . .
0.31
0.37
0.42
0.51
Équivalant à :
Ammoniaque
0.31
0.45
0.51
0.62
Dans beaucoup de localités en Angleterre, la terre
retourne trois fois aux closets avant d'être définitivement
employé comme engrais, et nulle part la santé publique
ne paraît en souffrir.
Pettenkofer etRolleston (1) ont exprimé la crainte que
cette manière d'utiliser les déjections humaines ne favorisât
la conservation et la dissémination des germes morbides
qu'elles peuvent contenir. En ces derniers temps, M. Pas-
teur est venu donner une confirmation, apparente au moins
■(1) Rolleston, The earth closet System. {The Lancet, mars 1869, p. 319.)
54 ABSORBANTS PHYSIQUES.
aux pressentiments un peu théoriques des auteurs que nou&
venons de citer. Pendant l'été de 18T8, au moment oii nous
aisions nos études sur ce sujet, nous nous proposions de
répandre sur de la terre sèche et légère une certaine quan-
tité de liquide de culture, ensemencé avec des bactéridies
charbonneuses ; nous nous proposions de laver cette terre
desséchée, au bout d'un ou deux mois, et d'essayer l'ino^
culation de cette eau de lavage à des animaux susceptibles..
M. Pasteur, à qui nous nous étions adressé pour obtenir
du virus charbonneux, nous apprit alors qu'il était occupé
à une recherche analogue, sur la terre des fosses d'enfouis-
sement des moutons charbonneux en Beauce; cette considé-
ration et la difficulté de se procurer du virus charbonneux
en été à Paris nous empêchèrent de faire cette expérience,,
et nous regrettons toujours de n'avoir pas le loisir de la
réaliser, car elle nous semble devoir être très instructive.
On ne peut en effet conclure, de ce qui se passe dans les
fosses d'enfouissement de la Beauce, ce qui doit se passer
dans la terre sèche. A la profondeur où les moutons char-
bonneux sont enfouis, le sol est humide, l'évaporation est
difficile, le renouvellement de l'air, et en particulier de-
Toxygène est difficile, les combustions ne peuvent se faire
comme dans une couche superficielle de terre sèche,
poreuse, légère; les corpuscules germes eux-mêmes sont
sans doute détruits dans cette dernière, tandis qu'ils con-
servent leur vitalité latente à l'abri de l'air, au fond de ces
fosses où les vers de terre vont les chercher pour les ra-
mener à la surface. Quelques expériences bien conduites,
suivant les procédés de M. Pasteur, résoudraient facilement
la question, et nous diraient si le dry- sij stem mérite, de la
part des hygiénistes, la même faveur qu'il conserve auprès
des agriculteurs anglais.
Dans l'Inde et en Angleterre, on a parfois accusé ce
mode d'utilisation de vidanges d'avoir favorisé l'éclosion
d'épidémies de diarrhée, de fièvre des prisons, de fièvre
CENDRES, RÉSIDUS. 5E
typho-malariale. Des enquêtes sévères, faites par Buchanan
dans le Royaume-Uni, par Mouat au Bengale, ont prouvé
que ces accusations n'avaient aucune espèce de fonde-'
ment. Nous verrons d'ailleurs que le traitement des vidan-
ges par la terre sèche, n'est utilement applicable que
dans des conditions déterminées, en particulier là où la
manutention de la terre et de l'engrais est facile et peu
dispendieuse.
Cendres, résidus carbonisés, jjoussières, etc. En Bel-
gique, en Angleterre, en Hollande, les ménagères versent
chaque jour les cendres tamisées du foyer dans les fosses
d'aisances, soit directement, soit dans une caisse ou trémie-
qui, à chaque succussion, se vide au-dessus du tuyau de
chute. La désinfection est beaucoup moins bien assurée
que par la terre sèche, mais elle est réelle, pourvu que
l'on évite avec grand soin de jeter en même temps les eaux
résiduelles dans la fosse. Nous avons déjà dit que Salmon
et Payen, en 1826, et plus tard Moll, en France, se ser-
vaient de terres brûlées ou des vases marécageuses éco-
buées, pour les mêler aux vidanges et les transformer en
noir animalisé. Ce procédé, abandonné depuis longtemps
en Frwice, a été repris en ces dernières années en Angle-
terre; à Salford, à Dalmuir, à Oldham, on carbonise les
boues et balayures des rues, les plantes marines, les rési-
dus fétides de toute sorte, et on mélange ces poudres char-
bonneuses et absorbantes aux matières de vidanges pour
les désinfecter et les transformer en engrais; c'est une-
combinaison de l'emploi du charbon avec l'emploi de la
terre sèche. Le résultat paraît satisfaisant, et Parkes fait
l'éloge du procédé; mais il s'agit bien plus ici d'un mode
de fabrication d'engrais, que d'un moyen de désinfection,,
et nous n'avons pas à y insister.
La désinfection qu'on obtient avec la terre sèche, car-
bonisée ou non, on la réalise également avec toutes les ma-
56 ABSORBANTS CHIMIQUES.
tières pulvérulentes sèches, poreuses, absorbantes. Un
industriel, M. Goux, utilise les balayures des magasins à
•fourrages et les déchets de graines, le crottin sec de che-
val, la poussière de tourbe, les faunes sèches, les résidus
des filatures et fabriques de tissus, les tontisses de laine, etc.
Toutes ces matières pulvérulentes, disposées d'une façon
très ingénieuse à la surface interne des tonneaux, absor-
bent et désinfectent d'une façon parfaite les déjections
liquides et solides qui s'accumulent dans la cavité centrale.
Nous aurons l'occasion de revenir sur les applications et
le mode d'installation des appareils de désinfection par la
terre et les poussières sèches, dans la seconde partie de ce
travail.
Plâtre au coaltar, talc, etc. En 1859 et 1860, on fit
grand bruit d'un nouveau mode de désinfection des plaies,
à l'aide d'une poudre formée de plâtre et de goudron de
houille, et désignée sous le nom de poudre de Corne et
Demeaux. C'est un peu par les propriétés antiseptiques du
goudron, mais c'est surtout par la propriété absorbante
du plâtre que cette poudre agissait. Des expériences, con-
firmées par Velpeau (1) ont montré que le talc, la terre
sèche et, à vrai dire, toute poussière absorbante, avaient
une efficacité aussi grande. Le plâtre pulvérulent a d'ail-
leurs été employé avec succès pour désinfecter les matières
de vidanges décomposées, au dépotoir de Bondy.
ARTICLE II. — ABSORBANTS CHIMIQUES.
Sels métalliques en général. — Les agents dont il
s'agit sont les désinfectants dans le sens vulgaire du mot;
ils diminuent ou font disparaître la mauvaise odeur, en se
bornant à la neutralisation de l'ammoniaque, et à la décom-
(1) Velpeau, Rapport sur divers moijens désinfectants. {Comptes rendus
de l'Académie des Sciences, 6 février 1860, p. 279.)
SELS MÉTALLIQUES. 57
position de l'acide sulfhydrique ou du sulfhydrate d'am-
moniaque. Dans ce groupe viennent se ranger les sels
solubles de fer, de zinc, de cuivre, de manganèse, de plomb .
Les oxydes de ces mêmes métaux, qui se trouvent à bas prix
dans le commerce, ont été également préconisés dans ce
but; mais les sels ont sur les oxydes l'avantage de pouvoir
saturer l'ammoniaque déjà formée, ou celle qui résulterait
de la décomposition du sulfhydrate d'ammoniaque : l'oxyde
de fer, par exemple, ne peut fixer que l'hydrogène sulfuré,
en formant du sulfure de fer ; le sulfate de fer produit en
plus du sulfate d'ammoniaque. Ces sels ne réussissent donc
pas à neutraliser toutes les odeurs, et à ce titre, ils ne
méritent pas complètement leur titre de désodorants. Les
mauvaises odeurs, en effet, doivent leur infection à une
grande quantité de substances diverses, dont la chimie
n'a pas déterminé toutes les variétés, et dont le scatol est
l'un des termes les plus récemment découverts. C'est
donc presque uniquement les deux composés malodorants
les plus anciennement connus, que les sels métalliques
neutralisent, en les engageant dans des combinaisons
fixes.
Presque tous les sels ayant pour base un métal capable
de former avec le soufre un sulfure insoluble, peuvent
être indifféremment employés comme désinfectants ; il
suffit que le sel métallique soit en quantité suffisante pour
que les gaz infectants soient absorbés. Les eaux désin-
fectantes vendues sous un nom d'inventeur sont de simples
solutions métalliques : liquides Larnaudès (sulfate de zinc
et de cuivre); Egasse ou de Saint-Luc (chlorure de zinc);
Ledoyen (azotate de plomb); Madot de Nancy et Charpen-
tier (sulfate de fer), etc.
C'est la cherté relative des sels métalliques, ce sont les
facilités plus ou moins grandes de leur mode d'adminis-
tration qui, au point de vue pratique, établissent les diffé-
rences principales dans leur valeur. Nous devons, à ce
58 ABSORBANTS CHIMIQUES.
point de vue , reproduire les observations faites par
M. Fermond (1) dans un excellent mémoire auquel nous
ferons plus d'un emprunt.
Un équivalent d'acide sulfhydrique ou de sulfhydrate
d'ammoniaque exige toujours, pour sa décomposition, une
quantité de sel telle, qu'il y ait un équivalent de métal ; il
est donc facile de calculer approximativement quel sera le
sel métallique qu'il y aura avantage à employer dans une
désinfection économique. Mais des poids égaux de fer, de
manganèse, de zinc, de cuivre, de plomb, n'absorbent pas
tous une égale quantité de soufre, et par conséquent, ne
décomposent pas tous une même quantité d'acide sulfhy-
drique ou de sulfhydrate d'ammoniaque. L'équivalent chi-
mique des différents métaux est indiqué dans le tableau
suivant :
Plomb 1233,50
Cuivre 791,39
Zinc 403,00
Manganèse 345,89
Fer 339,21
C'est-à-dire que l'équivalent du soufre étant 201,16,
si on apprécie ces nombres par kilogrammes, pour absor-
ber 201 kil. 160 de soufre, et pour former un sulfure
métallique, il faudra 1,233 kilogrammes de plomb, et seu-
lement 339 kilogrammes de fer. Or, le plomb et le cuivre,
sont, à poids égaux, plus chers que le fer; les sels de fer
sont donc des désinfectants plus économiques que les
autres sels métalliques.
Il en est de même des acides. Les équivalents chimi-
ques des acides habituellement employés dans les sels
désinfectants sont les chiffres suivants :
(1) Feriliond, Tardieu et Cazalis, Rapport au Directeur de l'Assistance
publique, sur la valeur de quelques procédés de désinfection. {Journal de
chimie inéd., 1858, T. IV, p. 197, et 257. et Dictionnaire d'hygiène de
Tardieu, 1 p. 690.)
SELS MÉTALLIQUES. 59
Acide azoique 677,30
— sulfurique 501,10
— chlorhydrique 455,12
II faudra donc Qll kilogrammes d'acide azotique pour
neutraliser une quantité d'oxyde de fer contenant 100 kilo-
grammes d'oxygène, tandis qu'il ne faudrait que 455 ki-
logrammes d'acide chlorhydrique ; de plus l'acide azotique
est beaucoup plus cher, à poids égal, que les deux autres:
c'est donc une raison pour préférer les sulfates et les
chlorures aux azotates. Il est facile de comprendre, dès lors,
que le sulfate de fer, et après lui le chlorure ou le sulfate
de zinc, se placent aux premiers rangs.
M. Fermond va encore plus loin, et montre qu'en réalité,
même en admettant un prix et un poids égaux, il y aurait
encore économie d'un quart à employer un sel de fer per-
oxyde de préférence au plomb :
« En principe, 4,233 kil. 500 de plomb ne peuvent
absorber que 100 kilogrammes d'oxygène pour constituer
l'oxyde de plomb qui, dans un sel, est uni à l'acide; il s'en-
suit que l'oxyde ne décomposera qu'une quantité d'acide
sulfhydrique ou de sulfhydrate d'ammoniaque capable
seulement de donner 201 kil. 160 de soufre, pour former
un sulfure correspondant au protoxyde de plomb. Au
contraire, le fer passe facilement à l'état de peroxyde, et,
dans le sel, 339 kil. 210 de ce métal peuvent absorber
150 kilogrammes d'oxygène; il s'ensuit que cette quantité
de métal salifié exigerait, pour sa sulfuration totale, une
quantité d'acide sulfhydrique ou de sulfhydrate d'ammo-
niaque capable de donner 301 kil. ^40 de soufre pour
former un sulfure correspondant au sesquioxyde de fer.
Mais il n'en est pas tout à fait ainsi, parce qu'il est rare
que tout le fer soit dans le sel à l'état de peroxyde, et l'on
n'obtient d'ordinaire par sa décomposition qu'un sulfure
analogue au fer sulfuré magnétique, lequel est formé de
deux équivalents de protosulfure et de un équivalent de
60 ABSORBANTS CHIMIQUES.
bisulfure. Il n'en résulte pas moins que 3 équivalents de
persel de fer décomposeront 4 équivalents d'acide sulfhy-
drique, tandis que 3 équivalents de sel de plomb ne pour-
ront jamais décomposer que 3 équivalents de ces mêmes
corps. Il y aurait donc, en réalité, en admettant un prix
et un poids égaux, une économie d'un quart à employer le
sel de fer peroxyde de préférence au sel de plomb. Il résulte
du raisonnement qui précède, que l'on arrive à reconnaître
trois sources d'économie en faveur du perchlorure de fer :
économie sur le métal, économie sur l'acide, économie sur
la quantité proportionnelle de gaz sulfhydrique décom-
posé. »
Il est encore une restriction qui diminue dans une cer-
taine mesure la valeur du sulfate de fer et des sulfates en
général. L'acide sulfhydrique que dégagent les matières
fécales peut avoir deux origines différentes : 1° la com-
binaison, à l'état naissant, de l'hydrogène qui se produit
pendant la digestion des substances alimentaires, avec le
soufre contenu dans les matières albuminoïdes ; 2° la décom-
position des sulfates solubles qui se retrouvent dans les
aliments solides ou liquides.
C'est sur cette seconde origine qu'insiste M. Fermond
dans le rapport que nous avons déjà cité. En effet, dit-il,
sous l'influence d'une certaine chaleur et en présence d'une
matière organique, les sulfates alcalins solubles se trans-
forment en sulfures, dont l'odeur est si caractéristique. En
raison de ce fait, il importe de ne jamais faire entrer de
sulfates dans la composition d'un désinfectant, car l'acide
sulfurique, en abandonnant son oxyde qui devra fixer le
soufre de l'acide sulfhydrique, se combinera avec une base
alcaline contenue dans la matière; peu à peu sous l'in-
fluence des matières organiques, le nouveau sulfate se
convertira en sulfure alcalin qui continuera à donner
l'odeur sulfhydrique que l'on cherche précisément à dé-
truire. Il se passerait ainsi dans les fosses de vidanges un
SELS MÉTALLIQUES. M
phénomène semblable à celui qu'on observe dans les marais
d'eau saumâtre, où les matières organiques enlèvent peu
à peu de l'oxygène aux sulfates et les transforment ext
sulfures.
D'après M. Fermond, c'est parce que bien des auteurs
ont méconnu ce principe, que leurs procédés, qui réussis-
saient tout d'abord à désinfecter les matières fécales, ne
les désinfectaient pas avec la permanence que l'on doit re-
chercher en cette occasion.
Pour apprécier la mesure dans laquelle les différents
désinfectants métalliques absorbent l'ammoniaque qui se
dégage des matières organiques en fermentation am--
moniacale, M. Fermond a mêlé à des quantités égales d'u-
rine fraîche ou de lait, des quantités de sels métalliques re-
présentant la moitié de l'équivalent chimique de chacun
des métaux qui servaient de base aux sels employés,
soit par exemple l^^SO^ d'azotate de plomb; O^^SOl
de sulfate de fer ; 0=',895 de sulfate de zinc, etc. Ces mé-
langes étaient abandonnés à eux-mêmes pendant plusieurs
semaines ; des bandes de papier de tournesol fortement
rougies étaient fixées à l'extrémité des bouchons qui bou-
chaient les fioles; en divisant en 100 parties l'intervalle qui
sépare le rouge normal du papier (= 100), de la teinte
bleue du tournesol non rougi (=0), on obtenait le tableau
suivant :
Sulfate de cuivre = 90 à 100
Chlorure do soude = 85 à 90
Sulfate de zinc = 70 à 80
Azotate de plomb = 40 à 58
Sulfate de fer = 20 à 23
Chlorure de chaux = 9 à 10
C'est-à-dire que le sulfate de cuivre, mêlé à un
liquide qui se putréfie, absorbe bien plus complètement
l'ammoniaque formée, que ne le font les sulfates de fer et
de plomb. Nous sommes surpris de Voir le chlorure de
chaux ne pas mieux retenir l'ammoniaque.
6 ABSORBANTS CHIMIQUES.
Les désinfectants métalliques employés en solution sous
forme d'aspersions contre les murailles, le sol, etc., font
presque tous percevoir chez les personnes qui entrent dans
un local où l'opération vient d'avoir lieu, un goût métal-
lique dans l'arrière-bouche. Cet effet est prononcé au plus
haut point quand on emploie le liquide encore connu dans
le commerce sous le nom de liquide Larnaudès, et qui
n'est autre chose qu'une solution de sulfate de zinc, avec
addition d'une petite quantité de sulfate de cuivre ; la large
dispersion du liquide dans l'atmosphère sous forme de
poussière d'eau explique ce goût cuivreux, comme aussi
le goût styptique qui appartient au sel de zinc. Les lavages
avec la solution de sulfate de fer font naître aussi un goût
atramentaire, un goût d'encre, moins prononcé qu'avec
la solution précitée.
Sulfate de fer ou couperose verte. Ce sel est très soluble,
et se dissout dans son poids d'eau froide. Il a l'inconvé-
nient de noircir les liquides organiques, les réservoirs, les
pavés des ruisseaux, etc., parla formation de sulfures, et
par sa combinaison avec le tannin, il se forme de l'encre. La
solution généralement employée, et en particulier celle que
les ordonnances de police prescrivent pour la désinfection
préalable des vidanges, marque 28 degrés à l'aréomètre de
Beaumé.
On se sert fréquemment dans l'industrie d'un produit
impur, boueux, connu sous le nom de jnjroUgnite de fer,
et formé d'acétates de protoxyde et de sesquioxyde de
fer; on le prépare à l'aide d'acide pyroligneux (acide acé-
tique impur provenant de la distillation du bois) et de ro-
gnures de fer.
Le sulfate de fer a l'avantage d'être un désinfectant en
quelque sorte perpétuel (Kuhlmann) ; en effet, le sulfure
de fer formé se transforme de nouveau en sulfate de fer,
par la soustraction d'oxygène aux combinaisons organi-
SULFATE DE FER. 63
ques peu stables ; ce sulfate se réduit à son tour, et le
mouvement moléculaire est incessant.
Virchow a fait ressortir l'un des inconvénients de l'em-
ploi du sulfate de fer pour désinfecter les matières. Les aci-
des volatifs gras, acides butyrique, valérianique, etc., dont
l'odeur est repoussante et la toxicité redoutable, sont d'or-
dinaire combinés avec l'ammoniaque ; lorsqu'on verse du
sulfate de fer sur des matières fécales, l'acide sulfurique
se combine avec l'ammoniaque, et il se dégage des pro-
duits fétides qui sont très volatils. Aussi, l'effet immédiat
de la projection du sulfate de fer dans les latrines, est-t-il
souvent une augmentation de la fétidité ; celle-ci diminue
bientôt, mais reparaît d'ordinaire au bout de quelque
temps.
Des expériences récentes faites par M. E. Frankland, à
son laboratoire de l'École des sciences, à South Kensington
Muséum, semblent avoir prouvé à l'illustre chimiste que le
fer exerce une action destructive spéciale sur les bactéries.
Voici ce que M. Frankland (1) écrivait le 8 mai 1881, à
M. l'ingénieur Mille : « Les conditions qui favorisent ou
détruisent les bactéries sont encore à peine connues. Il n'est
pas improbable que les agents qu'on considère comme inca-
pables d'affecter la vitalité de ces organismes n'aient la force
d'exercer rapidement sur eux une influence fatale, tandis
que d'autres agents, réputés mortels à l'égard des mêmes
organismes, peuvent les laisser sans atteinte. Ainsi, des
expériences récentes faites dans mon laboratoire ont prouvé
que, tandis que les bactéries prospèrent et se multiplient
dans l'acide sulfureux, les cyanures (cyauogen) et autres
poisons mortels, elles sont au contraire rapidement dé-
truites par cet élément si inoffensif: le fer métallique. »
Nous ne connaissons qu'incidemment et par cette men-
' (1) Observations des ingénieurs 4ii Conseil municipal, au sujet des pro-
jets de rapport présentés par MM. A. Girard et Brouardel ; ap^orteur
M. A. Durand-Claye, Paris, Chaix 1881. p. G7
64 ABSORBANTS CHIMIQUES.
tion laconique ce fait nouveau qui peut avoir une grande
importance.
Ces vues semblent confirmer les opinions anciennes de
Lassaigne et de M. de Gasparin, concernant l'influence
nuisible des sels de fer et des terres vitriolées sur la végé-
tation. D'ailleurs, c'est surtout pour la désinfection des
matières de vidange que l'on emploie le sulfate de fer,
et nous aurons l'occasion d'insister longuement sur cet
agent en traitant plus loin ce sujet.
Le sulfate de zinc ou couperose blanche, est également
très soluble; il se dissout dans 2 ou 3 fois son poids d'eau.
Il a, sur le premier, l'avantage de ne pas revêtir toutes les
surfaces et les matières d'une coloration noirâtre ; par
contre, il est toxique, et dangereux par sa ressemblance
avec le sulfate de magnésie ; dans certains cas, il peut y
avoir inconvénient à laisser cette substance entre les mains
des personnes étrangères à la médecine. A ses propriétés
absorbantes, il joint, quoique à un bien moindre degré que
le chlorure, celle de s'opposer à la décomposition des ma-
tières organiques ; c'est un antiseptique faible.
Le sulfate de zinc est journellement employé pour la
désinfection des matières de vidanges ; la désinfection de
l'eau des bains sulfureux doit être assurée avant de laisser
écouler ces eaux sur la voie publique, et le sulfate de zinc
sert presque exclusivement pour atteindre ce but. Dans la
pratique de la désinfection, on emploie rarement le sulfate
de zinc pur. On utilise d'ordinaire les eaux fortement aci-
des provenant de la fabrication industrielle de la nitro-
benzine et des couleurs d'aniline; ces liquides acides sont
saturés à l'aide d'oxydes de zinc gris, impropres à la
peinture, ou de rognures de zinc. Le commerce vend un
mélange de sulfate et d'azotate de zinc, très chargé de
produits empyreumatiques et même de nitro-benzine, qui
agissent eux-mêmes par leurs propriétés antiseptiques.
Le iJerchlorure de fer se présente d'ordinaire sous l'ap-
PERCHLORURE DE FER. IG
parence d'une liqueur rougeâtre, marquant d'ordinaire
45 degrés à l'aréomètre et soluble dans l'eau en toute pro-
portion. Théoriquement, il est un excellent désinfectant, et
il semble économique. M. Fermond a fait ses expériences
avec un mélange ainsi formé : perchlorure de fer liquide
(contenant un tiers de perchlorure sec), 250 grammes ;
acide chlorhydrique du commerce, 250 grammes ; eau,
500 grammes. Un litre de ce mélange a été versé et incor-
poré dans un hectolitre de matières fécales. Il se produisit
une effervescence énorme, résultant du dégagement, par
l'action de l'acide chlorhydrique, des carbonates contenus
dans les matières ; aussi l'incorporation ne pouvait être
faite que lentement et à petites doses. Des bandes de papier
plombique ou de papier de tournesol rougi étaient placées
dans la partie hbre au-dessus du tonneau, et examinées
d'heure en heure. Au bout de 1 heure, le papier de tourne-
sol rougi avait à peine changé de couleur ; au bout de
3 heures, il avait sensiblement bleui ; en doublant les
doses de perchlorure et d'acide, au bout de 14 heure,-; U
papier de tournesol rougi était à peine teinté de bleu ; le
papier plombique, au bout de plusieurs heures, était enco.e
parfaitement incolore.
Toutefois, le perchlorure de fer présente plusieurs in-
convénients. Sous la forme préconisée par M. Fermond
c'est une liqueur très acide, toxique, qu'on ne peut lais-
ser entre les mains de tout le monde ; elle peut détériorer
à la longue les matériaux de construction, détruire d'em-
blée les tissus, altérer le bois, les métaux ; elle laisse sur
les tissus de toile et de coton des taches de rouille presque
indélébiles, et qui altèrent profondément la soHdité de l'é-
toffe. Quand on verse une solution de perchlorure de fc
dans deseaax d'égouts ou des matières de vidange, le car-
bonate d'ammoniaque détermine un précipité d'oxyde de fer
qui entraîne une grande partie des matières organiques en
suspension dans le mélange ; l'hydrogène sulfuré se pré-
Vallix. — Désinfectants. 5
(i6 ABSORBANTS CHIMIUUES.
cipite sous forme de sulfure de fer ; mais bientôt il se forme
du sulfate de fer et l'hydrogène sulfuré redevient libre.
En outre, une grande quantité de sulfhydrate d'ammo-
niaque est produite.
On comprend donc aisément le discrédit dans lequel est
tombé aujourd'hui le perchlorure de fer comme désinfec-
tant.
Chlorure de zinc. Le chlorure de zinc est à la fois un
excellent absorbant ou désodorisant, et en même temps un
antiseptique des plus actifs. Lorsqu'on projette dans
l'atmosphère d'une salle infecte, un nuage de solution de
chlorure de zinc au moyen d'un pulvérisateur, presque
immédiatement, en moins de deux minutes, toute mau-
vaise odeur disparaît, ce qui prouve que le sel agit
bien moins comme caustique, comme antiseptique, que
comme absorbant. Veau de Sanit-Lue qui est une solution
presque saturée de chlorure de zinc impur, est devenue
d'un emploi répandu à Paris, et a une efficacité réelle.
C'est un résidu de la fabrication des couleurs d'aniline.
Nous en renvoyons l'étude au chapitre III, où l'action
antiseptique du chlorure de zinc sera longuement exa-
minée.
L'azotate de plomb est la base d'un liquide désinfectant^
connu pendant longtemps sous le nom de Hquide Ledoyen,,
et dont la composition est la suivante :
Azotate de plomb cristallisé. 1 kilo!,a'amme.
Eau. . . . , 10 litres .
La liqueur marque 12 degrés à l'aréomètre. La valeur
désinfectante de ce liquide a été expérimentée par M. Fer-
mond, en 1858,' sur des latrines de la Salpètrière, latrines
d'une fétidité telle qu'on ne pouvait y pénétrer sans être
AZOTATE DE PLOMB. 67
pris de nausées ! Chaque jour pendant un mois, on ver-
sait le matin dans ces latrines 10 litres de ce liquide, plus
ou moins étendu d'eau et qui servait à laver les dalles, les
sièges, les cuvettes ainsi que les parois des murs ; de là,
le liquide en s'écoulant s'épandait sur les parois infé-
rieures et internes de la fosse et se rendait dans l'égout.
« Dès les premiers jours, dit M. Fermond, il y avait une amé-
lioration notable dans les fosses, et l'on pouvait dès lors
entrer dans les latrines sans éprouver cette sensation de
dégoût que nous avons indiquée. Toutefois, la désinfection
ne pouvait suffire pour 24 heures ; car, faite le matin de 8 à
9 heures, on n'en ressentait bien les effets que jusqu'à 5 à
6 heures du soir, plus ou moins,, selon le vent, le change-
ment de temps, la chaleur, etc. Nous pouvons dire que le
procédé de M. Ledoyen est, après le procédé par les chlo-
rures, le meilleur de ceux que nous ayons employé. »
Cette solution d'azotate de plomb a l'inconvénient de for-
mer sur les dalles des larges taches blanches de sulfate de
plomb, qu'un courant d'eau enlève d'ailleurs facilement.
Elle dépose, en outre, une couche noire de sulfure de plomb
dans les bassins métalliques et dans les lieux où on en fait
l'aspersion.
Mais il existe à l'emploi de ce sel deux inconvénients
plus sérieux : d'abord l'azotate de plomb coûte cher ; puis
sa solution aqueuse, même à la dose où elle existe dans le
liquide Ledoyen, est incapable d'absorber tout l'ammo-
niac qui se dégage. En mêlant 1 litre 1/2 de liquide Le-
doyen, soit 150 grammes d'azotate de plomb, dans un hec-
tolitre de matières de vidange, on voit que l'odeur d'hy-
drogène sulfuré disparait rapidement, mais qu'il n'en e&t
pas de même pour l'odeur ammoniacale. Au bout de
2 heures, le papier de plomb placé au-dessus du tonneau
restait incolore, mais le papier de tournesol rougi devenait
immédiatement bleu par le dégagement d'ammoniaque ;
après avoir abandonné ce mélange pendant 2 mois, on re-
■68 ABSORBANTS CHIMIQUES.
-trouvait encore les mêmes réactions : absence de dégage-
.raent d'hydrogène sulfuré, production abondante d'ammo-
niaque.
, Même en mêlant au tonneau, contenant un hectolitre de
-matières de vidanges 3 litres de liquide Ledoyen, soit
,300 grammes d'azotate de plomb, le papier de tournesol
reprenait rapidement sa coloration bleue. D'autre part, en
ajoutant 18 grammes seulement d'azotate de plomb dans
un hectolitre de vidanges, l'odeur sulfhydrique n'est que
légèrement affaiblie, et le papier plombique se colore en
noir au bout de quelques heures.
:' L'action désinfectante est beaucoup moindre quand on
veut faire disparaître la mauvaise odeur des salles encom-
brées ou mal tenues. En étendant au pied de chaque lit des
.pièces de toile chargées du principe désinfectant, la dimi-
nution de l'odeur sulfhydrique est à peine appréciable,
-résultat qui est peu surprenant, étant donnée l'absence de
volatilité de l'azotate de plomb.
. Poursuivant ses expériences, M. Fermond a fait faire des
lavages à grande eau avec le liquide Ledoyen sur des ca-
davres pris à la Morgue, dans un état de putréfaction déjà
très avancée : la mauvaise odeur a disparu assez rapidement ;
l'application des toiles imprégnées de ce liquide produisait
le même résultat. L'aspersion avec la solution d'azotate de
plomb, du hnge souillé par les pansements, diminuait no-
tablement la mauvaise odeur que ces amas infects dé-
gagent d'ordinaire.
Les toiles sanitaires imprégnées d'azotate de plomb et
-rendues hygrométriques à l'aide d'une certaine proportion
-d'azotate de chaux qui est très déliquescent, sont d'un em-
ploi utile pour couvrir les pièces de pansements salies
qu'on garde toujours trop longtemps au voisinage des
salles ; tendues au pied de chaque lit, elles sont peu effi-
•caces pour désinfecter l'atmosphère des salles.
. ;I1 va de soi que remploi d'une telle solution plombique
CHAUX VIVE, LAIT DE CHAUX. 69;
serait dangereuse sur les plaies étendues ; dans des cas
exceptionnels, Malgaigne a réussi à désinfecter ainsi des
plaies gangreneuses contre lesquelles les hypochlorites
avaient échoué.
Des pièces anatomiques conservées pendant 6 mois dans
la solution d'azotate de plomb n'avaient pas. contracté la
moindre mauvaise odeur; 250 grammes de lait reçurent
l^^SS d'azotate de plomb; au bout de 4 mois, le lait
n'avait qu'une très légère odeur aigrelette, sans aucune
odeur putride. La même quantité du sel plombique, mêlée
à 850 grammes d'urine humaine fraîche, empêcha pendant
45 jours toute odeur appréciable ; mais au bout de 2 mois
l'odeur était devenue repoussante.
En résumé, l'azotate de plomb agit à la fois comme
absorbant de l'acide sulfhydrique et comme antiseptique ;
c'est le premier mode d'action qui domine. Il aurait l'a-
vantage, sur les sulfates métalliques, de décomposer les
sulfates alcalins pour former un sulfate de plomb insoluble,
sur lequel la matière organique reste à peu près sans ac-
tion, c'est-à-dire qu'elle ne réussit pas à réduire en sul-
fure.
L'azotate de plomb aurait donc ainsi une permanence
d'action que n'ont pas les autres désinfectants métalliques;
il détruit mieux l'odeur d'hydrogène sulfuré ; par contre,
il fixe mal l'ammoniaque, il est coûteux, il n'est pas
volatil, et ne peut convenir que pour des foyers d'infection
très limités.
CHAUX VIVE ou ÉTEINTE, EAU ET LAIT DE CHAUX.
La chaux vive n'agit pas seulement comme absorbant,
elle détruit encore la matière organique en lui enlevant
toute l'eau qu'elle contient ; c'est ainsi qu'elle est utilisée
pour détruire les cadavres en décomposition ou les corps
des individus atteints de maladies contagieuses. Mais
après avoir absorbé toute l'humidité que ces corps pou-
■70 ABSORBANTS CHIMIQUES.
vaient contenir, après les avoir non seulement desséchés
mais échauffés par la température extrême que prend la
chaux en s'éteignant, cette chaux vive n'est plus que de la
chaux éteinte ; dès lors, elle n'a que des propriétés absor-
bantes. La chaux fixe l'acide carbonique et l'acide phospho-
rique, en formant des sels insolubles ; l'hydrogène sulfuré
est également absorbé, il forme du sulfure de calcium, mais
ces sulfures se décomposent facilement e l'hydrogène
sulfuré devient libre de nouveau
La chaux éteinte est encore caustique et désorganise
les substances végétales ou animales, quoique à^un degré
bien moindre que la chaux vive. A ce point de vue, le lait
de chaux qu'on applique en badigeonnage sur les murs
est, dans une certaine mesure, antiseptique, car il se com-
bine et forme un composé insoluble avec les matières or-
ganiques provenant des exhalations pulmonaires conden-
sées sur les murailles refroidies. Il se produit, dans ces
cas, une combinaison comparable à celle qu'on se propose
d'obtenir dans la préparation des luts au ciment, fabriqués
avec de la chaux vive d'une part, et de l'autre avec du
blanc d'œuf ou du fromage mou. La chaux éteinte détruit
donc, en partie au moins, la matière organique contenue
dans l'air ou dans les eaux d'égouts, les matières fé-
cales, et nous allons tout à l'heure trouver dans les expé-
riences de Pettenkofer, la preuve de cette action éner-
gique.
La chaux éteinte fixe surtout l'acide carbonique de l'air ;
cette action, toutefois n'est que temporaire elle s'épuise
d'ordinaire au bout de quelques jours; elle est surtout utili-
sable dans les cas où il faut rapidement assainir un espace
rendu toxique par l'accumulation d'acide carbonique.
Comme preuve de cette action temporaire sur l'acide carbo-
nique de l'air, nous citerons le résultat d'.expériences que
nous avons faites en 1878, d'ailleurs dans un autre but.
Nous dosions, par le procédé très rapide et très exact que
CHAUX VIVE, LAÏT DE CHAUX. 71
nous avons décrit, (1) la quantité d'acide carbonique con-
tenue dans l'air des chambrées, immédiatement avant
le réveil des soldats et l'ouverture des fenêtres : la pro-
portion de l'acide carbonique variait de 8 dix-millièmes à
1 millième au plus, lorsque tout à coup, la proportion tomba
à 4 et même à 3 dix-millièmes. Nous craignions une er-
reur survenue dans la manière dont l'air avait été recueilli,
mais une enquête nous apprit que peu de jours avant, on
avait badigeonné à la chaux les murs de la salle, dont l'air
avait été ainsi dépouillé de son acide carbonique. Cette in-
fluence se continua au moins pendant 8 jours, mais en
s' atténuant progressivement.
La coutume, jadis très préconisée, de verser de la chaux
vive ou du lait de chaux dans les fosses d'aisance pour
éviter les vidanges répétées, repose sur les propriétés à la
fois antiseptiques et absorbantes de la chaux.
A la suite de l'épidémie de choléra de 1873, le gouver-
nement allemand réunit une grande Commission, dite du
choléra, chargée d'étudier les causes, l'origine de l'épidémie
et les mesures prophylactiques contre ses retours, Petten-
kofer (2) fut chargé, entre autres choses, d'étudier les
moyens de désinfection des lieux habités, des navires, des
égouts. En 1814, il a fait un grand nombre d'expé-
riences sur la valeur relative de l'acide sulfureux, du chlore,
du chlorure de zinc et de l'eau de chaux : ces deux derniers
agents étaient surtout employés pour la désinfection des
«eaux de cale des navires. Des expériences très rigoureuses
-conduisirent Pettenkofer à formuler les conclusions sui-
vantes :
Vhijdrate de chaux détruit rapidement et complètement
(1) Vallin, Sur quelques procédés pratiques d'analyse de lair. [Revue
d'htjgi 'ne et de police sanitnire, 1880, T. II, p. 193.)
(a) Berichle dcr Choiera Kommission fur clas Deutsche Reich. [Berichle
,uber Desinfection von Schiffen, von docteur Max von PcUenkofer. —
Versuche uber Desinfection gesclilossener Raume, von D' Mehlhausen.
iBerlin, Cari Heyman, 1879. In-4% p. 319 et 335.)
72 ABSORBANTS CHIMIQUES.
les organismes de la putréfaction ; la proportion de 1/2
pour 100 est suffisante pour l'eau décale peu altérée, mais
quand la putréfaction est forte, il fautl pour 100. Il n'y a
pas à se préoccuper de l'action de la chaux sur les bois,
les cuirs, les tuyaux, les métaux du navire et de la ma-
chine, cette action est presque nulle ; mais la chaux ne
détruit pas l'odeur fade, douceâtre des acides gras de la
putréfaction, odeur souvent plus désagréable que celle de
l'hydrogène sulfuré.
En raison de son insolubilité presque complète, la chaux
encrasse à la longue les parois et les tuyaux, elle augmente
les boues de la cale et rend difficile le jeu des soupapes
des pompes. Il ne faut donc l'employer que pour l'assainis-
sement des parties du navire qui sont à découvert, et oîi
l'écoulement des eaux de lavage peut se faire libre-
ment. En temps d'épidémie, on peut laver les parois et les
planchers des navires avec un lait de chaux à 1 pour 100.
Pendant l'été de 1875, le ministre de la marine de l'em-
pire d'Allemagne fit faire sur une cannonière, le Tigre, des
expériences de désinfection d'eau de la cale, au moyen de
la chaux, suivant le procédé préconisé par Pettenkofer.
Cette eau était trouble, noirâtre, présentant à la surface
des corpuscules de graisse et de charbon dégageant une
odeur forte d'hydrogène sulfuré, et l'odeur douceâtre, nau-
séeuse, caractéristique de la présence des acides gras ; l'ana-
lyse décelait la présence d'une grande quantité d'acide
sulfhydrique et de protorganismes divers. Abandonnée au
repos, elle laissait, au bout de 24 heures, un dépôt gris ver-
dâtre abondant, sans que le liquide surnageantdevînt limpide
même au bout de 8 jours.
1° Une première série d'expériences fut faite avec la pro-
portion de 1/2 litre de lait de chaux épais par hectolitre
d'eau à désinfecter. Au bout d'un quart d'heure, le li-
quide commence à devenir clair ; au bout de 2 heures, la
clarification est complète ; après avoir remué le liquide,
SOUS-NITRATE DE BISMUTH, ETC. 7Ï
on voit que la tendance au précipité est très vive. Le dépôt
est formé de masses assez consistantes, d'un gris plus ou
moins foncé, qui, par l'agitation, s'élèvent sous forme d'un
nuage lourd, retombant rapidement au fond du vase : ce
dépôt est formé principalement de fer et nullement de sou-
fre, même au bout de 8 jours.
On ne trouvait plus aucun organisme vivant dans le li-
quide. Ce dernier, au-dessus du dépôt, était plus ou moins
clair et transparent ; il était un peu blanchâtre, sans doute
par suite de la chaux en suspension.
Dès le lendemain, la formation d'hydrogène sulfuré avait
cessé et l'analyse n'en trouva pas trace, même au bout de
6 semaines, dans une atmosphère chaude.
La proportion de 1/2 litre de chaux par hectolitre fut
trouvée insuffisante pour désinfecter l'eau la plus corrom-
pue, stagnant au-dessous de la machine : l'odeur douceâtre
et putride due aux acides gras persistait, et il fallut recou-
rir pour la faire disparaître à la dose de 1 pour 100;
2° Avec cette proportion de 1 litre de lait de chaux en
bouillie par hectolitre d'eau putride, l'effet désinfectant
fut très rapide et très net. Toutefois, l'on ne put faire dis-
paraître l'odeur fade de la putréfaction, même avec la pro-
portion de 11 et de 15 pour 100. La quantité d'ammo-
niaque contenue dans ces eaux était insignifiante et ne
pouvait en rien empêcher l'action de l'hydrate de chaux.
En résumé, la chaux arrête définitivement la fermentation,
rend limpides les eaux putrides, détruit rapidement l'odeur
sulfhydrique, mais ne réussit pas à faire disparaître cette
odeur douceâtre, caractéristique de la présence des acides
gras.
Le sous-nitrate de bismuth mérite d'être au moins men-
tionné à cette place, à titre d'absorbant. Il est d'un usage
vulgaire dans les dyspepsies putrides ou flatulentes, dans
les diarrhées fétides ; il est à la fois désinfectant et absor-
74 ANTISEPTIQUES.
bant. M. Frémy, de l'Institut, proposa son emploi dans le
pansement des plaies de mauvaise nature, au cours de la
discussion qui eut lieu à l'Académie des sciences, en 1880,
sur la valeur de la poudre de plâtre au coaltar. Velpeau
en fit l'essai dans son service, et l'on peut voir dans le
tableau des observations qui accompagnent son rapport,
que son efficacité se montra supérieure à celle de la pou-
dre de Corne et Demeaux. Son emploi doit rester limité
aux plaies ou aux ulcères de peu d'étendue, à la face, aux
■extrémités, etc. (1).
CHAPITRE m.
DES ANTISEPTIQUES.
Il est facile de justifier l'adjonction des antiseptiques
aux désinfectants. Supposons que, dans un local, il existe
une matière en voie de fermentation qui verse incessam-
ment dans l'air des produits mal odorants ou malsains.
On pourra bien désinfecter la salle en absorbant, en dé-
truisant les émanations putrides à mesure qu'elles se pro-
duisent (pulvérisations de solutions de sulfate de fer, de
zinc, de permanganate, etc.) ; mais la désinfection ne sera
permanente et vraiment efficace, qu'à la condition d'enle-
ver la matière, source de Tinfection, ou, si cela est impos-
sible, de faire en sorte que cette matière cesse de subir la
décomposition putride. L'action des antiseptiques complète,
(1) Velpeau, Rapport sur divers moyens désinfectants {Comptes rendus
de l'Académie des Sciences, 6 février 1830, page 279.)
ANTISEPTIQUES. 73
on [)ourrait dire qu'elle prévient, l'action des désinfec-
tants.
La désinfection n'est pas seulement la suppression d'une
infection déjà existante, c'est aussi la prévention de cette
infection ; l'étude des antiseptiques rentre donc dans notre
sujet, au même titre que la prophylaxie rentre dans la
thérapeutique ; et cela d'autant plus, que souvent on dé-
sinfecte dans la crainte que les objets ou les milieux ne
soient souillés, quoique peut-être cette infection n'existe
pas. Il est toutefois nécessaire de garder une limite, sans
quoi on serait conduit à traiter ici de l'isolement dans les
maladies contagieuses, sous prétexte d'introduction à l'é-
tude des désinfectants ; ce serait vraiment aller trop
loin.
On appelle antiseptique toute substance qui empêche la
décomposition d'une matière susceptible de se putréfier.
La plupart des moyens que les usages domestiques ont
consacrés pour empêcher la décomposition des substances
alimentaires, peuvent rentrer dans la classe des antisepti-
ques ; mais cette expression a un sens un peu plus limité
dans la pratique de la médecine et de l'hygiène, et ce se-
rait dépasser les limites que d'étudier le sucre parmi les anti-
septiques, sous le prétexte qu'il sert, sous forme de confi-
tures, à empêcher la décomposition putride de la pulpe
des fruits; peut-être, d'ailleurs, les confitures ne sont-elles
préservées que parce que leur consistance empêche les
germes de pénétrer dans leur épaisseur, alors qu'une
ébullition prolongée les a privées de tout germe suspect.
L'expérience nous a enseigné depuis longtemps quelles
sont les conditions qui favorisent et accélèrent la décom-
position des matières organiques : ce sont l'humidité, la
chaleur, la présence de l'air et sans doute des germes
qu'il contient. Les conditions inverses retardent cette dé-
composition. Par conséquent, il est juste de ranger parmi
les moyens antiseptiques la soustraction de l'eau ou le
76 CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
dessèchement, le froid, l'occlusion hermétique et la fîltra-
tion des germes contenus dans l'air.
Nous allons rapidement passer en revue ces différentes
conditions, qui fournissent quelques applications à la désin-
fection médicale et hygiénique.
ART. I-. — DES CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
Soustraction de l'humidité, — Bien que la chaleur
soit l'un des principaux agents qui activent la putréfac-
tion, le dessèchement rapide est un moyen puissant
de la retarder, et même delà rendre définitivement impos-
sible ; or, la chaleur sèche est l'un des meilleurs pro-
cédés pour soustraire rapidement et complètement l'eau
des tissus.
On rencontre assez fréquemment au Pérou, dans les dé-
serts de l'Afrique, de l'Arabie, dans les pampas du Nou-
veau-Monde, des momies hlaiiches, c'est-à-dire des cada-
vres d'hommes et d'animaux que la dessiccation a rendus
complètement imputrescibles. Les corps n'ont aucune odeur
de putréfaction; ils sont poreux et légers comme des dé-
bris d'amadou. C'est en partie par le dessèchement, soit à l'air
libre, soit par une courte exposition à un foyer enflammé,
que les anciens Égyptiens conservaient leurs momies. A
Vismejo, au Pérou, un médecin anglais découvrit, en
nST, sur le sable brûlant d'une baie déserte, un nombre
extraordinaire de cadavres d'hommes, de femmes et d'en-
fants, desséchés au soleil, secs et légers comme du liège,
et n'exhalant aucune mauvaise odeur; c'étaient les restes
d'une tribu d'Indiens fuyant la domination espagnole, et
qui, épuisés de fatigue, s'étaient ensevelis vivants dans le
sable.
De même que par la dessiccation des herbes fourragères,
des plantes médicinales, de certains fruits, on empêche
leur fermentation, de même on conserve indéfiniment la
DESSICCATION. 77
viande en la privant de l'eau nécessaire à sa fermenta-
tion : au Brésil, à la Plata, la carm secca qui constitue
l'aliment journalier des populations ouvrières, loin des
grandes lignes de communication, se conserve presque
indéfiniment sans perdre ses qualités alibiles (1).
La privation d'eau par le dessèchement, comme la
privation de chaleur par le refroidissement, méritenttoutQS
deux au même titre, d'être rangées parmi les ressources
de la méthode antiseptique considérée en général.
La dessiccation suspend la vitalité de la graine, elle ne
la détruit pas. Il en est de même pour les virus : dessé-
chés, réduits en poussière, ils restent stériles, inoffensifs,
et paraissent subir plus rapidement les oxydations des-
tructives de l'air; mais si, emportés par le vent, ils ne
séjournent pas assez longtemps dans l'atmosphère pour
être définitivement brûlés par l'oxygène, s'ils viennent
trop rapidement tomber sur un terrain favorable où ils
trouvent de la chaleur et de l'humidité, comme sur les
muqueuses, la peau moite d'un homme ou d'un animal,
la graine germe, se développe, pullule, et l'envahisse-
ment de l'organisme par cette poussière fertile constitue
une maladie infectieuse ou virulente,
La dessiccation est un des moyens de destruction nat.:-
relle, de désinfection spontanée des germes morbifiques.
Au point de vue pratique, un local souillé par des prin-
cipes virulents sera d'autant plus facilement désinfecté,
purifié, qu'on évitera toute humidité qui pourrait permet-
tre aux germes de conserver leur vitalité ou de se re-
produire.
Renault, qui a étudié avec un grand soin cette action
désinfectante et neutralisante de l'air sur les virus,' croyait
que l'action destructive de l'atmosphère se rattachait à la
dessiccation ; il a vu en effet que les substances les plus
(1) D"" Coiiiy, L'alimentation au Brésil et dans les pays voisins. (Revue
dHipgiène et de police sanitaire, 1881, p. 183, 279 ol 470.)
■78 CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
virulentes deviennent inactives quand elles ont été lente-
ment desséchées au contact de l'air. Il faudrait bien se
garder de prendre ici l'effet pour la cause; il nous paraît
probable que c'est plutôt encore à l'action de l'air, qu'aux
changements physiques apportés dans l'état moléculaire
des parties, par la dessiccation, par la privation de l'eau,
qu'il faut attribuer la destruction de la virulence ; les deux
influences doivent concourir d'ailleurs à produire le même
résultat.
Il y aurait à faire, sur ce point, sur chaque virus, des
études positives que nous avons commencées, mais que
nous n'avons pas eu jusqu'ici le loisir ou la possibilité de
terminer ; on ne sait pas encore d'une façon précise, au
bout de combien de temps tel ou tel virus desséché perd
son inoculabilité; nous savons seulement que le vaccin sec
est beaucoup moins actif que le vaccin liquide.
Nous avons fait quelques expériences de ce genre sur
le virus du chancre mou, sur le pus de la morve, et sur
la matière tuberculeuse. Nous avons recueilli, sur des lan-
cettes, du pus de chancre dont il était utile, au point de
vue du diagnostic et du traitement, de mesurer l'auto-
inoculabilité. Des lancettes ainsi chargées étaient conser-
vées dans des flacons bien bouchés, remplis d'azote ou
d'hydrogène desséchés ; d'autres au contraire étaient gar-
dées à l'air libre, exposées à une forte ventilation dans un
air pur. Au bout de 8 jours, on inoculait au porteur du
chancre la matière desséchée sur les deux catégories de
lancettes à droite le virus laissé à l'air libre, à gauche
le virus desséché à l'abri de l'air; 2 fois sur 3, ce dernier
a produit une ulcération, tandis que le virus desséché à
l'air libre a donné des résultats négatifs 1 fois sur 3. La
différence est trop minime pour qu'on puisse en tirer une
conclusion justifiée ; mais il y aurait lieu de reprendre ces
expériences pour tous les virus, afin de savoir combien de
DESSICCATION. 79
temps p ^rsiste la virulence dans les matières abandonnées
à l'a "lion de l'air et à la dessiccation.
M. Peuch (1) est entré dans cette voie en ce qui concerne
le virus morveux , il a vu, après Renault, que la dessicca-
tion faisait assez rapidement disparaître la virulence et
l'inoculabilité. Nous avons deux fois humecté des car-
rés de papier Joseph avec du pus morveux; le papier était
suspendu à l'air libre et devenait parfaitement sec au bout
de 48 heures. Il était alors imbibé d'eau distillée, exprimé,
et le liquide trouble qui en sortait était injecté sous la peau
de jeunes cobayes ; deux fois l'inoculation resta sans suc-
cès, alors que le pus frais, injecté l'avant^veille sur un
autre animal similaire, déterminait au bout de quelques
semaines un chancre morveux, une inflammation des tes-
ticules, Tamaigrissement et la mort. Nous avons eu le
même insuccès dans un cas, avec du suc tuberculeux des-
séché de la même manière.
Les expériences sont encore trop peu nombreuses pour
en tirer une conclusion rigoureuse ; mais il est probable
que le danger de contamination par les objets souillés,
dans une écurie ou une étable infectées, iliminue avec le
temps, par le fait de l'action destructive de l'air sur le
virus desséché. Il faut alors que le virus soit étalé en couche
mince, et très facilement accessible à l'air. On ne doit pas
oublier toutefois qu'un des bons moyens de conserver
le vaccin est d'en humecter de petites aiguilles d'ivoire ;
en Angleterre, en Belgique, ce mode de conservation est
usuel, et donne les meilleurs résultats. Au bout de plusieurs
mois, il suffit d'humecter de nouveau la pointe d'ivoire
avec une gouttelette d'eau pure, et l'inoculation peut se
faire directement par une piqûre à la peau. D'ailleurs, de
nombreux exemples de variole, de morve, de syphilis,
transmises tardivement par des objets souillés depuis plu-
(1) tteuch, Des effets de la dessiccation sur la virulence du jelage mor-
veux. [Archives vétérinaires d'Alfort, 1880, p. 220.)
«0 CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
sieurs mois, prouvent qu'il ne faut pas trop compter sur
l'action destructive, antivirulente, de la dessiccation et du
€ontact prolongé de l'air.
Ce n'est peut-être pas faire un rapprochement exagéré,
que de mentionner ici le dessèchement d'un sol humide et
marécageux, comme le meilleur moyen d'en assurer la
désinfection; en l'absence de toute humidité, les matières
organiques contenues dans le sol ne fermentent pas plus .
que le foin bien séché qu'on entasse impunément dans
nos greniers; quand, au contraire, ce foin entassé est
humide, il fermente, dégage de l'acide carbonique et des
odeurs malsaines; parfois même il s'enflamme. La compa-
raison est moins forcée qu'elle ne le paraît à première appa-
rence, et le drainage mérite de figurer parmi les moyens
de désinfecter les localités marécageuses.
C'est sans doute en partie par la soustraction de l'hu-
midité, que le traitement des matières fécales par les
poussières sèches en empêche la décomposition putride.
De même, c'est en faisant disparaître l'humidité de
certaines parties malades, en favorisant l'évaporation des
liquides sécrétés à la surface des plaies, des téguments ou
des muqueuses, qu'on réussit parfois à en assurer la désin-
fection : l'isolement des surfaces par des linges fms, des
papiers sans colle, des poudres absorbantes, dans l'inter-
trigo , la vulvite, la balano-posthite, la transpiration des
pieds, certains eczémas, font souvent disparaître une féti-
dité extrême en rendant impossible, par un dessèchement
rapide, la fermentation qui se produisait auparavant dans
des liquides organiques soumis à une température de plus
de 36 degrés.
Le froid même non rigoureux, l'abaissement de la tem-
pérature atmosphérique, est un agent indirect de la puri-
fication de l'air; la condensation, sous forme de brouil-
lard ou de pluie, de la vapeur d'eau dissoute dans l'air,
" entraîne les poussières, les germes morbides, les principes
FROID. 81
nuisibles qui peuvent y être en suspension. C'est pour cela
qu'il est en général si dangereux de respirer les brouillards
qui se forment au coucher ou au lever du soleil ; mais ils
contribuent dans une certaine mesure à laver l'air, et
à le débarrasser de ses impuretés, en faisant retomber
celles-ci sur le sol.
Froid. — Il n'est pas douteux que le froid mette obstacle
à la décomposition des matières organiques; celle-ci est
d'autant plus prompte que la température est plus rappro-
chée de 38°, ou notablement supérieure. L'altération des
denrées alimentaires est infiniment plus rapide en été
qu'en hiver. 11 est inutile d'insister.
L'un des plus remarquables exemples de la propriété
antiseptique du froid, est la découverte, à la fin du dernier
siècle, d'un mammouth préhistorique conservé depuis des
milliers d'années dans un bloc de glace. Nous empruntons
à M. Milne-Edwards la relation précise de ce fait, maintes
fois cité et vraiment extraordinaire :
« En 1799, un pécheur toungouse remarqua sur les
bords de la mer Glaciale, près de l'embouchure de la Lena,
au milieu des glaçons, un bloc informe qu'il ne put
reconnaître. L'année d'après, il s'aperçut que cette
masse était un peu plus dégagée, mais il ne put encore
en deviner la nature. Vers la fin de l'été suivant, il vit à
nu une des défenses et tout le flanc d'un monstrueux ani-
mal; enfin, la cinquième année, les glaces ayant fondu
plus vite que de coutume, cette masse énorme vint échouer.
Le pêcheur en enleva les défenses et les vendit pour une
valeur de SO roubles; on fit en même temps un dessin
grossier de l'animal, et les lakoutes du voisinage en
dépecèrent les chairs pour nourrir leurs chiens ; des bêtes
féroces vinrent aussi s'en repaître. Mais deux ans après,
lorsqu'un naturaliste, 3L Adams, se rendit sur les lieux,
l'animal, quoique fort mutilé, conservait encore des
Valun. — Désinfectants. 6
82 CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
débris de chair et de peau couverte de crins noirs ayant
jusqu'à 15 pouces de long, et d'une espèce de laine rou-
geâtre, si abondante, que ce qui en restait ne put être
transporté que difficilement par dix hommes. On connaît
encore d'autres exemples de mammouths si bien conservés
dans les glaces, que les chairs n'étaient pas corrompues,
et que les poils adhéraient à la peau. Cette espèce d'élé-
phant a cependant disparu de la surface de la terre depuis
les dernières révolutions qui en ont bouleversé la surface. »
Depuis cette époque, les côtes de la mer Glaciale, entre
la Lena et la Kolyma, ont été explorées maintes fois ; à la
suite du voyage du capitaine Becchy à la baie d'Escholtz;
on y a découvert des milliers d'éléphants, de rhinocéros,
de buffles, en bon état de conservation, ensevelis dans la
glace ou le sol glacé de ces contrées.
L'industrie a récemment employé la réfrigération pour
empêcher la décomposition pendant les traversées, et pour
permettre l'utilisation alimentaire de la viande des trou-
peaux qui abondent dans les plaines de la Plata et de
l'Uruguay. Les Parisiens n'ont pas oublié les essais, d'ail-
leurs peu heureux, tentés en 1878-79 par le Frigorifique
où la cale formait de vastes chambres, maintenues à la
température de 0" par l'évaporation de l'oxyde de méthyle,
et où des quartiers de viande en nombre considérable res-
taient à l'abri de la fermentation. De pareilles tentatives,
couronnées de succès, ont eu lieu au Havre, en 1878, pour
le transport de viandes et de poissons de provenance inter-
tropicale : MM. PhiUppe et Verrier de Rouen (Ij ont donné
une excellente relation des essais tentés par le Raphaël
et le Paraguay. C'est au moyen de la glace, que dans les
halles et marchés des grandes villes, on empêche le pois-
(1) Rapport sur les travaux des Conseils d'hygiène et de salubrité en
1878, par M. \elif\ 3i\\in.(Recueil des travauxdu Comité consultatif d'hi/giène
publique de France, 1881, t. X, p. 108.)
FROID. 83
son de devenir, en été, une cause de danger par sa mau-
vaise odeur et par l'ingestion de sa chair décomposée.
Il existe aujourd'hui des appareils ingénieux qui per-
mettent de maintenir sans peine , et presque indéfini-
ment, des températures de — 13° à — 18°. M, Raoul
Pictet a utilisé le froid produit par l'évaporation de l'acide
sulfureux liquide pour obtenir industriellement des tem-
pératures très basses. Cet acide, qui bout à 11 degrés au-
dessous de 0, refroidit, en s'évaporant, un liquide incon-
gelable (une solution de chlorure de magnésium) qui est
distribué dans les appareils à refroidir : la machine ne
peut pas prolonger très longtemps une température infé-
rieure à — 15°. La machine Carré par évaporation du gaz
ammoniac liquide, produit un froid durable de — 15
à — 18°. La machine Giffard et Berger fonctionne d'après
le principe de la compression et de la détente successive
de l'air avec restitution d'une partie du travail mécanique
développé. M. Tellier produit un froid excessif par l'éva-
poration de l'oxyde de méthyle liquéfié sous une pression de
S atmosphères. Ces moyens peuvent être utilisés dans cer-
tains cas au profit de l'hygiène.
On a fait une application très heureuse de cette propriété
antiseptique du froid pour la conservation des cadavres
destinés aux expertises médico-légales. D'ordinaire, les
•cadavres arrivent à la morgue dans un état de putréfac-
tion très avancée, et cependant on est souvent obligé de les
•conserver pendant plusieurs jours, exposés à la vue des
personnes qui peuvent venir les reconnaître : enfin, cette
putréfaction progressive rendait les explorations nécrosco-
piques difficiles et de valeur incertaine. M. le professeur
Brouardel,à la suite d'une mission en Allemagne, en 1818,
pour visiter les Instituts de médecine légale, avait été
frappé de voir installés, dans plusieurs universités, des
appareils frigorifiques pour la conservation des cadavres.
Dans un Rapport adressé au préfet de police du départe-
84 CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
ment de la Seine, au nom d'une commission prise au sein
du Conseil d'hygiène, en 1880, il a passé en revue les
divers procédés ou machines employés pour produire le
froid.
Le Conseil d'hygiène de la Seine a donné la préférence
au procédé Garré-Mignon-Rouart, qui fournit à volonté, et
d'une façon économique, une température de — 15" à
— 18° centigrades par l'évaporation du gaz ammoniac li-
quifié sous sa propre pression. Nous reviendrons plus
loin sur ce sujet. CDésinfegtion municipale : Morgues.)
L'expérience physiologique vient confirmer ce qu'on sait
depuis des siècles sur le développement plus facile de la
fermentation et des maladies putrides, par l'élévation de la
température. M. Tédenat(l) inocule huit grenouilles avec
du sang septicémique. Quatre de ces grenouilles sont placées
dans de l'eau chauffée au soleil et marquant -|- 20° à -|- 25**
centigrades ; au bout de 24 à 30 heures, trois grenouilles
avaient déjà succombé. Au contraire, les quatre autres
sont plongées dans de l'eau dont on maintient la tempéra-
ture à -]- 8" ou -j- 10° avec des petits fragments de glace :
trois survivent pendant plusieurs jours, une seule succombe.
M.Davaine(2), dans un important mémoireluàl'Académie
en 1819, a montré à quel point l'élévation de la température
faisait varier les résultats de l'inoculation du poison septi-
que. En hiver, des doses relativement fortes de ce virus ne
troublent pas la santé du lapin : une dose cent fois, mille
fois plus faible, en été, amène rapidement la mort. C'est en
été qu'on observe les épidémies de septicémie dans les labo-
ratoires, avec propagation à distance à des animaux non
inoculés; pareille mésaventure arriva à M. Davaiiie
(1) Tédcnat, Étude expérimentale sur la neutralisation du virus cada-
vérique. {Gazette hebdomadaire des sciences médicales de Montpellier,
3avrill880, p. 160.)
(2) Davaine, Recherches sur quelques conditions qui favorisent et qui
empêchent le développement de la septicémie. (Bulletins de V Académie de
médecine, 18 février 1879, p. 121 .)
FROID. 85
en 1865, et vint singulièrement troubler, en 1873, les con-
clusions de ses expériences sur la nature de la fièvre
typhoïde.
C'est à tort qu'en ces dernières années, on a cru pouvoir
mettre le froid au rang des véritables désinfectants ; en
réalité, ce n'est qu'un agent antiseptique. Comme la pri-
vation d'humidité, le froid empêche la vie de se manifester;
il la suspend, il ne la détruit pas; la sécheresse et le froid,
sont les deux principales causes de ce qu'on a appelé le
sommeil ou le silence des germes, aussi bien en physiologie
végétale qu'en pathogénie. La graine du vers à soie peut
être conservée deux années, quand on la maintient à une
température insuffisante pour l'éclosion des vers, tandis
que, par l'incubation artificielle, en toute saison on peut
faire éclore ceux-ci. Mais, tandis que la congélation com-
plète détruit sans retour toute vitalité dans les organismes
compliqués, sans doute en détruisant leur structure, les
organismes les plus élémentaires ont une force de résistance
au froid véritablement extraordinaire. Déjà, Cagniard-La-
tour avait montré que le froid produit par l'acide carbo-
nique solidifié, suspendait mais ne détruisait pas la vita-
lité de la levure de bière. Frisch (1) employa le même
procédé pour étudier la résistance au froid, non seulement
des organismes de la putréfaction, mais encore des micro-
coccus et des bactéries qui prennent naissance dans les
liquides pathologiques de l'homme ou des animaux.
Au moyen de l'acide carbonique solidifié, il a soumis des
morceaux de viande putréfiée à une température qui est
descendue jusqu'à 87 degrés centigrades au-dessous de 0.
Au dégel , les bactéries contenues dans cette viande
reprirent leur activité et leurs mouvements, et le liquide
(1) A. Frisch, Ueber den Einfluss niederer Temperaturen au f die Lebens
fahigiceit der Balderien. (Influence des basses températures sur la vitalité
des bactéries.) Sit^ungsb. der K. Akad. der Wiss. T. LXXV, 3« p., p. 237
et Revue d'hygiène 1879, p. 166.
86 CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
putride, porté sur la cornée d'un lapin, fît naître rapidement
une kératite infectieuse. Le même résultat fut obtenu par
l'inoculation de sérosité péritonéale, à la suite d'une péri-
tonite puerpérale; cet abaissement extraordinaire de la
température ne diminua en rien l'inoculabilité de ce liquide
septique. Ce qui semble prouver que c'est bien à la
persistance de la vitalité des microbes qu'est due la persis-
tance de la virulence, c'est qu'au moment du dégel, on voit
les bâtonnets et les vibrions animés de mouvements assez
vifs au moment même où ils se dégagent du glaçon qui les-
emprisonnait.
M. Pasteur a profité des froids excessifs de l'hiver
1879-80 pour faire des expériences analogues ; ses liquides
de culture ensemencés ont repris leur activité après avoir
été soumis à un froid de plus de 30 degrés. Ces faits
ruinent donc complètement les espérances chimériques
qu'on avait récemment fondées, en Angleterre et en Amé-
rique, sur l'action purificatrice du froid, pour la désinfec-
tion des navires en quarantaine.
Au Congrès de Richmond (États-Unis), en novembre
1878, le D'" A. Gibbon et le professeur G. Richardson, de
Philadelphie (1), soutinrent une opinion qui avait déjà été
mise en avant par le professeur J. Gamgee de Londres, à
savoir que le germe de la fièvre jaune était probablement
un parasite, et que le froid excessif devait être un moyen
facile et très puissant de détruire ce parasite. A la suite
d'une conférence de M. Gamgee, à Londres, une dame, enthou-
siaste et riche, s'était offerte à contribuer pécuniairement à
la réalisation de cette idée : un navire frigorifique, mù par
la vapeur, muni d'appareils réfrigérateurs extrêmement
puissants, devait stationner à la Nouvelle-Orléans et dans
les ports recevant des navires infectés par la fièvre jaune.
(1) Effects offreezing on yeUotv-fever infection ; the caseofthe U. S. S.
Plymouth. {The Sanilarian, août 1879, p. 346; cl Revue d'hygiène et de-
police sanitaire, 1879, p. 333.)
FROID. 87
Le navire frigorifique devait aller se placer successive-
ment auprès de chaque navire suspect, et au moyen de
manches ventilatrices et de pompes, injecter dans leurs
flancs une énorme quantité d'air extrêmement froid, de
la même manière qu'on injecte de la vapeur surchauffée
pour purifier les parois intérieures et la cale des navires
souillés. Il est vrai que ce frigorifique, à l'aide de ses
appareils puissants et de sa glacière, pouvait fabriquer de
la glace destinée aux usages industriels de toute sorte, et
même munir les skating-rings d'une véritable piste de
glace épaisse !
Les membres du Congrès de Richmond ne connaissaient
pas, évidemment, les travaux de A. Frisch, que nous rap-
pelions tout à l'heure, sans quoi ils n'eussent pas voté une
somme de 200,000 dollars (un million), pour aider à
construire un navire frigorifique destinée aller ainsi porter
la désinfection par le froid dans les ports. Le système
d'installation parait d'ailleurs ingénieux : le navire por-
tait constamment en lest 40 à 50 tonnes de chlorure
de magnésium refroidi à 18 degrés centigrades au-
dessous de 0, et dissous dans un mélange d'eau et de
glycérine. Des pompes devaient, au préalable, nettoyer à
fond la cale du navire affecté ; pour détruire les matières
organiques dont le bois était imbibé, on lançait avec une
grande force un jet de ce liquide glacial contre les parois
du navire, de manière à le faire pénétrer dans toutes les fis-
sures. On pouvait abaisser la température du Hquide jusqu'à
35 degrés centigrades, température à laquelle aucun orga-
nisme, prétendait-on, n'était capable de résister. Il paraît
que les essais tentés ont démontré que cette projection à
haute pression de la solution extrêmement froide de chlo-
rure de magnésium conserve le bois et enlève toute odeur.
Mais une expérience très complète et très instructive est
venue montrer l'inanité des espérances qu'on fondait sur
l'action désinfectante du froid .
88 CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
Un Steamer de la marine des États-Unis, le Plymoiith,
de 1,122 tonneaux, de la force de 800 chevaux-vapeurs et
portant 222 hommes d'équipage, était arrivé à la fin d'oc-
tobre 1818 à Saint-Thomas, où existaient quelques cas de
fièvre jaune. Après quelques jours de station dans le
port, le steamer repart le 4 novembre en patente nette;
mais bientôt 1 cas de fièvre jaune apparaissent à bord, et
le navire revient à Portsmouth, où il est soumis à une
quarantaine de 17 jours ; au bout de ce temps, il est envoyé
à Boston, en plein hiver, il est désappareillé, réparé,
l'équipage est licencié.
Pendant trois mois d'un hiver rigoureux, du 19décembre
1878 au 15 mars 1879, par une température qui descendit
souvent à 17 degrés centigrades au-dessous de 0, on laissa
toutes les ouvertures du Pkjmoiilh largement ouvertes;
l'air y accédait librement, l'eau des cales était gelée. Il
était difficile de réaliser plus complètement l'expérience
proposée par MM. Gamgee, Gibbon et Richardson. Et
cependant, le 15 mars 1879 le Plymoiith reprenait la mer ;
il avait à peine atteint les latitudes chaudes des Bermudes
et de Windwards Islands, que de nouveaux cas de fièvre
jaune apparaissaient à bord bien que le navire n'eût touché
aucun port suspect de la maladie.
Ce fait aurait à nos yeux une valeur absolue pour prouver
l'inefficacité du froid comme désinfectant, si nous ne
trouvions des renseignements plus précis dans le rapport
que le médecin en chef de la marine a publié sous forme de
volume. Non seulement on avait exposé au froid rigoureux
de l'hiver de Boston toutes les parties profondes du navire,
mais encore on y avait fait brûler, à deux reprises, une
quantité de soufre insuffisante à nos yeux pour un navire
de cette dimension (100 livres en deux fois). Ces deux
moyens , le froid et le soufre, ne pouvaient manquer
d'être inefficaces, puisque, par un singulier oubli, on
n'avait désinfecté ni les provisions, ni les objets d'ar-
FROID. 89
mement; tout ce matériel avait été débarqué au commen-
cement de janvier, enfermé dans des magasins ou en-
tassés sous des tentes, et on avait armé de nouveau le
navire sans soumettre son matériel à des fumigations. De
même, les hommes de l'équipage avaient été débarqués et
avaient séjourné pendant i2 mois soit à terre, soit sur un
autre navire ; mais ni avant de quitter le Plymouth, ni
avant de s'y rembarquer, leurs vêtements n'avaient subi la
moindre désinfection. Tant que l'on a séjourné sous le
climat rigoureux de Boston, les germes qui pouvaient être
contenus dans ces objets matériels, sont restés inertes et
inoffensifs ; ils n'ont fait reparaître la maladie qu'au moment
où le navire atteignait de nouveau les zones prétropicales.
La coque du navire était d'ailleurs atteinte de cette altéra-
tion des bois connue sous le nom de pourriture sèche, et
dans laquelle le bois se réduit en poussière, par un phéno-
mène qui rappelle l'humification des matières organiques
au sein de la terre. On comprend que cette altération de la
charpente d'un navire puisse être, en quelque sorte, un
terrain de culture favorable pour la conservation ou la
pullulation des germes morbides. Tout cela atténue un peu
ce que le fait du Plijmouth a d'extraordinaire, et l'on pour-
rait dire d'inouï dans les fastes de la marine.
Sans nier que le froid fait souvent cesser certaines mani-
festations épidémiques (fièvre jaune, peste, etc.), il nous
semble donc impossible d'attribuer à cet agent la moindre
valeur comme désinfectant, tandis qu'il est difficile de
contester ses propriétés antiseptiques. Le seul exemple que
nous trouvions signalé d'une neutralisation d'un virus par
l'abaissement de la température, est celui de Melsens qui,
en soumettant du vaccin au froid excessif de — 80" C, l'a vu
perdre sa virulence. Mais nous n'avons pu remonter à la
source originale ni contrôler ce fait simplement énoncé par
Gubler et Bordier (1).
(1) Gubler et Bordier, loco cit. (Bulletin de thérapeutique, 1873, t. 84%
p. 2Go.)
90 CONDITIONS ANTISEPTIQUES.
Soustraction du contact de l'air. — Quand les corps
organiques sont soustraits au contact de l'air, ils peuvent
se conserver presque indéfiniment à l'abri de la décompo-
sition putride. C'est sur ce fait d'expérience et sur ce
principe, que s'est fondée la fabrication des conserves
Appert pour les viandes, les légumes et les fruits, soit dans
des boîtes en fer-blanc, soit dans des flacons de verre
bouchés à l'émeri ; c'est ainsi que se conserv ent les œufs
dont la coque a été imperméabilisée par un laitde chaux, etc.
La difficulté de l'accès de l'air sous les innombrables
bandelettes enduites de résines, à travers les cercueils
emboîtés et les chambres funéraires presque hermétiques,
explique en grande partie la conservation 30 ou 40 fois
séculaire des momies égyptiennes. Par là s'explique
aussi le succès des opérations sous-cutanées, et les ad-
mirables résultats du pansement ouaté inauguré par M. Al-
phonse Guérin. Mais, dans tous ces cas, on doit se deman-
der si c'est bien la soustraction du contact de l'oxygène
et de l'azote de l'air qui empêche la décomposition des
liquides et des tissus, ou si ce n'est pas plutôt la filtration
des germes de toutes sortes que l'air renferme presque
inévitablement.
Rien ne le prouve mieux que les expériences si curieuses
de Tyndall, Le savant anglais rend l'air optiquement pur en
badigeonnant les parois d'une petite chambre d'observation
avec de la glycérine, laquelle retient les germes et les pous-
sières qui se précipitent en vertu de leur densité ou de l'im-
mobilité absolue de cette atmosphère très limitée ; les tubes
contenant des liquides putrescibles mais stérilisés par la
chaleur, restent indéfiniment à l'abri de toute altération,
bien que largement ouverts par leur orifice supérieur au
milieu de cette boîte, où il ne reste que de l'air dépouillé
de tous ses germes.
Nous croyons que nous sortirions de notre sujet si nous
exposions ici les procédés employés par M. Pasteur pour
SOUSTRACTION DE L'AIR. 91
Stériliser ses liquides de cuicure, soit en empêchant, par un
bouchon de ouate surchauffée, les germes de l'air de
pénétrer dans un liquide bouilli à 110 degrés, soit en
fdtrant les solutions fertilisées, à travers des disques de
plâtre ajustés sur le ballon lui-même.
La filtration de l'air à travers le pansement ouaté est
une des conséquences et l'une des plus heureuses appli-
cations à la clinique, de la théorie des germes ; c'est un
champ nouveau ouvert à la méthode antiseptique ou
aseptique ; prévenir la putréfaction, c'est rendre inutile
par avance l'emploi des désinfectants. Sans vouloir trop
insister sur le conseil donné en 1879, à l'Académie de
médecine, par M. Pasteur, de préserver les voies respira-
toires et les muqueuses digestives par des masques en
ouate dans les foyers les plus redoutables des épidémies
de peste, de fièvre jaune, etc., il ne faut pas mécon-
naître que des inhalateurs garnis d'ouate pourraient,
dans certaines circonstances particulières et dans cer-
taines professions, permettre d'affronter impunément
des fléaux meurtriers ; rien ne prouve qu'on n'appliquera
pas un jour aux voies respiratoires, pour préserver de la
gangrène ou de la décomposition septique les poumons
enflammés ou de larges cavernes en pleine suppuration,.
le pansement ouaté qu'on réserve jusqu'ici aux trauma-
tismes des parties externes (1). 11 est d'ailleurs inutile
d'insister ici sur le pansement ouaté de M. Alphonse Gué-
rin, qui a ouvert une ère de succès éclatants pour la chi-
rurgie antiseptique.
ART. II. — DES ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
Une substance antiseptique ou désinfectante, pour mé-
riter vraiment ce nom et pour être utilisable au point de
(1) Depuis que ces lignes sont écrites, l'emploi des inhalateurs antisep-
tiques chez les phtisiques atteints de cavernes , a pris une grande
92 ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
vue hygiénique, doit remplir les conditions suivantes
1° N'être ni nuisible, ni toxique ;
2° Ne pas altérer la solidité ou la couleur des tissus,
n'être pas volatil ou inflammable ;
3° Empêcher la décomposition des matières d'une façon
permanente et efficace.
4° Détruire ou prévenir les mauvaises odeurs, et ne pas
dégager elle-même une odeur désagréable ;
5" Être à bon marché, d'une préparation et d'un em-
ploi faciles.
La plupart des substances qui détruisent chimiquement
la matière organique pourraient, à la rigueur, être rangées
parmi les antiseptiques (les acides minéraux, les causti-
ques); mais leur action trop énergique ou toxique leur en-
lève toute possibilité d'application à la pratique , il est
donc inutile de s'y arrêter.
Ensuite, tous les agents qui neutralisent les virus, tous
les antivirulents, sont à plus forte raison des antisepti-
ques ; qui peut le plus peut le moins ; de même un grand
nombre d'agents antiseptiques sont anti virulents quand ils
sont employés à une forte dose : l'on peut citer comme
exemple l'acide chromique et l'acide phénique. La distinc-
tion n'est pas toujours facile entre ces deux ordres d'agents ;
toutefois, pour faciliter l'étude et pour éviter les redites,
nous ferons l'histoire de chaque corps à l'occasion du groupe
auquel il se rattache le plus naturellement, nous réservant
d'indiquer par des renvois les pages où il en sera question
à un autre point de vue.
g I. EXPÉRIENCES
SUR LA VALEUR COMPARÉE DES ANTISEPTIQUES.
On a voulu induire la valeur de certains agents réputés
désinfectants ou antiseptiques de l'action que ces sub-
■cxlension en Angleterre, dans les derniers mois de l'année 1881, (Voyez
1)1US loin DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.)
EXPÉRIENCES SUR LEUR VALEUR COMPARÉE. 93-
Stances exercent sur la myrosine, l'émulsine, la diastase,
etc. L'on sait que si l'on introduit un peu d'amygdaline
dans de l'émulsion d'amandes douces, l'odeur d'amandes
amèrcs se développe aussitôt ; de même, si l'on introduit
de l'acide myrosique dans de l'eau où l'on aurait fait
digérer du tourteau de graines de moutarde blanche,
il s'en dégage l'odeur caractéristique de l'essence de
moutarde noire. C'est la réaction de la myrosine sur l'acide
myrosique qui engendre l'essence de moutarde ; c'est la
réaction de la synaptase sur l'amygdaline, qui fait naî-
tre l'essence d'amandes amères. On suppose que l'agent
de la réaction est une sorte de ferment. Certaines substances
empêchent cette réaction de la synaptase sur l'amygdaline,
etc. ; on a dès lors pensé que ces substances, détruisant le
ferment, pouvaient être capables de détruire aussi les
ferments de la décomposition putride et même les virus.
L'analogie est curieuse, elle n'est pas improbable, mais
ce n'est pas sur des hypothèses éloignées que doivent re-
poser les notions d'hygiène, et nous croyons plus simple et
plus pratique d'étudier la valeur des agents réputés désin-
fectants, par leur action directe sur les substances putres-
cibles.
La question des fermentations et des antiseptiques a pris
une face si nouvelle, en ces dernières années, qu'il nous
paraît inutile de remonter dans un passé relativement ré-
cent, pour rechercher sur quelles bases on appréciait la
valeur des antiseptiques. Naguère encore, les expérimenta-
teurs se contentaient de la méthode empirique et très
pratique, qui consiste à mettre des matières fermentes-
cibles ou facilement altérables en contact avec des agents-
réputés désinfectants, et à noter le jour où apparaissent les
premiers signes de la décomposition.
Angus Smith (1) a placé dans des flacons, différents
(1) R. Angus Smith, Disinfectants and disinfection. Edinburg, 1869 ;.
1 vol. in-S» de 136 p.
<)4 ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
gaz ou composés volatils, en contact avec des morceaux
de viande d'un pouce d'épaisseur sur trois pouces de long,
suspendus par un fil aux bouchons paraffinés qui fermaient
hermétiquement les flacons ; ceux-ci étaient conservés
dans le laboratoire, à la température de -)- 1S° à 20° centi-
grades. Il obtint les résultats suivants ; malheureusement
il ne fait pas connaître avec quelle dose ou quelle propor-
tion de l'agent antiseptique il les a obtenus :
Le 7« jour. Le '28"= jour.
i Viande un peu blanche et dur- \
cie. Légère odeur de chlore; \ Même aspect,
putréfaction nulle. )
( Couleur jaune pâle de la vian- \
Brome < de;légèreodeurd'acidebrom- \ Excellent état.
( hydrique; excellent état. )
Iode i Tissu desséché, jaune foncé ; ) -p^.^^ ^^^^ ^^^^_
\ très bon état. j
Acide chlorhydriquel Nulle odeur; très bon état. | Sans changement.
( Odeur un peu douceâtre ; bon ^ ,r. , .,,
Protoxyde d'azote | ^i^^j, ^ | Viande gatee.
Acide nitreux.... ] Très bon état. j Sans changement.
( Odeur putride , viande vis- *
Acide carbonique. | ^^^^^^^
i Viande en très bon état; lé- ^
Acide sulfureux.. | gère odeur d'acide sulfu- ( Même état.
' reux. ;
Éther } Légère décoloration ; très bon f Même état.
l état. j
Huile lourde de f q^^^^. putride.'
goudron (
Peroxyde d'hydro- { Putréfaction complète,
gène [
De même, il plaça dans des flacons de 900 centimètres
'Cubes des morceaux de viande fraîche, de poids et de vo-
lume égaux ; il y versait S gouttes d'une des substances
volatiles ci-dessous énumérées. Il a classé ces dernières
dans l'ordre suivant, en mettant au premier rang celle
dont le pouvoir conservateur lui paraît le plus grand :
1» Acide crésylique (solution alcoolique saturée) ; éther amylique.
2o Acide phénique (solution alcoolique) ; créosote.
EXPÉRIENCES SUR LEUR VALEUR COMPARÉE. 95
3» Huile essentielle «le raovUarde.
4» Huile essentielle d'amandes amôres.
5° Acide acétique pur; acide pyroligneux; essence de pommes de pin.
6» Huile de genévrier; aniline; essence de menthe; huile essentielle
de rhue.
7' Térébenthine ; essences de lavande, de valériane, de cumin, de
romarin, etc.; eau phosphorée {odeur fétide le 12" jour).
8» Essences de canellc,. de thym, de peau d'oranges, de bergamoltc,
d^ citron, d'anis ; naphtaline; nitro-benziue ; camphre; gonimc
d'assa-fcelida ; pétrole pur du Canada.
On ne peut le contester, ces expériences, faites pour la
plupart avec des substances qu'il est difficile de se pro-
curer en quantité suffisante, n'ont qu'un intérêt de curio-
sité : ce sont à vrai dire des expériences de laboratoire,
sans possibilité d'application pratique.
En 1872, M. le D' Petit (1) se plaçant lui aussi exclusi-
vement au point de vue du résultat empirique, a cherché
dans quelle mesure la plupart des substances chimiques
journellement employées empêchent ou retardent la dé-
composition d'un liquide éminemment fermentescible. Il
préparait un liquide de culture avec 1 litre d'eau, 400 gram-
mes de sucre de canne et 100 grammes de levure de Hol-
lande presque sèche; dans 1 décimètre cube du mélange,
il ajoutait une solution à 10 p. 100 de l'agent réputé capa-
ble de prévenir la fermentation. Il appréciait l'activité de
la fermentation en mesurant, sous une éprouvette remplie
de mercure, la quantité d'acide carbonique dégagée.
Nous ne croyons pas utile de reproduire ici le tableau
très étendu qui contient les résultats obtenus, parce qu'il
ne fournit pas d'indications pratiques assez rigoureuses;
mais ce tableau pourra être consulté par ceux qui veulent
étudier l'effet de certaines substances qui ne sont que très
accidentellement employées comme antiseptiques : c'est
ainsi que nous voyons le sulfate de nickel rangé dans le
(1) A. Petit, Note sur les substances antifermentescibles. {Comptes rendus
de r Académie des sciences, i4 octobre 1872, et Journal de physique et de
chimie, juin 1874.)
90 ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
petit groupe des agents qui empêchent la fermentation, à
côté du bichlorure de mercure et des sels de cuivre.
Avec le D'' O'Nial (1) et beaucoup d'autres que nous
pourrions citer, nous commençons à voir la date d'ap-
parition des protorgarnismes dans les liquides putrescibles
servir à mesurer la valeur des antiseptiques. Le docteur
O'Nial qui a fait ses expériences à Dublin et à l'école de
Netley en 1811, a pris pour base d'appréciation une sub-
stance toujours identique à elle-même ; il a dû éliminer la
matière d'égout, qui semblait avantageuse au premier
abord, mais qui ne peut être retrouvée à tout moment de
composition identique. Il a alors composé un liquide ob-
tenu par l'infusion d'une quantité bien déterminée de bœuf
très frais dans de l'eau distillée; le liquide refroidi était
filtré, parfaitement dégraissé, parce que la graisse s'accu-
mule inégalement dans le mélange et dans les liquides de
composition différente. Une quantité- précise de ce liquide
filtré était évaporée, pesée, incinérée, puis pesée de nou-
veau, afin de doser exactement la proportion de matière
organique qu'elle contenait. La solution initiale était très
concentrée, de manière à pouvoir être facilement étendue
dans de l'eau distillée ; de la sorte on pouvait toujours avoir
des solutions plus ou moins étendues, contenant 50 centi-
grammes de matières organiques pour 100 grammes d'eau.
On pesait alors une quantité de l'agent antiseptique,
on le diluait dans un volume déterminé d"eau distillée
filtrée, et capable de faire avec la solution de bœuf primi-
tive un mélange contenant les proportions de matières or-
ganiques indiquées au tableau, soit 1 partie de l'agent anti-
septique pour 1 à 50 parties de matières organiques.
Quand l'agent désinfectant n'était pas suffisamment so-
luble dans l'eau, les quantités étaient pesées séparément,
réduites en pâte avec quelques gouttes d'eau distillée, et
(1) O'Nial, The relative poiver of some reputed antiseptic agents.
[Army médical Report for 1871 ; London, 1872, p. 202.)
EXPÉRIENCRS SLR LEUR VALEUR COMPARÉE. 97
mêlées avec rinfusion de bœuf. On conservait comme point
de comparaison un bocal rempli simplement d'infusion de
bœuf, sans addition d'aucun désinfectant et placé à l'abri
du soleil dans un lieu bien ventilé. La température a varié
entrelesmaxima-h 15° et + 28° centigrades, et les minima
+ 5" à-H 12° centigrades. Le contenu de chaque verre était
chaque jour examiné au microscope, et les résultats étaient
inscrits aux tableaux précédents.
Des expériences préliminaires furent faites avec les
agents suivants :
1. Thymol. 9. Chloralum.
2. Zylol. 10. Chlorure d'aluminium.
3. Chlorure de chaux. 11. Chlorure de zinc.
4. Chlorate de soude. 12. Permanganate de potasse,
.5. Chlorate de potasse. 13. Sulfate do cuivre.
6. Sulfate de zinc. 14. Bisulfite de soude.
7. Chlorure de magnésium. lo. Acide phéniquc.
8. Bisulfite de chaux. ' 16. Bichromate de potasse.
Le résultat de ces expériences fît voir que les huit pre-"
miers agents n'ont que peu ou pas de pouvoir désinfec-
tant, et l'on cessa dès lors de s'en occuper. On avait essayé
tout d'abord le thymol et le zylol, parce qu'à cette époque
on expérimentait leur action à l'intérieur, dans la variole
qui sévissait alors à Dublin, comme contrôle de tentatives
faites en Allemagne. Ces deux agents furent trouvés sans
aucune valeur pratique. Le tableau ci-dessous indique le
rang attribué par M, O'Nial aux substances qu'il a étudiées.
Les agents qui méritent véritablement le nom d'antisep-
tiques sont en effet ceux qui empêchent le développement
des germes microscopiques, des ferments, des microbes.
Nous nous garderons bien de discuter ici la théorie à la-
quelle M. Pasteur a attaché son nom ; nous ne discuterons
pas la question de savoir si la présence de protorganismes
spéciaux est la condition sine quâ non, absolue, de toute
fermentation quelle qu'elle soit. 11 nous suffit de savoir
Vallin. — Désinfectants. 7
'J8
ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
Expériences de O'Nial sur la
Pr01>ORT10.-V de l'agent A.MISEPTIQUE : ANTISEP. — i
PUOI'ORTIOA- DE LA MATIERE ORGA.MQIE DESSÉCHÉE . MAT. ORG. = 1
IN OMS
des
Ai\TISEPÏlt>rES.
(Miloi'aliim
(Chlorure (r;il(imiiuiiiu
C.lilorurc (le zinc
Pcrmaiigaiiale de potasse ....
Sulfate tic eiiivri'
Bisulfite (le soude
Acide carbf^lifiue de Caivert ii" 'i
Bichromate de potasse (1). . . .
ANIMAL-
CILES
ANTISEP. = 1
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ANIMAL-
CULES
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(1) Avec des proportions plus faibles de bichromate (1 p. 00 et même, p. 120 de matière organique
sèche), mcîoie absence de signes de décomposition, pendant 21 jours. — Avec la proportion 1 : 150, on
voit apparaître le 11" jour une grande abondance d'animalcules, le 21« jour une k^gèrc odeur, et le 21" jour
U n'y avait pas encore d'odeur vraiment dcisagrcablc.
EXI'ÉUIENCES SUR LEUR VALEUR COMPARÉE.
99
valeur comparée des antiseptiques.
AiNTlSEP. ^ 1
MAT. OKG. = 8
A.MMAI,-
cri.r.s
ANTISEI». = 1
MAT. OKG. = 12
A^OIAI,
Cl LES
A>'TISK1\ = 1
MAT. OKG. = 10
A>IMAI,
CL'I.F.S
AMTISEP. = 1
MAT.011G. = 20
ANIMAL-
CULES
ANTISEP. = 1
MAT. OKG. =30
AMMAL
CLLES
liifusioiidcbaHif,
coiitenaiil
05'-,Oy-2i);irlOIJ"'.
aliandoiuico
à elle-mcmo.
AMMAL-
CLLES
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0
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0
11
G
V4
0
\-4
100 ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
qu'en empêchant l'accès, ou en détruisant la vie de ces mi-
crobes, on prévient et on arrête le travail de décomposi-
tion qui se produit dans tout liquide ou tissu organique.
Nous avons là un critérium excellent pour apprécier la
valeur des antiseptiques ; depuis quelques années, l'expé-
rimentation s'est faite sur une large échelle, il n'est pas
douteux que nos connaissances sur la valeur de ces
agents ne soient devenues plus rigoureuses et plus complè-
tes. Toutefois il ne faut pas s'exagérer outre mesure la
valeur à accorder à de telles expériences. On ne peut plus
douter que les espèces de bactéries varient singulièrement
entre elles ; malgré l'identité souvent parfaite de leurs ca-
ractères morphologiques, certaines bactéries ont des pro-
priétés, une résistance aux agents extérieurs, une toxicité
très différentes. A peine a-t-on commencé à apporter
un peu de lumière dans cette classification, où les appel-
lations se multiplient à l'infini. Il se pourrait donc très
bien qu'un agent réputé antiseptique détruisît la plupart
des protorganismes d'une innocuité parfaite, et restât
inefficace contre tel autre qui est réellement pathogène,
capable d'engendrer des maladies.
MM. Gosselin et A. Bergeron (1) se sont placés, eux aussi,
dans leurs séries d'expérimentation, au point de vue de
la pratique chirurgicale pour juger la valeur relative des
agents antiseptiques. Ils ont étudié le retard que les agents
apportent à la putréfaction, caractérisée par l'apparition
de vibrions et de bactéries. Un gramme de sang frais ou
de sérum était placé dans chaque tube, dans l'un, sans
aucune addition, dans les autres avec six gouttes d'un
des antiseptiques suivants. Les résultats sont rendus plus
frappants par le tableau ci-dessous.
(1) Gosselin el, A. Bergeron, Études sur les effets et le mode d'action des
substances employées dans les pansements antiseptiques. (Comptes rendus
de l'Académie des sciences, 29 novembre 1879.) — Recherches sur la valeur
antiseptique de certaines substances et en particulier de la solution alcoo-
ique de gaultheria. (Archives générales de médecine, ianyier 1881, p. 16.)
FAPÉRIENCES SUR LEUR VALEUR COMPARÉE.
Expériences de MM. Gosselin et A. Bergernn .
101
Sang ou sérum pur.
— -|- 6 gouttes d'acide pliénique au lOO
— -\- 6 gouttes d'acide pliénique au 50»
— + 6 gouttes d'eau-de-vie camphrée.
— + 6 gouttes d'alcool à SG""
— + 6 gouttes d'alcool camphré. . . .
— + 6 gouttes d'acide phénique au 20'^
DEBUT DE LA PUTREFACT10>i
SAiNG.
3« à 4» jour
¥ à ^à" »
5= à 6° «
6" à 7" »
T-' à 8=^ »
"" à 8" »
i" jour
8e »
•10" »
l-i" »
ÎN'ulle trace
de putréfaction
après le 24= jour) au SO"^ jour.
MM. Gosselin et Bergeron ont tenu à reproduire ri-
goureusement les conditions matérielles du pansement de
Lister. Ils ont versé dans différentes ampoules une
couche de sang de même épaisseur; l'une de ces am-
poules était recouverte d'une simple tarlatane sèche ; les
autres étaient recouvertes de tarlatane humectée de solu-
tion phéniquée ou d'alcool ; la putréfaction suivit exacte-
ment la même marche que dans la seconde colonne du
tableau. Enfin, ils soumirent chaque matin, sous une
cloche, pendant quinze minutes, des ampoules contenant
20 grammes de sang frais à des pulvérisations soit avec
l'alcool à 86", soit avec la solution phéniquée au 20*.
Dans le premier cas, la putréfaction ne s'est montrée que
le 9^ jour : avec l'acide phénique, il n'y en avait encore
aucune trace au 30° jour.
Dans un travail plus récent, les mêmes auteurs ont
continué leur expérimentation sur les solutions de chloral,
de sulfate de zinc, de tannin, sur le baume du comman-
deur, la teinture d'iode, les solutions alcooliques d'essence
de gaulthéria ou de -winter-green. Nous analyserons leurs
résultats à l'occasion de chacun de ces agents en parti-
culier.
L'un des premiers auteurs qui ait étudié d'une façon
102 ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
complète, méthodique, rigoureuse, l'action des substan-
ces réputées antiseptiques sur les protorganismes dans
les liquides au contact de l'air, Biicholtz (1) , avait déjà
pressenti que l'identité morphologique des bactéries n'im-
pliquait nullement l'identité physiologique ; il avait soup-
çonné que les antiseptiques agissent plus ou moins éner-
giquement sur les bactéries, selon le liquide où on les a
cultivées. P. Kûhn, Th. Haberkorn (2), dans deux disser-
tations inaugurales soutenues la même année à Dorpat,
contrôlèrent ces assertions encore hypothétiques et les
confirmèrent pleinement. Bucholtz avait fait toutes ses
expériences sur les antiseptiques dans un liquide presque
identique à celui de Pasteur, et auquel il a donné son
propre nom :
Sucre candi 10 grammes.
Tartrate d'ammoniaque .... 1 —
Phosphate de chaux Os"", 50
Eau distillée " 100 cent, cubes.
Kiihn (3) opéra sur des infusions de pois, de blanc
d'œuf, de seigle ergoté; Haberkorn fit surtout agir les anti-
septiques sur les bactéries nées et développées dans l'urine
alcaline. Les tableaux dressés par ces auteurs montrent
qu'il faut des doses notablement différentes d'un même
antiseptique, pour détruire les bactéries nées dans ces
divers liquides de culture.
Dans un mémoire tout récent (4), le D'' Nicolaï Jalan
(1) Leonid Bucholiz Antisepfica und Bakterien; — Untersiichungemiber
der Temperatur auf Bakterien-Veç/etation. {Archiv fïir experimenteUe Pa-
tholog., 18"o. T. IV, p. 1-81, el p. 159-168.) — Uber das Yerhalten von Bak-
terien zu einingen Antiseptica ; Dissertation inaugurale. Dorpat, 1876.
(2) Th. Haberkorn, Das Yerhalten von Harn-baklerien gegen einige An-
tiseptica. Dorpat, 1879.
(3) P. Kûhn, Ein Beitrag ziir Biologie der Bakterien. laaug. -Dissert.
Dorpat, 1879.
(4) D" Nicolaï Jalan de lu Croix, Das Yerhalten der Bakterien das Fleis-
chivassers gegen einige Antiseptica. {Archiv fur experimenteUe Patho-
logie, 20 janvier 1881, T. XIII, p. 175 à 253 )
EXPÉRIENCES SUR LEUR VALEUR COMPARÉE. 103
de la Croix vient de re})rendre ces expériences sous la
direction du professeur Dragendorff, à l'institut anatomo-
patliologique de Dorpat (1). Nous ne pouvons mieux faire
que de lui emprunter, en en changeant un peu la dis-
positron, les tableaux comparatifs qu'il a dressés à l'aide
des résultat obtenus par les auteurs précédemment cités.
Les résultats de ces recherches peuvent être exprimés par
les trois propositions suivantes :
1° Les bactéries nées dans des liquides différents n'ont
pas la même résistance à un même antiseptique.
2o Les bactéries résistent mieux à l'action des antisep-
tiques dans leur milieu d'origine, que dans un liquide de
culture différent.
3° Il en est de même pour les corpuscules-germes ; ces
spores presque invisibles ou germes sont plus difficile-
ment stérilisés dans le liquide d'origine des bactéries qui
les ont produits, que dans le liquide de transplantation où
ces bactéries adultes ont été détruites par les antisepti-
ques.
Les tableaux qui vont suivre aideront sans doute à l'in-
telligence et à la démonstration de ces propositions.
Le tableau I montre à quel point la différence du liquide
de culture fait varier la résistance des bactéries. Tandis
qu'une solution d'acide phénique à 1 p. 500 arrête le déve-
loppement des bactéries nées dans une infusion de graines
de tabac, il faut une solution phéniquée à 1 p. 100 pour
déti^uire les bactéries nées dans l'infusion de pois ou de
blanc d'œuf.
Les bactéries, disions-nous, résistent mieux à l'action
des a7itiseptiques dans leur milieu originel ([ue dans un
[\) M. le Dr Zœller a bien voulu, sur notre demande , faire de ce
mémoire un résumé que nous a singulièrement facilité la lecture de l'im-
portant, mai-: très long (80 pages), travail de Jalan de la Croix ; nous
prions notre jeune et distingué collègue de recevoir ici tous nos remer-
ciements
104
ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
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KXPÉKIKNCRS SUR LEUR VALEUR COMPARÉE. 105
liquide de eulture différent. Si l'on expérimente, par
exemple, sur des bactéries nées dans l'infusion de tabac,
il faudra peut-être ajouter un gramme de désinfectant à
une infusion de tabac où l'on aura porté ces bactéries,
pour les détruire et en arrêter le développement, tandis
TABLEAU II.
Sublimé
Thymol
Benzoate de soiule.
Créosote
Carvol
Aride pliénique . .
Les bactéries
nées
dans l'infusion de tabar
et cultivées dans le liquide
de liuclioltz
additionne des
proportions suivantes
de désinfectant.
sont
détruites.
-20,000
2,000?
2,000
1,000
1,000
500
4,000?
2,119
i,-2oO
2,000?
1,000
Les bactéries
nées
dans l'urine alcaline et
cultivées
dans l'urine additionnée des
proportions
suivantes de désinfectant,
sont
détruites.
1 : 25,000
1 : 3,000
27,300
3,230
873
300
360
100
que 30 centigrammes du même antiseptique suffiront pour
détruire ces mêmes bactéries du tabac transportées dans
le liquide de culture de Pasteur.
Le tableau II démontre cette différence, et sans doute
aussi la résistance plus grande des bactéries nées dans
l'urine alcaline, que des bactéries nées dans l'infusion de
tabac.
3" De même, iU est plus difficile de stériliser les cor-
piiscules-germes ou spores dans le milieu d'origine des
106 ANTISEPTIQUES EN GENERAL.
bactéries, que dans un liquide de culture différent de
celui où ces bactéries sont nées.
On fait naître des bactéries dans une infusion de tabac;
en ajoutant à cette infusion de tabac un gramme, par
exemple, d'un désinfectant, les bactéries adultes périssent
ou du moins cessent de se développer ; mais les corpus-
cules-germes dans lesquels elle se résolvent ont une résis-
TABLEAU III.
Résistance variable des corpuscules-germes aux antiseptiques,
dans leur milieu d'origine et dans le liquide de traiisplantatimi.
DOSES D'AiNTISEPÏIQUE NÉCESSAIRES
POUR DÉTRUIRE SANS RETOUR
LA VITALITE
des
des
des
corpuscules-sermes
corpuscules -germes
corpuscules -germes
des bactéries
des bactéries
des bactéries
nées dans l'infusion
nées dans le jus
nées dans la présure
de tabac,
do viande
de lait
et transplantées
et transportées
et transportées
dans le
dans
dans
liquide de Pasteur.
le jus de viande.
le petit lait.
Chlore
1 : 27,777
1 : 431
1 : 4-46
Iode
5,71 i
/ilO
1000
Brome
3,33.3
336
348
Acide sulfureux .
6615
190
156
Acide benzoïque .
250
121
156
Thymol
200
20
50
Acide salicylique .
362
Plus de 1 : 35
200
Alcool
4,5
Plus de 1 : 1,18
1,5
tance beaucoup plus grande que les bactéries adultes, et
une goutte de cette infusion de tabac, dans laquelle l'ad-
dition d'un antiseptique vient de suspendre toute mani-
festation de vie, peut servir à ensemencer une infusion de
IvM'KHlEN'CES SL'R LEUIl VALEHK CUMl'AKÉH. 107
tal)a(' fi'aiclKmiont prrpai'éeà l'abri de l'air. Pour ompêchor
cet ensemencement, pour stériliser les germes, ce n'est
plus un gramme, c'est i)eut-ètre deux grammes d'antisep-
tique qu'il aurait fallu ajouter à l'infusion de tabac oi^i re-
muait tout à l'heure une légion de bactéries ; au contraire
un gramme du même désinfectant ajouté au liquide de
Pasteur dans lequel on a porté ces bactéries de tabac,
pourra détruire, stériliser les mêmes germes, et rendre
impossible l'ensemencement d'une infusion fraîche de
tabac avec quelques gouttes du liquide de Pasteur désin-
fecté. Il se produit donc une sorte d'accoutumance, de to-
lérance des germes dont nous aurons à montrer plus d'un
exemple (acide phénique, acide salicylique), et qui rend
parfois fort difficile la destruction complète et définitive
de toute végétation parasitaire. C'est ce que montre le
tableau III.
La démonstration est peut-être plus frappante encore
dans le tableau suivant (tableau IV) emprunté à Jalan de
la Croix, oi^i l'on peut comparer Faction d'un seul et même
antiseptique, le sublimé, sur des bactéries d'origine diffé-
rente.
Ainsi donc nous voyons :
I. Que pour tuer des bactéries nées dans une infusion
de blanc d' œuf et transportées dans une infusion de blanc
d'œuf où l'on verse une certaine quantité de sublimé, il
faut une dose de sublimé plus forte que pour tuer les
mêmes bactéries transportées dans le liquide de Bucholtz.
La vitalité des bactéries est donc plus forte et plus persis-
tante dans leur milieu d'origine.
IL Pour détruire la vitalité, non plus des bactéries, mais
des spores des bactéries nées dans l'infusion de blanc
d'œuf, il faut ajouter au liquide de culture une dose de
1 p. 2,673 de subhmé, quand ce liquide de culture est
une infusion de blanc d'œuf, tandis qu'il suffit d'une dose
trois ou quatre fois moindre de sublimé, 1 p. 20,2S0,
108 ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
quand le liquide de culture est autre que celui où elles
sont nées (tableau V). Ces distinctions sont un peu sub-
tiles, et il est difficile de les exprimer en une formule con-
cise; elles sont cependant très nettes, et elles montrent
combien le problème est complexe.
Les auteurs que nous venons de citer ont opéré sur des
bactéries d'origine si différente, et transportées dans des
liquides si variés, qu'il est difficile d'en tirer des conclu-
sions pratiques sur la valeur réelle de chaque antisepti-
que : on le voit par les tableaux qui précèdent, les séries
sont à chaque instant interrompues pour un même agent
TABLEAU IV.
Montrant l'influence du milieu d'ongitie et du milieu de trans-
formation sur la résistance: 1° des bactéries^ 9.° de\ leurs spores,
à un même agent désinfectant {sublimé), d'après Jalan de la
Croix.
NATURE
du
liquide de transplantation.
Liquide d'origine. .
Liquide de Buclioitz
On transplante
dans
un liquide contenant du
sublimé
des bactéries nées dans
rinfusion
de blanc d'œuf.
Elles
sont détruites
par
1 : 16,910
1 : (>2,7âO
Elles
résistent à
1 : 23,250
1 : 83,583
La faculté
de
reproduction des spores
nées dans l'infusion
de blanc d'œuf, et soumises
à l'action
du sublimé
est conservée
par
est détruite
par
1
: 6,275
1
: 20,250
1 : 10,025
1 : 22,977
désinfectant. Jalan de la Croix a entrepris de recommencer
ces recherches pour tous les antiseptiques , en opérant
toujours dans les mêmes conditions. Il a consigné les
conclusions de cet énorme travail dans le tableau VI,
EXPERIENCES SUR LEUR VALEUR COMPAREE. 109
TABLEAU V
Indiquant la résistance différente des bactéries et de leurs spores.
Chlore iiazoux
Iode métallique . . . .
Brome
Acide sulfureux . . . .
Sublimé corrosif. . . .
Benzoate de soude. . .
Thymol
Acide bcnzoique. . . .
Créosote
Acide salicyliquc. . . .
Eucalyptol
Acide phéuique. . . . .
Salicylate de soude. . .
Acide sulfurique. . . .
Acide borique
Sulfate de cuivre. . . .
Acide chlorhydrique . .
Chlorhydrate de quiuiiie.
Sulfate de zinc
Alcool
Les bactéries vivantes,
en
plein développement,
nées
dans l'infusion de graines
de tabac,
puis transportées
dans le liquide de culture
de Bucholtz-Pasteur,
additionné
des proportions suivantes
de désinfectant,
1 sur "20,000
— 2,000
— 2,000 ?
— 1,000
— 1,000?
— 932
— 666
— . 500
— 217
— 132
— 133
— 133
— 75
— 30
— 50
Isur 50?
1 sur
— 1
— 1
— 1
— 1
,119
,000
,250
,000?
,863
,000
,000
.133
202
200
200
100
63
67
31?
Doses ([ui stérilisent
sans retour
les germes des bactéries
du tabac,
transportées dans le liquide
de Buchollz,
stérilisent
Isur 27,777
— 5,7Ii
— 3,333
— 666
— 200
— 230
— 100
— 362
— 161
1 sur 1,5
ne stérilisent
pas
1 sur 33,333
— 6,il0
— 5,000
— 1,104
- 1,000
- 340
- 200 .
675
- 50?
- 208
1 sur 4,78
110
ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL
TABLEAU
ANTISEPTIQUE :
(Proiiorliuiis calciilùes eu poids du
coi'iis tliimiquciiient pur)
Sublimé
Chlore
Chlorure de chaux (à 'JiC> de
Acide suH'ureux'. ....
Acide sull'uriquc
Brome
loilc luétalliquc
Acétate d'alumiue. . . .
Esscuce de moutarde . .
Acide beuzoïijue
Borosalicylate de soude .
Acide picrique
Thymol
Acide salicyliquc ....
llyperraanganale de polas
Acide phénique
Chlorol'oriue
Borate de soude
Alcool
Eucalyptol .
Dose en poids
qui empêche
le développement..
dans du boulllou
neuf,
des bactéries
qui
y sont directement
portées par
quelques gouttes
de
bouillon infecté
oinpi'clic
-25250
30208
M 135
GiiS
5734
(J308
5020
i26S
3353
2HG'
28G0
2005
13 in
1003
1001
6(50
90
62
21
11
n'cmpî'tlio
pas
50250
3"/0i9
13092
8515
8020
78iï
668'/
5'i35
57 3 'i
1020
3041
2229
112
r.33
1002
1)2
77
35
20
B
Dose qui stérilise
les germes
des bactéries
directement
portées dans le
bouillon
Jie
itérilise
pas
10250
4911
188
■135
205
769
59
220
50
303
706
109
3 13
100
22
12750
G82i
G-;8
223
306
1912
2r 10
80
306
77
394
841
212
454
150
42
0,8
14
8
2.0
II.
Dose qui tue ''
les bactéries déjii
eu plein
développement •
dans
le bouillon
5805
22768
3720
2009
2020
2550
1518
427
591
ilO
72
1001
109
60
150
22
112
18
.1,4
116
tue pas}
C500
30208
4iGU
498^.
3353
4050
2010:
835!
820-
510
110
1Ï33
212
78
200
42
134
69
6
205
EXPÉRIENCES SLIU LEUR VALEUR COMPARÉE.
111
II.
^
III.
î
n
B
V
A
!
■ se qui stérilise
li's germes
ics bactéries
ainsi
immobilisées
Dose (|iii oiiipèciic
le
développement
spontané
(les bactéries
dans
le jus de viande
cuit
abandonné
à l'air libre
Dose qui stérilise
les (jermes
des bactéries
développées
s 1» 0 n t a n é m e n t
dans
le bouillon cuit
Dose qui empêche
le
développement
spontané
des bactéries
dans
le jus de viande
cru
abandonné
à l'air libre
Dose qui stérilise
les germes
des bactéries
développées
spontanément
dans
le jus de viande
cru
jrilisc
ne
stérilise
pas
cnipi'fhc
n'eiiipùchc
pas
stérilise
ne
stérilise
pas
empêche
n'empêche
pas
stérilise
ne
stérilise
pas
1-i.jnii
1 : ôL'jO
1 : 10250
1 : 12750
1 : C500
1 : 10250
1 : 7168
1 : 8358
1 : 2525
1 : 3358
431
1 : 460
i : 2SS31
1 : 31589
1 : 1008
1 : 1021
1 : 15606
1 : 23182
1 : 1061
1 : 1304
170
1 : 258
t : 3148
1 : «10
1 : 109
1 : 134
1 : 286
1 : 519
1 : 153
1 : 286
190
1 : 2-73
1 : Solo
1 : 126i9
1 ; 325
1 : 422
1 : 12649
1 : 16182
1 : 135
1 : 223
116
1 : 205
1 : 5731
1 : 8020
1 : 306
1 : 420
1 : 3353
1 '■ 5134
1 : 72
1 : 116
336
1 : 550
1 : 13931
1 : 20315
1 : 493
1 : 603
l 5597
1 : 8315
1 : 875
1 : 336
410
1 : 510
1 : 10020
i : 20020
1 : 510
1 : 124
1 : 2010
1 : 2861
1 : 813
1 : 919
64
1 : 92
l : 1268
1 : 4118
1 : 937
1 : 1244
1 : 6310
1 : 1535
1 : 478
1 : 584
28
1 : 'ii.i
1 . 3353
1 : 5134
1 : 77?
1 : 108?
1 : 3353
1 : 153'j
1 : 40?
1 : 00?
121
1 : 210
1 : 2877
1 : 4020
1: 50
1 : 11
1 : 1439
1 : 2010
1 : 77
1 : 121
30
1 : 50
1 : 1313
1 : 1694
1 : 35
1 : 50
1 : 2860
1 : 3111
1 : 35
1 : 50
150
1 : 200
i : 2005
1 : 3041
1 : 200
1 : 300
1 : 2005
1 : 3041
1 : 100
1 : 111
20
1 : 36
1 : 1340
1 : 2229
1 : 109
1 : 212
1 : 134C
•1 : 2229
1; 20
1 : 36
3)
1 : 35
1 : 3003
I : 6004
1 : 003
1 : 1003
1 : 1121
1 : 1617
1 : 343
1 : 450
; 150
1 : 200
1 : 2005
1 : 3041
1 : 101
1 : 150
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l: '.
l : 102
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1 : 22
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1 : 502
1 : 069
»
1 : 10
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l : 0,8
»
»
»
»
1 : 103
1 : 134
»
1 : 1 22
»
l : 12
1 : 30
1 : 43
»
1 : 1']
1 107
1 : ICI
»
1 31
»
1 : 1,18
1 : 11
1 : 21
1 : 1,77
1 : 2,03
1 : 21
1 : 30
»
1 1,42
»
l : 5,G3
J : 20
1 : 29
1 : 14
1 : 205
1 : 308
^
1 : 30
112 ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
dont la lecture est assurément difficile, mais qui est un
véritable répertoire à consulter pour apprécier le mérite
des divers agents antiseptiques. Nous croyons devoir
exposer le procédé suivi par l'auteur ; c'est le moyen de
bien faire comprendre la signification des résultats indiqués
dans chaque colonne du tableau.
Toutes les expériences ont été faites avec le même liquide
de culture, le bouillon ou jus de viande, qui a tant d'analo-
gie avec le liquide des tissus vivants, et dont Pasteur a
démontré récemment la supériorité pour la plupart des
cultures artificielles. Jalan de la Croix racle de la viande
maigre avec des fragments de verre ; il mêle un gramme
de cette pulpe à 40 centimètres cubes d'eau distillée. Ce
mélange légèrement acide est employé tantôt d'emblée sans
ébuUition {bouillon cru), tantôt après ébullition pendant
une demi heure (boinllon cuit). Ces bouillons se peuplent
facilement de bactériÊS par l'exposition à l'air, tandis que
cet ensemencement spontané s'obtient difficilement dans
le liquide de Bucholtz-Pasteur. D'autres fois, il ensemence
directement le bouillon de viande en y portant quelques
gouttes d'un bouillon infecté déjà de bactéries en plein dé-
veloppement ; nous allons voir que la résistance des bacté-
ries n'est pas la même, quand elles se sont développées
spontanément par les germes contenus dans l'air, ou quand
elles résultent d'une transplantation directe.
Nous indiquons ici la signification des 4 séries de ré-
sultats qui figurent au tableau VI :
I. Dose minimum de substance antiseptique capable
d'empêcher du bouillon ou jus de viande vierge, de se
remplir de bactéries, quand on l'ensemence avec deux
gouttes de bouillon chargé de bactéries bien développées.
II. Dose nécessaire pour tuer ou immobiliser dans du
bouillon les bactéries qui y sont très vivantes et en plein
développement.
in. Dose nécessaire pour empêcher le développement
EXPERIENCES SUR LEUR VALEUR COMPAREE. Itâ
quasi-spontané dans du bouillon cuit, des germes de bac-
téries contenus dans l'air.
IV. Dose nécessaire pour empêcher le même dévelop-
pement spontané dans du bouillon cru.
Chaque série de résultats se compose de deux parties
désignées par les lettres A et B : A indique la dose qui tue
les bactéries proprement dites, ou les empêche de conti-
nuer à se développer, quand on les transporte dans un li-
quide nouveau qu'on veut infecter, B indique la dose qui
a détruit la vitalité des spores persistantes, des corpuscu-
les-germes, en lesquels se résout d'ordinaire une bactérie
qui disparaît.
L'on sait quelle est la résistance aux agents extérieurs,
mécaniques et chimiques, de ces corpuscules-germes dont
Tyndall(l) et M. Pasteur ont montré le rôle ei l'importance.
Il importe peu que la bactérie soit détruite, si elle laisse
derrière elle une graine, un germe capable de la repro-
duire. La petitesse de ces germes est telle, que les plus
forts grossissements sont souvent incapables d'en démon-r
trer la présence ; la réalité de leur existence n'est démon-
trée que par le succès ou l'insuccès de l'inoculation du
liquide qui les contient, suivant que ce liquide en a été
ou non complètement débarrassé par la filtration pneu-
matique à travers un disque de plâtre.
M. Pasteur a montré que certaines de ces spores, surtout
quand elles sont desséchées, résistent à l'ébullition, à la
putréfaction, à l'action d'acides énergiques, etc. Pour s'as
surer que leur vitalité n'était pas définitivement éteinte,
Jàlan de la Croix, comme Bucholtz et Kiihn, portait dans
le hquide de culture le plus favorable et le mieux appro-
prié, une goutte du liquide où les bactéries qu'on venait
(1) Tyndall, Further researchcs on the deportment and vital résistance
of putrefactive and infective germs, from a pfujsical point of view.
(Philosophical Transactions of the R>yal Society.— Vol. 167 th. p. 149 à
206.)
Valli.n. — Désinfectants. 8
114 ANTISEPTIQUES EN GÉNÉRAL.
de détruire par une dose d'antiseptique avaient dû laisser
leurs germes ; le succès de cet ensemencement était la meil-
leure preuve que la semence n'avait pas cessé de vivre.
Les tableaux qui précédent montrent de la façon la plus
nette que jwur détruire sans retour la vitalité, ou pour
mieux dire, la reproductibilité, la reviviscence des spores,
il faut des doses d'agent antiseptique bien plus fortes que
pour détruire les mouvements et arrêter le développement
des bactéries. Les doses efficaces les plus faibles sont celles
qui empêchent du bouillon frais de se peupler de bactéries^
quand on y verse quelques gouttes de bouillon contenant
déjà des bactéries en plein développement. La dose doit être-
déjà un peu plus forte pour empêcher, dans du bouillon
frais, le développement spontané de bactéries par les ger-
mes que l'air peut contenir.
Les spores provenant des bactéries développées sponta-
nément dans le bouillon abandonné à l'air, sont plus faci-
lement détruites que les spores provenant de bactéries du
bouillon, transportées volontairement dans un liquide sem-
blable où plus tard on a ajouté une dose d'antiseptique.
Nous retrouvons là ce fait d'accoutumance des bactéries
et de leurs spores au milieu dans lequel elles sont nées ;
nous aurons l'occasion de citer plus loin ces faits remar-
quables, étudiés en ces dernières années dans les solutions
phéniquées et salicylées; ils montrent qu'en augmentant
progressivement la dose d'acide phénique dans un liquide
chargé de bactéries, on arrive à faire vivre ces dernières
dans une dilution qui ferait instantanément périr les
bactéries, et peut-être leurs germes, si on les y portait
d'emblée, sans cette espèce d'acclimatement lentement
ménagé.
Au point de vue de l'hygiène, c'est-à-dire de la pratique,,
on ne peut entrer dans toutes ces distinctions : il faut
avant tout assurer le succès ; il est donc nécessaire d'adop-
ter en général pour chaque substance antiseptique la dose
BICHLORURE DE 'MERCURE. <il5
maximum, celle qui, même dans les eonditions les plus
défavorables, donne toute garantie contre les chances de
déco mposition et contre le développement de protorga-
nismes. C'est la dernière colonne du 'tableau précédent
qu'il faut surtout retenir; c'est elle que nous viserons
quaadnous chercherons à déterminer la valeur relative des
divers agents antiseptiques. Nous allons voir que nous
n'acceptons pas, sans réserve, les résultat& inscrits dans
ce tableau.
ART. III. — DES ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Sublimé corrosif ou bichlorure de mercure. — Une
partie de ce sel se dissout, à la température ordinaire,
dans 15 parties d'eau ; il est très soluble dans l'alcool,
dans les solutions d'acides sulfurique, chlorhydrique, nitri-
que, qui ne le décomposent pas ; au contraire l'ammoniaque
le précipite immédiatement (précipité blanc). C'est un anti-
septique très puissant. Malheureusement, il est très toxique ;
une dose de 5 centigrammes par jour produit déjà des aie-
cidents d'empoisonnement. Depuis Chaussier, il est i'^im
emploi répandu pour conserver les cadavres, les prépara-
tions anatomiques, les herbiers, les bois de construction, et
d'ébénisterie, etc. C'est un parasiticide énergique, on l'em-
ploie journellement contre les maladies parasitaires du cuir
chevelu, de la peau et même contre les helminthes.
On pourrait dire que c'est l'antiseptique par excellence, si
sa toxicité ne limitait pas singulièrement ses applicatioxis
pratiques ; il détruit rapidement la vie de tous les organis-
mes vivants, et ses solutions, même très diluées, se peu-
plent difficilement de ces algues microscopiques dont il est
si malaisé de préserver les médicaments liquides :. Bill-
roth, Bucholtz, Haberkorn, Kûhn, dans fes travaux que
nous avons déjà cités, ont démontré par des expérieBces
très rigoureuses la valeur antiseptique du suablimé..
116 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Wernitz (1) a étudié l'action du sublimé sur les ferments
non figurés, la pancréatine, la ptyaline, le levain de la bière,
etc. Les solutions à 1 p. 13,000 et même à 1 p. 65,000
empêchent l'action de la pancréatine et de la ptyaline ; il
faut des doses concentrées, celles de 1 p. 1,166 et même de
1 p. 120, pour détruire l'action de la pepsine et de la pré-
sure. Les observateurs qui précèdent ont presque toujours
vu des dilutions à 1 p. 20,000 amener la destruction de tou-
tes les bactéries en plein développement dans le liquide, et
cette faible dose n'est pas incompatible avec l'emploi hygié-
nique d'un agent réputé justement toxique. Voici le détail
précis des conclusions de Jalan de la Croix, qui diffèrent
en somme assez peu de celles des autres observateurs.
Pour empêcher la pullulation des bactéries dans du bouil-
lon où l'on a versé quelques gouttes de bouillon rempli de
bactéries, il faut dans le premier liquide, une dose de sublimé
égale à 1 p. 25,000, et le retour des germes à la vie n'est
empêché que par la dose de 1 p. 12,750. Les bactéries,
en pleine culture dans du bouillon, sont détruites par la
dose de 1 p. 6,500, et la vitalité des germes contenus
dans ce bouillon n'est définitivement anéantie que par la
dose de 1 p. 1,250. Dans du bouillon cuit, il faut une
dose de 1 p. 12, 150, et dans le bouillon cru une dose de
1 p. 1,168 pour empêcher le développement de bactéries
par l'exposition à l'air Ubre. La reproductibilité des germes
est détruite dans le bouillon cuit par la dose de 1 p. 6,500,
tandis que les germes du bouillon cru ne sont définitive-
ment stérilisés que parla dose de 1 p. 2,525: c'est donc
cette dernière dose qu'il faudrait considérer comme néces-
saire pour désinfecter sûrement un liquide suspect.
C'est bien plus à titre d'antivirulent qu'à titre d'antisep-
tique, que M. Davaine (2) a montré récemment l'efficacité
(1) Iwan Wernitz, Ueber die Wirkung der Antiseplica auf ungeformte
Ferme.nte;ln-diUg. Dissert. Dorpal 1880.
(2) Davaine, Recherches sur le traitement des maladies charbonneuses
chez l'homme. (Bulletin de VAcad. de Méd., 17 juillet 1880, p. 557.
BICHLORURE DE MERCURE. 117
du bichlorure de mercure dans la pustule maligne. M. Da-
vaine a dû descendre jusqu'à la dilution extrême de 1 p.
160,000 c'est-à-dire de un gramme de sublimé dans 160 li-
tres d'eau, pour trouver la dose qui ne détruit pas la viru-
lence de la sérosité charbonneuse ; avec la dose de 1 p.
150,000, le virus n'est déjà plus inoculable; l'iode métalli-
que seul conserve contre le virus charbonneux son action
neutralisante à une dose aussi faible. Dans toutes les expé-
riences, la durée du contact du sang charbonneux avec la
solution de sublimé avait été de une heure environ. A des
doses aussi faibles, il est impossible d'invoquer l'action
caustique de l'agent ; les médecins de la Beauce font fré-
quemment usage de la solution de bichlorure de mercure
contre la pustule maligne ; ils incisent les parties œdéma-
tiées, et appliquent sur la plaie la solution mercurique.
En présence de tels résultats, on est en droit de se demander
avec M. Davaine, si l'on ne peut pas expliquer dorénavant
l'action antisyphilitique de la liqueur de Van-Swiéten.
Adoptant toujours le principe de retenir de préférence le
chiffre qui assure la préservation dans les circonstances
les plus défavorables, nous voyons que la dose de]l p. 2,500,
c'est à-dire de un gramme de sublimé pour 2 litres et demi
du mélange total, est relativement assez faible. La liqueur
de Van -Swieten (1 p. 1000), dont l'usage est journalier,
suffit en somme pour tous les cas où l'emploi du sublimé
comme antiseptique n'aurait pas de contre-indication; c'est
une ressource précieuse pour le pansement accidentel et peu
prolongé de certaines plaies sanieuses de peu d'étendue.
Le sublimé ne peut, évidemment et dans aucun cas, être
utilisé pour la conservation des substances alimentaires ;
on ne peut songer à l'injecter, sous forme de liquide de
lavage, dans les vastes cavités contenant des liquides
putrides ; mais son utilité est merveilleuse pour la conser-
vation des cadavres et des pièces anatomiques. Il faut tou-
tefois tenir compte des décompositions qui se produisent si
118 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
facilement dans les- solutions de sublimé, par les composés
ammoniacaux et les bases alcalines.
Chlore.: — Le chlore détruit bien plus les mauvaises odeurs
qu'il n'en prévient le développement ; c'est un désinfectant,
un antivirulent plutôt qu'un antiseptique. Cependant il paraît
a^ir très efficacement pour détruire les protorganismes qui
vivent dans un liq^ide^ ou pour empêcher la puUulation,
dans un milieu de culture approprié, des bactéries qu'on y
transporte directement ou que l'air y amène.
Les résultats obtenus par Jalan de la Croix dépassent
ceux que nous aurions pu espérer, et placent le chlore
immédiatement après le sublimé parmi les agents qui sont
mortels pour les protorganismes. Toute culture dans le
bouillon est empêchée par une dilution à 1 p. 30,208, c'est-
à-dire que dans da bouillon contenant un gramme de
chlore gazeux dilué dans^ 30 litres d'eau, il n'est pas pos-
sible de faire développer des bactéries portées directement
ayec quelques gouttes d'un bouillon de culture. Le
méiiPft effet est obtenu' par l'hypochlorite de chaux à la
dose de 1 p. U.,13S. La dose de 1 p. 22,768 tue les bac-
téries en plein développement dans le bouillon; celle de
1 pu 22,800 empêche le développement spontané de bacté-
ri-es dans^ le bouillan cuit laissé à l'air libre, et celle de
1 p. iSi,606. dans le bouillon cru placé dans les mêmes con-
ditions. Avec l'hypochlorite de chaux, il faut des doses plus
fortes^ soit 1 p. 3,120à 1 p. 3,148, et, fait étrange ! 1 p. 286
pour empêcher le développement spontané des bactéries
dans le bouillon cj'm.
Pour détruire les germes, il faut des doses beaucoup
plus fortes, qui varient entre 1 p. 431 et 1 p. 4,911 pour
le chlone, et de 1 p. 100 à 1 p. 500 pour le chlorure de
chaux. Ces résultats sont très favorables et nous surpren-
nent un peu ; il nous semble indispensable de soumettre à
un n<Mjveau contrôle les expériences d'ailleurs très expli-
CHLORE 119
cites de M. Jalan de la Croix, car nous verrons que l'action
antivirulente du chlore est relativement restreinte, et
qu'elle est notablement inférieure à ce que feraient pré-
sumer les chiffres rapportés ^ci-dessus. Nous renvoyons
d'ailleurs pour toute cette question au chapitre Antiviru-
lents .
Le D-- Mehlhausen (i), médecin général et directeur de
l'hôpital de la Charité à Berlin, fut chargé, comme membre
de la Commission allemande du choléra, de faire des expé-
riences sur la valeur des divers désinfectants. Il a expéri-
menté surtout l'action du chlore.
Exp. 1. Dans une chambre de 31 mètres cubes, n'ayant
qu'une fenêtre fermant assez mal, on obture les fissures delà
fenêtre et de la porte en y clouant des bandes de feutre ; on
place dans la chambre : un cobaye, un certain nombre de
mouches et de guêpes dans des poches en gaze, des puces
dans un long cylindre de verre qu'on laisse ouvert, des
vers de la farine, de gros vers de viande putréfiée, enfin
deux grands verres de montre avec de l'eau dans laquelle
grouillent des espèces nombreuses d'infusoires, l'anguil-
lule fluviatile, des rotifères.
On y porte ensuite, dans une terrine de terre, 740 grammes
(20 grammes par mètre cube) de chlorure de chaux, avec
un peu d'eau, puis on y versé 1,100 grammes d'acide
ehlorhydrique ; on mélange avec un bâton de bois, et quand
le dégagement du gaz est très actif, on ferme avec soin les
issues. Au bout d'une demi-heure, on sentait une forte odeur
de chlore dans le corridor. Au bout de 9 heures, on ouvre la
chambre, après avoir d'abord ventilé f antichambre. Tous
les animaux étaient encore vivants ; les mouches seules
paraissaient mortes, mais elles n'étaient qu'étourdies, car
le lendemain elles volaient parfaitement. L'eau des verres
de montre qui avait, avant l'expérience, une réaction neutre,
(1) D-- Mehlhausen, Versuche nber Désinfection gesclilossener Ràume,
(Bericht der Cholera-Kommission, 1879. 6^ H., p. 335.)
120 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
avait maintenant une réaction acide ; quelques gouttes de
nitrate d'argent y produisent un abondant précipité de
chlorure; tous les parasites sont inanimés. Les 740 gram-
mes de chlorure de chaux avaient fourni 185 grammes,
soit 59,617 centimètres cubes de gaz chlore, soit encore
/ litreôlS centimètres cubes de gaz chlore par mètre cube
d'espace, mais il n'est pas douteux que le chlorure de chaux
n'avait pas dégagé tout le chlore qu'il contenait; enfin,
une certaine quantité de gaz s'était échappée par les fissures
(le la porte et de la fenêtre. La quantité de chlorure de
chaux et d'acide dépensés avait coûté environ 63 centimes.
Exp. 2. Mêmes conditions que dans la première. Aux
animaux indiqués ci-dessus, on ajoute des punaises ; on
remplace l'eau putréfiée par de l'urine en fermentation et
remplie de bactéries. La dose de chlorure est doublée : 40
grammes par mètre cube ; il a dû se dégager 350 grammes,
soit 119,534 centimètres cubes de gaz chlore, ou 3 lit. 225
cent, par mètre cube.
Au bout de 8 heures, on ouvre la chambre ; la quantité
de gaz est telle, qu'elle provoque la toux. Le cobaye est
mort ; les mouches, les puces, les punaises sont mortes
aussi ; les autres animaux de l'expérience précédente ont
cette fois encore résisté. Dans l'urine, devenue acide, les
bactéries et les spirilles ont conservé leurs mouvements.
La dépense a été environ de 1 fr. 20 c.
L'on pouvait reprocher à ces expériences que le dégage-
ment du chlore ne s'était pas fait complètement, parce que
Von ne pouvait remuer incessamment le mélange, ce qui
est une condition indispensable pour le dégagement
continu du gaz. Le D' Mehlhausen employa alors un autre
procédé.
Exp. 3. On mêle parties égales de sel marin et de
peroxyde de manganèse, avecdeux parties d' acide sulfurique
étendues dans une partie d'eau, et l'on chauffe. Ce dernier
détail serait très difficile dans la pratique commune de
CHLORE. 121
la désinfection. Pour une chambre de 3T mètres cubes, on
a donc employé :
,jOO gv. de peroxyde lie manganèse. 33,6 ccnlimcs.
.jOO gr. de chlorure de sodium. . 12,5 —
1,000 gr. d'aride sulfurique pur. . 37.5 —
83,t) —
Soit 2,2 centimes par mètre cube.
On avait placé dans la chambre de l'urine remplie d'ani-
malcules et de bactéries, desselles dysentériques infectes et
contenant beaucoup de bactéries ; les liquides étaient dans
des vases très plats. Au bout de 20 heures, on ouvrit la
chambre. Celle-ci ne sentait que faiblement le chlore. Quel-
ques animalcules étaient seulement engourdis, mais rede-
vinrent très actifs à l'air libre. Les liquides étaient très
acides. L'urine n'avait qu'incomplètement perdu son odeur
fétide.
Exp. 4. Le D^ Melhausen a fait une dernière expérience
dans une chambre de 48 mètres cubes. Dans un ballon de ver-
re, il a mis 600 grammes de bichromate de potasse, 3 kilo-
grammes d'acide chlorhydrique pur, d'une densité de 1,16;
en chauffant, on fit dégager 405 grammes ou 130,650 centi-
mètres cubes de chlore gazeux ; il y avait donc 2 Ut. 7^22 cen-
timètres cubes de chlore par mètre cube. L'expérience
montra que cette proportion est suffisante pour tuer tous
les animalcules, les puces, les vers, les bactéries, les vi-
brions. Ce procédé opératoire est d'ailleurs long, coûteux,.
très difficilement praticable ; il coûterait près de 4 centi-
mes (3 c. 15) par mètre cube de l'espace à désinfecter.
En résumé, les fumigations de chlore sont assez peu
avantageuses et bien inférieures à celles d'acide sulfu-
reux. Le dégagement du chlore se fait incomplètement quand
on ne remue pas incessamment, ou qu'on ne continue paS-
à chauffer le mélange ; or, ces opérations sont tout à fait
impossibles dans la pratique ordinaire de la désinfection.
a-22 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
La facilité du soufrage, au contraire, est un avantage
précieux, qui s'ajoute à son efficacité, en même temps que
la dépense est 4 ou 5 fois moindre (9 millimes au lieu de
•3 c. 75 par m. c).
Jeannel cite un fait qui tendrait à prouver que le
-chlore gazeux, au moins aux doses faibles, engourdit les
.germes et microphytes, qu'il suspend leur activité et leurs
mouvements, mais sans détruire définitivement leur vita-
lité. A la suite d'une discussion avec Devergie {Union mé-
dicale, 28 septembre 1871) et pour prouver que le chlore
n'avait qu'une action limitée, il prépara un mélange d'eau
et de vibrions sur une plaque de microscope, et l'exposa à
des vapeurs de chlore ; les vibrions restèrent bientôt immo-
biles ; mais si, peu après, il exposait la plaque à des vapeurs
ammoniacales pour neutraliser le chlore, puis gardait les
bactéries sous une cloche et dans un verre de montre plein
d'eau-, il voyait reparaître peu à peu les mouvements des
bactéries et des vibrions.
Les expériences de Sternberg (1), à Washington, con-
cernant l'action du chlore sur les infusoires et les protorga-
nisraes, montrent que la résistance de ces derniers est assez
grande. Dans une chambre à expériences cubant 10 htres,
on plaçait 28 grammes de chlorure de chaux; ce n'est qu'au
bout de une heure et demie qu'on voyait cesser les mouve-
ments des bactéries contenues dans une goutte d'infusion de
viande putréfiée, alors que le verre de montre contenant ce
liquide était directement exposé aux vapeurs de chlore.
Sternberg ne considérait les mouvements comme définiti-
vement arrêtés que lorsque, au bout d'une heure d'exposi-
tion à l'air libre, ils n'avaient pas reparu.
Nous ne croyons pas utile d'insister à cette place sur
l'action des chlorures et des hypochlorites, dont il sera
parlé au chapitre des neutralisants. Nous devons ce-
(1) Sternberg, loco citato, p. 219.
CHLORURE DE ZINC. 123
pendant une mention à quelques composés du chlore,
dont l'action est particulièrement antiseptique.
Chlorure de sodium ou sel marin. — Le chlorure de so-
dium ou sel marin ne peut être complètement passé sous
silence ; ses solutions, sous forme de saumure, servent
à conserver journellement les viandes, le beurre, etc.
Les salaisons entrent pour une part importante dans
notre alimentation, surtout à la campagne, sur les navires
•et dans les armées en expédition. Le sel ne conserve les
viandes qu'en les dépouillant d'une partie de leurs sucs ;
la saumure devient parfois le siège de décompositions
organiques, encore mal connues (ptomaïnes ?) ou de pro-
torganismes parasites, et M. Goubaux amontré qu'elle
pouvait dans certains cas acquérir un haut degré de toxi-
cité. C'est assez dire que le sel marin est un antiseptique
'dont l'emploi hygiénique est limité.
Pringle, dans son Traité sur les substances septiques et
mitiseptiques, a trouvé au sel marin une vertu antisepti-
que si faible, qu'il l'a considéré comme le n" 1 de l'é-
chelle des corps expérimentés. Il va même plus loin, et
dans une autre partie de son livre (expérience XXV), il
prouve que le sel marin a la propriété de hâter la putré-
faction : à la dose de 10, lo et même 20 grains, pour
2 gros de viande de bœuf et 2 onces d'eau maintenus
à 38° C, le sel amollit, dissout la viande, et par une
vertu septique, en favorise la digestion ! Il cite d'autres
auteurs qui ont admis la nature « putréfiante i> du sel marin!
Chlorure de zixg. — Il en est autrement du chlorure de
zinc qui, non seulement est absorbant, désodorant, comme
tous les sels métalliques, mais encore jouit de propriétés
antiseptiques très sérieuses ; peut-être même devrait-on
le ranger à un bon rang dans la classe des neutralisants.
C'est donc un agent dont l'étude mérite une attention particu-
lière. Il est inutile de rappeler que c'est un sel caustique,
124 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
déliquescent ; il est connu des hygiénistes anglais et alle-
mands sous le nom de liqueur de Burnett. Cette liqueur
n'est guère que le sel à l'état déliquescent.
Parkes dit (p. 400, édit. 1878) que dans chaque drachme
fluide de liqueur de Burnett (le drachme troy, dont il
s'agit, pèse 3='",S5) il y a 25 grains de chlorure de zinc
(soit ls'-,62)', soit environ 46 pour cent du poids total. Le
Codex français et X Officine deDorvault donnent la formule
suivante de la liqueur de Burnett d'après la pharma-
copée anglaise :
Chlorure de zinc fondu 100 parties.
Eau distillée 200 —
On ajoute à l'eau distillée environ 3 parties d'acide chlorhydrique con-
centré, pour dissoudre l'oxyde de zinc que contient toujours en excès le
chlorure anhydre fondu. Go liquide marque 1,33 au densimètre (16° de
Beaumé).
En face de ces divergences et de celles que l'on trouve
dans les livres allemands, nous avons demandé des ren-
seignements précisa notre ami, M. le D'" de F. Chaumont,
professeur d'hygiène et de chimie appliquée, à l'École'mili-
taire de Netley, et nous extrayons de sa lettre les passages
suivants :
« Notre Phannacopeia reconnaît une solution de chlorure de zinc
de 366 grains par once, soit à 82 pour cent ; en voici la formule
d'après la formule de l'ancien Codex du collège de Dublin :
Eau et acide chlorhydrique, de chaque 1 litre 134 c. c; mêlez et
ajoutez peu à peu à 4S4 grammes de feuilles de zinc dans une cap-
sule en porcelaine. Chauffez jusqu'à dissolution du métal. Filtrez et
ajoutez 28»'",3o de chaux chlorurée (chlorinaled lime). Réduisez le
tout à 2 pintes (le texte dit par erreur 1 pinte). Refroidissez, mêlez
avec une once de craie préparée, secouez de temps en temps pendant
24 heures. Enfin filtrez et conservez dans une bouteille bien bouchée.
La densité est de 1,593.
Le Codex de DubUn ajoute : Le fluide de Burnett a une densité de
2,000.
Cette formule, ajoute M. de Chaumont, donne exactement 366 grains
par once, soit 82 pour 100, comme je l'ai dit plus haut. Cependant
la densité ne répond guère aux chiffres de Kremers, selon qui une
CHLORURE DE ZINC. 125
densité de 1,5330 répond à 92,4 de chlorure pour 100, soit 404 grains
par once.
J'ai trouvé dans notre laboratoire un échantillon de Burnett's fluid,
dont mon ami M. Notter s'est servi pour ses expériences. La densité
en est de l,o302, et M. Notler me dit qu'il a trouvé par l'analyse
300 grains de clilorure par once, soit 09 pour 100. Sur la bouteille
se trouvent les indications suivantes:
Pour purifier les chambres do malades,
les salles d'hôpital, les workhouses,
les prisons, les fabriques, les salles
do typhiques, les lieux encombrés, J> 1 p. de Fluid pour 100 d'eau,
lesenlre-ponls et les cales de navires,
pour enlever la mauvaise odeur des
tables de nuit
Pour désinfecter les égouts et les latrines, 1 p. de Fluid pour 200 d'eau.
Ce sont là peut-être les chiffres dont W. Roth s'est servi.
L'on trouve en outre dans la Toxicology de Woodman et Tidy :
« La solution de Burnett varie de force, de 20o à 230 grains par once,
soit 47 à 53 pour 100. »
Vous savez que le « Burnett's fluid » était primitivement breveté ;
le brevet est maintenant déchu, et je ne crois pas qu'on en ait publié
textuellement la formule. »
On voit d'après ces longs détails, que l'on ne sait pas
encore exactement, même en Angleterre, quelle est la com-
position du liquide de [Burnett. Les anglais emploient en
définitive une dilution étendue de Burnett's ftuid représen-
tant 1 gramme de chlorure de zinc cristallisé pour 50 gram-
mes d'eau quand il s'agit de désinfecter les salles de mala-
des, et une dilution à 1 gramme pour 100, quand il faut
désinfecter les égouts et les latrines. Ce n'est là qu'une
indication sommaire, car on ne dit pas en quelle quantité
ce mélange est nécessaire pour désinfecter par exemple un
litre ou un hectolitre d'eau d'égout.
Il serait vraiment désirable qu'on renonçât à ces déno-
minations de convention, et qu'on adoptât une désigna-
tion unique. Pour les usages ordinaires de l'hygiène et de
la désinfection, il est impossible d'avoir ce sel à l'état sec
et cristallin; comme la quantité d'eau hygrométrique vaine.
Ï26 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
on ne sait jamais exactement quelle quantité de sel on-
emploie. On comprend donc la faveur qu'a dans le public-
anglais la liqueur de Burnett, qui contient la moitié de
son poids d'eau. Il vaudrait peut-être mieux adopter une
solution-mère au 10^, exactement titrée, et que dans tous
les pays on appellerait la solution décime de chlorure de
zinc. Par le fait, c'est ce qui existe en Angleterre, où dans
le commerce et l'industrie, on vend un liquide qui contient
2 parties de liqueur de Burnett pour 8 parties d'eau;
ce n'est pas autre chose qu'une solution décime ; cette-
dernière dénomination aurait l'avantage d'être comprise
de tout le monde.
On trouve depuis quelques années dans le commerce
de Paris un liquide désinfectant, vendu sous le nom d'eau
de Saint-Luc, qui n'est pas autre chose qu'une dissolution
très concentrée de chlorure et de sulfate de zinc impur , pro-
venant sans doute d'un résidu d'usines de produits chimi-
ques. Nous avons prié un de nos collègues, agrégé de chi-
mie au Val-de-Grâce, de bien vouloir en faire l'analyse
quantitative. Il y a trouvé, outre le chlorure de zinc, une
petite proportion d'oxyde de fer, d'acide sulfurique , de
matières organiques, parfois de l'acide pyrohgneux. Ce li-
quide neutre ou faiblement acide marque 1,613 ou 16°,7
au densimètre de Baume; l'analyse chimique contrôlée par
divers procédés y a révélé la proportion énorme de 77 de
chlorure de zinc sur 100 parties du liquide. C'est donc une
solution caustique qui ne doit être employée qu'étendue
d'une grande quantité d'eau. Il ne faut pas oublier, en
effet, que le chlorure de zinc, connu sous le nom de causti-
que de Canquoin, est Tun des plus puissants escharotiques
employés par les chirurgiens .
En 1875 et en 1876, des expériences dirigées par Pet-
tenkofer et Mehlhausen furent faites sur plusieurs navires
de la flotte allemande, pour déterminer la valeur désin-
fectante du chlorure de zinc. La densité de l'eau de cale
CHLORURE DE ZINC. I2T
était de 1017 à 1035, la réaction légèrement alcaline. Les-
expériences furent faites, par les grandes chaleurs de
l'été de 1875, dans une chambre au midi, par une tempé-
rature deJ-^O" à -j- 30° centigrades. Le chlorure de zinc fut
employé sous forme de liquide de Burnett; d'après les
renseignements qu'ont bien voulu nous donner M. von
Pettenkofer et M. D' Wenzel, médecin général de la marine
allemande, ce liquide contenait 50 à 60 p. 0/0 de chlorure
de zinc. Avec la proportion de une partie de liquide de
Burnett pour 100 parties d'eau de cale à désinfecter, on
obtint rapidement un précipité gris, floconneux, que sur-
nageait une eau jaunâtre, assez limpide. A la surface de
celle-ci se formait une pellicule plus ou moins épaisse^
soluble dans l'éther. La réaction et l'odeur d'hydrogène
sulfuré ou de graisse rance disparurent rapidement ; la
vie des protorganismes parut éteinte, la réaction devint
nettement acide. Au bout de quatre semaines, le mélange
restait sans changement. Avec la proportion de 1 partie de
liquide de Burnett pour 1,000, l'odeur d'acide sulfhydrique
et de graisse rance ne disparaît pas, mais la première
diminue, à tel point que le papier d'acétate de plomb ne
se noircit plus. Avec la proportion de 2 pour 1000, soit un
kilogramme de sel cristallisé par mètre cube d'eau, dis-
parition complète de l'odeur sulfhydrique, diminution encore
plus grande de l'odeur de graisse rance ; même état au bout
de 14 jours.
On remplit un réservoir enfer d'eau de cale corrompue,,
on y ajouta la solution de chlorure de zinc dans la pro-
portion de 5 pour 100, on plongea dans ce mélange des
manches à pompe, des plaques de caoutchouc, du laiton et
du fer poli. Au bout de 4 semaines, toutes ces pièces étaient
intactes, aussi bien que la paroi interne du réservoir ; on
observait toutefois quelques traces d'oxydation sur les mé-
taux polis, au niveau même où s'arrêtait le liquide qui.
les baignait.
12S ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Le chlorure de zinc, a donc paru à Pettenkofer et à
la Commission allemande du choléra, avoir une action sûre
et rapide pour détruire la putréfaction des eaux de la cale
des navires; quand l'altération est très prononcée, la pro-
portion de 1 à 2 de chlorure de zinc cristallisé pour 1000
est suffisante. Le dépôt formé par le chlorure de zinc est peu
cohérent, poreux, léger, se déplace facilementpar le jeu des
pompes, avantage que n'a pas celui formé par l'hydrate
de chaux. C'est au chlorure de zinc que la Commission du
choléra a donné la préférence pour la désinfection de l'eau
des cales.
La chlorure de zinc est employé sur une très grande
échelle et avec le plus grand succès par les chirurgiens
français, anglais et allemands, pour les pansements antisep-
tiques. C'est ainsi que Lister, pour ramener à l'état normal
les plaies fongueuses et les fistules, pratiqued'abord une sorte
de raclage, puis fait une injection avec une solution an-
tiseptique très puissante, contenant 8 grammes de chlorure
de zinc pour 100 grammes d'eau. Socin, de Bâle, lave
même les plaies récentes avec cette solution caustique,
mais on ne peut nier que le chlorure de zinc, à ce degré
de concentration, agit bien plus comme escharrotique que
comme désinfectant ou antiseptique. Ce qui le prouve,
c'est que les plaies ainsi touchées se recouvrent d'une
pellicule blanchâtre. C'est seulement pour les pansements
rarement renouvelés au voisinage des orifices naturels,
que cette solution au 10^ et même à 12 p. 100 mérite
réellement, d'après M. Lucas- Championnière, d'être consi-
dérée comme antiseptique ; Lister a souvent recours à ce
mode de pansement. Dans beaucoup d'autres cas, on
peut se contenter des solutions à 1 ou 5 pour 100, et l'on
peut encore les diluer bien davantage.
L'un des procédés de Sucquet pour la conservation des
-cadavres, consiste dans l'injection par la carotide primi-
tive ou la crurale, de 8 litres environ de solution aqueuse
CHLORAL. 1-29
de chlorure de zinc marquant 40 degrés à 1 aréomètre de
Baume.
Le chlorure de zinc qui est à la fois désodorant et anti-
septique mériterait d'être plus employé encore qu'il ne
l'est pour la désinfection des eaux vaseuses; il est inodore *.
il ne donne pas de décoloration désagréable ; son prix n'est
pas excessif; la solution à 2 pour 1000, et dans certain?
cas à 2 pour 100, paraît être très efficace.
Chloral. — Les propriétés antiseptiques du chloral ont
été étudiées depuis 1871, par Pavesi de Mortara en Italie,
en France par Follet, Personne, Dujardin-Beaumetz et
Ilirne en 1872. Ces auteurs ont reconnu que des solutions
de chloral à 4 pour 100 empêchent les fermentations su-
crées ; avec des solutions de 4 à 10 pour 100, on conserve
la viande, le lait, l'urine, pendant plus d'un mois à l'abri
de toute altération.
C'est Carlo Pavesi qui, en Italie, a préconisé le plus hau-
tement l'emploi du chloral comme désinfectant, pour la
préservation, contre les parasites, des tissus de laine et
des fourrures, des grains, des farines, des cocons de vers
à soie. Cet auteur pense même que c'est un agent utile pour
l'assainissement des salles d'hôpital, des navires infectés.
M. Dujardin-Beaumetz et son interne M. Hirne (1) ont
commencé, dès 1872, des séries d'expériences sur les pro-
priétés antiputrides et antifermentescibles des solutions de
chloral. Des solutions sirupeuses d'acide quinique impur,
d'albumine, des urines, du lait,, de la colle de pâte de farine,
des liquides contenant de la chair musculaire broyée, fu-
rent partagés en deux portions; l'une fut additionnée d'une
-certaine quantité de chloral, et au bout de plusieurs mois il
'(1) Dujardin-Beaumetz et Hirne, Des propriétés antiputrides et anti-
fermentescibles des solutions d'hydrate de chloral et de leur application
à la thérapeutique. (Bulletin de la Société méd. des Hôpit., 11 avril
ISTS, p. 134.)
Vallin. — Désinfectants. ' 9
130 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
n'y avait aucune trace de putréfaction ; l'autre moitié, non
additionnée de chloral, devint rapidement infecte.
L'hydrate de chloral est souvent acide et contient une cer-
taine quantité de chlore ; on pourrait donc être tenté d'im-
puter à ces deux réactions l'action antiputride du chloral.
MM. Beaumetz et Hirne ont placé 20 grammes de viande ha-
chée dans un liquide formé de 100 grammes d'eau distillée
et de 2 grammes d'hydrate de chloral chimiquement pur ; le
flacon conduisait les gaz et vapeurs dans un appareil à
boules de Liebig, contenant du nitrate d'argent, destiné à
déceler les moindres traces de chlore. Le mélange fut main-
tenu pendant 34 jours dans une étuve chauffée à + 38° cen-
tigrades. Au bout de ce temps, la solution de nitrate d'ar-
gent était restée intacte, le mélange n'avait aucune odeur
et ne contenait pas de bactéries ; la viande n'était pas al-
térée. Il est difficile d'imaginer une expérience plus con-
vaincante. Dans un autre cas, des fragments de muscle de
bœuf, plongés dans une solution de chloral à 1 pour 100,
paraissaient encore tout à fait inaltérés au bout de S mois.
Toutefois, le chloral ne s'oppose pas à la fermentation de
la levure de bière; dans deux expériences faites par les
auteurs, une solution de glycose, de levure de bière, de
sel ammoniacal, d'acide tar trique, contenant un gramme
de chloral, fut portée à l'étuve, et il se dégagea rapidement
une quantité d'acide carbonique qui troubla l'eau de baryte.
En résumé, MM. Beaumetz et Hirne ont conclu de leurs
expériences encore peu nombreuses, que la proportion de
1 de choral pour 100 de liquide ou de matière putrescible
est suffisante pour arrêter ou empêcher la fermentation ; ils;
ne savent pas jusqu'à quel chiffre peut descendre le mini-
mum de la dose nécessaire ; une seule expérience leur a
montré que un gramme de chloral ne suffisait pas pour
empêcher l'altération de 1,000 grammes de lait. La dilution
au centième est d'ailleurs peu irritante, et peut très uti-
lement servir à panser les plaies gangreneuses ou fétides.
ALUN. . 151
Le D'' Francesco, en 1862, a même modifié des ulcères in-
vétérés par des pansements avec une solution de chloral à
5 p. 20; mais ici, il s'agit bien plus de cautérisation que
de désinfection.
M. Beaumetz a obtenu de beaux succès dans des cas de
plaies gangreneuses, par le pansement avec la solution au
centième. Dans les cas d'empyème avec fétidité de la ca-
vité pleurale, M. Beaumetz et M. Martineau ont employé
avec avantage la solution de chloral au centième, addition-
née de 4 à 5 cuillerées à bouche d'alcoolé d'essence d'euca-
lyptus par litre (l'alcoolé d'eucalyptus est composé avec:
huile essentielle d'eucalyptus, 10 grammes; alcool, 1 litre).
Les auteurs n'ont jamais observé d'accident par l'injection
dans la plèvre de ces doses élevées de chloral ; dans quel-
ques cas, des malades accusent seulement une sensation
de brûlure. L'injection sous la peau d'une solution forte
de chloral (1 p. 10) n'empêche nullement la mort des lapins
après l'inoculation de virus septique, résultat d'ailleurs
prévu.
J. Personne a essayé de donner (1) une explication
ingénieuse de l'action antiseptique du chloral. D'après lui,
le chloral se combine avec les matières protéiques, avec
l'albumine, le contenu du sarcolemme, pour former un com-
posé imputrescible qui paraît être un composé défini.
J. Personne a utilisé cette propriété du chloral de former
avec les matières albuminoïdes des composés bien définis ;
à l'aide de solutions au dixième, il a pu conserver, embau-
mer des cadavres d'animaux, des oiseaux, etc.
Alun. — Les propriétés antiputrides de l'alun ont été,
dès la plus haute antiquité, utilisées pour le tannage, la
préparation des peaux, les embaumements et la conserva-
tion des cadavres. Les applications hygiéniques de l'alun
(1) J. Personne, L'action du chloral sur les matières albuminoïdes^
{Bulletin Acad. de Mèd. Séance du 10 février 1874 et Gazelle hebdo~
madaire 1874, p. 97.)
132- ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
proprement dit sont trop restreintes pour que nous y in-
sistions. Il en est autrement de deux composés d'alumine,
qui méritent une attention spéciale.
Chloralum ou chlorure d'aluminium. — On préconise
beaucoup en Angleterre, depuis quelques années, un agent
désinfectant auquel on donne le nom de chloralum, formé
sans doute des mots chlore et aluminium. Fleck, de Dresde,
a analysé le produit qui se vend sous ce nom, et lui a trouvé
la composition suivante :
Eau 82,32
Chlorure d'aluminium 13,70
Chlorure de plomb 9,15
Chlorure de cuivre 0,10
Chlorure de fer 0,42
Chlorure de calcium et plâtre 3,11
La composition varie d'ailleurs suivant les prove-
nances. M. le D"" Henri Blanc (1) a cru avoir trouvé dans
cet agent un antidote du choléra et un désinfectant éner-
gique. La composition de ce sel le ferait ranger plutôt parmi
les absorbants, à côté des chlorures de fer, de plomb, etc,,
bien plus que parmi les véritables désinfectants. Le pro-
fesseur Wanklyn (2), de Londres, lui attribue une grande
efficacité comme désodorant, et le proclame très supé-
rieur à ce point de vue au chlorure de chaux. De même,
Dougall, après une expérimentation sérieuse, a constaté
qu'il arrête les décompositions putrides, qu'il prévient la
production des protorganismes plus sûrement que la plu-
part des autres antiseptiques. Comme il est inodore, peu
coûteux, non volatil, il le croit d'un emploi très utile pour
laver es effets contaminés, pour désinfecter les égouts et
le matériel hospitalier souillé par les malades.
(1) Blanc, Personne, Paulier, IVotes sur le, chloralum. {Gazette liebdo-
Wfld., p. 717, 751, 762, et Union médicale, octobre et novembre 1873)
..(2) Wanklyn, The action and relative value of disinfectants. {British
Médical Journal, sept. 1873, p. 275.)
CHLORALUM. ACÉTATE D'ALUMINE. 133
Toutefois les expériences plus récentes du D'' O'Nial (1)
ne justifient pas ces appréciations. Même en ajoutant
1 partie de chloralum pour 2 parties de matière organique,
il a trouvé les animalcules abondants dès le 5° jour ;
l'odeur putride commence à être très nette le T jour.
Avec le chlorure d'alumine, les résultats ne sont pas
beaucoup meilleurs : les animalcules sont abondants et
l'odeur est infecte avant le 10" jour, quand la proportion
de chlorure est de 1 pour 6 ou 8 de matière organique ;
même avec une partie de chlorure pour 4, 2, 1 parties de
matière organique, on n'évite pas l'odeur infecte de la pu-
tréfaction .
Il faut reconnaître que depuis quelques années, son em-
ploi a été beaucoup abandonné en Angleterre même . On a
essayé de le remplacer par le cupralum, association de
sels de cuivre et d'alun, mais sans beaucoup plus de
succès.
Acétate d'alumine. — Sous le nom de mordant de
rouge des mdienneurs, on connaît dans le commerce une
substance incristallisable, qui a d'ordinaire l'aspect d'une
masse gommeuse, et qui n'est employée qu'à l'état de so-
lution. On l'obtient d'ordinaire par la double décomposition
de l'acétate de baryte et du sulfate d'alumine. Burow (2)
la prépare, pour les usages externes , en mélangeant
20 grammes d'alun avec 30 grammes environ d'acétate de
plomb. Ce liquide est employé dans les raffineries de sucre
pour empêcher la décomposition du sang des animaux, ce
qui a conduit à l'essayer pour la désinfection des plaies
gangreneuses et fétides, et pour modifier les sécrétions
morbides de l'organisme.
L'action antiseptique de l'acétate d'alumine est très
(1) O'Nial, The relative power of some reputed antiseptic agents.
(Army médical Report for 1871 ; London, 1873. p. 202.)
(2) Burow, Action de l'acétate d'alumine dans diverses maladies.
Deutsche Klinik., 1857 et Gazette médicale, 1858, p. 472.;
lU ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
puissante. Gannal l'a utilisée dans un des nombreux liquides
qu'il a préconisés pour l'embaumement et la conservation
'des cadavres ; il injectait dans la carotide 5 ou 6 litres
d'une dissolution d'acétate d'alumine à 18° de l'aréomètre
de Baume, et le cadavre ainsi préparé se conservait par-
fois pendant S à 6 mois. Plus récemment, Burow, de Kô-
nigsberg, et Billroth ont proposé de remplacer, dans le pan-
sement de Lister, l'acide phénique par l'acétate d'alumine;
quelques expériences leur avaient montré que ce sel détruit
rapidement les bactéries, et en prévient aisément le déve-
loppement dans les liquides.
Kûhn a cherché à mesurer à ce point de vue sa valeur
antiseptique, et il a trouvé que, suivant les liquides de cul-
ture (infusion de pois ou de blanc d'œuf), la dose de 1 p.
S, 000 à 1 p. 8,000 était suffisante pour empêcher le déve-
loppement des bactéries. L'un des élèves du professeur
Dragendorff, de Dorpat, M. Schwartz, a vu lui aussi que
la dose de 1 p. 5,000 empêchait le développement de toute
bactérie dans le liquide de Bucholtz-Pasteur.
D'après Wernitz, l'acétate d'alumine serait sans action
sur les ferments non figurés ; des solutions à 1 p. SO
affaiblissent le pouvoir de l'émulsine ; celles à 1 p. 380,
celui delà diastase; celles de 1 p. 100, celui de l'invertine ;
mais la myrosine n'est nullement influencée par une solu-
tion à 1 p. 50.
Jalan- de la Croix a repris ces expériences et a trouvé
les résultats suivants :
La dose de 1 p. 4,268 empêche le développement des
bactéries portées directement dans du bouillon ; après
avoir subi l'action d'une solution à 1 p. 59, les corpuscules
germes perdent toute faculté de se reproduire dans un
liquide approprié. La dose de 1 p. 427, portée dans un li-
quide tue les bactéries qui y sont en plein développement,
•et celle de 1 p. 64 détruit à jamais la vitalité de leurs ger-
mes. Le bouillon laissé à l'air libre ne se remplit plus de
ACIDE SULFURIQUE. 135
bactéries par la dose de 1 p. 4,268 pour le bouillon cuit, et
par la dose de 1 p. 6,310 pour le bouillon cru; les germes
«ont détruits dans le premier cas par la dose 1 p. 937,
•dans le second par celle de 1 p. 4T8. C'est donc la dose de
1 pour 1,000, ou à la rigueur de 1 pour SOO, qui semble
devoir être acceptée, quand on veut avoir la certitude de
détruire toute vitalité in açtu et in posse dans les matières
suspectes.
Voilà assurément des résultats très favorables ; il est
peu d'antiseptiques qui aient une action plus énergique, et
l'acétate d'alumine est une substance inoffensive, nulle-
ment toxique. Il y aurait donc lieu de retirer de l'oubli un
agent aussi utile, qui a eu une grande vogue en France, il y
a une quarantaine d'années, et qui paraît un peu abandonné
aujourd'hui. Les efforts tentés par Billroth et par Burow,
en Allemagne, pour introduire ce sel dans le pansement
antiseptique, mériteraient d'être poursuivis en France. Bu-
row l'a même employé à l'intérieur ; il préparait une so-
lution dont une once environ représentait un gros (sic)
d'acétate d'alumine ; à la dose de 60 gouttes, il l'expérimenta
sur lui-même, il éprouva une chaleur de la région épi-
gastrique, des vertiges, de la céphalalgie. L'acétate d'alu-
mine pris à l'intérieur, ne semble avoir aucune action
comme désinfectant.
Acide sulfurique. — Les acides énergiques comme l'a-
-cide sulfurique, l'acide nitrique, l'acide chlorhydrique, etc.,
sont assurément des antiseptiques, puisqu'ils peuvent em-
pêcher la putréfaction et la fermentation des matières or-
ganiques ; mais leur action antivirulente, neutralisante,
■destructive, l'emporte tellement sur leur action antisepti-
que, que nous renvoyons plus loin leur étude.
L'acide sulfurique, en particulier, est un antisepti-
que qui a été parfois utilisé dans l'industrie. En Allema-
gne, on enduit d'une couche d'acide sulfurique concentré
136 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
le bois qu'on doit ficher en terre ou dans l'eau. Cet acide
non seulement carbonise la surface du bois, mais de plus il
) forme, entre lui et la fibre ligneuse, une combinaison qui
le garantit parfaitement contre les influences extérieures ;
en outre, il prévient la poiirrilure provenant du dévelop-
pement, à l'intérieur du bois, de végétations cryptogami-
ques, etc. A Chemnitz, on emploie cette sorte de peinture
depuis longtemps, avec un succès remarquable, pour pilotis
de ponts, boisage de mines, pieux, échalas, etc. Les frais
sont très minimes, car l'acide n'a besoin d'être appliqué
qu'en couche très mince ; on préfère cette méthode au
goudronnage, comme plus efficace et plus économique
(Girardin).
Acide sulfureux. — L'acide sulfureux est surtout un
antivirulent, et à ce titre il sera étudié plus loin, mais
il jouit naturellement de propriétés antiseptiques dont il
importe de dire ici quelques mots.
L'acide sulfureux est un des antiseptiques les plus an-
ciennement connus ; il a servi de tout temps au miitage
des vins ; on emploie aussi la combustion d'une mèche
soufrée pour la conservation des sucs de pommes, de poi-
res, de coings et autres jus sucrés. Parfois on remplace
les vapeurs d'acide sulfureux par l'addition au liquide,
de 80 centigrammes de sulfite de chaux par litre : les
acides du suc s'emparent de la chaux, et le gaz sulfureux
est mis en liberté. Il sert encore depuis longtemps à con-
server, pendant tout l'hiver, les pulpes de betteraves, les
légumes herbacés (oseille, laitue, asperges), les pommes
de terre, et autres racines aqueuses, qui éprouvent pendant
la période de janvier et avril, dans les silos et magasins,,
une fermentation dont la conséquence est une grande di-
minution de poids et de qualité (Girardin).
Dans les fabriques de sucre de betterave, on lave les
sacs, les ustensiles, les récipients en usage, dans des solu-
ACIDE SULFUREUX. 137
tions de sulfite de soude ou de chaux, pour détruire tout
germe de fermentation.
Au point de vue de l'hygiène, il est incontestable que
l'emploi de cet agent est un précieux auxiliaire contre
l'altération des ressources alimentaires, et contre les acci-
dents engendrés par les matières en décomposition. Depuis
longtemps, on a essayé de conserver des viandes fraîches
d'Amérique destinées à l'importation, soit en les exposant
à des vapeurs d'acide sulfureux, soit en les plongeant dans
les solutions de cet acide, ou d'hyposulfîtes alcalins. Ré-
cemment encore, le Conseil d'hygiène du Vaucluse faisait
un rapport assez favorable (1878), sur un procédé de
conservation des viandes, à l'aide d'une solution d'hypo-
sulfitede soude et d'azotate de potasse. En 1880, la Com-
mission centrale des Comités de salubrité de Bruxelles
constatait le bon état de conservation de viandes fraîches,,
exposées aux vapeurs d'acide sulfureux dans l'appareil
Guérette.
Le procédé Sucquet de conservation des cadavres con-
siste dans l'emploi d'hyposulfite de soude en injection dans
les vaisseaux, associé avec du chlorure de zinc. M. Edouard
Robin a préconisé depuis longtemps, dans le même but,
l'emploi du mélange de sulfite et d'hyposulfite de zinc.
L'acide sulfureux, même à très faible dose, détruit les-
insectes, les protorganismes et les miasmes contenus dans,
l'air, dans l'eau, etc. Nous nous bornerons à relater ici
les résultats des expériences qui ont été faites exclusive-
ment au point de vue antiseptique ; nous renvoyons pour
ce qui concerne les virus au chapitre Neutralisants.
Wernitz a trouvé que l'action de la pepsine^ de la ptya-
line, de l'invertine, de la diastase était empêchée par
l'acide sulfureux en dilution dans l'eau, à des doses (en
poids) variant de 1 p. 1,317 à 1 p. 8,600; quant à la
myrosine et à l'émulsine, leur action est annulée par la
dose extrêmement faible de 1 p. 21,000.
138 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
M. Jalan de la Croix a trouvé les résultats suivants : la
dose de 1 p. 6,418 empêche du bouillon de viande de se
remplir de bactéries, quand on y verse quelques gouttes
d'un autre bouillon où pullulent ces organismes ; mais les
germes contenus dans ce bouillon ensemencé ne sont dé-
finitivement stérilisés qu'après avoir subi l'action de la
dose 1 p. 223. Les bactéries en plein développement dans
du bouillon sont tuées par la dose 1 p. 2,000 et leurs ger-
mes ne sont détruits que [par 1 p. 273. Du bouillon cuit,
laissé à l'air libre, ne se laisse plus envahir spontanément
par les bactéries quand il contient 1 p. 8,500 d'acide sul-
fureux, et les germes développés dans ces conditions ne
sont détruits que par la dose 1 p. 422. Pour le bouillon
cru, les doses sont 1 p. 12,649 et 1 p. 135.
Polli a montré que l'acide sulfureux et les sulfites empê-
chent et arrêtent toutes les fermentations connues, même
celles qui résistent à l'acide arsénieux, à l'acide cyanhy-
drique, à l'acide phénique; il en a fait la base d'une médi-
cation spéciale à la fois des affections externes et des af-
fections internes {Voy. désinfection interne).
Acide arsénieux. — L'acide arsénieux est un antisepti-
que puissant ; mais sa toxicité extrême rend son emploi
presque impossible dans la pratique de l'hygiène et de la
prophylaxie. Trinchina de Naples, en 1834, Gannal, en
France, faisaient entrer l'acide arsénieux en forte propor-
tion dans les liquides servant à l'embaumement des cada-
vres. La solution de Gannal contenait souvent 125 gram-
mes d'acide arsénique et six kilogrammes de sulfate d'a-
lumine, pour 6 litres de liquide qu'on injectait dans la
carotide. Mais aujourd'hui, l'ordonnance royale du 21 sep-
tembre 1836 interdit l'emploi de l'arsenic pour l'embau-
mement des corps, le chaulage des grains, etc.
L'on sait, en effet, que pour détruire les parasites
cryptogamiques 'qui, en certaines années, envahissent les
ACIDE BORIQUE, 139
céréales, les cultivateurs ont parfois recours à l'aspersion
du grain avec une solution d'acide arsénieux. Cette méthode
de conservation'des grains destinés aux semences, ou chan-
tage, avait déjà été prohibée par une loi rendue en 1186, à
cause du danger qui en résulte pour le gibier, les volailles
qui peuvent manger le grain, et pour l'homme qui, à son
tour, mange ces animaux. Il n'y a donc pas lieu d'utiliser
dans la pratique les propriétés antiseptiques très puissantes
des acides arsénieux ou arsénique.
Acide borique. — L'acide borique se présente sous
forme de lamelles blanches, minces, très légères, d'aspect
nacré et brillant, d'un goût presque nul, très faiblement
acide. L'eau en dissout 4 grammes par litre à + 20°, et
â grammes seulement à -{-10°. Le borate de soude ou
borax se présente sous forme de cristaux peu sapides, très
solubles, puisque une partie du sel se dissout dans douze
parties d'eau froide.
L'acide borique ne paraît pas avoir d'action toxique sur
l'organisme humain. LeD^'Capelh, directeur du Manicomede
Frégionaja, a administré à plusieurs aliénés des doses jour-
nalières de 4 grammes d'acide borique pendant 23 jours, et
de 2 grammes durant 45 jours, sans observer aucun dé-
rangement de la santé des malades. Il a noté que sur ces
sujets l'urine se maintenait acide pendant plusieurs jours,
au lieu de subir la fermentation ammoniacale et de devenir
alcaline et infecte. L'acide borique passe rapidement dans
l'urine ; il s'y métamorphose en plusieurs combinaisons
saUnes, qui ne détruisent nullement ses propriétés antifer-
mentatives. Son administration par l'usage interne paraît
donc indiquée dans les cas de catarrhe vésical. avec fer-
mentation ammoniacale et intravésicale de l'urine. MM. Fé-
lix Guyon et Guéneau de Mussy ont surtout retiré d'excel-
lents effets de cette administration par l'estomac, de 2 à
3 grammes par jour d'acide borique, chez des vieillards
dont l'urine et la vessie ne pouvaient être désinfectées. Dans
140 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
un cas, communiqué par le D' Ayr (de Tursi) àPolli (1), un
jeune soldat avala par erreur une fiole contenant 25 gram-
mes de borax dans 300 grammes d'eau, et destinée à des
gargarismes ; cette dose énorme fut parfaitement tolérée,
et n'amena aucun inconvénient.
M. le professeur de Cyon, de Saint-Pétersbourg, a fait
ingérer à des chiens des doses journalières de 6 grammes
de borate de soude, sans que ces animaux parussent en
rien incommodés. Herzen en Italie, Panum à Copenhague,
ont également établi par des expériences cette tolérance
et cette immunité. Neumann (2) de Dorpat, dit avoir fait
ingérer à des chiens de 15 kilogrammes, des doses journa-
lières de 5 à 6 grammes, sans accidents appréciables. A des
doses plus fortes survenaient des vomissements, de la diar-
rhée, du refroidissement. Ferkel aurait même fait ingérer
à des chiens de 2 à 3 kilogrammes, des doses journalières
de 2 grammes d'acide borique sans effet appréciable.
En résumé, le biborate de soude, à la dose de 4 à
8 grammes par jour paraît pouvoir être impunément sup-
porté, au moins pendant un certain temps, par un homme
adulte. Ce serait peut-être aller trop loin d'affirmer dès
à présent que des doses, même beaucoup moindres de
ce sel, soient incapables de déterminer des troubles de
la nutrition ou de la santé, après un usage journalier
continué sans interruption pendant un grand nombre
d'années. C'est un fait qu'une longue expérience est seule
capable de résoudre.
C'est M. Dumas qui a le premier pressenti, plutôt encore
que démontré, la valeur antiseptique de l'acide borique et
des borates; sa communication à l'Institut (2 août 1872)
a été le point de départ d'un grand nombre de recherches
(1) Giovanni Polli, Des propriétés antifermentatives de l'acide borique
et de ses applications à la thérapeutique. Paris, A. Delahaye 1877.
(2) J. Neumann. Experimentelle Untersuchungen iiber die Wirkung de
£orsQur:. {Archiv fiir experimentelle Pathologie, 20 mai 1881, p. 148.)
ACIDE BORIQUE. 141
€t d'applications à l'hygiène, au point de vue surtout de la
conservation des denrées alimentaires.
M. Dumas signalait à l'Académie des sciences l'action
exercée par le borax sur la fermentation du sucre par la
levure : il montrait que le borax retardait non seulement
l'action de la levure, mais l'action fermentative d'autres
substances analogues appartenant au groupe de la diastase.
La solution de borate de soude coagule la levure de bière,
et le liquide qui surnage le caillot n'est plus capable de
transformer le sucre ordinaire en sucre interverti, comme
il arrive toujours quand on eniploie l'eau de la levure de
bière. M. Dumas s'est assuré que la solution de borax neu-
tralise : 1° l'action de l'eau de la levure sur le sucre
(fermentation alcoolique) ; 2" l'action de la diastase sur
l'amygdaline, qui fournit l'essence d'amandes amères
(fermentation amygdalique) ; 3° l'action de la diastase sur
la fécule (fermentation diastasique) ; 4° l'action de la my-
rosine, substance qui, dans la farine de sénevé, produit
l'essence de moutarde (fermentation sinapique) ; 5° l'action
de la pepsine sur la fibrine.
Ces expériences ont attiré l'attention de nombreux expé-
rimentateurs sur l'action antiseptique de l'acide borique et
des borates. Nous réunirons l'étude de ces deux agents,
bien que l'action antiseptique de l'acide soit bien plus
manifeste que celle de la plupart des borates ; nous avons
constaté cette différence pour l'acide salicylique et les
salicylates.
Dans un pli cacheté déposé à l'Institut en 1856, M, Jac-
quez avait déjà signalé l'action puissante du borax pour
la conservation des matières animales. En plongeant des
morceaux de chair dans une solution de borax à 5 p.
100, il les retirait au bout d'un mois de séjour, au mois
d'août, dans un parfait état de conservation. Des injec-
tions faites dans le système vasculaire du lapin avec la
même solution boratée, mélangée d'une autre solution à
Uii ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
10 p. 100 de borate ammoniacal, permirent de conserver
ces cadavres pendant plusieurs mois sans altération.
Hertzen, en 1874, Schiff, Bizzari ont obtenu les mêmes
effets avec les solutions indiquées ci-dessous :
Eau 86 grammes.
Biborate de soude 8 —
Acide borique 2 —
Nilre 3 —
Sel marin 1 —
Dans cette formule de Hertzen, le sel marin et le nitre
ont l'avantage de conserver aux tissus leur couleur rose
et fraîche.
Le liquide de Bizzari est aussi efficace et moins coû-
teux :
Eau 170 grammes.
Biborate de soude 6 —
Acide chlorhydrique .... 2 —
L'acide borique a été employé pour conserver le lait,
les boissons alimentaires, la viande, etc. Les propriétés
antiseptiques de cet acide ont été confirmées dans une
circonstance singulière. En 1815, on découvrit un gi-
sement de borate de soude dans la Californie méridio-
nale ; au cours des explorations, on rencontra le ca-
davre d'un cheval enfoui dans cette terre chargée de
borax. Bien que l'époque de l'enfouissement remontât à
plus de quatre mois, et malgré les fortes chaleurs de cette
région et de la saison (parfois 45° centigrades), le corps
n'exhalait pas de mauvaise odeur ; les chairs avaient
l'apparence de celle d'un animal fraîchement tué, le poil
était souple et parfaitement adhérent à la peau (Académie
des sciences, 28 février 1876).
M. le D*" Bedoin a présenté à l'Institut, en 1876, des
échantillons de viande conservés dans des solutions satu-
rées de borate de soude ; tandis que de la viande mainte-
nue dans de l'eau simple était putride, et que le liquide
ACIDE BORIQUE. 143
était rempli de microzoaires , le fragment immergé dans
la solution boratée était intact, inodore et on n'y trouvait
aucune trace d'organismes vivants.
M. Boûley a résumé dans un rapport très intéressant,
au Comité consultatif d'hygiène (l) les effets du borax
sur la conservation des denrées alimentaires, et les faits
qui démontrent son innocuité au point de vue de la santé
publique. Au Conseil d'hygiène et de salubrité du départe-
ment delà Seine, dans sa séance du 21 juin 1878, M. Péligot
avait proposé d'autoriser des industriels à vendre des
viandes conservées par un procédé qui consiste à saupou-
drer ces viandes (^^^ oO par kilogramme) avec un
sel, dit de conserve, qui contient moitié de son poids
de borate anhydre. Le Conseil, toutefois, n'avait pas
adopté les conclusions de M. Péligot ; il avait pensé que,
« dans l'état actuel de la science », on ne peut affirmer
que le borate de soude puisse être mêlé sans inconvénients
aux matières alimentaires. M. Bouley a cru que, depuis un
an de pratique, la preuve de l'innocuité du borax pour la
conservation des denrées alimentaires pouvait être consi-
dérée comme acquise ; il a proposé au ministre d'autoriser
l'emploi de cet agent antiseptique, et le Comité a adopté
cette opinion le 5 mai 1819.
En Suède, on emploie sous le nom d'aseptine une
solution aqueuse d'acide borique, qui réussit très bien à
prévenir et arrêter la putréfaction de la viande. Gahn,.
Nystrôm, Sundevall ont retiré de bons effets de cet agent
pour les usages domestiques.
Pour le pansement des plaies, l'acide borique a l'avan-
tage de n'être ni caustique ni irritant : la solution saturée,
qui ne contient que 4 grammes pour 100 grammes, ne
détermine aucun sentiment de cuisson, même quand on
(1) H. Bouley, Rapport sur Fusage alimentaire du sel de conserve.
(Recueil des Travaux du Comité consultatif d'hygiène publique. T. VIII,
1879, p. 350.)
144 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
l'applique sur une plaie récente : c'est le moins irritant de
tous les antiseptiques. Comme il a l'avantage de ne pas
être toxique, l'injection borique peut être abandonnée
sans inconvénient dans des cavités closes ou dont l'éva-
cuation est difficile. En plongeant du coton, de la ouate,
du tint, dans une solution saturée à chaud d'acide borique,
et en faisant sécher les tissus ainsi imprégnés, on obtient
des garnitures de pansement qui désinfectent très bien les
liquides pathologiques à mesure qu'ils sont sécrétés. Les
cristaux d'acide borique sont soyeux, souples, ils ont l'ap-
parence d'un duvet, et ne blessent ni la peau ni même les
plaies. On peut même recouvrir directement les plaies qui
dégagent des mauvaises odeurs, les surfaces excoriées
de la peau qui, dans le cas d'anasarque, laissent suinter une
sérosité que la chaleur putréfie rapidement ; nous en
avons dans ce dernier cas fait un usage utile ; on peut les
panser avec le mélange suivant :
Acide borique j
Paraffine > ââ 1 partie .
Cire blanche )
Huile d'amandes douces 3 à 4 parties.
M. Lucas-Championnière s'en est souvent servi comme
adjuvant du traitement antiseptique, et en a constaté l'ef-
ficacité pour faire disparaître l'odeur de certaines plaies.
Billroth a également utilisé l'acide borique et le borax en
solution topique, pour faire disparaître l'odeur horrible de
certains ulcères cancéreux.
Voyons si les expériences directes concordent avec ces
données de la pratique.
Polli (1), qui a fait une étude toute particuUère de
l'acide borique au point de vue de la désinfection in-
terne, a expérimenté l'action de l'acide et du borate, sur
(1) G. Polli, Des propriétés antifermentatives de l'acide borique et
de ses applications à la thérapeutique; Paris, Delahaye, 1877.
ACIDE BORIQUE. 145
la bière, l'urine humaine normale, l'urine diabétique, le
lait, le mélange d'œuf et d'eau, le sang de bœuf défibriné,
la chair musculaire, les débris d'animaux. Comparative-
ment, il a examiné l'effet antiseptique produit sur les
mêmes substances par des quantités égales de sulfite et
d'hyposulfite de soude, de sulfite de magnésie. Voici les
résultats de ses expériences :
On remplit cinq verres de la capacité de SO centilitres
chacun, avec de la bière de Vienne ; l'un est gardé comme
type, sans aucun mélange ; dans les quatre autres on
ajoute séparément, et dans chacun d'eux, 1 gramme d'acide
borique, 2 grammes de borate de soude, 2 grammes de
sulfite de soude, 2 grammes d'hyposulfite de soude. On
abandonne les liquides à eux-mêmes, exposés à l'air, à
une température de-f- 13° à -|- 18°. Au bout de quinze jours,
la bière contenue dans le premier verre est complètement
trouble, recouverte d'une couche de moisissures, et exhale
une odeur acide très caractérisée. La bière additionnée de
borate de soude et d'acide borique est encore limpide
sans aucune sorte d'odeur. De même, la bière mélangée
avec l'hyposulfite de soude est limpide, tandis que des pelli-
cules légères de moisissures s'étalent à la surface de la
bière mêlée au sulfite de soude.
En remplaçant, dans une expérience analogue, la bière
par du lait frais, on constate que déjà, au troisième jour,
le lah sans mélange du sel antiseptique est coagulé, re-
couvert d'une couche de crème caillée, d'où s'exhale une
forte odeur d'acides lactique et butyrique. Cette altération
s'accroît avec rapidité, en sorte qu'au quinzième jour
ce lait se convertit en un magma grumeleux jaunâtre tout
bosselé, et revêtu d'une moisissure verte et rouge. Par
contre, dans les verres renfermant du lait additionné d'acide
borique et de borax, celui-ci se trouvait encore liquide, con
servant l'odeur et la saveur du lait frais, ne présentant à la
surface qu'une couche très légère de crème.
Valli>". — Désinfectams. 10
U6 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Au bout de trente jours, le lait mélangé avec l'acide
borique restait encore dans les mêmes conditions ; mais le
lait additionné de borate de soude, quoique toujours li-
quide, commençait à montrer quelques taches de moi-
sissures s' épanouissant sur la pellicule de crème. Dans les
deux autres verres, les laits mêlés au sulfite et à l'hypo-
sulfite de soude avaient conservé leur état liquide pendant
<îinq à six jours, puis ils s'étaient coagulés, la couche de
•crème de la surface supérieure devenant grumeleuse ;
après quinze ou vingt jours , les moisissures se dévelop-
paient, avec des émanations odorantes d'acides lactique
et butyrique.
Le professeur Manetti, directeur de la fabrique de fro-
mage de Lodi, a publié en 1814, en Italie, un mémoire
dont voici les conclusions :
1° L'addition dans le lait, de l'acide borique et du borax
en proportions modérées et déterminées, loin d'offrir au-
<}un inconvénient, facilite la bonne fabrication du fromage
parmesan et du beurre.
2° Ces agents pharmaceutiques permettent de retirer du
lait, pendant l'été, une quantité notable de beurre, sans
nuire en aucune façon à la fabrication du fromage.
3" Dans ces conditions il est utile, nécessaire même, d'u-
nir au borax une petite dose d'acide borique.
4° La quantité de borax et d'acide borique, indispen-
sable pour la conservation du lait affecté à la fabrication
du fromage parmesan, doit varier avec les causes plus ou
moins actives qui favorisent son altération. D'ordinaire,
pour 1 hectolitre de lait, on peut évaluer les doses à 40 gram-
mes de borax et à 10 grammes d'acide borique.
5° L'addition de ces produits peut se faire lorsque le lait
€st déjà versé dans la chaudière, ou mieux encore, on
doit les dissoudre dans une quantité de liquide et les mé-
langer au lait immédiatement après la traite (Lodi, 20 juin
1814).
ACIDE BORIQUE. Ul
Comme le borate de soude produit des réactions légère-
ment alcalines, on pouvait peut-être objecter que, dans les
expériences précédentes, la coagulation du lait dépendait
plus de la base du sel en question que de son acide. Il était
facile de réfuter l'objection, en rappelant l'action antifer-
mentative de l'acide borique employé isolément. Mais Polli
a répondu à ces arguments par les expériences suivantes :
il versa dans deux verres contenant la même quantité
de lait, d'une part, 1 gramme de borate de soude, et de
l'autre, 2 grammes de carbonate de soude. Au bout de
cinq jours, le lait mélangé au carbonate de soude était déjà
coagulé, commençant à exhaler l'odeur de l'acide lac-
tique, pendant que l'autre restait toujours liquide et ino-
dore.
De son côté M. Béchamp, dans la séance de l'Académie
'des sciences de Paris {Comptes rendus, 1 octobre 1872),
rapporte qu'il a expérimenté séparément l'action du borax
et de l'acide borique sur des solutions titrées de sucre pur,
mêlées à une quantité déterminée d'infusion aqueuse de le-
vure. Cette eau de levure, que M. Béchamp appelle zijmasey
possède la propriété d'intervertir le sucre, ainsi que le dé-
montre la réaction de la liqueur cupro-potassique. D'après
les résultats obtenus, ce savant croit devoir conclure que
lé bicarbonate de soude s'oppose à l'interversion du sucre
avec plus d'énergie que le borate de soude, et aussi que
l'acide borique n'est nullement la cause de l'influence
■exercée par le borax dans la fermentation. Le résultat des
■expériences précédemment décrites sur le lait, la bière et
les urines diabétiques, prouve, au contraire, que le pou-
voir antifermentatif réside dans l'acide borique et non
dans la base aWline du borax.
L'urine normale, traitée par l'acide borique, se maintient
limpide, sans odeur, sans réaction acide, pendant 15, 20
■€t jusqu'à 30 jours (en été). Quand la dose administrée au
malade a été un peu forte, après avoir versé dans l'urine
U8 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
quelques gouttes d'acide sulfurique pour décomp(»ser le
borate qui pouvait s'y être formé, si l'on traite ensuite par
l'alcool le résidu desséché, on peut obtenir, en enflammant
cet alcool, une belle flamme de couleur violette, qui carac-
térise la présence de l'acide borique.
L'adjonction d'acide borique à un liquide fermentescible
agit mieux que l'adjonction du borax. Polli avait été frappé
de ce fait, que l'acide borique peu soluble dans l'eau (1 p.
SO à froid), était cependant plus actif que le borate de soude
à saturation, bien que 1 gramme de borax se dissolve dans
-12 parties d'eau. De même l'addition d'acide borique à
l'état solide et de cristaux pulvérisés produit un effet plus
complet et plus durable que l'addition de la même quantité
d'acide dissoute dans un véhicule convenable,
Jalan de la Croix n'a fait porter ses expériences que sur
le biborate et le salicyloborate de soude; il n'a point déter-
miné la valeur antiseptique de l'acide borique, et nous som-
mes étonné de lire qu'elle lui paraît plus faible que celle des
borates en général, au moins pour la conservation des vian-
des. Ce résultat est en contradiction avec les recherches
de Polli et de tous les autres observateurs.
Schwartz a fait tout récemment des expériences avec le
borate de soude, sur les bactéries de l'infusion de tabac
cultivées dans le liquide de Bucholtz-Pasteur ; il a trouvé
que la limite d'action préservatrice n'était atteinte que par
des dilutions à 1 p. 150. Kiihn a constaté qu'il fallait une
dilution 3 fois plus concentrée pour empêcher le dévelop-
pement des bactéries de l'infusion de pois, cultivées dans
le liquide de Bucholtz. Wernitz a montré que à 1 p. 100^
la solution de borax agit également bien sur l'émulsine, la
myrosine, la diastase, la ptyaline ; au contraire une dilution
à 1 p. 1, 000 suffît pour influencer le ferment de la présure,
et celle de 1 p. 3,580 pour rendre inactif le ferment de
l'invertine. Jalan de la Croix a trouvé qu'il fallait les pro-
portions suivantes de biborate : pour empêcher le dévelop-
ACIDE BORIQUE. 149
pement des bactéries du bouillon de viande dans du bouillon
de viande ensemencé, il faut la dose de 1 p. 62, et pour
détruire les corpuscules germes inoculés dans le liquide
en ces conditions, la dose de 1 p. 14 est encore insuffi-
sante. Pour détruire dans du bouillon les bactéries bien
développées, il faut 1 p. 48, et pour tuer tous les germes,
la dose de 1 p. 12 n'est pas encore assez forte.
La dose de 1 p. 30 empêche le développement spontané
des bactéries dans le bouillon cuit abandonné à l'air libre,
et celle de 1 p. 107 dans du bouillon cru, différence qui
ne se comprend pas bien. Pour détruire tous les germes
dans ces conditions, la dose de 1 p. 14 ne suffit même
pas.
Le travail le plus récent sur l'action de l'acide borique
est celui que Neumann a fait à Dorpat, dans le laboratoire
du professeur E. Semmer (1). Neumann a vu la viande
et le lait se conserver d'autant plus longtemps que l'on
élevait davantage la dose d'acide borique pur :
La viande reste fraîche,
dans une solution à 1/2 pour 100, pendant 8 jours.
— — 1 — 100, — 11 —
— — 2 — 100, — 18 —
— — 4 — 100, — 21 —
Dès le 16* jour, des moisissures apparaissaient dans la
Solution. Pour assurer la conservation du lait pendant plu-
sieurs jours (environ 8 jours), M. Neumann a trouvé qu'une
proportion d'acide borique égale à 1 ou 2 sur 1,000 était
suffisante.
La dose de 2 à 4 grammes par 100 grammes de liquide
est donc, en général, nécessaire pour tuer les bactéries et en
prévenir le développement dans le liquide lui-même ; tou-
tefois, le borax qui a tant d'avantages au point de vue de
la pratique, reste presque sans action contre les germes;
(1) J. Neumann, Experimentelle Untersuchengen ilber die Wirkung det'
Borsaure. [Archiv fur experimentelle Pathologie-, 20 mai 188J, p. 148.
ISO ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
ceux-ci ne sont qu'engourdis, ils ne sont pas détruits, et
ils reprennent leur activité quand on les transporte dans
un milieu de culture favorable. Heureusement qu'il est fa-
cile de maintenir constamment les germes, dont on suppose
la présence, au contact de la solution boratée qui ne per-
met pas leur développement.
M. Pasteur recommande les solutions de borax comme
d'excellents moyens de désinfection des mares souillées
par les protorganismes du charbon et des différents virus
bactériformes.
M. le professeur Félix Guyon fait un usage journalier^
pour le pansement des plaies, de plumasseaux d'ouate hu-
mectés d'une solution saturée d'acide borique ; les malades
supportent parfaitement ce topique inodore, non irritant,
inoffensif, et qui ne tache ni le linge ni les mains. Ce to-
pique est entré dans la pratique journalière de la chirur-
gie, et il mérite d'y garder une bonne place.
Jusqu'à présent, on n'a pu donner une explication sa-
tisfaisante du mode d'action de l'acide borique ; ce n'est
ni un coagulant, ni un oxydant direct, ni un caustique, etc..
Le docteur Pavesi, de Mortara, a montré qu'une solution
aqueuse concentrée de borate de soude jouit de la pro-
priété d'engendrer de l'ozone. On le démontre par la
prompte coloration que subit à son contact le papier réac-
tif à la teinture de gayac. C'est peut-être à l'ozone que le
borate emprunte ses propriétés à la fois antiseptiques»
antifermentatives et désinfectantes ; mais n'abuse-t-on pas
un peu, depuis quelques années, de l'intervention de
l'ozone?
Le borate de soude, le biborate d'ammoniaque participent
des propriétés antiseptiques de l'acide borique. Le bibo-
rate d'ammoniaque, en particulier, a été utilisé pour injec-
tion conservatrice des cadavres. En 1859, des expériences
ont été faites avec ce sel, au Val-de-Grâce, et nous avons
fait nous-même l'autopsie, en août 1859, d'un cadavre qui
SILICATE DE SOUDE. 151
au mois d'octobre 1858 avait reçu dans la carotide 6 li-
tres de liquide tenant en solution 800 grammes de bibo-
rate d'ammoniaque. La conservation était parfaite, les or-
ganes avaient gardé leur consistance et leur coloration,
les lésions anatomiques qui avaient causé la mort
purent être facilement reconnues ; la surface cutanée était
seule desséchée, par l'exposition à l'air libre pendant près
de 10 mois, sur une table d'amphithéâtre. L'acide borique
et ses composés nous paraissent donc des agents antisep-
tiques de premier ordre, et nous les croyons aptes à
jouer un rôle considérable dans le traitement hygiénique
des affections internes et externes.
Silicate DE soude. — MM. Rabuteau etF. Papillon (1) ont
montré par des expériences précises, que le silicate de
soude empêche toute manifestation des agents divers de la
fermentation et delà putridité; ils ont vu qu'en ajoutant
1 gramme de silicate à 100 grammes de moût de vin ou
d'urine, on empêche la fermentation ou la décomposition
du sang, du pus, de la bile de se produire pendant plus de
8 jours. Une solution de silicate de soude au 25" empêche
pendant plus de 10 jours une émulsion d'amandes douces
et amères d'exhaler l'odeur d'hydrure debenzoïle; ils pen-
saient qu'à dose égale, le silicate de soude était plus actif
que le borate de soude ; mais 1 gramme de silicate dis-
sous dans 40 grammes d'eau et injecté dans les veines
d'un chien détermine la mort avec vomissements et albu-
minurie, tandis que la même dose de borate ne trouble pas
la santé de l'animal. Ces auteurs ont recommandé l'injec-
tion intravésicale, dans le cas d'urines fétides, d'une solu-
tion contenant 50 centigrammes de silicate de soude pour
(1) Rabuteau et Papillon, Recherches sur les propriétés anti fermentes-
cibles et l'action physiologique du silicate de soude. (Comptes rendus de
V Académie des sciences, 30 septembre 1872, 28 oclobie 1872 et 2 décem-
bre 1872.)
152 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
100 grammes d'eau, et MM. Dubreuil, Marc Sée, Cham-
pouillon paraissent en avoir tiré un bon résultat.
M. Picot (1) est arrivé à des conclusions un peu différen-
tes : il a fallu 1^%60 de silicate pour empêcher la fermen-
tation de 100 grammes d'une solution de levure de bière et
de glucose; mais 100 centimètres cubes d'eau dans les-
quels on avait broyé 40 grammes de viande fraîche, puis
ajouté seulement 20 centigrammes de silicate de soude, ne
laissaient constater au bout d'un mois aucun animalcule de
putréfaction. Il a trouvé en outre que ce sel,- à très petites
doses, retarde beaucoup la fermentation, qu'il s'oppose à
la transformation en glycose de la matière glycogène du
foie, etc. Dans un dernier mémoire, M. Picot arrivait aux
conclusions suivantes :
« Il tue à la dose de 1 gramme les lapins auxquels on le
donne ; il produit la tendance à l'asphyxie par la destruc-
tion des globules rouges, la fièvre, la diarrhée. Il n'em-
pêche pas la mort des animaux auxquels on injecte du
glucose et de la levure de bière. Quant à son action sur la
septicémie expérimentale, il n'empêche pas la mort, que
l'animal soit saturé de ce sel avant, pendant ou après l'in-
jection putride; il arrête bien la putréfaction en dehors de
l'économie, mais il ne prévient nullement la fermentation
putride du. sang. »
Nous consignons ici l'explication donnée par Gubler et
Bordier (2) du mode d'action du silicate de soude ; d'après
ces auteurs, ce sel est un antifermentescible, parce qu'il
incruste, il fossilise les germes. L'hypothèse est ingé-
nieuse, mais c'est une hypothèse, et aucun examen histo-
logique ou histochimique n'a encore démontré la réalité de
cette fossilisation.
(1) Picot, Sur les propriétés antifermentescibles du silicate de soude.
{Comptes rendus de V Académie des sciences ; 1872, t. II, p. 1124 et 1516 ;
et 1873, t. I, p. 99.)
(2) Gubler et Rordier, Des substances antiputrides et antifermentescibles,
(Bulletin de thérapeutique, 1873, t. LXXXIV, p. 265.)
ACIDE PYROGALLIQUE. 153
Acide pyrogallique. — Il se présente sous l'aspect de
lames ou d'aiguilles blanchâtres, de saveur amère et astrin-
gente, très solubles dans l'eau.
M. le docteur Bovet (1), de Neuchàtel, a fait une ingé-
nieuse application des théories récentes de M. Pasteur,
à la recherche et à l'emploi d'antiseptiques nouveaux.
M. Pasteur, on le sait, a distingué les bactéries et vibrions
en aérobies et anaérobies, ceux qui ne peuvent vivre
qu'en présence de l'oxygène, et ceux que l'oxygène tue.
Dans un liquide qui commence à se putréfier, le premier
effet du développement des infusoires (monas crepusculum
et bacterium terrao), est la disparition de l'oxygène dans
les couches supérieures ; quand il n'y a plus d'oxygène,
les bactéries meurent et leurs cadavres tombent au fond du
vase pour faire place aux vibrions aérobies. M. Bovet s'est
demandé s'il ne serait pas rationnel de supposer aux sub-
stances qui sont très avides d'oxygène et qui l'absorbent,
les propriétés antiseptiques regardées aujourd'hui comme
le privilège des corps oxydants ; en d'autres termes, les
substances avides d'oxygène ne pourraient-elles pas tuer
les vibrions pour ainsi dire par asphyxie? L'acide pyrogal-
lique ou mieux pyrogallol est très avide d'oxygène ; on
s'en sert journellement dans les laboratoires pour doser
l'oxygène; une pincée de cet acide introduit sous le mercure
dans une éprouvette remplie d'un mélange gazeux absorbe
presque instantanément l'oxygène, qu'on dose par la réduc-
tion du volume total. Personne a constaté que lorsqu'on
l'injecte dans le sang, même en solution assez faible, il
amène assez rapidement la mort, sans doute en désoxy-
génant le liquide sanguin.
M. Bovet a expérimenté l'action du pyrogallol sur les
(1) V. Bovet, de Neuchàtel, Des propriétén antiseptiques de l'acide pyro-
gallique. (Lyon médical, 12 janvier 18"9, p. 37, et Revue d'hygiène, 1879,
■p. 154.)
134 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
ferments organisés ; ses expériences lui ont fourni les ré-
sultats suivants :
1° Une solution de 1 à 2 pour 100 empêche pendant
des mois le développement d'odeur et de protorganismes ;
2° La solution à 2 1/2 p. 100 enlève l'odeur et détruit
les bactéries des liquides en pleine putréfaction ;
3° La solution à 3 p. 100 immobilise sous le microscope
et tue les éléments du bacillus subtilis ;
4° L'acide pyrogallique empêche la fermentation alcoo-
lique et la formation de moisissures.
5° Les solutions à 2 p. 100, employées chez l'homme,
n'ont aucune action nuisible en application topique, et elles
désinfectent très bien, mais cet acide noircit les instru-
ments d'acier, et ceux-ci tachent fortement les mains; on
peut enlever ces taches avec l'acide oxalique et rendre aux
instruments leur couleur naturelle en les lavant dans une
solution concentrée de soude.
Nous n'avons aucune expérience personnelle de ce dé-
sinfectant, dont la cherté réduit singulièrement l'emploi.
Mais au point de vue de la théorie des désinfectants, il ne
pouvait manquer de trouver place ici, et il ouvre peut-être
la voie à de nouvelles découvertes en ce sens. L'acide py-
rogallique est malheureusement une substance qui paraît
toxique pour l'homme. Neisser (1) a relaté un cas terminé
par la mort, observé chez un homme de 34 ans atteint de
psoriasis généralisé, chez qui on avait voulu comparer l'ac-
tion de l'acide pyrogallique et celle de l'acide chrysophani-
que ; les deux moitiés du corps avaient été frictionnées avec
une pommade contenant l'un ou l'autre de ces acides. Le
lendemain, coUapsus, aspect cadavérique ; urine noire, mort
le 4' jour. A l'autopsie, sang de couleur brun-sale ; dégé-
nération adipeuse en îlots du muscle cardiaque. La mort,
(1) A. Neisser, Klinische Experimentelle zur Wirkung derPyrogallsaùre.
{Zeitschrift fiir kl.Med., 1879, 1. 1, p. 88, et Revue de Hayem, 1880, t. XVI,
p. 89.)
VINAIGRE. — ACIDE ACÉTIQUE. 155
suivant Neisser, devait être rapportée à la destruction des
globules rouges par l'acide pyrogallique, au passage de la
matière colorante dans le plasma sanguin, c'est-à-dire à
l'hémoglobinurie.
Vinaigre, acide acétique. — Le Vinaigre, l'acide acétique^
sont des antiseptiques ; nous en avons la preuve dans les
conserves de légumes servant de condiments. Il ne faut pas
oublier toutefois que le vinaigre est un milieu favorable
à la pullulation d'un nombre extraordinaire d'anguillules^
d'infusoires , de protorganismes de toutes sortes , sans-
compter même les corpuscules de la fermentation acétique..
C'est peut-être sans raison suffisante que le vinaigre jouit,
dans le public, d'une grande réputation comme désinfec-
tant et comme antiseptique. Liebig a cherché à justifier
ce préjugé, en disant qu'en réalité l'acide acétique a le
pouvoir de fixer l'ammoniaque et les bases organiques qui
accompagnent la fermentation. Mais son action est faible^
et son efficacité presque illusoire.
L'acide acétique a joui anciennement d'une grande répu-
tation comme désinfectant. Il était jadis en grande faveur
chez les Arabes et plus tard chez les Italiens. On raconte
que le cardinal Wolsey transportait toujours avec lui une
éponge imbibée de vinaigre, qu'il plaçait dans une peau
d'orange ; il en respirait l'odeur quand il traversait les-
foules compactes qui se pressaient sur son passage. La
légende a transmis jusqu'à nous cette opinion assez peu;
justifiée sur la valeur de l'acide acétique ou du vi-
naigre : pendant la peste de Alarseille (1120), on arrêta
quatre malfaiteurs qui dépouillaient les corps des pestiférés ;
on leur promit la vie sauve s'ils faisaient connaître le
moyen par lequel ils avaient réussi à se préserver de la
contagion : la formule du vinaigre des quatre voleurs
remonte à cette époque.
En ces derniers temps, le D' Roth a essayé de réhabili-
156 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
ter la vertu désinfectante de l'acide acétique: nous ne pen-
sons pas que la lecture de son mémoire convainque per-
sonne.
John Dougall se loue de l'emploi de ce qu'on appelle
dans la pharmacopée anglaise l'acide acétique glacial
aromatique ; cet acide contient des huiles essentielles de
romarin, de néroli, de cinnamome, de girofle, debergamot-
te, de lavande et d'alcool ; c'est un véritable parfum qu'on
fait volatiliser sur une plaque de fer fortement chauffée ;
on fait encore des lavages du corps des malades avec une
éponge imbibée de ce mélange étendu d'eau, et il est vrai-
semblable que ce liquide aromatique remplacerait d'une
agréable façon les lotions vinaigrées qui sont chez nous
d'un usage si fréquent dans la fièvre typhoïde. En Angle-
terre, ces lotions sont très souvent employées, deux fois
par jour, à la période de desquamation de la scarlatine,
^t c'est là un bon moyen d'activer les fonctions delà peau,
en même temps que de détruire les germes contagieux qui
se détachent incessamment du malade. Certains auteurs
prétendent que ce lavage avec l'acide acétique aromatique
dégage autour du malade une atmosphère ozonisée, qui
■active la destruction des particules organiques et des
^miasmes.
Acide picrique. — L'acide picrique est un nouveau venu
dans la thérapeutique et comme antiseptique. L'acide pi-
•crique ou carbo-azotique est un phénol qui se produit dans
la distillation du goudron de la houille ; il se présente sous
l'apparence de cristaux d'un jaune citron, sans odeur, d'une
saveur acide et amère ; l'eau en dissout environ 15 grammes
par htre. C'est une substance assez toxique, qui, à la dose de
60 centigrammes par jour, produit chez l'homme, outre une
coloration jaune orange extrêmement foncée de la peau et
des urines, le ralentissement et l'affaiblissement du cœur,
la prostration des forces, l'hébétude, le vertige ; il est assez
ACIDE PICRIQUE. 15X
curieux de noter que ces accidents rappellent également
ceux qui accompagnent le véritable ictère par cholémie.
Depuis longtemps, M. Ranviera propagé, sinon introduit
chez nous, l'emploi de cet acide pour les préparations histo-
logiques ; il durcit les tissus et en empêche la putréfaction.
M. Chéron (1) a étudié l'action antiseptique et désin-
fectante de cette substance : il a obtenu la désinfection des
latrines d'un hôpital^ en y versant 10 litres d'une solution
picrique saturée à 15 grammes. L'acide picrique coagule
l'albumine (réactif d'Esbach pour le dosage volu métrique
de l'albumine urinaire), il arrête la prolifération des cel-
lules de la levure de bière ; la farine de moutarde délayée
dans une solution de cet acide reste inerte, la formation de
l'huile essentielle est empêchée. Il empêche également,
même à très faible dose et à une température de -|- 25",.
la formation de sucre dans un mélange de fécule et de
levain; la germination des graines de fleurs ne se fait plus
dès qu'on ajoute à l'eau qui a humecté ces graines une faible
quantité d'acide picrique. En faisant ingérer à un malade
une certaine dose de cet acide, les urines cessent de
subir la fermentation ammoniacale, même dans les cas de
catarrhe vésical ; on obtient le même résultat en injectant
une solution d'acide Jpierique directement dans la vessie.
Les expériences de laboratoire très précises confirment
ces résultats de l'expérience et de la pratique. Schwartz
(1880) a vu que les bactéries de l'infusion de tabac sont
tuées dans le liquide de culture de Bucholtz-Pasteur,.
quand on y ajoute une quantité d'acide picrique qui
porte le titre de la solution à 1 p. 15,000; la solution à
1 p. 20,000 était inefficace. Kiihn a eu besoin de la dose
de 1 p. 1,000 pour empêcher le liquide de Bucholtz de se
peupler de bactéries après y avoirversé quelques gouttes
d'une infusion de tabac ou d'ergot de seigle, chargée de
(1) J. Chéron, De l'acide picrique et de ses propriétés antiseptiques^
Journal de thérapeutique de Gubler, 1880, p. 121.)
158 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
bactéries adultes. Wernitz, de son côté, a trouvé que tandis
que la dilution à 1 p. 500 avait peu d'action sur le ferment
lactique, la dose del p. 3,133 suffisait pour abolir l'action
de l'émulsine.
Jalan de la Croix est arrivé aux résultats suivants , qui
•diffèrent sensiblement de ceux de Kiihn.
Le bouillon dans lequel on laisse tomber quelques gouttes
de bouillon contenant des bactéries, ne permet plus le dé-
veloppement de ces bactéries quand il contient 1 p. 2,005
■d'acide picrique et les germes eux-mêmes sont détruits par
la dose de 1 p. 706.
La dose qui tue les bactéries adultes en plein dévelop-
pement dans le bouillon est 1 p. 1,000, et 1 p. 200 celle
•qui stérilise définitivement les germes. La dose de 1 p.
2,000 suffit pour empêcher le développement de bactéries
dans le bouillon cru ou cuit, exposé à l'air libre ; mais la
dose de 1 p. 200 à 1 p. 100 est nécessaire dans ce cas
pour détruire sans retour la reviviscence de tous les ger-
mes.
On voit doneque la valeur antiseptique de l'acide picrique
est sérieuse ; elle est encore peu connue et peu utilisée. La
coloration intense et tenace que donne cet acide à tous les
tissus et à tous les liquides, son action déjà toxique à des
doses modérées, diminuent malheureusement un peu les
espérances que les résultats précédents pourraient faire
•concevoir. Pendant nne année, à Constantine, nous avons
expérimenté l'emploi interne de cet acide dans la fièvre
intermittente, à vrai dire sans succès.
Acide phénique. — Nous nous contenterons de rappeler
certaines propriétés de l'acide phénique ou carbolique que
l'hygiéniste a besoin de connaître. Il est peu soluble dans
l'eau, mais il est soluble en toutes proportions dans l'al-
cool, dans l'huile, dans la glycérine. Ces deux derniers
véhicules sont extrêmement précieux. Les solutions fortes
ACIDE PHÉNIQUE. 159
d'huile phéniquée sont admirablement supportées par les
plaies récentes ; l'huile phéniquée empêche la volatilisa-
tion rapide de l'acide, elle protège mieux que l'eau contre
l'envahissement des protorganismes venus du dehors;
elle s'oppose dans une certaine mesure à l'absorption
de l'acide phénique et rend les intoxications plus diffi-
ciles. De l'huile phéniquée à 20 p. 100 est mieux suppor-
tée qu'une solution aqueuse à 2 p. 100. Cependant Koch,
G. Wolffhiigel et von Knorre viennent de montrer que
l'eau phéniquée est plus active que la solution dans l'huile
(désinfection des plaies).
Lister emploie communément deux solutions aqueuses :
la faible à 2 1/2 p. 100, la forte à 5 p. 100. A l'intérieur,
l'acide phénique a été employé comme antiseptique dans
la fièvre typhoïde, la variole, etc., soit en lavements, soit
en potions ou en pilules. La dose maximum par jour ne
doit pas dépasser 1 gramme, et il y aurait peut-être dan-
ger à administrer d'emblée une dose aussi forte. Dans la
médecine humaine et dans la médecine vétérinaire, les
injections sous-cutanées d'acide phénique très pur ou des
divers phénates solubles ont été employées avec succès
dans les maladies infectieuses, les intoxications septiques,
en particulier autour des pustules malignes. Dans ce der-
nier cas, M. Trélat et M. Verneuil ont obtenu des succès
remarquables par ce moyen.
L'acide phénique a l'inconvénient d'être caustique, irri-
tant, et à l'intérieur toxique. Kuster et Nussbaum ont bien
étudié ces accidents d'intoxication qui se caractérisent par
de la céphalalgie, de la gastralgie, du refroidissement avec
lipothymie, faiblesse du pouls, coloration verte, puis noire
des urines. Ces symptômes n'arrivent guère qu'après l'in-
jection stomacale de doses élevées d'acide phénique (plus
de 1 gramme en 24 heures), et quand on a abandonné des
solutions fortes dans des cavités closes ou dont l'écoulement
se fait difficilement ; on comprend qu'il y ait un véritable
160 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
danger à laver la plèvre avec une solution contenant
20 grammes d'acide par litre, quand une partie du liquide
doit séjourner dans la cavité pleurale. II ne faut pas donner
toutefois une valeur exagérée à la coloration noire ou bistre
des urines ; nous l'avons constatée plusieurs fois chez des
malades qui n'avaient aucun symptôme d'empoisonnement,
dont la santé n'était de ce fait aucunement troublée, et qui
n'avaient absorbé qu'une dose presque insignifiante d'acide
phénique, entre autres chez un albuminurique dont les
jambes infiltrées et exulcérées étaient pansées avec une
solution à 1 p. 200. La coloration noire ne survient parfois
que quelque temps après l'émission de l'urine, par l'expo-
sition prolongée à l'air. Les enfants supportent mal l'acide
phénique, et les accidents sont chez eux, toute proportion
gardée, plus communs que chez les adultes.
Pour conjurer les phénomènes de l'intoxication par
l'acide phénique, on a préconisé l'administration, à l'inté-
rieur, du sulfate de soude. Baumann a reconnu que dans
l'organisme les sulfates alcalins s'unissent à l'acide phé-
nique pour former des sulfo-phénates non toxiques.
D'autre part, Sonnenburg a constaté cliniquement qu'en
administrant du sulfate de soude, à dose non purgative, à
des malades chez qui l'on observait avec les urines noires
les symptômes de l'intoxication par l'acide phénique, on
voyait presque immédiatement disparaître à la fois la colo-
ration brune des urines et les accidents toxiques, en même
temps que les sulfates qui avaient disparu de l'urine recom-
mençaient à y apparaître. L'on a récemment recommandé
contre les empoisonnements par l'acide phénique, l'emploi
du sucrate de chaux, sous la forme suivante :
Sucre 16 parties .
Eau 40 —
Chaux caustique 5 —
Ce liquide est employé pour faire des lavages avec la
pompe stomacale
ACIDE PHÉNIQUE. 161
Ces préliminaires rappelés, voyons quelle est la mesure
des propriétés antiseptiques de l'acide phénique :
A. Wernich a mêlé à de la viande hachée une solution
d'acide phénique ; une proportion de cet acide, égale à
2 p. 100 de la masse, empêche la décomposition ; mais dès le
4» jour, les bactéries peuvent déjà reparaître. La plupart
des ferments perdent leur action par une dose d'acide
phénique égale à 1 p. 20 même 1 p. 80; celle de 1 p. 100
suffit pour détruire le ferment de la présure.
Sternberg humectait de quelques gouttes d'acide phéni-
que impur un petit chiffon suspendu au milieu d'une caisse
en bois cubant 10 décimètres cubes : des verres de montre,
placés au milieu de la caisse, renfermaient une infusion
de viande chargée de bactéries ; on notait au bout de
combien de temps d'exposition à ces vapeurs d'acide
phénique les bactéries restaient définitivement (pendant
4 heures) immobiles :
Au bout de 20 minutes .... avec 8 gouttes d'acide.
— 1 tieure avec 5 gouttes —
— 1 heure 10 . . . . avec 3 gouttes —
Il est regrettable que l'auteur n'ait pas opéré avec de
l'acide phénique pur et cristallisé, car le degré d'impureté
de l'acide phénique peut varier extrêmement suivant les
pays. Néanmoins, nous ferons remarquer que 5 gouttes
d'acide dans une capacité de 10 litres 1/2, correspondent à
1 k. 350 dans une chambre ordinaire, cubant 60 mètres!
MM. Gosselin et A. Bergeron (1) ont montré que la solu-
tion d'acide phénique doit être concentrée pour empêcher
l'apparition des bactéries et de la putréfaction dans du sang
(1) Gosselin et A. Bergeron, Études sur les effets et le mode d'action des
substances employées dans le pansement antiseptique. (Comptes rendus de
l'Académie des sciences, séance du 29 septembre 1879, et Recherches sur
la valeur antiseptique de certaines substances et en particulier de la so-
lution alcoolique de Gaultheria. Archives de médecine, janvier 1881,
p. 16.)
VaLLIN. — DÉSINFECTAMS. 11
162 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
abandonné à l'air libre. Les auteurs plaçaient dans chaque
tube 1 gramme de sang frais, et y ajoutaient 6 gouttes
d'une solution phéniquée plus ou moins concentrée : ils
ont obtenu les résultats suivants :
1 gramme sang ou sérum pur
— -\- 6 gouttes d'acide pliénique au 100°
— +6 gouttes de solution au 50" . . .
— — 6 gouttes de solution au 20« . . ,
DEBUT DE LA PUTREFACTIOIN
3 à 4e jour
■i à 5e »
b à 6" »
après le 2ie jour
7e jour.
10» »
Nulle trace
de putréfaction
au 30» jour.
Si l'on tient compte de la dilution définitive, on verra que
la putréfaction n'a été complètement empêchée que par une
dilution à 11 p. 100, c'est-à-dire en ajoutant 15 milligram-
mes d'acide phénique cristallisé à ls',30 de liquide totaL
Dans des expériences ultérieures, MM. Gosselinet Berge-
ron ont vu qu'on arrivait à un résultat beaucoup plus sûr
en ajoutant chaque jour une goutte de solution phéniquée
au liquide qu'on veut préserver : c'est une confirmation
des opinions précédemment émises par Dougall, Béchamp^
Neubauer ; on fait cesser ainsi l'accoutumance des bactéries
à une solution phéniquée déterminée ; on remplace en outre,,
et au delà, l'acide phénique qui s'évapore incessamment
d'un jour à l'autre.
M. Jalan de la Croix, à la suite de 54 expériences faites
avec l'acide phénique, est arrivé aux résultats suivants..
Pour empêcher le développement des bactéries dans du
jus de viande préparé aseptiquement, et dans lequel on fait
tomber 2 gouttes de jus fourmillant de bactéries, il faut
ajouter au premier liquide une dose d'acide phénique égale
ACIDE PHÉNIQUE. 163
à 1 sur 669. Mais pour que les germes contenus dans
quelques gouttes de ce liquide ainsi désinfecté, portées
dans un milieu de culture approprié, ne soient plus ca-
pables de reproduire les bactéries, il faut qu'ils aient subi
l'action d'une solution d'acide phénique à 1 sur 22, soit
près de 5 p. 100.
Dans du jus de viande, les bactéries qui y ont pullulé
après ensemencement direct à l'aide de quelques gouttes
de jus chargé de bactéries, ne sont tuées que par une dose
d'acide égale à 1 sur 22. Pour être sûr que les germes
contenus dans ce liquide ne se reproduiront pas dans un
milieu convenable, il faut que la proportion de l'acide ait
atteint la dose énorme de 1 partie pour 2, 6 parties du mé-
lange, soit près de 40 grammes d'acide phénique cristal-
lisé pour 100 grammes du liquide ! Pour empêcher du jus
de viande, abandonné à l'air libre, de se remplir de bacté-
ries, il suffit d'une proportion d'acide de 1 pour 402,
soit 2o centigrammes d'acide pour 100 grammes du mé-
lange,quand le jus de viande a été soumis à l'ébullition ; et
cette fois encore, il faut 1 partie d'acide sur 22, pour empê-
cher les germes de se reproduire. Quand, au contraire, le
jus de viande a été préparé à froid, non bouilli, il ne faut
plus que 1 d'acide pour 502, soit 2 p. 100 ; mais les germes
ne sont pas définitivement stérilisés, même par une solu-
tion à 1 pour 10!
Il est impossible d'accepter sans réserves ces chiffres un
peu extraordinaires. Tout d'abord, il est presque incon-
cevable qu'il faille une dose moindre d'acide phénique
pour préserver le bouillon cru, que pour préserver
le bouillon qui a subi une ébulHtion d'une demi-heure.
C'est le contraire qui devrait avoir heu, puisque l'ébullition
a dû détruire tous les germes qui existent presque inévita-
blement dans de la viande de boucherie. Nous trouvons
d'ailleurs souvent mentionnée cette différence en faveur du
bouillon cru, dans le tableau général de Jalan de la Croix;
164 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
c'est un motif pour ne pas accepter aveuglément les
conclusions de l'auteur, et pour craindre qu'il n'y ait là
qu'un simple hasard d'expérience. En outre, le chiffre de
1 sur 2,6 dépasse toute mesure. L'acide phénique nous
fournit un curieux exemple d'accoutumance, on pourrait
dire d'acclimatement, des protorganismes et des ferments
à un milieu toxique. Neubauer (l)a démontré pour l'acide
salicylique, et M. Béchamp de Montpellier (2) pour l'acide
phénique et la créosote, que ces agents antiseptiques
entravent, suspendent l'action du ferment sans le détruire.
Quand la dose de l'antiseptique n'est pas trop forte, la
fermentation qui était déjà en plein développement s'arrête;
mais a le ferment se fait peu à peu à sa nouvelle situation ;
la fermentation s'accomplit lentement, et la multiplication
continue à se faire si les matériaux de nutrition sont suf-
fisants ».
Le D'' Cheyne (3), qui a été interne de Lister en 1876, a
commencé à cette époque, avec son maître, des recher-
ches intéressantes dont il a donné le résultat en 1879.
Les bactéries n'apparaissent que très rarement sous les
pansements antiseptiques bien faits ; mais les micrococcus
y sont très communs, presque habituels, et comme il
est difficile de reconnaître au microscope la présence de
ces spores ou germes de bactéries, M. Cheyne a cher-
ché à en démontrer l'existence, en inoculant, avec le
pus recueilli sous les appareils, une ^f^lll^gg^ aseptique
et bouillie de concombre, qui est i^-iî/ÇftiilB^èfe'^ï'^'^ P""
trescible. En cultivant ainsi les micrc^çjg^fug^e^ les bac-
téries , M. Cheyne a reconnu que \§p .^p^^^ganismes
'8 B ijjp fl
(1) Neubauer, Ueber die gahrungshemmende ^if]ff'ftim<^ Salicylsaure.
{Journal fur prak. Chemie, 1875, t. XI.) ^
(2) Béchamp. Observations sur les antiseptiqtièsî<^<^M^nl)pellier médical,
no V. 1873, janv. el février 1876.) y ^[ çjf,
(3) T. Watson Cheyne, Remarks on the occurence of organisms under
antiseptic dressings. (Médical Timeslatul Gazettkl Il4"mars 1879, p. 561,
-564 e 674.) ,i •
ACIDE PHÉNIQUE. 165
nés dans une solution à 1 p. 500 pouvaient donner nais-
sance à d'autres spores ou bactéries capables de vivre dans
une solution à 1 p. 400, puis successivement à 1 p. 100.
Nous admettrons volontiers que les chiffres précédents
puissent être dépassés, mais qui ne voit la différence
incroyable qui existe entre ces chiffres et le dernier chiffre
mentionné par Jalan de la Croix : 1 sur 2,6 ? Non pas
que nous nous exagérions les vertus antiseptiques de
l'acide phénique ! cet agent a eu et conserve encore
aux yeux du public une valeur usurpée comme désin-
fectant : on juge de sa vertu d'après son odeur, et cette
odeur est si fragrante, même à très faible solution!
Les expériences faites en 1819, au Val-de-Grâce, par
3IM. Perrin et Marty (1), prouvent qu'il ne faut pas trop
compter sur les vapeurs, ni sur les pulvérisations de solu-
tions phéniquées pour rendre aseptique l'air des salles et
l'atmosphère qui entoure un blessé. Ces auteurs ont opéré
sur des liquides facilement fermentescibles, l'eau d'orge,
le lait, le sang, l'urine. Des vases rempHs de ces liquides
étaient exposés dans l'air provenant des salles de malades;
d'autres étaient conservés à l'abri de toute souillure ulté-
rieure, sous une grande cloche de verre, dans laquelle
on pulvérisait une solution phéniquée à 5 p. 100, Les
deux groupes de liquides se remplirent rapidement de
bactéries, dans l'atmosphère purifiée par le spray phé-
nique aussi bien que dans l'air impur des salles, ce qui
prouve tout au moins combien il est difficile de débarrasser
par l'acide phénique, une atmosphère même limitée, de
tous les germes qu'elle contient. Une telle pulvérisation
peut bien détruire à la rigueur les bactéries adultes qui
sont à la surface du liquide, mais non pas les corpuscules
germes qui peuvent en souiller toute l'épaisseur; ce sont
(1) M. Perrin, Sur la valeur comparative du pansement de Lister et du
pansement alcoolique . (Bulletin de la Société de [chirurgie, séance du
12 février 1879, t. V, p. 153.)
i66 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
ces germes qui, arrivant plus ou moins rapidement à l'état
de bactéries, envahissent tout le liquide.
John Dougall, l'un des auteurs qui ont le mieux étudié
les désinfectants, a conclu d'expériences nombreuses, « que
l'acide phénique n'est pas un désinfectant, qu'il ne détruit
pas la matière organique ; ce n'est qu'un antiseptique, il
la conserve et l'embaume, il arrête et empêche la putré-
faction et la fermentation, il suspend l'action zymotique ;
mais bientôt, en se volatilisant, en abandonnant la ma-
tière infectante ou contagieuse sur laquelle il s'était mo-
mentanément fixé, il restitue à celle-ci toute son activité » .
Nous verrons plus loin, en parlant des antivirulents, que
Baxter et Dougall n'ont obtenu la neutralisation de certains
virus, qu'en les soumettant à des doses très élevées d'acide
phénique, et encore ne réussit-on pas toujours.
Parkes fait l'expérience suivante, pour prouver que
l'acide phénique suspend le développement des pro-
torganismes, mais qu'il ne les détruit pas, si ce n'est à des
doses très concentrées. Il fait passer sur des matières fécales
fraîches, de l'air qui se lave dans l'acide sulfurique ; les
matières se remplissent de protorganismes ; puis, on fait
arriver sur ces matières ainsi cultivées de l'air chargé de
vapeurs d'acide phénique ; très rapidement, l'on voit les
parasites s'arrêter, se flétrir, devenir brunâtres, languis-
sants, ou être en état de mort apparente ; enfin, on fait
de nouveau passer de l'air débarrassé de tout germe en
barbottant.dans de l'acide sulfurique; et de nouveau les
parasites reprennent leur activité et leur développe-
ment. (Army médical Report for 1866, T. VIII, p. 318.)
Dans les expériences très minutieuses et très intéres-
santes qu'il a faites sur la désinfection des matières de
vidanges, il a vu qu'il fallait au moins 3 grammes 88 cen-
tigrammes d'acide phénique cristallisé du commerce par
jour, pour désinfecter les déjections solides d'un homme;
même cette quantité relativement énorme, par une tem-
ACIDE PHKNIUUE. 167
pérature de -\- 14*' C, ne fait pas disparaître complètement
l'odeur fécale, et n'arrête pas tout développement de vi-
brions à mouvements rapides. A une température plus
haute (-[- 30° C), l'effet est encore moins puissant, et il
faut une dose plus forte d'acide phénique. Parkes a aussi
■remarqué que les préparations liquides d'acide agissent
mieux que l'acide cristallisé lui-même, et que les acides
impurs du commerce semblent plus puissants que l'acide
très purifié.
Lorsqu'on volatilise l'acide phénique en le soumettant à
une chaleur de-f- 188° C, les fumées qu'il produit n'ont pas
une action beaucoup plus certaine. Schotte et Gartner (1)
ont fait leurs expériences dansune cave mesurant 45 mè-
tres cubes, et éclairée par une fenêtre n'ayant que
1 1/2 mètre carré. Ils faisaient vaporiser dans des vases
émaillés, chauffés au gaz, des quantités déterminées d'a-
cide phénique cristallisé et recherchaient si, à la fin de
l'expérience, des bandes de flanelle imbibées d'un liquide
riche en bactéries, étaient encore capables d'ensemencer
un liquide' de culture préparé aseptiquement ; ils recher-
chèrent si les bactéries, contenues dans des vases placés
à diverses hauteurs de la chambre, avaient continué à vi-
vre ; quelle était l'action de ces vapeurs d'acide phénique
sur les matériaux servant à fabriquer la literie, son action
sur le cuir, l'acier poli et d'autres objets servant sur les
navires de l'État. Leurs expériences furent au nombre de
15, et leurs conclusions, en ce qui concerne l'acide phé-
nique, sont les suivantes :
L'acide phénique ne se volatilise pas facilement. Il bout
à 180° G. Il faut une source calorifique assez considérable
(la flamme d'un bec de gaz avec tirage), pour volatiliser
300 à 600 grammes d'acide phénique en une heure. Six
(1) Schotte und Gârner, Wie viel Carbolsaure oder wie viel schwefîig
Sciure in Gasform ist nothig zur Todtung kleinsten Lebena ? {Deutsche
Wiertelj. fur offenUiche Gesundhpftege, 1880, t. XII, p. 337 à 376.)
168 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
heures après que la combustion est terminée, on pouvait
séjourner et travailler dans la chambre sans être incom-
modé. Les bactéries des liquides contenus dans des vases
largement ouverts, placés à 2 mètres au moins au-dessus
du sol , n'étaient détruites que par la volatilisation ra-
pide (300 grammes en 25 minutes), de 1^%^0 d'acide
phénique par mètre cube ; quand la volatilisation se faisait
lentement, 300 grammes en 1 heure 15, la destruction était
moins certaine. Quand on plaçait les liquides bactérifères
sur des tablettes supérieures, dans un placard à demi en-
tr'ouvert, il fallait brûler 45 grammes d'acide phénique par
mètre cube pour détruire sûrement les bactéries : pour
détruire les bactéries dans les liquides placés sur les ta-
blettes inférieures, cette dose, par mètre cube, était insuf-
fisante.
La désinfection est plus facile et plus sûre, quand les
tissus exposés sont humides, que lorsqu'ils sont bien
secs. Les tissus secs ne sont désinfectés que par l'exposi-
tion dans une chambre où l'on a vaporisé 15 grammes
au moins d'acide phénique par mètre cube, tandis qu'une
dose de 12 à 13 grammes suffit pour les tissus humectés.
La rapidité de la volatilisation assure le succès de la désin-
fection, parce qu'il se fait une déperdition moindre des
vapeurs par les fissures des fenêtres et des portes , la po-
rosité des murailles, etc. L'épaisseur des objets à désinfec-
ter augmente notablement la difficulté de la désinfec-
tion des parties centrales.
Schotte et Gartner font remarquer combien serait coû-
teuse cette désinfection des chambrées par l'acide phénique
en vapeurs. Une petite salle d'hôpital, de 8 malades, mesu-
rant 300 mètres cubes, nécessiterait l'emploi de 4kil.500
d'acide. Les auteurs, qui sont médecins de la marine,
en concluent que l'acide phénique ne peut être em-
ployé pour désinfecter les vaisseaux ; nous admettons
leur conclusion, mais il faudrait des expériences contra-
GOUDRON. 169
dictoires pour démontrer définitivement qu'il faut des
doses aussi élevées d'acide phénique pour désinfecter une
petite salle d'hôpital.
A la vogue inouïe que les succès de Lister ont donnée à
l'acide phénique, succède aujourd'hui une sorte de réaction
à laquelle il ne faut pas trop céder. L'acide phénique ne
mérite ni l'excès de bien, ni l'excès de mal qu'on en a dit;
c'est un assez bon antiseptique, nous verrons que c'est un
très médiocre antivirulent ; c'est en un mot un désinfectant
peu sûr, sur lequel on fera bien de ne pas trop compter
dans les cas graves.
Nous n'avons pas à faire ici la description ni l'éloge
du pansement de Lister; nous croyons qu'il ne faut pas
attribuer ses succès seulement aux solutions phéniquées,
mais à la pulvérisation qui contribue pour sa part à débar-
rasser l'air mécaniquement des poussières qu'il contient ;
à l'occlusion très soignée de la plaie par les agents de pro-
tection qui composent l'appareil ; à la propreté extrême
qui préside à l'examen des plaies, etc. C'est ce qui explique
comment l'acide phénique qui réussit si bien dans le pan-
sement de Lister, donne de si médiocres résultats quand
on s'en sert pour désinfecter des matières en décompo-
sition, les matières fécales, les écoulements sanieux, etc.
Goudron. — Les produits de la distillation à l'abri de l'air
des matières combustibles végétales ou minérales, ont en
général des propriétés antiseptiques très marquées. Le&
goudrons de pin, de bois, ont été employés dès la plus
haute antiquité; la poix était l'un des principaux ingré-
dients dans la préparation des momies égyptiennes. Au-
jourd'hui encore le goudron et ses dérivés sont employés
pour empêcher la décomposition des bois, des cordages,
des toiles, etc ; le goudron de houille ou coaltar (coal,
houille, tar, goudron) que l'on obtient en grande abon-
dance dans les nombreuses opérations industrielles suf
170 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
lahouille, parait être un antiseptique encore plus puissant.
Tardieu a ainsi résumé l'historique de l'emploi du
coaltar comme désinfectant . « La propriété antiseptique
du goudron minéral avait été reconnue, dès 1815, par
Chaumette. En 1833, M. Guibourt, et en 1837 M. Siret,
€n avaient signalé la propriété désinfectante. En 1844,
Henri Bayard avait été couronné par la Société d'encou-
ragement, pour une poudre composée de coaltar, de sul-
fate de fer, d'argile et de plâtre, dont il faisait des appli-
cations à la désinfection. M. Corne prit, un brevet dès
1858, pour un mélange fait en quantité précise de plâtre
et de goudron minéral. Jusqu'en 1859, ces différents mé-
langes n'avaient été appliqués qu'à la désinfection et à la
solidification des matières animales, pour les convertir en
engrais. M. Demeaux paraît avoir eu le premier la pensée
d'appliquer la poudre de M. Corne aux pansements des
plaies fétides. Ce mélange, poudre de Corne et Demeaux,
qui jouit de propriétés désinfectantes, est d'un emploi
difficile ; il en est ainsi de toutes les autres préparations
qui contiennent du coaltar. L'utilisation de ce dernier a
été rendue plus facile par la saponification, dont MM. P.
Lebeuf et J. Lemaire ont eu l'heureuse idée d'expérimenter
les bons effets. »
Nous aurons l'occasion de parler de la poudre de Corne
et Demeaux, qui a excité très vivement l'attention des chi-
rurgiens en 1860, et sur laquelle Velpeau (1) a fait à l'Aca-
démie de médecine un rapport fort élogieux. Ce mélange
en proportions variables de plâtre et de |coaltar, agit à
la fois comme absorbant et comme antiseptique : il a
rendu des services, il en rend encore ; mais depuis l'exten-
sion qu'a pris le système de Lister, il n'a plus qu'un in-
térêt historique.
M. Dumas, dans une séance de l'Académie des sciences
(1) Velpeau, Rapport sur les désinfectants. {Bulletin de l'Académie de
médecine, 18o9-18e0. T. XXV, p. 430.)
GOUDRON. 171
du 25 juillet 1859, rappelait que le goudron et l'huile de
houille avaient été conseillés par un pharmacien de Meaux,
M. Siret, dont l'Académie avait couronné le travail. Il
montrait que l'adjonction du goudron aux sels métalliques
rendait plus parfaite la désinfection des vidanges, et
avait été grandement utilisée en Angleterre, pour désinfec-
ter les animaux morts et les champs de bataille. M. Dumas
trouvait l'explication de cette action efficace du goudron,
dans les expériences de M. Schœnbein sur la formation
abondante d'ozone dans l'air mêlé de vapeurs d'essence
de térébenthine. Si les vapeurs de coaltar ozonisaient l'air,
disait M. Dumas, il ne faudrait pas chercher ailleurs que
dans la combustion prompte des miasmes odorants par
cet oxygène ozonisé, la cause de la [destruction de l'odeur
putride des matières animales en décomposition.
Au point de vue pratique, on ne peut guère utiliser les
propriétés antifermentescibles du goudron en nature; on
emploie surtout les produits si compliqués et si divers de
sa distillation. Il s'est fondé depuis plusieurs années une
industrie spéciale , celle des fabricants d'essences de
houille, qui distillent les goudrons dont se débarrassent
les usines à gaz et beaucoup d'établissements oij l'on tra-
vaille la houille. Ces fabricants, en distillant les goudrons,
obtiennent d'un côté les essences légères, et de l'autre les
huiles lourdes. On considère comme essence légère tout
ce qui distille entre -{- 60° C. et -]- 200' C. environ, et la
densité de ces huiles ou essences varie de 0,78 à 0,80.
Quand on continue à chauffer, on distille les produits
cormus sous le nom générique d'huiles lourdes ; elles
passent entre la température de -j- 200° à -]- 220°, et
leur densité va jusqu'à 0,90 et même un peu au-dessus
de 100. Quand la distillation a été poussée jusqu'à-}- 220",
il ne reste plus que des huiles plus lourdes que l'eau,
renfermant beaucoup de paraffine; si l'on continue la
distillation, on obtient le braigras, puis lebrai sec.
172 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Les huiles légères, benzol, benzine et autres hydro-
carbures volatils sont employés dans le commerce, comme
dissolvants et comme essences pour l'éclairage ; nous
n'avons guère à nous en occuper comme agents de désin-
fection. Au contraire, les huiles lourdes sont des désinfec-
tants sérieux.
Huiles lourdes de houille. — M. Ed. Robin a insisté l'un
des premiers sur les propriétés antiseptiques des huiles
lourdes dont nous venons de parler. « La vapeur, dit-il, qui
s'exhale d'une éponge imbibée de cette huile rectifiée,
conserve avec leur forme, leur volume, leur flexibilité, et
une belle couleur d'un rouge brun, des morceaux de chair
disposés dans un vase bien bouché ; aucun liquide ne s'est
écoulé et l'on peut à volonté les retirer du vase et les dis-
séquer. Abandonnées à l'air libre, ces matières deviennent
dures comme du bois et sont désormais à l'abri de toute
putréfaction. » L'huile rectifiée présente sur l'huile brute
l'avantage de moins altérer la couleur et de conserver aux
chairs une apparence de fraîcheur remarquable ; pour l'em-
baumement des cadavres, la conservation des pièces anato-
miques, pour préserver les collections d'histoire naturelle
des cryptogames parasites, des moisissures et de la des-
truction, c'est cette huile rectifiée qu'il faut employer.
Mais, le bon marché extrême auquel le commerce livre
aujourd'hui les huiles lourdes de houille, rend ces der-
nières d'un emploi précieux pour la désinfection des eaux
d'égout, des fosses de vidanges, etc.
L'huile lourde de houille ou hydrocarbure phéiiique est
un Hquide brunâtre, à reflets argentés, gluant et onc-
tueux, d'une odeur pénétrante et persistante, d'une densité
de 1,030 environ : quand on la projette dans l'eau, une
partie tombe au fond du vase, l'autre partie surnage.
Jusqu'ici, cette huile lourde n'est guère employée que pour
imprégner les traverses de chemins de fer et les bois des-
HUILES LOURDES DE HOUILLE. 173
tinés à faire un long séjour dans l'eau ou l'humidité ; on
l'utilise dans certains établissements métallurgiques ou
industriels comme combustible, ou pour la fabrication du
noir de fumée ; son prix très minime, 10 francs l'hectolitre,
en rend l'usage très avantageux pour la désinfection des
fosses d'aisances et des amas d'immondices.
M. L. Dussart (1) a communiqué à l'Académie des scien-
ces, en 1874, les résultats favorables des expériences
qu'il a faites sur les latrines de la mairie du VHP ar-
rondissement de Paris. Tantôt il projetait l'huile lourde
de houille dans un récipient rempli d'urine et de ma-
tière fécale: tantôt au contraire il versait une certaine
quantité de cette huile dans le récipient vide, qui se rem-
plissait successivement de déjections ; enfin dans d'autres
circonstances il versait 3 litres d'huile de houille par mètre
cube, dans une fosse d'aisances cubant 40 mètres, dont la
vidange n'avait pas été opérée depuis longtemps, et qui
répandait des vapeurs ammoniacales très désagréables.
Au bout de quelques jours, toute odeur avait disparu, et la
fermentation ammoniacale ou putride cessa complètement.
M. le D'" Emery-Desbrousses a lu en 1880 (2), à la Société
de médecine publique, l'exposé des résultats excellents
qu'il a obtenus de cette façon dans une caserne de Caen,
où les latrines étaient en très mauvais état. A la maison
centrale de force de Melun, au pénitencier de Gaillon (Bou-
logne-sur-Mer), on a eu recours depuis plusieurs années à
ce désinfectant pour prévenir et faire disparaître l'insalu-
brité des latrines. Nous renvoyons à la seconde partie de
ce livre (désinfection des habitations, latrines), l'indica-
tion du mode d'emploi adopté par nos collègues.
(1) L. Dussart, Sur la propriété antiputride de l'huile lourde de houille.
[Union médicale, 22 août 1874, et Comptes rendus de l'Académie des scien-
ces, 1874, T. 82).
(2) D"" Emery-Desbrousses, De la désinfection des fosses d'aisances par
l'huilelourde de houille. [Revue d'hygiène et depolice sanitaire, iS80, p.oOo.)
174 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Il convient maintenant de jeter un coup d'œil sur quel-
ques autres produits de la distillation de la houille et du
bois.
Acide pyroligneux.— L'acide pyroligneux ou vinaigre de
bois est l'un des produits de la distillation du bois en vase
clos; l'acide brut renferme, avec de l'acide acétique, des
matières empyreumatiques qu'une nouvelle distillation
dégage ; on obtient alors l'acide pyroligneux dit de bon
goût. Il a parfois été employé pour le pansement des plaies
de mauvaise nature ou infectes, contre le phagédénisme,
la gangrène, le carcinome ; il agit à la fois comme désin-
fectant et comme caustique ; il doit une partie de son
efficacité à la créosote qu'il contient ; il participe donc des
propriétés de l'acide acétique et de celles de la créosote ou
de l'acide phénique ; son action n'est pas à dédaigner.
Créosote. — La créosote est un autre produit de la distilla-
tion des goudrons. Rappelons qu'elle est très peu soluble
dans l'eau, que cette insolubilité et son odeur intense li-
mitent nécessairement son emploi en hygiène pratique.
C'est Reichenbach (1), vers 1830, qui paraît avoir décou-
vert ses propriétés antiseptiques ; après une période d'en-
gouement, la créosote tomba en discrédit, et son emploi
resta réservé entre les mains des dentistes, qui s'en ser-
vent encore non seulement pour cautériser, mais encore
pour préserver de toute corruption les parties malades et
les pièces artificielles.
La créosote {qui conserve la chair), jnatiûe parfaitement
son nom ; c'est le principe de la conservation des jambons
soumis au fumage ; on s'en est servi pour conserver des
préparations anatomiques, même dans des dilutions très fai-
bles (10 gouttes pour 1 ,000 grammes). Les plantes arrosées
avec de l'eau créosotée ont immédiatement péri ; les infu-
(1) Voyez l'excellente monographie de M. E. Labbéo, dans le Dictionnaire
encyclopédique des sciences médicales (Créosote).
CRÉOSOTE. 175
soires et les microzoaircs sont également détruits dans les
solutions les plus diluées ; la gale, les teignes parasitaires
ont été traitées et guéries par les pommades créosotées.
La créosote est à la fois un caustique, un coagulant de
l'albumine, un astringent, un parasiticide, un antiseptique»
Mais ce sont là des indications un peu vagues ; des expé-
riences plus précises sont nécessaires pour déterminer sa
véritable valeur. Avant d'employer les lavements ou les
potions créosotes à l'intérieur, dans la fièvre typhoïde
(Pécholier et Morache), dans la pustule maligne (Eulen-
berg), dans le farcin chronique (Elliotson), il ne serait pas
inutile de savoir si la créosote neutralise et détruit les vi-
rus inoculables, en dehors de l'organisme.
L'addition d'une faible quantité de créosote empêche
immédiatement la fermentation alcoolique, et rend très
difficile la transformation de l'amidon en sucre sous l'in-
fluence de la diastase. La créosote contient si souvent de
l'acide phénique, que c'est à ce dernier que l'on peut rap-
porter une partie de ses propriétés, surtout quand elle pro-
vient des goudrons de houille et non de la distillation du
bois.
Bucholtz a vu qu'une dilution créosotée à 1 pour 1000
était à peine suffisante pour empêcher les bactéries nées
dans l'infusion de graines de tabac, de se développer dans
le nouveau liquide de culture ; il fallait une solution à 1 sur
100 pour stériliser complètement les germes de ces bac-
téries. Il y a un désaccord manifeste entre ces résultats
sur les protorganismes, et les résultats foudroyants obte-
nus quand on plonge les infusoires ou les poissons dans
des liquides contenant de très faibles doses de créosote.
Crésol. — Le crésol ou crésylol est contenu dans les
créosotes du goudron de houille ; il a une odeur de créo-
sote ; il se dissout assez facilement dans l'eau ammoniacale.
Son action antiseptique paraît assez puissante, mais n'a été
que peu expérimentée.
176 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Naphtaline. — La naphtaline est un carbure d'hydrogène
que l'on retire des tuyaux de condensation des usines à
gaz; elle cristallise en lames rhomboïdales, incolores, trans-
parentes et d'un éclat gras ; son odeur est forte et persis-
tante; elle est insoluble dans l'eau^ mais très soluble dans
l'alcool et l'éther ; ses dissolutions sont neutres. Le D"" Fis-
cher (1), privat-docent à l'Université de Strasbourg, a ré-
cemment insisté sur ses propriétés antiseptiques et « anti-
bactériales ». L'urine abandonnée dans une atmosphère li-
mitée de naphtaline reste claire pendant une semaine, et il
ne s'y développe aucune bactérie. Quand on répand de la
naphtaline en poudre sur des ulcères ou des plaies fétides,
toute odeur disparaît rapidement ;il n'y a d'ailleurs ni irri-
tation de la plaie ni absorption nuisible de ce carbure.
L'auteur dissout 100 parties de naphtaline dans 400 d'éther,
et ce mélange est versé dans 1 ,200 grammes d'alcool ; on im-
bibe de la gaze avec ce liquide, très peu de temps avant le
pansement : l'éther et l'alcool s'évaporent presque immé-
diatement, et il se produit même de ce fait un refroidisse-
ment désagréable. La naphtaline très pure ne coûte en
Allemagne que 1 fr. 75 c. le kilogr. (en France 5 fr.) c'est-à-
dire 15 à 50 fois moins cher que l'iodoforme, l'acide sali-
cylique, le thymol, la résorcine.
TÉRÉBÈNE. — Sous Ics uoms de térébène, terpène, térében-
thène, terpine, terpinol, acide terpinique, on désigne un
certain nombre de dérivés oxydés de l'essence de térében-
thine, obtenus soit par l'action de l'air, soit par l'action de
l'acide sulfurique. Plusieurs de ces composés, à oxygène
disponible, ont une action désinfectante très appréciée en
Angleterre. Le professeur Maclean, à l'École de médecine
militaire de Netley, a fait avec le térébène des expériences
qui ont été favorables ; des selles infectes de dysentériques,
(1) Dr Fischer, Berliner klinische Wochensschift. 18 novembre 1881, et
Médical Times and Gazette, 17 décembre 1881, p. 718.
TÉRÉBÈNE. 177
des suppurations fétides dans des cas d'abcès du foie ou
d'empyème, ont été rapidement et sûrement désodorisées ;
on en a obtenu également un bon effet pour la désinfection
des latrines. Le térébène a une odeur forte, rappelant
celle du pin; il se dissout difficilement dans l'eau, mais il se
mêle en hautes proportions à l'huile et à la benzine, et
sous cette forme, il a été employé pour les pansements an-
tiseptiques.
Le térébène et ses homologues agissent par la pe-
tite quantité d'eau oxygénée qu'ils contiennent et peut-
être par l'ozone. M. Berthelot, en effet, a constaté que
l'essence de térébenthine pouvait absorber jusqu'à op. 100
d'oxygène, soit 3,4 pour l'essence française dextrogyre,
et 4,9 pour l'essence suisse, qui est lévogyre. Ces
composés ont l'odeur de térébenthine ou de thym , et
on les obtient non seulement de la térébenthine, mais
des huiles de citron, d'eucalyptus, etc. Le D" Bond de
Glocester, M. Ch. Kingzett (1), le D"" Poekl (2), en ont pré-
conisé très hautement la valeur; c'est à ces corps oxydés
que les inventeurs attribuent l'efficacité d'un désinfectant
trop prôné à la dernière page des journaux anglais, sous
le nom pompeux de « Sanitas » . Ce produit étant inconnu
en France, nous n'avons pu expérimenter son efficacité.
Mais les résultats contradictoires obtenus en Angleterre
ne sont pas très favorables. Harding Crowther (3) a vu
que le mélange à parties égales de vaccin et du li-
quide dit « sanitas » n'empêche pas l'inoculation de
(1) Gh. Kingzett, Disinfection and disinfectants. [The sanitary Record,
1879, p. 370.) — Notes on practical disinfection and theuseof». Sanitas »
as a sanitary agent {The sanitary Record, 15 January 1880, p. 348.)
(2) D"" Pœhl, Reitrage zii der Desinfectionsmetkode vermittels Terpen
haltiger aetherischer Oele, (St. Peter sb. med. Woch. 1879, p. 69 et Revue
d'hygiène et de police sanitaire, 1879, p. 510.)
(3) W. Harding Crowther, Some experiments on the relative value of an-
tiseptics. [Médical Times and Gazette, 6 septeinbr» 1879, p. 361.)
Vallix. — Désinfectams. 12
178 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
réussir. Tripe et Stevenson (1) , Langstaff et Hare (2)^
après de nombreuses expériences arrivent, à cette conclu-
sion que le « sanitas fluide, ou « powder » ne désinfecte
pas mieux que la chaux éteinte ; ils reconnaissent toutefois
que cette substance retarde la décomposition putride,
mais qu'elle est peu active pour désodoriser les substances^
déjà putréfiées.
Acide thymique ou thymol. — L'acide thymique est
un phénol qui se trouve dans l'essence de thym, dont
il compose environ la moitié. Il se présente sous
forme de tables rhomboïdales ou de prismes , d'une
odeur de thym , d'une saveur piquante et poivrée. Il
a l'inconvénient d'être très irritant, coûteux, et d'une
insolubilité très grande dans l'eau, puisque celle-ci n'en
dissout que 3 parties pour 1000 ; il est au contraire très
soluble dans l'éther. Il a sur l'acide phénique l'avantage
d'avoir une odeur beaucoup moins désagréable.
C'est le D'" Paquet (3) qui a le premier préconisé, en 1868,
l'emploi du thymol comme antiseptique dans le panse-
ment des plaies et dans le traitement de la gangrène pulmo-
naire. Son action antiseptique a été trouvée par Jalan de la
Croix notablement supérieure à celle de l'acide phénique,.
à poids égaux, mais non pas à dépense égale i nous ren-
voyons pour le détail des chiffres au grand tableau de la
page 110. Disons toutefois que pour tuer les bactéries
adultes, une solution de 1 sur 109 de thymol suffit, tandis
que pour l'acide phénique, celle de 1 sur 22 est nécessaire.
Les doses qui empêchent le développement des bacté-
ries dans l'urine (Haberkorn 1 : 3000), dans l'infusion
(1) Tripe and Stevenson, Disinfectants in eontradistinction to déodo-
rant and antipiitref active agents. [Médical Times and Gazette, 10 Janua-
ry 1880, p. 51.)
(2) Langstaff and E. H. Hare, Some further eocperiments with certain'
so called disinfectants. {Sanitary Record, 1878, p. 333.)
(3) D' Paquet, Bulletin général de Thérapeutique, 1868.
THYMOL, MENTHOL. 179
de pois (Kiihn 1 : 3027), dans l'infusion de tabac (Bucholtz
1 : 2000), sont plus faibles que celles trouvées pour les
bactéries du bouillon (1 : 1300).
Wernitz (1) a montré que la dose de 1 p. 100 empêche
l'action de l'émulsine, celle de la pancréatine n'est arrêtée
que par la solution saturée ; enfin l'action du ferment lac-
tique n'est que momentanément suspendue.
Le thymol a été expérimenté comme neutralisant direct
des virus, et en particulier du virus vaccin. Robert (1878)
et Kohler ont prétendu que l'addition d'une petite quantité
de solution aqueuse de thymol au millième à de la lymphe
vaccinale, ne diminuait nullement l'activité de celle-ci, et
permettait au contraire de la garder très longtemps sans
altération. E. Stern (1879), médecin de l'Institut vaccinal
de Breslau, répéta ces expériences, et il s'assura qu'au
contraire avec la lymphe vaccinale thymolisée la vacci-
nation réussissait moins souvent : ainsi chez des enfants
nouveau-nés, il eut 31 succès sur 100 avec une lymphe
vaccinale légèrement diluée dans une solution de thymol
au millième; d'autre part, le vaccin ainsi additionné se
conserve inaltéré plus longtemps et est mis à l'abri des
décompositions putrides ou septiques qu'il pourrait pré-
senter.
Menthol. — Le menthol est un corps cristallisé, de
la famille des alcools, qu'on extrait par le refroidissement
de l'huile essentielle de menthe poivrée, dont il conserve
l'odeur. Il se liquéfie et se volatilise au-dessous de -f- 30°
G ; il est peu soluble dans l'eau, mais l'est beaucoup dans
l'alcool, l'éther, la glycérine, les huiles volatiles.
Le D'' A. Macdonald (2) a expérimenté et mesuré l'action
antiseptique de ce corps, comparable au thymol. Un liquide
(1) Iwan Wernitz, Ueber die Wirkung der AntisepHca auf ungeformte
Fermente, Dorpat, 1880.
(2) Archibald Macdonald, O71 a new antiseptic and antineuraJgic argent
[Edinburg médical Journal, août 1880, p. 121; et Revue de Hayem, 1881,
XII, p. 65.)
180 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
de culture abandonné à lui-même est mêlé à une petite
quantité (?) d'une solution de menthol à 1 sur 1000. Au
bout de 33 jours, le liquide de culture était encore exempt
de bactéries, de tout microbe ; une même quantité de solu-
tion de thymol à 1 p. 2000 retarda jusqu'au 22^ jour seule-
ment l'apparition des microbes. De même, du thé de bœuf
resta imputride pendant 20 jours avec la solution de men-
thol au 1/1000, tandis qu'une solution d'acide phénique
à 1/500® ne retarda que jusqu'au 6* jour l'apparition des
protorganismes. Toutefois, l'action destructive du menthol
est moins puissante que son action préventive; dans un
liquide en pleine putréfaction, les bactéries ne scmt tuées
sans retour que par une solution de menthol à 1 p. 500,
dose d'ailleurs insuffisante pour l'acide phénique.
Ces expériences sont intéressantes, mais nous ne trou-
vons pas, au moins dans l'extrait du mémoire que nous
avons sous les yeux, le titre définitif du mélange de
liquide putride et de solution de menthol. Il semble toute-
fois démontré à l'auteur que le menthol a une action plus
efficace (environ double) que l'acide phénique, à égalité
de doses.
M. Ed . Heckel (1) a communiqué à l'Académie des sciences,
en 1878, des expériences qui peuvent servir à montrer de
quelle façon les acides salicylique, thymique, et certaines
essences empêchent la végétation. M. Heckel a trouvé que
une goutte d'acide phénique dilué empêche toute germina-
tion des graines ainsi humectées. L'acide salicylique,
quoique presque insoluble dans l'eau, arrête instantané-
ment la germination quand les graines sont arrosées avec
une solution contenant 5 grammes d'acide pour 10 litres
d'eau; mais tandis que l'acide phénique ne suspend que
momentanément la germination, l'acide salicylique l'em-
(1) Ed. Heckel, De Vinfluence des acides salicylique, thymique, phé-
nique, et de quelques essences sur la germination. {Comptes rendus de
V Académie des sciences, 22 août 1818, p. 681.)
ACIDE SALICYLIQUE. isr
pêche définitivement. Le salicylate de soude, qui est très
soluble dans l'eau, n'a pas une action moins vive que
l'acide salicylique. L'examen au microscope prouve que
dans les graines ainsi traitées, les cellules de l'endos-
perme, les grains de fécule et d'aleurone, ne subissent au-
cune des modifications que présentent les graines soumises
à la germination ordinaire. Ces substances agissent donc
comme antifermentescibles, aussi bien sur les éléments
figurés que sur les ferments non organisés.
L'acide thymique présente la même action, à la dilution
de 2S sur 1000 ; les essences de thym, de romarin, l'es-
sence de térébenthine, à la dose de 5 sur 100, également.
M. Heckel propose d'employer ces agents dans les cas où
l'on a intérêt à conserver les grains et à rendre les se-
mences capables de supporter des conditions cosmiques
propres à développer leurs facultés germinatives. Il se
demande si certaines graines qui se sont conservées intactes
à travers les âges géologiques (Ile de Norfolk et Nouvelle-
Calédonie), ne doivent pas leur conservation à des oléo-
résines ou à des essences provenant des arbres qui les
portaient.
L'idée de M. Heckel est 'ingénieuse, mais on peut se
demander si les graines conservées par le procédé qu'il
recommande ne cesseraient pas d'être comestibles, et
acceptées dans le commerce courant.
Acide salicylique. — L'acide salicylique est une poudre
blanche, très légère, soyeuse comme le sulfate de quinine,
dont l'odeur provoque l'éternuement et la toux ; son goût
légèrement sucré puis styptique est un peu acre.
L'eau froide n'en dissout guère, par litre, que 1 gramme,
la glycérine 20 grammes, l'alcool 150 grammes, l'éther
300 grammes.
C'est surtout Kolbe (1) qui a attiré l'attention des méde-
(1) H. Kolbe, Ueber eine neue Darstellungsmethode und einige berner
kenswerthe Eigenschaften der Salicylsaure. {Joiirn'il fur prakt. Chemie,
1874, T. X, p. 89.)
182 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
cins... et des industriels sur les propriétés antiputrides de
l'acide salicylique. Il a montré que cet acide a le pouvoir
d'empèchef l'action saccharifiante de la diastase salivaire
sur l'amidon, la formation de l'essence d'amandes amères
par l'action de l'émulsine sur l'amygdaline ; de s'opposer
à la formation de l'huile essentielle de moutarde par la
réaction de la mirosine et de l'acide mironique des graines
de moutarde émulsionnées ; d'arrêter la propriété pepto-
génique du suc gastrique, la fermentation du sucre par la
levure, la fermentation de la bière, la fermentation ammo-
niacale de l'urine, de retarder ou d'empêcher la germina-
tion des graines des plantes, etc. (Kolbe, Meyer, .T. Millier,
Béchamp, Bucholtz).
On a employé l'acide salicylique comme moyen de con-
server le vin, la bière, le lait, les sirops, les solutions mé-
dicinales des alcaloïdes (Limousin), les sangsues, l'encre,
etc. Les préparations salicylées sont d'un emploi usuel dans
la chirurgie antiseptique (ouate salicylée, solution conte-
nant 1 gramme d'acide et 40 à 20 grammes d'alcool pour
200 grammes d'eau), etc. M. Hénoque qui, l'un des pre-
miers en France, a fait connaître les propriétés antipu-
trides de l'acide salicylique et lui a consacré une mono-
graphie remarquable dans le Dictionnaire encyclopédique
des sciences médicales, M. Hénoque a essayé d'utiliser cet
agent pour la conservation des pièces anatomiques. Pour
les pièces de gros volume, on peut diminuer notablement
la concentration de l'alcool, en ajoutant au mélange une
petite quantité d'acide (eau 800, alcool 200, acide sali-
cylique 2 grammes) ; la conservation toutefois n'est pas
très durable.
En effet, des doses relativement faibles empêchent, dans
les liquides facilement altérables, le développement des
protorganismes ; mais cette action sur les ferments et les
microbes est le plus souvent temporaire. L'acide salicylique
suspend la fermentation, fait périr toutes ces poussières
ACIDE SALICYLIQUE. 183
remuantes que renferment les solutions organiques ; mais
bientôt, ferments et bactéries s'habituent à ce nouveau
milieu ; les générations qui se succèdent rapidement dans
ie mélange salicylé résistent aux doses qui avaient détruit
la vie de leurs ascendants, et le travail de fermentation se
reproduit au bout de quelques jours. Neubauer et M. Bé-
champ ont spécialement constaté ce curieux phénomène
d'accoutumance des ferments et des germes animés à des
doses progressives d'acides phénique et salicylique . Il en
résulte que pour obtenir un effet antiseptique durable, il
faut à de fréquents intervalles ajouter des doses nouvelles
■ou croissantes de l'agent conservateur. C'est pour cela que
dans les boissons alcooliques dont la conservation n'est
possible qu'à l'aide de l'acide salicylique, la dose de cette
substance arrive parfois à atteindre jusqu'à l'^',SO par
litre. L'expérience a montré que même avec cette der-
nière dose, des vins et des cidres de très mauvaise qualité
subissaient bientôt une nouvelle fermentation acide ou pu-
tride. Nous reviendrons sur ce sujet qui est devenu une
question importante d'hygiène alimentaire.
Bucholtz, opérant sur le liquide de culture de Bucholtz-
Pasteur, a constaté, dès 1815, qu'une dose d'acide salicy-
lique de 1 sur 600 suffit pour empêcher le développement
spontané des bactéries par l'exposition du liquide à l'air
libre. Les bactéries, nées dans l'infusion de graines de tabac
et portées dans le liquide de Bucholtz, n'étaient détruites
qu'en ajoutant 1 gramme d'acide salicylique à 932 gram-
mes de ce dernier liquide, tandis que pour amener la
stérilisation définitive des germes des bactéries nées dans
l'infusion de tabac puis portées dans le liquide de Bucholtz,
il fallait ajouter 1 gramme d'acide à 362 grammes de
l'infusion de tabac contenant des bactéries. Dans les mêmes
conditions, Bucholtz n'obtenait la stérilisation avec le
salicylate de soude que par les doses de 1 gramme de
salicylate sur 211 grammes de liquide dans le premier cas,
.et sur 161 grammes dans le second.
184 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Kiihn a fait ses recherches avec un liquide de culture
originel différent (l'infusion de pois); il n'arrêtait le
développement des bactéries portées dans le liquide de
Bucholtz, que par les doses de 1 gramme d'acide salicy-
lique sur 124 grammes de ce liquide, et de 1 gramme de
borosalicylate de soude pour 934. La stérilisation défini-
tive des germes de bactéries, nées dans l'infusion et por-
tées dans le liquide de Bucholtz, n'était obtenue que par la
dose de 1 gramme d'acide salicylique pour 616 grammes de
l'infusion de pois, ou 200 grammes de l'infusion de blanc
d'œuf. Il suffisait de 1 gramme de borosalicylate de soude
dans 934 grammes d'infusion de pois chargée de bactéries
pour stériliser définitivement les germes de ce liquide, ser-
vant à inoculer le liquide nutritif de Bucholtz.
Voici les conclusions auxquelles est arrivé, de son côté,
Jalan de la Croix, en opérant sur du bouillon de viande»
Si l'on porte 2 gouttes de bouillon rempli de bactéries,
dans du bouillon frais contenant 1 pour 1000 d'acide sali-
cylique, le développement de ces bactéries n'a pas lieu ; il
se fait au contraire quand la dose tombe à 1 : 1120; mais
les germes contenus dans ce bouillon ne sont définitivement
stérilisés qu'à la dose de 1 : 343. La dose nécessaire pour
tuer les bactéries en plein développement dans du bouillon
n'est pas moindre que 1 sur 60; à celle de 1 sur 18, les
bactéries vivent encore ! Quant aux corpuscules-germes qui
restent dans le liquide, leur résistance serait extrême : avec
une dose de 1 sur 35, on n'arriverait pas à en empêcher la
reproduction quand ils sont portés dans un milieu favo-
rable. L'auteur n'a pu atteindre, sans doute en raison de la
faible solubilité de l'acide, la dose massive nécessaire pour
obtenii une destruction complète. Ce résultat confirmerait
pleinement ce que nous avons déjà dit plus haut, à savoir
que l'acide salicylique endort les germes, qu'il ne les dé-
truit pas ; seulement, les doses ici sont tellement élevées,
que nous nous tenons en garde contre l'exactitude des ré-
sultats.
ACIDE SALICYLIQUE. 185
Pour empêcher le développement de bactéries dans du
bouillon abandonné à l'air libre, il faut une dose minimum
de 1 sur 3000 quand le bouillon est cuit, et de 1 sur 1120
quand le bouillon est cru; dans le premier cas les germes
sont stérilisés par la dose de 1 sur 600, dans le second,.
ils ne le sont que par celle de i sur 343.
En résumé, si nous admettons l'exactitude des chiffres
ci-dessus, nous voyons que, dans les circonstances les plus
défavorables, même avec la proportion énorme de 1 gramme
d'acide saUcylique pour 33 grammes de hquide, on n'arrive
pas à stériliser complètement les germes des bactéries, et
que pour tuer même les bactéries adultes, il faudrait
parfois la dose excessive de 1 gramme sur 60 ! L'acide
salicylique est donc un antiseptique commode, mais il ne
donne pas de garantie absolue, et sa puissance est limitée^
Nous allons voir bientôt que les résultats de ces expériences
ne sont pas en désaccord absolu avec ce que la pratique du
sahcylage industriel nous a révélé en , ces dernières^
années.
La très faible solubilité de l'acide salicylique dans l'eau
limite son action d'une façon souvent gênante. Bose de
Berlin, Schwartz, ont montré que le mélange de l'acide
sahcylique et du borax augmente la solubilité et l'activité-
du premier acide, car le salicyloborate de soude détruit
les bactéries à une dose moindre que le même poids de l'un
ou de l'autre de ces constituants. C'est ainsi que, pour em-
pêcher du bouillon de viande de se remplir de bactéries,
après qu'on y a eu versé 2 gouttes de bouillon putride, il
suffit d'une dose de salicyloborate de soude égale à 1 sur
2,860, tandis qu'il faut une proportion de 1 sur 62 pour le
biborate de soude seul, et de 1 sur 1,000 pour l'acide sa-
licylique.
Les expériences ne sont pas toutes aussi péremptoires,
et en général l'acide salicylique se montre plus actif qufr
le borosalicylate ; toutefois le mélange de parties égales
186 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
•d'acide borique et d'acide salicylique a l'avantage d'aug-
menter notablement la solubilité de ce dernier acide, sans
affaiblir autant ses propriétés antiseptiques que si l'on avait
ajouté un bicarbonate alcalin pour transformer l'acide en
:salicylate très soluble. En effet, les salicylates alcalins ont
sur les protorganismes une action destructive et préven-
tive beaucoup plus faible que l'acide salicylique, même en
tenant compte de l'équivalent d'acide (15 p. 100) contenu
dans le composé salin. Bucholtz a trouvé que la solution
d'acide à 1 : 700 est aussi antiseptique que la solution de
salicylate de soude à 1 : 250.
Pour l'emploi externe, c'est donc exclusivement l'acide
qu'il faut employer ; la confusion n'a pas toujours été évitée,
même dans les expériences que nous avons relatées plus
haut.
Toutefois, lorsque le salicylate de soude est introduit
dans les voies digestives, le sel est, dit-on, décomposé dans
l'estomac, par l'acide du suc gastrique et l'acide salicylique
«st mis en liberté. M. Hallopeau (1), dit avoir constaté le
fait directement chez trois chiens auxquels il avait fait
ingérer ce produit pendant la digestion. « L'éther agité
avec le contenu de l'estomac, puis séparé et traité par le
iperchloruro de fer, présentait la réaction caractéristique ;
•ce dégagement d'acide salicylique dans les voies diges-
tives permet d'admettre, à priori, une action du sel sur
Jes micro-organismes qu'elles peuvent renfermer. »
M. Hallopeau, qui préconise l'emploi de l'acide salicyUque
•comme désinfectant interne dans la fièvre typhoïde, admet
que, parvenu dans le sang, l'acide se combine de nouveau
avec la soude. « Mais, d'après Nothnagel et Rossbach, cette
combinaison est éminemment instable, et dans diverses cir-
constances, l'acide peut s'en dégager. Buss avait remar-
qué qu'un courant d'acide carbonique déplace l'acide sali-
(1) Hallopeau, Du traitement de la fièvre typhoïde par le caloinel, le
salicylate de soude et le sulfate de quinine. [Société médicale des hôpitaux.
iScances du 13 août 1880 et du 28 mai 1881. — Union médicale, 1881.)
ACIDE SALICYLIQUE. 187
■cylique, et avait admis que l'acide carbonique du sang
pouvait avoir la même action ; on a reconnu qu'il n'en est
pas ainsi à l'état physiologique, mais Kœhler assure que la
réaction se produit dans le sang asphyxique. »
L'acide salicylique est un sternutatoire assez violent ;
quand on respire la poussière sèche de l'acide, ou la pous-
sière produite par la pulvérisation de ses solutions, on
éprouve une âcreté de la gorge et de la bouche, un besoin
de tousser et d'éternuer fort désagréable. Cet inconvénient
a fait renoncer à l'emploi du coton saupoudré d'acide sa-
licylique, avec lequel beaucoup de chirurgiens avaient
cru pouvoir faire le pansement ouaté de M. A. Guérin.
Le même inconvénient limite, dans une certaine
mesure, les services que peut rendre le vinaigre antisep-
tique de Pennés, dans lequel l'acide salicylique, mêlé à
de l'essence d'eucalyptus , entre pour la forte propor-
tion de 2 p. 100. La pulvérisation de ce vinaigre doit être
évitée dans les chambres occupées par des malades dont
les voies respiratoires sont susceptibles ou compromises ;
son action antiseptique est d'ailleurs puissante, elle est
surtout manifeste dans la conservation des cadavres et des
pièces anatomiques.
Aux doses de 2 à 3 grammes en 24 heures, l'acide sali-
cylique détermine chez certains malades des bourdonne-
ments d'oreilles et une sorte d'ivresse comparables à ceux
que produit le sulfate de quinine. Nous en avons observé
plusieurs exemples récents chez de jeunes confrères, at-
teints d'affections rhumatismales douloureuses. Cepen-
dant, beaucoup de personnes ont pu prendre impunément
des doses de 4 à 6 grammes, continuées pendant plusieurs
jours. Par contre, toutes les fois que la sécrétion de l'urine
€!St entravée, quand il existe une affection quelconque de
l'appareil urinaire, l'élimination d'ordinaire très rapide de
l'acide salicylique ne se fait plus, le médicament s'accumule
dans l'organisme et l'on voit survenir des phénomènes
188 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
d'intoxication grave. Chez les goutteux, les graveleux, les
albuminuriques, des doses de 2 grammes continuées pen-
dant un petit nombre de jours, ont pu déterminer un véri-
table empoisonnement (Brouardel).
Les solutions concentrées d'acide salicylique produisent
sur les muqueuses ou sur les plaies une teinte blanchâtre,
due à une cautérisation superficielle. Il semble toutefois
que Wolfberg, Hiller, Goldtammer, aient exagéré l'action
vulnérante de cet agent sur le tube digestif; ces auteurs
auraient trouvé des ulcérations dans l'estomac d'animaux
auxquels ils avaient administré des doses fortes d'acide.
La dilution étendue et le fractionnement des doses per-
mettent facilement d'éviter ces accidents.
L'administration de très hautes doses détermine de la
dyspnée, des convulsions générales (G. Sée) : on trouve
parfois alors des ecchymoses sous-pleurales, de l'œdème
des poumons, des épanchements séreux dans le péricarde.
L'action sur la température, sur le cœur et le pouls est
encore incertaine et contestée.
L'acide salicylique est en somme un médicament assez
facilement supporté par l'organisme : reste la question
desavoir s'il n'y a pas inconvénient à introduire des médi-
caments, fût-ce à faible dose, dans les aliments qui compo-
sent notre nourriture journalière.
Cette question de la toxicité ou de l'innocuité de l'acide
salicylique a une grande importance au point de vue de
l'hygiène. Depuis les premiers travaux de Kolbe et de
Neubauer, l'industrie a utilisé dans la plus large mesure
les propriétés anti-putrides de cet acide ; on en a mi»
partout, dans le vin, la bière, le cidre, le poiré, les sirops,.
les confitures , le lait , le beurre ; on en a saupoudré la
viande, le poisson, pour en assurer la conservation pen-
dant les chaleurs de l'été. Cette tendance a conduit à cher-
cher le moyen de fabriquer à bas prix l'acide salicylique
et depuis que Kolbe a fait sa belle découverte de la pro-
ACIDE SALICYLIQIE. 180
duction de cet acide par un procédé de synthèse et à l'aide
du phénol, cette substance ne coûte plus que 20 francs
environ le kilogramme.
Le salicylage des denrées alimentaires est devenu une
véritable exploitation ; les vins, les cidres, les bières, fa-
briqués avec des produits des plus basses qualités ont pu
être introduits dans la consommation journalière, tandis
que jadis une décomposition rapide en eût empêché le
transport ou le débit. Pour donner une idée des progrès
qu'a faits en très peu d'années cette pratique du salicylage,
qu'il nous suffise de dire qu'en 1880 il a été employé en
France 60,000 kilogrammes d'acide salicylique, sous
diverses formes ; en mettant de côté ce qui a pu être
consommé sous forme de médicaments, il reste environ
50,000 kilogrammes qui ont été appliqués à la conservation
des denrées.
Beaucoup de personnes ont vu un danger à cette intro-
duction de l'acide salicylique dans tous nos aliments. En
1880, le Comité consultatif d'hygiène publique de France
a été consulté sur cette question; après des analyses et
des expériences qui ont duré plusieurs mois, après un
rapport très étudié de M. le D' Dubrisay, après une dis-
cussion approfondie au sein du Comité, le ministre de
l'agriculture et du commerce a pris, le 7 février 1881,
sur l'avis du Comité, un arrêté où l'on trouve ce qui suit :
« Est interdite la vente de toute substance alimentaire,
liquide ou solide, contenant une quantité quelconque d'acide
salicylique ou d'un de ses dérivés. »
Cet arrêté a soulevé les protestations les plus violentes,
non seulement des fabricants d'acide salicylique, mais
encore de tous ceux qui trouvaient dans cet agent le
moyen d'écouler des produits alimentaires dont la vente
sans cela eût été impossible. Un grand nombre de méde-
cins, trompés ou mal renseignés sur les conditions dans
lesquelles se faisait cette opération du salicylage, et jugeant
190 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
la question plus en thérapeutistes qu'en hygiénistes, ont
appuyé les doléances de ces industriels et critiqué vive-
ment l'avis formulé par le Comité consultatif d'hygiène.
Nous avons traité ailleurs (1) cette question si controversée ;
nous ne voulons rappeler ici que les faits les plus impor-
tants qui justifient pleinement la décision ministérielle.
Sans doute, on n'a pas encore relaté d'accidents survenu»
par l'emploi alimentaire de l'acide salicylique; mais pendant
combien de temps n'a-t-on pas méconnu la véritable nature
de la colique sèche? depuis cinq ou six ans seulement
qu'on commence à employer l'acide salicylique, est-il éton-
nant qu'on n'ait pas encore relevé d'exemples d'intoxication
par cet agent? De ce que des doses assez fortes peuvent
être impunément supportées par certains malades, faut-il
conclure que l'on pourra mêler aux aliments toute dose de
médicament qui ne sera pas toxique ? Permettra-t-on d'in-
troduire, sous je ne sais quel prétexte, 1 milligramme
d'acide arsénieux par litre de vin, quelques milligrammes
de morphine par litre de lait ou de sublimé par kilogramme
de beurre ? Qui nous prouve que l'usage continué chaque
jour et indéfiniment d'une quantité, même petite, d'acide
salicylique n'est pas capable de produire des troubles de
nutrition, delà même façon que des quantités faibles d'iode
peuvent produire l'iodisme, et que l'ingestion journalière
d'une eau contenant des quantités presque infinitésimales
de plomb fait naître une intoxication saturnine chronique
dont la cause reste parfois inconnue ? D'ailleurs , il ne
s'agit nullement de doses minimes, comme le répètent trop
souvent les industriels intéressés. D'après leurs déclarations
officielles et d'après le mémoire à consulter qu'ils ont
publié en avril 1881, voici les doses moyennes qu'ils dé-
clarent employer :
(1) E. Vallin, Le salicylage des substances alimentaires. [Revue d'hygiène
et de police sanitaire, 1881, p. 263 et 354.)
ACIDE SALIGYLIQUE. 191
Vins secs 8 à 12 centig. par litre.
Vins doux 19 à 15 — —
Vins nouveaux doux.. 13 cenlig. par litre e« deux fois.
3Ioùts doux 15 à 20 centig. par litre.
Bière 4 à 6 — —
Beurre salé 50 centig. par kilog.
Conserves, confitures.. 30 — —
Jus de fruits à froid... 1 gramme par kilog.
Eau potable 1 — par hectol.
Viande Friction avec sel marin contenant 1 sur 20 d'acid*
salicylique, ou immersion dans eau salicylée
à 2 p. 1000.
Poissons Lavage et enveloppement dans un linge humecté
avec une solution à 3 p. 1000.
Les analyses faites par des chimistes dont l'habileté est
universellement reconnue, entre autres celles qui ont été
faites au laboratoire municipal de Paris, ont montré, dans
des échantillons saisis chez les débitants, des proportions
infiniment supérieures. Il est possible assurément que les
producteurs fassent sortir de leurs caves des vins oii ils
n'ont mis que 10 grammes d'acide par hectolitre ; mais
quand ces vins sont de très mauvaise qualité, ils ne tar-
dent pas à s'altérer ; le commerçant, afin de s'en débar-
rasser à son tour, y ajoute une nouvelle dose de l'agent
antiseptique, et lorsque ces vins détestables arrivent sur le
comptoir du débitant, l'analyse y constate les chiffres sui-
vants d'acide salicylique : l^f^OS — is^,3^ — l^^SO,
2 grammes et même une fois S^^SS.
Il en est de même pour les autres produits où l'on a
trouvé les chiffres suivants :
Sirops 50 cenligr. à 18'",50 par litre.
Bière 23 — à l5'",23 —
Lait 25 — à 85 —
Confitures 50 — par kilogr..
On a contesté la possibilité d'introduire des doses supé-
rieures à 15 et 20 centigrammes, sous le prétexte que ces
doses faisaient immédiatement cailler le lait. Mais si l'on a
soin d'ajouter par avance une quantité de bicarbonate de
192 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
soude suffisante pour neutraliser l'acide, celui-ci peut être
employé aux doses indiquées plus haut, sans que la coagu-
lation se produise.
On pourrait croire que des vins contenant de si fortes
proportions d'acide salicylique ont un goût insupportable,
qui en décèle la falsification. Il est difficile d'en juger
par la dégustation des vins saisis ; ces vins ont par eux-
mêmes, avant l'addition de l'antiseptique, un goût si
désagréable, qu'il est mal aisé de faire la part qui revient
à l'acide salicylique ; on coupe d'ailleurs ces mélanges
avec des lies de vin d'Espagne, ou des solutions de glycose,
afin que le goût sucré et chaud en masque les falsifica-
tions. Nous venons de faire dissoudre 2 grammes d'acide
salicylique dans un litre de vin de Bordeaux de bonne
qualité : le goût de ce vin est beaucoup moins modifié
qu'on ne pourrait le croire ; la première impression n'est
nullement désagréable, mais au bout d'un instant l'on
perçoit au fond de la gorge une sensation acre, brûlante,
une saveur un peu poivrée, qui est caractéristique. Cer-
taines personnes non prévenues, surtout parmi celles qui
n'ont pas le palais délicat, auraient certainement bu ce vin
isans faire aucune observation.
A part de rares exceptions, le salicylage n'est employé
que pour préserver les vins de basse qualité ; les indivi-
dus qui sont forcés d'y avoir recours ne brillent pas tou-
jours par la tempérance, et il n'est pas inadmissible que
beaucoup d'entre eux sont exposas à en consommer très
souvent deux litres par jour. Un homme peut donc à la
rigueur absorber de la sorte et quotidiennement 3 gram-
mes d'acide salicylique ; à cette dose viendra s'ajouter
celle contenue dans la bière, le laitage, les aliments de
toute espèce. Peut-on dire qu'il soit indifférent, au point
de vue de l'hygiène, de laisser vendre ainsi de telles doses
de médicament? Un vin qui contient 1 gramme et plus
d'acide salicylique, n'est plus qu'un vin médicamenteux ;
le marchand de vin empiète sur le pharmacien.
ACIDE SALIGYLIQUE. I93
Il ne faut pas oublier d'ailleurs que l'acide salicylique
cause fréquemment des accidents d'intoxication chez les
sujets dont les voies urinaires fonctionnent mal, et chez
qui la sécrétion de l'urine est entravée ; il y a accumula-
tion du médicament. Or, que de buveurs chez lesquels les
reins sont altérés, atrophiés! Les lésions du rein ne sont-
elles pas l'une des expressions habituelles de l'alcoolisme?
D'autre part, n'y a-t-il pas danger à laisser vendre du vin
salicylé à des albuminuriques, à des convalescents, à des
malades qui croiront faire usage de vin, c'est-à-dire du
produit naturel de la vigne ?
Dans un travail récent publié dans le Deutsche Vier-
teljahrs. f. off. Ges., 1880, 3% p. 402, le D' Hans Vogel
s'élève contre l'introduction croissante de l'acide salicy-
lique ; il fait voir qu'un grand nombre des hygiénistes et
des savants les plus autorisés, entre autres Fleck et Ness-
1er, sont très opposés à cette sophistication. Nessler, en
particulier, fait observer que l'acide salicylique ne se trou-
vant naturellement ni dans le raisin, ni dans le vin fait
avec le raisin, son addition est une tromperie sur la qua-
lité de la chose vendue. L'Office impérial de santé de l'em-
pire d'Allemagne, en parlant du vin et de la bière conser-
vés par l'acide saUcylique, dit qu'avant d'autoriser l'usage
de cet agent, il faudrait qu'il fût parfaitement prouvé
que son action n'est pas nuisible. H. Vogel demande
avec Nessler que l'addition d'une quantité quelconque
d'acide salicylique dans un vin soit mentionnée sur la
pièce ou la bouteille ; c'est aussi l'avis auquel se rangeait
en dernier heu M. Pasteur.
Les propriétés antiseptiques et non contestables d'ail-
leurs de l'acide salicylique ont été utihsées de bien d'au-
tres façons encore : substitution à l'acide phénique dans
le pansement de Lister ; lavage des cavités, des clapiers,
des plaies putrides, injections vaginales pendant ou hors
l'état de puerpéralité ; poudre désinfectante employée en
Vallix. — Désinfectants. 13
194 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Allemagne contre la sueur fétide des pieds (acide salicy-
lique 3 parties, talc 87, amidon, 10).
Malgré l'abus qu'on en a fait pour la conservation des
4enrées alimentaires, il ne faut pas méconnaître que l'acide
salicylique est un antiseptique précieux; s'il n'a pas l'ef-
Ificacité certaine de plusieurs autres agents qui viennent
<iu premier rang, comme le sublimé, l'acide sulfureux, le
<îhlore, il n'en a pas non plus les inconvénients ni la toxi-
cité redoutable. Nous énumérerons ses applications en trai-
tant de la DÉSINFECTION nosogomiale.
Essence de Wintergreen. — L'essence de Wintergreen
ou huile essentielle de gaidtheria est un antiseptique qui
se rattache étroitement à l'étude de l'acide salicylique ;
c'est un éther méthylsalicylique qui, saponifié par la po-
tasse, fournit facilement l'acide salicylique (Wurtz). Cette
essence a d'abord été retirée de la plante dite gaultheria
procumbens, de la famille des bruyères. M. Cahours l'a
retirée de l'acide salicylique au moyen de l'éther méthy-
îique et de l'acide sulfurique. Cette huile essentielle, d'une
odeur assez agréable qui l'a fait rechercher depuis long-
temps en Angleterre pour la parfumerie, est peu volatile,
insoluble dans l'eau, très soluble dans l'alcool concentré ;
la solution alcoolique se mêle assez bien à l'eau, mais quand
la proportion de celle-ci est trop forte, le liquide devient
trouble.
Cette essence a des propriétés antiseptiques incontesta-
bles, sur lesquelles MM. Lucas-Championnière, Périer, et
plus récemment MM. Gosselin et A. Bergeron, ont appelé
l'attention. M. Périer, médecin de l'hôpital Saint-Antoine,
substitue souvent cette essence à l'acide phénique dans le
pansement de Lister ; il emploie le mélange suivant qui a
l'avantage d'être parfaitement miscible à l'eau :
Essence de Wintergreen 30 grammes.
Teinture de quillaya saponaria. 6 —
Eau simple 1 litre .
EUCALYPTUS. 195
MM. Gosselin et Bergeron (1) ont expérimenté sur des
solutions alcooliques de cette essence. Dans des tubes con-
tenant 2 grammes de sang frais, on introduisait 2 grammes
d'une solution alcoolique d'essence de gaultheria, à 3
p. 100 ; les protorganismes s'y développèrent au bout de 4 à
^ jours. Mais en prenant la précaution d'ajouter chaque
jour au mélange précédent une goutte de l'alcoolé, l'alté-
ration putride, caractérisée par la présence de microbes ,
est retardée jusqu'au 2r jour. On obtenait le même ré-
sultat en laissant évaporer sous une cloche la solution
alcoolique d'essence de gaultheria, sans contact immédiat
de l'essence avec le flacon de sang, recouvert d'une tarla-
tane; l'alcool à 86 degrés, évaporé sous la cloche, eût sans
doute empêché aussi la putrescence ; mais un alcool aussi
concentré serait fort irritant pour les tissus.
MM. Gosselin et Bergeron ont adopté deux solutions ; la
forte contient 5 grammes d'huile de Wintergreen ou de
gaultheria pour 130 grammes d'alcool à 60 degrés ; elle ne
sert guère que pour laver les instruments, les mains, la
peau. La solution faible contient 2°'", 50 d'essence pour
200 grammes d'alcool à 45 degrés. Avec la solution faible,
les microbes et la putridité n'apparaissent que le 25'' jour,
tandis que l'alcool seul, au même degré, laissait apparaître
les microbes dès le 9^ jour. Cette solution a la même action
antiseptique que la solution d'acide phénique au 45*' ;
-elle n'est pas irritante, elle a une odeur agréable; elle est
^seulement un peu plus coûteuse que l'eau phéniquée.
MM. Gosselin et Bergeron, comme MM. Lucas-Champion-
nière, Périer, etc., en font un usage fréquent pour les pan-
sements antiseptiques.
Eucalyptus. — Une vogue d'ailleurs justifiée a depuis
20 ans attiré l'attention du public et des médecins sur
(1) Gosselin et Bergeron, Recherches sur la valeur antiseptique de cer-
taines substances et en particulier de la solution alcoolique de Gaul-
Meria. [Archives générales de Médecine, janvier, 1881, p. 16.)
196 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
les arbres de ce groupe, et sur les produits thérapeutiques
qu'ils peuvent fournir. L'eucalyptus a une puissance d'ab-
sorption par ses racines et une puissance d'évaporation
par ses feuilles, qui rendent ses plantations très utiles
pour favoriser le dessèchement des terrains marécageux.
Ses feuilles contiennent en outre un principe actif, ou
huile essentielle d'eucalyptus, dont les propriétés antisep-
tiques sont réelles. D'après Cloez, les feuilles demi-sèches
contiennent 6 p. 100 d'essence (1).
L'essence d' eucalyptus ou eucalyptoi est un liquide très
volatil, incolore, d'une odeur fragrante, à la longue très
désagréable parce qu'elle est extrêmement persistante ;
cette essence distille entre -|- 175° et -]- 200° C; elle est à
peine soluble dans l'eau, mais très soluble dans l'alcool,
l'éther, les huiles essentielles. Dès 1872, Demarquay l'avait
employée en dilution étendue pour le pansement des plaies.
L'essence d'eucalyptus a des propriétés antiseptiques très
réelles et Lister l'a récemment adopté pour remplacer l'a-
cide phénique qui produisait parfois des empoisonnements.
Mais elle coûte cher : 2 francs les 10 grammes, actuelle-
ment.
D'après le D"" Poehl de Pétersbourg, l'eucalyptol offre à
un haut degré la propriété d'engendrer de l'eau oxygé-
née en présence de l'eau et sous l'influence de la lumière;
toutes les fois qu'une huile de térébenthine , de citron ,
d'eucalyptus ou toute autre, renfermant un terpène , est
restée soumise à l'action directe du soleil, surtout aux
rayons bleus ou violets, et qu'ensuite on la fait traverser
par un courant d'oxygène, il se produit de l'eau oxygénée.
Les huiles essentielles de térébenthine et d'eucalyptus
tiennent à cet égard le premier rang, avec un maximum
de 3, 5 p. 100 de peroxyde d'hydrogène produit.
RÉsoRCiNE. — Cette substance n'est connue que depuis
(1) Gimbert, de Cannes, UEiicalyptus globulits, son importance en agri-
culture, en hygiène et en médecine. Paris, Delahaye, 1870 ; et Bulletin
de la Société de médecine de Paris, 1873.
RÉSORCINE. 197
nn petit nombre d'années, et les travaux de Lichtheim, de
Berne, Andeer de Wurtzburg (1), de Callias et Dujardin-
Beaumetz (2), ont montré qu'elle a une valeur antiseptique
sérieuse. La résorcineest un corps de la série aromatique,
assez voisin de l'acide phénique et de la benzine ; elle doit
son nom à son analogie avec l'orcine, tirée de l'orseille. On
l'extrait de l'assa-fœtida, de la gomme ammoniaque, de la
résine acaroïde, par fusion avec la potasse. M. Wurtz a
indiqué un procédé adopté partout aujourd'hui de prépa-
ration de la résorcine, qui consiste à traiter la benzine par
l'acide sulfurique.
La résorcine médicinale ou pure se présente sous forme
d'aiguilles très fines, d'un blanc éclatant et phosphores-
centes dans l'obscurité, tandis que la résorcine commer-
ciale a une couleur rouge et n'est pas phosphorescente.
Elle a une très faible odeur d'acide phénique ou d'acide
benzoïque, une saveur sucrée et un peu amère; elle est
soluble dans son poids d'eau, dans l'éther, l'alcool, la gly-
cérine, la vaseline. La solution aqueuse brunit par l'expo-
sition prolongée à l'air et à la lumière; elle est neutre et
n'irrite pas les tissus, elle coagule l'albumine avec laquelle
elle forme un précipité blanc, probablement d'albuminate
de résorcine. Elle ne commence à être toxique qu'à des
doses très fortes, 10 à 20 grammes par jour à l'intérieur
pour un adulte, tandis que la solution à 2 p. 100 est anti-
septique à un haut degré.
MM. Andeer, deBrieger, Callias, Dujardin-Beaumetz, ont
mesuré par des expériences rigoureuses son pouvoir anti-
septique. Voici le résultat des expériences les plus récen-
(1) Andeer, Einleitende Studlen tieber dus Resorcin zur Einfûhrung
desselben in die praktische Medicin ; Wurzburg, 1880; — et Revue de
Haijem, 13 janvier 1881, p. 62.
(2) Hippocrate Callias, De la résorcine et de son emploi en thérapeuti-
que. Recherches expérimentales et cliniques. [Thèse de Paris 1881, 106
pages). — H. Callias et Dujardin-Beaumetz, Recherches sur la résorcine.
{Bulletin de thérapeutique, juin et juillet 1881.)
198 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
tes faites par M, Hippocrate Callias, dans le service de
M. Dujardin-Beaiimetz, en 1881.
Tandis que du miel brut abandonné à lui-même fer-
mente, devient acide, dégage de l'acide carbonique, puis
se couvre de moisissures dès le 6* jour, l'addition de
1 gramme de résorcine dans 100 grammes de miel fait qu'au
bout de 50 jours, il n'y a aucun changement appréciable
dans l'état du mélange. Il en est de même pour les macé-
rations de rate, du pancréas des typhoïdes, de liquide asci-
tique, d'urine. Avec le lait, la conservation n'est parfaite
au SO*" jour, qu'avec 2 p. 100 de résorcine; avec 1 gramme
seulement, les moisissures et une odeur légèrement putride
apparaissent dès le 16* jour.
Dans un liquide en fermentation alcoolique, on arrête
complètement cette fermentation en ajoutant 1 p. 100 de
résorcine. De même, dans une macération aqueuse de rate
typhoïde, la putréfaction étant complète, l'odeur insuppor-
table et les microbes en pleine vie dès le 4° jour ; on verse
1 gramme et demi de résorcine p. 100, et lesm icrobes dis-
paraissent peu à peu sans laisser de trace.
M. Callias a fait de nombreuses expériences sur les ani-
maux pour apprécier les propriétés toxiques de la résor-
cine. Les accidents un peu sérieux (convulsions épilepti-
formes) -, mais non mortels , n'apparaissent chez les co-
bayes ou les lapins que lorsqu'on atteint à l'intérieur la do-
se de 30 centigrammes par jour par kilogramme du poids
de l'animal, soit 18 grammes pour un animal pesant 60 ki-
log. ; la dose mortelle est de 1 gramme par kilogramme du
poids de l'animal. J. Andeer avala en une seule fois une po-
tion contenant 10 grammes de résorcine : il eut des ver-
tiges, des troubles de la vue et de l'odorat, de la saliva-
tion et quelques convulsions cloniques ; tous les accidents
avaient disparu au bout de cinq heures, et la santé était
parfaite le lendemain. On peut donc employer impuné-
ment des solutions assez fortes, destinées aux usages
ACIDE BENZOIQUE ET BENZOATES. î99
externes , et cette substance est beaucoup moins toxiqu€^
que l'acide phénique.
Le D' W. Murrel (1), de Londres, a vu des accidents gra-
ves (lipothymie, coUapsus, sueurs froides, affaiblissement
extrême du pouls et de la respiration, etc.), survenir chez
une femme qui avait pris en une seule dose 2 drachmes'
(S^^bO) de résorcine. La malade, cependant, revint à elle
au bout de quelques heures, par un traitement énergique
(ingestion d'huile, lavage de l'estomac, flagellation) et
guérit.
M. Dujardin-Beaumetz a employé la résorcine en pulvé-
risation au centième dans des cas de diphtérie gutturale-,,
d'ulcérations syphilitiques ; mais les observations sont peu
nombreuses, et il est difficile de distinguer l'action exci-
tante, cathérétique, de l'action antiseptique ou antiviru-
lente. C'est donc une substance encore à l'étude, mais
dont la valeur antiseptique ne semble pas douteuse à la
dose de 1 p. 100.
Acide benzoïque et benzoates. — L'acide benzoïque et les-
benzoates alcalins ont pri« depuis un certain nombre d'an-
nées une véritable faveur comme antiseptiques et désinfec-
tants. Ils ont l'avantage de n'être nullement toxiques, car
le professeur Senator, de Berlin, a fait prendre sans incon-
vénient jusqu'à 50 grammes par jour de benzoate de soude-
à un malade atteint de rhumatisme articulaire aigu. Chez des
enfants de 1 à 3 ans, le D' Graham Brown a administré des
potions contenant de 1 à 8 grammes de benzoate par jour
dans le cas de diphtérie, et 13 à 23 grammes à des adultes.
C'est une poudre blanche, très soluble, d'un goût de-
benjoin prononcé. Bucholtz (2), Salkowsky (3), Grahami
(1) D'' W. Murrel, A case of poisoning by resorcin. [Médical Times and!
Gazette, 22 octobre 1881, p. 486.)
(2) Leonid Bucholtz, Antiseptica und Bakterien. [Arch. f. experimen-
telle Pathologie, 1875, B. IV. — Ueber das Verhalten von Bakterien zw
einigen Antiseptica, Dissertation inaugurale, Dorpal, 1876.)
(3) Salkowski, Ueber die antiseptische Wirkting der Salicylsaure und'
Benzoesaure. {Berliner Klin. Wochenschrift, 18 .'5, n° 22.)
200 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Brown (1) ont fait un grand nombre d'expériences desti-
nées à montrer l'action destructive et préventive de l'acide
benzoïque et des benzoates sur les bactéries. Salkowsky,
en opérant sur du suc de viande additionné de liquide asci-
tique en putréfaction, a montré que l'acide benzoïque em-
pêchait bien plus longtemps, et à dose plus faible que
l'acide salicylique, la décomposition putride du mélange et
l'apparition des bactéries. De son côté, Graham Brown
s'est efforcé de démontrer que le benzoate de soude était
bien supérieur au chlorhydrate de quinine et au salicylate
de soude pour détruire la virulence du liquide septique et
diphtéritique ; il a même cru pouvoir conclure de ses
expériences qu'après avoir saturé l'organisme d'acide ben-
zoïque par des injections hypodermiques répétées, le virus
inoculé ne produisait que des accidents très mitigés.
Nous sortirions de notre sujet, si nous insistions ici sur
les tentatives faites et les résultats obtenus par l'emploi in-
terne et externe du benzoate de soude dans la diphtérie,
la tuberculose, etc. C'est aller un peu loin que de rattacher
à la désinfection et à l'étude des désinfectants le traitement
des phtisiques par les inhalations de poussière d'eau
chargée de benzoate.
L'on sait depuis longtemps quels dangers d'intoxication
fait courir aux malades atteints d'affections de la vessie la
transformation ammoniacale de l'urine. MM. Gosselin et
A. Robin (2) ont utilisé à ce point de vue les propriétés
de l'acide benzoïque. A la suite de l'administration de cet
acide, l'urine ammoniacale devient acide et la neutrali-
sation, la saturation du carbonate d'ammoniaque se fait
en évitant la formation de sels insolubles ou toxiques. En
outre, l'acide benzoïque diminue la quantité d'urée conte-
(1) Graham Brown, Zur Thérapie der Diphthiritis. (Klebs's Archiv.,
VIII, p. 140.)
(2) Gosselin et A. Rcbin, Traitement de la cystite ammoniacale par
l'acide benzoïque. {Arch. génér. de Méd., 1874, T. 24", p. 566.)
ACIDE BENZOIQUE ET BENZOATES. 2bl
nue dans l'urine, et Frerichs a utilisé cette action en
l'administrant dans des cas d'urémie, pour débarrasser le
sang des matériaux azotés et du carbonate d'ammoniaque
qui le rendent toxique.
En résumé, l'acide benzoïque se transforme en acide hip-
purique ; celui-ci augmente l'acidité des urines normales ;
dans les urines ammoniacales, il empêche la formation des
dépôts phosphatiques, en se combinant avec l'ammoniaque
qui formerait sans cela, avec le phosphate de magnésie
contenu dans l'urine, un phosphate ammoniaco-magnésien
insoluble et partant des calculs. Les baumes qui contien-
nent de l'acide benzoïque et probablement aussi d'autres
produits végétaux (salicine, acide cinnamique, toluique),
jouissent de propriétés analogues.
Nous devions mentionner cette action désinfectante en
quelque sorte indirecte de l'acide benzoïque et de ses com-
posés ; son action directe sur les protorganismes est assez
puissante. L'acide benzoïque abolit l'activité de tous les
ferments non figurés; d'après Wernitz, la dose efficace va-
rie de 1 sur 400 à 1 sur 2,600 ; la pepsine n'est rendue
inerte que par 1 : 200, et le ferment lactique, par la dose
de 1 sur 300.
Bucholtz, opérant sur les bactéries nées dans l'infusion
de graines de tabac, voyait qu'elles cessaient de se déve-
lopper quand on les transportait dans le liquide de Pas-
teur - Bucholtz contenant 1 partie d'acide benzoïque pour
1,000. Haberkorn n'a pu réussir avec la dose de 1 sur 400,
à empêcher le développement des bactéries de l'urine.
Voici les résultats de 74 expériences faites par Jalan de
la Croix avec l'acide benzoïque pur préparé à l'aide d'acide
hippurique. En versant quelques gouttes de jus de viande
chargé de bactéries dans une série de tubes remplis de jus
de viande aseptique et additionné de quantités variables
d'acide benzoïque, on voit qu'une proportion d'acide égale
à 1 sur 2,867 est la plus faible qui empêche la puUulation
des bactéries dans le nouveau liquide ensemencé.
202 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
Pour tuer des bactéries adultes en plein développement
dans du jus de viande, il faut ajouter à celui-ci une propor-
tion d'acide benzoïque égale à 1 sur 410. Le bouillon de
viande cuit et abandonné à l'air ne se laisse pas infester de
bactéries quand on y ajoute au moins 1 partie d'acide
sur 2,871 ; la dose de 1 sur 1,439 est nécessaire quand le
jus de viande n'a pas été bouilli.
Dans la plupart de ces cas, pour détruire définitivement
et sans retour les germes transplantés du liquide neutra-
lisé dans un milieu de culture approprié, la proportion
d'acide benzoïque doit être de 1 sur TT et même 1 sur 50,
soit 2 pour 100.
C'est donc cette dernière dose qu'il faudrait préférer
quand il n'y a aucune contre-indication ; l'innocuité, la so-
lubilité très grande, le prix relativement modéré (25 francs
le kilog,), de l'acide benzoïque en font donc un antiseptique
utile, au moins dans ses applications à la thérapeutique
humaine.
Tannin. — Nous ne pouvons nous dispenser de mention-
ner ici le tannin qui a donné son nom à l'opération du
tannage. Ce procédé convertit les peaux d'animaux en cuir
imputrescible ; il appartient donc de droit à la méthode an-
tiseptique en général. Quoique la qualité du cuir soii une
co^ndition de l'hygiène de la chaussure, ce serait s'éloigner
de notre sujet, que de nous arrêter à l'emploi des substan-
ces tannifères, dont les applications hygiéniques sont ex-
trêmement limitées en dehors du tannage.
D'ailleurg, les expériences tentées par MM. Gosselin et
A. Bergeron (1) sur l'action antiseptique du tannin ont
donné un résultat peu satisfaisant ; en ajoutant à 2 gram-
mes de sang frais 8 gouttes d'une solution aqueuse de
(1) Gosselin et A. Bergeron, Recherches sur la valeur antiseptique de
certaines substances et en particulier de la solution alcoolique de Gaul-
theria. {Arch. de Médec, 1881, p. 16.)
ALCOOL. 203
tannin au iO% ils ont vu les vibrions apparaître dans le
mélange dès le 4^ ou 5^ jour, c'est-à-dire presque aussitôt
que le sang avait été abandonné à la putréfaction sans
addition d'aucun agent antiseptique.
D'après Gubler et Bordier (l), M. Bouley aurait vu,
chez un cheval qui pendant plusieurs jours avait ingéré
une dose journalière de 20 grammes de tannin, le sang*
rester imputrescible pendant 5 jours après la mort.
Alcool. — L'alcool est un antiseptique usuel ; il est
l'agent de la conservation du vin, du cidre, du poiré, de
la bière, des liqueurs, etc. ; quand la proportion d'alcool
dans ^ces boissons est insuffisante, celles-ci subissent les
décompositions les plus variées, et en définitive se putré-
fient. Il sert à conserver les tissus anatomiqnes, les cada-
vres, etc.
Il importe assez peu au point de vue de l'hygiène, de sa-
voir si l'alcool est antiseptique parce qu'il coagule l'albu-
mine des tissus et des liquides, ou parce qu'il détruit d'une
façon quelconque la vie des protorganismes et des fer-
ments; c'est probablement cette dernière circonstance qui
doit être la plus puissante. L'alcool est un antiseptique re-
lativement faible ; mais il a le grand avantage de pouvoir
être employé à l'extérieur à dose massive, sans crainte
d'accidents pour les tissus et pour l'organisme.
Bucholtz s'était contenté de noter qu'une solution alcoo-
lique à 1 sur 30 n'empêche pas le développement des
vibrions; Wernitz (2) a constaté que l'alcool dilué de 1 sur
3 à 1 sur 10 détruit l'activité de la plupart des ferments
non figurés, cependant l'action de la diastase n'est que dimi-
nuée ou retardée par une dose de 1 : 3 ; celle de la ptyahne
ne l'est que par la dose de 1 sur 2.
(1) H. Gubler et Bordier, Des substances antipudrides et antifermentes-
cibles [Bulletin de thérapeutique, 1873, t. 84% p. 26S.)
(2) Iwan Wernitz, Ueber die Wirkung der Anseptica auf ungeformte
Fermente; Inaug. Disserl., 1880.
204 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
On pourrait supposer que l'alcool, qui est très volatil,
s'évapore peu à peu et que si les solutions alcooliques lais-
sées à l'air libre pendant plusieurs jours, se remplissent
peu à peu dé bactéries, c'est que tout l'alcool a disparu.
Geissler a répondu à cette objection.
Des tubes contenant un mélange d'eau et d'alcool sont
gardés ouverts et à l'air libre pendant plusieurs jours ; au
bout de 72 heures, l'analyse y révèle encore 32 pour 100
d'alcool, l'analyse initiale ayant donné 33 pour 100.
Voici le résultat des expériences de Jalan de la Croix :
Il faut une solution alcoolisée au moins à 1 : 21 ou
S p. 100 pour empêcher le développement, dans du bouil-
lon, des bactéries adultes qu'on y transporte ; mais les
germes de ces bactéries ainsi détruites ne sont définitive-
ment stérilisés que par la dose de 1 sur 4,4=22 p. 100.
Pour détruire les bactéries en plein développement dans
du bouillon, cette même dose de 1 sur 4,4=^22 p. 100 est
nécessaire ; mais pour stériliser ces germes, il ne faut
pas moins de 1 sur 1,18 = 83 sur 100. Du bouillon de
viande laissé à l'air libre, ne reste exempt de bactéries que
par la dose de 1 sur 11=:= 9 sur 100 d'alcool, si le bouil-
lon a été cuit, et de 1 sur 21 — 5 sur 100 s'il ne s'agit
que d'un mélange de pulpe de viande crue et d'eau froide,
ce qui est un résultat assez inattendu. Pour stériliser les
germes contenus dans les liquides ainsi désinfectés, il faut
que la proportion d'alcool ait atteint 1 sur 77 ou S5 pour
100 dans le bouillon cuit, et 71 sur 100 dans le bouillon
cru! Il faudrait en conclure qu'en somme les propriétés
antiseptiques de l'alcool sont bien peu certaines.
Cependant MM. Gosselin et A. Bergeron ont obtenu des
résultats plus satisfaisants dans leurs expériences. Nous
avons déjà dit qu'en pulvérisant, pendant 15 minutes, de
l'alcool à 86 degrés, ils retardaient jusqu'au 9^ jour la pu-
tréfaction de 20 grammes de sang frais contenu dans une
cupule recouverte de tarlatane. Dans un tube contenant
CHLOROFORME. 205-
1 gramme de sang frais, la putréfaction était retardée jus-
qu'au 8^ jour en ajoutant 6 gouttes d'alcool à 86% tandis
que dans le sang pur cette putrescence apparaissait le 3° ou
le 4'' jour. Quand la pulvérisation avec l'alcool à 86° a lieu
sous une cloche, l'imputrescence se maintient presque in-
définiment dans les cupules remplies de sang frais et re-
couvertes de plusieurs doubles de tarlatane.
Ces expériences sont en accord parfait avec le résultat
du pansement des plaies par les irrigations d'alcool ; Ba-
taillé, Nélaton, Maurice Perrin, ont montré quels succès on
obtient par cette méthode, non seulement pour les plaies
exposées, mais encore pour le lavage des cavités qui ont
contenu du pus altéré ou des liquides putrides.
Il est incontestable que l'alcool est le meilleur véhicule
des antiseptiques ; et même, les expérimentateurs n'ont
pas toujours tenu assez compte de la part d'action qui re-
venait à l'alcool dans lequel ils faisaient dissoudre les
substances en expérience, parfois moins actives que l'al-
cool lui-même.
Chloroforme. — On connaît la belle expérience faite
en 1818 par M. Schlœsing, le savant directeur de l'École
d'application des tabacs, et par son collaborateur M. Miintz.
Quand on fait filtrer lentement des eaux d'égouts à travers
une couche de terre végétale, l'azote contenu dans ces
eaux se nitrifie complètement et se retrouve dans le li-
quide filtré à l'état d'azotates ; mais quand on fait passer
à travers cette couche de terre filtrante des vapeurs de
chloroforme, la nitrification est interrompue pendant un
certain temps, et l'on trouve encore de l'azote organique
dans l'eau filtrée. M. Miintz a démontré que le chloroforme
paralyse tous les organismes fonctionnant comme ferments :
les levures, le mycoderma aceti, les vibrions des fer-
mentations putrides, etc. La nitrification se fait très proba
blement par l'intermédiaire de protorganismes capables
de transporter l'oxygène de l'air sur les matières orga-
206 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
niques et de les brûler dans le sens chimique du mot ;
le chloroforme suspend sans doute la nitrification en sus-
pendant la vie des organismes nitrificateurs.
Les expériences faites en ces dernières années semblent
montrer cependant que cette action antiseptique du chloro-
forme n'est pas aussi puissante que les recherches de
MM. Schlœsing et Miintz pouvaient le faire croire. Ce n'est
guère qu'à la dose relativement très forte de 1 p. 100 à
1 p. 130 que les bactéries déjà développées sont détrui-
tes, et qu'on en prévient le développement, soit spontané,
soit après inoculation. Pour produire la stérilité complète
des germes, il faut d'abord les avoir fait séjourner dans
un liquide contenant environ parties égales d'eau et de
chloroforme. La grande volatilité du chloroforme et sa dis-
parition assez rapide des liquides où on a essayé de le dis-
soudre, expliquent sans doute en partie ces résultats peu
satisfaisants. Il faut reconnaître en outre qu'au point de
vue de l'hygiène, le chloroforme est un antiseptique qui
a un intérêt très médiocre.
Éther azoteux ou azotite d'éthyle. — M. Peyrusson(l)
présentait à l'Académie des sciences, le 28 février 1881,
une série d'expériences prouvant, suivant lui, l'action
désinfectante et antiseptique de l' éther azoteux ou azotite
d'éthyle. A vrai dire ce n'est pas sur ce corps même
que M. Peyrusson a opéré; l' éther nitreux est un corps
■connu seulement des chimistes, d'une préparation dan-
gereuse et difficile, très volatil, qui bout à -[- 32** et par
conséquent ne peut être utilisé dans la pratique de l'hygiène
à l'état de pureté. On peut le remplacer, à ce point de vue,
(1) Peyrusson, De l'emploi de l' azotite d'éthyle pour assainir les locaux
■contaminés et comme prophylactique des maladies pestilentielles et con-
tagieuses. [Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 9 août
1880.) Du même: De l'action des vapeurs d' azotite d'éthyle sur les impUr
retés qui sont dans l'air. Mémoire présenté à l'Académie des sciences, le
■28 février 1881. {Journal de la Société de médecine de la Haute-Vienne,
avril 1881, p. o3 et novembre 1881, p. 162.)
ÉTHER AZOTEUX. 207
par un mélange de 400 parties d'alcool et de 100 parties
d'acide azotique ; ce mélange dégage insensiblement des
vapeurs d'azotite d'éthyle ou éther nitreux, d'une odeur très
agréable d'éther ou de chloroforme.
M. Peyrusson a constaté que cet azotite d'éthyle ou éther
azoteux éthylique, en vapeur, communique à l'air les réac-
tions de l'ozone, et que de plus il est complètement inof-
fensif. Il en a conclu que cet agent pourrait sans doute
être utilisé pour purifier l'air des locaux habités ; et, théo-
riquement, les décompositions chimiques qu'il subit font
supposer qu'il est plus efficace encore que l'ozone lui-
même pour détruire les impuretés qui peuvent se trouver
dans l'air; l'expérimentation directe confirme ces données.
Dans une première série d'expériences, M. Peyrusson
n'a opéré que sur l'atmosphère, en évitant tout mélange
direct de l'éther azoteux avec la matière organique fermen-
tescible. Il a placé dans des bocaux de trois litres de capa-
cité, de la viande, du sang, des solutions sucrées, des œufs
battus ; puis il a introduit dans ces bocaux de petits flacons
débouchés, contenant un peu d'éther azoteux mélangé à
l'alcoel, ou simplement le mélange d'alcool et d'acide
azotique. Les bocaux étaient alors couverts, mais non
exactement bouchés, afin d'éviter une évaporation trop
rapide de l'éther; l'atmosphère ainsi limitée représentait
assez bien les conditions dans lesquelles se fait la désin-
fection de l'air d'un appartement. Voici le résultat de ces
expériences :
Dans un premier bocal-témoin, la matière organique
(œufs battus) a été simplement abandonnée à elle-même,
sans aucun désinfectant : au bout de 4 jours, l'odeur
d'œufs pourris était manifeste; au bout de 10 jours,
elle était insupportable. Dans un deuxième bocal, où l'on
avait introduit un flacon contenant du chlorure de chaux
humide, l'odeur du chlore était très forte, mais l'altération
des œufs était, le 6' jour, aussi marquée que dans le bo-
208 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
cal-témoin. Enfin, on plaça au fond d'un bocal préparé
de même sorte un petit flacon contenant de l'azotite d'é-
thyle mélangé d'alcool. Cette fois, la conservation des œufs
battus fut complète pendant les trois premiers mois que
dura l'expérience. Il ne se produisit aucune autre odeur
que celle très douce et très faible de l'azotite d'éthyle. Non
seulement il n'y eut aucune trace d'altération, mais la
coagulation elle-même n'eut pas lieu et l'œuf resta exacte-
ment dans l'état oîi il avait été mis.
Par comparaison, M. Peyrusson fit circuler'dans un autre
bocal un courant d'air ordinaire, pénétrant lentement au
moyen d'un tube de 1 centimètre de diamètre ; ce tube était
traversé par deux fils de platine communiquant avec une
petite bobine ; des décharges obscures, partant continuel-
lement entre les deux fils, chargeaient l'air d'ozone. Dans
ces conditions, la putréfaction fut retardée de huit jours ;
au bout de ce temps, elle commença, mais ne marcha que
lentement et progressivement.
Des expériences plus pratiques furent faites à l'hôpital de
Limoges :
« La s'alla Saint-Jean, cubant 280 mètres cubes, était
occupée par 12 vieillards infirmes et dégageait le matin
une odeur [très forte, presque repoussante ; on y a mis
3 tasses contenant [chacune environ 30 grammes d'éther
dilué, et l'odeur a été enlevée. » Plusieurs médecins du
même hôpital l'employèrent de la même façon dans des
salles où la présence de malades, et ailleurs de cadavres,
entretenait une odeur très forte, et ils paraissent en avoir
retiré un excellent effet. M. Peyrusson conclut de ces ex-
périences que cet éther, ainsi d'ailleurs que la théorie
chimique le lui avait fait pressentir, est doué d'un pou-
voir désinfectant remarquable ; il a de plus l'avantage
d'avoir une odeur douce, agréable, et d'être inoffensif. »
Il suffit, d'après lui, de mettre chaque soir environ
50 grammes de mélange d'acide azotique et d'alcool, pour
ÉTHER AZOTEUX. 209
100 mètres cubes d'air, dans des capsules en porcelaine
qui seraient disséminées dans les salles et qu'on pourrait
à la rigueur placer sur des vases d'eau chaude. »
La communication de M. Peyrusson à l'Académie des
sciences nous fît espérer qu'on pourrait trouver dans l'éther
azoteux un désinfectant à la fois puissant et inoffensif.
Nous avons institué de notre côté une série d'expériences
que nous allons exposer; on verra que le résultat n'a pas ■
complètement répondu à nos espérances.
1° Nous avons commencé par rechercher dans quelle
mesure ce mélange, pur ou dilué^ altère les tissus vivants,
les étoffes, les métaux. A l'état pur, il altère profondément
la couleur des étoffes, un morceau de soie violet a été taché
en gris jaunâtre, un tissu de coton rouge a été fortement
jauni; une houppe de laine garance a pris une couleur
jaune-brun havane, caractéristique d'ailleurs de l'action de
l'acide azotique sur les tissus animaux ; la solidité des
tissus ne paraît pas diminuée. Dilué au dixième, c'est-
à-dire en ajoutant à 1 volume du mélange acide 9 volumes
d'eau, les mêmes effets se sont encore produits, mais à un
moindre degré. A la dilution de 1 sur 50 et de 1 sur 30,
la laine rouge ne subit aucun changement décoloration.
Le mélange d'acide et d'alcool, dilué à 1 p. 10, a un goût
acide qui est supportable à la langue ; nous n'avons pas
essayé l'effet de cette dilution sur les plaies ; elle doit
produire une légère cuisson. Le titre de l'acide azotique se
trouve en effet porté à 1 sur 50, tandis que les lotions qu'on
pratiquait autrefois sur les plaies sanieuses avec les solu-
tions d'acide azotique ne contenaient au plus que 10 gram-
mes d'acide azotique sur 1000 d'eau.
Les vapeurs qui se dégagent du mélange initial ont une
action sur les métaux ; dans une chambre où se produisait
un dégagement assez modéré d'éther azoteux , nous trou-
vâmes le lendemain que les surfaces polies des objets en
fer (clefs j ciseaux), étaient devenues ternes, brunes, cou-
Vai.un. — Désinfectants. 14
210 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
vertes d'une mince couche de rouille. Ces vapeurs ont
d'ailleurs une odeur assez agréable, rappelant à la fois
l'éther et le chloroforme,
2" Pour expérimenter l'action irritante ou toxique de
l'éther azoteux, nous avons opéré sur des oiseaux, animaux
d'ordinaire très sensibles, que nous avons enfermés dans
une caisse à parois pleines, en bois, cubant exactement
100 décimètres cubes, et munie de deux fenêtres opposées,
fermées avec du tissu à larges mailles (linon, toile à cata-
plasmes). Dans cette enceinte, nous plaçâmes dans deux
verres à boire mesurant 5 centimètres de diamètre et
couverts d'un tissu à larges mailles, 30 grammes du
mélange. Les oiseaux vécurent pendant trois jours bien
portants dans cette atmosphère dont l'odeur était fragrante.
Le soir du 4^ jour, les deux oiseaux qui une heure avant
étaient très vifs et mangeaient bien, furent trouvés morts.
Il n'est pas douteux qu'ils aient été asphyxiés par l'éther
azoteux. Mais la surface d'évaporation de cet éther était
énorme; elle était de 47 centimètres carrés pour 100 déci-
mètres cubes, ce qui équivaut, pour une petite chambre
cubant 50 m.ètres, à la surface d'évaporation que fournirait
une cuve plate, de 1™,75 de diamètre, contenant une nappe
d' éther azoteux de quelques centimètres d'épaisseur.
Évidemment, il ne viendrait à l'esprit de personne d'em-
ployer un désinfectant exigeant une aussi énorme surface
d'évaporation. En outre, les oiseaux se tenaient habituelle-
ment perchés sur la toile recouvrant les vases et se trou-
vaient ainsi directement exposés aux vapeurs d'éther
nitreux. Il n'est donc pas surprenant que, dans ces con-
ditions excessives, ils aient succombé.
Dans les expériences que nous avons faites sur des
chambres occupées par des hommes et par nous-même,
il ne nous a pas semblé que ces vapeurs fussent irritantes,
encore moins toxiques, aux doses usuelles et pratiques.
3° Dans deux chambres qui dégageaient une odeur fade
ÉTHER AZOTEUX. 211
de renfermé, mais non fétide, nous avons placé dans
chacune une assiette contenant 30 grammes du mélange :
l'évaporation était achevée au bout de i2 heures, et l'opé-
ration fut renouvelée au bout de 8 heures, au commence-
ment delà nuit. Le lendemain, l'on pouvait sentir encore
une très légère odeur aromatique d'éther, mais l'odeur
fade avait disparu, et ne reparaissait pas quand on avait
tenu les fenêtres fermées pendant plusieurs heures. Dans
une autre chambre, occupée depuis longtemps par un
malade alité, et dont l'odeur était beaucoup plus forte
mais cependant non encore fétide, le renouvellement pen-
dant 36 heures de mêmes doses d'éther azoteux ne pro«
duisit pas de désinfection bien évidente.
Nous n'avons donc pas obtenu le bon effet observé par
M. Peyrusson, dans les salles de l'hôpital de Limoges. Et
cependant la surface d'évaporation était large et suffisante :
314 centimètres carrés pour une capacité de 50 mètres
cubes. Dans les deux cas, les objets en fer ou en acier poli
furent trouvés couverts d'une couche de rouille fort désa-
gréable.
Nous renouvelâmes cette expérience dans d'autres con-
ditions. Dansunecaisse cubant 100 décimètres cubes, nous
plaçâmes un vase de nuit contenant des selles d'un malade
atteint de diarrhée de Cochinchine, dont l'odeur était hor-
rible. Nous y introduisîmes en même temps deux verres,
mesurant chacun 5 centimètres de diamètre, et renfermant
chacun 30 grammes du mélange azoteux ; le lendemain il
restait encore dans les verres une partie du liquide qui
n'avait pas eu le temps de s'évaporer; l'odeur était d'une
fétidité insupportable ; on peut dire qu'elle n'avait pas été
sensiblement atténuée par Téther azoteux. Et cependant- la
surface d'évaporation de Féther était énorme et équivalente
à celle qu'aurait donnée un vase de l™,7o de diamètre,
dans une petite chambre de 50 mètres cubes.
4" Les résultats sont plus satisfaisants au point de vue
21 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
de l'action antiseptique. Dans des flacons de 2 litres de
capacité, nous avons introduit au mois de mai et suspendu
au bouchon, des morceaux assez volumineux de viande
fraîche ; au fond du vase, nous placions un petit godet en
verre, ne mesurant que 3 centimètres de diamètre^ et à
demi rempli du mélange désinfectant. Au bout de six se-
maines, l'évaporation n'a diminué que d'une façon minime
la hauteur du mélange, le flacon étant hermétiquement
bouché; et cependant, au mois de décembre suivant, le
morceau de viande ne présente pas encore la moindre fé-
tidité. Le tissu est ferme, décoloré, il a sa consistance
normale, et n'exhale qu'une odeur agréable d'éther.
Un autre morceau de viande a été abandonné à l'air
dans un verre contenant un peu d'eau pour empêcher la
dessiccation. Au bout de trois jours, la putréfaction était
complète et l'odeur insupportable. Le morceau de viande
en pleine putréfaction fut suspendu au bouchon d'un fla-
con de verre, au fond duquel on versa une cuillerée de
mélange désinfectant; le lendemain l'odeur putride avait
presque complètement disparu, et pendant plusieurs jours
en tenant le flacon habituellement bouché, c'est à peine si,
en flairant de très près le morceau jadis putride, on per-
cevait une odeur désagréable.
b" Dans les cas qui précèdent, les tissus organiques
n'avaient pas été mis en contact direct avec le liquide ; on
les avait simplement exposés aux vapeurs d'éther. Cette
fois, des dilutions du mélange primitif furent faites aux
titres suivants : 1 sur 50, 1 sur 100, 1 sur 200, 1 sur 300.
Des fragments de viande fraîche furent plongés dans ces
dilutions. Au bout de 3, 4, 5 jours, le hquide était trou-
ble, acidulé, renfermant une très grande quantité de cor-
puscules de ferment, sans mycélium ; puis, il devint vis-
queux, et se couvrit rapidement de moisissures. La putré-
faction et la fermentation n'ont donc pas été sensiblement
retardées par les doses qui précèdent.
ÉTHER AZOTEUX. 213
Au contraire, dans une solution à 4 sur 10, des frag-
ments de viande conservent depuis plus de six mois une
consistance et une odeur normales ; le grain de la viande
est un peu plus accusé par le gonflement du tissu cohnectif
qui entoure les faisceaux musculaires, il y a une certaine
corrugation du tissu musculaire, mais il n'y a aucune trace
de décomposition. D'ailleurs, on conserve journellement
les parties destinées aux dissections, le cerveau, etc., dans
des solutions d'acide azotique ayant à peu près le même
titre, et ces expériences ne pouvaient rien nous apprendre
de nouveau.
Nous n'avons pas eu la facilité d'expérimenter l'action de
l'éther azoteux sur les virus, sur les plaies, etc.
Nous n'avons pas à examiner si les vapeurs qui se dé-
gagent du mélange agissent par l'ozone, par l'acide azo-
teux (ce qui est probable), ou par un corps spécial, l'azo-
tite d'éthyle. En restant sur le terrain pratique, et dans les
conditions oij il nous a été loisible d'expérimenter, nous
arrivons aux conclusions suivantes :
1° Le mélange de 400 parties d'alcool et 100 parties
d'acide azotique, dilué au dixième (1 partie du mélange pour
10 parties d'eau), altère fortement la couleur des tissus de
soie, de laine, de coton : la dilution à 1 sur 30 ne l'altère
plus. La dilution à 1 sur 10 est encore assez fortement
acide au goût : l'acidité est agréable à 1 sur 30.
2° Les vapeurs dégagées par le mélange primitif rouil-
lent les objets polis en fer et en acier, même quand la
quantité de mélange évaporé est médiocre.
3° Dans des conditions normales, usuelles, quand la sur-
face d'évaporation ne dépasse pas 20 centimètres de dia-
mètre pour une chambre de 50 mètres cubes, les vapeurs
ne sont pas désagréables, elles ne paraissent ni irritantes,
ni toxiques pour l'homme.
4° Ces vapeurs ont fait disparaître d'une manière assez
sensible l'odeur fade de renfermé, non fétide, d'une cham-
214 ANTISEPTIQUES EN PARTICULIER.
bre occupée par un malade. Mais une autre chambre, déga-
geant une odeur vraiment désagréable, n'a pas été désin-
fectée. Même à doses très fortes (une surface d'évapora-
tion de I^^IS de diamètre pour une chambre de 50 mètres
cubes), l'odeur dégagée par des selles très fétides dans une
enceinte close n'a pas été diminuée.
5° Les vapeurs dégagées par le mélange, au sein d'un
vase bien fermé, empêchent presque indéfiniment toute
trace de putréfaction dans des morceaux volumineux de
viande fraîche, par une chaleur continue de plus de 20°
centigrades.
6° Les mêmes vapeurs font disparaître l'odeur de la
viande en pleine putréfaction.
1° Les solutions du mélange d'acide azotique et d'alcool
ne conservent à l'abri de la fermentation les fragments de
viande qu'on y laisse plongés, que si la solution ne des-
cend pas au-dessous de 1 sur 10 ; cette conservation per-
siste longtemps ; elle est parfaite au bout de plusieurs mois.
En résumé, la désinfection par l'éther azoteux ne paraît
pas avoir d'avantages très marqués, et reste au-dessous de
ce que la théorie permettait d'espérer.
Depuis que ces lignes sont écrites, nous avons reçu une
thèse de la Faculté de Bordeaux, et consacrée à l'azotite
d'éthyle, par M. Guillaumet (1), de Limoges. L'auteur, qui
paraît être un habile chimiste, a reproduit dans cette mono-
graphie les communications très précises et très scientifi-
ques de M. Peyrusson ; nous sommes forcé de reconnaître
qu'il y a peu ajouté. La thèse, après beaucoup de hors-
d' œuvre et de lieux communs sur les microbes en général,
ne relate que deux ou trois expériences personnelles, assez
(l)J.-A. Guillaumet, beVaz-olUe cVéthyleet de son emploi médical comme
antiseptique et désinfectant, thèacjtouvlo doctorat en médecine, Bordeaux,
1881, n° 3. — Peyrusson, Des germes morbides et de leur destruction au
moyen des vapeurs d'azolite d'éthyle, communication à la Société de méde-
cine delà Haute-Vienne, le 7 mars 1881. [Journal de la Société de méie-
cine de la Haute-Vienne, avril 1881, p. 83.)
ÉTHER AZOTEUX. 215
sommaires, et qui ont été faites directement avec l'azotite
d'éthyle pur, préparé par M. Guillaumet. Nous y voyons
qu'un pansement chirurgical infect, à la suite d'une ré-
section des malléoles, a été arrosé avec un mélange de
10 grammes d'azotite d'éthyle et 20 grammes d'alcool; pen-
dant 3 heures, l'odeur infecte a été notablement diminuée ;
le topique paraît n'avoir causé aucune douleur, mais on ne
dit pas si le mélange était arrivé au contact direct de la
plaie, ni quelle part il faut faire à l'action de l'alcool. Dans
une salle de malades, dans des conditions d'exiguïté et
d'insalubrité incroyables (194 mètres cubes pour 14 infir-
mes !), l'auteur plaça le soir 4 soucoupes contenant chacune
30 grammes d'azotite d'éthyle étendu de 50 grammes d'al-
cool. Le lendemain matin, la salle était beaucoup moins
infecte que d'habitude.
Cette question reste donc à l'étude, elle est étroitement
liée à celle de l'acide azoteux ; elle mérite d'intéresser les
hygiénistes et les chirurgiens, et les succès obtenus par
M. le D'' L. Bleynie de Limoges, en tenant en permanence,
dans la chambre des accouchées, un verre rempli d'azotite
d'éthyle, sont assez encourageants.
Nous ne pouvons que mentionner les propriétés antisep-
tiques qui ont été attribuées ou reconnues à la fuchsine,
à l'essence de mirbane, à la benzine, à la naphtaline, à
l'essence d'amandes amères, au sulfure de carbone, au
protochlorure et à l'azoture de carbone, à la liqueur des
Hollandais, à l'acide cyanhydrique, à la quinine, au chlo-
rure de baryum, à la racine de garance, à l'infusion de
café, etc. La liste des antiseptiques est interminable, sur-
tout de ceux dont l'action est peu marquée et l'appli-
cation difficile ; il suffit de signaler les principaux.
216
CHAPITRE IV
NEUTRALISANTS.
ARTICLE P'-. — DES NEUTRALISANTS EN GÉNÉRAL.
Les neutralisants sont les désinfectants par excellence.
Ils ne se bornent pas à retenir, emprisonner, absorber les
produits nuisibles, non plus qu'à en prévenir la formation,
ce qui n'est que rarement réalisable ; ils les détruisent, ils
les rendent inertes, ils les neutralisent. Cette expression
de neutralisants a l'inconvénient d'être moins précise,
moins expressive que celle de anti virulents, mais elle a
l'avantage de s'appliquer aussi bien aux miasmes qu'aux
virus : les vapeurs d'acide hypoazotique ne sont pas seu-
lement capables de détruire les virus, elles neutralisent
les principes nuisibles de toute sorte, qu'ils s'appellent
miasmes, effluves, ou virus. Pour la commodité du lan-
gage, il n'y a pas d'inconvénient à confondre ces deux
expressions ; les anti-virulents ou neutralisants des virus
sont en même temps des neutralisants des miasmes : ici
encore, qui peut le plus peut le moins. Nous emploierons
donc indifféremment ces deux expressions, mais sous les
réserves que nous venons d'indiquer.
g lor _ EXPÉRIENCES SUR LA VALEUR COMPARÉE
DES NEUTRALISANTS.
La médecine aura réalisé un immense progrès, le jour
où elle saura détruire ou éliminer les poisons morbides,
les virus, qui ont déjà pénétré dans l'organisme par les
voies de l'absorption. Une telle espérance n'est point une
utopie ; qui oserait dire qu'elle n'est pas légitime? Sans
e\périi<:nci:s sir lkiiu valki ij comparée. an
doute, de Jurandes différences séparent encore les poisons
morbides et les poisons à composition chimique bien dé-
terminée : mais ce n'est pas, selon nous, par des disserta-
tions métaphysiques sur les déviations de la force vitale,
qu'on arrivera à jeter beaucoup de lumière sur le mode
de développement des maladies virulentes et sur les
moyens de les guérir.
La neutralisation des virus au sein même de l'orga-
nisme est du domaine de la thérapeutique, et nous aurons
l'occasion d'y insister plus loin (Désinfection interne).
L'hygiène doit se contenter d'un rôle plus modeste, plus
facile sans doute, mais non moins utile. Si l'on veut don-
ner une base rigoureuse à nos connaissances sur la valeur
pratique des désinfectants, il faut commencer par savoir
comment chaque virus se comporte au point de vue de
l'inoculation, quand, sur la lancette même qui doit servir
à l'insertion sous l'épiderme, il est mélangé avec telle ou
telle substance réputée désinfectante. Est-il donc sans in-
térêt de savoir quelles sont les substances qui, ajoutées aux
virus varioleux, syphilitique, morveux ou charbonneux,
vont rendre stérile, inoffensive, l'introduction de ces virus
dans les voies de l'absorption ?
Et qu'on ne dise pas que ce sont là des expériences de
laboratoire, que jamais dans la pratique on n'a eu à neutra-
liser ainsi des virus dans un verre de montre ; autant vau-
drait-il nier la désinfection hygiénique. N'a-t-on jamais à
désinfecter une salle, un lit occupé par un varioleux, une
stalle ou une mangeoire ayant servi à des chevaux mor-
veux, des ustensiles, parfois même des instruments de
chirurgie, souillés par des syphilitiques? Sur quelles
preuves positives repose notre confiance dans telle ou telle
substance réputée désinfectante? Sans doute, de l'efficacité
d'un agent désinfectant sur un virus traité in vitro, on ne
devra pas conclure à la même neutralisation, quand le
loup aura déjà pénétré dans l'organisme ; car, suivant une
218 xNEUTRALlSANTS EN GÉNÉRAL.
expression pittoresque de M. Bouley, ce loup fait des petits
dans rorganisme, tandis que l'agent neutralisateur se di-
lue, s'affaiblit et s'élimine incessamment dans le torrent
de la circulation. Mais n'est-on pas en droit d'espérer que,
de temps en temps, par une exception heureuse, en mul-
tipliant ces tentatives de neutralisation externe, on décou-
vrira quelques substances faiblement ou nullement toxi-
ques, capables d'être introduites à haute dose au sein de
l'organisme et d'aller détruire ou éliminer le virus, de la
même façon qu'en ces dernières années on a trouvé, dans
l'essence de térébenthine et peut-être dans l'oxygène, un
neutralisant efficace du phosphore qui imprègne déjà les
tissus d'un sujet vivant.
Les recherches sur la neutralisation externe des virus
sont faciles, sans danger (on n'en peut dire autant de celles
qui ont pour but la neutralisation interne) ; c'est donc par
là qu'il faut commencer l'étude hygiénique des désinfec-
tants. Le principe de ces expériences est très simple, il a
été nettement formulé jadis par Renault, plus récemment
par Davaine, dans un mémoire que nous aurons souvent
l'occasion de citer. Étant donné un virus inoculable, en
prendre une quantité minime, mais bien déterminée; mê-
ler à la dilution un agent chimique en proportion exac-
tement dosée ; au bout de 15 à 30 minutes de contact,
injecter le mélange dans le tissu cellulaire, et voir si le
virus ainsi modifié produit ses effets ordinaires. Telle
est la méthode qui a été suivie par Renault, Davaine, John
Dougall, Baxter, Mecklenburg, Schmidt-Rimpler, Hoffmann,
et un grand nombre d'auteurs dont nous rappellerons ici
les travaux.
Les expériences de cette sorte n'ont d'intérêt que si
elles portent sur des substances réputées neutralisantes,
qui soient en même temps d'un emploi facile dans la pra-
tique. Il est certain que les acides sulfurique et azotique
concentrés détruisent les virus, mais ils détruisent aussi
EXPÉRIENCES SUK LEUR VALEL1{ COMPARÉE. 219
les tissus ; d'autres substances sont toxiques pour l'homme
à un haut degré et n'ont, par conséquent, qu'une impor-
tance secondaire au point de vue des applications à ce
point de l'hygiène.
D'autre part, on ne peut expérimenter que sur des virus
ou sur des principes inoculables, reproduisant toujours et
identiquement la maladie dont ils proviennent. Ces mala-
dies sont peu nombreuses, et les difficultés d'expérimenta-
tion sont extrêmes. Il n'est donné qu'à un petit nombre
de chercheurs de pouvoir étudier l'action des virus de la
péripneumonie bovine ou de la clavelée, inoculables seu-
lement sur de grands animaux tels que la vache ou le
mouton. Ces études coûteuses ne sont possibles que dans
les écoles vétérinaires, ou dans quelques situations excep-
tionnelles ; au médecin abandonné à ses propres ressources,
de pareilles recherches sont absolument interdites ; c'est ce
qui explique que jusqu'à présent elles n'ont été que rare-
ment tentées.
Enfin, pour certaines maladies virulentes, l'étude est
presque impossible, parce que les animaux sur lesquels on
pourrait expérimenter sont réfractaires à l'inoculation pro-
voquée, non moins qu'au développement spontané de la
maladie. Sur qui expérimenter les neutralisants du virus
syphilitique, puisque la syphilis semble jusqu'ici le triste
et exclusif privilège de l'espèce humaine? Si nous connais-
sions un animal qui pût contracter la fièvre typhoïde, soit
spontanément, soit par inoculation d'une parcelle de ma-
tière typhoïde, n'est-il pas probable que nous aurions fait
un grand pas vers la découverte des moyens capables de
prévenir ou de guérir cette maladie, la plus meurtrière
après la tuberculose. Quant à cette dernière, n'est-on pas
en droit d'espérer qu'il sortira un peu de lumière, au
point de vue de la prophylaxie, de la voie nouvelle dans
laquelle les premiers travaux de M. Villemin nous ont
fait entrer? et faut-il se laisser décourager par F insuccès
220 NEUTRALISANTS EN GKNERAL.
•des tentatives faites à l'aide des pulvérisations de benzoate
de soude?
Il serait prématuré de vouloir dès aujourd'hui classer les
neutralisants d'après leur efficacité. La question est à
l'étude depuis quelques années seulement, et bien qu'il
soit déjà démontré que la chaleur, les fumigations d'acide
sulfureux, d'acide hypoazotique, etc., viennent au premier
rang, tout classement définitif est encore impossible. En
effet, la plupart des expérimentateurs se sont bornés à
établir la valeur respective des neutralisants sur un ou
deux virus pris comme types. Les résultats obtenus par
des observateurs différents sont très souvent contradic-
toires ou discordants. Par exemple, il est impossible d'a-
dopter le classement qui résulterait des recherches très
nombreuses faites aux États-Unis, à l'instigation du Con-
seil national d'hygiène de Washington, par le D"" Stern-
berg. Les résultats qu'il a obtenus avec le virus septique
diffèrent souvent, et parfois d'une façon très inattendue,
de ceux fournis par l'expérimentation sur le virus vaccin,
par exemple. Sternberg (1) a dressé le tableau suivant, in-
diquant la dose de chaque désinfectant, qui neutralise le
virus septique. A 100 parties en poids de la dilution viru-
lente qui amenait toujours la mort en 24 ou 48 heures,
on ajoutait une quantité variable de chaque désinfectant;
les chiffres ordinaires indiquent les doses qui assuraient la
neutralisation; les chiffres gras indiquent les doses trop
faibles qui n' empêchaient pas V inoculation d'être suivie
de mort.
I. Dcsinfcclants efficaces à la dose do un demi (0,5) pour 100, soit 50 cen-
tigrammes du désinfectant pour 100 grammes du liquide virulent.
Iode 1,25 — 0,5 — 0,23 — 0,2— 0,1 (mort le 9« jour).
Acide chromique . . . 1 — 0,5 — 0,2 — 0,1.
Sulfate de for 1,25 — 0,5 — 0,2o — 0,12 — 0,1 S.
1 Sternberg, Experiinents with disinfectants. (Bulletin of National
Board of heaith (Washington), 23 juillet 1881, T. III, p. 21.)
EXPERIENCES SUR LEUR VALEUR COMPARÉE. 221
Sulfalc tic cuivre. .. 1 — 0,5 — 0,-2o — 0,1.
• Thymol (dissous dans
l'alcool) 1 — 0,23 — 0,-î.
Soude caustique . . .2,3 — 1 — 0,3 — 0,23 — 0,2.
Acide nitrique .... 1,23 — 1 — 0,3 — 0,23 — 0,S.
Acide sulfurique ... 1,25 — 0,3 — 0,2o.
Sesquiclilurure de fer. 1 — 0,5 — 0,So.
Hyposullile de soude . l — 0,5 — 0,!s£o.
Acide chlorhulrique. . 0,5 — 0,25.
II. Désiufectuuts iuefticaces a la dose de 0,5 pour 100, mais qui neutra-
lisent à moins do 2 pour 100.
Acide phonique 2,5 — 1,23 — O,o.
Acide salicylique (à l'état de
salicylate de soude .... 2,3 — 1,23 — 0,5.
Chlorure de zinc 2,3 — 1 — 0,3 '!
Potasse caustique 2,3 — 1 — 0,5.
Alun ferrugineux (//'((«-ff/H/».) 2 — I.
Sulfate de zinc 1,23 — 0,5.
Sulfite de potassium 2 — 0,5.
Acide tannique 1 — 0,5.
Acide horique 2 — -1.
Permanganate do potasse. . .2 — 1 .
Biborate de soude 2,3 — 1,25.
III. Substances qui n'ont pas produit la désinfection à la dose do
2 pour 100.
Nitrate de potasse. . 4.
Chlorate do potasse. 4.
Chlorure de sodium, 2,5.
Alun 1,25 — 4.
Acétate do plomb. .2.
Glycérine 23 — 12,5 — 10.
Alcool à 05'' .... 23 — 12,5 — 10.
Eau camphrée (parties égales d'eau camphrée cl de virusj : désinfection
nulle .
Acide pyrogallique. . 1.
Huile essentielle d'eu-
calyptus 10? (mort le 8° jour, sans pyémie.)
On le voit, beaucoup de ces résultats sont encore incer-
tains ou incomplets, notamment en ce qui concerne l'huile
essentielle d'eucalyptus : comment cette dose énorme de
10 p. 100 est-elle restée inerte? Comment a-t-on pu mélan-
ger une partie d'huile d'eucalyptus à neuf parties de virus,
222 NEUTRALISAINTS EN GÉNÉRAL.
qui ne dissout pas l'essence? Le D"" Sternberg reconnaît lui-
même que ses travaux ne sont pas terminés, bien qu'ils
se poursuivent depuis plusieurs années; ces travaux, en
effet, ne peuvent jamais être terminés, ils sont toujours
perfectibles.
Toutefois ces recherches semblent dès à présent capa-
bles d'ouvrir des vues nouvelles sur un mode particulier
de l'action des désinfectants, qui a été à peine soupçonné
et auquel nous devons consacrer un paragraphe spécial.
l 2. — ATTÉNUATION DES VIRUS PAR LES DÉSINFECTANTS.
En étudiant l'action des désinfectants par les résultats
de l'inoculation des sérosités septiques, le D"" Sternberg (1)
a observé un fait remarquable : certains agents ne détrui-
sent pas complètement la virulence, mais ils l'atténuent
et retardent l'époque de la mort. C'est ainsi qu'en injec-
tant sous la peau d'un lapin un demi-centimètre cube de
virus septique dans lequel on a dissous, à l'aide d'un peu
d'iodure, 1 d'iode pour 100 du volume total (dose énorme),
la mort par septicémie ne survient que le iV jour; avec le
même virus septique, non additionné d'iode, la mort sur-
venait toujours en 24 ou 48 heures. Ce retard de la mort
montre que, lorsqu'on expérimente ainsi l'action des'
désinfectants, il faut bien se garder de juger trop vite du
résultat obtenu : si l'on faisait, au bout de 5 ou 6 jours,
sur le même animal, une nouvelle inoculation avec un
désinfectant différent, on pourrait attribuer au second
un résultat qui est l'effet du premier.
Bien plus, Sternberg croit que le virus ainsi mélangé
avec un désinfectant s'atténue, peut devenir une sorte de
vaccin et donner à l'animal une immunité complète ou re-
lative contre une nouvelle inoculation. Ainsi, le 24 mai,
il injecte l'^'',25 de virus septique emprunté à un lapin qui
(^1) Sternberg, loco citato, 25 juillet 1881, n° -ij p. 2l.
ATTKNLATIOIN DKS VIKLS. 1Ï2S
venait de moui'ir de septicémie. L'injection est faite sous
la peau d'un lapin de grande taille, à qui l'on avait injecté
le 13 mai, sans produire d'accidents, un mélange de 1 par-
tie de virus sur 3 parties d'alcool à 9o degrés.
Le résultat de la seconde inoculation fut nul, [)eut-ètre
pai'ce que le premier virus avait été atténué par son mé-
lange avec l'alcool, et que ce virus atténué avait donné à
l'animal l'immunité contre une seconde inoculation.
Dans d'autres cas, cette seconde inoculation faisait bien
périr l'animal au bout de 8 jours, mais alors le sang et les
sérosités ne contenaient pas les micrococcus qu'on ren-
contre dans tous les cas de septicémie. Sternberg croit que
la mort a eu lieu alors non plus par les microbes septi-
ques, mais par l'action d'un poison cbimique, comparable
à la sepsine.
Il y a là peut-être l'ébauche d'un emploi nouveau des
agents désinfectants, et les résultats obtenus par le D'' Stern-
berg méritent assurément d'être contrôlés. N'est-ce pas
d'ailleurs par réchauffement à -j- oO" centigrades que
M. Toussaint avait d'abord réussi à atténuer le virus char-
bonneux et à le transformer en vaccin préservatif du sang
de rate? n'est-ce pas à l'aide d'une destruction incomplète
par l'oxygène de l'air que M. Pasteur atténue les virus?
Il y a là un rapprochement dont on ne saurait méconnaître
l'importance.
Nous croyons ne pouvoir mieux clore ces considérations
générales, qu'en résumant les conclusions par lesquelles
Baxter (1) terminait son important mémoire sur la désinfec-
tion, en 181o :
1° L'acide phénique, l'acide sulfureux, le permanganate
dépotasse, le chlore, ont une véritable action désinfectante,
mais à des degrés différents.
2" Il ne faut pas oublier que antiseptique n'est pas syno-
(1) Baxter, Report on an expérimental study of certain disinfectants.
Report of the médical officer oftlte Priva Coiincil, t. VI. 1873, p. 2oi.)
224 NEUTRALISANTS EN GENERAL.
nyme de désinfectant , quoique, pour ces quatre agents,
l'une des propriétés soit proportionnelle à l'autre.
3° L'action désinfectante du chlore et du permanganate
parait dépendre beaucoup plus de la nature du liquide où
sont suspendues les particules infectantes, que du carac-
tère spécifique de ces particules elles-mêmes. (Nous avons
vu que les expériences de Kiihn , de Bucholtz , de Ha-
berkorn, etc. confirment, en particulier pour l'action des
antiseptiques sur les protorganismes, la judicieuse obser-
vation faite ici par Baxter.)
4° Quand un de ces quatre agents est employé pour
désinfecter un liquide virulent contenant beaucoup de
matière organique, ou quelque composé capable de se
combiner avec le chlore, ou enfin de décomposer le per-
manganate, la désinfection n'est pas assurée si, après que
l'action chimique a eu le temps de se bien faire, il ne reste
du chlore libre ou du permanganate en excès dans le
liquide.
5° Un liquide virulent ne peut être considéré comme
dûment désinfecté par l'acide sulfureux, s'il n'a été rendu
définitivement et fortement acide. La grande solubilité de
cet acide le rend préférable, cœteris paribus, au chlore et
à l'acide phénique pour la désinfection des fiquides.
6° L'acide phénique ne désinfecte les liquides virulents
qu'à la dose de 2 p. 100 d'acide pur.
1° Les désinfectants n'agissent réellement que si la
matière virulente est exactement incorporée avec eux : il
faut être sûr qu'aucune matière solide ou coagulée n'em-
pêche le contagium d'être en contact immédiat avec l'agent
destructeur.
8" La désinfection de l'atmosphère, si communément
pratiquée dans les chambres des malades, est inutile et
n'est pas sans inconvénients, parmi lesquels est celui de
donner une sécurité trompeuse. Se contenter de développer
daus une chambre une forte odeur en répandant un peu de
ATTENUATION DES VIRUS. 223
poudre phéniquée sur le plancher, ou en plaçant une ter-
rine de chlorure dans un coin, c'est, au point de vue de la
destruction des virus, faire une opération absolument futile.
9° Quand on veut désinfecter l'air, il faut ne jamais ou-
blier que probablement les particules virulentes sont pro-
tégées par une enveloppe de matière albumineuse dessé-
chée. Le chlore, et surtout l'acide sulfureux, sont les
agents les plus utiles dans ce cas, pourvu que la dose
soit en excès.
10° Lorsqu'il est impossible de désinfecter complètement
une masse énorme de matières solides ou hquides, à l'in-
térieur de laquelle est disséminée un contagium (un amas
de fumier ou de litière souillé par les animaux atteints de
typhus), il faut se garder de donner une sécurité trom-
peuse par l'emploi de moyens illusoires. Il est probable
que tout contage sera détruit tôt ou tard par l'action de
l'air et de l'humidité, l'absence de ces conditions retarde
cette destruction. Dans ces cas, il faut tout au moins ne
pas entraver la décomposition naturelle de la matière viru-
lente^ par l'emploi malencontreux des antiseptiques.
11° La chaleur sèche, quand elle est applicable, est pro-
bablement le plus efficace de tous les désinfectants. Il faut
toutefois s'assurer que la température a atteint les parti-
cules les plus centrales de la matière suspecte ; la durée de
l'exposition et le degré de température doivent être consi-
dérés comme deux facteurs qui, dans une certaine mesure,
se compensent.
Nous passerons successivement en revue les divers
agents antivirulents, en commençant par ceux dont l'effi-
cacité nous paraît la moins contestable. Pour chacun d'eux,
nous décrirons ici l'agent désinfectant en lui-même, ses
caractères, les preuves de son efficacité, etc. ; mais il nous
a paru indispensable de renvoyer à la seconde partie de
ce travail les détails qui concernent le mode d'application
Vallin. — Désinfectants. 15
226 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
de l'agent. Nous avons cru, par exemple, qu'il y avait in-
convénient, en traitant à cette place de la chaleur comme
agent de désinfection, à entrer dans la description des ap-
pareils qui peuvent être employés dans ce but. Il nous a
semblé préférable de renvoyer ces longs détails à la se-
conde partie, oîi nous étudierons les moyens de désin-
fecter les literies, les vêtements, les chiffons, etc. Cette
scission d'un même sujet est dans une certaine mesure
regrettable, mais elle s'impose; des renvois multipliés per-
mettront au lecteur de reconstituer l'ensemble de la ques-
tion.
ARTICLE IL — DES NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
Chaleur. — A notre avis, la chaleur est le désinfectant
par excellence ; elle détruit radicalement et sans retour les
germes animés, les virus, les miasmes ; le feu purifie tout,
a-t-on dit depuis longtemps; ce vieil adage se trouve d'ac-
cord avec l'expérimentation la plus moderne. Toutefois,
.une distinction est nécessaire; la chaleur sèche, même à
-j- 140°C., et continue pendant 2 heures, est parfois in-
suffisante pour détruire certaines spores ; la chaleur hu-
mide, l'action de la vapeur d'eau à -j- lOO^C, détruit en
10 minutes toute trace de vitalité. Nous allons passer en
revue les faits anciens et nouveaux qui prouvent l'ac-
tion neutralisante , anti virulente des hautes températu-
res (1).
Le D' W. Henry, de Manchester (2), est l'un des pre-
miers qui ait préconisé l'emploi de la chaleur comme
(1) Vallin, De la désinfection par Vair chaud. {Annales d'hygiène et de
médecine légale, septembre 1877, p. 27ti) et De la neutralisation des virus
•en dehors de l'organisme. {Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1879,
p. 539.)
(2) D' Henry, Nouvelles expériences sur les propriétés désinfectantes
des températures élevées. (Trad. in Journal de pharm. et des se. access.,
1832, T. XVIII.)
CHALEUR. 227
désinfectant et qui ait appuyé son opinion sur des expé-
riences qui ont ouvert la voie à ses successeurs, Da-
vaine (l) et après lui Baxter (!2) ont repris cette étude
avec une grande rigueur expérimentale, et l'on sait au-
jourd'hui à quelle température un grand nombre de virus
cessent d'être inoculables. Le vaccin était naturellement
désigné pour servir de première base à ces recherches ;
Henry, dès 1831, exposait du virus vaccin à des tempéra-
tures déterminées, pendant un temps précis, et il notait
le résultat des inoculations faites avec ce virus.
Voici d'abord les résultats obtenus par W. Henry :
Action de la chaleur sur le vaccin (Henry).
Température. Durée de l'exposition. Résultat.
■-|- 82° C. 4 heures. Inoculation négative.
+ 78° C. 2 à 4 heures. d°
+ 71à + "4<'C. 2 à 3 heures. d°
-i- 66» C. 2 à 4 heures. d«
-f- 60°à 50° C. 4 heures. d"
-}- 49° G. 3 heures. Inoculation positive.
Ces résultats étaient critiquables, car rien ne prouvait
que le vaccin employé eût donné des pustules vaccinales
même avant d'avoir été soumis à -|-66"C. ; le sujet inoculé
pouvait être réfractaire, et le vaccin pouvait être de mau-
vaise qualité.
Pour éviter ces causes d'erreur, Baxter a continué ces
•expériences d'une façon très ingénieuse. Des aiguilles
■d'ivoire, dont la pointe était recouverte de vaccin dessé-
ché, étaient roulées dans du papier et placées dans un
tube-éprouvette, au centre duquel on maintenait un ther-
momètre; le tube était plongé dans de l'eau chaude à
température constante. Les aiguilles ainsi traitées ser-
(1) Davaine, Recherches relatwes à l'action de la chaleur sur le virus
charbonneux. [Compt. rend, de l'Acad. des se, 29 septembre 1873, p. 727.)
(2j Baxter, Report on an expérimental study of certain disinfectants,
(Appendix ta the report ofthe médical officer ofthe Privy Council, T. VI,
1875, p. 216, 256.)
228 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
vaient à faire trois inoculations sur un bras, tandis que
l'autre bras du même enfant recevait, dans la même
séance, trois piqûres avec des pointes d'ivoire imprégnées
d'un vaccin identique, mais n'ayant pas subi l'action de la
chaleur.
Action de la chaleur sur le vaccin desséché.
Durée de l'exposition à la chaleur dans chaque expérience = 30 minutes.
Maxim, de temp.
Durée dumax.
Pointes
vierges.
Pointes chauffées
+ 57°— 59°
cent.
29 minutes.
2
vésicules sur
3 piqûres.
2
vésicules sur
3 piqûres.
60 — 63"
28 —
3
—
3
—
63 — 66°
29 —
2
—
3
—
67—70°
28 —
2
—
1
—
69 — 74°
26 —
3
— ■
3
—
75 — 80°
23 —
3
—
3
—
83 — 90°
28 —
n'est
pas revenu
—
90 — 95°
25 —
3
—
0
—
90 — 95°
25 —
2
—
0
—
90 — 95°
25 —
3
—
0
—
On voit que Baxter a tenu grand compte de la durée de
l'exposition à la chaleur, et si ses résultats diffèrent de
ceux de W. Henry, c'est moins parce qu'il a prolongé
beaucoup la durée, qu'élevé davantage le degré de la tem-
pérature. De plus, il a opéré sur du vaccin desséché dont
la résistance aux agents extérieurs est peut-être différente.
Au Congrès d'Amsterdam, MM. les D""* B. Carsten et
J. Coert (1) ont obtenu des résultats à peu près identi-
ques en opérant sur du vaccin frais et sur du vaccin ani-
mal. Une certaine quantité du vaccin recueilli sur un
veau fut inoculée de veau à bras. Une autre portion du
même vaccin fut recueillie dans des tubes de verre : la
moitié fut conservée intacte, l'autre fut exposée à la tem-
pérature de 4" lOO^C. soit en plongeant le tube dans l'eau
(1) B. Carsten et J. Coert, La vaccination animale dans les Pays-Bas.
{Congrès d'Amsterdam de 1879. La Haye 1879, et Revue d'hygiène et de
police sanitaire, 1879, p. 1046.)
CHALEUR. 229
bouillante, soit en mêlant le vaccin avec l'eau ainsi chauf-
fée. Dans d4 expériences faites alternativement par l'inocu-
lation du vaccin chauffé à -{- 100", aucune inoculation ne
donna de pustule. Des tubes de verre, remplis de vaccin,
furent scellés hermétiquement et exposés à -[-100°. L'ino-
culation resta constamment négative.
Des expériences analogues au nombre de 15 , furent
répétées avec des températures inférieures à 100 degrés,
soit de -j- 13" à -}- 44", 5; dans chacune de ces 73 expé-
riences, on faisait 10 piqûres sur chaque individu, cinq
avec le vaccin chauffé, cinq avec le vaccin non chauffé.
Voici les conclusions de ces auteurs :
1" Le vaccin animal chauffé à -f- 64"3 centigrades pen-
dant 30 minutes perd sa virulence ;
2° Le vaccin animal chauffé à -f- 32° centigrades pen-
dant 30 minutes ne perd pas sa virulence ;
3° La chaleur maximum que peut supporter le vaccin,
sans perdre sa virulence, varie très probablement entre
-{- 32 et 4- 34° centigrades.
M. Davaine (1813) a montré que le virus charbonneux
a une résistance encore moindre à la chaleur; il est dé-
truit par une température qui est incapable de coaguler
le sang charbonneux. Les expériences étaient faites d'ail-
leurs avec des dilutions extrêmement étendues, 1 pour
10,000 par exemple, incapables par conséquent de se
coaguler par la chaleur.
La destruction est obtenue à + SS" C. en 3 minutes.
— à 4- SOo C. en 10 —
— à H- 48» C. en 15 —
Tout le monde connaît l'ingénieuse application à la pra-
tique que M. Davaine a faite de cette facile destruction du
virus charbonneux par réchauffement. Il déterminait des
vésicules charbonneuses à la face interne de la cuisse
d'un cobaye, en inoculant le virus d'une façon spéciale ; ne
230 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
maintenant sur ce point, pendant 1/4 d'heure, un marteau
de Mayor chauffé à -|- ^1° C, il arrêtait souvent, non tou-
jours, les progrès de la pustule maligne. L'action de cette
température est assez bien supportée par les tissus, il ne
reste à la suite qu'une légère inflammation qui se dissipe
bientôt. Chez l'homme au moins, oîi la pustule maligne
est toujours l'accident superficiel du début de la maladie
et où l'infection reste pendant assez longtemps limitée au
point d'inoculation, cet échauffement serait d'un grand
secours dans le cas où le diagnostic est incertain, toutes
les fois que la région se prête mal à de larges cautérisa-
tions, à la face par exemple.
Toutefois, M. Davaine aurait constaté dans les bactéri-
dies charbonneuses un phénomène analogue à celui qu'on
observe chez les végétaux ressuscitants, chez les rotifères :
une température sèche, voisine de 100°, n'empêche pas la
reviviscence quand ces petits êtres ont été préalablement
bien desséchés; elle les tue au contraire toujours, lors-
qu'ils sont humides. Il a desséché rapidement sous une
cloche en présence du chlorure de calcium du sang char-
bonneux, puis il l'a soumis pendant cinq minutes à une
température de -|- 100°; les animaux inoculés ont tous
été tués, avec tous les caractères du charbon. Le phéno-
mène s'explique sans doute par la résistance des corpus-
cules germes ou spores persistantes.
Dans une note récente de MM. Pasteur, Roux et Cham-
berland sur la constatation des germes du charbon dans
les terres de la surface des fosses où l'on a enfoui des ani-
maux charbonneux, note dont M. H. Bouley a donaé lec-
ture à l'Académie de médecine le 8 mars 1881, nous trou-
vons résumée l'opinion de M. Pasteur concernant l'action
des hautes températures sur les germes morbides : « En
chauffant, dit-il, à -]- 90° les dépôts ténus de la terre char-
bonneuse lavée, on détruit tous les germes d'organismes
microscopiques que recèle cette terre et qui ne résistent
CHALEUR. 23B
pas à cette température. Nous avons constaté depuis
longtemps que les spores du charbon conservent, au
contraire, leur faculté germinative à -|- 90" et même
à -f- 93 degrés » . Et plus loin : « après quelques heures
d'exposition et de culture commencée à -{- 42°, on porte
les vases à -j- ^0% température qui détruit toutes les cul-
tures en voie de développement, sans toucher aux spores
du charbon. » Il en résulterait que d'après M. Pasteur
la température de -[- 100° suffit pour détruire tous les
germes d'organismes microscopiques, excepté peut-être
les spores charbonneuses : M. Pasteur ne fait pas ici
d'exception pour les germes du vibrion septique.
Malgré ces réserves, les expériences qui précédent
semblent justifier pleinement la confiance qu'avait Pie-
nault dans le lavage à l'eau bouillante, pour purifier les
objets souillés de pus morveux et de sang charbonneux,
L'éminent directeur d'Alfort a multiplié sur ce point les
observations, et constamment il a vu les matières viru-
•lentes, traitées ainsi par l'eau bouillante, puis inoculées,
rester sans effet. En pratique, c'est donc un fait bien ac-
quis, que la chaleur humide, surtout à l'état de vapeur
d'eau, d'eau bouillante, est le moyen de purification par
excellence des locaux, bergeries, wagons, voitures, ou
des débris souillés par le charbon. Le virus septique pa-
raît malheureusement avoir une résistance plus grande,
si l'on en juge par les expériences déjà anciennes de
M. Davaine.
L'ingénieux observateur a soumis à l'ébulUtion des di-
lutions très étendues de ce virus ; des expériences multi-
pliées lui ont montré que de l'eau distillée ou de l'eau
ordinaire contenant 1 pour 10,000 de sang septique et
réduite à moitié par l'ébullition, amenait encore la mort
des lapins quand on leur injectait sous la peau une seule
goutte de ce sang. Cet effet, dit M. Davaine, n'est plus ob-
tenu lorsque le liquide est rendu très légèrement acide ou
232 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
alcalin avant l'ébullition, bien que la quantité d'acide ou
d'alcali soit insignifiante et incapable de détruire par elle-
même le virus.
Déjà Panum avait signalé cette résistance extraordi-
naire des liquides chargés de vibrions à la température
de -f- 100, continuée pendant 12 à 24 heures. Koch,
Tyndall et M. Pasteur ont montré que cette résistance
à -j- 120° était le fait, non de la bactérie, mais des cor-
puscules germes des vibrions ; car les vibrions et les bac-
téries adultes sont détruits par une température nota-
blement inférieure à -j- 100°. Tyndall en particulier,
cherchant à stériliser par l'ébullition des liquides de cul-
ture dans un milieu où s'étaient répandues des poussières
de vieux foin, chercha vainement pendant plus d'un an le
moyen d'y parvenir. Il y réussit enfin en soumettant la
décoction de foin, dans un ballon scellé à la lampe, trois
ou quatre fois à une ébullition prolongée pendant 1 ou
2 minutes seulement, mais répétée de 6 heures en 6 heu-
res. Voici comment Tyndall explique la difficulté de la
stérilisation et le mécanisme par lequel on l'obtient (1).
Les corpuscules germes, surtout lorsqu'ils sont anciens
et qu'ils sont restés longtemps desséchés, ont une résis-
tance extraordinaire ; la température de l'ébullition ne
détruit que les vibrions ou les bactéries à l'état parfait ;
mais la chaleur, impuissante à détruire la vitalité des ger-
mes, accélère et provoque leur évolution, leur passage à
l'état adulte. Pendant les 6 heures qui suivent l'ébulli-
tion, un certain nombre de corpuscules germes se déve-
loppent et mûrissent sous l'influence de la chaleur qui
se maintient pendant quelque temps au-dessus de 25° ; la
deuxième ébullition détruit facilement ceux de ces germes
(1) Tyndall, Further researches on the deportment and vital résistance
of putrefactive and iufective germs, from a physical point of view. {Plii-
losophical Transaction of the Royal Society, T. 167% p. 149 à 206.) —
Vallin, Sur la résistance des bactéries à la chaleur. (Annales d'hygiène
et de médecine légale, 1879, T. 49°, p. 259.)
CHALEUR. 233
qui ont pu, dans l'intervalle, arriver à l'état de bactéries
adultes; enfin une troisième ou même une quatrième ébul-
lition désorganise ceux dont le développement aurait été
plus tardif, Tyndall affirme que depuis le jour où il a eu
recours à ce moyen, il n'a plus rencontré une seule ma-
cération qu'il ne pût stériliser d'une façon indéfinie dans
des ballons scellés à la lampe. II en a conservé pendant
plusieurs années dont la limpidité restait parfaite.
Nous avons répété les expériences de M. Davaine avec
du virus septique dilué, en renouvelant à 3 ou 4 reprises,
et à 10 ou 14 heures d'intervalle, une ébullition qui par-
fois ne dépassait pas quelques minutes. Ce virus qui
quelques jours auparavant amenait la mort du cobaye
en 24 ou 48 heures, resta parfaitement stérile. Mais le
même résultat fut atteint après une seule ébullition con-
tinuée au plus pendant lo minutes. La simple ébulhtion
a également suffi à Dreyer (1) pour stériliser le virus
septique.
Il reste donc encore de l'incertitude sur la température
nécessaire pour détruire définitivement et sans retour le
virus septique, ou plutôt les corpuscules germes que les
bactéries ont laissés à leur place en se détruisant par une
chaleur moindre. Si la température de 100 degrés n'était
pas suffisante pour détruire la vitalité des spores, et ne
les rendait pas incapables de se reproduire dans un mi-
lieu de culture parfaitement approprié, au moins aurait-
on une sécurité absolue en renouvelant l'exposition à la
température de 100 degrés, après un intervalle de 6 à
12 heures.
Cette action neutralisante de la chaleur sur le virus
peut être confirmée par celle que les différentes tempé-
ratures exercent sur les protorganismes de la putréfaction
ou des fermentations.
(1) Z.-U. Dreyer, Veber die z-unehmende Virulem- der septischen Giftes
{Arch.fiir experimentelle Pathologie, 1874, p. 181. 2«voI., p. 150-182.)
234 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
Le D"" John W. Tripe (1) a étudié expérimentalement
l'action de divers désinfectants sur l'eau d'égouts et sur
les organismes vivants que cette eau contient. Voici ses
observations en ce qui concerne l'action de la chaleur.
Il plaçait de l'eau d'égouts dans un vase au bain-marie,
et à mesure que la température s'élevait, il observait sous
le microscope les mouvements des protorganismes conte-
nus dans une goutte du liquide. Tout d'abord, les mouve-
ments des infusoires deviennent plus vifs à mesure que
l'eau s'échauffe; mais dès qu'on atteint la température de
-j-32° C. ils commencent à devenir plus lents; ils cessent
déjà parfois à -j- 35" C. ; à -f- 38% un grand nombre d'or-
ganismes restent inertes; à -]- 40°, plus de la moitié meurt,
à -[- 43", ils sont tous morts. Au bout de 8 jours, il n'avait
reparu aucun infnsoire dans l'eau ainsi chauffée ! Quant aux
bactéries, elles n'étaient pas impressionnées avant qu'on
eût atteint -}- 46" C; à ce degré, les vibrions devenaient
tout à fait paresseux; à 48", beaucoup de bacillus, de
vibrions, de spirilles étaient sans mouvements; à -|- 51",
il n'y avait qu'un petit nombre de spirilles qui n'eussent
pas cessé de remuer ; à -f- 54°, les plus petites bactéries
étaient très paresseuses ; toutefois celles dont la tête
était très réfringente avaient encore une grande acti-
vité; à -j- 5^", ces dernières restaient seules actives ;
à -]- 60°, elles étaient elles-mêmes définitivement immo-
biles. Comme ces bactéries sont très petites, il est pos-
sible qu'on en ait laissé échapper quelques-unes ; le lende-
main aucun organisme de quelque sorte que ce soit ne fut
trouvé vivant; mais le quatrième jour, quelques-unes des
plus petites bactéries étaient de nouveau actives, les ba-
cillus, les vibrions, les spirilles ne reparaissaient pas. Ces
résultats sont si différents de ceux qu'ont rapportés beau-
(1) J.-W. Tripe, On the action of disinfectants on sewage, and the
living organisms contained therein. {The sanitary Record, 15 décembre
4880, p. 201.)
CHALEUR. 235
coup d'autres observateurs, que Tauteur se propose de re-
faire ces expériences ; elles sont cependant très nombreuses
et ont toujours donné le même résultat. Même en tenant
compte de la différence extraordinaire entre l'action de la
chaleur sèche et de la chaleur humide, nous faisons ici
les réserves les plus expresses.
Les expériences du D"" Tripe prouveraient donc que les
vibrions, les baccilles et la plupart des bactéries sont dé-
truits bien avant qu'on ait atteint le degré de chaleur né-
cessaire pour neutraliser le vaccin.
Wernich (1) a fait à ce point de vue des expériences
dont il expose ainsi les résultats : des tissus imprégnés de
matière putride furent soumis pendant 10 à 60 minutes à
une température sèche de -{- 110° à 118° centigrades;
5 fois sur 6, au bout de 24 heures, cette étoffe ainsi
chauffée ensemença les liquides de culture. Une exposi-
tion pendant o minutes à une température de -f- 125
à loO° réussit 10 fois sur 10 à empêcher l'ensemencement
par l'étoffe ainsi chauffée, et pendant 10 jours le liquide de
culture resta parfaitement limpide.
Au moment où nous corrigeons ces épreuves, nous
recevons un volume contenant les résultats analogues ob-
tenus en 1881, par MM. Koch, Gaffky, Loeffler et Wolf-
fhiigel, à l'Office sa7utaire impérial de Berlin. Ces au-
teurs ont vu également que la chaleur sèche continuée
pendant 2 heures à-}^ 150" G. , n'assure pas toujours la
désinfection, tandis que rien ne résiste, même quelques
minutes, à l'eau bouillante ou à la vapeur à -j- 100°. Nous
insisterons longuement sur ce travail en parlant de la
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS.
Aux expériences qui précèdent, nous pouvons toutefois
opposer celle qu'a faite en 1879 le D"" Werner dans l'étuve
à désinfection nouvellement établie à l'hôpital de Moabit,
(1) A. Wernich, Gntndriss der Desinfectionslehre zum praktischen Ge-
braiich; Wien, 1880.
236 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
près de Berlin, et dont M. Merke (1) a rendu compte.
M. Werner a imbibé des boules d'ouate de liquides pu-
trides dans lesquels fourmillaient vibrions et bactéries ; il
enveloppa ces boulettes souillées dans une pièce épaisse
d'ouate neuve, et après avoir solidement ficelé ce pa-
quet, il le porta dans l'intérieur de l'étuve sèche chauffée
à -j- 125°. Au bout d'une heure, on ouvrit le paquet ; les
tampons d'ouate souillée étaient parfaitement secs : on les
introduisit, avec les précautions d'usage dans des tubes
remplis de liquides de culture , et on porta les tubes
ainsi ensemencés dans une étuve à incubation chauffée
à -\- 37". Au bout de plusieurs semaines les liquides de
culture avaient conservé leur limpidité ; par conséquent
la température de -|- 125" avait non seulement pénétré
ciu centre des couches épaisses d'ouate, mais encore elle
avait détruit la vitalité des bactéries putrides et de leurs
spores.
D'après un grand nombre d'expériences faites au labo-
ratoire de Montsouris par M. Miquel (2), on sait que la
plupart des bactéries meurent à une température nota-
blement inférieure k -{- 10" C. : bacterium termo, punc-
tum, bactéries en forme de huit et de bâtonnets cornets,
aspergillus, pénicillium, torules, levures du vin et de la
bière. Les spores de bacilles au contraire résistent jus-
qu'à -[- 80° G., et même M. Miquel a vu les spores du
bacillus subtilis enfermées dans des matras scellés, ré-
sister à la température de -j- 105* C. prolongée pendant
120 minutes.
C'est en partie la différence des liquides de culture qui
fait la différence de résistance à la chaleur : telle spore
(1) Merke, Die Desinfection-Einrichtung im stàdtischen Baracken-Laz-a-
retlt z-u Moabit. {Virchow's Archiv, 24 septembre 1879, p. 498, et Rerue
d'hygiène et de police sanitaire, 1879, p. 896.)
(2) P. Miquel, Étude générale sur les bactt'ries de l'atmosphère. [An-
nuaire de r Observatoire de Montsouris pour l'année 1881.)
CHALEUR. 237
qui résiste dans du bouillon neutralisé, chauffé à -}~^3%
meurt bientôt dans du bouillon qu'on a laissé légèrement
acide. La durée de la chauffe est aussi un fait très impor-
tant : M. Miquel a vu telle semence pouvoir supporter sans
périr, pendant 5 à 10 minutes, une chaleur humide de
-|- 140° C, et cependant ne pas résister deux heures à
-f- 100° ou 102" centigrades. Toutefois le plus grand
nombre des spores elles-mêmes, d'après Cohn, périssent
au-dessous de -J- 10° C, et l'observation journalière des
laboratoires où l'on fait des cultures confirme assez bien
cette opinion. Il n'y a qu'un nombre relativement res-
treint de corpuscules-germes qui résistent à cette tempé-
rature, et qui ne sont détruits que par des températures
notablement supérieures à -|- 100°.
Il nous resterait à étudier deux questions très impor-
tantes : quelle est la température maximum que les tissus
et les objets de literie peuvent supporter impunément sans
que leur couleur, leur texture, leur solidité, soient altérées ?
quels sont les appareils les plus avantageux, dans la pra-
tique, pour faire la désinfection par la chaleur ? Ces deux
points exigeront un très long développement, aussi croyons-
nous préférable de renvoyer cette étude à la seconde partie
de ce travail, dans celle oîi la désinfection sera envisagée
au point de vue de ses applications pratiques.
Nous ne jugeons pas utile de mentionner ici les résultats
souvent extrêmement contradictoires obtenus par les my-
cologistes qui ont étudié l'action de la chaleur sur les micro-
phytes. Beaucoup de ces observations sont déjà anciennes,
et la science en ces matières s'est renouvelée on peut le
dire depuis vingt ans. En outre, nous écrivons ici pour les
médecins et les hygiénistes, non pour les naturalistes. Il
faut donc craindre d'embarrasser la question, et de dimi-
nuer aux yeux des médecins la valeur si grande de la cha-
leur comme agent désinfectant, en mentionnant ici des
faits exceptionnels ou des raretés de laboratoire. M. Cal-
238 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
vert a trouvé dans certaines expériences que la tempéra-
ture de -\~ 204° centigrades (400° Fahrenheit), était à
peine suffisante pour détruire la vitalité de certaines bac-
téries ! il est vrai qu'il n'arrivait pas non plus à les dé-
truire avec les acides purs les plus violents (acide sulfu-
rique, acide nitrique, etc.), non plus qu'avec les alcalis
caustiques ! Il s'agit évidemment des corpuscules-germes,
mal connus à l'époque où se faisaient ces expériences.
Quelques cas extraordinaires se trouvent aussi dans les
mémoires de Koch, Loeffler, Wolffhiigel, Gaffky (1).
Laissant de côté les minuties et les exceptions, nous
pouvons dire que s'il est vrai que la vapeur à 100° anéantit
toute vie, la température sèche de -{- 125° est suffisante en
général pour détruire toute vitalité comme toute viru-
lence ; nous pouvons donc adopter la conclusion à laquelle
s'arrête M. Pasteur, dans le rapport fait avec M. Léon Co-
lin, en 1880, au Conseil d'hygiène de la Seine, sur les étu-
ves à désinfection, et qui fixe entre 100° et 110° la tem-
pérature qu'il suffît d'atteindre dans la pratique.
Nous empruntons à Elwyn Waller (2) le tableau suivant
(voy. p. 239), indiquant le degré et la durée de tempéra-
ture nécessaires pour détruire la virulence des liquides,
tout en faisant remarquer combien sont contestables plu-
sieurs des assertions exprimées dans ce tableau.
Acides sulfurique, nitrique, chromique. — John Dougall
de Glascow a étudié expérimentalement (3) l'action des aci-
des sur les liquides fermentescibles.
Quand on abandonne à lui-même un liquide alcalin, neu-
tre, ou très légèrement acide, on le voit se charger de my-
(1) Slruck, Mittheilungen aus dem Kaiserlichen Gesundheitsamte, 111-4°,
Berlin, 1881 T. I, p. 301.
(2) Buck's Hygiène, Disinfectants, by Elwyn Waller, 1880.
(3) J.Ï)oaga.ïï,Caroolic and zyniotic diseuses. {The Lancet, 30 &.oùtifil3,
p. 295.) — On piitrefiers and antiseptics. {Médical Times and Gazette,
27 avril 1872, p. 485.)
239
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240 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
célium, de bactéries ; il devient trouble, fétide, sa densité
tombe de 1,6 à 1,2. Si au contraire, à une portion du
même liquide putrescible mais frais, on ajoute une quan-
tité d'acide capable de produire une réaction acide bien
nette, on voit que la fermentation y est tardive, faible, il
ne s'y développe que du mycélium, sans bactéries. Avec
une dose forte d'acide, toute putréfaction s'arrête, il n'y
a plus ni odeur fétide, ni protorganismes.. Il a fait des ex-
périences qui ont porté sur divers virus et en particulier
sur le vaccin ; il a toujours vu que les liquides virulents
ainsi traités par les acides chlorhydrique, acétique, sulfu-
reux, phénique, par le chlore, n'étaient réellement neutra-
lisés, désinfectés, rendus non inoculables, qu'au moment
même où leur réaction devenait manifestement acide au
papier de tournesol.
J. Dougall considère donc les acides forts comme des
désinfectants, des neutralisants de premier ordre, mais à
la condition qu'ils ne soient pas volatils. Car, si on laisse
exposé à l'air libre un virus neutralisé par un acide volatil,
cet acide se dégage peu à peu dans l'atmosphère, la réaction
acide disparaît, et le virus reprend son activité, ainsi que
le prouve l'inoculation ; cet effet est surtout manifeste dans
l'emploi de l'acide phénique que Dougall considère comme
un très médiocre désinfectant. En exposant le vaccin pen-
dant trente-six heures à une atmosphère saturée d'acide
phénique, on ne parvient pas plus à donner à cette lymphe
la réaction acide, qu'on ne parvient à faire disparaître son
inoculabilité. D'autre part, il mêle 40 parties d'acide phé-
nique (il ne dit pas lequel ou à quelle dilution) à 60 parties
de vaccin liquide, et ce mélange, gardé à l'abri de l'air
pendant 2 jours, ne donne aucune pustule vaccinale ; au
contraire, une portion du même mélange, exposée à l'air
pendant 12 jours, réussit parfaitement à vacciner. Dougall
n'hésite pas à déclarer que les acides volatils qui détruisent
d'une façon définitive l'inoculabilité du vaccin (le chlore.
ACIDES SULFURIQUE, NITRIQUE, ETC. 241
les acides chlorhydrique, nitreux, acétique, sulfureux, (etc.)
doivent être considérés comme de véritables désinfectants,
quelle que puisse être d'ailleurs leur vertu antiseptique.
Nous avons cherché dans les expériences de Baxter, de
Braidwood et Vacher, le contrôle de cette opinion, et nous
en avons trouvé la confirmation. Dans huit de ses expé-
riences, Baxter mêle du chlore à de la lymphe vaccinale,
sans détruire l'inoculabilité de cette lymphe, qui conserve
une réaction alcaline ; en augmentant le titre de la solution
chlorée, il arrive à détruire complètement la virulence, et
il note que la réaction de la lymphe ainsi désinfectée était
devenue acide. Il semble donc que le chlore ne neutralise
les virus qu'à condition de les rendre acides ; Dougall croit
que le chlore décompose l'eau du liquide, l'hydrogène
sert à former de l'acide chlorhydrique, pendant que l'oxy-
gène se dégage à l'état libre. D'ailleurs, dans les expé-
riences de Baxter, de Mecklenburg, les virus divers traités
par les acides acétique, sulfureux, sulfurique, chromique,
ne sont vraiment neutralisés que lorsqu'ils présentent eux-
mêmes la réaction acide.
M. John Dougall a préconisé l'action neutralisante de
l'acide nitrique sur les selles suspectes, les déjections pa-
thologiques; il recommande les solutions étendues de cet
acide (1/20) pour désinfecter les vêtements et linges
souillés par les malades. Nous renvoyons pour l'appré-
ciation de la valeur de cet agent, au chapitre spécial con-
sacré à la désinfection des vêtements.
Davaine (1) a traité par de petites doses d'acides chlorhy-
drique, sulfurique et chromique, du virus charbonneux ou
septique très dilué, mais dont une goutte introduite sous la
peau d*un cobaye , suffisait pour amener rapidement la
mort. Il a vu la virulence être définitivement détruite et le
(1) Davaine, Recherches relatives à l'action des substances antiseptiques
sur le virus de la septicémie. (Gaz. med.,1874, p. 44. Note lue à la Société
de biologie, 10 janvier 1874.)
Vallix. — Désinfectants. 16
242 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
liquide cesser d'être inoculable par les doses suivantes dé-
cès acides :
Virus charbonneux. Virus scptique.
Acide clilorhydrique 1 pour 3.000
— sulfurique 1 pour 5,000 ] pour 1,500
— chromique 1 pour 6,000 1 pour 3,000
Nous croyons devoir faire quelques réserves sur l' action;
de l'acide sulfurique, aux faibles doses indiquées ci-dessus ;:
dans plusieurs expériences que nous avons faites sur le virus
septique et sur le virus de la chancrelle, les doses de 1 pour
1,500 n'ont que retardé dans le premier cas, et dans le se-
cond cas elles n'ont pas empêché l'inoculation des virus
ainsi traités.
Dans ses expériences sur les antiseptiques, Jalan de la
Croix a bien trouvé que des doses d'acide sulfurique de-
1 pour 5,000 à 1 pour 3,350 étaient suffisantes pour dé-
truire les bactéries adultes dans du bouillon, ou pour em-
pêcher celui-ci de se remplir de bactéries par l'abandon à
l'air libre ; mais on est étonné des doses reconnues néces-
saires pour stériliser définitivement les corpuscules-germes
qu'abandonnent les bactéries adultes tuées par les solutions
faibles d'acide sulfurique. Pour empêcher une goutte de
bouillon contenant des corpuscules-germes, de fertiliser urt
liquide de culture (bouillon) dans les meilleures conditions-
de température, il faut que la liqueur contenant ces germes
ait été additionnée d'une partie d'acide sulfurique pour 100
à 200, et même dans un cas pour 72 parties. C'est là un
exemple de la résistance extraordinaire que les corpus-
cules-germes présentent parfois aux agents de destruction
les plus énergiques. A part ces cas exceptionnels, nous
verrons cependant que l'acide sulfurique est un excellent
agent désinfectant, surtout pour les selles des typhoïdes,
des cholériques, et dans tous les cas où on les suppose ca-
pables de contenir des principes infectieux ou virulents.
ACIDE SULFUREUX. 24»
L'Acide chromique paraît avoir également une grande
efficacité comme agent destructeur de virus. Mais il faut
le considérer plutôt comme un caustique que comme un,
désinfectant et antivirulent; son prix élevé, son action
corrosive, limitent d'ailleurs singulièrement son emploi au
point de vue de l'hygiène et de la désinfection.
Acide sulfureux. — L'acide sulfureux, obtenu par lai
combustion du soufre à l'air libre, vient "presque au pre-
mier rang des véritables désinfectants. Nous avons déjài
montré dans l'historique que son efficacité a été reconnue •
et célébrée dès la plus haute antiquité. Nous rappellerons-
très rapidement quelques-uns des caractères de l'acide sul^-
fureux, ceux du moins qui ont un intérêt particulier au
point de vue de la désinfection.
Un litre de gaz acide sulfureux pèse près de 3 grammes
C^^^QO); ce gaz est extrêmement soluble dans l'eau, dont
1 litre dissout 50 litres de gaz, soit 143 grammes d'acid&
par litre d'eau. Un kilogramme de soufre en brûlant à l'air
dégage environ TOO litres de gaz acide sulfureux; pour ob-
tenir 10 litres de ce gaz, il faut brûler complètement
15 grammes de fleur de soufre. M. Marty, professeur de-
chimie au Val-de-Grâce, a vu dans ses expériences que dans-
un mètre cube d'air bien clos, on ne peut brûler que 68 gram-
mes de soufre, formant 47 litres ou 136 grammes d' acide-
sulfureux ; à partir de ce moment, la combustion cesse efc
le soufre s'éteint de lui-même. Mais, dans un local habi-
table, les fissures permettent toujours un renouvellement
de l'air, et Czernicki (i a du réussir à faire brûler dans les-
salles de la caserne d'Avignon jusqu'à 300 grammes de
soufre par mètre cube ; toutefois , une légère couche de-
soufre sublimé recouvrait les murs et le sol.
L'on connaît l'odeur piquante, aigrelette de l'acide sul—
(i) Czernicki, Note sur l'assainissement du quartier du Palais, à Avignon^
au moyen de Vacide sulfureux. (Rec. des iném. de méd. et depharm. milit.,.
Dec. 1880, T. 36% p. ol3.)
244 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
fureux ; ce gaz provoque la toux, et peut déterminer des
irritations très violentes de la gorge et des bronches ; il est
absolument irrespirable plutôt que toxique. Il décolore les
tissus, il peut même en diminuer la solidité à doses con-
centrées, quand les objets exposés sont mouillés ou humi-
des. F. Hoffman a fait voir que les vapeurs d'acide sulfu-
reux à l'état sec ne décolorent pas une fleur desséchée ; de
même si l'on soumet à ces vapeurs de la farine de mou-
tarde bien desséchée, cet acide n'empêche pas l'eau de dé-
gager l'essence de moutarde ; l'effet contraire se produit
dès qu'on fait dégager ces vapeurs sulfureuses en présence
d'une humidité suffisante.
Bien que les vapeurs du soufre soient utilisées depuis
une époque très reculée, il est surprenant de voir à quel
point, même à l'époque actuelle, en 1882, on est peu fixé
sur sa valeur désinfectante. Rien ne montre mieux la né-
cessité de ne baser nos opinions et nos appréciations en
pareille matière que sur des expériences rigoureuses ; c'est
en ces dernières années seulement qu'on a commencé à
entrer dans cette voie.
Lorsqu'on fait brûler du soufre au contact de l'air, il se
produit constamment une quantité notable d'acide sulfu-
rique résultant de l'oxydation de l'acide sulfureux. C'est
et acide sulfurique qui, lorsqu'on se sert de houilles py-
riteuses, détruit si rapidement les chaudières des machines
à vapeur ; c'est à lui qu'il faut attribuer la rouille et le dé-
poli des objets en fer, qu'on observe dans les chambres
désinfectées par la combustion du soufre.
Gomme l'on éprouve quelquefois une certaine difficulté
à enflammer le soufre, surtout quand il faut allumer rapi-
dement un grand nombre de foyers dans une chambre à
désinfection, on a remplacé le soufre par un mélange qui
était très usité autrefois dans les lazarets et qui avait la
composition suivante :
ACIDE SULFUREUX. 245
Soufre en fleur 8 parties.
Nitrate dépotasse 3 —
Son 3 —
Nous avons pensé que ce mélange, aujourd'hui aban-
donné, devait donner naissance à une quantité beaucoup
plus grande d'acide sulfurique, et nous avons prié notre
ami, M. Marty, de doser l'acide sulfurique produit dans les
différents modes de combustion du soufre. Le tableau de
la page suivante, confirme cette hypothèse.
D'après le docteur A . Wolff, lors de la peste de Moscou
en mi, les médecins russes obtinrent de faire sur la va-
leur désinfectante de l'acide sulfureux l'expérience sui-
vante qui leur parut concluante : dix pelisses ayant été
portées par des pestiférés pendant leur maladie, furent ex-
posées à une forte fumigation de soufre et de salpêtre ; dix
criminels condamnés à mort furent obligés de s'en vêtir ;
aucun de ces malheureux ne gagna la peste (Guyton-Mor-
veau, p. 335). Nous ne trouvons plus de nos jours une
telle expérience concluante ; il ne faut pas toutefois lui en-
lever toute valeur ; l'on a vu, par la dernière peste d'As-
trakan, à quel point la peste est contagieuse même par les
objets matériels contaminés, et il est assez vraisemblable que
si aucun des dix condamnés en expérience n'a été atteint,
c'est que la fumigation de soufre avait complètement dé-
truit le principe virulent contenu dans les vêtements.
N'est-il pas curieux de voir Guyton-Morveau, pour qui
les fumigations acides sont les désinfectants par excellence,
ne conserver que les fumigations d'acides chlorhydrique
et nitrique, et écarter avec dédain l'acide sulfureux : « Son
évaporation spontanée, dit-il (p. 149, édition 180o), quoique
très incommode pour l'odorat, n'a qu'une action lente et
peu efficace sur les corps qui y sont exposés. » Il faut re-
connaître que les expériences faites par Guyton-Morveau
sur l'acide sulfureux et dont il donne le détail dans son
livre sont peu explicites et médiocrement combinées.
^46
NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
Quantités d'acide sulfurique produites dans la combustion
du soufre.
Poids des substances.! ^^^"^1^ combustion.
( Après la combustion.
Différence
Poids du soufre. . i Avant la combustion.
/ Après la combustion.
Soufre brûlé
Acide sulfurique produit
SO^ réduit du sulfate de baryte obtenu. .
Ce qui donnnerait pour un mètre cube d'air :
Soufre enflammé
Soufre brûlé ^
Acide sulfurique produit
EXPÉKIKNCE.
Avec
lleur do soufre
ordinaire
non lavée et
non desséchée.
3
2,4
0,6
3,0
2,4
0,6
0,0288
0,0840
99,173
4,760
EXPERIENCE.
Avec
fleur de soufre
ut suprà
3 grammes, et
nitrate de
potasse
i gramme.
3,3
0,7
3
2; 324
0,676
0,17:2
0,500
495
111,235
Dougall et Baxter ont au contraire montré la puissance
neutralisante de l'acide sulfureux sur les différents virus
inoculables. Tous deux exposaient pendant dix minutes,
dans de Tair saturé de vapeurs sulfureuses, des pointes
d'ivoire chargées de vaccin desséché. Au bout de ce temps,
ce vaccin neutralisé était inoculé par trois piqûres au bras
d'un enfant non vacciné, tandis qu'à l'autre bras, dans la
même séance, on faisait trois piqûres avec des pointes
d'ivoire chargées du même vaccin, mais non exposées au
soufre ; ces dernières piqûres étaient toutes suivies de bou-
tons parfaitement développés, les piqûres de l'autre bras
étaient stériles. Malheureusement la dose d'acide ou de
ACIDE SULFUREUX. 247
«oufre brûlé n'est pas mentionnée ; cette fois, par exception,
Baxter nous laisse dans l'incertitude.
Le docteur Sternberg(l), chirurgien de l'armée des États-
Unis, a repris ces expériences d'une façon ingénieuse et
avec une précision plus grande. L'auteur faisait brûler une
.quantité déterminée de soufre dans une caisse en bois d'une
capacité de 10 litres. Il soumettait aux vapeurs ainsi pro-
duites, du vaccin liquide déposé dans un verre de montre ;
il laissait le vaccin pendant douze heures au contact du
gaz ; le lendemain on inoculait des enfants nouveau-nés sur
un bras avec du vaccin neutralisé, sur l'autre bras avec
une portion du même vaccin, mais gardée soigneusement
à l'abri de tout agent chimique.
Du vaccin liquide fut laissé pendant 12 heures dans
l'appareil où l'on avait brûlé 3 centigrammes de soufre, soit
24 centimètres cubes de gaz pour 10 litres d'air, ou un
peu plus de 2 pour 1,000 ; le lendemain ce vaccin ne pro-
duisit qu'une fois des pustules, tandis que le vaccin pur
inoculé à l'autre bras réussit dix fois sur dix à les faire
naître. En doublant la dose de soufre, soit 6 centigrammes
pour 10 litres, ou 6 grammes par mètre cube et 3 volumes
d'acide sulfureux pour 1,000 volumes d'air, et après une
exposition du vaccin pendant quatre heures dans cette
atmosphère, le vaccin resta constamment inactif.
Il suffirait donc de faire brûler 5 grammes de soufre
dans un mètre cube pour neutraliser du vaccin liquide !
mais ce vaccin se coagule presque immédiatement au con-
tact du gaz sulfureux, ce qui contribue peut-être à détruire
ou à pallier son inoculabilité ; nous verrons d'ailleurs plus
loin à quelles graves erreurs peuvent conduire les expé-
riences faites dans des espaces d'aussi petite dimension.
(l) W. Sternbcrg, Experiments designed to test the value of certain
gaseous and volatile desinfectants. (National Board of Health, Washington.
T. I, il, 29 à 37, 1880, p. 219, et 23 juilIetlSSi, p. 21.) Voyez aussi Revue
d'hygiène^ 1880, p. 810.
248 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
Pour désinfecter du vaccin desséché, Sternberg a trouvé
qu'il faut une dose de soufre notablement plus forte, soit
16 grammes par mètre cube, ce qui correspond à la pro-
portion classique de 1 volume de gaz acide sulfureux pour
1 00 volumes d'air ; à ce point de vue, les résultats de Stern-
berg confirment ceux qui ont été obtenus par beaucoup
d'autres auteurs.
Baxter expérimenta aussi l'action de l'acide sulfureux sur
le virus morveux : il broya dans de l'eau légèrement salée
des nodules de poumon morveux ; le liquide, grossière-
ment filtré, fut mêlé à des proportions diverses d'acide sul-
fureux. Le virus obtenu des mêmes ganglions, mais non
soumis à l'action de l'acide sulfureux, amenait rapidement
sur des ânons, des accidents mortels dont la nature mor-
veuse était évidente. Au contraire, les inoculations res-
taient sans effet, quand elles étaient pratiquées avec un
mélange de 100 grammes de virus dilué, additionné de
1 ^^94 de gaz acide sulfureux, soit une solution à 2 pour
100 de cet acide (en poids). Les inoculations restèrent
également stériles avec une dilution contenant 40 cen-
tigrammes de gaz acide sulfureux pour 100 grammes
de virus, soit 4 pour 1,000 (en poids). La neutralisa-
tion ne fut pas aussi facilement obtenue avec le poison
septique. Baxter se servait du virus provenant de la ca-
vité péritonéale d'un cobaye ayant succombé à une pé-
ritonite infectieuse. Tantôt cette péritonite était primi-
tive : elle résultait « de l'introduction, dans le péritoine,
de pus putride, d'exsudation provenant de chiens morts de
septicémie artificielle, ou d'exsudation péritonéale d'autres
cobayes » ; tantôt cette péritonite était secondaire, « elle était
le résultat de l'injection sous-cutanée de produits infectieux
provenant d'autres cochons d'Inde » ; dans ce dernier cas,
le virus avait traversé plusieurs générations d'animaux et
sa virulence était beaucoup plus grande. Le Uquide péri-
tonéal était chargé de microbes ; il était pâle, ou sangui-
ACIDE SULFUREUX. 249:
noient, visqueux, et parfois tenace à tel point qu'il fallait
laver la cavité péritonéale pour le diluer; l'eau de lavage
était mêlée au liquide directement recueilli. Le degré de
dilution était donc très variable, et les proportions, rela-
tives entre elles, de virus et de désinfectant, devaient être
bien moins rigoureuses que dans d'autres expériences du
même genre. M. Baxter inoculait toujours comparativement
deux séries d'animaux, les uns avec du virus pur, les autres
avec le virus neutralisé. Il opéra à peu près exclusivement
sur des cobayes, parce que les lapins, dit-il, mouraient
parfois soudainement, tandis que d'autres, inoculés avec le
même liquide, résistaient. Il n'a jamais observé cette iné-
galité des résultats sur les cochons d'Inde.
Le liquide septique était mélangé avec une quantité bien
déterminée de solution titrée d'acide sulfureux liquide, et
après un contact d'une durée variant de 30 minutes à
3 heures, le mélange était injecté sous la peau avec la
seringue de Pravaz : mais pour Baxter, la durée du con-
tact n'a qu'une importance insignifiante ; car, d'après lui,:
la neutralisation est complète au bout de 5 minutes,,
pourvu que le mélange ait été intime. Du virus septique,.
qui en 24 heures avait amené la mort d'un cobaye, fut
mêlé à un égal volume d'une solution d'acide sulfureux,,
de telle sorte que le mélange total contenait 2gi",9 de gaz-
acide sulfureux pour 100 grammes dehquide; la neu-
tralisation fut complète, car l'inoculation ne produisit
aucun accident même local. Au contraire, la mort eut lieu
en 40 heures, lorsqu'on eut abaissé la proportion d'acide-
à Ogi',58 p. 100 du mélange total.
L'écart ici est trop considérable entre 6 pour 1000 en
poids et 3 pour 100 en poids; la dose nécessaire est-elle
voisine du premier chiffre ou du second ? En outre, on em-
ploie rarement dans la pratique de la désinfection l'acide
sulfureux en solution aqueuse, de sorte que nous ne som-
mes pas très précisément renseignés sur la quantité du.
•250 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
soufre, par exemple, qu'il faut brûler dans une capacité
déterminée pour neutraliser le virus morveux.
Nous avons eu, en janvier 1881, l'occasion de refaire
ces expériences. Un malade du service de notre collègue,
M. Gaujot, au Val-de-Grâce, était atteint d'abcès farcineux
multiples, et fournissait un pus inoculable qui, entre les
mains de M. le D' Kiener, avait déterminé chez plusieurs
animaux, cobayes, chats, etc., des lésions caractéristiques
de la morve. Une petite quantité de ce pus, recueillie direc-
tement sur le malade et placée dans un verre de montre,
fut exposée pendant 12 heures dans une caisse en bois
<issez bien ajustée, et représentant très exactement une
capacité de 100 litres. Nous fîmes brûler dans la caisse
2 grammes de fleur de soufre, dose équivalant à 20 gram-
mes par mètre cube. Le lendemain le virus fut inoculé
à un cobaye qui, trois mois après, était parfaitement bien
portant, n'ayant eu ni chancre morveux, ni abcès, ni
lésion testiculaire. Un autre animal, inoculé le même
jour avec la seconde portion du même pus mise en ré-
serve entre deux verres de montre et à l'abri de toute
<iction chimique, mourait au bout de 2 mois avec les ca-
ractères habituels de la morve. Ainsi donc une atmosphère
contenant 14 volumes d'acide sulfureux pour 1000 volu-
mes d'air, ou le produit de la combustion de 20 grammes
de soufre par mètre cube, a désinfecté, neutralisé du pus
morveux à l'état frais et liquide.
La même expérience fut répétée avec du pus morveux
desséché ; nous avions imbibé de petits carrés de flanelle
avec le pus morveux frais, et nous avions abandonné ces
carrés à la dessiccation à l'air libre. Au bout de 10 jours,
nous les avons soumis dans notre appareil aux vapeurs
provenant de la combustion de 15 grammes de soufre par
mètre cube ; l'inoculation resta stérile sur deux cobayes.
Nous devons reconnaître toutefois, que d'autres carrés,
ainsi imbibés, mais qui n'avaient été nullement soumis à
ACIDE SULFUREUX. 231
l'action de l'acide sulfureux, ne fournirent pas de liquide
inoculable à un animal de même espèce ; la dessiccation
avait peut-être suffi à elle seule pour détruire le virus,
comme dans les expériences de M, Galtier. Nous avons
fait d'autre part les expériences suivantes :
Du pus provenant d'un abcès symptomatique d'un mal
de Pott chez un tuberculeux, fut divisé en deux parts,
recueillies et conservées dans des verres de montre. La
première moitié fut placée pendant 12 heures dans une
chambre en bois cubant 100 décimètres cubes, ne fermant
pas hermétiquement, et dans laquelle on fit brûler une quan-
tité de fleur de soufre correspondant à 20 grammes par
mètre cube; le pus ainsi neutralisé et délayé dans un
:gramme d'eau fut injecté sous la peau d'un cobaye qui, au
bout de 4 mois, était encore bien portant, et fut trouvé
exempt de' toute lésion tuberculeuse. L'autre moitié du
pus, abandonnée pendant 12 heures dans le laboratoire,
sans contact avec l'acide sulfureux, fut délayée dans un
gramme d'eau et injectée à un cobaye fqui, le 48^ jour,
fut trouvé mort, après avoir beaucoup maigri ; le foie, la
rate, le poumon, le péritoine, étaient criblés de granu-
lations tuberculeuses.
Enfin, chez deux malades atteints de chancres de nature
douteuse, nous avons pris du pus et l'avons exposé aux
vapeurs d'acide sulfureux (lo grammes par mètre cube);
avec le liquide ainsi dénaturé, les inoculations restèrent
stériles ; le pus non désinfecté, recueilli le même jour et
conservé sur une lancette, à l'abri de tout contact avec
l'acide sulfureux, donna au contraire des pustules carac-
téristiques (1).
(1) Depuis que ces lignes sont écrites, nous avons répété ces expériences
sur une grande échelle, et nous rejetons presque complètement les re-
cherches faites dans des caisses ou des espaces très petits. Dans une caisse
do 100 dccimèlres cubes, même en ménageant des orifices tenus ouverts,
le soufre s'éteint souvent avant qu'il en ail pu brûler une quantité corres-
pondant à 10 grammes par mètre cube, tandis que dans une chambre
ordinaire, nous avons fait brûler complètement jusqu'à 150 grammes de
252 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
Dans une autre expérience que nous avons faite an-
térieurement, une dose de soufre de 30 grammes a été né-
cessaire pour neutraliser du virus septique dont une boule
de coton était imprégnée.
Nous n'avons trouvé mentionnée que très peu d'expérien-
ces de neutralisation du virus charbonneux par l'acide sul-
fureux; il est regrettable que M. Davaine n'ait pas expéri-
menté ce désinfectant énergique sur le virus septique ou
sur le virus du charbon. Renault, dans ses nombreuses
recherches restées inédites sur l'action des désinfectants,
ne semble pas avoir fait d'expériences rigoureuses avec
l'acide sulfureux. Il a employé très souvent cet agent
pour purifier les écuries , les objets de toute sorte , les
harnachements souillés par le virus morveux, par celui
de la péripneumonie, etc. Les fumigations au soufre sont
réputées et employées journellement parmi les vétérinaires,
comme l'un des moyens les plus puissants de purification
dans les maladies contagieuses du bétail ; mais nous
n'avons pu trouver des preuves rigoureuses, pour ainsi
dire expérimentales, démontrant leur efficacité.
Les expériences qui suivent montrent l'action des diffé-
rentes doses de soufre brûlé sur les bactéries, les vibrions,
les protorganismes des liquides en fermentation.
Deux médecins de la marine allemande, MM. Gartner et
Schotte (l), ont consacré un très long et très minutieux
travail à cette action de l'acide sulfureux sur les orga-
nismes microscopiques. En général, ces auteurs sont un
peu pessimistes ; ils cherchent à démontrer qu'il faut
soufre par mètre cube. Dans les caisses ou boites d'expérience, il se
produit au-dessus du soufre enflammé des nuages stagnants d'acide sul-
fureux qui arrêtent la combustion ; la répartition du gaz acide est très
inégale. Nous n'opérons plus que dans des chambres cubant 50 à 60 mètres;
nos résultats ne sont pas encore définitifs.
(1) Schotte et Gartner, Wie viel Carbohàure oder ivie viel schweflige
Saure in Gasform ist nôthig zitr Todtung Ideinslen Lebens? [Deutsche
Viertelj f. off. Gesund. 1880, T. XII, p. 337 à 376 et Revue d'hygiène et
de police mnitaire, 1880, p. 819.)
ACIDE SULFUREUX. 253
des doses considérables de soufre pour obtenir une désin-
fection absolument complète. Ils placent à des hauteurs
variées, dans une chambre de 40 mètres cubes, des cu-
pules contenant des liquides de culture ensemencés avec
des bactéries ou avec de l'urine putréfiée ; puis ils font
brûler dans la chambre 600 grammes de soufre, soit 15
grammes par mètre cube, ce qui donne 1 volume de gaz
acide sulfureux pour 100 volumes d'air; le soufre brûlait
dans des vases de terre placés à 1"\30 aivdessus du niveau
du sol. Au bout de 6 heures, les vapeurs sulfureuses s'é-
taient assez bien dissipées pour qu'un homme pût séjourner
et travailler dans la chambre, quoique pendant ces six
heures les portes et les fenêtres eussent été tenues bien
fermées.
Au bout de 6 jours, les liquides putrides placés aux
âges supérieurs restent clairs, ce qui prouve que les bac-
téries ont toutes été détruites; au contraire, les cupules
placées à la surface du sol se troublent au bout de 24 à
36 heures. Il faut 28 grammes de soufre par mètre cube
pour que la désinfection soit complète et définitive dans les
cupules reposant sur le sol (soit 2 volumes de SO^ pour 100
volumes d'air). En plaçant ces cupules sur les planches
hautes ou basses d'un placard à demi fermé et situé dans
le coin de la chambre fumigée, la désinfection ne fut ob-
tenue qu'en brûlant 92 grammes de soufre par mètre cube.
Les auteurs ont fait d'autres expériences pour apprécier
la résistance à la désinfection des étoffes souillées. On
trempait des bandes très épaisses de molleton de laine
dans des hquides de culture chargés de bactéries. On fai-
sait sécher ces bandelettes, ce qui ne détruisait nullement
les bactéries, puisqu'en trempant ces bandelettes dans un
liquide de culture approprié, on ensemençait ce dernier. Ces
bandelettes étaient suspendues au milieu de la chambre,
à une corde tendue à 4 "",80 du sol ; une moitié des bandes
était gardée sèche, l'autre moitié, après avoir été séchée.
254 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
était de nouveau humectée avec un liquide quelconque^
afin d'être soumise à l'état humide aux vapeurs sulfureu-
ses. Nos auteurs sont arrivés à ce résultat vraiment im-
prévu, que même après avoir subi l'action de l'acide
produit par la combustion de 92 grammes par mètre cube, •
les bandelettes humides elles-mêmes troublent le 3^ ou le
4® jour le liquide de culture dans lequel on les plonge.
Quand les bandelettes ont été soumises à l'état de séche-
resse à l'action d'une même quantité de soufre, elles trou-
blent les liquides de culture dès le 3* jour. MM. Gartner et
Schotte ont voulu surtout montrer par là que les germes
ou les protorganismes, cachés dans les parties les plus pro-
fondes des tissus très épais, résistent beaucoup aux fumi-
gations d'acide sulfureux, comme d'ailleurs à tous les
désinfectants. Ils arrivent presque à mettre en doute la
possibilité d'une désinfection certaine et absolue, au
moins par les gaz et la vapeur.
Les expériences faites par Wernich de Breslau, à l'Ins-
titut pathologique de Berlin en 1817, ne sont pas beaucoup^
plus rassurantes. Il imprégnait des bandes de laine ou de
coton avec des liquides putrides, chargés de bactéries ; il
exposait ces bandelettes pendant un temps variable sous^
une cloche contenant une proportion définie de gaz acide
sulfureux et d'air; puis il introduisait, avec les précau-
tions requises, ces pièces suspectes dans des tubes con-
tenant du liquide de culture de Pasteur, parfaitement privé
de germes ; le développement des bactéries dans le liquide
prouvait que la désinfection n'avait pas été complète. Wer-
nich a constaté les résultats suivants :
Quand les tissus souillés avaient séjourné même plusieurs
heures sous une cloche contenant 3,3 volumes d'acide
sulfureux pour 100 volumes, ils n'étaient pas désinfectés.
Quand la proportion de gaz acide était de 1 ou même de
4 pour 100, au bout de 6 heures de séjour, les tissus étaient
devenus incapables d'ensemencer les liquides de culture
ACIDE SULFUREUX. 23S.
et de faire naître des bactéries. Wernich rappelle d'ail-
leurs avec raison que certains protorganismes peuvent
avoir une résistance vitale plus grande que certains au-
tres, et que ces expériences n'ont qu'une valeur relative.
D'après Wernich, il faudrait donc, pour désinfecter 1 mètre
cube ou 1,000 litres d'air, brûler 60 gramn>es desoufre, pro-
duisant 40 litres de SO-, soit 4 p. 100 en volumes.
Ce qui précède semblerait démontrer qu'il faut des-
doses beaucoup plus fortes de soufre ou d'acide sulfureux
pour détruire sans retour la vitalité des protorganismes-
de la fermentation, que pour neutraliser la plupart des-
virus inoculables.
Les expériences de Jalan de la Croix (1) ont été faites
avec des solutions de gaz acide sulfureux dans les diver&
liquides de culture, et il a obtenu plus facilement la mort
ou l'arrêt de développement des bactéries dans ces liquides.
Un liquide de culture (bouillon de viande) qui contient
1 gramme de gaz acide sulfureux pour 6,448 grammes de
liquide (soit 53 centimètres cubes de gaz acide par litre de
liquide), et dans lequel on fait tomber quelques gouttes de-
bouillon rempli de bactéries adultes, ne permet plus à
celles-ci de se développer, et cet ensemencement reste sté-
rile. Des doses plus faibles encore d'acide sulfureux (1 pour
8,000 et pour 12,000) empêchent du bouillon abandonné
à l'air de se remplir spontanément de bactéries. Enfin, en
ajoutant 1 gramme de gaz acide sulfureux dans 2,000
grammes de bouillon rempli de bactéries adultes, celles-ci
sont tuées et cessent de se développer. Toutefois, il faut
ajouter non moins de 1 gramme d'acide dans 135 grammes
de bouillon, pour que les corpuscules-germes contenus dans
ce mélange et reportés dans un liquide de culture frais,,
soient incapables de donner naissance à des bactéries,
(1) Nicolaï Jalan de la Croix, Das Verhalten der Bakterien des Fleii-
chioasser gegen einirje Antiseptica. (Arch, fiir experiment. Patholog.y
20 janvier 1881, T. XIII, p. ns à 2oo.)
2o6 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
quand la nouvelle culture est portée dîjpLns l'étuve à incuba-
tion. Bucholtz avait obtenu cette neutralisation des ger-
mes eux-mêmes par des dilutions aqueuses de 1 sur 666;
mais, dans la pratique, on ne peut guère employer l'aci-
de sulfureux dilué dans l'eau.
Baxter, recherchant dans quelle mesure le gaz acide
sulfureux empêchait le développement des vibrions de
la putridité dans un liquide ensemencé, avait reconnu
que pour stériliser les liquides , ceux-ci devaient con-
tenir au moins lsr^23 de gaz acide sulfureux pour 1,000
grammes du liquide total. Au-dessous de cette dose, tous
les ballons inoculés furent infestés et se troublèrent.
On voit donc que dans les conditions les plus défavo-
rables, une dilution de 1 pour 1000 en poids, soit
4 centimètres cubes de gaz pour 1000 centimètres cubes
ou 1 litre d'eau, suffit largement pour obtenir une désin-
fection complète, définitive. On ne peut malheureusement
conclure de l'action des solutions dans l'eau, à l'action des
dilutions dans l'air ; toutefois, il y a une divergence con-
sidérable entre les résultats de Jalan de la Croix, Bucholtz,
Baxter d'une part, et de l'autre, entre ceux de Gartner et
-Schotte.
Au nom de la Commission d'étude des épidémies de
choléra dans l'empire d'Allemagne, Pettenkofer a fait, en
1874, des expériences intéressantes sur la valeur des
agents propres à assurer la désinfection des vaisseaux, et
en particulier sur l'action de l'acide sulfureux. Il opéra
dans une chambre située au deuxième étage de la Chan-
cellerie allemande et cubant 27 mètres. La pièce était
éclairée par une fenêtre à travers laquelle on pouvait ob-
server ce qui se passait dans l'enceinte ; la pièce n'avait
d'autre ouverture qu'une porte bien jointe. On alluma dans
la chambre un réchaud contenant 500 grammes de soufre
en fragments et en poudre (soit 18 grammes par mètre
cube.)
ACIDE SULFUREUX. 257
Pour étudier l'action plus ou moins corrosive de l'acide
sulfureux sur les matières premières et les objets servant
aux usages domestiques, on plaça sur une table, au milieu
de la chambre, les objets suivants :
1. Un rasoir bien poli ;
2. Une sonncltc en acier et en laiton ;
3. Des clous en fer, rouilles el polis ;
4. Une pièce d'or ;
5. Deux pièces d'argent ;
6. Une épauletle de médecin de la marine ;
7. Plusieurs coupons de soie, dont doux en soie teinte ;
8. Un tapis de pied en laine de couleur ;
9. Un morceau do coton de couleur ;
10. Un coussin do plume ;
11. Un miroir à cadre doré ;
12. Quelques livres ;
13. Une carafe pleine d'eau ;
14. Une assiettée de farine ;
13. Une assiette avec de la viande crue ; '
16. Une assiette conl(?nant du sel ; ■ .
17. Un morceau do pain ;
18. Des pommes ; '
19. De la canelle en poudre et en sorte;
20. Dos gousses de vanille ;
21. Deux cigares do la Havane ;
22. Une souris vivante dans une cage avec du lard.
On avait eu soin de glisser des bandes de papier de
tournesol entre les feuillets des livres, sous l'édredon, le
tapis. A 10 heures du matin, on alluma le soufre; à midi, la
combustion était terminée ; dans le corridor on percevait
une odeur de soufre assez marquée, mais non gênante, et
qui ne provoquait pas la toux. L'air de la chambre était
irrespirable et les vapeurs étaient si épaisses qu'on pou-
vait à peine distinguer les objets. On ouvrit la fenêtre, et
il s'en échappa un nuage de vapeurs qui cependant n'in-
commodèrent pas les habitants du voisinage. Au bout d'un
quart d'heure, on put entrer dans la chambre sans que la
respiration fût gênée, et voici dans quel état se trouvaient
les objets déposés.
Vallin. — Désinfectants. 17
2S8 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
La peinture des murs était intacte ; le rasoir était dé-
poli en un point, comme si on avait soufflé l'haleine
chaude sur le métal; le tranchant avait parfaitement con-
servé son fil, résultat qui a lieu de nous surprendre,
car dans toutes nos expériences les objets en fer poli ont
été fortement détériorés. La sonnette et la pièce d'or
étaient intactes ; les pièces d'argent avaient de petites ta-
ches ; l'épaulette exposée aux vapeurs sulfureuses fut com-
parée avec l'autre épaulette qui avait été mise à l'abri : la
première 'sentait le soufre, mais n'était en rien altérée.
Les coupons de soie et d'étoffes n'étaient nullement en-
dommagés. Le tapis de pied avait été à demi roulé et l'on
avait placé au centre quelques feuilles de papier de tour-
nesol ; ce papier était à peine rougi, ce qui prouve que
l'action de l'acide sulfureux n'avait pas pénétré les parties
profondesou cachées, et que par conséquent les matières
infectieuses ou suspectes logées aussi profondément n'au-
raient" pas été sensiblement désinfectées. L'on verra plus
loin que dans les expériences répétées par nous en 1881,
le papier de tournesol caché au centre de paquets vo-
lumineux et serrés était cependant très fortement rou-
gi par l'acide. De même les bandes de papier de tour-
nesol placées par Pettenkofer entre les feuillets des li-
vres (sans doute reliés), n'étaient rougies que jusqu'à une
certaine distance du bord des pages ; la partie centrale
n'avait pas été atteinte par SO^ ; il eût sans doute fallu que
l'action de l'acide se prolongeât quatre heures au lieu de
deux heures, pour que le livre fût attaqué dans toute sa
profondeur. Dans nos expériences personnelles, que nous
rapportons plus loin, nous avons noté la diffusion ex-
trême de l'acide sulfureux, et trouvé que le papier de
tournesol devenait parfaitement rouge, malgré les enve^
loppements les plus soigneux, au centre de pièces d'é-
toffes et de tissus très serrés.
Les substances alimentaires exposées sentaient l'acide
ACIDE SULFUREUX. 239
sulfureux , mais elles n'avaient pas sensiblement per-
du leurs qualités, et elles furent consommées par les mem-
bres de la commission sans aucune répugnance. La sou-
fris fut trouvée morte dans sa cage, et elle ne revint pas
à la vie quand on l'exposa au grand air. Pettenkofer en
conclut que le soufre n'altère pas les objets usuels et ne
rend pas les aliments nuisibles. Ne sait-on pas d'ailleurs
qu'on soufre le vin sans inconvénient? Hoppe-Seyler a
observé, pendant la guerre franco-allemande, qu'en expo-
sant aux vapeurs de soufre des caisses contenant du
pain destiné aux troupes, on arrêtait l'altération de ce
pain, sans altérer en rien ses qualités. Quant aux meu-
bles, étoffes, objets de valeur, on peut dire qu'ils ne sont
pas détériorés d'une façon bien appréciable.
L'emploi des vapeurs de soufre convient très bien d'après
lui, pour désinfecter les vaisseaux, et en particulier pour
empêcher la propagation des maladies infectieuses, du cho-
léra, de la fièvre jaune, et tout spécialement de celle-ci,
qui bien plus que le choléra se propage par la voie des
navires. Le principe infectieux de la fièvre jaune paraît
d'ailleurs à Pettenkofer se détruire plus facilement que
celui du choléra. Pettenkofer recommande donc les fumi-
gations de soufre comme le meilleur moyen de désin-
fecter l'air contenu dans les espaces du navire, ainsi que
tous les objets mobiliers, les parois, les matériaux, etc.,
mais l'acide sulfureux devient insuffisant pour désinfecter
l'eau corrompue de la cale ; il en faudrait des quantités
énormes pour que la dilution fût efficace.
Les vapeurs de soufre, outre la destruction des princi-
pes morbides, a encore l'avantage de débarrasser le na-
vire de tous les parasites, et en particulier des ratSj des
cancrelats, etc., qui d'ordinaire les infestent.
A la suite de ce premier rapport, le Ministre de la marine
fit faire des expériences nouvelles, dont Pettenkofer donne
le détail, sur deux navires, le vaisseau cuirassé Kaiser^
260 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
et une canonnière, le Sperber. Ces expériences , faites
en 1875, confirmèrent pleinement celles qui précèdent,
et donnèrent d'excellents résultats pratiques , bien que
la quantité de soufre employée ne dépassât pas dix
grammes par mètre cube. Sur le Sperber, les objets métal-
liques des appartements ou des machines prirent une lé-
gère teinte noire uniforme que le frottement faisait facile-
lement disparaître. Ce développement inusité d'hydrogène
sulfuré resta inexpliqué, et parait ne s'être produit qu'acci-
dentellement. Sur le Kaiser, où l'on n'employa également
que 10 grammes de soufre par mètre cube , les rats et les
souris qui ravageaient la batterie fumigée ne farent point
trouvés morts; ce qui prouve ou bien que la quantité de
soufre était insuffisante, ou bien que ces animaux avaient
trouvé des issues pour s'échapper.
En résumé, d'après Pettenkofer, les fumigations sulfu-
reuses sont praticables sur les navires ; il n'y a à crain-
dre ni les incendies, ni l'altération des matériaux ou des
objets de service usuel. Il vaut mieux faire l'opération
quand les hommes sont descendus à terre (sur le Cracker
on fit les fumigations pendant que l'équipage faisait à terre
une partie de cricket). La durée de l'opération doit être
au moins de 2 à 3 heures, pour obtenir une désinfection
complète. En cas de nécessité, on peut laisser les hommes
à bord pendant l'opération.
Pour les gros navires, à plusieurs ponts superposés, il
faut faire durer les fumigations de 6 à 10 heures, surtout
dans les entreponts oîi couchent les hommes. Le soufre
brûle d'ailleurs fort lentement, à moins qu'on ne le divise
en plusieurs foyers qu'on enflamme dans des vases mul-
tiples ; il est désirable que chaque foyer ne contienne pas
plus de 1 kil. 500. Cette dernière quantité nous paraît trop
considérable, même pour les espaces très vastes qui exis-
tent dans les flancs d'un navire de guerre. Il vaut mieux
réduire ces foyers et en multiplier le nombre.
ACIDE SULFUREUX. 261
Le D"" Mehlhausen a confirmé par des recherches per-
sonnelles les résultats obtenus par Pettenkofer, Dans une
chambre de 50 mètres cubes il a fait brûler 1 kil, de soufre
(soit 20 grammes par mètre cube), en plaçant le vase plein
de fragments de soufre au milieu d'un autre vase rempli
d'eau pour éviter l'incendie. On avait laissé dans la chambre
des punaises, des insectes, des verres de montre et des
vases contenant de l'urine putréfiée et de l'eau chargée
de vers, de bactéries, de vibrions, etc. Au bout de 1 heu-
res, on ouvrit la chambre. Tous les animalcules avaient
péri ; les liquides contenus dans les verres de montre
étaient acides. L'urine contenue dans un verre à réactif
laissait apercevoir des vibrions animés de mouvements
très vifs. Les objets métalliques, les glaces, les boutons
de cuivre des portes, les rideaux de damas bleu, n'étaient
nullement endommagés. Si on calcule que le soufre coûte
45 centimes le kilog., on trouve que la désinfection re-
vient à moins de 1 centime 19 millièmes par mètre cube.
On peut considérer la désinfection ici comme complète,
car la persistance de la vie des vibrions au sein d'une très
grande quantité d'urine (sans doute une centaine de gram-
mes) est inévitable, par la dilution extrême dans le li-
quide et par la petite quantité de gaz acide sulfureux cor-
respondant au périmètre du vase et à la surface libre de
l'urine.
Le D'' Mehlhausen a voulu voir si l'on pouvait obtenir
encore de bons effets avec une dose moindre de soufre.
Dans la même chambre, cubant 48 mètres cubes, il a fait
brûler 500 grammes de soufre, soit 10 grammes par mètre
cube. Au bout de 16 heures, on trouva que quelques in-
sectes étaient morts;- d'autres, et parmi eux les punaises,
vivaient encore. Les liquides putrides avaient une réaction
très acide; les mouvements et toute trace de vie y étaient
éteints. Il semblerait donc cette fois que la dose de 10 cà
18 grammes est suffisante pour tuer les petits animaux,
les insectes et la plupart des protorganismes.
262 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
En traitant du mode d'application des fumigations d'a-
cide sulfureux, nous montrerons qu'un de nos collègues
de l'armée, le D"- Czernicki, en opérant dans les salles
de la caserne du Palais des Papes, à Avignon, a trouvé
qu'il était nécessaire d'atteindre la dose de 35 grammes
de soufre par mètre cube, pour détruire complètement
les rats, souris, punaises, etc., cachés dans les fissures ou
les recoins des parois.
Le travail le plus récent et peut-être le plus complet sur
la valeur désinfectante de l'acide sulfureux est celui du D""
Wolffhiigel de Berlin (1). Nous renvoyons à l'article où
nous traiterons de la Désinfection des locaux et des vête-
ments, pour un grand nombre de détails d'application trai-
tés dans le mémoire de l'auteur avec l'assistance du D""
Koch. M. Wolffhiigel a fait un grand nombre d'expériences
sur la résistance des protorganismes à l'action de l'acide
sulfureux. En opérant dans une grande cage de verre,
avec une atmosphère contenant jusqu'à 6 volumes d'acide
sulfureux, au bout de 96 heures d'exposition, les spores du
sang charbonneux desséchées n'avaient pas perdu la possibi-
lité d'ensemencer des hquides de culture et faisaient mourir
en 24 heures une souris inoculée. Les spores charbonneuses
desséchées pouvaient encore se cultiver sur la gélatine
après un séjour de 25 heures dans une chambre bien fer-
mée, de 33 mètres cubes, où l'on avait dégagé 10 volumes
d'acide sulfureux pour 100 volumes d'air !
La destruction de toute vitalité est plus facilement obte-
nue quand les produits en expérience sont humides au
lieu d'être desséchés, mais Wolffhugel leur a néanmoins
trouvé une résistance surprenante. Dans une cage en
verre, il dégageait un mélange représentant 4 volumes et
demi d'acide sulfureux pour 100 volumes d'air, et au bout
(1) Wolffhiigel, Ueber den Werlh der schivefligen Sauve ah Desinfec-
tionsmîttel. (Mittheilungen ans dom Kaiserlichen Gesundheilsamte, T. I,
Berlin, 1882, p. 224 et Revue d'hygiène, mars 1882.)
ACIDE SULFUREUX. 263
de 24 lieures cette proportion n'était descendue qu'à
3 volumes, ce qui prouve que la caisse fermait herméti-
quement. On plaça dans la cage des fils de soie chargés
de spor- 3 charbonneuses puis desséchés, de la terre de
jardin liche en spores, etc. On remplit la cage de vapeur
d'eau et on y laissa séjourner ces objets pendant 24 heures
pour les rendre humides. Au bout de ce temps, on fit ar-
river le gaz acide sulfureux dans la cage, dans la propor-
tion indiquée ci-dessus ; au bout de 24 heures, les spores
charbonneuses avaient perdu toute activité, mais la terre
riche en spores pouvait, non sans peine, réussir à ense-
mencer des liquides de cultures.
En recommençant l'expérience dans une chambre bien
close, de 26 mètres cubes, le résultat fut bien différent.
On introduisit 48,56 volumes de gaz acide sulfureux
pour 100 volumes d'air ; au bout de 25 à 55 minutes, l'air
n'en contenait plus que 4 volumes, et que 1,8 au bout de
3 heures ; l'acide s'était diffusé à travers les porosités de
la muraille, ou avait disparu par les fissures. De nombreux
échantillons de terre de jardin avaient été cachés à des
profondeurs variables sous les plis d'une bande de fla-
nelle enroulée. Au bout de 24 heures, la terre n'avait
été nullement désinfectée ; mais les spores charbonneuses
imprégnées dans un paquet de fils de soie rendus humides
avaient perdu toute vitalité.
Dans une cage en verre, on plaça de la terre charbon-
neuse, de la terre de jardin riche en spores, etc. Après un
séjour de 24 heures dans un atmosphère contenant 10 vo-
lumes d'acide sulfureux pour 100, beaucoup de spécimens
restaient intacts et pouvaient ensemencer des liquides de
culture ; toutefois, de la terre charbonneuse qui avait été
humectée d'eau fut trouvée complètement désinfectée.
M. Wolffhiigel conclut de ses expériences que l'acide
sulfureux, même à la dose de 10 volumes pour 100, dose
qu'il est déjà très difficile d'atteindre dans la pratique, est
264 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
un désinfectant qui ne donne pas de sécurité, surtout quand
les objets suspects ne sont pas complètement humectés
d'eau.
Contre des expériences bien faites, on ne peut rien ob-
jecter. Toutefois, nous ferons remarquer que la résistance
extraordinaire que l'on constate aux doses très élevées
d'acide sulfureux est surtout le fait de spores qui ne sont nul-
lement pathogéniques : spores du bacillus subtilis du foin,
de la terre de jardin, etc. ; au contraire, les spores char-
bonneuses sont généralement détruites beaucoup plus faci-
lement. Ce sont ces derniers éléments qui nous intéressent
le plus, et il n'est pas prouvé que les protorganismes pa-
thogéniques aient la même résistance extraordinaire à l'ac-
tion de l'acide sulfureux. D'autres expériences, citées plus
haut, démontrent heureusement que l'acide sulfureux, à
doses moyennes, détruit l'inoculabilité de beaucoup de vi-
rus. C'est là le fait à retenir ; il ne faut pas, en raison de
certaines exceptions que nous ne contestons pas, trop ra-
baisser la valeur désinfectante de l'acide sulfureux, qui est
en réalité l'un des agents les plus efficaces, les plus éco-
nomiques, les plus facilement applicables que nous con-
naissions.
C'est par l'acide sulfureux que les sulfites ont des pro-
priétés antiseptiques manifestes; nous n'avons donc pas
à en parler ici. Il en sera question au contraire à propos
de la pratique de la désinfection, et particulièrement en ce
qui concerne les sulfites de soude et de magnésie, auxquels
Polli attribuait jadis une grande valeur comme désinfec-
tants ou neutralisants internes.
Le sulfite de soude a été recommandé en ces dernières
années par Minich, de Venise (1876), comme très peu
coûteux, nullement irritant, et comme un antiseptique
assez efficace. On peut l'employer en pulvérisations ou en
irrigations pour laver les plaies, aux doses suivantes :
Sulfite de soude. , , . , 100 grammes,
FUMIGATIONS D'ACIDE NITRIQUE. 265
Glycérine 50 grammes.
Eau 1 litre.
On a proposé un moyen économique, paraît-il, d'obte-
nir rapidement de grandes quantités d'acide sulfureux. On
place au milieu de la chambre à désinfecter un baquet
contenant du bisulfite de chaux sur lequel on verse de
l'acide chlorhydrique. Depuis que l'acide anhydre a pris
un rôle important dans plusieurs industries, on a cherché
à l'utiHser comme source de vapeurs sulfureuses désinfec-
tantes , mais le prix en est encore beaucoup trop élevé
(3 à 6 francs le kilogramme), pour que son emploi soit
réalisable dans la pratique de l'hygiène.
Fumigations d'acide nitrique. — Voici dans quelles con-
ditions Smith découvrit ou du moins appliqua les fumi-
gations acides qui ont gardé son nom.
Sur la fin de l'hiver 1780, une épidémie de fièvres ma-
Ugnes se manifesta parmi les Espagnols prisonniers qu'on
avait transportés à Winchester. Le D"" James Carmichael
Smith, médecin de l'hôpital de Middlesex, y fut envoyé par
la Chambre des communes pour désinfecter l'hôpital. C'est
là, probablement, que Smith employa pour la première
fois les vapeurs nitriques ; toutefois, il tomba malade lui
même avant, dit-il, d'avoir découvert les moyens de pré-
venir la contagion. Mais c'est surtout sur plusieurs pon-
tons ou navires de la flotte anglaise, ravagés par le
typhus en 1795 et 1799, que Smith et son auxiliaire, le
D"" Menzies, réussirent à obtenir une désinfection très effi-
cace par ces fumigations acides. Le 24 juin 1802," la
Chambre des communes, sur une pétition de Smith ^ vo-
tait en faveur de ce savant, à titre de récompense na-
tionale et d'indemnité, une somme de 5,000 livres ster-
ling (125,000 francs). Nous n'avons pas à rappeler les
protestations, d'ailleurs courtoises mais très vives, de
266 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
Guyton-Morveau (1), qui revendiquait pour lui-même la
priorité de la découverte du pouvoir désinfectant des fu-
migations acides en général ; il n'était pas encore ques-
tion du chlore. Voici comment on opéra sur le vaisseau
hôpital Y Union, à Sheerness, en novembre 1795.
« On fit chauffer du sable fin dans une marmite de fer ;
on en remplit des capsules de terre ; dans chacune de ces
capsules on enfonça une tasse à thé , contenant 12 à
13 grammes d'acide sulfurique concentré. Quand l'acide
eut atteint un degré de chaleur convenable (?), on y ajouta
peu à peu une égale quantité de nitre pulvérisé. On remua
le mélange avec une spatule de verre jusqu'à ce que la
vapeur se dégageât en abondance. Ces capsules furent
portées dans tous les quartiers par des infirmiers et des
convalescents, qui les posèrent de temps en temps sous
les lits des malades et dans tous les endroits où l'on pou-
vait soupçonner de l'air putride, La fumigation fut ainsi
continuée jusqu'à ce que tout l'espace des entreponts fût
rempli de cette vapeur, qui paraissait comme un épais
brouillard. »
Le D' Menzies, qui présida à ces opérations, ne manque
pas d'observer qu'il fallait procéder avec grandes précau-
tions. Pendant le transport des capsules, un grand nombre
de malades étaient pris de toux violente. Il ne dit pas
malheureusement si, indépendamment de cette toux, il ne
survint pas des inflammations bronchiques graves chez
ceux qui avaient respiré ces vapeurs. « Tous les linges et
vêtements de malade furent exposés, autant que possible,
à ces vapeurs pendant la fumigation. Les linges sales
furent plongés immédiatement dans l'eau froide^ étendus
sur le pont jusqu'à ce qu'ils fussent presque secs, et expo-
sés à la fumigation avant d'être envoyés au blanchissage. »
(1) L.-C. Guylon-Morveaii, Traité des moyens de désinfecter l'air, de
prévenir la contagion et d'en arrêter le progrès; 3"= édit. avec planches,
Paris 1805, 1 vol, in-8° de 441 pages,
FUMIGATIONS D'ACIDE NITRIQUE. 267
L'auteur ne dit pas si ces effets et linges étaient altérés
par ces vapeurs nitriques.
Pour désinfecter le vaisseau hôpital V Union, le D"" Men-
zies dépensa pour la première fumigation, qui avait lieu le
matin, environ 14 onces (350 grammes) d'acide sulfurique
et autant de nitrate de potasse, le tout réparti dans
2T capsules disséminées dans les différentes parties du
navire :
12 capsules pour la fumigation du pont inférieur,
10 pour celui du milieu,
2 pour la chambre des officiers,
2 pour celle des marins,
1 pour le lavoir.
Total. 27
Une seconde fumigation était faite le soir ; mais comme
tout était fermé, et qu'on n'avait pas la même facilité pour
introduire de nouvel air, on jugea qu'il n'était pas néces-
saire d'employer la même quantité de capsules. On ne
dépensa donc que la moitié des quantités indiquées plus
haut. Ces fumigations furent ainsi répétées pendant
8 autres jours; non seulement personne n'en éprouva la
moindre incommodité, mais le D"" Menzies observa encore
qu'en même temps la malignité de la maladie diminuait.
L'odeur, qui était horrible dans les chambres où s'entas-
saient les typhiques, disparut complètement, a L'espérance
commença à reparaître sur tous les visages. » Le D"- Keir,
qui a lui aussi été chargé d'appliquer la méthode sur les
vaisseaux anglais, insiste dans son rapport (1796) sur ce
fait, que par le procédé de Smith la fumée est blanche,
qu'elle n'est pas suffocante, qu'elle a même une odeur fort
agréable, qu'elle diffère complètement des vapeurs rougeâ-
tres, suffocantes d'acide hypoazotique qui se produisent lors
delà dissolution des métaux par l'acide nitrique. Ce n'est
qu'à la fin de l'opération, lorsqu'on donnait un trop grand
268 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
coup de feu, qu'il s'élevait quelques vapeurs rouges, alors
très désagréables et nuisibles.
Il est difficile de ne pas être frappé par les résultats que
Camichael Smith obtint en 1180, dans cette épidémie de ty-
phus qui sévit à Winchester parmi les prisonniers espa-
gnols gardés sur les pontons. Le tableau suivant parle
mieux que toute description.
Nombre des prisonniers espagnols.
Au total. Malades. Morts
26 mars 1780 1247 60 1
2 avril — 1243 106 4
9 avril — 1475 ISO 10
16 avril — 1457 172 18
23 avril — 1433 142 21
30 avril — 1412 171 21
7 mai — 1388 191 25
14 mai — 1351 197 27
21 mai — 1523 205 30
28 mai — 1494 226 31
L'épidémie devenait si redoutable que le parlement
appela Smith ; immédiatement celui-ci fit pratiquer des fu-
migations d'acide nitreux. Le succès fut rapide :
17 juin 1780 9 décès.
27 juin — 5 —
1 juillet — 5 —
8 juillet — 1 —
L'épidémie s'arrêta; les cas de contagion disparurent. Il
importerait toutefois de savoir si, du 28 mai au 17 juin,
une amélioration des conditions hygiéniques, d'autres in-
fluences, n'avaient pas contribué à faire tomber le nombre
des décès de 31 à 9 par jour.
Nous avons cru utile d'entrer dans le détail des opéra-
tions : car il y a un désaccord évident entre l'innocuité
relative des fumigations nitriques faites sur les pontons
anglais par Sraith lui-même ou ses élèves, et les acci-
FUMIGATIONS D'ACIDE HYPOAZOTIQUE. 269
dents graves observés de nos jours par les médecins qui
ont voulu employer les fumigations dites nitreuses.
L'on voit qu'en somme Smith ne versait sur le nitrate
de potasse qu'une petite quantité d'acide sulfurique à la
fois, et qu'il disséminait 27 capsules, ne contenant cha-
cune que là grammes d'acide sulfurique, dans la vaste
étendue d'un vaisseau servant d'hôpital à la flotte anglaise
et à la flotte russe ; il est certain que les expérimentateurs
modernes ont employé des doses beaucoup plus considéra-
bles d'acide, et que les vapeurs irritantes se dégagent à
flot dans les salles qu'ils désinfectent.
Nous attribuons aujourd'hui l'action principale dans cette
opération à l'acide hypoazotique dont les vapeurs rutilantes
sont suffocantes et ont un pouvoir destructeur considérable.
Guyton-Morveau croyait au contraire, comme la plupart
des hygiénistes de son temps, qu'il fallait éviter la pro-
duction de ces vapeurs rutilantes, dont la valeur désinfec-
tante lui paraissait plus faible et qu'il reconnaît être tout
à fait irrespirables et dangereuses. Dans son Traité, il pour-
suit avec Odier de Genève une longue discussion de prio-
rité sur le procédé à froid et à l'air libre, qui permet de
faire des fumigations nitriques, a. sans aucun mélange de
gaz nitreux » (p. 119). Les Anglais ont conservé dans une
large mesure l'usage des fumigations à l'aide de l'acide ni-
trique. Ils ne paraissent pas craindre autant que nous l'ac-
tion corrosive de ces vapeurs sur les muqueuses des per-
sonnes et sur les objets matériels. La différence tient sans
doute à la différence du mode d'emploi, aux doses d'acide
décomposé, et aussi à la confusion trop grande de l'acide
nitreux (AzO'"*) avec l'acide hypoazotique.
Fumigations mtreuses ou d'acide hypoazotique. — Quand
on verse de la tournure de cuivre dans un mélange d'eau
et d'acide azotique, il se dégage du bioxyde d'azote qui, en
enlevant de l'oxygène à l'air, se transforme en ces vapeurs
270 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
rutilantes et suffocantes, caractéristiques de l'acide hypoa-
zotique. L'instabilité des composés oxygénés de l'azote est
extrême, et jusqu'ici c'est à l'acide hypoazotique que l'on a
donné le plus d'attention au point de vue de l'application à la
désinfection. Des travaux tout récents de MM, Girard et
Pabst semblent au contraire prouver que le véritable acide
nitreux (AzO^) jouit des propriétés désinfectantes les plus
actives à des doses extrêmement faibles, incapables d'im-
pressionner les animaux et l'homme d'une façon gênante
ou dangereuse; il agirait à la façon de l'ozone, et de fai-
bles quantités arrêteraient les fermentations , stériliseraient
les liquides de culture, etc. L'acide hypoazotique, au con-
traire, qui accompagne trop souvent l'acide nitreux, serait
un agent incommode et dangereux. Le savant directeur du
laboratoire municipal nous a fait assister à de curieuses ex-
périences sur ce sujet; ses recherches ne sont pas encore
terminées au moment où ces feuilles s'impriment, mais, dans
la seconde partie de cet ouvrage (Désinfection des latrines),
une note de MiM. Girard et Pabst fera connaître les résul ■
tats auxquels ils] sont arrivés, et l'appareil fort ingénieux
qu'ils ont installé dans plusieurs établissements et hôpitaux
pour désinfecter les salles et les latrines à l'aide de l'acide
nitreux. Nous nous bornerons donc dans ce chapitre à par-
ler de l'action désinfectante et antiseptique attribuée jus-
qu'ici à l'acide hypoazotique, et nous éviterons de donner
aux vapeurs formées par cet acide (AzO'') le nom de fumi-
gations nitreuses.
Cet acide agit sur les matières organiques de la même
manière que les permanganates : sa vapeur a l'avantage
de se diffuser dans l'atmosphère et d'aller atteindre dans
les interstices les plus reculés les principes organiques qui
y sont contenus. De plus, son action ne s'épuise pas et
est pour ainsi dire indéfinie, car, après avoir agi sur les
matières hydro-carbonées pour les brûler, il est réduit à
l'état de bioxyde d'azote (AzO'* — O^^rAzO-); mais le
FUMIGATIONS D'ACIDE HYPOAZOïlUUK. 271
bioxyde d'azote, en présence de l'oxygène de l'air, régénère
aussitôt l'acide hypoazotique (AzO^-j-O^^r AzO'*), et le
même cercle recommence tant qu'il reste dans le local des
substances organiques à détruire et de l'oxygène libre.
C'est un phénomène analogue à celui qui se produit dans
les chambres de plomb , pour la formation de cet acide
nitrosulfurique dont MM. Girard et Pabst ont proposé l'em-
ploi pour l'assainissement des matières de vidange.
Dans un rapport lu à l'Académie des Sciences en 1811,
Payen (1) dit qu'on s'est accordé à placer l'acide hypoazo-
tique au premier rang des agents destructeurs des germes
infectieux. « Dans son action rapide, ce composé se réduit
lui-même à l'état de bioxyde d'azote neutre, qui emprunte
aussitôt à l'air ambiant de l'espace à désinfecter, deux
équivalents d'oxygène pour se reconstituer à l'état de va-
peur nitreuse, et reconquérir toute son énergie première » .
Voici les précautions que formulait Payen dans le rapport
cité plus haut :
« 11 faut calfeutrer soigneusement avec des bandes de
papier collé tous les joints des croisées et des portes, avant
de produire l'acide hypoazotique. Pour chaque lit, pour l'es-
pace correspondant, soit environ 30 à 40 mètres cubes, on
emploiera : eau 2 litres ; acide azotique ordinaire du com-
merce, 1,500 grammes; tournure ou planure de cuivre,
300 grammes. On aura disposé d'avance pour ces quan-
tités autant de terrines d'une contenance de 8 à 10 litres,
qu'il y.aura de lits ou de capacités de 30 à 40 mètres cubes
dans le local ; on versera dans chaque terrine l'eau et l'acide ;
puis, en commençant par la terrine la plus éloignée de la
porte, on placera successivement et sans précipitation les
300 grammes de tournure de cuivre enfermés dans un sac
de papier grossier. La porte du local sera entièrement close^
(1) Payen, Désinfection des locaux affectés, pendant h siège de Paris ^
aux personnes atteintes de maladies contagieuses. [Comptes rendus, 6 mars
1871.)
272 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
et les choses seront laissées dans cet état pendant 48 heu-
res. La réaction chimique donnera lieu à de l'azotite de
cuivre et à du hioxyde d'azote qui se transformera en va-
peur rutilante. Après 48 heures, on entrera dans le local
avec l'appareil Galibert, qui permet, par sa provision
d'air, de pénétrer dans tous les endroits pleins de gaz
dangereux, insalubres ou toxiques, et d'y séjourner même
un quart d'heure ; on ouvrira les fenêtres ; cette ventilation
éloignera toute vapeur nitreuse, » L'emploi d'un appareil
Galibert, recommandé par Payen, n'est vraiment pas pra-
tique; il est en général facile d'établir un large courant
d'air en ouvrant du dehors les portes et même les fenê-
tres, et de ne pénétrer dans le local que lorsque toutes les
vapeurs se sont dissipées.
M. J.-Lane Notter (1) donne la supériorité aux fumi-
gations dites nitreuses pour la désinfection des chambres de
malades, mais la dose qu'il emploie est considérable. Pour
une chambre de 53 pieds cubes (1 mètre et demi de capa-
cité), il place 2 onces (56 grammes) de copeaux de cuivre,
dans 50 centimètres cubes d'acide nitrique concentré, soit
0,35 d'acide nitreux pour cent volumes d'air. Un vase
contenant 100 centimètres cubes d'infusion de bœuf rem-
plie de bactéries, fut laissé pendant 48 heures dans cette
chambre d'expérience; au bout de ce temps, il n'y avait
aucune trace de putréfaction, l'activité des bactéries était di-
minuée, tandis que la décomposition était très avancée dans
le même liquide abandonné dans une chambre non fumigée.
Avec de telles doses, il n'est pas étonnant que l'action
antiseptique soit produite. Mais qui songerait à faire agir
3 litres d'acide nitrique pur sur 3 kil. 360 de copeaux de
cuivre pour désinfecter une chambre cubant 100 mètres!
Nous regrettons que M. Lane Notter, dont les deux mé-
moires sont d'ailleurs faits dans un excellent esprit, n'ait
(1) D' J. Lanc Nollcr, Un tlie expérimental study of disinfectants, [The
Dublin journal of médical science, n" 114, l" juin 1881, p, 508.)
FUMIGATIONS D'ACIDE HYPOAZOTIQUE. ^73
pas tenu compte des proportions des désinfectants expéri-
mentés. Les doses qu'il emploie sont du reste identiques
avec celles indiquées par Payen.
Les fumigations d'acide hypoazotique sont très dange-
reuses. R. Angus Smith dit avoir observé trois cas de mort
par l'exposition à ces vapeurs, alors cependant que celles-ci
n'impressionnaient pas les sens d'une façon assez désa-
gréable pour avertir les hommes du danger qu'ils couraient.
Gubler noUs racontait qu'en 1871, à la suite de l'épidémie
de variole qui ravagea Paris, on avait voulu désinfecter plu-
sieurs salles de l'hôpital Beaujon par les fumigations hypoa-
zotiques ; plusieurs personnes qui avaient pénétré sans pré-
caution dans les salles après l'opération et avant que la ven-
tilation eût dissipé complètement les vapeurs acides, furent
prises de bronchites généralisées très graves.
Un médecin allemand, Tàndler (1), a observé un cas de
bronchite grave, produite par le dégagement d'acide hypoa-
zotique, chez un industriel qui préparait du cirage en ver-
sant de l'acide nitrique sur de la limaille de fer; les va-
peurs qui se dégagèrent immédiatement de la bonbonne
remplirent la salle; l'ouvrier continua à séjourner dans la
pièce pendant une demi-heure, et il présenta le jour même
les symptômes d'une bronchite capillaire généralisée, qui
d'ailleurs se termina par la guérison. Tàndler a réuni trois
autres observations de bronchite grave par l'action de ces
vapeurs, observations relatées par Sucquet, Charier et Des-
granges. La violence des accidents lui a paru telle qu'il se
demande s'il faut l'imputer seulement à la générahsation
extrême de la bronchite, ou si l'on ne doit pas invoquer un
véritable empoisonnement, une action spéciale du gaz sur
le système nerveux par l'intermédiaire du sang directe-
ment altéré. Ces fumées sont d'autant plus dangereuses
(1) Tàndler, Zur Casuistik der durcli Einathmung untersalpetersauer
Dampfe hervorgeriifenen Bronchiten. {Arcli.f. Heilkunde, T. XIX, p. 53t,
et Revue d'hygiène, 1879, p. 164.)
Vallix. — Dksinfectants. 18
274 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
qu'elles ne provoquent pas immédiatement la toux comme
celles d'acide sulfureux ; les observations qui précédent sont
une preuve de son action insidieuse. Dans les chambres de
plomb qui servent à la fabrication de l'acide sulfurique, il
se dégage parfois des torrents de fumées rutilantes au mo-
ment où les ouvriers y jettent, pour les laver, de l'eau sur
les cristaux d'acide nitro-sulfurique qui se forment dans
ces chambres. Les ouvriers employés dans ces usines pré-
sentent souvent des inflammations graves et suraiguës de
la muqueuse respiratoire, ayant une telle origine.
Ces fumigations altèrent promptement les tissus, les mé-
taux ; leur action est par conséquent très énergique sur
les miasmes, les poussières suspectes, les composés orga-
niques en décomposition : malheureusement, cette causti-
cité même restreint les conditions d'emploi de l'acide.
0. Réveil, dans son mémoire sur les désinfectants, fait un
grand éloge de cet agent; mais il nous semble qu'il en
parle plus en chimiste qu'en praticien, et qu'il n'a pas assez
tenu compte des difficultés et des dangers que présente
cette opération ; elle doit être réservée pour les locaux en-
tièrement vides, et dont le matériel a été enlevé.
Il est évident que la pratique usitée de nos jours n'est
en rien comparable avec celle de Smith ; nous avons vu
que ce dernier faisait ses fumigations nltreuses, pendant
que les malades restaient couchés dans leur lit, et cependant
il n'observait ni accident, ni malaise chez les individus
soumis à ces inhalations. Il évitait au plus haut point la
formation d'acide hypoazotique ; en tout cas, la quantité de
ce gaz était très minime. Il obtenait cependant une désin-
fection véritable ; peut-être produisait-il sans le savoir de
l'acide nitreux (AzO^), car il signale l'odeur agréable que
dégageait l'opération, et en suivant les expériences de
MM. Pabst et Girard, faites avec l'acide nitreux obtenu des
cristaux des chambres de plomb, nous avons constaté une
odeur aromatique, éthérée, accompagnant le dégagement
FUMIGATIONS D'ACIDE CHLORHYDRIQUE. 273
de cet acide. Il serait désirable que les expériences de
Smith fussent reprises, en employant exactement les for-
mules et les doses indiquées par le praticien anglais.
Les seules expériences récentes, à notre connaissance,
sont celles du médecin américain Sternberg, en 1881. Ce
médecin, dans ses études comparatives sur les divers dé-
sinfectants, a vu que 1 volume de vapeurs rutilantes dans
100 volumes d'air stérilisait le virus vaccin après 6 heures
d'exposition; 1/â volume pour 100 suffit pour rendre sté-
rile de l'urine chargée de bactéries et pour la rendre inca-
pable de fertiliser de l'urine de culture, mais 1/4 de volume
pour 100 n'a pas de pouvoir désinfectant. Le même résultat
a été exactement obtenu avec le gaz acide sulfureux. Le
chlore, l'acide nitreux, l'acide sulfureux ne sont d'après
lui désinfectants qu'à la dose 1 p. 100 dans l'air.
Fumigations d'acide chlorhydrique. — Ce que Guyton-
Morveau considérait comme son plus beau titre de gloire et
comme un immense bienfait rendu à l'humanité, ce qui
lui valut en 180o la récompense très haute d'officier de la
Légion d'honneur, ce qui fut toute sa vie l'objet d'un con-
flit avec Smith, c'est la découverte de l'action désinfectante
des fumigations acides, et en particulier d'acide muriatique
simple, c'est-à-dire d'acide chlorhydrique.
Même en 1805, la confusion était telle entre deux termes
en apparence semblables, que dans le procès-verbal des
médecins du lazaret de Marseille, lors d'une apparition de
la fièvre jaune sur plusieurs navires venant d'Espagne et
d'Etrurie aux mois d'octobre et novembre 1804, il est dit
qu'on fit usage du parfum suivant la méthode de Guijton-
Morveaic; or, le rapport mentionne expressément qu'il
s'agissait simplement d'un mélange d'acide muriatique et
d'acide sulfurique, qui ne peut dégager du chlore.
Au contraire, Desgenettes, dans un rapport communiqué
à la première classe de l'Institut, le 12 messidor an XIII,
dit que depuis un an il a « continué de faire dans l'hôpital
216 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
militaire de Paris , des fumigations de gaz acide mu"
riatique oxygéné, suivant le procédé et la méthode de
M. Giiyton-Morveau » ; il est probable que Desgenettes
voulait parler des fumigations de chlore, ce corps étant
alors désigné sous le nom d'acide muriatique oxygéné.
Nous verrons un peu plus loin comment la ressemblance
apparente de ces deux expressions a introduit une confu-
sion que Guyton-Morveau a en quelque sorte acceptée et
que l'opinion publique a consacrée.
Les premiers travaux de Guyton-Morveau portèrent sur
l'emploi des fumigations acides comme agents désinfec-
tants. Guyton partait d'une idée théorique : il pensait que
les vapeurs très expansibles de V acide chlorhydrique pou-
vaient saisir l'ammoniaque, qu'il considérait comme le vé-
hicule des miasmes odorants, et les abandonner ainsi à
leur propre pesanteur. Les fumées blanches que l'acide
chorhydrique forme dès que Ton débouche au voisinage
un flacon d'ammoniaque, lui avaient sans doute inspiré
cette théorie. C'est en m 3 qu'il fit la première apphca-
tion publique et solennelle de son procédé.
Les caves sépulcrales de la principale église de Dijon
(Saint-Étienne), se trouvant remplies à la suite de l'hiver
de 1713 qui n'avait pas permis d'ouvrir la terre gelée des
cimetières, l'infection de ces souterrains puis de l'église
devint insupportable. On avait tout essayé sans succès.
Le 6 mars 1773, il fit verser deux livres d'acide sulfuri-
que concentré sur 6 livres de sel marin ; un réchaud plein
de cendres chaudes devait échauffer peu à peu le bocal
contenant le mélange. Le lendemain, on ouvrit les locaux,
où il n'y avait plus vestige de mauvaise odeur. L'année
suivante, il désinfecta de même et avec succès l'hôpital de
Dijon, où régnait le typhus; Vicq d'Azyr fit purifier de la
sorte les étables des villages que ravageait une épizootie
presque générale dans le midi de la France. La fumigation
guytonienne par le sel marin et l'huile de vitriol, fut una-
ACIDE CHLORHYDRIQUE. 277
nimement conseillée par l'Académie des sciences, les États
du Languedoc, le Conseil de santé des armées et de la flotte,
de 4780 à 1805.
Le procédé employé par Guyton-Morveau pour désin-
fecter les vaisseaux ouverts à l'aide de l'acide muriatique
ordinaire (fumigations d'acide chlorhydrique) est le sui-
vant : Pour une capacité de 350 mètres cubes, il emploie
les doses ci-dessous :
Sel marin 200 grammes.
Acide sulfurique à 60° Baume. . . . 240 —
Si on veut obtenir un dégagement successif de vapeur,
on affaiblit l'acide sulfurique en l'étendant d'un volume
égal d'eau, et l'on ne verse ce mélange que peu à peu,
par intervalles. Au lazaret de Marseille, on plaçait dans
des capsules de l'acide chlorhydrique au lieu de sel, et
l'on y versait de l'acide sulfurique. Pour un navire de
100 à 200 tonneaux, on employait 360 grammes d'acide
chlorhydrique et 180 grammes d'acide sulfurique ; pour
un appartement de 10 mètres de côté (sic), la dose
était : acide chlorhydrique 300 grammes, acide sulfurique
150 grammes,
« Ces doses sont pour servir dans le moment que ces
appartements ou locaux sont occupés.... En cas de maladie
contagieuse, il faut avant d'habiter ces lieux doubler la
quantité de chaque dose, et tenir pendant trois jours con-
sécutifs les portes et les fenêtres exactement fermées. Ces
parfums, ajoute le rapport, sont administrés deux fois par
jour, et pendant 8 jours, aux équipages, passagers et bâti-
ments de provenance suspecte. »
Guyton-Morveau vante l'expansibilité extrême des va-
peurs d'acide chlorhydrique, qui pénètrent dans toutes les
fissures et atteignent les parties les plus élevées des édi-
fices, ce que ne peuvent faire les vapeurs d'acide nitrique.
Il paraîtrait, d'après ses observations, que ces vapeurs
chlorhydriques , complètement abandonnées aujourd'hui,
278 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
n'étaient pas aussi irritantes qu'on pourrait le croire à
'priori. Nous ne pouvons admettre cependant que les doses
employées au lazaret de Marseille fussent inoffensives pour
les hommes habitant les locaux,
Smith, comparant la valeur des fumigations chlorhydri-
ques et nitriques, a tenu pendant un quart d'heure un oiseau
dans un récipient de 881 pouces cubes, rempli de vapeurs
chlorhydriques ; il rapporte que l'oiseau en sortit aussi agile
qu'auparavant. Lui-même s'enferma avec un collaborateur
dans une chambre de 36 mètres cubes, pour juger par eux-
mêmes de l'impression que pouvaient faire les vapeurs
de cet acide ; la dose d'acide n'est pas indiquée, mais elle
devait être très forte, car les vapeurs obscurcissaient les
objets, comme dans l'emploi de l'acide nitrique. Smith et
son aide disent : « Nous trouvâmes ces vapeurs plus poi-
gnantes et plus irritantes que celles de l'acide nitrique.
Elles nous firent un peu tousser ; mais pourtant nous n'en
fûmes pas bien incommodés, et elles n'excitèrent point en
nous ce sentiment de constriction et de suffocation que
produit l'acide sulfureux. »
Le Conseil de santé, après trois épreuves dans divers
hôpitaux, conclut (14 pluviôse, an II) « que ce procédé
peut être exécuté sans inconvénient et avec le plus grand
avantage dans les salles habitées par les malades. Odier,
de Genève, dit bien avoir éprouvé que l'odeur du gaz
muriatique est désagréable aux habitants des salles,
qu'elle provoque la toux chez les malades atteints de la
poitrine, ce que l'on comprend sans peine.
Ces fumigations chlorhydriques sont à tel point abandon-
nées et oubUées aujourd'hui, que personne ne connaît plus
par expérience leur efficacité, leurs avantages, leurs incon-
vénients. Il serait bon de les expérimenter de nouveau, au
moins pour les locaux non habités; leur action désinfec-
tante parait très énergique, si l'on en juge par une expé-
rience citée par Guy ton-Mor veau ;
CHLORE. — CHLORURES, ETC. 279
e Le D'' Cabanellas, lors de la terrible épidémie de l'An-
dalousie, en 1780, ayant exposé à la vapeur de l'acide mu-
riatique simple, pendant 16 jours, des morceaux de chair
très fétides, il n'y eut pas la plus légère trace d'odeur pu-
tride. »
Chlore. — Le chlore gazeux aune densité très élevée: un
litre de gaz chlore pèse S»"", 16 ; un litre d'eau, à la tempé-
rature de -f- 80° C, en peut dissoudre 3 volumes, soit O""", 48
de chlore; à -j- IT C, il en dissout 2 volumes 42, soit
7^,14. Pour obtenir un litre de gaz chlore, il faut traiter
par l'acide chlorhydrique en excès S grammes au moins de
bioxyde de manganèse du commerce.
Le chlorure de chaux sec du commerce, quand il est ré-
cemment préparé , doit marquer au moins 90 degrés chlo-
rométriques (il en pourrait à la rigueur marquer 110),
c'est-à-dire que un kilogramme de chlorure sec doit pou-
voir dégager au minimum 90 litres de chlore gazeux.
Dans le commerce ordinaire, le chlorure de chaux sec ne
contient souvent que 80 et même 7o volumes de chlore,
soit 250 grammes de chlore gazeux par kilogramme; il est
donc prudent dans la pratique des opérations de l'hygiène
de ne compter que sur ce dernier chiffre.
Le Codex désigne sous le nom de chlorure de chaux
liquide une solution qui se prépare d'après la formule
suivante :
Chlorure de chaux sec 100 grammes.
Eau 4,500 —
Le chlorure de soude ou d'oxyde de sodium, hypochlo-
rite de soude, ou liqueur de Labarraque, contient égale-
ment deux fois son volume de chlore gazeux et marque
200 degrés chlorométriques.
Veau de Javelle, ou hypochlorite de potasse, est une so-
lution incolore, parfois colorée en rose avec du caméléon
minéral pour lui donner l'aspect commercial. Elle contient
280 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
très souvent de l'hypochlorite de soude et un excès de car-
bonate de potasse. L'eau de javelle forte du commerce
marque 18 degrés à l'aréomètre de Baume. Bien qu'elle
soit plus spécialement réservée pour le blanchiment des
étoffes, elle peut avantageusement être employée comme
désinfectant. L'instruction du préfet de police, en date
du 23 novembre 1853, concernant les moyens d'assurer
la salubrité des habitations, recommande l'emploi de l'eau
de Javelle étendue dans 100 fois son poids d'eau, pour
laver les tuyaux des eaux ménagères, les parties dallées
ou pavées, les cours, les escaliers. L'emploi du chlorure
de chaux (hypochlorite), dit-elle, aurait l'inconvénient de
laisser à la longue un sel hygroscopique (chlorure de cal-
cium), qui entretiendrait une humidité permanente, con-
traire à la salubrité.
Les travaux modernes permettent de se rendre compte
de l'action désinfectante du chlore : il décompose l'hydro-
gène sulfuré, l'hydrogène phosphore, l'ammoniaque et les
matières organiques volatiles, en s' emparant de leur hy-
drogène; l'acide chlorhydrique, qui résulte de la combi-
naison du chlore et de l'hydrogène, peut aussi neutra-
liser une certaine quantité d'ammoniaque; enfin, le chlore
étant volatil se répand dans toutes les parties de l'atmos-
phère, et va pour ainsi dire à la rencontre des gaz mé-
phitiques. Quand on introduit du chlore dans une éprou-
vette contenant de l'hydrogène sulfuré, le volume du
mélange diminue, et les parois intérieures se recouvrent
de soufre; cette faculté déshydrogénante du chlore expli-
que très bien son application à la désinfection de l'air
souillé par les produits de la décomposition putride, puis-
que celle-ci s'accompagne presque inévitablement de for-
mation d'hydrogène sulfuré.
De même, la propriété du chlore de blanchir et de déco-
lorer les tissus ou les objets, s'explique par la tendance du
chlore à soustraire à ces corps l'hydrogène qui entre dans
CHLORE. — CHLORURES, ETC. 281
leur composition. C'est de la même façon, c'est en les dé-
composant par la soustraction de leur hydrogène, c'est en
les détruisant, que le chlore désinfecte ; il est vraisem-
blable qu'il détruit réellement les miasmes ; malheureuse-
ment, nous ne savons pas bien quelle est la constitution
chimique de ces miasmes.
L'action du chlore est double : le chlore se combine avec
l'hydrogène et forme des produits nouveaux, presque cer-
tainement inoffensifs; d'autre part, l'oxygène, devenu libre
par la décomposition de l'eau, se dégage à l'état naissant,
et a sous cet état une activité, un pouvoir oxydant qui con-
tribue pour sa part à la destruction de la matière suspecte.
Lors de l'emploi des hypochlorites, l'acide hypochloreux
n'est mis que peu à peu en liberté, par l'action de l'acide
carbonique de l'air; il se fixe donc sur la soude une cer-
taine quantité d'acide carbonique, et cette dernière source
d'altération de l'air confiné tend aussi à diminuer par l'em-
ploi des hypochlorites.
La présence de l'acide carbonique dans l'air est indis-
pensable pour provoquer le dégagement du chlore con-
tenu dans les chlorures, et assure l'action désinfectante
de ceux-ci. D'Arcet et Gaultier de Claubry ont fait voir
qu'en faisant passer de l'air putride, privé par les alcalis
caustiques d'acide carbonique, à travers du chlorure de
chaux sec, cet air n'était pas désinfecté; dès qu'on sup-
prime le flacon laveur, l'acide carbonique passe, décom-
pose l'acide hypochloreux et la désinfection a lieu.
Dans les locaux habités, cette action lente et continue de
l'acide carbonique assure un dégagement insensible, con-
tinu et supportable de chlore. C'est là un des avantages du
chlorure de chaux, dont l'odeur est moins vive, moins
suffocante, et dont le transport à l'état pulvérulent est
beaucoup plus facile que celui des acides nécessaires aux
fumigations directes de chlore.
Dans les expériences comparatives faites par M. Fer-
282 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
mond sur les latrines de la Salpêtrière en. 1858, on em-
ployait par jour 3 kilogrammes de chlorure de chaux sec,
délayés dans environ 10 seaux d'eau; ce lait de chaux était
projeté dans les fosses de manière à humecter la plus grande
partie possible de leurs surfaces intérieures ; l'opération fut
continuée chaque jour pendant un mois. Dans les premiers
jours, au moment oîi l'on jetait le liquide dans la fosse ou
sur le sol et les parois des cabinets, il se développait
d'épais nuages blanchâtres, dus à la formation d'une abon-
dante quantité de chlorhydrate d'ammoniaque ; ces va-
peurs cessaient de se former au bout de quelques jours,
alors que l'excès d'ammoniaque avait disparu, infiltré dans
l'épaisseur des murailles, des matériaux poreux, ou accu-
mulé dans la fosse.
Cette réaction se produit souvent, il est nécessaire d'en
donner l'explication. Le chlore ne se combine pas directe-
ment avec l'ammoniaque; mais celle-ci est en partie dé-
composée par le chlore en hydrogène et en azote. Le pre-
mier de ces corps se combine avec le chlore pour faire
de l'acide chlorhydrique , lequel à son tour s'unit avec
l'ammoniaque pour constituer le sel ammoniac ou chlor-
hydrate de cette base. Une certaine quantité d'azote reste
libre, mais ce gaz est sans odeur.
Le chlore, par cela même qu'il décompose rapidement les
sels d'ammoniaque, détruit ou altère les engrais ; cette ac-
tion est très manifeste quand on verse sur les fumiers du
chlorure de chaux ou une base alcaline; il se développe
en même temps un gaz très acre. Les chlorures ne doivent
donc pas être employés, quand on veut ménager les ma-
tières fertilisantes. En outre il y a inconvénient à mélan-
ger le chlorure de chaux aux laits de chaux qui servent à
blanchir les murailles, parce qu'il se forme alors un chlo-
rure de calcium déliquescent.
Liebig (1) a prétendu que l'usage fréquent du chlore dans
(1) Robert-Angus Smith, Loco citato, p. 49.
CHLORE. — CHLORURES, ETC. 283
les hôpitaux de Paris produisait des maladies du poumon.
C'est là une assertion qui étonnera sans doute beaucoup
les médecins de nos hôpitaux. Il est évident que si l'on
exposait des malades à des vapeurs abondantes de chlore,
on verrait survenir des bronchites aiguës, très profondes,
d'un caractère dangereux. Ce n'est pas dans les salles oc-
cupées des hôpitaux que ce danger est à craindre. Mais
quand on procède à une désinfection énergique par des
torrents de chlore, dans un navire, une salle où a sévi
une épidémie, il faut empêcher les employés de séjour-
ner dans ces locaux pendant l'opération ; la suffocation
et la toux provoquées par ces vapeurs rendent d'ailleurs
le plus souvent cette recommandation inutile.
Angus wSmith dit au contraire avoir souvent remarqué
l'apparence florissante des personnes employées aux tra-
vaux de blanchiment par le chlore ; c'est à la pureté ex-
trême de l'air, à la destruction constante de toute ma-
tière organique qui pourrait le souiller, que l'auteur
anglais attribue ce bénéfice. Il est vrai qu' Angus Smith
retrouve ce caractère de santé exubérante dans les pape-
teries, jusque chez les trieurs des chiffons non encore désin-
fectés par le chlore! «les bouchers, dit-il, et les brasseurs
n'ont même pas cette ampleur de formes et cet air de
prospérité. » Si le fait est général dans les papeteries an-
glaises, il est difficile d'invoquer ici l'action bienfaisante
du chlore, et il ne semble pas que le même résultat soit
obtenu dans les ateliers français.
De nos jours , on désigne fréquemment sous le nom
de fumigation guytonienne la désinfection par le dégage-
ment du chlore gazeux. Nous avons déjà dit que la mé-
thode de désinfection qui a valu à Guyton-Morveau sa
réputation et sa fortune, consistait dans l'emploi des fumi-
gations d'acide chlorhydrique. A l'époque où Guyton fit
ses premiers essais dans l'église Saint-Étienne de Dijon,
en 1173, le chlore n'était par encore connu ; ce n'est qu'en
284 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
1714 qu'il fut découvert par Scheele, qui lui donnait le
nom d'acide muriatique déphlogistiqué : au contraire, La-
voisier, Bertholet et les partisans de la théorie antiphlo-
gistique désignaient ce nouveau corps sous le nom d'acide
muriatique oxygéné. C'est beaucoup plus tard , au com-
mencement du siècle, que Humphry Davy et Gay-Lussac
reconnurent la véritable nature du chlore, et lui donnèrent
le nom qui lui est resté.
Guyton-Morveau se contentait donc de faire depuis
24 ans des fumigations d'acide muriatique simple (acide
chlorhydrique), à l'aide d'un mélange de chlorure de so-
dium et d'acide sulfurique , mais sans aucune addition
d'oxyde de manganèse, lorsqu'il trouva, dans un ouvrage
du D"" Rollo sur le diabète, publié à Londres en 1797,
la description d'un procédé découvert et employé par
Cruickshank. Lui-même le dit à la page 122 de son
Traité des désinfectants : « Pour mettre en action l'acide
muriatique oxygéné, à la manière de M. Cruickshank, ci-
devant décrite. . . » Or, l'acide muriatique oxygéné, c'est
le chlore , et le procédé de l'auteur anglais est celui qui
est employé actuellement encore dans tous les laboratoires
de chimie pour obtenir ce gaz. Voici le procédé indiqué
par Cruickshank en 1797 : « On mêle exactement deux
« parties de sel commun et une partie de manganèse cris-
« tallisé réduit en poudre ; on met dans une capsule 2 on-
« ces de ce mélange, une once d'eau, puis on y verse une
« demi-once d'acide sulfurique concentré, ce qui se fait
« en différentes fois . . . Une de ces capsules suffit pour
« une salle de 5 ou 6 lits. »
Guyton-3Iorveau ne fait pas, dans la 2^ édition de son
livre publiée en 1805, grande différence entre les fumi-
gations d'acide muriatique (ou chlorhydrique) et celles
d'acide muriatique oxygéné (ou chlore); il paraît les con-
fondre, et ce n'est que plus tard qu'il donne la préférence
aux secondes. Il ne doute pas d'ailleurs que Cfuickshank
CHLOKE. — CHLORURES, ETC. 285
n'ait apporté qu'une modification accessoire à sa propre
découverte, et il ne semble pas croire que l'auteur anglais
puisse revendiquer pour lui la découverte de la désinfec-
tion par le chlore.
Un grand nombre d'ouvrages modernes continuent
à entretenir cette confusion regrettable entre les fumiga-
tions de chlore et celles d'acide chlorhydrique. On dit
généralement que Vicq d'Azir a employé les fumigations
de chlore contre les épidémies de typhus contagieux du
bétail qui ravagèrent le midi de la France en 1774 et en
1775. Le résultat de ces expériences avait été mauvais,
il considérait les vapeurs employées comme un moyen
très accessoire et bien inférieur à d'autres procédés de
désinfection, notamment aux lavages à l'eau bouillante (1).
M. Reynal cite ses expériences comme preuve de l'inef-
ficacité du chlore ; il dit que Vicq d'Azir exposait les lin-
ges imprégnés de virus aux vapeurs d'acide muriatique
oxygéné, dégagé du sel de cuisine par l'acide sulfurique;
le virus, après cette exposition, était inoculable et pro-
duisait le typhus contagieux, comme avant la désinfec-
tion (:2). Mais il est évident que l'acide sulfurique et le
sel de cuisine, en l'absence d'oxyde de manganèse, ne
pouvaient dégager du chlore; il ne se produisait que des
vapeurs d'acide chlorhydrique. Nous pourrions citer beau-
coup d'autres exemples de cette confusion.
Au surplus, voici la formule définitive proposée par
Guyton-Morveau {Traité, 1803, p. 381) pour les fumiga-
tions de chlore ; les doses suivantes sont calculées par lai
pour une capacité de 350 mètres cubes :
Sel commun 300 grammes.
Oxyde de manganèse pulvérisé 60 —
Acide sulfurique à 66° Baume 240 —
(1) Vicq d'Azir, Avis aux habitants des campagnes, août 1773. — Exposé
des moyens préservatifs et curatifs, etc., 1773.
(2) Reynal, Désinfectants. [Dictionnaire de médecine et de chirurgie
vétérinaire de Bouley.)
286 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
' « Ayant mélangé sans trituration le sel et l'oxyde de
manganèse, on les mettra dans un vase de verre ou de
poterie dure : le vase placé au milieu de la pièce, on y
versera, en une seule fois, l'acide sulfurique qu'il faut
tenir pour cela dans un flacon à large goulot, ou encore
mieux dans un gobelet, afin que le jet n'eu soit pas ra-
lenti, et qu'on puisse s'éloigner avant d'être incommodé
par la vapeur. Les portes et fenêtres seront tenues fermées
pendant 7 à 8 heures ; puis, on les ouvrira, et l'on pourra
alors y entrer sans éprouver la moindre incommodité. »
Dès 1787, Halle et Fourcroy (Aimales de chimie, XXVIII,
p. 269) avaient employé les compresses d'eau chlorée sur
une femme attaquée d'un large cancer de la mamelle; ils
avaient obtenu la disparition de l'odeur, un aspect meil-
leur de la plaie.
Un médecin français, Dizé, a réclamé contre Cruicks-
hank la priorité de l'emploi des fumigations de chlore :
Dizé prétendait s'en être servi pour faire cesser une épi-
zootie qui, en 1773 et 1775, envahit une grande partie du
Béarn (1).
Masuyer, professeur à l'école de médecine de Stras-
bourg, est un des premiers qui ait songé à employer le
chlorure de chaux à la désinfection de l'air, de préférence
au chlore gazeux. Ses expériences datent de 1807.
L'eau de Javelle ou hypochlorite de potasse a été em-
ployée à l'armée du Rhin, par Percy en 1793, en appli-
cations désinfectantes contre la pourriture d'hôpital.
En 1815, une épidémie désolait une partie de la Hol-
lande. Thénard en fit cesser les ravages en faisant ré-
pandre sur le sol des habitations et laver la surface du
corps avec des solutions faibles de chlore ou de chlorures.
Il faut en rabattre un peu des éloges excessifs donnés
au chlore par Guy ton de Morveau, et des succès qu'il attri-
(1) Journal de chimie médicale, 1849, p. MO.
CHLORE. — CHLORURES, ETC. 287
bue à ces fumigations pour éteindre les épidémies de ma-
ladies contagieuses.
Déjà Nysten, en 1804, avait démontré par une série
d'observations que les fumigations de chlore avaient
complètement échoué, et n'avaient en rien arrêté ou sus-
pendu les épidémies de la fièvre jaune, à Malaga et à
Carthagène. Les épidémies de typhus qui sévirent en
1813, 1814 et 1821 dans les hôpitaux de l'Yonne et de
la Côte-d'Or, n'auraient pas, suivant le même auteur, été
modifiées par ces fumigations.
M. Verheyen rapporte que pendant l'épizootie de typhus
qui, en 1826, ravagea les colonies militaires du gouverne-
ment de Novogorod , .Tessen n'a pu parvenir , avec les
fumigations de chlore, à purifier les étables. Le même
auteur, dans une communication inédite à M. Reynal,
assure également que le chlore a échoué contre le virus
de la péripneumonie des bêtes à cornes.
M. Bousquet dit avoir pu mêler impunément au virus
vaccinal partie égale de chlorure de soude dissous dans
de l'eau. Dans lo expériences, en opérant avec des chlo-
rures fournis par M. Labarraque ou par M. Boullay, et en
augmentant graduellement la dose du chlorure de manière
qu'elle finît par être égale à celle du vaccin, l'inoculation
amenait des pustules de vaccine. Nous entrons déjà dans
la voie expérimentale, et nous trouvons ici les expérien-
ces faites par Renauld à Alfort.
Nous citons ici textuellement M. Reynal , qui paraît
reproduire lui-même le manuscrit inédit de Renault :
« Dans le cours de ces expériences, M. Renault a fait
agir, sur des matières virulentes solides et liquides, du
chlore gazeux sec et humide et des chlorures alcalins ; l'ac-
tion s'est prolongée depuis cinq minutes jusqu'à 16 heu-
res ; ces matières ont été ensuite inoculées à des animaux
sains, et elles ont agi comme si elles n'eussent pas été trai-
tées par le chlore. »
288 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
De ces expériences, il résulte :
1° Que des chevaux inoculés avec le virus de la morve
aiguë, altéré par le chlore, ont contracté la morve ;
2° Que des moutons inoculés avec du sang provenant
d'animaux morts du charbon et altéré par le chlore et les
chlorures, ont succombé au sang de rate ;
3" Que des moutons inoculés avec du virus claveleux, à
parties égales de liqueur de Labarraque marquant 2 de-
grés 1/2 au chloromètre, ont contracté la clavelée ;
4° Que, dans l'épizootie éminemment contagieuse des
gallinacées (choléra des poules), le chlore, à l'état de gaz
sec, de gaz humide et de chlorure, n'a pas détruit l'élément
virulent.
Nous ne croyons pas possible cependant d'accepter la
conclusion suivante que M. Reynal tire des expériences
qui précédent : a Ces faits, dit M. Reynal, étabhssent delà
manière la plus évidente que le chlore et les chlorures
alcalins ne possèdent pas la propriété de détruire les vi-
rus; leur action se borne à décomposer les matières ani-
males, et à éteindre les sources de l'infection. » Sans doute,
il faut rendre à Renault la justice d'avoir ouvert la voie
à l'étude expérimentale des désinfectants, en prenant pour
base la persistance de l'inoculabilité du virus soumis aux
agents réputés désinfectants; mais, pour nous au moins,
qui ne pouvons lire dans l'original son important mé-
moire inédit, ces expériences sont incomplètes et laissent
prise, à la critique. Quel volume ou quel poids de gaz
chlore, de chlorure, a été mis en contact avec le virus?
A quel degré de dilution, sous quelle forme était ce virus?
Combien de temps a duré le contact? Il s'agit ici évidem-
ment d'une question de dose, car il est difficile de croire
qu'un virus quelconque puisse résister à l'action prolongée
d'une dose très concentrée d'un corps aussi actif que le
chlore, alors surtout que nous voyons les tissus être dé-
truits et tomber en écailles après des expériences de dé-
sinfection poussées trop loin.
CHLORE. — CHLORURES, ETC. 289
Nous trouvons heureusement, dans des travaux récents,
des expériences plus rigoureuses qui restituent au chlore la
valeur relative au moins qu'il mérite. La vérité se trouve
entre l'optimisme de Guyton-Morveau et le pessimisme
de M3I. Renault et Reynal, et nous verrons que le chlore
ne mérite vraiment « ni cet excès d'honneur ni cette indi-
gnité ».
Déjà Gerlach avait admis les propriétés neutralisantes
du chlore contre le virus morveux. M. Peuch, professeur
de police sanitaire à l'École vétérinaire de Toulouse, a
repris récemment cette question; il l'a résolue d'une fa-
çon positive par des recherches assez rigoureuses (1).
Dans un ballon où se dégageaient des vapeurs de chlore,
on suspendit une capsule contenant du jetage morveux.
Au bout d'un quart d'heure, le virus fut recueilli et ino-
culé à une ânesse; les plaies d'inoculation se cicatrisèrent
et aucun symptôme de morve ne se manifesta. Comparati-
vement, on inocula à une chienne du virus de même pro-
venance qui n'avait pas été désinfecté : les plaies d'ino-
culation s'enflammèrent, les ganglions sous-glossiens se
tuméfièrent ; la chienne devint manifestement morveuse,
et ce qui le prouve, c'est que le pus provenant de sa plaie
d'inoculation, transporté sur une nouvelle ânesse, transmit
la morve à ce dernier animal.
Nous ne méconnaissons assurément pas la valeur des
expériences de M. Peuch, mais quand on en lit le détail
dans le mémoire original publié dans le Ljjon médical, on
voit qu'on leur a donné une signification exagérée. On en
peut simplement conclure, selon nous, que les vapeurs de
chlore sont capables de détruire la virulence du liquide
morveux; mais le fait important, au point de vue de la
pratique, est la question de dose. Or, la dose, dans fexpé-
rience citée, est vraiment exagérée, et à moins de mettre
(1) Peuch, Note sur l'action antivirulente du chlore et des hypoclilorites
alcalins. [Lyon médical, 5 octobre 1879, p. 134.)
Vallin. — Désinfectants. 19
290 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
en doute l'action chimique du chlore sur les matières or-
ganiques, il était impossible que le virus ne fût pas détruit.
Voici le texte même du mémoire de M. Peuch :
« Dans un ballon de la capacité de deux litres, j'ai mis
50 grammes de peroxyde de manganèse et versé par-des-
sus 150 grammes d'acide chlorhydrique ; ce mélange a
été agité, puis chauffé légèrement, et le dégagement de
chlore est devenu bien manifeste. J'ai introduit alors dans
ce ballon une très petite capsule de porcelaine.... aux
deux tiers remplie de j étage morveux. J'ai laissé le chlore
agir pendant un quart d'heure. Au bout de ce temps, le
jetage morveux.... était transformé en une sorte de magma
épais et blanchâtre.... qui fut, séance tenante, inoculé à
une ânesse de dix mois, assez vigoureuse, mais épilepti-
que. »
Nous reconnaissons, avec M. Peuch, qu'en un quart
d'heure tout le peroxyde de manganèse n'avait pas décom-
posé l'acide chlorhydrique, mais il n'est pas moins vrai
que 30 grammes d'oxyde de manganèse dans une capacité
de 2 litres, correspondent à loO kilogrammes d'oxyde et
3,7o0 kilogrammes d'acide chlorhydrique pour une cham-
bre moyenne, d'une capacité de 50 mètres cubes ! Quelle
conclusion pratique peut-on tirer d'une telle expérience
qui, reproduite dans la plupart des journaux et des livres
sans les commentaires indispensables, est certainement ca-
pable d'égarer l'opinion publique ? On a déjà trop de ten- -
dance à accorder au chlore une valeur exagérée comme
destructeur des virus, et il y a de graves inconvénients à
entretenir la sécurité trompeuse que donne l'emploi de cet
agent à des doses souvent minuscules.
M. Peuch a fait une seconde expérience : il a mélangé
5 centimètres cubes de jetage morveux frais et 50 grammes
d'une solution chlorurée au dixième, c'est-à-dire conte-
nant 45 grammes d'eau et 5 grammes de chlorure de chaux
sec à 90 degrés chlorométriques ; il a laissé agir pendant
CHLORE. — CHLORURES, ETC. 291
une dcmi-licurc, en agitant à plusieurs reprises. L'animal
inoculé avec ce mélange n'a nullement été incommodé.
L'expérience est faite dans de meilleures conditions; il n'en
faudrait conclure que ceci, à savoir : qu'en délayant 1 ki-
logramme de chlorure de chaux sec dans 9 litres d'eau sim-
ple, on obtient un mélange avec lequel on peut laver avec
grand profit et désinfecter les mangeoires, râteliers, stalles
d'écuries, etc., souillés par le jetage morveux.... frais.
Bousquet avait anciennement expérimenté l'action du
chlore sur le vaccin ; il était arrivé à des résultats négatifs.
Il avait employé du chlorure d'oxyde de sodium fourni par
Labarraque et par Boullay, en augmentant graduellement
la dose du chlorure jusqu'à avoir parties égales de vaccin
et de liquide ; dans 13 expériences, le vaccin lui avait sem-
blé conserver toutes ses propriétés, et il en concluait que
le chlore n'a sur ce virus aucune action neutralisante. Mais
plus tard, en 1848, il reconnut avec une grande sincérité
qu'il avait mal vu.
« Lorsque je commençai mes expériences, dit-il, j'y met-
tais trop de précipitation ; plus tard, je me ravisai. Je por-
tai le vaccin et le chlorure sur une plaque de verre, je les
agitai longuement avec la pointe de la lancette, afin de leur
donner le temps d'agir l'un sur l'autre; l'expérience (l'ino-
culation) ainsi faite ne m'ayant donné aucun résultat, je
conclus avec la même franchise et avec plus de raison que
les chlorures décomposent, neutralisent le vaccin. » Nous
allons voir que des recherches récentes et rigoureuses con-
firment cette dernière opinion.
Le D'' John Dougall déposait sur une plaque de verre un
mélange à parties égales de vaccin et de glycérine neutre ;
il laissait la plaque pendant trente-six heures sous une
cloche de verre, où du chlorure de chaux, placé dans Une
soucoupe, dégageait des vapeurs abondantes de chlore. Dou-
gall s'assura que le mélange vaccinal prenait rapidement
une réaction acide, et que l'inoculation était stérile^ comme
292 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
toutes les fois que le vaccin, sous l'influence de tout autre
agent, devenait acide.
Le D"" Baxter a repris récemment ces recherches. Dans
des tubes capillaires gradués, il recueille une quantité dé-
terminée d'un même vaccin liquide ; il mêle celui-ci soit à
son volume d'une solution chlorée exactement titrée, soit à
son volume d'une solution salée (NaCl à 0,5 p. 100). Sur le
même enfant, il fait au bras droit 3 piqûres avec le vaccin
dilué dans l'eau simplement salée, à l'autre bras 3 piqûres
avec le vaccin désinfecté et conservé pendant quelques
heures dans des tubes à vaccin scellés à la lampe. Les dé-
tails très minutieux du mélange des liquides et de la pré-
paration des tubes sont longuement décrits dans le mé-
moire.
Voici ce que Baxter a observé :
Il n'y a pas de différence dans les résultats obtenus avec
les deux vaccins, tant que la lymphe reste alcaline et tant
que la proportion du chlore libre dissous dans le liquide
inoculé ne dépasse pas 0s'',140 pour 100; sur huit enfants,
vingt-quatre piqûres avec le vaccin dilué donnent vingt et
une vésicules, tandis que sur l'autre bras, les vingt-quatre
piqûres avec le vaccin désinfecté ne donnent que dix-
sept vésicules ; la différence est insignifiante, et l'on peut
dire que le vaccin a conservé son activité. Au contraire,
quand on élève la proportion du gaz chlore à 0s'Vl63
pour 100 volumes du liquide inoculé, aucune des 3 pi-
qûres ne donne de vésicule, tandis que sur l'autre bras,
les 3 piqûres avec le vaccin dilué donnent trois vési-
cules.
De plus, avec cette proportion de chlore, la lymphe vac-
cinale devient manifestement acide , et ce caractère est
décisif pour Baxter comme pour Dougall. On voit donc
que pour neutraliser sûrement le vaccin, il faudrait que
la proportion de chlore dissous dans le mélange total fût au
moins de 0,20 pour 100 ou 2 grammes pour 1 ,000. Ajoutons,
CHLORK. — CHLORURES, ETC. 293
comme terme de comparaison, que la liqueur de Labar-
raque pure contient au moins 2 volumes ou 6 grammes de
chlore par litre ; il suffirait donc, pour neutraliser le vac-
cin, d'une solution au tiers de cette liqueur.
Ces résultats ne diffèrent pas très sensiblement de ceux
qui ont été obtenus, il y a quelques années, par le docteur
Mecklemburg ; toutefois ce dernier indique, pour neu-
traliser le vaccin, une proportion de chlore un peu plus
forte. Après avoir soumis, sous une cloche en verre, pen-
dant plusieurs heures à des vapeurs saturées de chlore,
un mélange à parties égales de vaccin et de glycérine, il
trouva que les inoculations réussissaient parfaitement. En
mêlant à parties égales du vaccin pur et Vaqua oxymiiria-
tica de la pharmacopée de Berlin (solution de chlore à
4 grammes p. 1,000), les vésicules se développaient encore
normalement. Mecklemburg n'indique pas aussi minutieuse-
ment que Baxter les conditions matérielles de ses expé-
riences, de sorte que nous ne pensons pas que les pre-
mières infirment les secondes. De son côté, Hoffmann (1),
directeur de l'Institut vaccinal de Berlin, a plus récemment
confirmé les résultats obtenus par Baxter.
Mais si l'on étudie l'action du chlore sur le vaccin,
ce n'est pas assurément dans la pensée de l'utiliser pour
détruire ce précieux virus. On suppose assez justement
que, de l'action d'un agent désinfectant sur le vaccin, on
peut induire son action sur le virus varioleux. Or, dans
une salle ou dans des effets d'habillements souillés par
des varioleux, ce virus ne se rencontre guère que sous
forme de particules desséchées qui pourraient être moins
facilement impressionnées par le chlore.
Baxter a fort bien compris la valeur de cet argument, et
il a expérimenté l'action de cet agent sur du vaccin parfai-
tement desséché. Voici comment il a opéré :
(1) Hoffmann, Der Preussische Impf-Institut.{Vierteljahrsschrift fiir ge-
richtliche Medicin, nyr'û 1878, et Revue de Hayem,l5 avril 1879, p. 511.
294 DÉSINFECTANTS BN PARTICULIER.
Une solution aqueuse saturée de chlore remplissait le
tiers d'une bouteille à large ouverture ; à la face infé-
rieure du bouchon de liège, on fixait les petites aiguilles
d'ivoire qui servent le plus souvent en Angleterre à con-
server le vaccin et à l'inoculer. La pointe d'ivoire chargée
de vaccin desséché restait plongée, pendant un temps va-
riable, dans cette atmosphère saturée de chlore ; on la re-
tirait ensuite du flacon en la laissant encore au repos, et
ce n'est que deux ou trois jours plus tard qu'on s'en ser-
vait pour faire trois piqûres à un bras ; comparativement
on piquait l'autre bras avec des aiguilles chargées du même
vaccin, mais non désinfectées. On opérait de la même fa-
çon pour l'acide phénique et l'acide sulfureux.
ACTIO^ DES VAPECRS DE CHLORE SUR LE VACCIN DESSÉCUÉ.
■ée de l'exposition.
Nombre
obter
les aigui
de vésicules
mes avec
lies vierges.
Nombre
obtenues
avec les aig
de vésicules
sur l'autre bras
uilles désinfectées
5 minutes.
3
sur 3
piq.
1
sur 3 piq.
10 —
3
—
1
—
lo —
3
—
2
—
30 —
2
—
0
—
30 —
3
—
0
—
L'on voit qu'à part une seule exception, les trois piqûres
faites sur le bras de chaque enfant avec les aiguilles vierges
ont produit trois vésicules, tandis que dans la plupart des
cas les trois piqûres faites à l'autre bras de chaque enfant
avec le vaccin soumis aux vapeurs de chlore n'ont donné
qu'une ou deux vésicules, ou même rien. En outre, les pre-
mières étaient larges, volumineuses, tandis que les rares
vésicules obtenues avec le vaccin neutralisé étaient très pe-
tites, comme avortées.
L'on peut reprocher à ces recherches, comme à celles de
M. Peuch, de ne pas avoir dosé les quantités relatives de
chlore et de vaccin ; ce reproche n'est plus applicable aux
résultats qui suivent.
CHLORE. — CHLORURES, ETC. 295
Le D"* G. -M. Steriiberg (1), à la suite d'expériences par-
faitement conduites et faites à l'instigation du Conseil na-
tional sanitaire de Washington, est arrivé à la conclusion
suivante :
En exposant pendant six heures ou plus, des plaques
d'ivoire chargées de vaccin desséché, dans une atmos-
phère contenant au moins 1 volume pour cent de gaz
chlore, le vaccin cesse d'être inoculable. Sternberg ajoute,
d'après d'autres expériences, que cette dose de 1 pour 100
dans l'air assure également la désinfection par les gaz
acide sulfureux et acide hypoazotique. N'oublions pas que
cette proportion est déjà très considérable, puisqu'elle cor-
respond, pour une chambre de 50 mètres cubes, à plus
de 5 kilogrammes de chlorure de chaux sec à 90 degrés
chlorométriques , dont on ferait dégager tout le chlore ,
ce qui est d'une réalisation fort difficile en pratique.
M. Baxter a étudié la résistance du virus septicémique
à l'action, du chlore. Tandis que la sérosité septique, prove-
nant du péritoine d'un cobaye, amenait la mort de l'ani-
mal en 48 heures, la même quantité du même liquide ad-
ditionnée de solution aqueuse de chlore ne troubla en rien
la santé de deux animaux de même sorte. Dans un des <îas,
la proportion de gaz chlore dans le mélange total était de
0^"", 01815 pour 100 ; dans le second cas, cette proportion
était de O^^loOS pour 100.
L'action du chlore paraît ici un peu plus puissante
que sur le vaccin. Il est regrettable que ces expériences
ne soient pas plus nombreuses, qu'elles n'aient pas été
contrôlées par d'autres observateurs, et qu'elles ne fas-
sent pas connaître à quel degré de dilution s'arrête le pou-
voir neutralisant du chlore. Nous n'avons trouvé sur ce
(1) Slernberg, Experiments clesigned to test the value of certain gaz-eous
and volatile disinfectants. (National Board of Health Bulletin (Washing-
ton), 1880, t. le--, p. 219, et 1881, p. 21. —Revue d'hygiène et de police
sanitaire, 1880, p. 810.)
296 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
sujet qu'une indication très incomplète, dans un mémoire
du D" Burdon-Sanderson :
« Je ne veux dire qu'un mot d'expériences ftiites avec
les antiseptiques par Anders. Il prit un fluide dont la
propriété septique avait été reconnue ; il y ajouta de l'acide
salicylique en quantité suffisante pour agir comme ger-
micide, et trouva que malgré cela le virus était resté
aussi actif qu'avant. Le même résultat fut obtenu avec le
chlore. »
Nous n'avons pu réussir à nous procurer le texte même
des expériences d' Anders (1).
Iode et brome. — Drus ses Recherches relatives à V action
des substances antiseptiques sur le virus de la septicémie,
M. Davaine (2) n'hésite pas à déclarer que l'iode est le plus
puissant des antiseptiques, ce mot étant pris ici dans un
sens très général. Cette appréciation, venant d'un obser-
vateur aussi rigoureux, justifie l'importance que des expé-
rimentateurs déjà anciens avaient attribuée à l'iode comme
agent de désinfection.
Boinet, dans son Traité cViodothérapie, avait dès 1840
consacré un chapitre à cette action topique de l'iode. Sans
doute Boinet avait le tort de confondre les propriétés désin-
fectantes d'une substance médicamenteuse avec son action
cicatrisante, excitante sur les bourgeons charnus ; c'est, dit-
il, parce que l'iode est un modificateur puissant et prompt
des plaies de mauvaise nature, qu'il est un excellent désin-
fectant. Velpeau, dans la grande discussion qui eut Heu en
1859-60, à l'Académie de médecine, affirmait que depuis
(1) Anders (Ernsl). Experimentelle Beitrage ziir Kenlniss der causal en
Momente putrider Intoxication. Dorpal, 1876, Dissertation inaugurale.
(2) Davaine, Recherches relatives à l'action des substances antiseptiques
sur le virus de la septicémie. (Gazette médicale 1874, p. 44. Note lue 4
la Société de biologie, 10 janvier 1874.)
IODE. — BROME. 297
30 ans l'usage de la teinture d'iode pour modifier et as-
sainir les plaies était généralement adopté.
En 1852 {Union médicale, p. 463 et 745), Magendie avait
observé que les solutions iodées avaient la propriété de con-
server les matières animales ; il garda pendant très long-
temps un fragment de rate dans de l'eau iodée, sans au-
cune trace de putréfaction, et proposa l'emploi de ce liquide
pour conserver les pièces anatomiques.
M. Duroy a présenté en 1854 à l'Académie de médecine
le résultat de ses expériences sur l'action désinfectante
de l'iode ; du lait, du gluten, du sang, de l'albumine furent
placés dans des flacons et arrosés chaque jour avec un
peu d'eau pour en entretenir l'humidité. Dans la moitié
des flacons, on ajouta un peu d'iode ; les flacons ne con-
tenant pas d'iode exhalaient au bout de peu de jours une
odeur putride, tandis que par l'addition d'iode, au bout
d'un mois ces substances étaient dans un état parfait de
conservation et sans aucune odeur.
Les résultats sont satisfaisants ; mais il faut remarquer
que M. Duroy ajoutait 1 centigramme d'iode métallique
par gramme de substance putrescible (gluten, sang, albu-
mine, etc.) ; la dose est relativement énorme, puisque pour
conserver ou désinfecter un kilogramme de viande, il fau-
drait 10 grammes d'iode métallique. Il ne faudrait donc
pas juger de la valeur antiseptique ou neutralisante de
l'iode par ces expériences.
Selmi a montré, il y a longtemps, que la solution aqueuse
de tartre stibié a la propriété de dissoudre une quantité no-
table d'iode : 6 parties d'émétique et 31 parties d'eau dis-
solvent 4e'', 12 d'iode. M. Boinet (1) a employé ces mé-
langes, afin d'écarter toute action de l'alcool dans ses
expériences sur la valeur antiputride des solutions iodées
et bromées. Il a même trouvé que la solution d'émétique
(1) Boinel, Des désinfectants et de leurs applications à la thérapeutique.
[Gazette hebdomadaire, 1862, p. 626.)
29S DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
bromée avait une action conservatrice plus énergique que
la dissolution d'émétique iodée. Les liqueurs sont acides,
sans doute par la formation d'acide iodhydrique et anti-
monique. Avec les solutions formulées plus haut, Boinet
a pu conserver des préparations anatomiques à l'abri de
toute fermentation, sans altération de la forme, du vo-
lume, de la structure des parties. Il a constaté en outre de
la façon la plus manifeste que les mélanges iodés désin-
fectaient rapidement les plaies les plus infectes.
De son côté, dès I806, guidé par les expériences de Rey-
noso qui détruisait les effets vénéneux du curare par le
brome et l'iode, 0. Réveil (1) institua une série de re-
cherches pour savoir si le brome et l'iode détruisaient
également les propriétés toxiques de certains produits
morbides. Il opéra sur du pus de chancre, du vaccin, des
matières en putréfaction et toujours, dit-il, lorsque l'ex-
périence était bien faite, il a constaté que les propriétés
toxiques ou spéciales de ces divers produits étaient dé-
truites. Ces expériences furent faites comparativement sur
l'homme pour le vaccin et le virus vénérien, et sur des
animaux pour le pus et les matières en putréfaction. 0. Ré-
veil conclut de ses expériences : « que le chlore, le brome
et l'iode, détruisent d'une manière certaine l'action toxique
des virus, des venins et des matières en putréfaction. » Il
est regrettable que Réveil n'ait pas donné le détail de ses
procédés opératoires, et qu'on soit obUgé de s'en rap-
porter à cette appréciation sommaire ; voici les seuls ren-
seignements que contient son mémoire : « Le brome a
paru agir plus énergiquement que l'iode ; mais son odeur
infecte, son prix plus élevé et son action plus irritante,
lui ont fait préférer l'iode, qu'il a employé sous forme de
teinture. Dans toutes ces expériences, l'iode et le brome
ont été administrés à très faibles doses, afin que par leur
(1) 0. Réveil, Loc. cit. [Archives de médecine, janvier 1863, p. 5.)
IODE. — BROME. 299
action cautérisante ils ne pussent pas s'opposer à l'ab-
sorption. » Pour le pansement des plaies, Réveil a employé
avec succès une solution contenant de 5 à 20 grammes de
teinture d'iode par litre d'eau. La solution la plus faible
(S p. 1,000) appliquée en fomentations ou en injections
dans des cas de gangrène de la bouche, de rétention du pla-
centa, d'eczéma du cuir chevelu, enleva complètement
l'odeur qui était infecte.
Beaucoup plus récemment, Wernitz (1) a constaté que
l'action du brome sur les ferments inorganisés oscillait
entre les doses de 1 p. 2,840 et de 1 p. 31,1000; pour
l'iode, la dose nécessaire variait de 1 p. 1,000 à p. 24,000.
De son côté Jalan de la Croix (2) a trouvé lui aussi que
l'action antiseptique du brome était plus puissante que celle
de l'iode. Pour tuer les bactéries adultes dans du bouillon,
il suffit de 1 de brome sur 2,550 de liquide total, tandis
que pour l'iode la proportion doit être de 1 sur 2,000 ; la
stérilisation des germes est obtenue avec le brome par 1
sur 336, avec l'iode par 1 sur 410.
Pour empêcher du bouillon crû abandonné à l'air libre
de se peupler de bactéries, il faut 1 p. 5,600 de brome,
et 1 p. 2,010 d'iode; dans les deux cas, il faut pour stéri-
liser définitivement les germes une solution à 1 p. 850.
Jusqu'ici ces expériences ne nous ont montré que l'ac-
tion antiseptique de l'iode et, à ce titre, ces observations
eussent pu trouver place dans le chapitre consacré aux an-
tiseptiques. Nous avons préféré cependant ne pas morce-
ler cette étude, et nous croyons devoir laisser ces deux
agents à la place qu'ils méritent véritablement. En effet,
nous allons voir que les recherches modernes ont. fait re-
(1) Iwan Wernitz, Ueber die Wirkung der Antiseptica auf ungeformte
Fermente; Inaul,^ Dissert. Dorpat, 1880.
(2) l)r Nicolaï Jalan de la Croix, Bas Yerhalten der Bakterien des Fleis-
chivassers gegen einige Antiseptica. {Arch. f. experim. Pathologie,'iO inny.
1881, T. XIII, p. 173 à 253.)
300 DESINFECTANTS EN PARTICULIER.
connaître dans l'iode un agent antivirulent dont on soup-
çonnait à peine la puissance. Déjà Rayer avait employé la
teinture d'iode affaiblie comme agent antivirulent dans la
morve (Laborde, Gaz. méd., 1874).
M. Davaine, dans un premier travail (10 janvier 1874),
avait étudié l'action de l'iode sur le virus charbonneux,
et dans 21 expériences, le mélange de 1 partie d'iode mé-
tallique avec 12,000 parties de virus dilué rendit com-
plètement inerte un liquide virulent dont 2 gouttes suffi-
saient pour tuer un cobaye.
M. Davaine a repris et complété ces recherches en 1880
{Académie de médecine, 27 juillet). Il mélangeait 1 centi-
mètre cube de sang charbonneux à 1 litre d'eau pure; quel-
ques gouttes de ce mélange, inoculées à un cobaye, ame-
naient rapidement et sûrement la mort. Dans ce liquide de
virulence certaine, M. Davaine versait alors quelques gout-
tes d'une solution d'iode, représentant une quantité très
exactement dosée d'iode métallique. Au bout d'une heure
de contact, le nouveau mélange pouvait être impunément
inoculé aux cobayes ; il ne produisait plus le charbon. Il
a vu que cette neutralisation pouvait être obtenue non plus
par une solution iodée à 1 p. 12,000, mais, bien par 1
p. 150,000, c'est-à-dire en dissolvant 1 centigramme
d'iode métallique dans 1 litre et demi de virus charbon-
neux très dilué, mais encore très actif. C'est de ces expé-
riences qu'est née l'idée d'employer contre la pustule
maligne les injections sous-cutanées d'eau iodée (20 à
50 gouttes d'une solution contenant 1 gramme d'iode mé-
tallique, 2 grammes d'iodure de potassium, pour 1 litre
d'eau). MM. Stanis Cézard, Raimbert, Balâdoni, Rémy,
Labbé, Chipault, etc., par des injections autour des pus-
tules malignes, par des applications extérieures et l'inges-
tion par l'estomac et en lavements de solutions sembla-
bles, ont obtenu des succès qui semblent se confirmer.
En agissant sur du virus septicémique très dilué, mais
IODE. — BROME. 301
encore très actif, et dont l'inoculation était constamment
mortelle, M. Davaine trouva en 1873 que la neutralisation
complète était obtenue en diluant 1 gramme d'iode métal-
lique dans 10 litres du liquide virulent. Il ne s'agit ici
bien entendu que de l'action locale et directe de l'iode
sur le virus, in vaso, ou à la rigueur au point qui vient
d'être inoculé. Au contraire, quand on fait ingérer des
solutions iodées à un sujet qui a été antérieurement ino-
culé, l'action préservatrice fait complètement défaut,
ainsi que l'a constaté M. Colin (d'Alforl) en 1875. Mais
il s'agit ici de désinfection interne, et les conditions
d'expérimentation ne permettent plus de juger par là la
valeur de tel ou tel désinfectant.
Il serait à désirer que les recherches de M. Davaine sur
la valeur neutralisante de l'iode fussent reprises pour la
plupart des virus. En 1880, nous avons essayé l'action
de cet agent sur le virus du chancre mou : chez des ma-
lades du service de notre collègue et ami, M. Mathieu, des
chancres dont la nature bénigne venait d'élre constatée
par le succès de l'auto-inoculation, furent pansés avec de
la charpie imbibée de teinture d'iode ; le lendemain une
nouvelle inoculation fut tentée, et réussit cette fois en-
core. Chez quelques autres malades dans des conditions
analogues, du pus de chancrelles fut recueilli dans un
verre de montre, mélangé avec une petite quantité de tein-
ture d'iode, et inoculé le lendemain ; il n'y eut pas de suc-
cès, mais le pus recueihi dans la même séance et gardé
dans un autre verre de montre sans addition d'iode resta
également inerte ; de sorte qu'il n'est pas possible d'at-
tribuer l'insuccès de l'inoculation à l'action de l'iode. Ces
expériences sur le virus vénérien sont d'ailleurs difficiles
et ne peuvent être tentées que très rarement ; il n'est
donc pas étonnant qu'elles n'aient pas encore donné un
résultat positif.
302 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
Oxygène. — L'oxygène est le comburant par excellence;
comme le feu, il brûle et purifie la matière organique;
cette action est d'autant plus marquée, que la proportion
d'oxygène est plus grande ou que son renouvellement est
plus rapide, et d'autre part que le contact de l'oxygène
avec la matière combustible est plus immédiat et plus
multiplié; l'accès libre de la lumière et de l'électricité
activent sans doute d'une façon très énergique toutes ces
décompositions chimiques.
L'oxygène est le grand purificateur dans la nature. Tout
ce qui multiplie la surface de contact entre les substances
nuisibles et l'oxygène, agit dans le sens de la désinfec-
tion. Les corps les plus poreux, comme le charbon, ou les
plus finement divisés comme la terre sèche pulvérisée, ont
un pouvoir désinfectant qui peut à la rigueur se mesurer
par l'étendue du contact ou de l'abord de l'oxygène'. Les
corps poreux sont donc des pourvoyeurs d'oxygène, ils
accélèrent le mouvement de décomposition, et d'autre part
empêchent le dégagement rapide, à l'extérieur, des élé-
ments volatils ou des gaz qui résultent de la putréfaction.
L'eau courante, agitée, battue par l'air au milieu des ob-
stacles qu'elle rencontre sur son cours, devient dans une
certaine mesure désinfectante par la provision d'oxygène
qu'elle renouvelle sans cesse. L'eau la plus aérée, celle qui
tient en dissolution 11 à 12 centimètres cubes d'oxygène
par litre, n'en contient bientôt plus que 1 à 2 centimètres
cubes, parce que cet oxygène, en se hxant sur l'azote de
la matière organique dissoute, tend à transformer celle-ci
en nitrates inoffensifs. Il est évident que si l'eau peut in-
cessamment reprendre, par l'agitation, l'oxygène dont
elle a été appauvrie, la transformation de la matière orga-
nique en nitrates sera beaucoup plus rapide^ et seront
évités ainsi les dangers des produits intermédiaires de
tranforraations, acides butyrique, caproïque, etc., en gé-
néral toxiques )
OXYGÈNE. 303
Quand il pleut, la pluie se charge d'ordinaire d'un ex-
cès d'oxygène, et non seulement cette pluie lave mécani-
quement le sol, mais encore elle le purifie à l'aide de l'ex-
cès d'oxygène, de l'oxygène allotropique ou de l'ozone
qu'elle a dissous. Mais cet effet bienfaisant ne se pro-
duit pas partout; là où les populations humaines sont
condensées, lorsque l'air est souillé par des émanations
industrielles de toutes sortes, par les fumées des usi-
nes, etc., l'ozone disparaît; la pluie qui tombe n'a plus
dès lors ce pouvoir oxydant qui purifie le sol et facilite
l'assimilation par les plantes des principes fécondants de
la terre cultivée. Aussi, l'air de la campagne est-il plus
purifiant, il désinfecte mieux par exemple une chambre de
malade, que l'air de la ville.
Il est donc parfaitement exact que la ventilation, le libre
accès de l'air, est un excellent moyen de désinfection. En
ventilant largement une chambre souillée, en laissant l'air
circuler librement jour et nuit, par les fenêtres tenues ou-
vertes, on ne dilue pas simplement le virus, on n'en dis-
sémine pas les éléments de la même manière qu'avec un
balai on dissémine, on éparpille la poussière qui recou-
vre le sol ; la ventilation renouvelle incessamment le con-
tact de l'air, par conséquent de l'oxygène avec les sub-
stances organiques oxydables ; elle détruit leur agrégation
chimique et par conséquent leur virulence. La ventilation
est tout à fait comparable à l'agitation, à l'aération de
l'eau souillée, qui en courant et se brisant en cascade, re-
nouvelle sa provision d'oxygène, et transforme les matiè-
res azotées en azotates.
On comprend dès lors que l'exposition à l'air, que la ven-
tilation soit d'autant plus efficace que l'air est plus pur^
qu'il contient plus d'oxygène allotropique, plus d'ozone. On
en pourrait trouver une nouvelle preuve dans ce fait que
c'est à la campagne, sur le pré, qu'on réussit le mieux à
blanchir les toiles, la cire, etc^ ; ces opérations, comme aussi
304 DÉSINFECTANTS EN PARTICULIER.
le rouissage à la rosée ou rosage, seraient peut-être moins
rapides, moins complètes, s'il était possible de les prati-
quer dans les étroits espaces libres qu'on rencontre au
milieu des grandes villes.
Cette action puissante de l'oxygène de l'air a jadis été at*
tribuée à la rosée du matin, sans qu'on en comprît bien le
mécanisme. C'est une des plus anciennes pratiques de la
désinfection que le sereinage, c'est-à-dire l'exposition pro-
longée au grand air, en plein champ, ou dans les endroits
découverts. Renault a démontré par des expériences la
réalité de cette action neutralisante de l'exposition à l'air
sur un certain nombre de virus (1).
Les récents travaux de M. Pasteur peuvent aider à expli-
quer ces faits, et prouveraient que l'action de l'oxygène
n'est pas aussi directement chimique qu'on le pensait. M. Pas-
teur, pour ne citer que la septicémie, admet qu'il y a plu-
sieurs sortes de septicémies et de vibrions septiques. Ces
derniers, non seulement peuvent vivre sans air (anaéro-
bies), mais encore ils sont tués et toute virulence disparaît,
par le contact de V air prolongé peiidant plusieurs heures.
Toutefois, dans une couche épaisse de liquide septique, les
vibrions des zones profondes sont protégés du contact de
l'air et restent préservés par les organismes ou leurs dé-
bris qui forment une pellicule superficielle. En oiitre, le vi-
brion septique en se désagrégeant se réduit à l'état de cor-
puscules-germes, qui peuvent vivre très longtemps dans
l'eau, ou dans l'air à l'état de poussière. Sous cet état,
ce germe est presque inattaquable par l'air, par les liqui-
des corrosifs et coagulants tels que les acides minéraux ;
il résiste à une température de 100 degrés et même à une
ébullition prolongée; dans des conditions de milieu con-
venable, au contraire, il reproduit facilement le vibrion
septique. C'est cette action destructive de l'air qui expli-
(1) DÉSINFECTION, de Reynal [Dictionnaire vétérinaire de Bouley el
Reynal).
OXYGÈNE. 305
que les résultats très inégaux obtenus par ceux qui ont
tenté la culture ou la production du poison septique. M. Pas-
teur nous a conté comment lui-même avait vu jadis des
liquides de culture ensemencés avec du poison septique
rester stériles, parce que, à cette époque, il ne savait pas
éviter le contact de l'air; il fit ses cultures dans un flacon
rempli d'acide carbonique, et il obtint le vibrion septique
en plein développement.
M. Pasteur ne craint pas d'affirmer qu'une plaie chi-
rurgicale simple peut être impunément exposée à l'air le
plus chargé de vibrions septiques, ou lavée avec de l'eau
en contenant des myriades, sans que le malade soit atteint
de septicémie ; mais il faut que l'abord de l'air soit inces-
sant, car s'il survenait la moindre stagnation dans un
clapier à l'abri de l'air, dans une atmosphère d'acide car-
bonique ou d'un autre gaz, les corpuscules- germes pour-
raient passer à l'état adulte, envahir les sérosités privées
du contact de l'air et déterminer des accidents terribles.
C'est en quelque sorte l'explication, sinon la justification,
du succès des chirurgiens qui gardent leurs plaies libre-
ment exposées, constamment baignées par de l'eau renou-
velée ou de l'air pur, pour ainsi dire sans pansement,
comme dans les cas d'irrigation continue. Il n'est plus pos-
sible dès lors de trouver dans ce succès un argument pé-
remptoire contre les théories parasitaires de la septicémie.
Nous croyons que c'est par un mécanisme analogue,
c'est-à-dire par l'action comburante de l'oxygène de l'air,
que la dessication fait perdre aux hquides virulents leur
activité et leur inoculabilité.
Ce n'est pas seulement l'oxygène g&zeux ou les mélan-
ges aériformes qui le contiennent tout formé, dont l'action
désinfectante a été constatée : on a également étudié l'effet
des mélanges capables de dégager facilement et à l'état
naissant le gaz oxygène. Aussi, beaucoup de corps oxy-
dants, c'est-à-dire ceux qui abandonnent aisément leur oxy-
Vallin. — Désinfectants. 20
306 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
gène, peuvent être considérés à juste titre comme des
désinfectants : les acides nitreux et hypoazotique (fumiga-
tion de Smith) ; l'acide chromique, le chromate de po-
tasse très usité en Norwège et très actif; l'acide chlo-
rique et le chlorate de potasse (?) ; le permanganate de
potasse, l'eau oxygénée.
L'action de ces substances est très variable, peut-être
parce que nous ne connaissons pas encore le meilleur
moyen d'utiliser leurs propriétés oxydantes en vue de
la désinfection. Plusieurs d'entre ces agents sont à la fois
des désinfectants, des antiseptiques et des anti virulents. Hâ-
tons-nous de démontrer par des faits et des expériences
directes l'action destructive et désinfectante de l'oxygène.
M. Rabot, de Versailles (4), nous a fait connaître en 1870
l'emploi avantageux qu'il a fait du dégagement de ce gaz
dans les salles infectées de l'hôpital de cette ville.
Au commencement de 1868, trois salles affectées au ser-
vice de chirurgie étaient envahies par la pourriture d'hô-
pital, qui y causait des accidents désastreux. Des vices de
construction de l'hôpital, l'encombrement au commence-
ment de l'hiver, d'autres causes encore avaient concouru
à produire l'insalubrité de cet établissement; quand on entrait
dans les salles, on percevait une odeur repoussante. L'eau
chlorurée, le permanganate de potasse, employés au la-
vage et au pansement des plaies, n'avaient produit aucune
améHoration. M. Rabot, sur la sollicitation de médecins de
l'hôpital, s'avisa de recourir directement à l'oxygène pour
détruire les matières organiques dont l'analyse révélait la
présence dans l'air.
Chacune des trois salles cubait de 1,000 à 1,500 mètres,
et contenait de 30 à 35 lits. Chaque soir, M. Rabot fit ar-
liver dans chaque salle, au moyen d'un tube de caout-
chouc partant d'une cornue de fer de grande dimension,
(1) Rabcit, Méthode d'assrnnissement des hôpitaux par V oxygène [Ga-
zette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 5 mai 1871, p. 137).
OXYGÈNE. 307
un volume d'oxygène correspondant au millième du cube
total, suit 1 mètre cube de gaz pour une des salles, et
1,S00 litres pour chacune des deux autres. Le matin,
au réveil, les fenêtres étaient largement ouvertes et les
salles aérées comme d'habitude, quand la température le
permettait ; après la fermeture des fenêtres, une pareille
dose d'oxygène était de nouveau introduite dans chaque
pièce. En outre, à chaque extrémité des salles et le plus
loin possible des lits, on installa un bassin dans lequel on
versait chaque jour le mélange suivant :
Peroxyde de manganèse 300 grammes,
Solution d'hypochlorile de chaux 5,000 —
Ce mélange dégageait lentement et continuellement une
notable quantité d'oxygène, soit d'après le calcul établi plus
loin par M. Hardy, 400 litres environ.
On voit que dans les 24 heures on versait dans la capa-
cité de la salle cubant 1,000 mètres cubes et occupée par
30 personnes, 2,500 litres environ d'oxygène. L'expérience
a prouvé que cette addition considérable d'oxygène n'a pas
rendu l'air plus irritant pour les voies respiratoires ; non
seulement personne ne se plaignit, mais tout le monde fut
unanime à reconnaître qu'un sentiment de fraîcheur avait
remplacé la sensation si pénible de l'air vicié ; l'odeur mé-
phitique qui rendait autrefois l'entrée des salles très désa-
gréable diminua progressivement, puis disparut tout à fait.
Les plaies qui jusque-là avaient un mauvais aspect et ne
tendaient pas à la cicatrisation, se transformèrent et gué-
rirent. Les salles en un mot furent complètement assainies,
autant qu'on en peut juger par les qualités sensibles de
l'air et par la marche des maladies en traitement. Ces fu-
migations furent continuées journeUement et sans inter-
ruption pendant une quinzaine de jours. A la fin de février,
tout phénomène morbide avait disparu, on abandonna les
fumigations. Mais au bout de deux mois, les mêmes acci-
508 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
dents se reproduisirent, par suite de la mauvaise disposi-
tion des salles; M. Rabot installa à nouveau ses appareils
qui ne cessèrent de fonctionner du l""" mai au 30 mai ; cette
fois encore, le résultat obtenu fut excellent et l'on pourrait
dire concluant. Ajoutons que pour masquer aux yeux des
malades cette opération chimique, dont ils n'auraient pas
compris la valeur et pour remonter leur moral affecté, on
faisait brûler à chaque séance sur une plaque rougie une
pincée de poudre odoriférante banale; c'est à cette poudre
sans doute que beaucoup attribuèrent l'assainissement des
locaux.
M. Rabot a cru inutile dans son mémoire de chercher
dans les différentes théories actuellement en usage une
explication de l'action de l'oxygène en pareil cas. Il
ne veut pas élever de discussion sur la présence ou l'ab-
sence de l'ozone pendant la réaction qui se produit; l'on
voit que pour lui l'ozone est encore un agent probléma-
tique. Nous croyons qu'il est sage d'imiter à cette place
une telle réserve ; contentons-nous d'attirer l'attention sur
les services que peuvent rendre ces fumigations d'oxy-
gène. De nouvelles observations sont encore nécessaires
pour en affirmer la valeur, mais tout doit encourager à en
poursuivre l'emploi, la théorie et la pratique semblent
d'accord pour en recommander l'usage.
Depuis quelques années, la fabrication économique de
l'oxygène, son utilisation industrielle et thérapeutique
ont fait de grands progrès, et il serait facile de reprendre
sur une grande échelle ou de reproduire les expériences
de M. Rabot.
M. J. Day (1) a récemment confirmé ces recherches.
Il rappelle que certains corps, les huiles essentielles, beau-
coup de carbures, absorbent l'oxygène atmosphérique et
(1) J. Day, Nascent oxijrjen as a disinfectant and disodorant [Médical
Times and Gazette, 17 ao-il, 1878, p. 193, et Revue des sciences médicales
de Hayem, avril 1878, p. rjl8).
EAU OXYGÉNÉE. 309
le convertissent en peroxyde d'hydrogène; ce dernier se
décompose au contact du sang, et l'oxygène, très actif, s'en
dégage à l'état naissant. Il a utilisé cette propriété désin-
fectante de l'oxygène en enduisant les pièces des bandages
d'une solution ainsi composée :
Essence de lôrébenihine 1 partie.
Benzine 1 —
Huile essentielle de verveine .... 5 gouttes par once de liquide.
Mais le mode d'action d'un tel mélange paraîtra peut-être
plus discutable que ne le pense M. Day.
Nous n'avons pas à décrire ici le peroxyde cVhijdro(jène,
ou eau oxygénée. Quand on répand ce liquide, en appa-
rence semblable à de l'eau, sur les matières en pleine dé-
composition, l'odeur de putréfaction disparaît immédiate-
ment ; elle est remplacée par un arôme particulier, pé-
nétrant, qui tient sans doute à la production d'ozone. L'eau
oxygénée abandonne immédiatement son excès d'oxygène
à la matière organique et il ne reste plus que de l'eau
pure ou protoxyde d'hydrogène ; malheureusement son ac-
tion s'épuise rapidement avec la perte de son oxygène et
elle n'agit que sur les solutions ne contenant qu'une faible
proportion de matière organique altérée. Angus Smith, en
1869, proclamait déjà que c'était le désinfectant par ex-
cellence, le désinfectant de l'avenir; il admettait cependant
que sa chèreté en rendait l'emploi presque impossible dans
la pratique. Si, dit-il (p. 38) l'on pouvait forcer l'eau à se
combiner avec 100 volumes d'oxygène, aucune souillure
ne pourrait lui résister. »
Les recherches récentes de MM. Guttman, P. Ré-
gnard, etc., viennent, dans une certaine mesure, confirmer
les prévisions d' Angus Smith , et témoigner de l'action
destructive, désinfectante, énergique de l'eau oxygénée.
S'inspirant des beaux travaux de M. Paul Bert sur la
propriété qu'a l'oxygène sous pression de tuer tout être
310 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
vivant et organisé, M. Paul Régnard (1) a expérimenté
l'action de l'eau oxygénée^ qui contient chimiquement et
pour ainsi dire toujours en tension,, de l'oxygène à l'état
naissant.
Dans des flacons renfermant une solution de levure de
bière, du vin rouge, du lait, du blanc d'œuf, de la le-
vure sucrée, de l'urine, de l'amidon cuit mélangé avec de
la salive mixte ou du suc pancréatique, etc. , il ajoute
1 centimètre cube d'eau oxygénée par 100 grammes de
liquide. Son eau oxygénée est d'ailleurs très pure, exempte
de baryum et d'acide chlorhydriquo ; elle a été neutralisée
par le nitrate d'argent. Dans les flacons où l'on n'ajoutait
pas d'eau oxygénée, les matières organiques se putré-
fiaient, se couvraient rapidement de moisissures, déga-
geaient une odeur repoussante ; au contraire, dans ceux:
qui contenaient cette petite quantité d'eau oxygénée, les.
matières se conservaient parfaitement, et au bout d'un
mois elles ne dégageaient aucune odeur appréciable. Le^
résultat est semblable à ceux que M. Bert obtient sous.
des cloches où l'oxygène est comprimé à 10 et 20 atmos-
phères; il ne serait même pas impossible que dans ces
dernières expériences, le résultat fut imputable à l'eau
oxygénée qui se produirait pendant la compression.
MM. P. Bert et Péan (Académie des Sciences, 3 juillet
1882) ont employé avec succès l'eau oxygénée neutre,
privée d'acide sulfurique à 2 volumes d'oxygène par litre
pour lavages et pansements antiseptiques, à 6 volumes
pour pulvérisations.
M. Damaschino (2) a fait une heureuse application de ces
données, en employant l'action destructive de l'eau oxy-
(i) Bert et Régnard, Infltience de Veau oxygénée siirla fermentation
[Gazelle médicale de Paris, 1880, p. 359), et Académie des Sciences,
22 mai 1882.
(2) Damaschino, Du traitement da muguet par l'eau oxygénée [France
médicale, janvier 1881, p. 5).
EAU OXYGÉNÉE. 311
gênée au traitement du muguet. 11 fait faire 3 ou 4 fois
par jour le lavage, avec cette eau, des muqueuses recou-
vertes d'algues parasitaires, sans négliger d'ailleurs le
traitement général et le lavage fréquent avec des eaux alca-
lines. Le résultat obtenu a paru excellent, et constitue une
sorte d'expérience confirmative de celles que M. Régnard
a faites dans le laboratoire.
L'industrie anglaise emploie depuis quelques années
pour le blanchiment des laines un liquide incolore ,
inodore, désigné sous le nom de peroxyde d'hydrogène,
et dont l'élément actif est de l'eau oxygénée très diluée;
un litre de ce liquide peut dégager 10 litres d'oxygène.
P. Guttmann a expérimenté de son côté l'action antisep-
tique de ce produit. En mêlant 1 partie de la solution
anglaise avec 10 parties d'urine, au bout de 9 mois
on ne découvre dans le mélange ni mauvaise odeur, ni
fermentation, ni trace de bactéries ; il a obtenu les mêmes
résultats avec de la bière, delà glycose. Mais, en injectant
sous la peau d'un lapin 1 gramme de cette eau oxygénée
diluée, la mort survient rapidement par asphyxie ; des bulles
d'oxygène deviennent libres, obstruent le cœur droit, les
petites branches de l'artère pulmonaire, et interrompent la
circulation dans le poumon : quand ces bulles sont petites,
en faible quantité, elles se résorbent, et les accidents dispa-
raissent rapidement. Il est d'ailleurs facile de renoncer à
l'emploi intravasculaire de l'eau oxygénée !
Que l'oxygène désinfecte en brûlant directement la ma •
tière suspecte très divisée, ou bien en asphyxiant les
microbes des fermentations organiques, il est certain que
son action est d'autant plus vive ([ue l'oxygène se trouve
à l'état naissant.
Berzélius avait remarqué depuis longtemps qu'en met-
tant en contact avec des dissolutions de chlorure de chaux
certains oxydes métalliques, en particulier des suroxydes de
plomb et de manganèse, il se fait à froid un dégagemejit
312 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
continu d'oxygène; ce dégagement dure jusqu'à décompo-
sition complète du chlorure calcique. Floitman avait, en
187S, obtenu le même effet en chauffant une dissolution
concentrée de chlorure de chaux dans laquelle il versait
quelques gouttes de chlorure de cobalt ; Stalba réussit
également avec le chlorure de cuivre. Winkler s'est efforcé
de rendre cette préparation de l'oxygène applicable à l'in-
dustrie ; il opérait sur une grande échelle : il dirigeait un
courant de chlore dans un lait de chaux contenant quel-
ques gouttes d'une dissolution de chlorure de cobalt.
M. Hardy, dans une communication faite à la Société
de thérapeutique et publiée dans la Gazette médicale de
1871 (p. 134), a fait ressortir les avantages de cette com-
binaison du chlorure de chaux et du dégagement continu
d'oxygène pour l'assainissement et la désinfection des lo-
caux. Il fait voir que « dans ces réactions, les sels se dé-
composent, l'oxyde métallique qui se forme agit comme
moyen de transport de l'oxygène. Il se peroxyde d'abord,
se réduit ensuite, se peroxyde de nouveau et continue à
subir la même série d'oxydations et de réductions successi-
ves, tant que le chlorure de chaux n'est pas complètement
transformé en chlorure de calcium. Il suffît donc d'une
quantité extrêmement faible d'oxyde métallique pour pro-
duire un dégagement continu de gaz. » Cette décompo-
sition facile du chlorure de chaux peut être utilisée au
point de vue de i hygiène. Chaque kilogramme de chlo-
rure de chaux, en présence des oxydes, doit fournir
théoriquement 88 litres d'oxygène; mais en raison des
impuretés que le sel renferme toujours, la quantité d'oxy-
gène est un peu plus faible. Si donc, dans un espace limité,
rempli d'air vicié, on introduit un vase contenant une quan-
tité suffisante de chlorure de chaux, d'eau bouillante, et
des traces d'un sel de cuivre ou de cobalt, on obtient im-
médiatement un dégagement, d'oxygène qui se mêle à l'air
ambiant. On peut arriver de cette façon à purifier l'air des
OZONE. 313
puits, des fosses, des salles de réunion publique, d'hô-
pitaux, etc. Le dégagement d'oxygène continue à se faire
lentement quand on abandonne le mélange à lui-même à
froid. On pourrait être tenté de considérer ce procédé simple-
ment comme un perfectionnement de l'emploi du chlorure
de chaux, mais on voit qu'ici ce n'est plus le chlore qui
en se dégageant purifie l'air, c'est l'oxygène à l'état nais-
sant, qui, sous cet état, paraît agir plus activement pour
détruire les matières organiques et peut-être les ferments
organisés contenus dans l'atmosphère.
OzÔNE. — D'après un grand nombre de chimistes,
c'est à cet état allotropique connu sous le nom d'ozone,
qu'il faudrait attribuer l'action beaucoup plus vive de
l'oxygène à l'état naissant. L'ozone paraît être un désin-
fectant très puissant; il existe même aujourd'hui une ten-
dance peut-être exagérée à entrevoir l'intervention de
l'ozône dans un nombre incroyable de phénomènes chi-
miques, et à invoquer cet agent pour expliquer le mode
d'action de beaucoup de désinfectants.
Ce qui n'est pas douteux c'est que, à l'état d'ozone,
l'oxygène a une activité particulière ; l'ozône, surtout dans
l'air humide, oxyde l'argent à la température ordinaire, et
le transforme en bioxyde. Il paraît jouer un rôle considé-
rable dans la nitrification spontanîe; les phénomènes élec-
triques qui se produisent dans la plupart des réactions
chimiques s'accompagnent de la formation d'une quantité
appréciable d'ozone.
L'ozône existe en quantité très sensible dans l'atmos-
phère. L'air de la campagne en renferme d'après I!ouzeau,
au maximum 1 sur 4SO,000 en poids ou 1 sur 700,000 en
volume. L'air des villes en contient une proportii n beau-
coup moindre : M. Marié-Davy, à l'observatoire Je Mont-
souris, ne trouve en moyenne que 2 à 3, rarement 1 milli-
grammes d'ozone dans 100 mètres cubes d'air. La quantité
314 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
est la plus grande au printemps, forte en été, faible en-^
automne, plus faible encore en hiver; les pluies, les vents,,
etc., en augmentent la production. Les orages, l'électricité'
atmosphérique, sont les causes les plus efficaces de la
génération de l'ozone dans la nature ; l'oxydation lente des
matières organiques concourt aussi à sa production. L'ac-
tivité même de l'ozone l'empêche d'exister longtemps dans
l'atmosphère, où il rencontre un grand nombre de ma-
tières organiques et oxydables qui le détruisent. Mais-
d'autres substances encore le détruisent , par exemple-
l'acide sulfureux contenu dans les fumées de houille ; de-
sorte qu'il n'est pas exact de dire que l'air est d'autant
moins pur qu'il contient moins d'ozone.
Ce corps, qu'on a souvent considéré comme de l'oxydfr
d'oxygène ou comme de l'oxygène renforcé, a une odeur
qui rappelle celle du homard; on la perçoit quand l'air
n'en contient qu'un millionième de son poids ; elle est
parfois manifeste à la campagne, au milieu des champs ou
des lieux boisés.
M. A. Boillot, dans une note communiquée à l'Académie-
des sciences, le 3 mai 1875 {Comptes-Rendus, p. 1167), a
démontré le pouvoir décolorant de l'ozone sur les substances
animales et végétales ; le blanchiment des tissus peut être
obtenu directement par l'action de ce corps qui s'empare de
l'hydrogène de la substance à décolorer. Le même phéno-
mène peut se produire, par une voie indirecte, en faisant
agir le chlore sur les matières végétales ou animales ; le
chlore décompose une certaine quantité d'eau pour s'em-
parer de son hydrogène et former de l'acide chlorhy-
drique ; l'oxygène provenant de cette réaction est trans-
formé en ozone qui, à son tour, s'empare de l'hydrogène
de la matière et la décolore. Dans sa thèse de doctorat
es sciences, en 1874 (Montpellier), M. Houzeau avait déjà
établi que la puissance de décoloration de l'ozone est 40
fois plus grande que celle du chlore.
OZONE. 31S
D'après Schœnbein , certaines substances organiques
en voie d'oxydation, et particulièrement la térébenthine et
beaucoup d'huiles volatiles très odorantes, dégagent en
s'évaporant de l'ozone ; on a même voulu, en ces derniers
temps, chercher à expliquer par ce dégagement supposé
d'ozone, l'action purifiante et désinfectante que les anciens
attribuaient aux parfums et aux huiles volatiles.
Dans une certaine mesure, ces substances sont antisep-
tiques : le camphre, la myrrhe, les baumes, les résines
dont les anciens faisaient un si grand usage dans l'em-
baumement ; mais c'est se lancer en pleine hypothèse que
d'attribuer à l'ozone les vertus qu'elles possèdent d'ailleurs
à un assez faible degré. Angus Smith a étudié particuliè-
rement cette question (1). II a classé certaines substances
ou huiles volatiles d'après la quantité d'ozone qu'elles
dégagent par l'évaporation, et le tableau suivant permet
Huile essentielle de peau
d'orange
Essence de térébenthine
Huile de genévrier .
Essence de cumin .
Essence de lavande
Acide crésylique. .
Acide pliénique pur
Créosote
Acide pyroligneux .
Camphre
Huile essentielle de thym
NaphthaliQe
Quantité d'ozone dégagée par les subslaoces
suivantes en s'évaporant ; le maximum de
coloration du papier élant 10.
Après
18 heures.
Apres
24 heures.
Considérable
Eaible.
Considérable
Nulle.
Nulle.
Nulle.
Nulle.
Nulle.
Coloration forle
Croissante.
Croissante.
Nulle.
Nulle.
Nulle.
Nulle.
Nulle.
Après
48 heures.
Nulle.
Nulle.
Api es
12 heures.
10
9
5
2 1/2
Nulle.
de voir que leur propriété désinfectante ou antiseptique
(1) R. -Angus Smiih, Disinfectants and disinfection, p . 118
316 NEUTRALISANTS FN PARTICULIER.
n'est nullement en rapport avec la quantité de ce corps que
chaque substance dégage. C'est ainsi que la térébenthine
et l'essence d'oranges, dont les propriétés désinfectantes
sont tout à fait contestables, dégagent le plus d'ozone,
alors que l'acide phénique, la créosote, la naphthaline,
qui sont de bons désinfectants, n'en dégagent nullement.
Ce tableau et ces recherches montrent avec quelle ré-
serve il faut accepter les propriétés désinfectantes d'une
substance qui a fait beaucoup de bruit en Angleterre, en ces
dernières années, dont l'action est basée sur son pouvoir
ozoniseur, et qui a pris beaucoup de place aux dernières
pages des journaux d'Outre-Manche, sous le nom de « Sa-
nitas ». Au contraire, l'action désinfectante de l'ozone direc-
tement produit est démontrée par des expériences précises.
Schœnbein avait fait voir qu'en faisant passer un courant
d'air ozonisé dans un flacon contenant de la viande putré-
fiée, l'odeur infecte disparaissait, dès que et pendant tout
le temps que la réaction sur le papier ioduré indiquait la
présence de l'ozone.
Scoutteten (1) fit répandre dans une salle une grande
quantité de fumier, dégageant une odeur très désagréable;
il déboucha et abandonna dans cette salle deux flacons con-
tenant plusieurs litres d'air ozonisé, et rapidement la mau-
vaise odeur s'atténua ; le lendemain, on enleva le fumier,
et quelques heures après cet enlèvement, l'air de la salle
qui présentait encore très nettement la réaction de l'ozone
n'avait plus aucune odeur appréciable. Richardson et
Wood virent également disparaître sous l'influence d'un
courant d'ozone, l'odeur insupportable que dégageait un
flacon dans lequel on conservait depuis deux ans du sang
putréfié.
M. F. Bond (2) considère l'ozone comme le plus actif
(1) ScolUteten, Loz-ône, IVelz 1836.
(2) F. Bond, On tite condition of efficient disinfection andonsomenew
forins of dixinfeclant : Cupralum {British Médical Journal, 20 February
1875, p. 239).
OZONE. 311
des désodorants, à cause de la rapidité avec laquelle il at-
taque un des plus invariables constituants de toutes les
émanations putrides, c'est-à-dire l'hydrogène. Tous les
ozonisants sont des désodorisants actifs; toutefois, certains
corps, les sels métalliques par exemple, sont d'excellents
désodorisants, quoiqu'ils ne dégagent par d'ozone, ils agis-
sent simplement sur l'hydrogène sulfuré qu'ils décompo-
sent. Le permanganate de potasse est un ozonisant très
puissant; c'est pour cela qu'il désinfecte (F. Bond).
En ces dernières années, plusieurs auteurs ont étudié
directement l'action désinfectante de l'ozone. Ces expérien-
ces sont très significatives ; M. Boillot (1) prend un morceau
de viande fraîche de bœuf pesant 100 grammes et le divise
en deux parties égales. L'une d'elles est introduite dans un
flacon de 200 centimètres cubes, bouchant à l'émeri et con-
tenant de l'air; l'autre est renfermé dans un flacon sem-
blable, rempli d'air ozôné, dans la proportion de 5 milli-
grammes par litre de gaz. Les deux flacons sont placés à
la cave, à une température de -]- 15° C. Pendant 10 jours,
la viande contenue dans le flacon d'air ozonisé était intacte,
tandis que le 5* jour elle était en pleine putréfaction dans
le flacon d'air pur. Mais le 18'' jour, le flacon ozonisé qu'on
avait ouvert pour examiner le contenu, laissa sans doute
pénétrer quelques germes atmosphériques, et la viande jus-
que-là intacte se putréfia rapidement. Il est probable que
l'ozone avait été détruit, absorbé pendant cette période de
18 jours, et qu'en renouvelant la provision d'ozone, la chair
contenue dans le flacon ouvert eût continué à rester intacte.
La même expérience fut faite avec plein succès, sur du lait,
au moyen d'oxygène ozonisé.
M. Boillot se demande si la fermentation très rapide que
le lait et d'autres substances alimentaires subissent en temps
(1) A. Boillot, Note concernant Vaction de l'ozone sur les substances
animales {Comptes Rendus de l'Académie des sciences, 13 décembre 1873,
p. 1,238).
318 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
d'orage, ne tiendrait pas à des changements brusques dans
les proportions de l'ozone contenu dans l'air à ce moment.
C'est également à l'ozone qui se dégage de l'éther azoteux
éthylique, que M. Peyrusson (1) attribue les propriétés
désinfectantes de cet agent.
Des expériences récentes de M. Chapuis (2) semblent
démontrer que l'ozone jouit de la propriété de détruire les
germes capables de déterminer les fermentations, les pu-
tréfactions et le développement des moisissures. M. Cha-
puis recueille les poussières de l'air sur des tampons de
coton, et soumet quelques-uns de ces tampons, dans un
tube, à l'action d'un courant d'air ozonisé; d'autre part,
il ensemence des solutions aseptiques de levure de bière
avec les boules de coton soumises ou non au courant d'ozone.
Dans les flacons où l'on introduit les tampons de coton pu-
rifié par l'ozone, le liquide reste encore limpide au bout de
20 jours ; au contraire, dans ceux où l'on a porté les tam-
pons traversés par de l'air ordinaire, le liquide devient très
trouble au bout de peu de jours.
M. Chapuis croit voir dans ces résultats l'explication de
ce fait qui a été souvent signalé, à savoir que les variations
de l'ozone sont parallèles avec les variations de l'état hy-
giénique d'une localité. Il se demande si des expériences
faites sur des germes morbides ne prouveraient pas que
cette action destructive et désinfectante de l'ozone s'exerce
également sur les organismes virulents.
Schœnbein, dès 1844, préparait l'ozone en plaçant de
petits fragments de phosphore dans une cupule au fond
d'un large flacon à 2 tubulures ; au bout de quelques jours,
on remplissait d'eau le flacon qu'on vidait ainsi de l'air
ozonisé. Les tubes ozônisateurs décrits par Houzeau en
(1) Peyrusson, Sur Vaclion désinfectante et antiputride des vapeurs de
Vélher azoteux [Comptes Rendus de V Académie des sciences, 28 février
1881, p. 492).
(2) Chapuis, Aciicn de Vozône sur les germes contenus dans V air (Bulle-
tin de la Société chimique, 1881, p. 290).
OZONK. 319
18"0 sont une application très pratique du procédé de
production de l'ozone par les décharges électriques dans
l'air; l'appareil de Siemens destiné à cet usage est en effet
très coûteux et peu portatif. Houzeau a encore préparé
l'ozone à l'aide du bioxyde de baryum. Les premières par-
tics du gaz qui se dégage par l'action de l'acide sulfuri-
•que très concentré contiennent de l'ozone.
On a proposé un grand nombre de moyens pour obtenir
à volonté la production d'une quantité supérieure d'ozone
•dans les locaux, les salles de malades qu'on veut désinfecter.
Un des premiers, en France, M, Delahousse (1) a indiqué
■d'après M. Le Roux le moyen de dégager artificiellement
dans les salles une quantité faible , mais continue , de
•cet agent de combustion. Presque tous les systèmes pro-
posés reposent sur le même principe. On contourne un fil
de platine en spirale à spires rapprochées ; on place au-
dessus un entonnoir renversé ; quand le fil de platine de-
vient incandescent par le passage du courant électrique à
l'aide d'un simple élément de Bunsen, on sent immédiate-
ment au-dessus de l'entonnoir l'odeur spéciale de l'ozone,
•et le papier iodé donne la réaction caractéristique. L'en-
tonnoir renversé n'a ici qu'une bien faible utilité, il ne
sert qu'à favoriser le contrôle. Sans doute pour éviter le
•dégagement d'acide hypoazotique dans les salles, on a pro-
posé de placer les piles dans une chambre voisine, et à
J'aide d'un entonnoir dont l'extrémité amincie est recour-
bée et traverse la cloison, de diriger l'ozone dans la salle
■occupée par les malades.
Quel que soit le moyen préféré pour produire le dégage-
ment d'ozone, il serait toujours facile d'obtenir ce résultat.
Il est regrettable qu'il n'existe encore aucune observation
rigoureuse, démontrant que cette ozonisatian artificielle
soit réellement profitable aux malades.
(1) Delahousse, De l'ozonisatioii artificielle, {Ga:. des hâp. 23 mars
1862, p. 131.)
320 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
M. Houzeaua décrit un petit appareil, qu'il appelle ozo-
niseur, et qui permet de produire jusqu'à 188 milli-
grammes d'ozone par litre de gaz et par appareil. Celui-ci
consiste en une spirale de fer métallique placée dans l'in-
térieur d'un tube de verre; cette spirale communique, à
l'aide des rhéophores d'une bobine d'induction, avec une
armature extérieure en étain ou en platine. L'air, au con-
tact du tube, se charge ainsi d'une certaine quantité
d'ozone ; les divers modèles de cet appareil sont figurés
dans le Dictionnaire de chimie de Wurtz (art. Ozône).
M. Lender (Annales de Polli, 1875) a proposé le pro-
cédé suivant pour obtenir de l'ozone et désinfecter les
salles de malades. « On mélange du bioxyde de manga-
nèse, du permanganate de potasse et de l'acide oxalique.
Ce mélange, mis au contact de l'eau, produit instantané-
ment de l'ozone. » M. Personne (Gazette hebdomadaire
1876, p. 113) a expérimenté ce procédé ; il n'a jamais
obtenu qu'un vif dégagement d'acide carbonique , sans
aucune trace d'ozone, et la théorie indique, d'après M. Per-
sonne, qu'il ne peut se produire autre chose ; d'ailleurs la
température s'élève à un tel degré, par la vivacité de la
réaction , que l'ozone serait nécessairement détruit, s'il
s'en produisait. La vivacité de la réaction est même telle
que si on faisait ie mélange et l'humectation dans un
ballon, il se produirait des accidents par la forte expansion
du gaz et de la vapeur d'eau. L'accident que Personne pré-
voyait en 1876 s'est réalisé tout récemment. La poudre
de Lender est préparé de la manière suivante :
Peroxyde de manganèse j
Permanganate de polasse . . . . / aà parties égales.
Acide oxalique pulvérisé )
On verse sur une assiette deux cuillerées à café de cette poudre, qu'on
numectc de temps en temps avec un peu d'eau. Cette dose suffit pour
une chambre de moyenne grandeur.
MM. Duchesne et Michel (1) avaient très prudemment fait
(1) Duchesne et Michel, De la préparation de l'ozone artipeiel, commu-
0Z0^■|•. 3-21
préparer le niélaiigc avec une spatule, sans employer le
mortier ; la poudre était placée dans un flacon depuis cinq
minutes, lors(iue tout à coup une explosion violente eut
lieu et le vase fut brisé en mille morceaux.
Les mêmes auteurs relatent un accident semblable sur-
venu dans un laboratoire, où le pharmacien préparait un
llacon destiné à des inhalations d'ozone. Dans un ballon
d'un demi-litre, on avait versé une certaine quantité de
permanganate de potasse ; une des tubulures du ballon re-
cevait un entonnoir rempli d'acide sulfurique, qu'une tige
de verre laissait couler goutte à goutte sur le permanga-
nate ; une autre tubulure recevait un insuftlateur à deux
boules, à l'aide duquel on expulsait au dehors les vapeurs
violettes très abondantes qui se formaient. Tout d'un
coup une explosion formidable se fit entendre ; le b.allon
disparut en poussière, deux vitres furent perforées comme
par des balles ; les opérateurs eurent leurs vêtements brû-
lés par l'acide. L'appareil avait déjà fonctionné plusieurs
ibis au lit des malades (des enfants atteints du croup) ;
on frémit quand on songe aux accidents qu'il aurait pu
produire. La matière organique détachée des bouchons, le
soufre du caoutchouc, ont peut-être provoqué cette explo-
sion en se décomposant par le permanganate. Il faut
connaître le danger de ces mélanges destinés à la produc-
tion artificioUe de l'ozone, et se méfier des formules nou-
velles qui pourraient être données dans ce but.
A l'occasion d'une présentation faite à l'Académie des
sciences , en i8"î6, par M. de Carvalho, d'un procédé
d'ailleurs très primitif d'assainissement des appartements
par l'ozone, M. P. Thénard a attiré l'attention sur l'action
toxique de cet oxygène (1).
nicalion à la Sociclo de màlccinc praliquo {France médicale, 27 octobre
18S1, p. o9:>.)
(1) ïhôuard, Comptes rendus de V Académie des sciences, Séance du
10 janvier 1876.
Valli.v. — Di:siM T.crAMs. 21
322 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
« Il est grandement temps, dit M. Thénard, de mettre le
public et même les savants en garde contre les légendes
répandues sur l'ozone. L'ozone est un des plus énergiques
poisons dont sont dotés nos laboratoires ; les très graves
accidents qu'il a produits dans le mien ne laissent aucun
doute à cet égard. M. Arnould Thénard doit publier bientôt
un travail sur ce sujet. Sous l'influence de Tozône, et à
des titres extrêmement faibles, il a reconnu que les glo-
bules du saiig se contractent rapidement et même chan-
gent de forme ; que le pouls se ralentit au point que celui
d'un cochon d'Inde, battant normalement 148 pulsations,
tombe à une trentaine au bout d'un séjour d'un quart
d'heure, répété une fois par heure, pendant cinq heures
consécutives. Aujourd'hui que la médecine tire de si sé-
rieuses indications du changement de température chez
les malades, elle trouvera dans l'application de l'ozone un
moyen d'en combattre les excès ; mais de cette espérance
à jeter à tort et à travers de l'ozone dans les lieux habités,
sous prétexte d'en combattre les miasmes, il y a loin.
Est-on d'ailleurs bien assuré que l'ozone existe dans l'at-
mosphère? M. Wittmann, en projetant de l'air à travers
une flamme de lampe à émailleur, obtient un air qui agit
sur le papier ozônométrique comme l'ozone lui-même ; or,
tandis que cet air désinfecte, sans les acidifier sensible-
ment, les flegmes de mauvais goût, l'ozone ne les désin-
fecte pas et les acidifie ; de plus, tandis que l'ozone ne ré-
siste pas à une température de 200 degrés, l'air modifié
de M. Wittmann s'engendre dans un milieu qui ramolli-
rait le verre, b
Les observations et les expériences directes de Schœn -
bein sur lui-même en 4851 , celles de Ireland d'Edim-
bourg (Annales d'hygiène, T. XIX, p. 439), de Bœckel en
1856,de Schwartzenbachenl850,de Desplats en 1857, ont
fait voir que des doses un peu fortes d'ozone (plus de
1 dix millième) sont nuisibles pour les organes respira-
PERMANGANATE DE POTASSE. 323
toircs; toutefois Ireland croit qu'une dose bien plus élevée
peut être supportée sans souffrance par de gros animaux.
J. Barlow (l) a confirmé par des expériences l'exactitude
des assertions de Ireland, Richardson, Schwartzenbach,
Redfern, Dewar, Day, etc., sur les propriétés irritantes;
de l'ozone. L'ozone diminue le nombre des respirations et
des battements du cœur ; il irrite fortement la muqueuse
respiratoire, et l'animal peut mourir par asphyxie ou par
bronchite suivant la dose contenue dans l'air ; le séjour pen-
dant 1 heure dans une atmosphère qui contient 1 pour 100
d'ozone peut amener une bronchite mortelle. L'air ozo-
nisé, mis au contact direct avec le sang, décolore les
globules rouges (sans doute par la combinaison de l'ozone
avec l'hémoglobine) ; mais il n'est nullement prouvé que
l'ozone pénètre dans le système circulatoire. Il ne faut donc
point exagérer la nocuité de cet agent, ni méconnaître les
services qu'il peut rendre.
Permanganate de potasse. — Les permanganates alcalins
sont à la fois désodorants, antiseptiques et anti virulents,
puisqu'ils décomposent et détruisent la matière organique
inoculable ou infectante. Nous les rangerons dans le der-
nier groupe, la propriété la plus puissante entraînant en
quelque sorte les autres..
Le permanganate de potasse est soluble dans lo à
16 parties d'eau froide. Il est évident qu'on ne doit jamais
l'employer que dissous dans de l'eau distillée et à l'abri de
l'air, puisqu'il abandonne de l'oxygène aux matières orga-
niques et les brûle en se décolorant. Il est caustique à doses
très concentrées ; Réveil donne les titres suivants : caus-
tique faible, 8 0/0; moyen, lo 0/0 ; fort, .60 grammes de
sel dans 100 grammes d'eau distillée. On n'emploie le per-
manganate comme désinfectant qu'à des .doses très fej-
(i) J. Da.rlow, The physiological action ofozonised air (Jounia? ofAnaf.
andPhijsioL, 1879, et Revue de Hayem, T. XVI, p. 80.)
324 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
bles (1 à 10 pour 1,000); on peut donc négliger dans la
pratique son action légèrement caustique. A l'intérieur, il
a été employé sans inconvénient à des doses journalières
de 50 centigrammes à 1 gramme ; il n'est donc pas toxi-
que.
Le permanganate représente en quelque sorte de l'oxy-
gène condensé en combinaison solide, suivant une figure
heureuse de M. Jeannel, et l'abandonnant avec une faci-
lité extrême; il détruit la matière organique en formant
de l'eau et divers acides oxygénés, par la combinaison de
son oxygène avec l'hydrogène et le carbone de ces ma-
tières. En se détruisant ainsi lui-même, il se décolore, et
cette décoloration accuse et mesure la quantité de matière
organique qui lui a enlevé ou à laquelle il a fourni de
l'oxygène.
Un grand nombre de chimistes et de savants, Monier,
Smith, Ramon de Luna, Forchammer, Lubold, Réveil et
Roger, l'avaient déjà employé à la détermination des ma-
tières organiques de l'air. Mais c'est Condy (1859) qui pa-
raît l'avoir proposé le premier pour la désinfection de
l'air; le mémoire de Condy. présenté par Roudet à l'Aca-
démie de médecine (17 septembre 1861), a exalté peut-être
outre mesure les propriétés désinfectantes des permanga-
nates alcalins. Les observations faites par les Anglais avec
la liqueur de Condy laissent d'ailleurs souvent à désirer,
parce que cette liqueur, qui est une solution forte de per-
manganate de potasse, renferme des quantités notables de
chlorure de potasse libre, de carbonate de potasse et de
manganate dont l'action désinfectante est presque nulle.
Demarquay (1) a employé avec grand succès les di-
lutions suivantes : il faisait préparer une solution mère
avec 10 grammes de permanganate cristallisé pour 1 litre
d'eau distillée ; on versait 15 à 25 grammes de cette solu-
(1) Demarquay, Du permanganate de potasse comme désinfectant
[Acad. des se, 27 avril 1863.)
PERMANGANATK DR POTASSK. 323
tion dans 100 grammes d'eau ordinaire, pour avoir lui
liquide qui servait à désinfecter les cancers, les abcès pro-
fonds, l'ozène, les pieds fétides, etc. ; ces lotions devaient
être précédées d'un lavage à l'eau et renouvelées plu-
sieurs fois par jour. A peu près à la même époque,
MM. Castex, Réveil (1), Ledreux insistaient sur les avan-
tages et l'action désinfectante puissante de cet agent.
La solution au millième, qui est journellement employée
dans certains services chirurgicaux, désinfecte très bien,
on pourrait presque dire que rien ne lui résiste ; elle est
peu irritante ; mais son action est de courte durée, à
moins qu'on n'emploie une solution contenant un excès
notable de permanganate, retenue dans de la charpie d'a-
miante, ce qui est peu pratique. Les pièces de pansement,
les produits de sécrétion, les miasmes que l'air contient,
épuisent son action au bout de très peu de temps ; il désin-
fecte énergiquement au moment où on l'applique, mais il
n'empêche pas les liquides sécrétés ultérieurement de gar-
der leur virulence.
Le permanganate a l'inconvénient sérieux de tacher for-
tement en rouge-brun la literie, les linges à pansement, la
peau, etc. ; l'altération chimique des tissus est difficile-
ment évitée ; mais on fait disparaître rapidement cette colo-
ration en lavant les linges ou la peau avec une solu-
tion d'acide chlorhydrique à 1 0/0.
J. Dougall, après beaucoup d'expériences, est arrivé à
considérer le permanganate non comme un désinfectant,
mais simplement comme un désodorisant. C'est, dit-il, un
oxydant énergique, prompt et sûr ; mais son action est
limitée ; l'hydrogène sulfuré, le sulfhydrate d'ammoniaque
épuisent et neutralisent rapidement son action. En opérant
sur des selles typhoïdes, il a calculé la quantité de perman-
ganate de potasse qui était nécessaire pour oxyder complè-
(1) Réveil, Formulaire raisonné des médlcdments nouveaux : Pari.-:, IS.jo,
p. 516.
32(5 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
tement les matières organiques ; cette oxydation était con-
sidérée comme complète quand on avait mêlé aux tnatièrës
ssoz de liqueur de Condy potlr que celle-ci conservât
pendant 12 heures sa couleur rouge. En supposant qu'un
typhique rende en 24 heures et pendant 8 jours 20 onces
(570 grammes) de matières fécales et 20 onces d'urine, il
a calculé que, à raison de 1 shilling poUf 8 onces dé
liqueur de Condy, la désinfection des déjections d'iih ty-
phique coûterait 415 francs par semaiiie!
Ces réserves faites sur les difficultés et les inconvénients
de l'emploi du permanganate de potasse, les recherches
récentes ont montré dans quelle mesure il peut être ati-
tiseptique et antivirulent.
Wérnitz a trouvé qu'à la dilution de 1 sur 888, il em-
pêche l'action de l'invertine, à 1 : 10,000 celle de l'émul-
sine, à 1 : 1,570 celle delà pepsine.
Baxter ajoute au vaccin liquide son volume d'Uhe
solution titrée de permanganate de potasse ; tant que le
mélange total ne représente que 1 partie de peimianganate
cristalhsé pour 1,000 parties de liquide, le nombre de vési-
cules obtenues n'est guère moindre à droite qu'à gauche;
quand la proportion du sel atteint 5 fiour 1,000, on
n'obtient plus une seule vésicule aux points inoculés. Le
pouvoir neutralisant du pei'mahgàriate est donc relative-
ment faible, car la solution à 5 pour 1,000 est coûteuse
et déjà un peu irritante.
D'après Baxter, le viras septique est complètement neu-
tralisé et inactif dans une solution de permanganate à
1 sur 2,000 ; mais M. Davaine a trouvé cette action
puissante à une dose encore plus faible, car s'il ne donne
pas le titre minimum de la solution neutrahsante, il dit
que le permanganate détruit le virus septique « à une dose
plus faible que l'acide chromique » qui neutralise déjà à la
dose de 1 p. 3,000!
Au contraire, M. Jalan de la Croix a obtenu les résul-
PERMANGANATE DE I'OTASSE, 327
tats suivants eti ce qtii concerne le permanganate de po-
tasse. Une solution à 1 p. 1,000 dans un liquide de cul-
ture (bouillon) empêche le développement des bactéries
introduites à l'aide d'une goutte de bouillon chargée de
ces protorganismes ; la stérilisation complète, des germes
qui ont été introduits dans ce liquide de cultute n'est ob-
tenue qtie par là dose de 1 p. iOO. Pour tuet' les bactéries
qui vivent daiis du bouillon, il faut ajouter à celui-ci la
dose très forte de 1 sur 150; celle de 1 p. 200 est insuf-
fisante. Le développement spontané des bactéries est em-
pêché dans du bouillon crû abandonné à l'air par la so-
lution à 1 p. 2,000, et dans du bouillon cuit, par la solu-
tion à 1 p. 300, résultat assurément imprévu, et qui fait
songer à une erreur d'expérience ; les germes contenus
dans ces liquides ne sont définitivement stérilisés que par
la solution à 1 p. 100 pour le bouillon cuit, et à 1 p. 35
pour le bouillon crû, chiffres tout d'abord incroyables.
Cette résistance des bactéries, et surtout des corpus-
cules germes, à des doses très élevées d'hypermanganate
s'explique aisément : quand la proportion de matière or-
ganique est forte par rapport à celle du permanganate, ce
dernier se détruit progressivement et rapidement, en aban-
donnant son oxygène aux matières animales, en se trans-
formant en manganate qui est à peu près inerte.
C'est ainsi que nous croyons pouvoir expliquer la très
faible dose (1 p. 4,000) que M. Davaine a reconnue être
suffisante pour neutraliser le virus septique ou charbon-
neux. On se rappelle que M. Dâvaine emploie des dilutions
virulentes extrêmement faibles ; ses liquides d'essais ne
contiennent que 1 à 2 gouttes de virus par litre d'eau dis-
tillée, c'est-à-dire la dose la plus faible qui rende cepen-
dant le mélange inoculable. C'est dans ce virus atténué
au maximum qu'il introduit le désinfectant, et dans le
cas particulier, le permanganate; il n'est donc pas éton-
nant qu'une dose très faible de permanganate suffise pour
3-28 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER,
détruire en l'oxydant la dose si minime de matière viru-
lente. Au contraire, dans le bouillon ou jus de viande qui
sert de liquide de culture à M. Jalan de la Croix, la pro-
vision de désinfectant est rapidement usée ; il ne faudrait
donc pas juger exclusivement par de telles expériences la
valeur neutralisante de ce sel. Son action est très éner-
gique, mais elle s'épuise rapidement; au point de vue pra-
tique, c'est un inconvénient irrémédiable, aussi croyons-
nous que l'hypermanganate rendra bien plus de service
comme désodorisant immédiat que comme neutralisant
des virus.
Acide phénique. — Nous avons déjà vu (p. 158) que l'acide
phénique n'est pas un antiseptique aussi puissant que le
croient certaines personnes. Il a cependant une action
antivirulente réelle qu'il ne faut pas exagérer, mais qu'il
serait injuste de méconnaître.
Les expériences de Baxter font voir qu'en général on s'est
fait quelques illusions sur la valeur désinfectante de l'acide
phénique ; cet acide n'est efficace qu'à la condition d'élever
le titre des solutions bien au-dessus des doses communé-
ment employées dans la pratique journalière ; trop sou-
vent, en effet, on se laisse aller à mesurer le pouvoir d'un
désinfectant par l'odeur qu'il dégage. En expérimentant
sur le virus vaccin, Baxter a vu que si la pis)portion de
l'acide cristallisé dans le mélange vaccinal reste au-des-
sous de 1 p. 100, l'action est nulle; elle n'est certaine
qu'à partir de 2 p. 100. Voici, comme spécimen, l'un des
tableaux de Baxter :
Proportion de l'acide crist. Nombre de vésicules Nombre de vésicules
dans le li((uide obtenues par 3 piqûres obtenues sur l'autre bras,
vaccinal désinfecté. avec le vaccin pur. avec le vaccin désinfecté.
0,23 p. 100 3 3
0,30 — 3 3
1,0 — 3 1
1,0 — 3 3
1.6 — 3 i... 0
ACIDE PHÉMQUE. 329
1,:; - :î 3
l,o — 3 2
12,0 — 3 0
2,0 — 3 0
2,0 — 3 0
Les vésicules obtenues avec le vaccin pur sont volumi-
neuses et très belles, tandis que, cette fois encore, elles
sont petites avec le vaccin désinfecté.
Le D'' Jobn Dougall (1) avait déjà fait des réserves plus
grandes encore sur les propriétés antizymotiques de l'acide
phénique. Il soumit pendant 36 heures sous une cloche
de verre, de la lymphe vaccinale pure à des vapeurs con-
centrées d'acide phénique. Le vaccin, qui s'était desséché,
fut humecté avec un peu d'eau et de glycérine neutre, et
on conserva le liquide dans des tubes capillaires scellés à
la lampe; peu de jours après, cette lymphe inoculée à un
enfant développa des vésicules superbes.
Dougall critique d'ailleurs les expériences par lesquelles
Baxter a cru pouvoir attribuer à l'acide phénique une
action destructive sur l'inoculabilité des virus. Baxter ino-
culait les virus immédiatement après les avoir mélangés
avec des proportions déterminées d'acide phénique, ou
après avoir conservé le mélange dans des tubes capillaires
fermés au chalumeau et complètement à l'abri de l'air; il
n'est pas étonnant que dans ces conditions Baxter ait conclu
que l'addition de 2 parties d'acide phénique cristallisé à
100 parties de lymphe vaccinale détruisait toute virulence.
Mais Dougall ayant remarqué que la lymphe ainsi neutra-
lisée était lactescente par le fait de la coagulation, pensa
que la raison pour laquelle le vaccin restait stérile était
peut-être que les particules infectantes de ce vaccin étaient
recouvertes par la lymphe coagulée qui les entourait; il se
demanda si l'acide libre dans le mélange ne coagulait pas
(1) J. Dougall, Carbolic and Zijmolic diseuses (The Lancet, 30 août
1373, p. 295).
330 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
le sang contenu dans les capillaires ouverts par la lan-
cette inoculatrice, de manière à empêcher l'absorption du
vaccin. Pour contrôler son hypothèse, Dougall mêla 40 par-
ties d'acide phénique déliquescent à 60 parties de lymphe. Il
en fit deux portions, dont l'une fut gardée à l'abri de l'air
et de l'évaporation ; au bout de 2 jours, la portion restée
à l'air libre fut inoculée sans succès à un enfant, lequel,
8 jours plus tard, était parfaitement vacciné avec de la
lymphe pure ; au contraire, la portion abandonnée à l'air
libre et à l'évaporation pendant 15 jours, donna de très
belles pustules vaccinales. Cela montre, d'après lui, que
l'acide phénique se borne à suspendre le pouvoir infectant,
mais qu'il ne le détruit pas.
Mm. Braidwood et Vacher (1) ont présenté, en 1819,
au Congrès de l'Association britannique, le résultat d'expé-
riences presque identiques à celles de Baxter; ils avaient
pour but d'étudier l'action des divers gerraicides sur le
vaccin. Leurs expériences méritent le même reproche que
celles de Baxter : quand ils inoculaient, immédiatement
après sa préparation, un mélange à parties égales de
vaccin et de solution d'acide phénique à 1 p. 100, 70 fois
sur 100 l'inoculation restait négative; cet effet persistait
de 6 jours à dix semaines.
ACTION DES VAPEURS D'ACIDE PHÉNIQUE SUR LE VACCIN DESSÉCHÉ.
Nombre de vésicules Nombre de vésicules
aveo les pointes vierges, avec les pointes désinfectées.
3 1
3 2
3 1
3 3
3 2
2 0
3 0
(1) Braidwood and Vacher, Life-History of Contagiinn {British mé-
dical Journal, 1880 à 1882).
rée de l'exposition
aus
: vapeurs.
5
minutes.
10
—
15
—
20
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ACIDE PHËNIQUE. 3»!
Ils auraient, cilx aussi, obtenu lîii l'csultàt bien difféi'ent,
s'ils avaient laissé le mélange au contactdc l'air et si l'acidë
pliéiiique avait pu s'évaporer ; et cependant, la concefltratioh
de r acide pliéiii(|ue est ici énorme, et on ne peut songé^
à l'employer dans la pratique à lin tel degré.
Sur le vaccin desséché, l'action de l'acide phénique en va-
peurs n'est pas beaucoup plus satisfaisante, (F. tableau pré-
cédent). En opérant sur du suc provenant du broiement de
granulations pulmonaires morveuses, Baxter obtint les ré-
sultats suivants : il mélangea un volume de virus et un vo-
lume de solutidrt d'acide phénique à 4 pouf 100, de telle
sorte que le volume total contenait 2 pour 100 d'acide phé-
nique cristallisé : un âne auquel on inocula le liquide resta
bien portant. Au contraire, Tinoculalion fut suivie d'acci-
dents mortels en diminuant la proportion d'acide phénique :
on avait ajouté à un volume de virus 1 volume de solution à
1 pour 100, soit 0,5 pour 100 du volume total; l'animal
succomba le 12" jour avec des abcès sous-cutanés et intra-
musculaires, des noyaux jaunâtres dans les poumons, etc.
D'après M, Davaine, l'acide phénique, dans la propor-
tion de 1 gramme d'acide cristallisé pour 100 grammes de
la dilution sepiique réduite au minimum d'inoculabilité,
détruit constamment le virus, et les inoculations ne sont
suivies d'ailcun accident. Mais, quand le titre de l'acide
descend à 1/2 pour 100, après une demi-heure de contact,
la virulence persiste et une goutte du mélange injectée à
des lapins amène la mort dans l'espace de 24 à 48 heures.
Baxter est arrivé à des résultats identiques en mêlant
toujours 1 volume de virus avec 1 volume d'une solution
phéniquée plus ou moins concentrée ; il se servait, nous
croyons nécessaire de le répéter, du virus provenant de la
cavité péritonéale d'un cobaye ayant succombé à une péri-
tonite infectieuse. Tantôt cette péritonite était primitive ;
elle résultait « de l'introduction, dans le péritoine, de pus
putride, d'exsudation provenant de chiens morts de septi-
332 ^'EUTRALISANTS EN PARTICULIER.
cémic artificielle , ou d'exsudation péritonéale d'autres
cobayes » ; tantôt cette péritonite était secondaire, elle
était le résultat de l'injection sous-cutanée de produits
infectieux provenant d'autres cochons d'Inde ; dans ce
dçrnier cas, le virus avait traversé plusieurs générations
d'animaux et sa virulence était beaucoup plus grande.
Le liquide septique recueilli dans la cavité péritonéale
était mélangé avec une quantité bien déterminée de sub-
stance désinfectante, et après un contact d'une durée va-
riant de 30 minutes à 3 heures, le mélange était injecté
sous la peau de cobayes avec la seringue de Pravaz :
mais pour Baxter, la durée du contact n'a qu'une impor-
tance insignifiante ; car , d'après lui , la neutralisation est
complète au bout de 5 minutes, pourvu que le mélange
ait été intime. Les expériences de Baxter ont porté sur
14 lapins ou cobayes répartis en cinq séries.
2 gr. d'acide crist. pour 100 du volume tolal : Virus inerte
1 gr. — — — Virus inerle
0 gr. 50 — — — Mort au bout de 18 et
de 48 heures.
Nous avons vu que la dilution septique employée par
M. Da vaine est incomparablement plus faible que celle de
M. Baxter ; ce dernier se sert de la lymphe inflammatoire
presque pure, tandis que le premier fait usage d'une dilu-
tion à 1 p. 10,000. Il peut donc paraître surprenant que
dans des conditions aussi différentes, la même proportion
(1 p. 100) d'acide phénique neutralise également les deux
virus. L'explication nous paraît facile : dans ces liquides
virulents ou pseudo- virulents, la quantité du virus lui-
même importe moins que la concentration de la solution
acide ou saline dans laquelle il est contenu. Que l'on
prenne 100 grammes d'eau distillée, qu'on y mêle une
goutte de sang septique, puis qu'on y dissolve 1 gramme
d'acide phénique cristallisé ; supposons que le virus soit
ACIDE PHÉNIUUE. 333
parfaitement neutralisé clans cette dilution à 1 p. ^,000.
N'est-il pas probable que si on ajoute une nouvelle goutte
de sang septique au mélange, la même dose d'acide con-
tinuera à neutraliser le virus, bien que la proportion de
ce dernier soit devenue double (1 p. 1,000)? Au contraire,
on peut ramener cette dilution de 1 p. 1,000 au titre pri-
mitif de 1 p. 2,000 en y ajoutant 100 grammes d'eau pure,
en doublant par conséquent son volume; il est probable
que dans ce cas le résultat de la désinfection serait fort dif-
férent, et que 1 gramme d'acide phénique dans 200 gram-
mes de liquide ne suffirait plus pour neutraliser cette dilu-
tion du virus à 1 p. 1,000.
On le voit donc, ce qui importe ce n'est pas le rapport
entre la quantité du virus et la quantité de l'agent neu-
tralisateur ; c'est bien plutôt le rapport entre la quantité
de cet agent et la masse du véhicule dans lequel est diluée
une quantité variable du virus. Dans le cas particulier, il
est probable qu'un mélange de 1 gramme d'acide phénique
et de 100 grammes d'eau forme un milieu dans lequel
100 vibrions ne peuvent pas plus vivre que 50 vibrions,
dans lequel 50 centigrammes de matière albuminoïde ne se
coagulent pas moins que 25 centigrammes de la même
substance. Dans la pratique de l'hygiène, on ne sait jamais
quel est le degré de concentration du liquide virulent
qu'on cherche à neutraliser ; ce qu'il faut connaître, c'est
le degré de concentration que doit avoir un liquide désin-
fectant pour dénaturer et détruire toutes les particules de
virus en contact avec lui.
Z.-U. Dreyer, de Rostock (1) est arrivé à des résultats
peu différents. Il inoculait trois gouttes de sang septique
provenant d'un animal mort le 2^ jour à la suite de l'injec-
tion de sang putride. Sur un animal témoin, le sang fut
injecté pur et amena la mort au bout de 4 heures. Trois
(1) Z.-U. Dreyer {Ueber die zunehmende Yirulenz der septischen Glftes
Archiv fur experimentelle PathoL, 187^, 2' vol., p. 150-182).
33<i NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
gouttes du même sang furent diluées dans 6 centimètres
cubes de solution phéniquée à 2 0/0 ; le résultat de l'ino-
culation fut nul ; il en fut de même avec une dilution à
3 0/0.
Pour le virus charbonneux, M. Davaine employait une
dilution de 1 goutte de sang charbonneux dans 100 gouttes
d'eau distillée; tandis qu'une seule goutte de ce mélange
injectée sous la peau d'un cobaye amenait fatalement la
mort, il fallait que la proportion d'acide phénique dans le
mélange fût de 1 0/0 pour que l'inoculation devînt stérile.
Il convient ici de le rappeler, Dougall prétend que dans
ces conditions l'action neutralisante de l'acide phénique est
passagère ; l'acide ne détruit pas définitivement la vitalité,
l'activité des germes ou des virus ; dès que ce corps très
volatil s'est évaporé, le virus redevient actif. Pettenkofer
a même prétendu que l'acide phénique n'est qu'un simple
coagulant ; il englobe dans un magma d'albumine coagulé
les corpuscules virulents, et ceux-ci seraient capables de
reprendre leur activité dès qu'on ajoute de l'eau qui redis-
sout le coagulum et après que tout l'acide phénique a dis-
paru par volatilisation.
Il est donc prudent de ne pas trop compter sur les
doses même assez fortes d'acide phénique pour détruire
l'inoculabilité des virus. Que penser, par conséquent, de ceux
qui se contentent de répandre quelques gouttes de solution
phéniquée au millième ou un peu de sciure de bois phé-
niquée, pour désinfecter et rendre inoffensive la chambre
d'un varioleux ? Un moyen plus puissant consiste à faire
volatiliser sur une plaque de fer rougie des cristaux
d'acide phénique. Mais dans ce cas encore la dose doit être
considérable ; d'après certains auteurs, elle ne serait pas
moindre que 1 kilogramme pour une chambre de 50 mè-
tres cubes.
Suc DE FEUILLES DE NOYER. — Dans un travajl expérimen-
FEUILLES DE NOYER. 338
tal très riche en indications précises, et que nous avons
déjà bien des fois cité, M. Davainc (1) n'a pas dédaigné d'ex-
périmenter l'action antiviriilente d'un agent réputé inoffen-
sif, le suc de feuilles de noyer. Déjà Nélaton, au nom de
M. le D"" Raphaël, avait signalé à l'Académie de médecine
(19 septembre 1857) l'efficacité des cataplasmes de feuilles
de noyer dans les cas de pustule maligne ; on avait ac-
cueilli cette assertion avec incrédulité et même avec un
peu de dédain; on s'étonnait presque que Nélaton, si sobre
de présentations à l'i^cadémie et d'ordinaire si réservé, se
compromit en présentant cette recette composée à l'aide de
simples. L'on sait, d'ailleurs, que certains animaux para-
sites, et en particulier les punaises, ont une grande répu-
gnance pour l'odeur de noyer, et que la présence de ces
feuilles fraîches chasse assez bien ces exécrables parasi-
tes. M. Davaine a contrôlé sans parti pris les assertions
de M. Raphaël : il a broyé dans un mortier des feuilles
fraîches de noyer avec du sang charbonneux très viru-
lent. Sur sept animaux, au bout de 26, de o heures, et
même d'une demi-heure de contact, il a inoculé quel-
ques gouttes exprimées de ce mélange ; les cobayes ino-
culés restèrent bien portants. Le résultat est assurément
surprenant ; le grand talent d'expérimentateur de M. Da-
vaine ne permet pas de nier un tel résultat ; il serait utile
cependant que ces recherches fussent renouvelées et con-
trôlées.
MM. Ch. Talamon et P. Dérignac (2) les ont toutefois
récemment confirmées. Quelques gouttes d'une décoction
de feuilles de noyer, qui leur avait été remises par M. Ra-
phaël, ajoutées au bouillon Liebig, ont empêché tout dé-
(1) Davainc, Recherches sur le traitement des maladies charbon-
lieuses chez l'homme. {Bulletin de F Académie de médecine, séance du
27 juillet 1880, p. 757.)
(2) Talamon et Dérignac, Deux cas de charbon chez l'homme étudiés
suivant la méthode de Pasteur, (Revue de médecine, T. L, p. 408, 1881.)
336 NEUTRALISANTS EN PARTICULIER.
veloppement des bactéridies semées dans ce liquide, et le
ballon est resté limpide.
Cette liste pourrait être augmentée d'un grand nombre
d'agents dont la valeur neutralisante est encore trop incei^-
taine pour qu'on s'y arrête dès aujourd'hui. Mais la voie
est tracée, l'expérimentation thérapeutique est à l'ordre du
jour, et nous avons le ferme espoir que d'ici quelques
années l'on aura réalisé dans cette direction des progrès et
des découvertes dont on peut déjà prévoir l'importance.
LIVRE DEUXIÈME
DE LA DÉSINFECTION
Passer en revue toutes les applications des désinfectants
à la clinique et à l'hygiène publique ou privée, c'est entre-
prendre une tâche considérable et toucher à presque toutes
les parties de l'hygiène. Nous devons nous borner ici à tra-
cer un cadre qui permette de mettre sous les yeux du lecteur
les ressources, les procédés et même les formules qu'il peut
avoir besoin de consulter pour chaque cas particulier. Nous
adopterons les grandes divisions suivantes :
Désînfectio7i nosocomiale : désinfection de la lésion, du
malade, des locaux, du matériel, des effets et de la lite-
rie, des moyens de transport, du personnel médical.
Désinfection quarantenaire : Désinfection du navire, des
marchandises, des passagers.
Désinfection vétérinaire.
Désinfection des aliments et des boissons.
Désinfection des habitations collectives et privées.
Désinfection industrielle.
Désinfection municipale.
Désinfection du sol, des champs de bataille, etc.
Ce plan est assurément loin d'être complet, mais il nous
paraît capable de rapprocher les choses comparables ; il per-
mettra sans trop de peine de trouver les renseignements
dont on a besoin dans la pratique.
Vallix. — 'Désinfectants. 22
333 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
CHAPITRE I.
DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
A la faveur de cette expression bien définie et très com-
préhensive (votroç, maladie ; xo[jt.£tv, soigner), nous réunissons
toutes les questions qui concernent la désinfection du
malade et des objets qui l'entourent, aussi bien à l'hôpital
que dans le traitement à domicile.
ART. I". — DÉSINFECTION DES PLAIES OU DE LA LÉSION.
Ce serait sortir de notre cadre que de décrire ici les
pansements désinfectants , et particulièrement les panse-
ments antiseptiques qui ont transformé, on peut le dire, la
thérapeutique chirurgicale. Ce qui fera la gloire de Lister,
ce n'est pas le pansement qui porte son nom, c'est un fait
bien plus général : c'est l'effort couronné de succès par
lequel il a réussi à transformer la méthode de pansement
de tous les chirurgiens. Sans doute, il n'a rien inventé:
avant lui Chassaignac faisait les pansements rares ou par
occlusion ; avant lui Lemaire pansait toutes les plaies avec
l'acide phénique. Lister a eu l'heureuse fortune et le talent
d'entraîner derrière lui tous les chirurgiens dans une voie
nouvelle; des succès inouïs jusqu'ici les ont encouragés à
persévérer; les procédés changeront, la méthode restera.
Le grand principe de la méthode antiseptique est d'empê-
cher les parties exposées à l'air d'être souillées par les ger-
mes suspendus dans l'atmosphère et aussi d'empêcher les
liquides sécrétés de subir la décomposition putride ou autre ;
elle comprend donc à la fois l'occlusion (A. Guérin) et, l'em-
ploi des agents antiseptiques (pansement de Lister). Nous
DÉSINFECTION DES PLAIES OU DE LA LÉSION. 339
nous contenterons d'énumérer les pièces qui composent le
traitement antiseptique, suivant la méthode actuelle de
Lister.
Le lavage de la peau du malade, des mains des opéra-
teurs, des instruments, des éponges, doit être fait avec la
solution phéniquée forte (à S p. 100), exceptionnellement
avec la solution faible (à 2,5 p. 100), Le pansement se fait
sous un nuage de solution phéniquée pulvérisée, qui frappe
la région malade, les pièces de pansement, les mains des
aides et détruit les germes dans l'atmosphère qui avoi-
sine la plaie. Le pansement se compose des pièces sui-
vantes, en allant de la plaie vers l'extérieur :
A. La protecUve, étoffe de soie verte mince, sorte de taf-
fetas gommé, revêtu de vernis copal et de dextrine, absolu-
ment imperméable à l'acide phénique, et destiné à protéger
la plaie ; on lave le morceau de tissu dans la solution phé-
niquée faible avant de l'apphquer.
B. Par dessus, on place 8 feuillets de gaze antiseptique,
humectée die solution phéniquée faible ; cette gaze est obte-
nue en l'imprégnant de résine et de paraffine phéniquée.
C. Entre le T et le 8* feuillet de gaze antiseptique, on
place le Mackintosh ou imperméable, tissu de coton de cou-
leur rose, revêtu d'une couche mince et souple de caout-
chouc ; cette pièce peut servir pour plusieurs pansements ,
mais il faut chaque fois la laver avec soin dans de l'eau
savonneuse, puis la laisser séjourner quelques heures dans
une solution phéniquée forte.
D. Le tout est fixé avec quelques bandes de gaze anti-
septique, et l'on peut même, pour empêcher toute pénétra-
tion de l'air et des germes dans les interstices des couches,
serrer le pansement à son bord supérieur et à son bord
inférieur par des bretelles bouclées en tissu élastique.
Comme les accidents d'intoxication par absorption d'acide
phénique ne sont pas rares, Lister vient de substituer à
la gaze phéniquée la gaze imprégnée d'essence d'eucalyptus-
S40 DÉSINFECTION NOSOGOMIALE.
en dissolution dans le baume de Dammar et la paraffine (1).
Certains chirurgiens remplacent l'acide phénique par l'acide
borique ou l'acide salicylique à saturation, le chlorure de
zinc (8 p. 0/0), le sulfite de soude, le thymol, l'essence de
gaultheria ou de wintergreen dissoute dans l'alcool, et par
l'alcool lui-même employé en irrigation continue ou in-
termittente. Quant au pansement par occlusion (panse-
ment rare, au diachylum,deChassaignac, pansement ouaté
d'A. Guérin), nous n'avons pas à nous y arrêter ici.
La méthode de Lister, et à plus forte raison celle de
A. Guérin, sont surtout préventives ; elles empêchent l'in-
fection de se produire bien plus qu'elles ne la détruisent
quand elle a eu lieu ; elles sont antiseptiques, non désin-
fectantes.
Les lésions locales, plaies ou ulcères, réclament souvent
la désinfection proprement dite, soit qu'on veuille sim-
plement détruire leur mauvaise odeur et prévenir la ré-
sorption possible de liquides putrides, soit qu'on cherche
à neutraliser les principes virulents sécrétés par la plaie :
1° Nous prendrons comme exemple du premier cas ;
la gangrène, le cancer, Vo%ène, Vempyème, etc.
Il y a, en général, trois indications à remplir : 1° nettoyer
rigoureusement la plaie ; 2° empêcher, à l'aide d'antisepti-
ques, les liquides fraîchement sécrétés de se décomposer ;
3"^ absorber, désodoriser les émanations ou les liquides dont
la fermentation n'aura pas pu être évitée. Il faut, en outre,
ne pas employer de substances capables d'irriter les sur-
faces vives, qui sont souvent très douloureuses.
Depuis plusieurs années que nous étudions spécialement
la désinfection et les désinfectants, nous nous assurons
de plus en plus, par l'expérience au lit du malade, que si
l'on rencontre, dans certains cas, une grande difficulté à
faire cesser l'odeur infecte d'une plaie, c'est que cette plaie
(1) Lister, Eucalyptus globulm as an AntisepHc (The Lancet, 21 mai
1881, p. 837).
DÉSINFECTION DES PLAIES OU DE LA LÉSION. 341
a été mal nettoyée. Il ne s'agit pas ici d'un nettoyage,
d'un lavage banal, qui ne fait jamais défaut; il y a, entre
le nettoyage que nous croyons indispensable et celui qui
se pratique journellement, la même différence qu'entre le
rinçage d'une bouteille et la purification d'un ballon de
Pasteur destiné à préparer un liquide de culture asepti-
que. S'il reste dans les anfractuosités d'un ulcère cancé-
reux qui bourgeonne la moindre parcelle du putrilage an-
cien, la moindre cellule de ferment putride développée
sous le pansement de la veille, les antiseptiques, même
puissants, seront incapables d'empêcher l'ensemencement
des liquides récemment sécrétés; leur décomposition est
inévitable,
La première condition de toute désinfection est donc le
lavage complet, et le procédé le plus pratique, quand la
région ou le degré de sensibilité le comportent, c'est l'ir-
rigation par le jet d'un grand irrigateur ; le liquide ainsi
projeté peut être additionné d'une des substances anti-
septiques dont nous allons parler tout à l'heure. Mais ce
premier lavage doit être complété par la pulvérisation, sur
la partie malade, d'une solution de pei^manganate de po-
tasse dans l'eau distillée. Nous oserions dire que peu de
plaies infectes résistent à ce traitement : il a réussi entre
nos mains alors que tous les autres moyens avaient échoué.
La solution au 4,000'' est généralement suffisante; on peut
la porter sans peine à 4 p. 1,000; dans des cas exception-
nels, on peut être obligé de réduire la solution à 50 centi-
grammes de permanganate de potasse solide pour 1 litre
d'eau distillée. Il faut avoir soin de ne faire préparer qu'une
faible quantité de solution à la fois, au plus 200 grammes,
pour éviter la réduction par l'air dans des flacons sou-
vent débouchés ou dans le pulvérisateur (exclusivement
en verre) où l'air se renouvelle pendant l'opération. Pour le
lavage d'une plaie de moyenne étendue, comme la région
mammaire, on n'use guère plus de 30 à 40 grammes de
;.i2 DESLNFECTION NOSOCOMIALE.
liquide ; la pulvérisation ne doit être arrêtée que lorsque
toute trace d'odeur putride a disparu et est remplacée par
l'odeur métallique et atramantaire du permanganate; l'opé-
ration doit être renouvelée au bout de 12 heures. Le linge
taché sera assez bien nettoyé avec une solution très faible
d'acide chlorhydrique. Le même effet désinfectant peut être
obtenu par les solutions d'hyposulfite de soude, à 1 pour 10,
employées avec succès par M, Burgraeve de Gand, par
M. Hervieux, etc.
La plaie étant ainsi rendue momentanément aseptique,
c'est-à-dire dépourvue de tout germe septique, il faut em-
pêcher les liquides fermentescibles qu'elle sécrète inces-
samment de se putréfier par le fait de la chaleur du
corps. C'est le rôle des antiseptiques. Tout dépend ici de
la sensibihté parfois extrême des parties. L'acide borique,
même en solution saturée (4 p. 100), est parfaitement sup-
porté par les tissus ; le chloral, qui calme assez bien
les douleurs lancinantes et profondes, détermine de la
cuisson sur les excoriations superficielles : la solution à 2
et même 4 0/0 est généralement tolérée. L'acide phénique
en solution faible (2,5 pour 100), ou dans des cas excep-
tionnels en solution forte (5 pour 100), retarde beaucoup
la putréfaction ; pulvérisée, elle est parfois anesthésiante,
mais elle a une odeur désagréable; elle amène, dès que la
surface absorbante est étendue, le premier degré d'empoi-
sonnement caractérisé par la teinte noire de l'urine.
L'huile ou la glycmne phéniquée, même en solution forte
(de 5 à 10 d'acide cristallisé 0/0 d'huile) est d'ordinaire
tolérée par des plaies qu'irritent des solutions aqueuses
à 2, 5 p. 100. Il faut dans ce cas, pour s'opposer à la vo-
latilisation de l'acide, appliquer directement sur la plaie
un ou deux feuillets de papier dit de soie imbibé d'huile,
puis recouvrir avec de la ouate et du taffetas gommé. L'eau
de Labarraque, l'éponge imbibée de solution d'hypochlo-
rite de soude laissée sur la plaie (Hervieux), les solutions
de sulfite de soude, etc., rendent aussi des services.
DÉSINFECTION DES PLAIES OU DE LA LÉSION. 343
11 reste une troisième condition à remplir : absorber les
miasmes et les liquides, désodoriser les produits dont les
antiseptiques n'ont pu empêcher la décomposition. Le char-
bon vient ici à un très bon rang, sous forme de sachets
remplis de charbon de bois finement pilonné, de papier
carbonifère, de charpie et d'épongé carbonifères de Pichot
et Malapert : cet adjuvant est toujours bien supporté ; le
contact de l'éponge, en particulier, est très doux, et les flo-
cons très légers d'épongé fine et r^ée pénètrent dans
toutes les anfractuosités. La poudre de Corne et Demeaux
(plâtre fin, 100 parties; coaltar ou goudron de houille,
1 à 3 parties), qui a eu une grande vogue il y a lo ans,
absorbe les liquides et fait disparaître momentanément
l'odeur; mais elle forme un enduit lourd et rigide, mal
supporté par les plaies, et qui rend celles-ci difficiles à
nettoyer.
La poudre d'amidon ou delycopode, additionnée d'une
quantité variable (5 0/0) d'acide borique ou sahcylique,
peut être appliquée sur les excoriations superficielles et
d'ordinaire très fétides de l'intertrigo, etc. Chalvet (1) re-
commande, pour le pansement des plaies fétides, le moyen
suivant : il applique directement sur la plaie une feuille
de papier au charbon, trouée et imbibée de glycérine ; il
superpose une couche de charpie carbonifère ; puis il re-
couvre avec des lames minces d'ouate, entre lesquelles il
emprisonne quelques pincées de chlorure de chaux sec. La
disposition paraît excellente.
Certaines plaies exhalent une odeur fade et nauséabonde
qui résiste à la plupart des désinfectants ; dans ces cas, le
suc de citron fait quelquefois disparaître assez rapidement
la mauvaise odeur. 11 est difficile cependant de ranger le
suc de citron parmi les désinfectants, mais voici l'explica-
tion qu'on pourrait donner de ce phénomène : certaines
(1) Chalvet, Des désinfectants et de leurs applications à la théraptu-
tique et à l'hygiène [Mém. de VAcad. de méd., 186a, T. XXVI, p. iT6.)
3ii DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
plaies fétides auxquelles nous faisons allusion sécrètent des
liquides à réaction alcaline; n'est-il pas vraisemblable, ou
tout au moins possible, que dans ce milieu alcalin se dé-
veloppent, se cultivent, certains protorganismes de la pu-
tréfaction à odeur particulièrement nauséeuse? En chan-
geant, par l'application d'un suc acide, la réaction et la
nature du liquide de culture, ces protorganismes meu-
rent, et avec eux disparaît la cause de la mauvaise odeur.
Chalvet raconte qffe Guersent prescrivit devant lui, dans
un cas de nécrose du maxillaire inférieur avec fétidité re-
poussante, des injections fréquentes avec de l'eau de feuilles
de noyer. Quelques jours après, non seulement l'odeur in-
fecte de la bouche avait cessé, mais le malade qui présen-
tait des signes d'un commencement de résorption putride,
avait repris les apparences d'une santé meilleure, bien que
le séquestre ne fût pas encore éliminé. Nous rappelons ce
fait, parce que les expériences récentes de M. Davaine ont
montré que l'infusion de feuilles de noyer semble avoir
une efficacité réelle pour neutraliser le virus charbonneux ;
il serait possible que la réputation ancienne et banale des
feuilles de noyer dans le pansement des plaies fût justi-
fiée, c'est une question qui mériterait de nouvelles études.
M. Castex a préconisé un procédé ingénieux d'employer
l'iode à la désinfection des plaies, surtout des plaies de la
face, où l'application des pansements est difficile. On fait
de l'empois avec une partie d'amidon, trois parties d'eau,
et une quantité variable de teinture d'iode ; cette sorte de
pommade bleue s'étend comme du cérat sur des gâteaux
de charpie et se moule parfaitement sur les inégalités de
la plaie. L'application détermine une cuisson légère et de
courte durée. Chalvet a vu dans un cas de cancer de la
face la féfidité de la plaie disparaître ainsi pendant 24 heu-
res , elle était remplacée par l'odeur de l'iode ; mais au
bout de 24 heures l'odeur de l'iode avait à son tour dis-
paru, et l'on ne sentait plus que l'odeur nauséabonde du
DÉSINFECTION DES PLAIES OU DE LA LÉSION. 34S
cancer. La pâte était d'ailleurs décolorée, elle était rede-
veriue blanclic, ce qui prouve que l'iodure d'amidon s'était
déconqiosé.
Il nous est impossible de classer avec Chalvet les to-
piques modificateurs des plaies parmi les désinfectants
thérapeutiques ; modifier la vitalité des tissus malades
est tout autre chose que les désinfecter. Chalvet en ar-
rive à classer la glycérine parmi les désinfectants, parce
que « la glycérine pure, qui absorbe les parties aqueuses
des produits morbides, modifie favorablement les surfaces
suppurantes » ; de même il est conduit à ranger le cau-
tère actuel, le nitrate d'argent et même l'excision des
bourgeons charnus parmi les désinfectants, parce qu'ils
modifient la vitalité des plaies. Pour un peu plus, on
rangerait le bistouri parmi les désinfectants, parce que l'a-
blation du tissu gangrené fait disparaître l'infection des
lambeaux sanieux.
On a proposé en ces dernières années, pour le pansement
des plaies en campagne, l'emploi de poudres formées d'un
excipient inerte, tel que la gomme arabique, et un agent
antiseptique en poudre, à la dose de 2 à 4 0/0 : acide phé-
nique, acide salicylique, acide borique. On a même em-
ployé le camphre, le tannin, l'acide salicylique en poudre,
sans aucun mélange. Les poudres peuvent être répandues
avec une spatule sur la plaie ou insufflées à l'aide de
petits soufïïets improvisés. Le pansement sec à quelques
avantages pour les plaies récentes qui sécrètent peu : c'est
un pansement d'attente, par occlusion. Neudorfer croit
qu'en campagne on peut de la sorte remplacer le panse-
ment ordinaire de Lister pour les malades à transporter
au loin (1).
La désinfection est plus difficile, mais s'obtient par
les mêmes moyens, quand la lésion est profondément ca-
(1) Dziewonski et Fix, Antisepsie primitive sur le champ de bataille.
{Revue militaire de médecine et de chirurgie, juin et juillet 1881, p. 182.)
31-6 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
chée : cancer de F utérus, du rectum, etc. Vozène, surtout
quand il y a carie des os, fait le désespoir des malades et
des médecins ; c'est ici en vérité que le lavage et l'entraî-
nement préalable des sécrétions altérées est indispensable.
Ce lavage réussit admirablement par le procédé du pro-
fesseur Duplay , qui, au moyen d'un récipient placé à 50 cen-
timètres ou 1 mètre au-dessus de la tète du malade, fait passer
dans les cavités nasales, à l'aide d'un embout ajusté dans
une narine, 6 6u 8 litres d'eau simple, alunée, phéniquée
ou boratée, deux à quatre fois par jour. Les solutions
plus ou moins diluées de coaltar saponiné, de chloral, de
permanganate de potasse, la liqueur de Van-Swiéten, les
poudres absorbantes de sous-nitrate de bismuth maintien-
nent et assurent parfois la désodorisation.
M. le D'" E. Vidal, à l'hôpital Saint-Louis, nous a dit
avoir employé avec succès le mélange suivant :
Eau de Saint Luc (solulion de chlorure de
zinc à 50 p. 100) 30 grammes.
Acide borique 1 —
Ammoniaque liquide q. s. pour neutraliser
Eau 1 litre.
On fait une injection le soir avec une seringue de verre ;
le matin, un grand lavage avec un demi-litre de décoction
de feuilles de noyer, à laquelle on ajoute une cuillerée de sel
de cuisine. Plus tard, on fait par jour deux injections de
chlorure de zinc.
■ Il ne faut pas méconnaître toutefois que l'ozène est l'une
des infirmités dont le traitement, même palliatif, donne le
plus de déceptions.
Il est une autre affection qui s'accompagne d'une odeur
extrêmement fétide, où la désinfection est difficile, La
fétidité de Vhaleine a le plus souvent sa source dans deux
lésions fréquemment méconnues : 1° Taccumulation de
matière caséeuse dans les lacunes de l'amygdale hypertro-
phiée ; 2° la stagnation et la décomposition putride de
DI'SIM' ECTIDN DES PLAIES OU DE LA LESION. S4T
mucosités adlicrentes à la face supérieure du voile du pa-
lais ou do rarrièrc-cavité des fosses nasales, dans les cas
de rhinite postérieure ou de pharyngite chronique. Dans le
premier cas, la malaxation de l'amygdale avec le bout du
doigt, la gargarisation, c'est-à-dire l'acte de se gargariser,
amènent l'expulsion de petites masses jaunâtres, extrême-
ment fétides quand on les écrase, et qui remplissaient les
vacuoles de l'-amygdale. La gargarisation doit être faite
avec de l'eau pure ou avec une solution de borax à 2 0/0,
dans la position horiwntale ; les efforts pour empêcher le
liquide d'être avalé sont beaucoup plus grands dans cette po-
sition, et les contractions musculaires très énergiques, en
pressant l'amygdale en tous sens, expriment plus facile-
ment le contenu de ses lacunes agrandies. L'ablation des
amygdales est parfois le seul moyen de faire cesser la
fétidité de l'haleine. Dans le second cas, c'est l'irrigation
nasale à grande eau, comme dans rozène,qui rend les meil-
leurs services. Trôltsch, dans son Traité des maladies
de Voreille, a donné une description excellente de cette
variété particulière de la pharyngite nasale et énuméré
les moyens thérapeutiques. On comprend que pour obtenir
la désinfection dans ces deux cas, il faut connaître la cause
de l'infection ; le diagnostic étant posé, c'est à la théra-
peutique à intervenir.
Les ulcérations des cordes vocales et l'accumulation des
matières infectes et putréfiées dans les ventricules du
larynx ou les replis aryténo-épiglottiques sont souvent aus-
si une cause de fétidité extrême de l'haleine : ici encore la
notion de la cause indique le remède.
Les liquides morbides accumulés dans les cavités et
■exposés au contact de l'air se putréfient rapidement, et
leur résorption est une cause de graves dangers ; il suffit
de citer le liquide de Vempyème, les lochies. Pour désin-
fecter des abcès froids, il faut avant tout, éviter la stagnation ;
des lavages préalables, faciles aujourd'hui avec l'appareil
348 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
de M. Potain, doivent être faits à grande eau dans la
plaie; c'est alors seulement que l'on doit employer les dé-
sinfectants, après s'être assuré qu'une large ouverture de
la paroi donne une issue très facile aux lambeaux de fausses
membranes qui se détachent et se putréfient souvent dans
ces cas.
On doit éviter avec un grand soin d'injecter et de lais-
ser séjourner dans les cavités les dilutions contenant des
désinfectants toxiques : on a signalé en ces deïnières an-
nées un assez grand nombre d'empoisonnements mortels
à la suite d'injections phéniquées fortes dans des cavités
pathologiques, dans des cas de pleurésie purulente, kystes
du foie, abcès froids, etc. La dose journalière de 2 grammes
et, dans certains cas rares, de 1 gramme d'acide phénique,
introduite dans les voies d'absorption, peut déjà produire
des empoisonnements sérieux : on comprend aisément quel
danger court le malade dans la plaie duquel on injecte
1 litre d'une solution phéniquée à 2 0/0, c'est-à-dire
20 grammes d'acide pour 1 litre d'eau ; il suffit que 100 à
150 grammes soient retenus dans la cavité qu'on veut
laver pour qu'une intoxication mortelle ait lieu.
La désinfection peut être obtenue par les solutions de
permanganate de potasse, par l'alcool plus ou moins
dilué, par le coaltar saponiné, etc. L'iode, dont on connaît
les propriétés à la fois désinfectantes et excitantes, s'em-
ploie avec avantage à la suite de l'opération de l'empyème;
Le lavage peut se faire avec la solution suivante : teinture
d'iode 500 grammes, iodure de potassium 30 grammes,
eau 1 litre. La solution, qui dans certains cas est beau-
coup plus diluée, ne doit pas séjourner plus de quelques
minutes. Il est évident qu'elle est non moins irritante que
désinfectante.
. Nous avons déjà vu que MM. Dujardin-Beaumetz et Mar-
tineau ont employé avec succès, dans ces cas, les injections
de chloral (10 à 40 grammes d'hydrate de chloral par
PLAIES VENIMEUSES OU VIRULENTES. 349
litre d'eau) : ces doses énormes de chloral produisaient
une désinfection parfaite et ne déterminaient aucun phé-
nomène narcotique, bien qu'une certaine quantité de li-
quide restât dans la cavité pleurale tapissée de fausses
membranes. M. Martineau ajoute à la solution de chloral,
par litre, 30 grammes d'une teinture d'eucalyptus obtenue
en mêlant 10 grammes d'huile essentielle d'eucalyptus à
1 litre d'alcool.
La désinfection des lochies est depuis quelques années
poursuivie par beaucoup d'accoucheurs, qui voient dans
la stagnation de ces produits putrides l'une des conditions
les plus favorables au développement des accidents post-
puerpéraux. Cette désinfection doit être recherchée par des
injections intra-vaginales et même intra-utérines, à l'aide
de solutions phéniquées ; mais ici il s'agit d'une opération
grave, qui ne doit être pratiquée que par une main chi-
rurgicale, à l'aide d'instruments spéciaux, de canules à
double courant, assurant de la façon la plus certaine l'issue
immédiate au dehors du liquide injecté. La solution phéni-
quée au millième, la solution forte d'acide borique, doi-
vent être généralement préférées. Ces exemples nous
paraissent suffire pour faire connaître les ressources dont
le praticien peut disposer.
ART. II. - PLAIES VENIMEUSES OU VIRULENTES.
Le but qu'on poursuit est différent quand la plaie recèle
ou quand elle sécrète des produits venimeux ou virulents :
pendant un certain temps le virus reste localisé au point
d'insertion; en détruisant celui-ci {destruction des piqûres
venimeuses, du point d'inoculation des virus chcmcreux,
morveuœ, rabique, charbonneux), on prévient ou l'on
arrête l'imprégnation de tout l'organisme. Nous avons déjà
montré les progrès qu'ont fait faire à cette question les
expériences modernes sur la neutralisation des virus en
350 DÉSlNFECTiON rsOSOCOMIALE.
dehors de l'organisme. Avant tout, en pareil cas, il faut
agir promptemcnt. Nous croyons donc utile de rapprocher
dans un tableau rapide les ressources qui s'offrent au mé-
decin : 1° dans les morsures ou les piqûres venimeuses ;
2° dans les inoculations ou les plaies virulentes.
Piqûres ou morsures venimeuses. — M. leD"' A. Gautier (1)
a récemment étudié la nature du venin des serpents et l'action
véritable des substances réputées alexiphannaques («Xl^ew,
repousser; cpàpij-axov, venin). Pour lui, la substance active
des venins est une matière analogue aux alcaloïdes et com-
parable aux ptomaïnes cadavériques ; elle n'est pas détruite
par l'action prolongée d'une température de-|-'125''C., ce qui
la distingue des virus et des matières albuminoïdes. M. Gau-
tier a mélangé diverses substances réputées alexiphar-
maques avec des doses connues de venin dissous dans l'eau;
au bout d'un temps déterminé, il injectait le mélange, par
des piqûres sous-cutanées, à des oiseaux qu'un milligramme
de venin pur tuait constamment en 10 à 12 minutes. H
a obtenu les résultats suivants :
Le tannin enraye l'action du poison, il ne l'annule pas ;
l'oiseau meurt en 66 minutes. — Le nitrate d'argent mo-
dère et ralentit notablement l'action du venin, mais il ne
l'empêche pas entièrement ; mort au bout de plusieurs
heures. — Les essences de térébenthine, de menthe, de
thym, de camomille, de valériane, de girofle, d'ail, les
alcools, phénols, aldéhydes, hydrocarbures, éthers, sont
sans action. — V ammoniaque a une action presque nulle ;
la mort a lieu au bout de 22 à 24 minutes, au lieu d'avoir
lieu au bout de 10 à 12 minutes ; le carbonate de soude
et de potasse est aussi inefficace.
Au contraire, d'après M. Gautier, les alcalis fixes caus-
tiques ont une véritable action spécifique sur les venins.
(1) A, Gautier, Sur le venin du Naja tripudians [Cobra capello
de Vfnde), {Bulletin de VAcadémie de médecine, 26 juillet 1881, p. QiT.
l'I.All'S VENIMEUSES OU VIRULENTES. 3M
« Lorsqu'on alcalinise le venin par une solution do po-
tasse ou de soude caustique, saturant par centimètre cube
lo milligrammes d'acide sulfurique, le venin perd son
efficacité. Après avoir saturé exactement l'alcali, et sans
filtration préalable, l'oiseau peut recevoir 1 milligramme
et 1 milligramme et demi de venin, sans qu'il en résulte
autre chose qu'un peu de fatigue, de tristesse et d'es-
soufflement, dont il revient bientôt. L'action des alcalis
fixes caustiques, à très faible dose, est d'autant plus remar-
quable que l'ammoniaque libre et les carbonates alcalins
ne peuvent y suppléer, et que la saturation de l'alcali
avant l'injection ne fait plus renaître l'efficacité du venin.
L'action des alcalis sur le venin est presque immédiate.
La thérapeutique de l'empoisonnement s'en suit : lier le
membre au-dessus de la morsure, et faire pénétrer, en
l'injectant dans la plaie, une petite dose de potasse caus-
tique étendue. »
Ce n'est donc pas de l'ammoniaque qu'il faut avoir sous
la main quand on craint les piqûres de ce genre ; c'est
un petit flacon contenant pour 10 grammes d'eau environ
20 centigrammes de potasse à l'alcool, c'est-à-dire une
solution qui n'est nullement caustique ; il suffirait d'en faire
pénétrer quelques gouttes dans la plaie. Si l'expérience
confirme ces données, M. Gautier aura fait une découverte
très importante et dont les applications sont nombreuses ;
car il est vraisemblable que l'action de la potasse e^t aussi
efficace contre les pic{ùres des autres serpents venimeux,
en particulier contre celles de la vipère, qui est commune
dans notre pays.
L'ammoniaque paraît,, au contraire, avoir une efficacité
réelle pour désinfecter, neutraliser le venin des insectes,
pourvu cju'on ne se contente pas de verser sur la plaie
une goutte d'ammoniaque qui se volatilise rapidement.
En expérimentant sur des piqûres de frelon, et en main-
tenant un petit tube rempli d'ammoniaque renver.-é
352 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
sur la plaie, M. Colin d'Alfort a prévenu le gonflement
et les autres accidents. Le venin des insectes est géné-
ralement acide, tandis que le venin des serpents est neutre;
il se pourrait donc que l'efficacité de l'ammoniaque tînt
dans le premier cas à la neutralisation des venins acides,
M. le D"" de Lacerda (de Rio- Janeiro) (1) a expérimenté avec
succès, en 1881, l'action alexipharmaque du permanganate
de potasse. La solution aqueuse de permanganate de potas-
se, injectée sous la peau au voisinage du point mordu par
le serpent le plus venimeux, neutralise sûrement d'après lui
l'effet du venin. Les expériences ont été faites avec le venin
du bothrops, dont la morsure cause toujours de graves désor-
dres. Le venin recueilli dans du coton et correspondant à de
nombreuses morsures du serpent, était d'abord dilué dans
une petite quantité d'eau distillée, soit 8 à 10 grammes
cl'eau ; ensuite on remplissait une seringue de Pravaz
avec cette solution et l'on en injectait la moitié dans le tissu
cellulaire de la cuisse ou de l'aine des chiens. Une ou deux
minutes après, quelquefois plus tard, on injectait à la
même place une quantité égale d'une solution filtrée de
permanganate de potasse à 1/1 00^ Les chiens examinés
le lendemain ne montraient aucun signe de lésion locale ;
tout au plus y avait-il une très petite tuméfaction localisée
aux environs de la piqûre de la seringue, sans irritation
ni infiltration d'aucune espèce. Cependant, ce même venin
qui avait servi à ces expériences, étant injecté sans contre-
poison sur d'autres chiens, a produit toujours de grandes
tuméfactions locales, des abcès plus ou moins volumineux
avec perte de substance et destruction des tissus.
Le même résultat fut obtenu par l'injection d'un cen-
timètre cube de la solution de permanganate de potasse
dans les veines, une demi-minute après qu'on avait injecté
(1) De Lacerda, Sur le permanganate de potasse employé comme anti-
dote du venin du serpent [Comptes rendus de V Académie des sciences,
séance du 12 septembre 18S1).
PLAIES VENIMEUSES OU VIRULENTES. 3o3
dans la veiiKi 50 centigrammes de venin au dixième. Lors-
qu'on altendait que les accidents d'empoisonnement fus-
sent bien établis, quand déjà il y avait des contractures,
des troubles respiratoires et cardiaques, l'injection dans la
veine de 3 à 4 grammes de la solution de permanganate au
100" arrêtait les accidents et prévenait la mort. Celle-ci
avait toujours lieu quand on n'injectait pas le permanganate.
On se demande, toutefois, comment le permanganate, qui
se décompose immédiatement au contact des matières or-
ganiques, peut conserver son efficacité lorsqu'il est injecté
dans une veine ; il est impossible d'admettre qu'il épuise
son action en détruisant le venin contenu dans le sang de
la veine, puisque des accidents généraux, contractures,
troubles respiratoires, attestent la dissémination du poison
dans le torrent circulatoire et dans les centres nerveux.
Théoriquement et chimiquement, l'action du permanganate
dans la seconde série d'expériences est donc incompréhen-
sible ; l'action locale, au contraire, s'explique très naturel-
lement, bien que des expériences contradictoires laissent
encore la question indécise.
Plaies, inoculations, morsures virulentes, etc. — Quand le
virus suspect est capable d'engendrer une maladie mor-
telle, l'indication urgente est de détruire les points ino-
culés à l'aide du fer rougi à blanc , en ayant soin de
cautériser profondément et de dépasser les limites de la
plaie apparente, Mais la région rend parfois cette opéra-
tion difficile et dangereuse, à la face notamment, surtout
quand il y a doute sur la réalité de l'inoculation. Dans
des cas exceptionnels, on pourrait à la rigueur se conten-
ter de réchauffement à un degré qui ne détruit pas sans
retour la vitalité des tissus. M. Davaine a montré qu'une
température de SO** C. suffit pour tuer en quelques
minutes les bactéridies adultes , et qu'un marteau de
Mayor, plongé dans de l'eau à -|- 51", maintenu pendant
Valu?*. — Désinfectants. 23
354 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
1/4 d'heure sur la peau au niveau d'une vésicule charbon-
neuse, arrêtait souvent les progrès de l'infection et empê-
chait la mort. Ce qui semble vrai de la pustule maligne
ne l'est peut-être pas des autres virus ; c'est donc une res-
source à laquelle on ne peut jusqu'à présent accorder
qu'une médiocre confiance. La destruction des tissus par
les acides minéraux énergiques, acides sulfurique, ni-
trique , ou par les caustiques potentiels , ne paraît avoir
aucun avantage sur le fer rouge : l'action est plus lente et
plus douloureuse. L'action de l'acide phénique, de l'ammo-
niaque, est tout à fait incertaine et insuffisante, au moins
quand il s'agit de virus redoutables.
Quand Pabsorption a déjà fait pénétrer le virus dans les
tissus à une certaine profondeur, les injections sous-cu-
tanées de solutions iodées ou phéniquées au voisinage de
la tumeur peuvent encore neutraliser le virus. Chaque
jour en quelque sorte fait connaître de nouveaux succès
obtenus par cette ingénieuse méthode qu'a découverte et
préconisée M. Da vaine.
Nous nous contentons de donner ici la formule des
liquides injectés :
Iode métallique. . 1 à 2 grammes.
lodure de potassium 2 à 4 grammes.
Eau simple 1 litre.
On en injecte 20 à 50 gouttes, plusieurs fois par jour, tout autour du
point suspect.
L'action de l'iode est peu irritante, et la dose d'iode
pourrait sans doute être notablement élevée. C'est surtout
dans la pustule maligne que ce moyen a été employé ; on
pourrait sans inconvénient l'essayer dans des cas de morve,
de farcin, peut-être de rage. M. Davaine faisait administrer
à la fois des solutions iodées à l'intérieur, en potions et en
lavements. M. Verneuil a obtenu les mêmes succès par
l'injection d'une solution phéniquée dans les tissus œdé-
matiés au voisinage de la pustule maligne^
PLAIES VENIMEUSES Ot VIRULENTES. 333
De incme, au début, l'infection par \cti virus chancrelleux
ou syphilitique, et dans ce dernier cas^ les accidents d'in-
toxication peuvent être conjurés par la cautérisation pré-
maturée du point d'inoculation. Actuellement, la destruction
des tissus par le fer rouge ou les caustiques minéraux reste
le seul moyen efficace. Il y aurait cependant le plus grand
intérêt à neutraliser le virus sur place sans détruire les
tissus ; dans le cas de chancre mou, par exemple, n'est-il
pas probable que l'ulcère, accident purement local, ne se
propage que par l'infection en quelque sorte incessante
des bourgeons qui tendraient à la cicatrisation, parle fait
du virus que sécrète la plaie? Si l'on pouvait neutraliser le
virus ou le suc déjà virulent des jeunes cellules on obtien-
drait sans doute une cicatrisation rapide. La teinture
d'iode, l'acide sulfurique relativement concentré, l'acide
sulfureux liquide , la solution forte de sublimé, que nous
avons essayés dans cette vue théorique, ne nous ont donné
jusqu'ici aucun résultat avantageux.
MSI. Jeannel de Bordeaux, etRodetde Lyon, ont, après
Ricord, essayé l'emploi de certains liquides désinfectants
ou réputés abortifs, destinés à détruire le virus au moment
mèrae de l'inoculation, immédiatement après le coït sus-
pect. Ces auteurs proposaient de rendre obligatoire dans
chaque cabinet des maisons publiques la présence d'un
flacon rempli du liquide préservatif; une instruction im
primée aurait invité les visiteurs à faire usage de cette
ablution. Indépendamment des difficultés pratiques d'ap-
plication, il faudrait trouver un liquide dont les propriétés
désinfectantes fussent bien démontrées. M. Rodet a vu les
points inoculés être préservés, 12 heures après l'insertion
du virus, par l'application du Hquide suivant:
Eau distillée. ..,.*. ^ .. . 32 gramiMes.
Porclilorure de fer. ....... \
Acide citrique . ', 4 grammes»
Acide chlorhydriquc. . ; . . . \
386 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
Mais il s'agit là autant d'une cautérisation que d'une
désinfection locale. M. Jeannel a conseillé la solution sui-
vante, destinée à des lavages prophylactiques :
Alun cristallisé 15 grammes.
Sulfate de fer 1 gramme.
Sulfate de cuivre 1 gramme.
Alcoolé aromatique 60 centigrammes.
Eau 1 litre.
L'action est sans doute ici bien plutôt astringente que
véritablement désinfectante.
C'est également comme désinfectants et comme abortifs
que certains agents ont été proposés et méritent d'être
employés dans les affections diphthéri tiques. M. Cousot(l)
a récemment préconisé, dans les cas de diphthérie gut-
turale, non seulement le badigeonnage ou la pulvérisation
au fond de la gorge avec une solution de tannin au 10«,
mais encore l'injection, par chaque fosse nasale, d'un mu-
cilage de gomme contenant le 10^ de son poids de tannin.
D'après lui, la face postérieure du voile du palais est un
siège fréquent de fausses membranes méconnues, et la
diphthérie ne devient maligne que par la pullulation de
protorganismes dans les fausses membranes situées sur
un point quelconque des voies respiratoires. Les succès
obtenus par cette méthode paraissent exceptionnels, et
l'auteur les attribue à l'action du tannin sur les microbes
des enduits couenneux. Nous croyons avec lui à l'uti-
lité des injections vraiment désinfectantes par les narines
pour atteindre l'arrière-cavité des fosses nasales ; mais un
grand nombre de substances nous paraissent au moins
aussi avantageuses que le tannin. Nous faisons d'ordinaire
injecter au fond de la gorge, avec un irrigateur, 5 ou 6
litres par jour d'une solution saturée d'acide borique ou
d'acide saHcylique, de chloral à 2 0/0, ou d'acide citrique
(1) Cousot, Za diphthérie et son traitement (Bulletin de VAcad. royale
de méd. de Belgique, 1881, T. XY, p. 477.)
PLAIES VENIMEUSES OU VIRULENTES. y."i7
à 1 à 2 0/0. Dans rintorvallc,on ])adii>oonno les parties avec
des eolluloires chargés des mêmes substances. Ces liquides
purement antiseptiques ou désinfectants nous ont paru
avoir un effet bien plus avantageux que les caustiques :
nitrate d'argent, acide chlorhydrique, etc.
Il est une autre maladie locale où la désinfection de la
plaie est une nécessité, non seulement dans l'intérêt du
patient lui-même, mais afin de prévenir la propagation et
la prolongation de l'épidémie: c'est la })Ourriture dliôjjital.
Outre le fer rouge, les acides, les caustiques, on emploie
souvent avec succès deux agents qui semblent désinfecter
la plaie plutôt que la cautériser : le camphre et l'iodoforme.
Ce dernier participe sans doute des propriétés de l'iode,
son congénère ; son action sur les plaies n'est pas seule- "
ment stimulante ; dans les cas de pourriture d'hôpital où
nous l'avons employé avec des succès marqués, l'iodoforme
nous a paru posséder de réelles propriétés neutrahsantes et
désinfectantes. Il en est de même de la bouillie de camphre
et d'alcool, dont on couvre les plaies serpigineuses et dont
M. le D-^ Netter a obtenu d'excellents effets en 1871.
La sueur fétide des pieds est notablement atténuée par
l'introduction dans les chaussures de poudres à la fois
antiseptiques et absorbantes. M, le D'" Debout (1) a ex-
périmenté sur les soldats d'un bataillon de chasseurs à
piecl le mélange suivant : on satui^e une certaine quantité
de plâtre ; quand ce plâtre est desséché, on le pulvérise et
on en mélange deux parties avec une partie de plâtre
anhydre ; ce dernier donne à la poudre la propriété absor-
bante, tandis que le plâtre éteint lui enlève l'inconvénient
de durcir et de faire corps dans la chaussure. On ajoute à
95 parties de celte poudre 3 à 5 parties de coaltar (goudron
de houille), ou même de goudron de bois. Une certaine
(1) D'' Debout, Emploi de la poudre de Corne et Demeaux {plâtre et
coaltar), contre la bromhydrose ou transpiration fétide des pieds. {Trav.
du Cons. d'hyg. de Rouen en 1818, p. 51.)
358 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
quantité de cette poudre était chaque matin donnée aux
hommes atteints de cette infirmité ; le succès fut manifeste
et rapide.
L'odeur fétide est principalement causée par la décom-
position putride de la sueur, en particulier de la leucine que
cette sueur contient et qui, d'après M. Gh. Robin, se trans-
formerait en valérate d'ammoniaque. On comprend donc
que l'emploi des antiseptiques et des absorbants , en pré-
venant cette décomposition, empêche la mauvaise odeur.
Le goudron pourrait être remplacé avec avantage par de
l'acide phénique, salicylique ou borique. En Allemagne, on
emploie avec succès dans l'armée la poudre suivante :
acide salicylique, 3 grammes ; amidon, 20 grammes ; talc
en poudre, 87 grammes. La poudre de tannin ou de tan
donne également un assez bon résultat.
M. Armaingaud (1) a obtenu dans des cas très rebel-
les un succès complet en injectant tous les 2 jours sous la
peau d'un point quelconque du corps (l'épaule), de 2 à 4
centigrammes par jour de nitrate de pilocarpine. La médi-
cation est violente, la salivation est considérable, mais la
sueur et la fétidité des extrémités inférieures ont, paraît-
il, été complètement supprimées pendant toute la durée du
traitement. La désinfection a aussi été obtenue, dans
ces cas de sueur fétide, par l'enveloppement exact des pieds
bien lavés, avec des bandelettes de sparadrap. Nous croyons
qu'ici encore ce qui agit, c'est l'occlusion, c'est-à-dire l'obs-
tacle à la pénétration des protorganismes de l'air capables
d'amener la fermentation des produits sécrétés. Il doit se
produire, en outre, des modifications de la circulation capil-
laire, comme dans les expériences sur les animaux avec
les enduits imperméables.
Nous ne dirons qu'un mot de certaines affections para-
(l) Armaingaufl, Sur Vemploi des injections hypodermiques de nitrate
de pilocarpine dans la sueur fétide des pieds. {Gazette hebdomadaire,
vol. 18, 1881, p. 101.)
DÉSINFECTION EXTERNE. 359
sitaircs localisées, dont le médecin doit poursuivre la dé-
sinfection : les maladies parasitaires du cuir chevelu, de
la barbe et des parties pileuses (teignes , mentagre) ; de
l'épidcrme du tronc et des membres (pityriasis versicolor),
de la gale. Les moyens à employer pour empêcher la per-
sistance et la propagation de la maladie rentrent, par ex-
tension, dans la classe des désinfectants : enlèvement mé-
canique du parasite (épilation, IVictions contre la gale),
emploi des préparations de sublimé, de soufre, de turbith
nitreux, d'acide borique, d'huile de cade et de goudron,
de teinture d'iode. Il nous suffit de faire cette énuméra-
tion pour montrer quel rôle jouent les désinfectants dans
la thérapeutique de ces maladies.
ART. III. — DÉSINFECTION DU MALADE.
Ce n'est plus seulement une lésion locale qu'il faut dé-
sinfecter, c'est le malade tout entier, et nous distingue-
rons ici la désinfection externe et la désinfection interne.
DÉSINFECTION EXTERNE. — Nous voulous surtout parler ici
des précautions à prendre contre les individus atteints et
convalescents de fièvres éruptives. La rougeole, la scarla-
tine , sont assurément contagieuses, avant même que
l'éruption se soit manifestée ; mais alors le médecin ne
peut guère intervenir que par l'isolement, et aussi par la
désinfection des locaux et des objets en contact avec le
malade. C'est surtout pendant la période de desquamation
que le danger d'infection et de transmission peut être
conjuré. Dès que l'état du malade le permet, on doit com-
mencer à administrer des bains savonneux pour entraîner
les pellicules et les croûtes à demi-détachées ; les cheveux
doivent être coupés très courts et le malade se savonnera
fortement la tête dans le bain pour détacher les croûtes du
cuir chevelu par lesquelles se fait souvent la contagion.
360 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
Aucun malade guéri d'une fièvre éruptive ne devrait être
rendu à la vie commune avant d'avoir pris au moins trois
bains savonneux. Avant la période où les bains peuvent
être administrés, il est utile de badigeonner chaque jour
les croûtes à demi-desséchées des varioleux avec de l'huile
contenant au moins 5 0/0 d'acide phénique ; le contact n'est
nullement douloureux et l'action désinfectante est réelle.
Dans la scarlatine, dès le début de la desquamation , pour
empêcher la propagation de la maladie dans un hôpital
rempli de jeunes soldats venant pour la plupart de la cam-
pagne et n'ayant pas eu la scarlatine , ' nous avons fait
frotter la peau des malades, soir et matin, avec de l'axonge
dans laquelle était incorporé de l'acide borique (4 0/0).
Nous n'avons aucune preuve réelle de l'efficacité de ce
moyen, mais la graisse retient sur la peau les poussières
supposées virulentes et concourt peut-être à empêcher le
refroidissement de la peau régénérée.
Pendant le cours d'une variole confluente, le pus altéré
et les sécrétions qui imbibent les croûtes dégagent souvent
une odeur infecte : il y a danger à laisser les malades dans
un tel milieu. L'acide phénique est impuissant dans la plu-
part des cas contre cette corruption, et, d'autre part, à cette
époque de la maladie où la peau est ulcérée, on s'expose-
rait à de graves empoisonnements par l'acide phénique.
Les bains tièdes et alcalins, renouvelés chaque jour, pro-
duisent tout au moins un bien-être inexprimable aux ma-
lades ; ils font disparaître cette odeur de souris qui rend le
voisinage des varioleux insupportable; ils ne nous ont ja-
mais semblé avoir produit le moindre accident, tout au con-
traire. Nous ne saurions trop en recommander l'emploi. Il
en est de même des malades au cours ou au déclin de la
fièvre typhoïde. Beau disait qu'on doit laver le sang des
typhoïdes par des boissons abondantes, leur intestin par
des purgatifs et des lavements, leur peau par des ablutions
très fréquentes: c'est là, en effet, la véritable désinfection.
nKSfNFr.CTlON INTRHNE. 361
Sans (lout(^. los lotions froides avo,c le vinaigre aromatique,
sans doute les bains froids agissent sur la température du
malade; ils agissent certainement aussi en désinfectant sa
peau, en le débarassant de toutes les souillures qui contri-
buent à empoisonner le malade et favorisent la formation
des escbarres.
DÉSINFECTION INTERNE. Les idécs huiiiorales qui ont long-
temps dominé la médecine conduisirent à administrer des
médicaments destinés à corriger les dyscrasies, la putri-
dité des humeurs.
Les préparations réputées antiseptiques ont joué jadis un
grand rôle dans le traitement des fièvres adynamiques,
putrides, etc., en particulier les acides minéraux (élixirs
acides de Haller, de Mynsicht, eau de Rabel, esprit de
nitre dulcifié, etc.); il suffît de parcourir le traité dePringle
sur les Substances septiques et antiseptiques (1750), pour
juger de la part qu'il attribuait à cette médication et
comment il expliquait son action. Cet humorisme doctri-
naire a fait place à une conception plus positive et plus
précise des sources d'infection qui se produisent au
cours des maladies. Piorry paraît avoir introduit dans le
langage médical le mot septicémie, qui tient aujourd'hui
une si grande place dans la pathologie générale. La forme
dont Piorry se plaisait à revêtir ses idées a empêché, pen-
dant sa vie, de rendre justice à ce qu'il y a de juste et de
vraiment physiologique dans beaucoup de chapitres de ses
livres ; il a très bien vu le rôle que jouaient les selles
putrides des typhoïdes, les sécrétions sanieuses de l'utérus
après l'accouchement ou des plaies chirurgicales dans la
production de l'empoisonnement septique. Il proclama l'un
des premiers la nécessité des lavages incessants, delà désin-
fection des ulcérations intestinales, de la plaie utérine, des
foyers putrides (empyème, abcès par congestion, kystes sup-
puré», etc.) On lui reprocha trop longtemps de faire la méde-
362 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE,
cine du symptôme, et si cette médecine du bon sens a été si
longtemps dédaignée, c'est que son apôtre la compromet-
tait par l'excentricité de la formule. Larroque, Beau, Bil-
lard (1), Blachez, plus tard Hamernyck, Stick, Griesinger,
récemment Humbert (2), Hallopeau, ont insisté sur la né-
cessité de désinfecter le contenu de l'intestin dans la fièvre
typhoïde , pour empêcher la résorption des matières pu-
trides ou septiques par les points ulcérés : purgatifs, dou-
ches, lavements fréquents et abondants avec de l'eau pure
ou l'acide pliénique, la créosote, le permanganate de po-
tasse à 1 0/0, Facide salicylique, le chloral, Fhyposulfite
de soude, le bismuth; ingestion du charbon en poudre.
MM. Maurel (3), Bouchard, Noël. Guéneau de Mussy,
Féréol, Maurice Reynaud, Dujardin-Beaumetz, ont signalé
les effets excellents qu'ils ont obtenus en désinfectant ainsi
par des lavages le contenu de l'intestin des typhoïdes. On
lira avec intérêt une discussion qui a eu lieu sur ce sujet
à la Société médicale des hôpitaux, le 28 février 1880.
Nous rappellerons seulement que dès longtemps Monneret
conseillait le bismuth à haute dose pour désinfecter l'in-
testin des typhoïdes, et que, dans le même but, Chalvet
préconisait l'ingestion de 3 à 4 cuillerées à café de char-
bon en poudre (Mémoire académique sur les désinfec-
tants, 1863).
C'est au même ordre de faits qu'il faut rattacher le trai-
tement de la variole par le salicylate de soude préconisé
par M. Baudon (4). Dans le cas de variole très confluente,
ce médecin a réussi à éviter l'odeur infecte de la période
de suppuration et les accidents de résorption qui l'accom-
(1) Billard, De l'influence des matières putrides de l'intestin sur la
marche des fièvres typhoïdes. {Gazette des hôpitaux, 10 janvier 1860.)
(2) Humbert, Étude sur la septicémie intestinale. (Thèse, Paris, 1873.)
■«"(S) Maurol, De la désinfection des selles par le charbon. {Société de
thérapeutique, 23 février 1880, et Gazette hebdomadaire, 12 mars 1880,
p. 171.)
(4) Baudon, Du traitement de la variole par le salicylate de soude.
{Bulletin de thérapeutique, 30 novembre 1881, p. 448.)
Dh:SINFECT10N INTIÎRNE. 363
pagncnt souvent, par le traitement suivant. Avant le dé-
but de la suppuration, il couvre trois fois par jour le vi-
sage et les mains avec le mélange sui\ ant :
Cold creara 100 grammes.
Salicylale do soude 6 —
INiis, ou saupoudre la peau ainsi graissée, avec :
Talc 100 grammes.
Acide salicyliquc 6 —
Les pustules s'affaissent très rapidement, la dessicca-
tion se fait réellement à sec , et il y a cessation à la
fois de l'incommodité et des dangers de l'empoisonnement
septique.
Beaucoup de médecins expliquent encore la fréquence
des abcès du foie, à la suite de dysenterie chronique, par
la résorption des sécrétions septiques qui baignent la
muqueuse ulcérée, et par le transport de ces matières
jusqu'aux branches intra-hépatiques de la veine porte.
La désinfection des sécrétions intestinales ne doit-elle pas
être une préoccupation constante pour les praticiens qui
admettent cette pathogénie?
Ce n'est pas seulement le contenu de l'intestin qu'on se
propose de désinfecter, ce sont les liquides en circulation,
c'est le sang lui-même, dans lequel on suppose contenu
l'élément pathogénique primitif ou secondaire.
Déjà, en 1860 et 1861, PoUi communiquait à l'Institut
lombard ses premières recherches Sur les maladies par
ferment morbifique et leur traitement par V acide sulfu-
reux et les sulfites; il admettait que certaines maladies
avaient pour origine et pour cause des processus chi-
miques analogues à ceux que l'on observe dans la fermen-
tation des substances organiques. Ces maladies, que le
premier il dénomma zymotiques, devaient être combattues
par des agents thérapeutiques anti-fermentatifs. Ce fut
d'abord et presque exclusivement aux sulfites alcalins et
terreux que Polli recourut. Cette médication, à laquelle
364 DÉSINFECTION NOSOCOMTALE.
s'attache son nom, doit être résumée à cette place soit
d'après ses propres travaux (1), soit d'après l'exposé très
complet qu'en a feit M. Constantin Paul (2).
Polli croyait avoir trouvé l'agent anti-fermentatif par
excellence dans les sulfites ; en étudiant leur mode d'action
intime, il arriva à cette conclusion : qu'ils exercent une
action anti-fermentative non pas seuleni'^nt « parce qu'ils
sont toxiques et fermenticides, non pas parce qu'il devien-
nent des oxydants ou des corps réducteurs, mais par leur
action sur l'agrégation moléculaire des matières organiques
fermentescibles ou décomposables. Les sulfites rendent la
complexion chimique desdites matières plus résistante
et lui permettent de ne pas se laisser attaquer par les
agents ordinaires de décomposition, parmi lesquels mar-
chent en première ligne les ferments. »
On trouvera sans doute cette explication un peu vague,
mais le fait expérimental est positif. Polli a constaté que
l'acide sulfureux et les sulfites empêchent ou arrêtent
toutes les fermentations connues, sans exception, même les
fermentations saligéniques et sinaptasiques que l'acide ar-
sénieux et l'acide cyanhydrique n'empêchent pas, même
les fermentations diastasique, pepsinique, ptyalinique,
que n'arrête pas l'acide phénique. L'acide sulfureux ne
peut être toléré par les poumons, tandis que les sulfites
de magnésie, de chaux, de soude et leurs hyposulfites
sont bien tolérés, passent dans la circulation à l'état de
bisulfites et finalement de sulfates ; 5 grammes de sul-
fite de magnésie contiennent 4 litre de gaz acide sulfu-
reux pur.
Il a commencé par établir l'innocuité de l'administration
(1) G. Polli, Des propriétés anti-fermentatives de l'acide borique et de
ses applications à la Ihérapeulique. (Paris, Delaliayc , 1877, in-8° de
34 pages.)
(2) C. Paul, De l'action physiologique et thérapeutique des sulfites et
des hyposulfites. {Bulletin de thérapeutique, 1865, T. LXIX, p. 145,
193, 241.)
DÉSINFECTION INTERNE. 365
des duses élevées de sidfites : en expérimentant sur lui-
même et sur plusieurs collègues de bonne volonté, il a vu
que l'on supporte impunément la dose de 10 à 15 grammes
de sulfite de magnésie par jour, à 3 grammes par prise,
avec la précaution indispensable de boire beaucoup d'eau
pure ou sucrée, mais exempte de tout acide. De même, la
dose de 20 à 24 grammes de sulfite de soude en solution
aqueuse plus ou moins édulcorée, prise en cinq fois en
vingt-quatre heures, peut être continuée sans inconvénient
par un adulte pendant plusieurs jours de suite. L'hyposul-
fite de soude ou de magnésie, à la dose de 15 à 20 gram-
mes par jour, a un effet purgatif qui peut être utilisé
dans certains cas. Ces sels, même à haute dose, ne sont
donc nullement toxiques.
Polli a remarqué sur les cadavres des animaux soumis
à l'action des sulfites que leur sang, leur urine, avaient
une grande résistance à la putréfaction ; sa propre urine,
recueillie pendant le temps où il ingérait des doses de sul-
fites, ne subissait la fermentation ammoniacale, en plein
été, que plusieurs jours après celle des personnes qui n'a-
vaient pas pris ces sels.
Pohi a expérimenté, ou d'autres médecins ont employé
sur son conseil, les sulfites dans les maladies suivantes :
fièvres éruptives, érysipèle, fièvres paludéennes, typhus et
fièvres typhoïdes, pyohémie, septico-hémie , fièvres puer-
pérales, infections consécutives aux piqûres anatomiques,
pansement des plaies de mauvaise nature, etc. Dans une épi-
démie de variole, observée à l'hôpital de Milan, « sur 22 cas
des plus graves traités par ma méthode, dit Polli, 18 ont
guéri ! » L'on trouvera dans le travail critique de M. Cons-
tantin Paul la substance des observations de Polli ou de
ses adeptes. Cette lecture, nous devons l'avouer, n'entraîne
pas la persuasion. Nous voyons, par exemple (observ. 27
à 30^), que de deux chiens dans les veines desquels on in-
jecte du pus putride, celui qui a pris pendant 3 jours avant
366 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
l'infection une dose énorme (6 grammes pour un poids de
6 kil.) de sulfite de soude, est convalescent au bout de huit
jours ; mais l'animal à qui l'on a fait la même injection et
qui n'a pas pris de sulfite de soude ne guérit pas moins,
seulement avec quelques jours de retard. Chez 8 chiens,
on a inoculé du pus morveux : 1 sont morts. Sur 8 au-
tres chiens qui ont pris avant ou après cette inocula-
tion des doses fortes de sulfite, 4 seulement moururent,
les 4 autres guérirent. Dans la fièvre typhoïde les succès
nous paraissent fort incertains.
On doit reconnaître que le résultat a été bien inférieur à
celui qu'espérait Polli. Aussi le savant milanais avait-il,
dans les dernières années de sa vie, renoncé presque com-
plètement aux sulfites ; il les avait remplacés par l'acide bo-
rique, dont la supériorité lui paraissait incontestable. Voici
les principales raisons sur lesquelles s'appuyait sa préfé-
rence :
Le sulfite et l'hyposulfite de soude, dissous dans l'eau et
exposés à l'air libre, absorbent l'oxygène et se convertis-
sent peu à peu en sulfate de soude; c'est pour cela que les
propriétés antizymotiques de ces sels diminuent rapide-
ment jusqu'au point de disparaître tout à fait; au contraire,
l'acide borique ne s'altère pas à l'air.
L'acide borique et les borates alcalins, n'absorbant pas
l'oxygène, n'en dépouillent pas le sang, et ne sont, par con-
séquent, ni réducteurs ni désoxydants comme les sulfites
et les hyposulfites, dont l'usage prolongé entraîne quelque-
fois la nécessité d'avoir recours aux oxydants et aux ferru-
gineux pour vaincre l'anémie qu'ils ont produite.
Les borates alcalins n'étant pas décomposés par les acides
faibles, tels que l'acide carbonique, l'acide acétique, l'acide
citrique, l'acide tartrique, qui font partie d'un grand nombre
de boissons communes, la solution de ces borates peut être
édulcorée par des sirops agréables accompagnés d'acides vé-
gétaux. L'usage des sulfites et des hyposulfites, au con*
DÉSINFECTION INTERNE. 367
traire, ost incompatible avec le mélange d'acides libres,
quelque faibles qu'ils soient (limonades, fruits acidulés).
Ces acides, en effet provoquent le dégagement de l'acide
sulfureux et la précipitation du soufre. Tout au contraire,
le borate de soude, alors même qu'il serait décomposé par
les acides faibles et donnerait ainsi naissance à de l'acide
borique libre, n'en deviendrait que plus actif.
Le borate de soude et l'acide borique n'ont pas une ac-
tion sensiblement purgative; leur action est plutôt diuré-
tique. Aussi, on peut employer ces agents, même à haute
dose, sans produire aucun dérangement intestinal, ce qui
n'arrive pas toujours avec les sulfites et principalement
avec les hyposulfîtes alcalins.
Le borate de soude n'ayant qu'une saveur alcaline très
faible, tout en étant sensiblement soluble dans l'eau (12 par-
ties d'eau dissolvent 1 partie de sel), on peut l'administrer
en solution étendue, édulcorée avec un sirop aromatique
quelconque qui masque complètement la saveur du sel et
qui permet ainsi d'en faire une boisson fort agréable.
L'acide borique étant peu soluble dans l'eau (2 pour 100),
et n'ayant presque aucune saveur, on peut le donner en
poudre, mélangé au sucre, ou en pastilles, ou même sous
forme d'élixir, ce qui fait que des personnes fort délicates
et même les enfants le supportent très bien.
Le sulfite de soude s'associe parfaitement au sirop de
réglisse; mais les autres sirops communs ne peuvent en
masquer le goût désagréable. Le sulfite de magnésie, en
raison de sa faible solubilité dans l'eau, doit être administré
à l'état solide et on ne peut en supporter le mauvais goût
qu'en le prenant soit en poudre avec beaucoup d'eau, soit
en granules. L'hyposulfite de soude a une saveur franche-
ment salée et amère, qu'il est indispensable de mitiger par
quelques gouttes d'une essence aromatique. Enfin, le borax
et l'acide borique se trouvent partout et à très bon marché,
ce qui n'a pas lieu pour les sulfites ; la dose journalière pour
368 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
un adulte, de 13 à 20 grammes de borate de soude ou de
4 à 5 grammes d'acide borique, ne coûte que quelques
centimes, ce qui est un avantage précieux pour les pauvres,
pour les hôpitaux et la médecine à la campagne.
Polli, qui était plus chimiste que praticien, a fait expé-
rimenter l'emploi interne du borax dans un grand nombre
de cas de £èvre intermittente, de lièvre typhoïde, de fièvre
par pyohémie, de fièvres puerpérales et miliaires, d'affec-
tions catarrhales de la vessie avec urines putrides et am-
moniacales, d'érysipèle, etc. On donnait aux malades 6,
10, 15 grammes de borate ou 4 grammes d'acide borique
par jour. Les médecins qui ont fait ces expériences dans
plusieurs des hôpitaux de Milan et de l'Italie ont annoncé
des résultats que Polli trouvait démonstratifs, mais qui
nous paraissent encore très contestables, à n'en juger que
par les citations reproduites dans son mémoire de 1877.
En Russie, le Conseil médical, sur la proposition du pro-
fesseur de Cyon, a recommandé l'emploi interne du borax
jusqu'à la dose journalière de 12 grammes, comme désin-
fectant et antiseptique interne pour annuler les effets des
maladies infectieuses, telles que typhus, variole, diphthérie,
peste, etc.
M. Hallopeaa a montré quelle importance il faisait jouer
à la désinfection interne dans le traitement de la fièvre
typhoïde. M. Vulpian, en présentant ce travail à l'Acadé-
mie de médecine (21 juin 1881), ajoutait ce qui suit :
« Cette méthode de traitement a en vue évidemment d'agir
sur l'agent infectieux de la fièvre typhoïde. Aujourd'hui on
s'accorde généralement à penser que cet agent s'introduit
dans l'économie par les voies digestives. On peut regarder
comme n'étant pas inadmissible l'hypothèse d'après laquelle
cet agent serait formé de microbes spéciaux, s'arrêtant et
se multipliant dans la dernière partie de l'intestin grêle,
contribuant tout au moins à la production des lésions loca-
les de l'intestin et à la formation des matières septiques
DÉSINFECTION INTERNE. 369
absorbées dans cette région du tube digestif. Si cette hypo-
thèse est vraisemblable, ne fait-on pas fausse route dans
les essais nouveaux de traitement que l'on tente de nos
jours? Ne devrait-on pas chercher avec persévérance à
trouver des substances qui, douées de propriétés antisepti-
ques, pourraient sans être entièrement détruites ou sans
avoir été absorbées auparavant, parvenir jusque dans l'iléon
et agir là sur l'agent infectieux typhique? J'avais espéré me
mettre dans ces conditions en prescrivant l'iodoforme ; mais
cette substance est peu antiseptique, et elle est absorbée plus
facilement que je ne le croyais. Mais on pourrait essayer
d'autres substances, le chloral insoluble, certains salicy-
lates, tels que le salicylate de bismuth, peut-être des phé-
nates. Il y a, suivant moi, des efforts persévérants à faire
dans cette voie. »
« L'indication principale, dans la fièvre typhoïde, dit
également M. Hallopeau (1), serait d'agir par un médica-
ment spécifique sur le principe infectieux qui en déter-
mine l'évolution, comme on agit par le sulfate de quinine
sur le miasme palustre et par le mercure sur le contage
syphilitique. »
Sans chercher s'il est bien démontré que le sulfate de qui-
nine agit sur le miasme palustre et le mercure sur le con-
tage syphilitique, la comparaison nous paraît acceptable;
le problème n'en est pas moins difficile à résoudre : com-
ment atteindre le principe infectieux de la fièvre typhoïde.
Il semble cependant que le contage typhoïde réside plus
particulièrement dans les selles, et que celles-ci soient fré-
quemment l'agent de transmission de la maladie. On peut
donc espérer agir utilement sur le malade lui-même et sur
l'entourage qu'il menace, en cherchant à neutraliser la
virulence hypothétique de ces matières.
(1) Hallopeau, Dm traitement de la fièvre typhoïde par le calome?, le
salicylate de soude et le sulfate de quinine. [Soc. méd. des hôpitaux
séances du 13 août 1880 et du -28 mai 1831, et Union médicale, 18S1.)
Yallin. — Désinfectams. 24
370 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
Depuis plus de 10 ans, un certain nombre de médecine
avaient employé l'acide phénique ou la créosote, soit en
lavements, soit en potions (5 ou 6 gouttes de créosote ou
15 à 50 centigrammes d'acide phénique par jour), soit en
injections hypodermiques d'une solution d'acide phénique
cristalUsé ou de phénate d'ammoniaque. Les résultats ob-
tenus ont jusqu'ici été incertains ; MM. Pécholier (I), Mo-
rache, Skinner (2), paraissent avoir constaté une légère
amélioration par l'emploi de doses très faibles de créosote ou
d'acide phénique. M. Déclat dit remporter des succès mer-
veilleux par les injections sous-cutanées fréquemment ré-
pétées de phénates alcalins. MM. Claudot, Desplats, Van Oye,
Raymond, en 1880 et 1881, ont vanté les bons effets de
l'acide phénique dans la fièvre typhoïde, mais c'est en partie
à l'action antipyrétique de l'acide qu'ils attribuent ces suc-
cès relatifs. Nous n'oserions préconiser les doses extraordi-
naires de 8 à 12 grammes par jour d'acide phénique que
M. Desplats administre en un grand nombre de lavements
dans la fièvre typhoïde ; nous avons peine à comprendre
qu'il ne produise pas d'empoisonnements. L'emploi de
l'acide phénique paraît rationnel dans la fièvre t5'phoïde,
mais le résultat ne nous semble pas jusqu'ici avoir été
très manifestement avantageux.
Notre collègue et ami, M. Villemin, emploie en ce mo-
ment l'acide borique à la dose de 4 grammes par jour, en
potion, dans les fièvres typhoïdes graves; mais il est encore
impossible de formuler une opinion sur Le résultat obtenu.
Dans les cas de septicémie puerpérale commençante,
M. Siredey administre par les voies digestives de l'acide
phénique à la dose journalière de 60 cent, à 1 gr., en
ayant soin de donner le médicament sous la forme pi-
(1) Pécholier, Sur les indications du traitement de la fièvre typhoïde
par la créosote ou Vacide phénique. [Montpellier médical, juillet 1874.)
(2) Sleph. Skinner, On the traitement of euteric fever by the use of
internai Disinfection. (The Practitiontier, septembre 1873.)
DÉSINFECTION INTERNE. 371
lulaire suivante : acide phénique 10 centigrammes, gomme
arabique, poudre de réglisse et savon, q. s., pour 1 pilule.
Sous l'influence de cette médication, les lochies perdent
rapidement leur fétidité, les frissons diminuent et dispa-
raissent, la température hyperfébrile tombe, etc. ; le savant
médecin de l'hôpital Lariboisière a obtenu de la sorte des
succès pour ainsi dire inespérés. C'est un encouragement
à tenter cette médication dans les cas de septicémie chi-
rurgicale ; l'insuccès des expériences faites par Picot de
Tours sur les animaux, par l'ingestion de silicate de soude
dans les cas de septicémie provoquée, ne doit pas éloi-
gner des tentatives du même genre avec des agents très
variés.
Chauffard (1) a vanté les effets de l'acide phénique pris
à l'intérieur dans les cas de variole grave, à la dose de
50 centigrammes à 1 gramme par jour ; d'autres cliniciens
n'en o it tiré aucun avantage, et nous-mème, après l'avoir
essayé sans succès pendant un épidémie de variole, nous
y avons renoncé.
Depuis que l'on a démontré la présence de bacilles spé-
ciaux dans le sang et dans les éléments cellulaires des lé-
sions chez les lépreux, l'acide phénique a été administré
chez ces malades à la dose progressive de 1 gramme, répar-
tie en 10 pilules de 10 centigrammes, continuée pendant
plusieurs semaines; M. Besnier et plusieurs auteurs alle-
mands ont obtenu de la sorte des améliorations sérieuses ;
nous avons complètement échoué dans un cas de lèpre
hyperesthésique , malgré la continuation de la dose de
1 gramme pendant plus de deux mois.
La rage a été combattue par l'injection d'une solution
de chloral dans les veines ; ces opérations tentées par M. Oré,
de Bordeaux, n'ont pas donné de résultats bien encoura-
geants. En tout cas, l'on pourrait d'après lui injecter par jour
(1) Chauffard, Du traitement de la variole par l'acide phénique.
[Société médicale des hôpitaux, séance du 11 mars 1870, et discussion.^
372 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
jusqu'à 20 grammes de chloral, pourvu que la dilution soit
au moins de 1 sur 5 d'eau, et qu'on n'injecte pas plus de
5 grammes à la fois de la solution dans le torrent circula-
toire!
Dans toutes ces tentatives, même dans la dernière, c'est
bien la désinfection interne qu'on poursuit ; on suppose
qu'un agent neutralisateur détruira le principe morbide au
sein de l'économie, de la même manière que le mercure
est supposé capable de détruire le virus syphilitique dans
l'intimité des tissus ou les liquides du corps vivant.
Cette conception, hypothétique sans doute mais par-
faitement rationnelle , a pris une grande extension en
ces dernières années, et M. Davaine est entré résolument
dans cette voie. Après avoir commencé par étudier l'action
neutralisante d'un grand nombre d'agents réputés désin-
fectants sur la plupart des virus, il a été conduit à em-
ployer, dans un cas urgent et presque désespéré de char-
bon chez r'homme, la solution de teinture d'iode iodurée en
lavements, en injections hypodermiques au voisinage de
la pustule maligne, en boissons abondantes et diluées. Nous
ne voulons pas revenir sur ce point qui a déjà été traité
(page 300), et qui concerne à la fois la neutralisation à l'ex-
térieur et à l'intérieur de l'organisme. Le nombre des succès
obtenus par cette administration interne de l'iode est aujour-
d'hui assez considérable. M. Colin d'Alfort (1) a contesté
la valeur et la signification de ces résultats : il a inoculé
tout d'abord à l'oreille d'animaux une gouttelette de sang
charbonneux, puis immédiatement après il a injecté sous la
peau du flanc 1 centimètre cube d'une solution aqueuse
d'iode iodurée, renfermant 2 milligrammes et plus d'iode
métallique par centimètre cube ; au bout de 24 heures,
l'animal était mort avec tous les signes du charbon. L'ex-
périence prouve que l'iode pénétrant en même temps que
(2) Colin, L'Iode est-il un agent aniivirulent ? {Bull, de l'Acad. de
méd. 12 jadv. 1873, p. 48.)
DÉSINFECTION INTERNE. 373
le virus charbonneux dans les voies générales de l'absorp-
tion n'a pas réussi à neutraliser ce dernier ; mais il est
vraisemblable qu'en faisant des injections multiples dans
le tissu cellulaire sous-cutané autour du point inoculé,
on réussirait mieux à détruire le virus qui n'a pas encore
infecté tout l'organisme et qui n'a produit qu'une infection
locale.
Les physiologistes et les praticiens commencent à entrer
dans cette voie expérimentale. Depuis les travaux de Pas-
teur, de Chauveau, de Toussaint, depuis que l'on sait à quel
point les différences des milieux de culture modifient la
vitalité et l'activité des microbes pathogénétiques, on est
autorisé à rechercher, au moins chez les animaux, l'action
des désinfectants, des neutralisants internes dans chaque
maladie virulente et inoculable. Puisqu'un abaissement de
la température centrale des poules rend celles-ci inoculables
aux bactéries charbonneuses que tuait la température nor-
male des oiseaux (-[-42° G.), il n'est pas absolument impos-
sible qu'un abaissement considérable de la température du
sang de l'homme atteint de maladie infectieuse, arrêté ou
suspende le développement d'autres microbes.
MM. Talamon et Derignac (1) ont vu chez un malade
atteint de charbon les bactéries filiformes disparaître du
sang après inhalation de deux ballons d'oxygène en 1:2 heu-
res et être remplacées par un nombre inaccoutumé de
spores. Les auteurs se demandent s'il faut considérer ce
résultat comme un fait heureux, prouvant que les bacté-
ridies ne pouvaient se développer dans le sang plus oxy-
géné, ou si au contraire ce développement des spores doit
être regardé comme la conséquence d'une multiplication
plus active de la bactérie aérobie au contact de l'oxygène.
Le malade étant mort, il serait oiseux de disserter dès à
présent sur la signification d'un tel phénomène ; mais il
1) Talamon et Derignac, Revue mensuelle de médecine, 1881, p. 403.)
374 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
indique une voie nouvelle dans laquelle il est avantageux
de s'engager.
Nous avons déjà vu (page loS) que M. le D"" Bovet de Neu-
châtel a été conduit, par la distinction des bactéries et des
vibrions en aérobies et en anaérobies, à proposer d'utiliser
les propriétés de l'acide pyrogallique qui a, on le sait, une
avidité extrême pour l'oxygène. Il pense qu'on pourrait
ainsi détruire, nous n'osons dire asphyxier, les protorga-
nismes aérobies. Une pareille proposition est passible d'ob-
jections très graves sur lesquelles il nous semble inutile
d'insister ; il suffit de dire que l'absorption d'une quantité
faible de cet acide a déterminé des accidents graves :• on
asphyxie peut-être les bactéries , mais aussi les globules
sanguins, ce qui entraîne la mort.
C'est à la désinfection interne que se rattache l'emploi
du sulfate de quinine. D'après Binz, les sels de quinine
détruisent les organismes microscopiques et retardent ou
empêchentlesdécompositions putrides. M. Rochefontaine(l),
M. Léon Colin (2), ont montré que cette action parasiticide
des sels de quinine étaittout à fait contestable, et que le mo-
de d'action de ce médicament n'était rien moins que démon-
tré. M. Laveran, qui a rencontré chez les fébricitants des
éléments figurés qu'il compare aux filaires du sang, les a
toujours vus disparaître chez les malades qui ont pris du
sulfate de quinine ; il est conduit à considérer les sels de
quinine comme de véritables parasiticides, qui guérissent
en détruisant ce nouveau genre de filaria sanguinis. Ce
ne sont là encore que de simples hypothèses, et là se trouve
la dernière limite des médicaments que nous pouvons con-
sidérer comme des désinfectants internes.
(1) Picchefontaine, Archives de physiologie, T. V, p. §90.
(2) Léon Golic, Etude sur les sels de quinine. (Bulletin de Thérapeu.-
tiqup, 187-2, T. 83, p. 5.)
DÉSINFECTION DE L'URINi: ET DES Î^ELLES, ETC. 375
DÉSINTRGTION DES SKCRKTIONS , DE l'uRINE ET DES SELLES
DES MALADES. — Nous croyoDS (Jevoir rattacher à la désin-
fection interne l'emploi (le l'acide benzoïque et du benzoate
de soude qui, ingérés sous forme de potion glycérinée à la
dose journalière de 1 à 4 grammes, empêchent la décom-
position de V urée et h fennentatlon ammoniacale de l'uri-
ne. MM. A Robin et Gosselin (1) ont montré qu'on pouvait de
la sorte prévenir les accidents d'empoisonnement qui sont
la conséquence fréquente de la résorption de ces produits
de fermentation.
La térébenthine paraît avoir, dans une certaine mesure,
une action comparable. L'on sait à quel point est infecte
d'ordinaire la salle des gâteux à l'infirmerie de Bicètre. En
1812, M. Constantin Paul (2), chargé de ce service, cher-
cha à conjurer cette infection qui persistait malgré des
soins rigoureux de propreté. îl s'assura que la mauvaise
odeur résultait de la fermentation ammoniacale de l'urine
qui souillait la paille des couchettes. Il fît ajouter aux ali-
ments des malades, chaque jour, à chaque repas, une pi-
lule de 20 centigrammes de térébenthine cuite ; l'infec-
tion disparut bientôt complètement, et l'on s'assura que
l'urine rendue résistait dès Iobs pendant 24 heures à la
fermentation. Pendant de longues années, ce traitement
est resté général à l'infirmerie des gâteux à Bicêtre,
Dans une séance de l'Académie des sciences (24 juillet
1859), au cours de la discussion sur la valeur désinfectante
de la poudre de coaltar, M. Payen disait avoir fait l'expé-
rience suivante. L'addition d'une faible dose d'essence de
térébenthine dissoute dans l'eau lui a suffi pour prévenir
la putréfaction de l'urine pendant plusieurs jours; une
(1) Gosscliu et A. Robin, Traitement de la cystite ammoniacale par
l'acide benzoïque. [Arch. gén. de vied. T. XXIV, p. 566.)
(2) Coûstantin Paul, Désinfection des salles de gâteux. (Répertoire de
pharmacie, 1873, n° 12.)
316 DÉSINFECTION NOSOCOMIA.LE.
autre partie de la même urine abandonnée à elle-même
subissait rapidement une fermentation ammoniacale très
prononcée. Payen attribuait dès lors ce résultat à l'ozone
formé par les vapeurs de térébenthine et qui produit des
oxydations rapides capables d'arrêter le mouvement de fer-
mentation. Il nous a semblé intéressant de rapprocher l'ex-
périence de Payen, du traitement en quelque sorte hygié-
nique que M. C. Paul fit beaucoup plus tard subir avec
succès aux infirmes de Bicêtre.
L'ingestion stomacale d'acide borique (4 grammes), de
borate de soude, d'acide salicyfique (4 à 2 grammes) di-
minue également' la fermentation ammoniacale de l'urine
dans la vessie. Mais quand cette action n'est pas suffisante,
il faut désinfecter directement l'urine dans la vessie, par
l'injection de certains liquides désinfectants. M. le profes-
seur Félix Guyon emploie journellement, dans les cas de
cystite chronique et de fétidité de l'urine, l'injection dans
la vessie d'une solution saturée d'acide borique , soit
4 grammes d'acide dissous dans 100 grammes d'eau tiède
à 4~ 37°. MM. Picot et Dubreuil ont de même obtenu des
succès par les injections intravésicales de solutions à 1
pour 200 de silicate de soude, mais d'autres observateurs
ont vu dans ce dernier cas survenir des accidents, et le
moyen est aujourd'hui presque abandonné.
Ces lavages désinfectants peuvent encore être faits avec
l'acide phénique (2o centigrammes à 1 gramme par litre
d'eau), le sulfite de soude, etc ; ils doivent toujours être
pratiqués avec ^e l'eau à -j- 37°, et ne pas dépasser no-
tablement 50 à 60 grammes, à moins qu'on n'emploie une
sonde à double courant.
Dans les cas de bronchorrée fétide , la décomposition
du mucus stagnant dans les culs-de-sac bronchiques donne
naissance à des acides gras dont la fétidité est extrême et
simule la gangrène : les expectorants, les vomitifs, en éva-
cuant ces produits concrets, réussissent parfois à supprimer
DÉSINFECTION DE L'URINE ET DES SELLES, ETC. 377
la cause de l'infection et la fièvre putride qui en résulte. La
véritable gangrène pulmonaire cause l'empoisonnement du
malade et une gêne extrême pour les autres patients cou-
chés dans la salle. M. Bucquoy (1) a obtenu une désinfection
efficace par l'administration de potions contenant 2 grammes
d'alcoolature d'eucalyptus. La créosote de bois (30 centi-
grammes à 1 gramme par jour, diluée dans l'huile ou la
glycérine), la térébenthine, les balsamiques agissent dans
le même sens; les inhalations de vapeur d'eau chargée de
résine de bourgeons de sapin, de goudron, d'acide phé-
nique, d'iode métallique, de camphre peuvent aussi être
employées. Gannal faisait respirer de très petites quantités
de chlore, se dégageant insensiblement du chlorure de
chaux, pour corriger l'odeur fétide des cavernes chez les
phthisiciues. Dans des cas semblables, Piorry ne crai-
gnait pas de recommander l'inhalation de vapeurs iodées,
et administrait des vomitifs pour évacuer le contenu pu-
tréfié des excavations pulmonaires.
Dans la phthisie en effet, l'excavation pulmonaire n'est
qu'un abcès interne et plusieurs médecins se sont avisés
d'appliquer à l'ulcère tuberculeux du poumon le panse-
ment antiseptique de Lister. D'après le D"* Sinclair Co-
ghill (2), le but à remplir dans ce cas est triple : 1° di-
minuer les sécrétions ; 2° faciliter l'évacuation des liquides
purulents déjà amassés dans l'excavation ; 3° désinfecter
l'air qui circule dans la cavité et dans les bronches, à la
fois pour empêcher la résorption des liquides altérés ou
putrides, et aussi pour prévenir la dissémination des ger-
mes morbides et virulents que certains supposent contenus
dans les sécrétions tuberculeuses. M. Sinclair Coghill se
sert d'un masque buccal, en forme de cuvette ou d'en-
(1) Bucquoy, La pleurésie, dans la cjangrène pulmonaire. (Ulém. de la
Soc. méd. des Hôpit. T.Xll. 1875, p. 59.)
(2) D'' Sinclair Coghill, Antiseptic inhalation in pulinonanj affections.
{Britisli médical Journal, 28 mai 1881, p. 841, avec figures, et Archives
générales de médecine, juillet 188), p. 89.)
378 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
tonnoir, composé de deux enveloppes perforées à la façon
d'un crible entre lesquelles on interpose de l'ouate. Cet
inhalateur est fixé devant la bouche par des cordons élas-
tiques attachés aux oreilles. La plaque de coton est imbibée
plusieurs fois par jour de 10 à 50 gouttes d'une solution
antiseptique ; l'expiration doit se faire exclusivement par
le nez, l'inspiration exclusivement par la bouche ; il suffit
de deux séances d'une heure chaque jour pour s'habituer
à ce mécanisme. M. Coghill emploie comme antiseptique
l'acide phénique (1 sur 40), la créosote, le thymol, l'iode,
en combinaison avec l'éther sulfurique et l'alcool rectifié.
Dans les cas de bronchorrée fétide, de gangrène pulmo-
naire, de fièvre de foin, cette méthode de désinfection peut
rendre de véritables services. L'agent désinfectant est
porté directement sur le siège du mal ; mais il faut qu'il
soit volatil et sans action irritante sur les voies respira-
toires. MM. Wilhams (1), Wilson Hope (2), Carrik Mur-
ray (3) paraissent avoir obtenu en ces derniers temps de
bons effets de l'emploi de ce traitement antiseptique dans
un assez grand nombre d'affections pulmonaires. On ne doit
pas oublier toutefois que beaucoup de ces substances sont
irritantes, et peuvent provoquer la toux, des hémoptysies,
des irritations trop vives.
MM. Chiaramelli et Semmola (4) ont employé l'iodoforme
dans les affections chroniques broncho-pulmonaires, afin
d'empêcher la putréfaction des sécrétions accumulées
dans l'organe malade. Mais les auteurs prescrivent ce
(1) D"- Williams, Puhnonary phthisis treated axtiseplically. (Brilish
médical Journal, 23 juillet 1881, p. 120.)
(2) D"" ^Yilsou Hope, Inhalation in phthisis. (Biitish médical Journal^
16 juillet 1881, p. 81.)
(3; D" Carrik Murray, AnUseptic treatnient of Imifj-diseases. {Brilish
médical Journal, 23 juillet 1881, p. 121; 22 octobre 1881, p. 665.)
(4) Chiaramelli, Annali clinica, janvier 188% et Lyon médical, 5
mars 1882, p. 362,
DÉSINFECTION DE L'URINE ET DES SELLES, ETC. 37!>
médicament par la voie stomacale, sous forme de pilules :
lodoforme 10 centigrammes.
Poudre do lycopodc 50 —
Thridaco q. s.
faites 10 pilules dout on prend 3 à fi par jour.
L'iodoforme qui est très volatil s'élimine par le poumon;
l'action sur cet organe est sans doute ainsi moins irritante
que si l'on recourait aux inhalations directes.
En ces dernières années, Schuller (1), Rokitansky, ont
fait grand bruit des résultats excellents qu'ils auraient
obtenus par des inhalations répétées de benzoate de soude
dans le traitement de la phthisie pulmonaire. Au moyen
d'un pulvérisateur, on poudroyait une solution contenant
5 grammes de benzoate de soude pour 100 grammes d'eau;
la quantité de benzoate consommée ne s'élevait pas à
moins de 30 à 60 grammes par jour ! le traitement de^^ait
être continué pendant plusieurs semaines sans interruption.
Les auteurs partaient de cette hypothèse que la bactérie
tuberculeuse découverte et cultivée par Klebs et Reins-
tadler (2) est détruite par le benzoate de soude ; il fal-
lait donc saturer le poumon et l'organisme entier avec cet
agent réputé antivirulent, afin de poursuivre le monas tu-
herculosum partout où il s'était accumulé. L'engouement
produit par la publication des travaux de Rokitansky et
de Schuller a été de courte durée, et ce mode de traite-
ment, cette désinfection des tuberculeux, paraît être déjà
abandonné, au moins comme traitement spécifique.
Nous avons déjà signalé (p. 199) les succès que l'on pré-
tend avoir obtenus en Allemagne par l'application directe
et l'insrestion stomacale du benzoate de soude dans les
(1) Schuller, Ueber fmpftuberculose. {Arch. fur exper. Puthol. 1S79.)
(2) A. Reinstadler, Ueber Impftuberculos.{eArch. fur exp. Path. juillet
1879 p. 203, et Revue d'hygiène, 1880, p. 521.)
380 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
cas de diphtérie bien caractérisée, La question est encore
à l'étude, mais l'efficacité du remède paraît être réelle.
Nous mentionnerons enfin à cette place, comme com-
plément de la désinfection interne, les lavages de Vestomac
à l'aide de la pompe gastrique ou du simple tube en
caoutchouc armé d'un entonnoir. Ces lavages peuvent
être fait avec de l'eau simple ou de l'eau de Vichy ,
avec des solutions de chloral, d'acide borique ou sali-
cylique, de permanganate de potasse et d'acide phénique
quand l'estomac renferme des parasites (sarcines) ou des
matières putrides. Ces lavages ont donné de bons résultats
à MM. G. Sée, Labbé, Beaumetz et à nous tous dans les
dyspepsies putrides, dans la dilatation stomacale avec inertie.
MM. Lécorché et Talamon (1) considèrent les embarras
gastriques fébriles non comme des inflammations catar-
rhales de l'estomac, comme des fièvres typhoïdes avortées,
mais comme de véritables fièvres saburrales. Pour eux,
il s'agit d'une sorte d'intoxication par des matières gastro-
intestinales mal digérées, en voie de fermentation putride.
Quand l'intoxication est aiguë, rapide, à haute dose, la
fièvre est intense, parfois à type rémittent ou intermittent;
c'est la fièvre gastrique ou saburrale ; quand l'intoxication
se fait lentement et à petite dose, c'est l'embarras gastri-
que prolongé, caractérisé par l'odeur fétide de l'haleine,
les enduits saburraux, les gaz fétides. Le traitement, basé
sur cette hypothèse pathogénique, doit naturellement con-
sister en évacuants, en lavages directs ou indirects de l'es-
tomac, dans l'emploi du charbon, etc. Si cette conception
pathogénique est fondée, l'emploi des désinfectants inter-
nes pris par la voie stomacale trouverait ici une indication
évidente.
On sait que pour M. Bouchardat (2) les condiments et
(1) Lécorché el Talamon, Etudes médicales faites à la Maison muni-
cipale de santé, 1 vol. in-S», 1881, p. 584.
(2) Bouchardat, Traité d'hygiène publique et privée, 1881, p. 290.
DÉSINFECTION DE L'URINE ET DES SELLES, ETC. 381
surtout les condiments acres sulfurés (ail, oignon, mou-
tarde, poivre, raifort) ne sont pas seulement des excitants;
ils détruisent encore la vitalité des ferments organisés et
vivants qui troublent souvent la digestion. Ils sont sans
action nuisible sur les ferments physiologiques qui consti-
tuent les sucs gastrique et pancréatique, mais ils tuent les
ferments figurés accidentels, qui déterminent parfois la dé-
composition putride du bol alimentaire dans l'estomac ou
les intestins. L'expérience montre, en effet, que dans cer-
tains cas des doses assez fortes de ces épices sont très bien
supportées par des dyspeptiques invétérés, atteints sans
doute de dyspepsie putride (1).
Nous parlerons longuement, dans un chapitre ulté-
rieur, de la désinfection des matières fécales, des vidan-
ges, des égouts. Mais nous croyons devoir ici, en traitant
de la désinfection nosocomiale, indiquer les moyens de
désinfecter les selles parfois infectantes ou virulentes
rendues par les malades. Non seulement il est nécessaire
de désodoriser ces selles qui sont une cause de souillure
de l'air de la salle, mais il est indispensable de les neu-
traliser avant de les jeter dans les fosses ou les égouts
qu'elles pourraient ensemencer de germes redoutables.
S'il est vrai, comme le disait Budd, qu'une seule selle
typhoïde peut infecter le réseau des égouts d'une grande
ville, n'est-il pas indispensable de dénaturer ces matiè-
res avant de les jeter dans les fosses ou à la voirie ?
La désodorisation des selles est parfois très difficile,
surtout dans certaines maladies où leur putréfaction
atteint dans l'intestin un degré insupportable; il suffit
de citer la fièvre typhoïde, la dysenterie chronique, etc. ;
dans aucune maladie peut-être la putridité n'est aussi
manifeste et l'odeur aussi tenace que dans la diarrhée
(1) Dujardin-Beaumelz, Leçons de clinique thérapeutique, t. I, p. 366.
382 DÉSINFECTION NOSOCOMJALE.
de Cochinchine. Voici les substances qui nous ont le
mieux réussi :
Chlorure de zinc, sulfate de fer ou de zinc, 15 à 30
grammes par lilre, à employer clans les 24 heures,
par malade;
Terre sèche de jardin, portée au four; on en verse
500 grammes sur chaque déjection. La poussière pro-
venant des balayures, la suie, le charbon pulvérisé pro-
duisent également un excellent effet ; les cendres de foyer
sont moins efficaces, mais d'un emploi très pratique.
11 ne faut compter que bien faiblement sur les vases
et les sièges où les bords du couvercle sont noyés dans
une couche d'eau, de glycérine ou de sable ; ces occlu-
sions hermétiques sont illusoires, par la néghgence du
personnel ou du malade, par le dérangement facile des
appareils; il est plus simple de vider immédiatement
les bassins. Nous trouvons décrites dans le rapport de
M. Schleissner sur les hôpitaux de Copenhague au Con-
grès de Bruxelles en 1877, des chaises destinées aux hô-
pitaux et qui peuvent avoir des avantages, surtout quand
elles servent à un certain nombre de malades pendant
la nuit. Entre la lunette du siège et le bassin se trouve
l'ouverture d'un conduit qui débouche dans une cheminée
d'appel où brûle un bec de gaz; il se fait donc cons-
tamment un courant d'air rapide du bassin vers la bouche
aspiratrice ; il est difficile que les émanations se dégagent
dans la salle, mais il est nécessaire que l'appareil reste à
demeure, fixé toujours à la même place, ce qui rend son
emploi difficile pour les malades atteints de maladies
graves.
Le désodorisant le plus actif est le chlorure de zinc ;
à la dose de 1 à 5 pour 100, il fait souvent dispa-
raître immédiatement l'odeur; il est en même temps à
cette dose un véritable désinfectant, il neutralise les ma-
tières suspectes.
DÉSINFECTION Di: UURLNE ET DES SELLES, ETC. 383
Les neutralisants sont indispensables dans les cas de
fièvre typhoïde, de choiera, de dysenterie, et en général
de toute maladie infeclicuse. Le chlorure de chaux en
poudre désodorise rnal, il substitue une odeur à une autre,
mais il doit décomposer la matière organique; il peut
être employé, nous le croyons cependant bien inférieur au
chlorure de zinc. L'acide sulfurique dilué au vingtième
(SO grammes par litre d'eau) pour le rendre plus ma-
niable et moins dangereux, dénature très bien les matières ;
nous en faisons un emploi habituel dans la fièvre typhoïde.
Une certaine quantité de ce mélange ('âoO grammes) doit
toujours être versée par avance dans le bassin ou la
chaise percée desliné au malade. Il ne nous a pas semblé
que les matières ainsi traitées fussent capables d'altérer
les tuyaux de chute ou de conduite ; l'acide est en grande
partie et rapidement neutralisé par l'ammoniaque des
fosses.
M. John Dougall(l) préconise au plus haut point l'em-
ploi de l'acide chlorhydrique dilué àl sur 20, pour désin-
fecter les selles typhoïdes ; il fait verser par avance un
verre de ce mélange dans le bassin vide destiné au malade;
on le renouvelle après chaque selle. On a reproché à ce
moyen d'altérer les bassins métalliques, les garnitures
des water-closets. M. Dougall a montré par de très-
nombreuses expériences que ces craintes ne sont pas fon-
dées. Il cite l'exemple d'un malade atteint de fièvre ty-
phoïde qui, pendant 3 semaines, avait au moins 10 selles
en 24 heures ; pour désinfecter ces selles, on usa pendant
ce temps 3 litres d'acide chlorhydrique pur sous forme de
solution à 1 pour 20, et cependant les appareils et garnitures
des water-closets dans lesquels on versait incessamment
les matières n'étaient nullement endommagés. Il a fait en
outre des expériences directes : il plaça des morceaux de
(1) John Dougall, DUinfeclion by acid. (BritUh Médical Journal
8 novembre 1879, p. 7:26 et 770).
384 DÉSINFECTION NOSOCOMIALË.
laiton, de cuivre, de plomb, de fonte, mesurant chacun
2 pouces de surface, dans un liquide représentant 1 par-
tie d'acide chlorhydrique pur et 19 d'eau simple; ils y
séjournèrent pendant 24 heures. Au bout de ce temps, on
les pesa exactement, et la comparaison avec le poids
initial montra que le laiton, le cuivre, le plomb n'avaient
subi aucune altération; le fer seul avait perdu 4,33 pour
100 de son poids. Dans nos cabinets d'aisances, les tuyaux
en fer ou en fonte ont une grande épaisseur ; ils sont
placés dans les parties inférieures, loin de l'orifice de
chute, et les solutions acides sont, quand elles y par-
viennent, tellement diluées dans l'eau de lavage et les
traversent si rapidement, qu'elles ne peuvent dégrader
véritablement ces pièces métalliques.
Sans méconnaître la valeur des arguments de M. John
Dougall, nous croyons que la dose de 1 pour 20 est fort
élevée, et qu'on ne peut considérer comme une chose
indifférente qu'un morceau de fer perde, dans le mélange
désinfectant, près de 5 pour 100 de son poids en 24 heures !
La solution au centième serait peut-être suffisante, quoi-
que nous n'ayons fait aucune expérimentation directe sur
sa valeur neutraUsante.
On a conseillé le permanganate de potasse comme
désodorisant et neutralisant : mais les doses à employer
dans ce cas sont énormes; il faut qu'après la désinfection
obtenue il reste un excès de permanganate disponible et
non décomposé; aussi Dougall a-t-il calculé qu'au prix
commercial de la hqueur de Condy, il faudrait dépenser
par an 260,000 francs pour désinfecter à l'aide du per-
manganate les selles typhoïdes dans un hôpital où il y
aurait en moyenne 30 cas présents de fièvre typhoïde.
C'est donc un désinfectant auquel on ne peut recourir
que dans des cas exceptionnels et dans les familles ai-
sées. La dose à employer par jour nous paraît être deux
litres d'une solution contenant au moins 2 grammes de
DESINFECTION DE LURINE 385
permanganate à l'état solide par litre d'eau non distillée.
L'acide phénique, très généralement usité, est el'ii-
-cace, mais à la condition qu'on emploie des doses fortes :
1 litre par jour d'une solution à 5 pour 100, ce qui ne
fait pas moins de 50 grammes par jour pour un malade !
On se règle d'ordinaire sur l'odeur, et l'on emploie presque
■toujours des doses illusoires. Il y aurait avantage à recourir
dans ces cas à l'huile lourde de houille, qui coûte bon
marché, est un désodorant et presque certainement aussi
un neutralisant des matières infectantes. Il suffirait d'en
verser 100 grammes mêlés à un litre d'eau dans chaque
bassin, afin que les matières qui y seraient successivement
déposées fussent toujours recouvertes de la couche oléa-
gineuse et légère qui surnage le liquide.
En résumé, dans les cas où il faut à la fois détruire
l'odeur et la virulence, nous croyons qu'on doit donner la
préférence au chlorure de zinc ou à l'huile lourde de houille.
Les ustensiles qui servent aux malades, et en particulier
les urinoirs, les vases de nuit, s'imprègnent fréquem-
ment d'une odeur ammoniacale insupportable ; dans les
hôpitaux, et même dans les habitations particulières, les
tables de nuit contractent au bout d'un certain temps une
odeur repoussante, surtout quand elles servent à des ma-
lades atteints de paralysie ou de catarrhes chroniques de
la vessie. Quand le nettoyage n'est pas complet, quand il
reste la moindre parcelle de ferment urinaire, l'urine s'al-
tère en moins de 24 heures, et nous nous sommes assuré
que l'on impute parfois à un état pathologique de la vessie,
ce qui n'est qu'un véritable ensemencement de l'urine
émise. La moindre fissure des vases, surtout quand ils sont
poreux, recèle le ferment ammoniacal. L'acide chlorhydri-
que, dilué au dixième, dissout rapidement les dépôts
urinaires, et détruit en même temps la matière organique ;
les odeurs les plus tenaces disparaissent par ce moyen.
La décence, non moins que l'hygiène, devrait imposer
Valu:^. — Désinfectants. 25
386 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
comme une règle la désinfection des tables de nuit, à
chaque changement de malade dans les hôpitaux. L'im-
prégnation du bois est extrême, surtout quand ces meubles
sont fermés, et elle résiste aux lavages les mieux faits.
Dans notre service, nous obtenons la désinfection de ces
tables en y faisant brûler 4 ou 5 grammes de fleurs de sou-
fre dans un godet en fer, en ayant soin de ne pas fermer
complètement la porte du meuble. Toute trace de mauvaise
odeur disparaît et les germes de la fermentation de l'urée
sont complètement détruits, car du jour au lendemain l'u-
rine du même malade cesse d'être putride au réveil. Userait
facile d'ailleurs d'enduire l'intérieur du meuble d'une
couche de paraffine, par le procédé que nous indiquons
plus loin, pour rendre le bois imperméable aux gaz et aux
émanations fétides.
ART. IV. — DÉSINFECTION DES LOCAUX.
Trois cas peuvent se présenter : 1" les locaux sont
complètement inhabités ; 2° ils sont habités, mais le ma-
lade peut les quitter momentanément; 3° le malade ne
peut quitter la chambre ou la salle,
DÉSIiNFEGTION DES LOCAUX NON HABITES, LorSqu'UU lo-
cal a été souillé par le séjour prolongé de personnes ou
de malades, à plus forte raison en cas d'épidémie ou de
maladie transmissible , un excellent moyen de désin-
fection et d'assainissement consiste dans Vévacuation
complète et prolongée des bâtiments. Les salles de re-
change, les services d'alternance dans les hôpitaux sont
à ce point de vue une ressource précieuse; un hôpital
n'est salubre qu'à la condition de tenir toujours en ré-
serve plusieurs salles inoccupées, qui se reposent et se
purifient, après avoir fonctionné plusieurs mois ou une
année d'une façon active et incessante, La même règle
DESINFECTION DES LOCAUX. 381
est applicable à certaines parties d'une habitation parti-
culière.
Dans ces cas, les fenêtres, les portes, doivent être te-
nues largement ouvertes le jour et autant que possi-
ble la nuit : le soleil et l'air doivent y entrer librement,
incessamment. Les variations de sécheresse et d'humidité,
de chaleur et de fraîcheur y activent les oxydations, les
réductions, la destruction des matières organiques. On sait
que l'ozone fait absolument défaut dans l'air des chambres
et des maisons habitées ; l'éloignement des habitants fait
reparaître l'ozone, c'est-à-dire l'oxygène actif, l'élément
par excellence de la purification et delà désinfection. L'on
a cité quelques exemples de salles d'hôpital, où la mala-
die épidémique, pourriture d'hôpital, infection purulente,
érysipèle, a reparu après un chômage de quatre ou six
mois. Il est presque certain qu'on s'était contenté d'éva-
cuer la salle, mais qu'on n'avait pas pris le soin de la ven-
tiler, de l'insoler, de l'aérer largement et d'une façon pres-
que continue afin d'éviter la stagnation dans les fissures ;
la désinfection et l'assainissement ne s'obtiennent qu'à
ce prix.
Il est difficile de fixer la durée du chômage ; cette durée
varie avec la saison, le degré d'infection, la nature des
maladies antérieures. Dans des conditions ordinaires, en
été, quand l'épidémie ou la souillure a été moyenne dans
un hôpital, l'évacuation doit durer au minimum trois mois,
elle devrait presque toujours être continue pendant six mois.
Dans une habitation particulière, la durée peut varier de 15
jours à 3 mois. C'est d'ailleurs une occasion pour gratter
ou laver les murailles, les plafonds, les planchers. Si les
murs sont enduits de peinture, celle-ci peut être seule-
ment lavée à la potasse ; il est préférable d'appliquer
une nouvelle couche ; c'est un moyen de boucher les fissu-
res dans lesquelles peuvent être accumulés des germes
morbides ou des insectes parasites.
388 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
Les papiers de tenture, dans les appartements particu-
liers, doivent être renouvelés toutes les fois que la chambre
a été occupée par un malade atteint d'une de ces affections
transmissibles, graves à raison de leur parasite, et qu'il
existe dans l'appartement des personnes susceptibles de
la contracter : diphthérie (enfants), infection puerpérale
({femmes en couches) ; ces papiers sont un réceptacle dan-
'gereux de germes morbides et d'odeurs désagréables. Les
anciens papiers doivent être préalablement arrachés. Dans
un mémoire lu à la Société de médecine publique (1),
nous avons mentionné des exemples d'infection manifeste
de l'air des chambres, et d'accidents faisant craindre l'ex-
plosion d'une épidémie de fièvre typhoïde, par la superpo-
sition de 10 à 12 épaisseurs de papiers de tenture succes-
sivement renouvelés ; la colle de pâte accumulée entre ces
<;ouches avait subi la fermentation putride et était remplie
-de vers. Les peintres emploient fréquemment pour fixer
les papiers à la m.uraille de la colle de farine ou d'amidon
«n pleine décomposition, surtout pendant l'été; nous avons
-observé un cas d'empoisonnement léger par ces émana-
tions putrides, et nous a^ons proposé d'incorporer dans
«cette colle, comme dans l'enduit gélatineux destiné aux
plafonds, une petite quantité d'acide borique ou salicyli-
«cjue qui empêcherait cette décomposition, soit au moment
«de l'application, soit postérieurement.
iJans les chambres particulières de malades, dans les cas
iTioins graves, on pourrait se contenter de pulvériser
«contre les papiers qu'on ne veut pas renouveler, des so-
lutions d'acide phénique à 2 pour cent, ou de chlorure de
aine à 10 ou 20 pour mille.
Dans les habitations collectives oi^i l'on conserve 'encore
ia pratique du badigeonnage, il est nécessaire de gratter
-soigneusement l'enduit ancien avant d'appliquer le nou-
(1) Valliu, /)es accidents produits par les papiers de tenture récemment
'appliqués {Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1880, p. 481).
DÉSINFECTION DES LOCAUX. 389'
veau. Tout le monde connaît les chiffres incroyables (4G à
54 pour 100) de matières organiques trouvés dans ces en-
duits par Kuhlman, Kirchner et Chalvet. Sans doute il faut
faire la part de l'albumine ou de la gélatine introduites
dans le lait de chaux ou de craie pour le rendre plus adhé-
rent ; mais on comprend que cette couclie extraordinaire-
ment poreuse retienne toutes les matières organiques dissou-
tes dans la vapeur d'eau et les buées souvent fétides qui se-
condensent sur les murailles refroidies. En outre, ces surfa-
ces rugueuses retiennent, beaucoup plus qu'une paroi vernie-
et luisante, les particules solides, les débris d'épiderme^
le pus desséché, les poussières suspectes, qui flottent en-
si grande abondance dans les salles de malades. Rien ne-
prouve mieux la nécessité de gratter exactement les an-
ciens enduits, que le fait suivant relaté par Deger{Bau cler
Krankenhaiiser, p. 202) : 2 ouvriers contractèrent la va-
riole pour avoir gratté et renouvelé les enduits de chaux,,,
dans la salle des varioleux de l'hôpital général de Munich :.
la salle était cependant restée inoccupée pendant un an.
On a prétendu que l'enduit à la chaux, qui reste caus-
tique pendant quelque temps avant d'être saturé par l'acide
carbonique de l'air, est un excellent moyen de désinfection
des murailles, parce que les matières albuminoïdes forment
avec l'hydrate de chaux, des composés insolubles et inof-
fensifs. Ce blanchiment n'a qu'un effet superficiel et peu du-
rable ; en supposant qu'il détruise les matières organiques
suspectes qui sont à la surface même de la muraille, il n'a-
aucune action sur les miasmes dont les matériaux poreux
sont imprégnés et parfois saturés. Il importe toutefois dé-
faire une distinction ; on confond trop souvent le lait d&
chaux, qui est très adhérent, se fendille peu, n'a pour ainsi
dire pas d'épaisseur, avec le mélange de craie, d'eau et de
colle qui sert à Paris à faire le badigeonnage. Ce dernier
encrasse les murs d'une couche poreuse, épaisse, qui est
un réceptacle d'impuretés ; il se fissure, s'écaille rapi-
390 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
dément, et donne issue de la sorte aux principes morbi-
fiques qui pourraient être accumulés dans les porosités
ou les interstices de la muraille. Ces enduits doivent dis-
paraître des habitations collectives, des casernes, à plus
forte raison des hôpitaux ; une exception pourrait à la ri-
gueur être faite en faveur du lait de chaux proprement
dit, à la condition qu'il soit renouvelé tous les trois mois
au moins. Il y aurait peut-être avantage à incorporer
dans le lait de chaux, avant l'application, certaines sub-
stances antiseptiques telles que l'acide borique à la dose
de 1 kilogramme pour 1 hectolitre de lait de chaux ; cet
acide ne coûtant guère dans l'industrie que 2 francs le ki-
logramme, on voit que la dépense serait minime; reste à
savoir si le procédé est technologiquement applicable.
Les boiseries non peintes, les planchers doivent être
brossés avec de la potasse et du savon , puis humectés d'une
solution phéniquée ou de chlorure de zinc à 2 pour 100.
Le simple lavage des parois (murs , plafonds , sol) à
grande eau est un moyen de désinfection très puissant et
qu'il ne faut pas négliger, quand le mode de construction
et d'installation des salles le permet. L'on sait qu'au pa-
villon modèle établi par M. Tarnier à la Maternité de Paris,
dès qu'une nouvelle accouchée quitte la chambre, après
guérison simple comme après décès, on lave immédiate-
ment la cellule à l'aide d'une pompe à forte pression. On
inonde d'eau pure le plafond, les murs peints à l'huile et
vernis, le sol en ciment ou en mosaïque; on lave à grande
eau le lit, les sièges, la table, la baignoire, en un mot tout
ce qui existe dans la chambre et qu'on a eu soin de faire
revêtir d'enduits imperméables. Ce lavage en grand paraît
ne pas être étranger aux succès que M. Tarnier a obtenus
dans son nouveau pavillon.
D'autre part, nous avons entendu raconter à M. le pro-
fesseur Brouardel le fait suivant : alors qu'il était chargé,
en 1870-71, d'un service de varioleux à l'hôpital improvisé
DÉSINFECTION DES LOCAUX. 391
du quai de Javelle, il reçut l'ordre d'évacuer immcklialcment
CCS variolcux et de tenir l'hôpital tout prêt pour recevoir
les blessés à la suite d'une sortie imminente des troupes
assiégées. Pressé par la nécessité, et craignant que les
blessés annoncés ne contractassent la variole en séjournant
dans l'atmosphère où venaient de vivre plusieurs centai-
nes de varioleux, M. Brouardel employa le moyen suivant:
A l'aide de ses infirmiers, il fit lancer avec une pompe une
grande quantité d'eau simple sur les murs, le sol, les
parois ; tout le matériel fut également lavé à grande eau
pendant près d'une journée, après que les varioleux eu-
rent été évacués. Malgré le bref délai accordé (12 heures), et
l'absence de tout désinfectant chimique, les nouveaux sol-
dats introduits dès le lendemain dans l'hôpital restèrent
complètement indemnes ; aucun d'eux ne contracta la va-
riole dans les semaines ou les mois qui suivirent.
Quand la nécessité est moins urgente, il est préférable
de laver toutes les parois avec un légère dissolution de
chlorure de zinc (5 à 10p. 1000), de chlorure de chaux (à
o p. 100), d'acide phénique (2 p. 1000), ou avec une lessive
de potasse ou d'eau seconde.
Mais il faut bien le reconnaître, ce sont là des moyens
incertains, des demi-mesures. Il est plus sûr, plus rapide,
plus économique dans la plupart des cas de recourir aux
fumigations qui pénètrent partout, qui détruisent non seu-
lement les mauvaises odeurs, mais encore les germes vi-
rulents ou les miasmes que les locaux peuvent contenir.
Le moyen le plus héroïque est, sans contredit, la fumi-
gation par l'acide hypoazotique, par les vapeurs dites ni-
treuses. Toute la matière organique est détruite chimi-
quement, la purification est complète et rapide. D'après
Payen, pour chaque Ut et pour l'espace correspondant, soit
environ 40 mètres cubes, on emploie le mélange sui-
vant :
392 DESLNFEGTION NOSOCOMIALE.
Eau 2 litres.
Acide azotique du commerce ...... 1,500 grammes.
Tournure ou planure de cuivre 300 —
(Voyez pour le détail de l'opération, page 271.)
Il est incontestable que les quantités sont énormes ;
les étoffes, les objets métalliques ou de toute sorte qui
seraient laissés dans la pièce seraient corrodés par les va-
peurs acides. Même au bout de 48 heures, il est dangereux
d'entrer dans la chambre close où a été pratiquée une telle
fumigation, et avant d'y pénétrer, il faut du dehors ouvrir
plusieurs issues à l'air et laisser s'établir une large ventila-
tion. Des accidents très graves, mêmes mortels, pourraient
résulter d'imprudences commises à ce point de vue parles
hommes chargés de cette opération. Ce mode de désinfec-
tion doit donc être sinon abandonné complètement, au
moins réservé aux cas très rares oi^i l'infection aurait été
excessive, où les locaux seraient absolument nus , ne
craindraient aucune altération par cet agent chimique, et
où l'on pourrait laisser pendant plusieurs jours la salle se
ventiler largement et se débarrasser de toute vapeur, avant
d'y placer des hommes sains ou malades.
La plupart des inconvénients et de ces dangers peuvent
être évités par l'emploi de Vacide nitreux proprement dit.
MM. Ch. Girard et Pabst ont trouvé il y a quelques an-
nées un moyen pratique et peu coûteux de produire à vo-
lonté Facide nitreux, et ont basé sur ce procédé plusieurs
méthodes applicables à l'hygiène.
« La source d'acide nitreux qu'ils emploient (1) est
l'acide sulfurique nitreux, ou cristaux de chambres de
plomb, combinaison cristallisée d'acide sulfurique et d'acide
nitreux, qui, traitée par l'eau, se décompose en ses élé-
ments. Mais l'acide azoteux ne peut exister à l'état con-
centré ; il se décompose en acide hypoazotique et en
(1) Note inédite do M. Pabst.
DÉSINFECTION DES LOCAUX. 393
bioxyde d'azote : au contraire, si la décomposition des
cristaux est très lente, on peut diffuser l'acide nitreux
dans des quantités d'air considérables, et alors il se pré-
sentera avec ses propriétés habituelles et voisines de celles
de l'ozone.
« L'acide azoteux a des propriétés oxydantes très éner-
giques ; il brûle toutes les matières organiques en pous-
sières ou en vapeurs ; il combure presque tous les gaz,
sauf l'hydrogène ; l'acide sulfurique le retient en combi-
naison jusqu'au moment où l'air humide, ou les gaz, échan-
geront leur vapeur d'eau contre une quantité proportion-
nelle d'acide nitreux. L'acide sulfurique agit donc comme
réservoir distributeur, en quelque sorte, mais il exerce en-
core une autre action importante ; il dissout les vapeurs
combustibles que renferme cet air ou ce gaz, et les cède
à l'acide nitreux dissous, de sorte que ce dernier agit
d'abord à l'état liquide, puis à l'état gazeux, sur les molé-
cules qui auraient échappé à la première action.
« L'acide azoteux est connu depuis longtemps comme
l'un des plus puissants antiseptiques, au même titre et sur le
même rang que l'ozone et l'eau oxygénée. Il existe en
proportions très minimes dans l'atmosphère, dont il est un
des agents de purification naturelle, on a trouvé que la
quantité d'acide nitreux et d'ozone, dans l'air, étaient aug-
mentée après les orages ou les effluves électriques ; en
dehors de ce cas, on ne connaît pas de mode de formation
de l'acide nitreux ; l'ozone paraît exister dans l'oxygène
dégagé des parties vertes des plantes.
« Les germes de toute nature sont également détruits par
l'acide azoteux : si l'on introduit dans des ballons de Pas-
teur des liquides fermentescibles, qu'on fasse le vide par
ébullition, et qu'on laisse rentrer l'air en le faisant passer
d'abord sur du coke imprégné d'acide nitreux, l'air même
chargé de germes se montrera inerte dans le ballon. Pour
charger l'air de germes, on peut puiser cet air dans un
394 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
flacon renfermant des pellicules de mycodermes, ou des
poussières que l'on a préalablement essayées par voie
d'ensemencement : en agitant les flacons, l'air se charge
suffisamment de germes ; on peut aussi cultiver du péni-
cillium glaucum dans une assiette, et quand il a bien
fructifié, arroser les parties vertes : les spores sont pro-
jetés avec une petite explosion, et remplissent l'air que
l'on peut aspirer ensuite.
« Dans les cas où il s'agit d'assainir des espaces clos et
Appareil pour produire les vapeurs nilreuses ou l'élher nitreux. (La
cloche figurée ici ne sert qu'à recueillir les vapeurs pour une expé-
rience.)
dont la ventilation est difficile, on a songé à introduire
dans cet air, par voie de diffusion lente, des vapeurs d'acide
azoteux qui brûlent les matières organiques là où la lu-
mière ne peut arriver : par exemple, dans les caves et ma-
(1) La Désinfection par les oxydes nitreux {La Nature, 21 mai 1881
n» 416, p. 386.)
DESINFECTION DES LOCAUX. 395
gasins, les cales de navire, les chambres de malades, les
cabinets d'aisances, etc. On produit cet acide azoteux au
moyen d'un appareil composé d'un vase en grès verni,
contenant un vase poreux, analogue aux burettes des piles,
que l'on remplit d'acide sulfurique nitreux (cristaux des
chambres de plomb ou sulfate de nitrosyle). Entre les deux
réservoirs, on verse une couche de 1 à 2 centimètres d'eau.
L'acide traverse lentement le vase poreux, et se décom-
posant au contact de l'air humide qu'il y trouve, il donne
peu à peu des vapeurs d'acide nitreux qui se mélangent à
l'air. »
Ce procédé a été appliqué dans une cave ou couraient
deux lapins et qui contenait une tinette filtrante dont les
vidangeurs avaient laissé tomber le contenu sur le sol. Un
vase poreux de 40 centimètres de haut a eu raison de ces
causes d'infection. Le même système de désinfection a été
appliqué à la Morgue, et dans les voitures municipales ser-
vant au transport des malades à Paris. Quoique beaucoup
moins irritantes que celles d'acide hypoazotique, les va-
peurs d'acide nitreux ne peuvent guère être utilisées que
dans les locaux non habités.
L'on pourrait également avoir recours aux fumigations
d'acide chlorhydrique qui ont fait tout d'abord la réputation
de Guyton-Morveau. Ce dernier pour une capacité de
100 mètres cubes, employait les proportions suivantes :
Sel marin 8o grammes.
Acide sulfurique à 66 B . 68 —
Proportion qui parait très faible; on mélange rapide-
ment et l'on se retire. Au lazaret de Marseille, pour une
capacité de 100 mètres cubes on versait 300 grammes
d'acide chlorhydrique sur 150 grammes d'acide sulfuri-
que ; on doublait la dose quand les locaux étaient inoccupés.
Ces fumigations, caustiques et dangereuses quand les
doses sont fortes, sont aujourd'hui tombées en désuétude.
396 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE. •
au point que nous ne connaissons peut-être pas assez les
ressources qu'on en pourrait tirer.
Elles ont été généralement remplacées par les fumiga-
tions de chlore et par celles de soufre.
Ces dernières nous paraissent malgré tout mériter le
premier rang. Nous ne reviendrons pas sur les critiques
dont elles ont été l'objet de la part de Wernich,de Gartner
et Schotte (voy. p. 253). Un grand nombre d'expériences,
auxquelles nous avons joint les nôtres, montrent qu'à do-
se suffisante, l'acide sulfureux provenant de la combustion
du soufre détruit la mauvaise odeur, les miasmes, les vi-
rus, les parasites (punaises), les petits animaux tels que
souris, rats, etc. Les cadavres de ces animaux jonchent
le sol ; il faut craindre toutefois qu'ils ne se putréfient
dans les trous ou les points inaccessibles, où la mauvaise
odeur seule révèle leur présence.
La question de dose est encore controversée, ainsi que
nous l'avons montré dans la première partie de ce livre
(p. 262). Au point de vue pratique, nous croyons qu'il faut
distinguer deux cas.
Le plus souvent , la dose de 20 grammes de soufre
par mètre cube est suffisante, surtout quand l'occlusion des
locaux est facile, que les joints des portes et des fenêtres
ne sont pas très mauvais. Après avoir lu le récit des ob-
servations nombreuses faites en ces derniers temps par
MM. Czernicki, après avoir fait par nous-mêmes un grand
nombre d'expériences, c'est à ce dernier chiffre de 20 gram-
mes par mètre cube que nous nous arrêtons pour les cas
ordinaires. Mais quand les locaux ont été infectés par des
épidémies graves : fièvre puerpérale, septicémie, pourri-
ture d'hôpital, variole, il nous semble nécessaire d'attein-
dre la dose de 30 grammes par mètre cube. Nous rappe-
lons qu'en brûlant 16 à 20 grammes de soufre par mètre
cube on détruit déjà l'inoculabilité de plusieurs virus, en
particulier du vaccin desséché, du plus morveux, etc. :
DÉSINFECTION DES LOCAUX. 397
ce résultat est obtenu quand la proportion de gaz acide sul-
fureux dans l'atmosphère égale 1 0/0. Un kilogramme
de soufre, en brûlant, dégage près de 700 litres d'acide
sulfureux, de sorte que cette quantité suffit pour une pe-
tite chambre de 60 mètres cubes. Le tableau suivant in-
dique les quantités et proportions de SO^ fournies par la
combustion du soufre dans un mètre cube.
Voici comment l'on doit procéder à cette opération.
L'acide sulfureux est très diffusible, il pénètre profondé-
ment dans les porosités des tissus et même des murailles;
il faut donc empêcher qu'il ne se diffuse trop promptement,
soit à travers les fissures des plafonds, des planchers, des
POIDS
PROPORTION
POIDS
du soufre brûle
QUANTITÉS
(en volumes)
de SO- contenu
par
mètre cube.
de SO- produit.
de SO-
contenu dans 100
volumes d'air.
dans un
mètre cube.
litres.
10 grammes.
6,900
0,69
20 grammes.
15
10,4
1,04
30
-20 »
13,9
1,39
40 »
.30 »
20
2,08
CO ))
40 »
27,8
2,78
80 »
30 »
34,7
3,47
100
60 »
41,6
4,16
120
80 »
55,6
5,56
160
100 »
69,4
6,9i
-200 »
130 »
104',!
10,41
300 »
portes et des fenêtres.. D'autre part, on sait qu'il décolore
bien plus énergiquement les tissus humides ou mouifiés que
les tissus secs. Il est donc avantageux, avant de faire
brûler du soufre dans une salle qu'on veut désinfecter, de
charger d'humidité l'air de l'enceinte, soit en aspergeant
d'eau le sol ou le parquet, soit en' passant une éponge
humide sur les murs, ou en faisant bouillir de l'eau dans
398 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
la chambre ; cette vapeur d'eau, en pénétrant dans toutes
les fissures, y retiendra l'acide sulfureux.
Il faut employer le soufre en fleur de préférence au
soufre concassé ; la différence de prix est extrêmement
minime (35 ou 40 francs les 100 kilogr.) et l'on est bien
plus assuré d'obtenir une combustion complète. Le soufre
doit être distribué en 6 ou 8 foyers, disséminés en divers
points de la salle pour une enceinte de 100 mètres cubes,
chaque foyer ne devant pas comporter plus de 300 gram-
mes de soufre. Il faut placer le soufre dans des vases en
métal qu'on peut improviser avec de la tôle mince dont
on relève légèrement les bords ; ces derniers doivent être
peu élevés, afin de ne pas empêcher les courants d'air et
d'éviter la stagnation de l'acide sulfureux qui arrête la
combustion. Les vases en terre, que l'on emploie parfois
pour cet usage, peuvent se briser sous l'influence de la
chaleur, et le soufre enflammé, en se répandant au loin,
pourrait déterminer des incendies.il est d'ailleurs pru-
dent, quand il existe un plancher, de placer les vases rem-
plis de soufre au centre d'un bassin plat ou d'une cuvette
contenant une petite quantité d'eau.
Quand le nombre des foyers à enflammer est grand,
pour éviter la suffocation par les vapeurs qui se dégagent
rapidement, il convient de répandre une petite quantité
d'alcool sur chaque amas de soufre ; il est ainsi plus facile
d'allumer tous les foyers en un instant, et ceux-ci ont moins
de chances de s'éteindre.
Les issues doivent être fermées avec soin ; ou pourra
même coller des bandes de papier sur les joints des portes
et des fenêtres.
La chambre doit rester close pendant 12 heures au moins
et mieux 24 ou 48 heures : on n'y doit entrer qu'avec pré-
caution, sans respirer, et il faut y établir rapidement une
large ventilation. Le local ne doit être habité qu'au bout
de douze heures au moins de libre exposition à l'air. Il est
DESINFECTION DES LOCAUX. 399
préférable de n'y faire entrer les habitants qu'au bout de
48 heures.
L'odeur assez persistante de soufre détermine non
pas des bronchites, mais des embarras gastriques, un état
nauséeux, un dégoût complet pour les aliments ; ces légers
malaises ont été constatés par 31. le D' Czernicki sur les
soldats de la caserne d'Avignon, dans des salles qui
avaient dû être réoccupées 12 heures après la fin de l'opé-
ration et la libre ouverture de toutes les issues.
M. Mehlhausen recommande de chauffer au préalable la
chambre qu'on veut désinfecter par les vapeurs sulfureu-
ses, surtout en hiver. On arrête le feu au moment où l'on
enflamme le soufre et l'on baisse complètement le tablier
de la cheminée. La chambre ainsi chauffée tend à aspirer
l'air des appartements voisins ; l'air chaud, plus léger, se
dégage par les mal-joints ou les porosités des murailles,
désinfectant sur son passage tous les principes infectieux
qu'il rencontre. Quant au contraire la chambre est froide,
les locaux mieux chauffés qui peuvent être au voisinage
se ventilent aux dépens de l'atmosphère sulfureuse de la
chambre qu'on veut désinfecter.
L'inconvénient de l'acide sulfureux est de couvrir le
fer et l'acier polis d'une légère couche de rouille due à la
formation d'acide sulfurique; Pettenkofer a vu les rasoirs,
les clous, mis en observation, garder leur poli ; nous avons
constamment obtenu un résultat différent, ce que nous nous
expliquons difficilement. Le cuivre et l'argent sont noircis ;
les étoffes de laine ne sont pas altérées ; celles de soie,
surtout celles de coton et de toile, le sont à un degré assez
marqué quand la dose atteint ou dépasse 30 grammes par
mètre cube, particulièrement quand l'air est humide.
La désinfection peut également se faire à l'aide du
chlore ; mais ce gaz nous paraît bien inférieur aux
acides sulfureux et hypoazotique. Sans doute, puisque les
locaux sont inhabités, on peut faire dégager des torrents
400 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
de gaz, comme M. Doremus (1) Fa fait à New- York,
dans les salles de l'hôpital de Bellevue infectées par la
pyohémie. Des « centaines de livres » de gaz chlore
avaient été dégagées dans les salles ; mais on avait laissé
quelques draps étendus sur les lits inoccupés, et le len-
demain ces draps de lits étaient devenus si peu résistants,
« que le plus léger attouchement suffisait pour les faire
tomber en pièces ! »
Le D"" Doremus, professeur de chimie au Bellevue Hos-
pital médical Collège de New- York, avait déjà en 1865
réussi à désinfecter par le chlore le navire « Y Atlanta »,
après une épidémie de choléra ; il prétendait que nulle
souillure ne peut résister à ces fumigations quand elles
sont faites par un procédé qu'il décrit. Il improvise d'im-
menses bassins plats (de 4 pieds de large sur 10 de long),
avec des feuilles épaisses de plomb dont il relève les bords.
II y verse, en parties égales, des sacs de sel marin et de
peroxyde de manganèse, et il en forme une pâte liquide
avec de l'eau . Les fissures des portes et des fenêtres
sont ensuite fermées exactement à l'aide de bandes de pa-
pier collé ; le sol est arrosé d'eau, on dégage dans les
salles de la vapeur d'eau afin de condenser sur les plafonds
et les murailles une sorte de pluie fine qui fixera le
chlore. On vide alors une masse énorme d'acide siilfurique
dans les réservoirs en plomb et on se retire précipitam-
ment en fermant d'une façon hermétique la dernière
issue. Le lendemain et trois jours de suite, on recom-
mence l'opération, et d'après l'auteur, ce moyen héroïque
rend désormais inutile toute quarantaine.
Nous croyons aisément à l'action désinfectante d'une
quantité aussi extraordinaire de chlore et il est possible
que la substitution, réalisée depuis longtemps en France,
de l'acide sulfurique à l'acide chlorhydrique ait toute l'im-
(1) D"' R. Ogden Doremus, Epidémies from a chemical Standpoint. [Thi
Sanitarian of New-York, n" 76, juillet 1879, p. 308-318; et Revue d'hy-
giène, 1879, p. 813.)
DÉSINFECTION DES LOCAUX. 401
portance que lui attribue le chimiste américain. Mais ne
doit-on pas tenir compte de la dépense, de la difficulté,
nous dirions même du danger d'une opération qui néces-
site le maniement d'une aussi énorme quantité d'acide sul-
furique, et qu'il faut renouveler trois jours de suite? En
outre, cette désinfection à outrance n'a rien de scienti-
fique : quelle quantité de sels et d'acide faut-il employer
par mètre cube? L'au'.eur ne le dit pas. 11 semble n'avoir
d'autre souci que d'en mettre trop !
Le D'' iMehlhausen a calculé que 3 litres (2' 722^'^) de gaz
chlore par mètre cube d'air ou 3 millièmes, avaient suffi
pour détruire définitivement dans une salle tout germe de
vie. Mais ses expériences lui ont montré la difficulté qu'il y
a à faire dégager du chlorure de chaux ou du sel marin et
du peroxyde de manganèse, traités par les acides, tout le
chlore qu'ils peuvent théoriquement abandonner. Comme
il est impossible de rentrer dans la chambre pour agiter de
temps en temps le mélange, la réaction s'arrête bien avant
que tout le chlore soit devenu libre. C'est ainsi que pour
une salle de 100 mètres cubes, il a obtenu la mort des
gros animaux , mais non celle des bactéries contenues
dans Furine putride, en traitant par facide 40 grammes
de chlorure de chaux par chaque mètre cube. Ces quan-
tités correspondent à la dose en apparence considéra-
ble de 4 kilogrammes de chlorure de chaux (contenant
environ 80 litres de chlore par kilogramme) et de 6 kilo-
grammes d'acide chlorhydri(iue. Il faudrait sans doute
porter ces chiffres à 6 kilogrammes de chlorure età9kilo-
grammes d'acide.
Il en est de même avec le mélange classique. Pour
obtenir une désinfection complète, dans une capacité de
100 mètres cubes, il ne faudrait pas moins de :
Pei'oxyde de manganèse, 2 kil i fr. 30
Chlorure de sodium, 2 kil 0 fr. 48
Acide sulfuricfuc pur, 4 kil l fr. 50
3 fr. ±8
Vallin. — Désinfectants.
402 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
Ce qui porte la dépense totale à plus de trois francs. La
désinfection la plus complète avec le soufre n'eut pas dé-
passé la somme de 1 franc 20 centimes.
Quoiqu'il en soit, la précaution de charger d'humidité
l'air de la salle avant d'y dégager les vapeurs du chlore est
aussi utile ici que dans l'emploi de l'acide sulfureux. La
chambre doit rester hermétiquement close pendant 24 heu-
res au moins, et même au bout de ce temps, l'on n'entrera
qu'avec précaution dans la salle. Il va de soi qu'à ces
doses élevées, les tentures ou autres tissus seraient altérés
au point de vue de la couleur et de la solidité.
Dans certaines circonstances très restreintes, l'on pour-
rait recourir à la projection sur les parois d'un jet de va-
peur surchauffée ou au flambage au gaz, suivant le procé-
dé Lapparent. Nous aurons l'occasion de parler de cette
méthode, en traitant de la désinfection et de l'assainisse-
ment des navires. Pour détruire certains insectes, dif-
férentes vermines qui souillent des locaux destinés à
l'habitation de l'homme ou des animaux, on a parfois em-
ployé des fumigations mercurielles, en projetant sur une
plaque de fer rougie 45 à 50 grammes de cinabre ou sul-
fure rouge de mercure, en poudre. Le moyen est éner-
gique, les vapeurs pénètrent partout et détruisent tous les
êtres vivants ; mais il est dangereux : on peut voir la sali-
vation mercurielle apparaître, même au bout d'un long
temps, chez les individus qui reviennent habiter le local, et
la source de l'intoxication reste parfois méconnue.
Locaux non incessamment habités. — Même quand les
locaux sont habités, on peut d'ordinaire employer dans
une certaine mesure quelques-uns des moyens que nous
venons de décrire. En effet, il est rare que le séjour de
personnes bien portantes ou malades ait lieu continuement
dans la même pièce ; il est plus rare encore que cette con-
tinuité de séjour, qui est par elle seule une cause de dan-
DÉSINFECTION DES LOCAUX. 408
•ger, ne puisse être évitée. Sans doute, quand Tinfection
existe, le meilleur moyen de la faire cesser est la dissémi-
nation des malades, la dispersion, l'évacuation ; c'est la
mesure par excellence, et c'est presque la seule qui donne
de la sécurité en temps d'épidémie.
Mais est-ce bien là de la désinfection ? pas plus que le
fait d'abattre tous les chevaux morveux ou suspects peut
être considéré comme un moyen de désinfecter une écurie
souillée par une épidémie. L'évacuation est Yultima ratio ;
il faut savoir s'y résoudre rapidement, sans hésiter, dans
les vingt-quatre heures, quand le danger est menaçant et
que des moyens plus pratiques de faire cesser ou d'éviter
l'infection sont restés sans succès. C'est en quelque sorte
un aveu d'impuissance ; c'est souvent une calamité, en
temps d'épidémie, en campagne, etc. Où soignera-t-on les
malades si on diminue les ressources, toujours trop res-
treintes dans ce cas, des établissements hospitaliers ! C'est
par la prévoyance, c'est par une désinfection journalière
•et préventive, c'est en n'oubliant pas le principlis obsta,
qu'on évite la dure nécessité de l'évacuation.
Prenons pour exemple un hôpital, où le nombre des ma-
lades, la gravité des affections et déjà certains indices
précurseurs font craindre l'imminence de l'infection noso-
comiale. Par quelles mesures d'assainissement peut-on
prévenir l'encombrement, ou tout au moins la souillure
de l'hôpital ?
Le premier soin doit être de ne laisser séjourner dans
les salles, pendant le cours de la journée, que les malades
aUtés, ceux qui ont de la fièvre ou qui ne sont pas encore
capables de se déplacer. Tous les autres doivent passer la
plus grande partie du jour dans les jardins et les cours si
l'on est en été, dans des promenoirs fermés et même
chauffés, en hiver. Il est en général facile d'improviser un
promenoir, véritable salle de jour, au moyen de quelques
portes et d'un poêle établis dans un corridor bien éclairé,
404 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
longeant des magasins ou des dépendances non habités.
Les malades ne doivent rentrer dans la salle que pour les
heures du sommeil, de la visite médicale et des pansements.
En outre, dès que les hommes sont en voie de guérison,
il faut hâter leur départ ; dans l'armée, les soldats doivent
être envoyés libéralement, sinon prématurément, en conva-
lescence dans leur famille ; c'est un moyen facile et sur
de dissémination, pourvu qu'il ne s'agisse pas de maladies
transmissibles. Pour les assistés civils, il vaut mieux
créer des dépôts supplémentaires de convalescents que de
laisser s'infecter un hôpital qu'il faudra bientôt fer-
mer.
Dans les hôpitaux où il n'existe pas encore de réfectoi-
res distincts, il faut en improviser ; un certain nombre de-
viendront définitifs et survivront aux circonstances excep-
tionnelles qui les auront fait créer. Dans un vaste hôpital,
les locaux ne manqueront pas, si l'on cherche bien; mieux
vaudrait manger sous un hangar, dans les cours mêmes
pendant la belle saison, que charger l'air des salles de
l'odeur lourde et malsaine des aliments.
Un ou deux malades suffisent parfois pour souiller l'at-
mosphère d'une salle destinée à 20 ou 30 occupants, et
c'est surtout en temps d'encombrement ou d'épidémie me-
naçante que ces cas doivent être isolés ; le meilleur isole-
ment est celui que fournit une tente établie dans une partie
un peu reculée des jardins. Les malades qui ont subi de
grandes amputations, ceux qui sont atteints de vastes sup-
purations, de diarrhée fétide, de fièvre typhoïde grave,
etc., doivent être retirés de la communauté, au profit de
celle-ci comme à leur profit personnel. Si l'on est dans la
saison froide, on peut doubler les tentes ou y placer un
poêle ; la plupart de ces maladies ne redoutent pas d'ail-
leurs une ventilation très large et une température un peu
basse. Ces évacuations partielles évitent souvent une éva-
cuation générale ultérieure.
DESINFECTION DES LOCAUX. 40Ô
Dans un hôpital qui menace de s'infecter, les fenêtres
doivent être tenues largement ouvertes, pendant toute la
durée du jour. Excepté dans la saison la plus froide, la
présence des grands malades retenus seuls à la chaml)re
n'est pas un empêchement aussi grand qu'on pourrait le
croire au premier abord. M. Gosselin, lorsqu'il prit le ser-
vice de chirurgie à la Pitié en 1861, trouva des salles telle-
ment infectées qu'il était impossible de faire la moindre
opération sans voir survenir Térysipèle infectieux. Avant
lui, les fenêtres de la salle étaient condamnées et vissées
dans les trois quarts de leur hauteur, par crainte des cou-
rants d'air ; il les fit ouvrir largement toute la journée, tant
que la température ne tombait pas au dessous de -j- 4° G. ;
la nuit même on en laissait toujours une ouverte. Rapi-
dement, l'infection des salles disparut ; les opérations na-
guère impossibles donnèrent de beaux succès. Pendant trois
ans, jusqu'à son discours à la Société de chirurgie (16 no-
vembre 1864), il continua cette heureuse pratique. îl se
proposait de ne fermer les fenêtres que lorsque les dan-
gers de cette ventilation libérale s'accuseraient par des ma-
ladies aiguës de poitrine ; en trois ans, il n'observa qu'une
pneumonie et une pleurésie, cjui guérirent. De même, en
Crimée, Baudens visitant les hôpitaux encombrés de
typhiques défonçait en passant les carreaux avec sa canne ;
de même aussi Michel Lévy, pendant l'épidémie de cho-
léra de 1849, établissait une ventilation continue, de jour
et de nuit, dans les salles du Val-de-Gràce.
Cette désinfection incessante, journalière, est toute puis-
sante ; elle est moins difficile qu'il ne semble. On préserve
avec des paravents les malades placés près des fenêtres ;
on déplace ceux à qui le froid serait nuisible ; on double
les couvertures ; on allume du feu la nuit ou même le jour
dans les salles, etc. Cette ventilation qu'on pourrait pres-
que appeler « à outrance » peut d'ailleurs être réservée
pour les circonstances exceptionnelles qui nous occupent.
40Ô DÉSINFECTION N0S0G0M14LE.
en C3 moment ; c'est la désinfection préventive, la plus
simple et peut-être la plus efficace.
Dans les salles ainsi occupées, il est possible, sans-
troubler par trop le repos des malades, de laver avec une
éponge humide les peintures des murailles . Ce lavage est
en temps ordinaire complètement négligé, et la couleur
primitive disparaît trop souvent sous une couche de
poussières suspectes et de matières organiques en fer-
mentation. Il ne sert de rien que l'enduit des murailles soit
imperméable, si on laisse cet enduit se recouvrir d'une
couche de fumier. Dans un hôpital bien tenu, ce lavage
devrait avoir lieu au moins toutes les semaines ; il est in-
dispensable à des intervalles plus rapprochés encore ,
quand la salle s'infecte. Il peut être fait rapidement, avec
un linge ou une éponge humectés d'une solution d'acide
phénique ou de chlorure de zinc, toutes deux à 2 grammes
au moins pour lOO.
Le sol des salles est constitué le plus souvent par des
planchers. Même quand il est ciré, ce plancher s'imprègne
de liquides qui y tombent accidentellement : résidus ali-
mentaires, liquides des pansements, excrétions ou sécré-
tions pathologiques, poussières et croûtes virulentes de la
variole, etc. C'est là une cause puissante d'infection à la-
quelle il est difficile de remédier. On peut l'atténuer en:
répandant sur le sol, soit en permanence, soit aux heures
du service, une couche de sciure de bois ou de sablon
phénique. Cette ;poudre, humide mais non mouillée, re-
tient les poussières dangereuses, les empêche de voltiger
au loin, et le résidu du balayage, au lieu d'être jeté au vent^
doit être détruit par le feu immédiatement et sur place.
Tous ces moyens accessoires de désinfection peuvent
être employés en présence des malades. Mais il est rare
que ceux-ci, surtout dans une habitation particulière, ne
puissent être déplacés chaque jour pendant quelques heu-
res ; ce changement d'air et de chambre doit toujours être
DlLSlNFKCÏiON DES LOCAUX. 407
recommandé et tenté, à quelque prix que ce soit, surtout
dans les maladies graves et de longue durée. Il faut pro-
fiter de cette évacuation momentanée de la chambre pour
ouvrir largement toutes les issues et balayer Tair impur
stagnant sous les meubles, dans les angles ou les points
morts de la pièce.
On peut faire plus ; les appareils de pulvérisation ren-
dent ici les plus grands services. Nous avons déjà dit que
le fait seul du poudroiement de Teau est un moyen d'assai-
nissement, de balayage de l'air, en entraînant mécanique-
ment les poussières et les particules organiques, en activant
leur oxydation et leur destruction par leur contact avec
des globules d'eau très aérés ; c'est ainsi que la neige
ou une grande pluie purifient l'atmosphère. Cette action
est encore plus marquée quand l'eau poudroyée tient
en dissolution une substance désinfectante capable, dans
une certaine mesure, de détruire la vitalité de ces bac-
téries dont M. Miquel compte jusqu'à 6,000 par mètre
cube dans l'air des salles de l'Hôtel-Dieu au lieu de
82 dans un mètre cube d'air pris à Montsouris. La so-
lution de chlorure de zinc à 2 pour 100, qui serait peut-
être irritante en présence du malade, est ici très re-
commandable; de même la solution de permanganate de
potasse à 1/2 pour 100 d'eau distillée, pourvu qu'on ait
soin de ne pas la projeter contre les tentures ou les meu-
bles qu'elle pourrait légèrement altérer. L'eau phéniquée à
2 pour 100 peut être employée, malgré son odeur forte et
tenace. La plupart des solutions en usage dans le panse-
ment de Lister ont ici leur application, non seulement en
pulvérisation dans l'air, mais en projection contre les pa-
piers de tenture, les rideaux, les tapis, les meubles tendus
d'étoffes.
Les substances dont l'odeur est agréable (essence de
wintergreen, thymol, salicol, la diméthylrésorcine ourésol,
éther méthylique de la résorcine, corps proposé récemment.
^08 DÉSINFECTION K0S0C05IIALE.
par M. Pab&t) et qui n'altèrent pas les tissus sont naturel-
lement préférables. Sur les sollicilations très pressantes
de l'inventeur, nous avons expérimenté de la sorte un
mélange vendu sous le nom de vinaigre antiseptique
de Pennés, et composé d'acide salicylique (2 p. 100),
d'acétate d'alumine, d'alcoolé concentré d'eucalyptus, de
verveine, de lavande et d'acide acéiique. Ce liquide, d'une
odeur d'abord agréable, mais qui à la longue rappelle celle
des macérations anatomiqucs dans l'alcool, fait assez bien
disparaître les mauvaises odeurs d'une chambre de malade,
ei pulvérisation à la dose de 10 à 15 grammes. D'après
l'action bien connue des substances qui entrent dans sa
composition, il est sans doute antiseptique non moins que
désodorisant; à ce point de vue il est d'un usage utile pour
purifier l'atmosphère nosocomiale. Mais il doit être em-
ployé hors de la présence des malades, car sa poussière
provoque l'éternuement et la toux comme l'acide salicylique
en poudre. Même en présence du malade dans la chambre,
cette purification de l'air par la pulvérisation de liquides
désinfectants appropriés est une ressource très précieuse,
qui commence à prendre dans la pratique usuelle la place
qu'elle mérite (1). Depuis quelques années, nous en avons
fdit un usage fréquent et nous en avons retiré les meil-
leurs services.
Quelques précautions sont nécessaires quand le malade
ne peut quitter sa chambre : on ferme les rideaux de son
lit, on évite de diriger le spray de son côté, on peut à la
rigueur recouvrir sa tête avec un voile ou une pièce de
mousseline pendant la durée de l'opération, etc.
3" Locaux incessamment occupés. — Il est enfin des
(1) Dcscroizilles, Rappout sur les mesurps prophylactiques contre l:i
transmiseion de la diphthérie dans les hôpitaux, {Société médicale des
hopitiux, 27 novembre 1881). — Parroî, De l'isolement des malades at-
teints d'affections cont.igieuses dans les hôpitaux d'enfants [Bulletin de
l'Académie de médecine, 2 mai 1882, p. ^-90).
DliSINFECTION DES LOCAUX. 409
circonstances où l'on ne peut, même momentanément,
évacuer la chambre ou la salle souillée, et la désinfec-
tion doit avoir lieu en présence même du malade. C'est en
particulier ce qui arrive quand le patient dégage d'une
manière incessante des émanations infectes : cancer, gan-
grène, évacuations involontaires, etc. Dans ces cas, la ven-
tilation permanente de jour et de nuit, la propreté extrême
des parties malades, de la literie, deviennent rapidement
insuffisantes pour assurer la salubrité des locaux . Aux
moyens que nous venons de décrire, il faut alors ajouter
les suivants :
Nous mentionnerons tout d'abord le dégagement con-
tinu cVoJCijgène artificiellement préparé, à la dose de 1 litre
par mètre cube, pour la durée totaled'une nuit. Nous avons
dtjà signalé (p. 304) les bons effets que M. Rabot de Ver-
sailles a obtenus par ce moyen dans les salles infectées de
l'hôpital de cette ville. Il est sans doute assez difficile de
se procurer, en dehors d'un hôpital, des quantités consi-
dérables d'oxygène. Toutefois, l'emploi industriel de ce
gaz prend depuis quelques années une grande importance,
en particulier pour l'amélioration de l'éclairage au gaz ;
un habile ingénieur a trouvé récemment le moyen de dia-
lyser par une sorte de filtration l'oxygène contenu dans le
mélange aérien. On trouvera peut-être dans la production
très économique de ce gaz le moyen d'utiliser un procédé
de désinfection encore peu connu, mais qui paraît sérieux
et inoffensif.
En attendant, on pourrait employer le mélange préconisé
par MM. Floitman et Hardy, pour dégager de petites quan-
tités d'oxygène naissant, en ajoutant des traces d'un
oxyde métallique à du chlorure de chaux (p. 305). Mal-
heureusement la quantité d'oxygène est très faible ,
puisque un kilogramme de chlorure de chaux, auquel on
ajoute de l'eau chaude et quelques grammes seulement
d'oxyde de cuivre, de cobalt ou de manganèse, peut dé-
410 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
gager 88 litres d'oxygène ; pour obtenir la quantité d'oxy-
gène utile, il ne faudrait donc pas moins d'un kilogramme
de chlorure de chaux pour une salle de 80 mètres cubes,
et le dégagement du chlore pourrait déjà être gênant.
M. le D'' A.-W. Mayo Robson a proposé de remplacer le
spray ou nuage antiseptique dont on enveloppe les mains
de l'opérateur et le pansement toutes les fois qu'on le re-
nouvelle, par un courant d'air continu que des soufflets
mécaniques feraient incessamment passer dans la cham-
bre. Cet air traverserait des réservoirs contenant de la
pierre ponce imbibée d'huiles volatiles, en particulier
d'huile essentielle de cajeput ou d'eucalyptus. Des expé-
riences dont il donne le détail lui ont prouvé que l'air
ainsi chargé de vapeurs aromatiques prévenait les mau-
vaises odeurs et empêchait la pullulation des organismes
dans les miheux de culture. C'est probablement par le dé-
gagement d'ozone que ces essences agissent et leur em-
ploi pourrait être tenté dans le cas qui nous occupe.
L'ozone est un purificateur puissant : depuis longtemps
on en a proposé la production artificielle et le dégagement
lent dans les salles de malades. Nous avons indiqué les ap-
pareils qui ont été imaginés pour verser directement un
excès d'ozone dans les locaux infectés (p. 315). Il faut bien
reconnaître que ce mode d'assainissement est encore très
théorique, et que l'expérience n'a pas fixé sa valeur pra-
tique. Les travaux récents de M. Chapuis (p. 31 3 j sont
cependant de nature à encourager de nouvelles recher-
ches.
C'est sans doute par ozonisation indirecte, c'est en déga-
geant insensiblement de l'ozone, que Véther nitreux ou
azotite d'éthyle produirait la désinfection, la purification
des locaux encombrés et odorants. Les expériences que
nous avons faites dans notre service au Val-de-Grâce en
(1) W. Mayo Robson, A substitiite for carboUc spray [British médical
journal, 15 octobre 1881, p. 625).
DÉSliSFECTION DES LOCAUX. 411
1881 ne nous ont pas donné des résultats aussi satisfaisants
qu'à M. Peyrusson (p. 211). L'odeur d'une chambre ha-
bitée par un cancéreux n'a pas été notablement modifiée;
nous n'avons vu disparaître que l'odeur fade d'une chambre
occupée depuis longtemps par un infirme alité, mais où
l'odeur n'était pas véritablement fétide. Le mélange d'ai-
cool (4 parties) et d'acide azotique (1 partie) doit être fait
avec beaucoup de prudence, par crainte d'explosion; mais
il se conserve très bien, et il dégage incessamment de pe-
tites quantités d'un composé gazeux dont l'odeur est agréa^
ble. Il suffit de placer sur un meuble ou par terre, pour
une chambre ordinaire, une assiette contenant 50 à 60 gram-
mes du mélange indiqué; l'évaporation se fait lentement.
A cette dose l'éther nitreux n'est pas irritant pour les bron-
ches, mais au bout de quelques jours tous les objets en fer
qui se trouvent dans la chambre sont couverts d'une couche
de rouille légère, mais fort désagréable. M, Peyrusson dit
avoir désinfecté par ce moyen une salle de gâteux à l'hô-
pital de Limoges ; malgré notre insuccès relatif, ce moyen
mérite d'être expérimenté de nouveau.
M. Pabst a préconisé, dans les locaux habités, l'emploi
de l'éther azoteux à l'aide d'un appareil analogue à celui
qu'il a décrit plus haut pour le dégagement de l'acide azo-
teux. L'acide sulfurique nitreux (cristaux des chambres de
plomb), est placé dans un vase cylindrique poreux et ce
dernier est contenu dans un vase en grès verni un peu
plus grand. Dans l'intervalle qui sépare les deux vases, on
verse, non plus de l'eau, comme lorsqu'on veut obtenir le
dégagement de l'acide nitreux, mais de l'alcool, qui pro-
duit le dégagement d'éther azoteux. En effet, l'acide sulfu-
rique nitreux, au contact de Falcool, donne des vapeurs
d'azotite d'éthyle ou éther nitreux qui se diffuse dans l'air
de la salle et détruit les germes ou principes organiques
qui peuvent y être contenus. L'alcool étant bien plus volatil
que l'eau, il faut renouveler souvent le contenu des vases.
412 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
Il est bon de fermer le vase poreux avec un couvercle de
terre. Ce système a été appliqué dans plusieurs chambres
de malades, et dans le service des diphtéritiques à l'hôpital
des Enfants ; les résultats, au point de vue de la destruc-
tion des principes contagieux de l'air, ne sont pas encore
très positifs (1).
Dans une chambre habitée par un malade, il est presque
impossible d'avoir recours aux fumigations d'acide sulfu-
reux. Toutefois, il n'est pas impossible de dégager dans
la salle assez de ce gaz pour que son action désinfectante
s'exerce lentement et insensiblement, trop peu cependant
pour qu'il en résulte une irritation appréciable des bronches
et des muqueuses très sensibles.
On fabrique depuis quelques années en Angleterre une
îampe désinfectante (Price and C°) dans laquelle on brûle
du sulfure de carbone ; ce dernier en brûlant dégage de
l'acide sulfureux et de l'acide carbonique. Des expériences
ont été faites avec cet appareil par M. le D'" Macdonald (2)
professeur d'hygiène navale à l'École de médecine militaire
deNetley. Une once de sulfure de carbone ainsi brûlée dans
un espace clos de l^'^SOO, arrêta les mouvements des
bactéries de la putréfaction contenues dans une infusion de
viande ; cette infusion était devenue acide ; mais au bout de
quelques heures d'exposition à l'air, les mouvements des
bactéries reparurent. A la £n de l'expérience, l'on trouva
dans l'air de l'enceinte une proportion d'acide sulfureux
égale à 1,16 pour cent. Ce moyen parait donc avoir une
efficacité assez sérieuse. Malheureusement, le sulfure de
carbone bout à-f- 46° C, la tension de sa vapeur est con-
sidérable ; il peut très facilement s'enflammer par le voi-
sinage de corps incandescents, et donner lieu à des déto-
nations dangereuses.
(1) Note manusciite de M. Pabst.
("2) Parkcs, .1. Manual of pratical hyr/ièiie, Loiidon 1878, 5° édition
(De Chaumont), p. 517.
DÉSINFECTION DES LOCAUX. *13
Un médecin de Paris a imaginé un moyen ingénieux et
pratique d'employer le soufre comme désinfectant dans les
chambres do malade et dans certaines conditions de la vie
privée. Une quantité variable de fleurs de soufre a été
mélangée avec la stéarine fondue, et le mélange coulé dans
des moules ne diffère des bougies ordinaires que par une
teinte un peu jaunâtre. Lorsqu'on laisse brûler une de ces
bougies soufrées pendant 15 minutes dans une chambre
de malades, on perçoit en y entrant une odeur aigrelette,
légère, d'acide sulfureux ; et l'on constate que les odeurs
fétides qui existaient avant l'allumage ont complètement
disparu. Notre confrère nous a dit avoir réussi à faire ainsi
disparaître presque absolument l'infection horrible d'une
chambre occupée par une femme atteinte de cancer de
l'utérus ; toutes les deux heures, on allumait deux de ces
bougies dans la chambre, et on les laissait brûler pendant
1/4 d'heure ; la quantité d'acide sulfureux qui se déga-
geait ainsi n'était pas suffisante pour provoquer la toux de
la malade.
Nous avons, depuis plusieurs années, expérimenté ces bou
gies dans notre service au Val-de-Grâce, en particulier dans
une chambre occupée par un malade atteint de diarrhée de
Cochinchine , et dont les matières répandaient comme
toujours une odeur insupportable et très tenace ; dans un
autre cas, il s'agissait d'un cancer ulcéré de la bouche
(ostéosarcome de la mâchoire); la fétidité était extrême.
Nous fîmes brûler, en plusieurs reprises, deux de ces bou-
gies à la fois dans chaque chambre, en vingt-quatre heu-
res ; l'infection fut très notablement diminuée, sans toute-
fois disparaître complètement ; en entrant dans la chambre
alors que les bougies étaient alkimées depuis une demi-
heure, on percevait une odeur piquante, légèrement ap-
préciable, d'acide sulfureux , mais l'odorat n'était pas
autrement offensé. Le séjour dans la pièce n'amenait pas
la toux ; il en eût peut-être été autrement s'il se fût agi de
414 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
malade atteint de maladie des voies respiratoires, et l'irri-
tation des bronches est un inconvénient qui devra limiter
l'emploi d'ailleurs facile et rationnel de ce moyen.
Quels que soient les progrès qu'ait faits la chimie depuis
le commencement du siècle, il est impossible de rejeter
à priori le résultat de l'expérience des médecins distingués
qui ont proclamé les succès obtenus avec les fumigations
acides. Ce sont les fumigations d'acide chlorhydrique qui ont
fait la fortune et la renommée de Guyton-Morveau ; c'est
avec les vapeurs nitreuses que Smith arrêtait les épidémies
de typhus sur les pontons anglais où s'encombraient nos
soldats prisonniers. Les relations que nous avons citées
(p. 264 et suiv.) disent très expressément que ces fumiga-
tions étaient faites chaque jour au-dessous des lits occupés
par les malades, et qu'elles étaient conduites de manière à
ne pas provoquer la toux.
Le procédé était donc tout à fait différent de celui qu'on
emploie aujourd'hui pour désinfecter avec l'acide hypo-
azoùque ; le premier est un procédé de médecin cHnicien,
l'autre est un procédé de chimiste; dans un cas, il s'agit
d'un agent thérapeutique, dosé avec prudence ; dans l'au-
tre, d'un poison redoutable qui détruit tout ce qu'il touche.
Il y aurait donc lieu de ne pas laisser tomber dans un
oubli complet et ne pas condamner deux moyens de dé-
sinfection dont la découverte a été considérée, il n'y a pas
centans, comme un bienfait pour l'humanité, et qui ont valu
des récompenses nationales à leurs auteurs. Il pourrait être
utile d'y recourir encore dans les hôpitaux encombrés, en
temps d'épidémie, en campagne, dans les circonstances
rares où les moyens de dissémination seront vraiment im-
possibles.
Si l'on se reporte aux indications que nous avons don-
nées (page 263), on voit qu'en réalité Smith se contentait de
promener dans tous les coins d'une salle de malades, jus-
qu'à formation d'un brouillard manifeste, et deux fois par
• LliSlNFECTION DES LOCAUX. 415
jour, deuxiieiits vases de terre conlenant chacun 12 gram-
mes d'acide sulfurique concentré. Ces vases reposaient sur
du sable chauffé, et lorsque l'acide avait atteint une cha-
leur suffisante (?), on y versait dans chacun d'eux 12 gram-
mes de nitrate de potasse pulvérisé. Quand la ventilation
de la salle n'était pas très active, on ne dépensait guère
que la moitié des doses indiquées ci-dessus.
Guyton-Morveau, qui donnait la préférence aux vapeurs
d'acide chlorhydrique, employait les doses suivantes pour
une salle de 100 mètres cubes occupée par des malades :
Chlorure de sodium 65 gramme?
Acide sulfurique à Gô» B 68 — •
On diminue l'intensité et la brusquerie de l'action, en
diluant l'acide dans son volume d'eau . Dans l'un ni
l'autre cas, l'opération ne provoquait la toux des malades.
Ce sont donc deux moyens de désinfection que l'on pour-
rait expérimenter de nouveau, en temps d'épidémie, sans
commettre d'imprudence.
Le moyen qui est resté le plus populaire, non seulement
dans le public, mais parmi les médecins, c'est l'assiette de
chlorure de chaux ou dlujpochlorite de soude que l'on
maintient en permanence sous le lit des malades. Après
l'engouement exagéré dont le chlore a joui pendant si
longtemps, il faut éviter aujourd'hui de pousser la réac-
tion trop loin et de tomber dans l'excès opposé. Le déga-
gement lent et continu d'une petite quantité de chlore a
certainement une action utile sur les miasmes et même
sur les mauvaises odeurs ; mais cette action est faible,
insuffisante ; elle inspire une sécurité trompeuse. Nous
venons de voir qu'il fallait plusieurs kilogrammes de chlo-
rure de chaux pour désinfecter véritablement une chambre
un peu grande ; quelle action sérieuse peut avoir la pincée
de cette poudre qu'on répand sur une soucoupe au voisi-
nage des malades.
4!6 DÉSINFECTION NOSOCOBOALE.
Guyton-Morveau attachait la plus grande importance à
l'emploi, dans les chambres de malades, d'un petit appa-
reil qu'il avait imaginé ; dans un flacon en verre se trou-
vait le mélange producteur du chlore ; en donnant plu-
sieurs tours de vis à l'étui protecteur, le bouchon hermé-
tique se soulevait et laissait passer quelques centimètres
cubes du gaz purificateur ; Guyton-Morveau a consacré
plusieurs planches, à la fin de son Traité, à la description
de cet appareil dont l'insuffisance est aujourd'hui manifeste.
Il est bien préférable de faire usage du chlorure de
chaux, soit en poudre, soit humecté d'eau simple; mais la
quantité ne doit pas être illusoire : deux assiettes contenant
chacune 100 grammes au moins de chlorure délayé sont
un miniraum pour une chambre ordinaire. La seule limite
doit être la gène causée par l'odeur que certaines person-
nes trouvent très désagréable, et par l'irritation des voies
respiratoires. Les aspersions sur le sol, sur le lit, à l'aide
de liqueur de Labarraque, sont un moyen commode et
usuel d'obtenir le dégagement insensible du chlore.
L'expérience prouve que dans ces conditions, le chlore
réussit mal à faire disparaître la fétidité de l'air ; on rem-
place une mauvaise odeur par une autre qui ne l'est pas
beaucoup moins. Il est incontestable qu'on décompose ou
qu'on détruit une certaine quantité des particules organiques
suspendues dans l'air ; mais ces particules résistant plus
au chlore qu'à l'acide sulfureux et à d'autres acides, la
désinfection reste incomplète.
Nous ne nous arrêterons pas aux clous fumants, aux
trochisques réputés désinfectants qui continuent à être en
usage dans une certaine partie du public. Ces parfums
masquent les mauvaises odeurs; ils ne les détruisent pas.
Quelle action sé:neuse peut avoir le benjoin, le sucre brû-
lé, etc? Une seule exception pourrait être faite en faveur
de l'acide acétique ou du vinaigre qu'on répand sur une
pelle rougie ; mais l'action désinfectante est bien faible.
DÉSINFECTION DES LOCAIX. 417
M. Schœuffelé, pharmacien de l'armée, a proposé erv
18G9, un petit appareil destiné à répandre plus facilement
des vapeurs d'acide phénique dans une salle ou une cham-
bre de malade. Un vase à large surface, rempli d'une solu-
tion assez concentrée d'acide phénique est placé au milieu
de la salle, sur un support élevé d'un mètre au-dessus du
sol. Six ou dix mèches de coton de la grosseur- du doigt,
longues de 1 mètre et nouées ensemble à une extrémité,
plongent par cette extrémité dans le bassin. De ce point
central, les mèches ressortent du bassin et leurs chefs li-
bres pendent en couronne vers le sol. Ces mèches s'imbi-
bent de la solution phéniquée par capillarité et augmentent
considérablement la surface d'évaporation. Un large vase
placé a terre reçoit l'excès du liquide qui pourrait s'y dé-
verser. L'appareil est ingénieusement disposé, mais les
vapeurs d'acide phénique sont moins actives que leur
odeur n'est désagréable.
C'est surtout quand le malade est confiné dans sa
chambre, qu'on ne saurait trop insister sur la nécessité de
veiller à ce qu'aucune source de mauvaise odeur ou d'alté-
ration de l'air n'existe autour de lui : les sécrétions mor-
bides (suppurations, écoulements sanieux, crachats), les
déjections alvines, les cataplasmes, les préparations culi-
naires doivent être enlevées immédiatement ; les vases de
nuit et les meubles où on les garde doivent être tenus dans
un état de propreté extrême et désinfectés souvent par
les moyens indiqués. Les parties souillées du corps doivent
être lavées fréquemment à l'aide de solutions antiseptiques
(acide borique à 3 p. 100, thymol, i p. 1000, etc.). Les
rideaux des lits et des fenêtres seront fréquemment les-
sivés, battus ou aérés; la literie (couvertures, matelas,
oreillers) sera tous les mois épurée à la vapeur ou au soufre,
etc. Les tapis de laine à demeure concourent fortement à
entretenir les mauvaises odeurs des chambres à coucher,
dans les, cas de maladie prolongée; les tapis mobiles ou les
Vallin. — Désinfectants. 27
418 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
nattes ont l'avantage de pouvoir être chaque jour battus
ou exposés au grand air.
Lorsque dans une famille habitant le même apparte-
ment, un des membres, un enfant par exemple, est atteint
d'une maladie transmissible (fièvre éruptive, diphthérie,
coqueluche, etc.), on a proposé l'emploi de certains
moyens de désinfection pour préserver le reste de l'appar-
tement. On a conseillé, par exemple, de tendre devant
les portes de communication des rideaux ou des portières
imprégnés de liquides désinfectants, de solutions phéni-
quées, chlorurées, etc., dans la pensée que les miasmes
ou les poussières virulentes seraient arrêtés ou neutrali-
sés par ces écrans. L'idée nous paraît plus ingénieuse que
pratique : ces toiles entretiennent une humidité et une
odeur fort gênantes dans la chambre des malades, car on
ne peut employer pour les humecter qu'une solution phéni-
quée à 2 pour 100, le thymol (1 gr. de thymol et 10 gr.
d'alcool , pour 1 litre d'eau), ou la liqueur de Labarraque
étendue de deux fois son volume d'eau. Il faut maintenir ces
toiles humectées jour et nuit pendant quinze jours,
ou un mois, ce qui est peu praticable, à moins de les
placer de l'autre côté de la porte, dans une chambre inter-
médiaire qui reste inoccupée. La barrière est en outre'
bien incertaine pour empêcher les contagions, de sorte
que rinconvénient est grand pour un bénéfice petit. Sans
nier que ce moyen puisse rendre des services dans des cas
déterminés, nous pensons qu'en général il y a plus de
sécurité et moins d'inconvénients à éloigner de l'apparte-
ment les personnes pour lesquelles on redoute la conta-
gion .
Quand un malade dégage des miasmes, des poussières-
ou des germes qu'on suppose virulents, il ne suffit pas d'em-
pêcher ces produits de pénétrer dans les chambres ou dans-
les appartements voisins, il faut encore les empêcher de se
dégager dans l'atmosphère des rues et des places, où ils
DESINFECTION DES LOCAUX. 419
pourraient propager la maladie parmi les habitants de la
ville ; c'est souvent en effet de cette manière qne les fiè-
vres éruplives se contractent dans les grands centres,
sans qu'il soit possible de remonter à la source de la con-
tagion. La désinfection n'est véritable que si on détruit
surplace tous lesprincipessuspects que dégage un malade,
et nous savons combien cette désinfection est difficile.
On a proposé de détruire par le feu toutes les particules
qui souillent l'air sortant d'une chambre de malade, en
particulier dans les hôpitaux consacrés aux varioleux, aux
typhiques, etc. M. Wœstyn, à l'Académie des sciences
en 1811, recommandait de placer des cadres filtrants,
remplis d'ouate d'amiante, dans une cheminée ou orifice
d'appel; cette ouate serait retenue entre deux plaques de
toile métaUique; de temps en temps, une couronne de becs
de gaz placée au-dessous du filtre porterait celui-ci au
rouge et détruirait les impuretés retenues. Plus tard, il
a remplacé ces cadres filtrants par des couronnes de becs
de gaz de dimensions décroissantes et placées au centre
des cheminées d'appel, de telle façon que l'air impur de la
salle, aspiré par le tirage, se flambât nécessairement au
contact du foyer situé sur son passage.
A l'hôpital Lariboisière , les impuretés de l'air des
salles, aspirées par le système ventilateur, se brûlent en
partie dans la chambre de chauffe au sommet de l'édifice.
Dans les hôpitaux modernes de nos grandes villes, où
la ventilation se fait le plus souvent par des cheminées
d'appel s'ouvrant à la partie inférieure ou supérieure de la
salle, suivant la saison, il serait peut-être utile et certai-
nement facile de disposer quelques couronnes concentri-
ques de becs de gaz, dans les cheminées d'appel des salles
d'isolement, en particulier dans celles consacrées aux va-
rioleux.
A la prison de la Santé et à Mazas, à Paris, une haute
cheminée centrale de 30 mètres d'élévation, alimentée en
420 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
toute saison par un foyer au charbon^ aspire au moyen
de voûtes et de conduits l'air de toutes les cellules; l'air
neuf, frais en été ou chauffé en hiver, entre dans la cellule
par un large orifice situé à 2 mètres du sol ; après avoir
servi à la respiration, il est aspiré à travers la cuvette de
latrine qui se trouve dans chaque cellule ; cet air usé, avant
d'être rejeté dans l'atmosphère, est entraîné dans la che-
minée d'appel, au voisinage du foyer incandescent qui
détruit toutes les matières organiques qu'il contient.
M. le D" Latapie a récemment proposé de telles chemi-
nées aspiratrices à foyer central avec auvent au-dessus de
chaque lit, pour désinfecter à la fois les salles par le renou-
vellement de l'air, et purifier l'air souillé avant de le re-
jeter dans l'atmosphère.
Des cheminées d'un bon modèle donnent en partie ce
résultat : c'est ainsi qu'à Edimbourg, à Glasgow et dans
plusieurs Fever-hospitals de Londres, les cheminées sont
maintenues en pleine activité et chauffées au charbon de
terre en toute saison, même pendant l'été; dans la sai-
son chaude, on place devant la cheminée un paravent
pour protéger les malades contre le rayonnement calori-
fique. Dans les hôpitaux de varioleux, une partie des ger-
mes virulents se brûle ainsi en traversant le brasier. Ce
moyen de désinfection en même temps que de ventilation
est excellent ; on ne saurait trop le recommander pour les
chambres des malades. Il implique que l'on a adopté
pour des cheminées une disposition telle, que l'air neuf pris
a,u dehors n'arrive à la partie supérieure de la salle qu'a-
près s'être échauffé en traversant les espaces ménagés
derrière la plaque du foyer, et que l'air impur de la partie
intérieure de la salle, qui vient de servir à la respira-
tion, alimente seul la combustion. Cette disposition est
heureusement réalisée dans le type de cheminée connu
sous le nom de Douglas-Galton, et que le capitaine du
génie français, Belmas, a le premier décrit et figuré en
1832.
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITEIUE, ETC. in
Un feu vif et clair clans une large cheminée est donc un
excellent moyen d'assainissement d'une chambre de ma-
lade. Môme quand le feu est éteint, pendant la nuit pnr
exemple, la chaleur que conservent les parois de la chemi-
née entretient une ventilation très active.
Dans les saisons où il est difficile d'allumer le feu, nous
avons souvent retiré un bon effet d'un moyen extrême-
ment simple et cependant efficace. Au lieu de placer la
veilleuse sur un meuble, on la place dans la cheminée
même, où elle donne une lumière suffisante ; en même
temps elle détermine une ventilation fort active parce
qu'elle est continue, surtout lorsque la s?ction de la che-
minée est très grande. Nous nous sommes plusieurs fois
assuré que par ce moyen l'odeur de renfermé était beau-
coup moins marquée dans la chanîbre des malades le matin
au réveil.
ART. V. — DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA
LITERIE, ETC.
La désinfection nosocomiale ne doit pas porter seulement
sur l'air, sur les locaux, souillés par les malades; elle doit
porter encore sur les vêtements, la literie, le linge de corps,
qui tous sont en contact immédiat avec la peau et qui s'im-
prègnent des sécrétions morbides.
Il ne sert de rien d'isoler les malades suspects, de pu-
rifier les locaux qu'ils habitent, d'empêcher l'air contaminé
de se répandre au dehors, si Ton ne désinfecte pas minu-
tieusement le hnge et les vêtements qu'ils ont salis. Tout
le monde connaît la fréquence des cas de variole , de
scarlatine, de diphthérie , de fièvre typhoïde, de choléra,
observés chez les personnes qui lavaient le linge sale pro-
venant des hôpitaux où régnaient ces maladies. Nous avons
été témoins d'une petite épidémie de variole survenue
dans la hngeried'un établissement où les varioleux étaient
4â2 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
parfaitement isolés à rex:trémité d'un vaste jardin ; une
enquête nous apprit que les personnes atteintes avaient été
occupées quinze jours auparavant à compter le lin^e sale
des malades ; pendant cette opération, les draps et les
les linges qu'on étalait pour les compter soulevaient une
poussière assez forte pour provoquer des éternuements : il
est assez probable que la poussière provenant du pus va-
rioleux dont les draps étaient souillés a été inoculée direc-
tement par la muqueuse respiratoire.
Dans plusieurs hôpitaux anglais, on détruit par le feu
les vêtements et le linge apportés à l'hôpital par un malade
atteint de maladie transmissible. A Londres, on a proposé
de fermer momentanément, sauf indemnité, l'atelier des
lingères ou des couturières atteintes de maladies conta-
gieuses, ou soignant dans leur demeure un cas de ce
genre. Au Congrès d'hygiène de Paris en 1878, M. le
D"" Smith (1) signalait un cas' mortel de fièvre typhoïde
transmise à une jeune fille d'illustre naissance, par une
robe de bal que l'ouvrière aurait cousue et ajustée dans la
chambre et presque sur le lit où elle soignait un de ses
enfants, atteint de cette maladie.
Ces cas rappellent ceux qui ont fait tant de bruit dans
les récentes comme dans les anciennes épidémies de
peste, où la maladie aurait été fréquemment transportée
par des châles, des robes ou des étoffes provenant d'indivi-
dus morts de la peste dans des pays souvent fort éloignés.
Même en laissant de côté ces faits obscurs ou incertains,
il n'est pas douteux que les effets ayant servi aux mala-
des sont une cause fréquente de dissémination de maladies
transmissibles dans les hôpitaux et dans les habitations par-
ticuHères. En effet, quand un varioleux a succombé ou bien
a quitté l'hôpital après guérison, quel traitement fait-on
subir aux couvertures, aux oreillers, aux matelas qu'il a
(1) Compte rendu officiel du Congrès international dliijgiène, Paris,
1S80, Imprimerie nationale, T. I, p. 726.
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 423
souillés ? Trop souvent, on se contente d'exposer ces pièces
pendant plusieurs heures au soleil, puis on les fait battre
en plein air comme on bat les tapis ; on soulève ainsi des
nuages d'une poussière composée en grande partie de glo-
bules de pus variolique et de cellules épidermiques viru-
lentes : cette poussière féconde est semée à pleines mains
dans l'atmosphère, et c'est miracle qu'elle ne rencontre
pas plus souvent un terrain fertile.
Quand les enveloppes extérieures portent des traces trop
apparentes de suppuration, on lave ces toiles ; le contenu,
laine, crin ou plume, est battu sur une claie, et la literie
ainsi remise à neuf esi portée au magasin en attendant
qu'elle transmette la variole à un malade qui sera venu à
l'hôpital pour se faire guérir d'une entorse ou d'un panaris.
On n'intervient d'une façon sérieuse qu'en temps d'épi-
démie, et quand l'attention publique est fortement excitée
de ce côté. Sans doute dans la plupart des établissements
hospitaliers il existe des instructions imprimées, décrivant
parfois minutieusement les opérations de désinfection que
doivent subir les effets provenant de malades atteints de
maladies contagieuses; dans plusieurs hôpitaux, il y a
même un réduit réservé aux fumigations sulfureuses ou
chlorées, mais ce réduit a reçu parfois une autre destina-
tion, quelquefois on en a presque oublié l'existence; et il
serait intéressant de relever, dans chaque hôpital, le nom-
bre de kilogrammes de soufre, d'acide chlorhydrique ou
de chlore, dépensés à cet effet pendant le cours d'une
année.
La vérité est que ces fumigations pour être efficaces
nécessitent une intervention compétente, elles laissent une
odeur désagréable et très tenace, elles compromettent sou-
v-ent la couleur des tissus, l'intégrité des parties métalh-
ques, elles exposent aux dangers d'incendie et à l'altération
d'un matériel dont l'administrateur est responsable : cette
.crainte des dégradations du matériel est l'obstacle véri-
424 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
table, et j'ajoute légitime, à toutes les mesures de désin-
fection que les médecins réclament dans les hôpitaux.
Il importe donc d'étudier ici la question sans exagéra-
tion, sans idée préconçue, en se plaçant avant tout au
point de vue delà pratique. C'est l'expérimentation directe
qui seule peut nous permettre d'éviter les tâtonnements ou
la déception.
Avant d'entrer dans l'examen et l'appréciation des
moyens particuliers de désinfection des vêtements, il est
certaines considérations générales qu'il est utile de rappe-
ler. Nous les trouvons nettement formulées dans une cir-
culaire publiée, le 29 juillet 1879, parle Conseil sanitann^.
de Washington, applicable non seulement à la fièvre
jaune, mais à toutes les maladies virulentes (1) il nous a
semblé utile d'en donner ici la traduction.
« ... 2. La désinfection, -en l'absence de toute infection spécifique,
et quand on se propose simplement de rendre le sol, les eaux, les
objets malpropres et souillés, incapables de propager des germes
morbides, la désinfection est un pauvre moyen qui ne remplace pas
la propreté ; elle n'est utile que pour permettre de faire le nettoyage
sans odeur et sans incommodité. Dans ces cas, les meilleurs désin-
fectants sont le sulfate de fer, l'acide phénique, la chaux vive fraî-
chement préparée, la poudre récente de charbon, le chlorure de
zinc, le chlorure d'alumine, et le permanganate de potasse.
« ... 3. On rencontre deux grandes difficultés quand on veut dé-
truire la vitalité des germes (de la fièvre jaune); c'est, première-
ment, de mettre l'agent désinfectant en contact direct avec le prin-
cipe morbide ; c'est ensuite de ne pas détruire ou altérer les objets
qu'on veut purifier.
" ... 4. Quand le germe de la fièvre jaune est sec ou en partie
desséché, on ne peut espérer le détruire avec un désinfectant volatil
ou gazeux. Il faut d'abord l'humecter ou le soumettre à une tempé-
rature de -\- 120'' centigr., pour obtenir une sécurité parfaite.
« ... 5. Pour désinfecter ou détruire des vêtements, de la literie
(1) Circular n" Q, relative to Disinfection and précaution arymeasures.
{National Board of Health Bulletin, Washington, 2 août 1872, n" 5,
p. 39.)
DÉSINFECTION DES Vl'TEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 423
ou des objets mobiliers, il fcaiit les remuer le moins possible tant
qu'ils sont secs. Avant de les déplacer ou de les secouer, il faut les
mouiller complètement, soit avec une solution d'un désinfectant chi-
mique, soit avec de l'eau bouillante, afin d'empêcher les germes
desséchés de se répandre dans l'air sous forme de poussière.
" ... 8. Dans les localités oià la fièvre jaune a régné l'année pré-
cédente, on doit prendre les précautions suivantes :
K Les étoffes et tissus qui ont été exposés à l'infection l'année pré-
cédente, et qui sont ensuite restés enfermés ou empaquetés dans un
lieu non ventilé, ne doivent pas être ouverts ou déroulés ; il faut
les brûler ou les mettre dans l'eau bouillante pendant une demi-
heure au moins, ou dans une étuve chauffée, ou enfin, il faut les dé-
sinfecter suivant la nature et la qualité de chaque objet...
Deux moyens nous paraissent avoir une supériorité in-
contestable: la chaleur et les fumigations d'acide sulfu-
reux; le chlorure de chaux, le chlorure de zinc, les fumi-
gations de chlore, de cinabre, etc., ne viennent qu'à un
rang bien inférieur. Nous étudierons d'abord chacun de
ces moyens de désinfection au point de vue de leurs ap-
plications et de leur mode d'emploi.
Nous insisterons ici encore une fois sur la différence
d'action de la chaleur, suivant qu'elle est sèche ou humide,
en nous autorisant des recherches expérimentales de Koch
et de Wolffhiigel, recherches qui ont paru alors que la
première partie de ce livre était déjà imprimée (1).
Tandis que les bacilles ou bactéries adultes sont détruites
facilement par une température de ■-- 100° à -j- 105° centi-
grades, les spores ont une résistance extraordinaire ; ces
faits, bien connus depuis longtemps, ressortent d'une façon
évidente des nouvelles expériences faites au laboratoire de
l'Office sanitaire de l'empire allemand. On contrôlait l'action
désinfectante des hautes températures non seulement par
l'ensemencement des liquides de culture aseptiques avec
(1) D>' Robert Koch et D" Gustave Wolffhiigel, Untersiichung''n uef)er
die Disinfection mit heisser Luft. — Koch, Gaffky, Lœffler, Versuche
itber die Verwerthbarkeit heisser Wasserdampfe zii Desinfectionsiwecken.
iMitlheilungen aus dem kaiseii. Gesundlieitsamle, T. I, 1881, p. 301 et
3^2 — Revue d'hygiène et de police sanitaire, mars 1882, p. 248.)
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DÉSLNFECTlOxN DES VETEMEATS, DR LA LITERIE, ETC. 427
les protorganismes ainsi chauffés, mais encore par l'ino-
culation à des animaux, de spores ou de bacilles charbon-
neux qu'on venait de soumettre à la chaleur. Voici les
conclusions du mémoire des auteurs :
1° Les bactéries dépourvues de spores ne peuvent sup-
porter pendant une heure et demie l'exposition à un air
chaud de 100 degrés centigrades;
2" Les spores des moisissures (Schimmelpilzen) ne sont
tuées que par l'exposition pendant une heure et demie à de
l'air chauffé à -{- 110° ou -|- 115° centigrades.
3" Les spores de bacilles ne sont détruites que par un
séjour de 3 heures dans une atmosphère de -|- 140° centi-
grades
Au contraire, un tableau (p. 426) du mémoire de
MM. Koch, Gaffky et Lœffler, montre que les spores char-
bonneuses et les spores de la terre de jardin ont perdu
toute vitalité par une exposition pendant 10 minutes à de
la vapeur marquant -]- 110° centigrades. Au-dessous de
cette température, ils ont obtenu les résultats inscrits au
tableau ci-dessus (le signe f indique la mort définitive des
spores et l'impossibilité d'ensemencer les liquides de cul-
ture avec les protorganismes ainsi échaudés).
Nous reviendrons sur les applications de ces données
et le mode d'emploi de la chaleur. Quoiqu'il en'soit, avec
les réserves que nous avons faites, p. 337, nous croyons
qu'on peut fixer à -\~ 110° G. la température minimum
à laquelle doivent être soumis les principes rnorbifiques,
de nature inconnue, qui peuvent transmettre des mala-
dies.
Quand on poursuit la désinfection, la température doit
toujours être portée leplu^ haut possible; il n'y a qu'une
limite, une seule, c'est la détérioration des objets ou des
tissus qu'on veut désinfecter. On comprend combien il est
important de bien déterminer cette limite, afin de ne pas
compromettre un matériel coûteux ou considérable.
428 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
Il faut donc résoudre les deux questions suivantes :
1° Quelle température peuvent supporter impunément les
matières vestimentaires et les tissus? 2° Quels sont les ap-
pareils qui permettent de désinfecter par la chaleur ?
A. — Action de la chaleur sur les tissus.
D'une manière générale, les tissus de laine s'altèrent
plus rapidement que ceux de coton ; il faut ensuite distin-
guer les altérations légères de la couleur, et celles qui
portent sur la solidité des tissus : dans nos expériences,
la température de -|- 110° C, commençait à donner à la
laine blanche une très légère teinte de roussi, sans au-
cune diminution de la résistance du tissu; à -|- 158° C,
ce même tissu avait une teinte jaune des plus prononcées,
et c'est à ce degré seulement que sa solidité paraissait s'al-
térer. Occupons-nous donc surtout de la laine, et prenons
pour exemple l'action de la chaleur sur les couvertures de
lit en laine blanche. Les observations faites à ce sujet par
les auteurs qui ont expérimenté les appareils désinfectants
à air chaud sont un peu contradictoires.
Ransom (1), dont le mémoire est très complet, dit que la
laine blanche, le coton, le linge de toile, la soie, le papier
peuvent être chauffés à -[- 121° pendant 3 heures, sans
altération appréciable ; cependant, la laine présentera un
très léger changement de couleur, surtout si elle est neuve;
peut-être, dit-il, ce changement est-il simplement celui qui
se produit quand on a lavé même une seule fois la fla-
nehe. Si on continue la même température pendant 7 à
8 heures, on voit de légers changements de couleur, mais
sans autre altération de la laine blanche, du coton, de la
soie, etc. Il ajoute que la température de -[- 14:6° c, con-
(I) W. H. Ransom, On the mode of disinfecling by heat. {The British
médical JouinaJ, 6 sept. 1873, p. 274.)
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 429
tinuée environ 3 licures roussit fortement la laine blanche,
plus faiblement le coton et la toile, mais cependant ne
Effet de la chaJcur sur les objets exposés.
OBJETS EXPOSl'S.
rcnipérature
de
Durée de
l'exposi-
Temp.
l'erte
de
Teinte
de
l'appareil.
tion.
centrale.
poids
roussi.
Oi'cillor de crin, 13 cent, d'é-
paisseur,liumidité normale.
-1-121 à 128"
8 heures
+ 119,5
1/10<=
Non.
— Le même, presque sec.
-t- 125° c.
2\40'
+ 105
1/40=
Noii.
Couvertures blanches, en 24
doubles, 1-2 cent, d'é-
paisseur, humides
+ m
6'>,30'
+ 101
1/120
Un peu roussies, mai*
Coussin de plume; 1.3 cent.
11011 iléler.
d'épaisseur, humide
+ 116
7i",20'
+ 111
1/10=
Non.
Coussin de laine ; 13 cent.
d'épaisseur, humide
+ lUàU8
23h
-f 122?
1/10'
iS'on.
Oreiller de crin, 14 cent.
d'épaisseur, sec
-f 146
4 's 45'
+ 146
1/170
Coussin de laine, 14 cent.
d'épaisseur, humide
+ 148
10'\30-
-1- 138
1/10''
roussi, altéré.
compromet pas sérieusement les autres caractères exté-
rieurs de ces tissus. Si on continue cette température pen-
dant 5 heures, l'altération extérieure est manifeste, et
p'feut-ètre la texture est-elle déjà compromise: les tissus de
laine filée deviennent poussiéreux, ils perdent très légè-
rement d3 leur poids au blanchissage, mais leur résis-
tance ne paraît pas encore affaiblie, surtout quand on a
laissé les tissus reprendre pendant plusieurs heures leur
humidité normale que la chaleur leur avait fait perdre.
Ransom a également recherché dans quelle mesure et au
bout de combien de temps la température pénétrait les
430 i>ÉSlNFECT10N NOSOCOMIALE.
parties centrales des pièces épaisses, et il a résumé dans
le tableau précèdent un grand nombre de recherches.
La conclusion de Ransom est que la température de
-|- 120° à 125° C. pendant une heure ou une heure et
demie, est à la fois efficace et inoffensive pour les tissus.
Le savant professeur d'hygiène militaire à l'école de
Netley, M. de Ghaumont (1), a répété ces expériences en
1875 et est arrivé aux résultats suivants :
1° Les articles de laine sont plus altérables par la cha-
leur que ceux de coton ou de lin.
2° Les articles de laine commencent à perdre leur cou-
leur après une exposition de 6 heures à une chaleur sèche
de 4" 100" G., ou après 2 heures à la température de
-]- 105'' G.; au delà de ces limites, l'altération croît avec
la durée de l'exposition ou l'élévation de la température.
3" Les tissus de coton et de hn peuvent être exposés
impunément pendant 6 heures à -{- 100° G., ou pendant
4 heures à -j- 105".
En résumé, d'après lui, la température sèche ne doit pas
être prolongée plus de 6 heures à-]-100°, ou plus de 4 heu-
resà-|-105° G. Voici d'ailleurs l'un de ses tableaux, résumant
les observations faites sur des couvertures de laine
blanche.
!2 h. Pas de changement.
4 h. —
6 h. Très légère nuance jaunâtre.
!2 h. Très légère teinte jaune.
4 h. Teinte jaune de plus en plus foncée.
6 11. — —
14 h. Forte couleur jaune.
1 13 h. Sur une plaque de fer, teinte jaune marquée,
-j- 110" C. ' 14 h. Sur une plaque de porcelaine, très forte couleur
( jaune.
4- 120° G. 9 h. Très forte couleur jaune.
Ainsi, tandis que M. Ransom prétend qu'on peut élever
(1) De Ghaumont, Report on thc effects of hijh température uponwol-
len and other fabrics. (The Lancet, 11 décembre 1875.)
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. i'M
impunémciiL la température jusqu'à -\- 120" pendant
3 heures sans altération apparente des tissus de laine,
M. de Chauinont déclare que la température sèche de lOo"
n'est pas sans quelque inconvénient, continuée pendant
2 heures. La question est importante au point de vue pra-
tique, car si les moyens de désinfection proposés par les
médecins ne donnent pas une entière sécurité, on peut être
assuré que les administrateurs et les agents comptables
auront une répugnance absolue à les employer.
Nous avons dû, à notre tour, reprendre ces expériences
et voilà à quels résultats nous sommes arrivé (1).
Il est presque impossible de conserver aux tissus de
laine la blancheur éclatante qu'ils ont lorsqu'ils sont neufs;
mais une exposition pendant 2 heures à -[- 110°, ne leur
donne pas une teinte plus jaune qu'un premier lavage à l'eau
chaude. Gela est si vrai, qu'en soumettant à -f- 110° pen-
dant 3 heures une pièce de flanelle qui a déjà été lavée
avec précaution, il est impossible de trouver une différence
de teinte avec une pièce identique qui n'a pas été soumise
à cette température. Cependant, à partir de -j- 11 5° et surtout
de -[-120°, la différence devient sensible quand la tempéra-
ture a été maintenue au moins 2 heures.
Quant aux tissus de coton et de toile, la température de
-j- 110° et 115° n'en change pas la couleur d'une façon
appréciable; la nuance ne commence à s'altérer qu'à
-f- 12o, continués pendant plus de 2 heures.
Pour apprécier la solidité des tissus, nous avons taillé
des lanières de laine dans une même pièce. Les unes ont
été immédiatement soumises aux tractions d'un dynamo-
mètre, et ne se rompaient que par un effort variant de
26 à 26 1/2 kilogrammes ; des bandes identiques ont été
soumises aux mêmes épreuves après l'action de la chaleur,
et nous avons obtenu les chiffres suivants :
(1) VaIlin,Z)e la désinfection par l'air chaud, (Annales d'hygiène et de
médecine légale, 1877, T. 48, p. 276.)
432 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
+ 110» c. pendant 4 heures. — 26kil., 500.
+ 120" c. — 4 heures. — 26 kil.
+ 133° c, pendant 2 heures. — 26 kil.
+ 150° c. — 2 heures. — 25 kil. — 24 kil., 500.
C'est donc seulement au voisinage de -j- 150° que les
tissus de laine commencent décidément à perdre leur
résistance.
Nous avons recherché si les hautes températures rendaient
le crin et la laine plus cassants et plus friables. On a pris
des quantités identiques en poids de crin et de laine bien
battus. Les unes ont été soumises pendant 4 heures à une
température de -}- 120°; quand on les faisait battre forte-
ment au sortir de l'étuve, elles abandonnaient une couche,
mince toutefois, de détritus et de fragments; lorsque le bat-
tage n'avait lieu que 24 ou 48 heures après la sortie de
l'étuve, quand le crin ou la laine avaient eu le temps de
reprendre leur eau hygrométrique, la quantité de détritus
n'excédait en rien celle qu'abandonnait la matière première
non exposée à la chaleur. On s'explique ainsi l'observation
faite par le docteur Lake, à l'infirmerie de Southampton :
les matelas étaient désinfectés par le séjour pendant 8 heures
dans une étuve chauffée à -f- 113-120" C; les employés
remarquaient qu'après le battage et la réfection, le déchet
était un peu plus élevé que d'ordinaire quand l'opération
était faite au sortir de l'étuve, tandis qu'au bout de 2 ou 3
jours la différence n'était plus appréciable. Le docteur
Lake reconnaît d'ailleurs que la T. de -f- 120° était trop
élevée, et que celle de -|- 105° eût été suffisante.
Ces résultats, en ce qui concerne la laine, ne s'appU-
quent qu'à l'emploi de la chaleur sèche. Dans l'eau bouil-
lante, au contraire, la laine, surtout la laine riche en suint
servant à la fabrication des matelas, subit des altérations
très graves sur lesquelles nous insisterons un peu plus loin.
MM. R. Kochet G. Wolffhugel,dans le mémoire cité plus
haut, sont arrivés en 1881 à des conclusions identiques.
« Le chaleur portée à -]- 146° C. pendant 3 heures en-
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 433
dommage d'une façon manifeste les objets exposés. Un
sac en toile contenant des lambeaux de tissus fut laissé
pendant 3 heures dans nneétuve sèche chauffée jusqu'à
-(-152° C. ; au bout de ce temps les chiffons ou tissus
étaient dans l'état suivant :
Soie blanclic jaunie.
Soie rouge la couleur est plu s claire; le brillant a disparu.
Tissu de lin coloration brunâtre assez régulière.
Ouate brunâtre, odeur de roussi.
Gaze coloration jaune .
Laine blanche teinte jaune, odeur de brûlé.
Drap bleu tciutc pâlie.
— noir très peu altéré.
Papier de journaux.. teinte très brune.
Jute teinte plus foncée ; mais peu d'altération .
Crin sans changement.
Varech odeur de brûlé .
Plumes blanches jaunies .
Cuir devenu plus foncé, plus dur par places , plus
facile à déchirer.
En résumé, une température de -j- 105-110'' centigra-
des, continuée pendant 1 à 2 heures, assure la destruc-
tion de presque tous les germes morbides, et ne com-
promet en rien la solidité ni l'apparence des objets vesti-
mentaires et de literie. La température de -[- 120° ne doit
être atteinte que dans des cas particuliers ; elle roussit
légèrement les tissus de laine blanche, mais n'en altère
pas encore la solidité.
B. — Description et choix des appareils.
L'immersion dans l'eau bouillante et le maintien de
rébuUition pendant 1 heure, est un moyen facile d'ap-
phcation de la chaleur à la désinfection. Ce moyen, excel-
lent et d'un usage journalier pour le linge de corps ei la
literie, cesse d'être applicable pour les vêtements de drap
et même de coton; la laine sèche très lentement., beau-
Vallin. — Désisfectamj. 28
434 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
coup de vêtements seraient déformés et détériorés par
l'eau chaude ; l'ébullition dans Teau enlève à la laine et
au crin toute leur élasticité ; enfin certains objets, comme
les fourrures, ne peuvent être plongés dans l'eau. Il en est
de même de l'air chaud employé directement. Sans doute,
on peut utiliser, surtout dans les maisons particulières,
la chaleur obtenue par un réchaud allumé dans un es-
pace très restreint et très clos, un placard, un réduit de
petite dimension dans la muraille. C'est de la sorte que,
dans un grand nombre d'établissements de bains, on ob-
tient une étuve rudimentaire qui sert à chauffer le linge
destiné aux baigneurs. C'est une ressource précieuse dans
un appartement privé, pour désinfecter les vêtements d'un
enfant convalescent de variole ou de scarlatine avant de
le renvoyer à l'école, par exemple. Mais c'est un moyen
infidèle si l'on ne chauffe pas assez, dangereux si l'on
chauffe trop et parce que le feu peut se communiquer aux
objets exposés.
Il est donc indispensable d'avoir recours à des appareils
ou étuves à désinfection, soit qu'on emploie l'air chaud et
sec, soit qu'on fasse arriver directement la vapeur d'eau
au contact des objets exposés.
Étuves sèches. — Quel que soit le type adopté, tout
appareil à désinfection, et particulièrement toute étuve à
air chaud et sec, doit remplir les conditions suivantes :
1° Certitude d'action ;
2" Sécurité ;
3° Rapidité et simplicité ;
4° Économie,
La certitude d'action et la sécurité ne s'obtiennent que
pçir la fixité et l'uniformité de la température. Toutes les
parties de l'appareil doivent être au même degré ; aucun
point des parois ne doit être en contact direct avec le feu,
sinon ces parois s'enflamment si elles sont combustibles.
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 433
OU bien rougissent, et alors détruisent les parties de vête-
ments qui les touchent. Le feu doit être caché, et autant
que possible dans une localité complètement distincte de
celle où les pièces à désinfecter sont déposées. Dans les
l)remières étuves qui ont été construites en Angleterre,
des incendies ont eu lieu, des vêtements ont ainsi été
brûlés ; c'est ce qui est arrivé notamment dans la cité
mortuaire de Goldenlane, à Londres, dans une chambre
voûtée, de 2 mètres de haut, à parois revêtues de bri-
ques vernies, mais où un cordon de becs de gaz, allumé
au niveau du sol, enflamma un vêtement mal suspendu
qui devint le point de départ d'un incendie. La tempéra-
ture doit être constamment au même degré, pendant la
nuit comme pendant le jour, fût-ce même sans disconti-
nuité pendant quinze jours ; cette fixité absolue, indépen-
dante de la négligence des employés, seule garantie d'une
désinfection efficace en même temps qu'elle écarte tout
danger d'incendie, n'est possible qu'à l'aide de thermo-
régulateurs automatiques. Nous n'hésitons pas à dire qu'il
faut absolument rejeter toute étuve qui n'est pas munie
d'un de ces appareils. Sans eux, on a une sécurité trom-
peuse; le matériel n'est pas désinfecté, ou bien il est ex-
posé à être brûlé, et la peur d'un accident conduira toujours
les employés, les administrateurs, à préférer la désinfection
insuffisante, qui engage leur responsabilité d'une façon
moins évidente et moins brutale qu'un incendie.
D'ailleurs, depuis quelques années ces thermo-régula-
teurs se sont simplifiés et perfectionnés à tel point (mo-
dèles de Schlœsing, de d'Arsonval, de Wisnegg), qu'on
peut les trouver et les faire réparer partout en cas d'acci-
dents. Le principe de tous ces appareils est très simple :
un fluide (mercure, glycérine, eau, air) en se dilatant par
la chaleur de l'enceinte, s'élève dans un tube et obstrue
plus ou moins l'orifice par lequel s'échappe le gaz à éclai-
rage, source d'échauffement de cette enceinte; la flamme
436 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
et par conséquent la température baissent donc quand le
gaz passe difficilement; le liquide du thermomètre s'abaisse
dès lors en se refroidissant et laisse passer une plus grande
quantité de gaz, ce qui élève de nouveau la température.
La bonne disposition de ces thermo-régulateurs nous pa-
raît une condition si essentielle du fonctionnement des
étuves à air chaud, que nous croyons utile de donner ici
le dessin et la description des appareils les plus simples
et les plus ingénieux.
L'un des premiers régulateurs de ce genre est celui de
Bunsen, qui a subi un grand nombre de perfectionne-
ments. Dans la modification figurée ci-dessous, l'air con-
tenu dans un tube hermétique se dilate par la chaleur,
refoule de bas en haut le mercure dans un tube étroit ter-
FiG. 2. — Thermo-régulateur do Bunsen, modifie par M. Raulin.
miné à sa partie supérieure par une cuvette dans laquelle
plonge l'extrémité inférieure, taifiée en bec de plume o,
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 437
d'un tube par lequel le gaz arrive en a au brûleur : plus
le mercure s'élève dans la cupule terminale, plus l'immer-
sion du tube abducteur augmente et retient le passage du
gaz. En établissant, par un robinet gradué, une fine com-
munication entre le tube c et le tube «, on empêche l'in-
terception d'être complète et le brûleur de s'éteindre par
le changement brusque de pression. L'appareil construit
par M. Wiesnegg, à Paris, est entièrement en fer pour
éviter les ruptures et les accidents.
Un autre type, classique en France et qui se trouve
dans tous les laboratoires, est celui de M. Schlœsing. Le
mercure du thermomètre, en se dilatant par la chaleur,
s'avance dans un tube horizontal fermé par une membrane
FiG. 3. — Thermo-régulateur de Schlœsing.
élastique ; cette membrane, refoulée par le mercure, chasse
devant elle une palette en cuivre parfaitement plane qui,
438 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
en s'appliquent plus ou moins exactement sur l'extrémité
du tube abducteur, diminue ou empêche le passage du gaz
de E en S ; une fissure empêche le brûleur situé en S de
s'éteindre complètement quand la lamelle s'applique trop
brusquement ou trop exactement au devant de l'extrémité
horizontale du tube E par lequel le gaz arrive dans le
ballon avant de sortir -en S, En versant du mercure dans
l'entonnoir qui surmonte le thermomètre, et par la ma-
nœuvre du robinet placé en dessous, on règle exactement
les limites d'oscillation de la température. On obtient très
facilement une précision à deux degrés près. En établis-
sant une communication directe entre les tubes E et S, et
en réglant l'arrivée du gaz dans la jonction par un ro-
binet, on prévient sûrement l'extinction par les change-
ments brusques de pression.
Les deux appareils qui précèdent peuvent certainement
être utihsés dans la pratique industrielle, mais ils con-
viennent surtout pour les grands laboratoires. Il nous
semble que celui qui nous reste à décrire, le thevjno-
régulateur à air de MM. d'Arsonval et Wiesnegg, est
le mieux approprié aux exigences d'une étuve à désinfec-
tion. Ce n'est plus un appareil de science demandant à
être manié par une main exercée et savante, c'est un in-
strument qui peut être laissé, quand il a été réglé, entre
les mains des ouvriers, de la même manière qu'un mano-
mètre ou une soupape de sûreté. Nous ne pouvons entrer
dans les détails de la description de l'appareil figuré ci-
dessous : l'air contenu dans le tube fermé servant de ther-
momètre à air et relié par un tuyau métallique au régula-
teur, distend une cavité formée par deux membranes
de caoutchouc, membranes qui forment soupape obturatrice
et peuvent ouvrir et fermer le tube où circule le gaz. L'on
règle la température maximum ou minimum qu'on veut
atteindre par un pas de vis et en chargeant de quelques
grajïunes (30 à 100 grammes) le plateau qui surmonte
DÉSINFECTION DES VÈTI-.JIENTS, DE LA LITERIE, ETC. 439
l'appareil ; quand ce dernier est réglé, il fonctionne indéfi-
niment, d'une façon tout à fait automatique. C'est ce type
qui est définitivement adopté pour l'étuve à désinfection
FiG. 4
Thermo-rûgulaleur à air, à double membrane, de MM. d'Ar-
son val cL ^YiesneÊrfi■.
de l'hôpital Saint-Louis, et ce modèle de grande dimension
(30 centimètres de hauteur) ne dépasse pas le prix de 150
francs : les modèles ordinaires, ayant 20 centimètres de
hauteur et du prix approximatif de 50 francs, sont très
suffisants pour de petites étuves à désinfection.
En un instant, on peut régler ces appareils pour la
température qu'on désire, soit de -j- 103 à 120°. D'ordi-
naire, les oscillations de l'enceinte ne varient pas de plus
de 2° par semaine, mémo en l'absence de toute surveil-
lance, ce qui donne une sécurité presque absolue. Nous
décrirons même plus loin un appareil automatique qui ar-
rête complètement et définitivement le chauffage, quand
440 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
par extraordinaire, la température dépasse le degré con-
venu.
Il n'est pas moins nécessaire que l'étuve puisse fonc-
tionner rapidement, presque instantanément ; sans cela,
on laisse s'accumuler les objets à désinfecter, jusqu'à ce
qu'il s'en forme un amas considérable, avant de commen-
cer une opération nouvelle. C'est le grand avantage des
étuves chauffées au gaz de pouvoir fonctionner instanta-
nément, on peut le dire, même pour une seule pièce conta-
minée, et d'arrêter l'opération sans dépense inutile de la
chaleur déjà produite. Enfin, la condition d'économie s'im-
pose ; une bonne étuve doit entraîner non seulement une
faible dépense de premier établissement, mais aussi une
faiblesse d'entretien, soit en combustible, soit en main-
d'œuvre et en personnel.
Les étuves sèches peuvent être chauffées : 4° par un
foyer direct (becs de gaz ou fourneau), 2° par la vapeur
circulant sous pression dans des espaces hermétiques ou
des serpentins qui tapissent l'enceinte.
Nous décrirons d'abord les appareils ou types suivants,
où le chauffage a lieu directement par un foyer : étuve du
D" Ransom, à Nottingham; four Léoni ; appareil désinfec-
tant de Nelson et Somer, à Londres ; étuve à gaz de l'hô-
pital Saint-Louis, à Paris ; chambre à air chaud de M. Hers-
cher.
Étuve de Ransom. — M. le D'' Ransom, médecin en chef
de l'hôpital de Nottingham, qui a beaucoup étudié la désin-
fection par la chaleur (1), a fait construire ce four en 1871
par MM. Goddard et Massey, de Nottingham. Le plan dé-
taillé de cet appareil n'avait jamais été publié, même en
Angleterre; sur nos instances très pressantes, les cons-
tructeurs ont bien voulu consentir à dresser pour la
(1) D"' Ransom, Oa the mode of disinfecting by heat {British médical
Journal, 6 septembre 1873, p. 274.)
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 441
Revue d'hygiène le dessin ci-joint que nous empruntons à
ce recueil, {Octobre, 18'9) (1).
FiG. s. — Coupe du four de la station de désinfection de Notlingliam
(appareil de Ransom, perfectionné).
L'étuve X est en tôle recouverte de panneaux en bois ;
pour empêcher la déperdition du calorique, l'intervalle
qui sépare les deux parois est rempli de sciure de bois ou
de tourteaux de graine de lin ; la partie inférieure repose
sur un soubassement en maçonnerie. L'air qui y arrive est
échauffé par le brûleur circulaire G, percé d'un grand
grand nombre de trous par où s'échappe le gaz; une
pomme perforée donne passage à un courant d'air qui se
mélange au gaz et assure la combustion complète du car-
bone. Le thermo-régulateur automatique, figuré en HR,
permet de régler la température au degré voulu. Qu'il
(l) E. Vallin, Des appareils à désinfection applicables aux hôpitaux et
aux lazarets [Revue d'hygiène et de police sanitaire, octobre 1879, p. 813
et 893).
442 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
s'agisse du thermo-régulateur de Schlœsing ou de d'Arson-
val, quand la chaleur de l'étuve devient un peu trop forte
le mercure du thermomètre ou le liquide chauffé, en se
dilatant, applique devant l'orifice intérieur qui donne pas-
sage au gaz une petite valve, laquelle diminue ou suspend
presque complètement le débit du tuyau. Le thermomètre
placé en K indique la température maximum, qui ne dé-
passe jamais 124° C. La température minimum est donnée
par le thermomètre placé au sommet de l'étuve, près de
la cheminée d'évacuation ; elle n'est jamais inférieure
à + 120° C.
L'appareil a pendant plusieurs années marché de la sorte
sans surveillance, sans besoin de réparations et sans acci-
dents ; on peut lire dans le British médical Journal du
6 septembre 18T3 le rapport fait par M. le D'' Ransom sur
le fonctionnement excellent de cette étuve à l'hôpital de
Nottingham. Plus tard cependant il est survenu un acci-
dent ; à l'infirmerie de Southampton, des vêtements dépo-
sés dans l'étuve ont été détruits par un incendie, bien que
le régulateur continuât à indicjuer la température de
125° centigrades et que rien ne parût dérangé dans l'appa-
reil. Il est vraisemblable que des allumettes chimiques
oulDliées dans un vêtement avaient provoqué cet incendie.
Comme une sécurité absolue est la condition sine qiiâ non
du succès de ces appareils, on y a introduit les perfec-
tionnements suivants :
Dans la cheminée d'évacuation de l'air chaud se trouve
une valve métallique pivotant sur un axe horizontal ; un
contre-poids suspendu à l'un de ses bords maintient cons-
tamment tendue une chaîne fixée par Tune de ses extré-
mités au bord opposé de la valve, et par l'autre extrémité
au robinet d'arrêt C, actionné lui-même par le contre-
poids M. En un point de cette chaîne qui traverse la
cheminée de l'étuve, se trouve un chaînon en métal fusible,
lequel en se fondant amène la rupture de la chaîne, au cas
DKSINFECTION DES VÉTE3IEIN'TS, DE LA LITERIE, ETC. U3
OÙ, par une cause imprévue, la température de l'étuve
dépasserait le maximum fixé à l'avance. Alors, instantané-
ment, le contrepoids supérieur fait basculer et ferme la
valve A; en même temps, l'obturateur métallique F glisse
dans la direction de la tige qui le supporte, vient fermer
l'orifice inférieur de l'étuve et empêche complètement l'ar-
rivée de l'air chaud au cas ou le brûleur à gaz continuerait
à marcher. Maison même temps, le contrepoids M, par un
agencement que le plan, très fidèlement reproduit, ne laisse
pas très bien comprendre, ferme le robinet d'arrêt C, placé
sur le tuyau d'arrivée du gaz, et celui-ci s'éteint. Depuis
plusieurs années que cet appareil fonctionne dans un grand
nombre de services publics, il paraît qu'il n'est survenu
aucun accident et que le matériel désinfecté n'a jamais
transmis de maladies. II est possible d'élever la température
jusqu'à -j- 175" centigrades, mais il est prudent et il est
suffisantde ne pas dépasser -|- 120°, surtout pour les objets
en laine, qui roussissent assez facilement; pour les chiffons
de toile ou de coton, pour des drilles, il n'y aurait aucun
inconvénient à élever la température de 10 degrés au delà.
Des grilles de fer, horizontales et mobiles, permettent
de superposer plusieurs couches d'objets très volumineux
et en particuHer des matelas, des oreillers, etc. Il existe
deux modèles, l'un plus petit, réservé aux hôpitaux, aux
prisons, qui cube environ 1 mètre et demi ; l'autre, plus
vaste, employé dans les stations imbliques de désinfection,
mesure 1", 5-{- 1", 5 -f-l™, 80, soit environ 4 mètres cubes.
Voir la disposition générale de l'appareil, page 444.
La quantité de gaz brûlé n'est pas aussi considérable
qu'on pourrait le croire; pour une température constante
de -j- 120" centigrades, elle est de 1 mètre cube par heure
pour le petit modèle (1), et de 1 mètre et demi pour le
(1) A Paris, le prix du mètre cube de gaz est de 30 centimes pour les
paiticuliers; ce prix est notablement moindre (15 centimes) pour les
grandes adminislralious ou les services publics.
444 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
plus grand ; une séance de désinfection dure au plus trois
heures, et pendant ce temps on peut purifier à la fois un
nombre considérable d'objets et en particulier plusieurs
matelas. Le prix des appareils est assez élevé; il est de
2,000 à 3,000 francs, somme qu'il faut presque doubler
FiG. 6. — Vue d'ensemble de l'éLuve de Ransom.
pour la construction des locaux et pour les accessoires.
Dans nos hôpitaux, oii ce qu'on appelle V épuration de la
literie laisse tant à désirer, oii la désinfection du linge et
des vêtements provenant des maladies contagieuses se
fait à peine, l'on dépense plusieurs fois chaque année le
revenu de cette somme. Cette considération d'ailleurs doit
être sans valeur, au moins dans une certaine mesure,
quand il s'agit d'assurer la salubrité publique et de faire
cesser la contagion qui désole parfois nos hôpitaux.
DÉSlNFECTIOiN DES VÊTEMENTS, DE LA LITEIUE, ETC. 443
Cet appareil paraît très bien conçu ; on s'accorde à dire
qu'il donne de bons résultats; malheureusement nous n'en
avons aucune expérience personnelle ; en tout cas , il
mérite d'être essayé en France, où il n'a encore jamais été
introduit (1).
Four Léoui, de Londres. — Ce modèle ne diffère du
précédent que par les détails de la disposition intérieure ;
il est également chauffé au gaz. Un de ces fours a été cons-
truit, en ces dernières années, à l'hôpital Saint-Pierre de
Bruxelles, dans une dépendance de l'établissement consacrée
aux bains et au traitement des galeux ; le four a coûté
3,500 francs pour la maçonnerie, les accessoires 2,000.
Un second four semblable existe à la nouvelle buanderie
des hospices. Enfin, l'on en a récemment établi un autre
pour ce qu'on appelle VOEuvre des vieux vêtements. Il
s'est fondé depuis peu d'années à Bruxelles, avec le patro-
nage et la coopération pécuniaire de la municipalité, une
association philanthropique qui distribue des vêtements
convenables aux enfants des classes nécessiteuses; ces
pauvres enfants ne possédaient parfois que des haillons ou
des vêtements avec lesquels ils n'osaient se présenter à
l'école; on ne saurait donc trop applaudir à une œuvre
aussi pratique et aussi intelligente. Il était nécessaire de
désinfecter les vieux vêtements qui devaient servir à pré-
parer des habillements pour ces enfants ; les ressources de
la Société étant très restreintes, l'entrepreneur a réussi à
établir un four du système Léoni pour la somme totale de
1,500 francs, y compris l'étuve, la maçonnerie, etc.
(1) Pour ceux de nos confrères qui auraient l'occasion de visiter les
hôpitaux anglais, nous donnons ici l'indication de quelques établissements
oiiil existait en 1879 desfours de ce modèle : à Londres; LondonFever hos-
pital, — Homerton Sinall-pox Hospital, — Qiicen Charlotte'^ lijinfj-in
Hospital (maternité), — the Inftrmary, in Highgale; à Portsmoulh, the
Counlij Lunatic A.sylum; à Norwich, Nor folle and Norwich Hospital; à
Noitingham, the General Hospital; à Bradfort, the Fever Hospital; à
Sheflield, the Fever Hospital, etc.
4i6 DÉSINFECTION NOSOGOMIALE.
Ce four ou armoire à désinfection, dont M. Janssens (de
Bruxelles) et M. Gibert (de Marseille) ont bien voulu nous
envoyer les plans, est chauffé par une couronne de becs
de gaz; la chaleur peut être graduée à volonté ; on la main-
tient d'ordinaire entre -j- 105° et -\- 130° G.; malheureu-
sement nous n'avons pas de renseignements précis sur le
mécanisme du réglage de la température, ce qui est à notre
avis la pièce la plus importante de ces sortes d'appareils.
Toutefois, M. Janssens nous apprend que l'on est très satis-
fait à Bruxelles du fonctionnement des trois fours de désin-
fection, et voici quelques renseignements qu'il nous a
fournis au Congrès international d'hygiène, à Paris, en
1878.
L'appareil consiste en une armoire cyUndrique, formée
d'une carcasse métallique et de parois en terre réfractaire ;
le tout repose sur un massif de fondation en maçonnerie.
Le gaz brûle à la partie inférieure, distribué par des robi-
nets, et une cheminée surmonte le tout. Dans l'appareil,
on peut placer six matelas à la fois ou une quantité corres-
pondante de vêtements qui sont désinfectés en 2 ou 3 heures.
Pour l'opération, la température est d'abord portée au degré
voulu, soit -^ 130° G. (en 15 ou 20 minutes), avec une
dépense de 850 litres de gaz; ensuite, par la manœuvre
convenable des robinets, on continue pour maintenir la
température à dépenser 1 mètre cube 600 Htres par heure.
Pour désinfecter 6 matelas, on consommerait donc 4 mè-
tres cubes 100 litres de gaz, soit une somme de 20 cen-
times seulement par matelas.
Chambre désinfectante du D' Scott (1). — Le D'' Charles
Mason Scott, de Dalkey, a fait construire par MM. Maguire
and Son, de Dublin, un appareil qui est très usité en An-
gleterre.
(1) The sanitarij Record, 15 février 1881, p. 285, et 15 mars 1S81,
p. 331, et A.-J. Martiri; L'Exposition internationale médicale et sanitaire
de Londres. [Revue d'hygiène et de police sanitaire, octobre 1881, p. 873.)
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 447
C'est une chambre carrée chauffée soit au gaz, soit au
coke ou à la houille ; la température y est portée d'ordi-
naire jusqu'à -|- 1:21)° C. Mais un mécanisme ferme le
robinet si par accident la chaleur atteignait -|- 160" C.
FiG. 7. — Appareil à désinfecliou par l'air chauffé au gaz, du D'' ScotL
(Maguire et fils, constructeurs).
Dans le modèle perfectionné qui se trouvait à l'Exposition
sanitaire de Londres en 1881 et qui est reproduit ici, le
pyromètre de l'appareil primitif était remplacé par un
thermo-régulateur (N), et la température peut être graduée
à volonté. Le chauffeur à gaz élève,, dit-on, en 10 minutes
la températui^e de -|- 10 à -j- 126° C, et en 15 minutes à
-j- 150° C. On prétend qu'une exposition d'une demi-heure
à -|- 12i> est suffisante pour les vêtements; il faut un
séjour de 1 heure pour la literie.
448 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
Ajjpareil de Nelson et Somer. — Dans plusieurs hôpi-
taux anglais, on a adopté un appareil à désinfection assez
simple, désigné sous le nom de Nelson's disinfecting Ap-
paratus (1). Il se compose d'un grand bahut en forte tôle,
de la forme d'une commode, contenant une caisse métal-
lique de dimension un peu plus petite. Dans l'intervalle qui
sépare inférieurement les deux caisses, se trouve un long
tuyau percé de trous par lesquels brûle le gaz; les pro-
duits de la combustion circulent avec l'air chaud dans les
intervalles latéraux qui sont plus étroits et s'échappent
par un orifice supérieur; une petite ventouse assure l'arrivée
de l'air nécessaire à la combustion. Des traverses de fer
ou des crochets placés dans la caisse intérieure servent à
supporter les pièces à désinfecter et à les tenir éloignées
de la paroi inférieure surtout, qui est fortement chauffée et
pourrait les détériorer. Cette caisse interne est munie d'une
ventouse et d'un tuyau d'évent par lequel les effluves pro-
venant des objets désinfectés peuvent être entraînées dans
une cheminée. Le couvercle de l'appareil se manoeuvre à
l'aide d'un contrepoids.
L'appareil paraît simple, peu coûteux, très maniable,
mais il doit être mai aisé de régler la température sans une
surveillance attentive, et la détérioration des effets par leur
contact possible avec les parois métalliques surchauffées
doit être facile. Dans un autre appareil de MM. Nelson et
Somer, un fil en métal fusible actionne le robinet du gaz
à l'aide d'un contre poids comme dans l'appareil de Ran-
som. Ce robinet se ferme et éteint le gaz, quand la chaleur,
dépassant le degré calculé, amène la fusion du fil.
Nous ne croyons pas devoir décrire ici d'autres appareils
analogues, chauffés soit au gaz, soit par un foyer de char-
bon, usités en Angleterre. Ces appareils ont le grand
inconvénient de n'avoir pas de thermo-régulateur, et la
(I) W, Eassie^ A Dictlonnarij of sanitarij appliances. — DisiufecUon
by Hot Air [The sanitarij Record, 13 décembre 1880, p. 207).
49
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC
température de l'enceinte est subordonnée à l'intelligence
ou à la vigilance d'un employé subalterne ; telle est la
chambre désinfectante fixe de Fraser (1), très employée
dans les Nurses' Institutes, et dont le prix ne s'élève pas
Fjg. 8. — Chambre désinfectante fixe de Fraser
à moins de 2,250 francs. Dans un travail très complet, pu-
blié en 1881 par le D' G. Paddock Bâte (2), médecin sanitaire
de la paroisse de Bethnall-Green, à Londres, nous voyons
que ce four existe dans 13 paroisses, sur 25 qui ont des
appareils spéciaux de désinfection pour les vêtements et la
literie. La figure ci-jointe montre le mode de fonctionne-
ment : c'est un four dont la sole est au niveau de la rue,
et dans lequel on introduit un caisson monté sur roues
rempli des objets à désinfecter. La température se maintient
d'ordinaire de -{- 123° à -\- 125" C. ; mais comme il n'y a
pas de régulateur, il est parfois arrivé, par la négligence
des agents, que des vêtements ont été rendus endommagés
(1) Eod. loco, 13 octobre 18S0, p. 158.
(2) D' G. Paddock Baie, The dm:ifection of clotliing and beddir.g ,Lon.
don 1881. — Analyse in Médical Times and Gazette, 10 décembre 1881,
p. 686.
Vallin. — Désinfectants. 29
4S0 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
à leurs propriétaires. LeD'' Bâte a observé le cas contraire:
les agents avaient tellement peur de brûler les vêtements,
qu'ils rendaient des objets mal désinfectés et contenant
encore des pous vivants ! rien ne prouve mieux la nécessité
de régulateurs automatiques.
ÉUive de Vhôpitai militaire d'Amersfoort, en Hollande.
— Dans un mémoire qu'il a bien voulu nous envoyer,
notre ami, M. le D'" Ruysch (1), médecin-inspecteur de la
province de Brabant et Limbourg, décrit et figure une
étuve à désinfection que le génie militaire a établie à
l'hôpital d'Amersfoort. Cette étuve a 1™, 40+l"\ 85+0"^, 94 ;
c'est une petite chambre construite en briques et en ciment.
Un poêle ordinaire, en fonte, est placé à l'une des extré-
mités de la chambre, reposant sur un socle en pierre pour
éviter les accidents. Ce poêle s'allume en dehors de l' étu-
ve, on peut le faire rougir. De la calotte du poêle partent
deux tuyaux de fumée en tôle, qui longent horizontalement
les deux parois de la chambre, à 70 centimètres au-dessus
du sol, et qui, après s'être réunis à l'extrémité opposée à
leur origine, se terminent par un tuyau vertical, lequel se
dégage à travers la paroi latérale de l'étuve. La disposi-
tion est simple, elle doit être très économique, elle paraît
efficace. On obtient rapidement une température de-|- 130°
C. qui se maintient; on pourrait atteindre -j- 150°. Un
simple thermomètre dont le réservoir fait saillie dans
l'étuve permet de suivre la marche de la température ; c'est
là, à vrai dire, le point faible de l'appareil, qu'il est fa-
cile d'improviser partout.
Étuve à gaz de l'hôpital Saifd-Loiiis. — L'Assistance
publique du département de la Seine a fait construire, à
l'hôpital Saint-LoLiis, en 1881, une étuve à désinfection
(1) P"" Ruysch, J-^rs oî)?r onismeliihg [MiUtatr Genesskundig Archief,
18.il, afuiering , avec planche).
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 4r>i
chauffée au gaz et à température constante. M. le D' Vi-
Coupe M N.
FiG 9. — Étuve à désinfection de l'hôpital Saint-Louis.
A. Arrivée du gaz. H. Tuyau des rampes à gaz.
B. Régulateur de pression. i. Prises d'air.
C Régulateur de température. J. Cheminée d'évacuation.
D. Thermomètre à glycérine ac- K. Registre.
tionnanl le thermo-régulateur. L. Cercle pour suspendre les habits.
E. Tuyau des allumeurs. R. Robinets d'arrêt.
F. Allumeurs. p^ Portes
G. Rampes à gaz.
4o2 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
dal (1) a vu fonctionner cet appareil dans l'hôpital où
l'appelle chaque jour son service; il en a donné une des-
cription très complète, d'après les notes et les plans de
M. l'ingénieur Lelaurin qui a construit cette étuve.
La température est constante; en chauffant pendant
plusieurs heures consécutives à -[- 120° C, les oscilla-
tions ne dépassent pas deux degrés. En fonctionnant
pendant 2 à 3 heures par jour, l'appareil suffit aux besoins
de l'hôpital et au service des nombreux malades externes
en traitement pour gale ou phthiriase; or, pendant l'année
1880, le nombre des galeux seulement, traités à Saint-Louis
n'a pas été moindre de 10,149.
L'appareil qui cube environ 11 mètres a coûté 2,800 fr.;
il consomme 6 mètres de gaz à l'heure, soit proportion-
nellement un quart de plus que l'étuve de Ransom. Nous
croyons utile de reproduire en partie la description donnée
par M. Lelaurin :
« C'est une enceinte de forme circulaire, ayant 2", 20 de diamètre surS^jOO
de hauteur, et d'environ 11 mètres cubes do capacité; elle est construite
en briques et présente deux enveloppes séparées par un intervalle isolant.
Le plafond qui la recouvre a été formé de deux assises de briques creuses
et protégées par une toiture en fer liourdée en plâtre. Cette capacité est
divisée en deux parties superposées par une plaque de tôle perforée formant
une sorte de gri'lage horizonlal. La partie supérieure reçoit les objets à
épurer suspendus à un cercle mobile autour d'un axe de rotation centrale;
La chambre inférieure renferme l'appareil de combuslion du gaz qui doit
fournir le calorique, et qui se compose de quatre rampes portant chacune
une double rangée de brûleurs.
L'air nécessaire à la combustion est introduit dans la chambre de chauffe
pnr trois gaines munies de grilles à valves mobiles qui permettent de réglée
à volonté le volume d'air appelé.
Les produits de la combustion s'échappent, à la partie supérieure de
l'étuve, par une cheminée centrale dans laquelle se trouve un registre qu'on
peut ouvrir ou fermer de l'extérieur, au moyen d'une tige de manœuvre
articulée, et qu'on peut fixer en divers points, de manière à faire passer
dans l'étuve un volume d'air, variable suivant les besoins, et dont le maxi-
mum correspond à la quantité slriclement nécessaire à l'entretien de la
combu-tion du gaz. Ce registre porte une échancrure qui empêche l'obtu-
(l) D-' E. Vidal, Note sur V étuve à désinfection de l'hôpital Saint-Louis,
communication à la Société de médecine publique {Revue d'hygiène et de
police sanitaire, 20 naai 1881, p. 4iJ.5).
DIlSJNFECTION des VÉTEMEiNTS, DE LA LITEIU!:, ETC. 4.>3
ration ciinplèle, afin d'ûvilcr loule accuuuikiliun de i^'az et d'éciirlcr toil
danger d'explosion.
Deux portos en lôlc à double parwi donnent accès, l'une dans l'étuve
proprement dite, l'autre dans la chambre de chauffe; celle-ci sert en mémo
temps à ralluma!,'c.
Le gaz, avant d'arriver aux brûleurs, passe préalablement dans un réicu-
latcur de pression qui réduit celle-ci et la mainiient sensiblement cons-
tante, quelles que soient les variations qui se produisent dans la canali-
sation générale.
Il traverse ensuite un régulateur de temoérature destiné à maintenir
dans l'éluvc le degré de chaleur qu'il convient d'obienir et de ne pas
dépasser.
Cet appareil, du système d'Arsonval, renferme une valve en caoutchouc
portant un obturateur qui, sous l'influence d'un thermomètre à glycérine,
donne passage à un volume de gaz proportionnel à la température
acquise, et ferme l'orifice d'introduction à peu près complètement, lorsque
la limite fixée à cette température est atteinte. Le réservoir du thermomô-
Ire se compose d'une série de tubes en cuivre ; ils sont pendants et tous
branchés sur un tuyau aboutissant au régulateur. Ce réservoir fait tout le
lourde l'étuve. Dans ces tubes, la glycérine est remplacée actuellement
par de l'air dont le coefficient de dilatation par la chaleur est plus consi-
dérable et qui n'altère pas les membranes. Le régulateur adopté est celu
de MM. d'Arsonval et Wiesnegg, dont la description se trouve page 439.
Pour obvier à l'inconvénient résultant de l'extirction complète qu
pourrait se produire au cas oii la température s'élèverait trop rapidement,
les rampes à gaz sont bordées de petits tuyaux donnant de faibles jets de
gaz, dits iillumeurs, dont le nombre et l'intensité sont insuffisants pour
maintenir la température au d<'gré limite et qui sont alimentés par une
conduite branchée avant le régu'atcur. Ils sont, par conséquent, toujours
en ignition; ils rallument instantanément les brûleurs, si ceux-ci vienuent
à s'éteindre, aussitôt que par l'abaissement de la température le régulateur
donne de nouveau passage à une faible quantité de gaz. Un thermomètre
ordinaire, dunt l'échelle est visible au dehors de l'étuve, per.not de cons-
tater à tout moment la température.
Cette température qui est ordinairement réglée à 120 degrés, peut être
à volonté portée à 130 et HO degrés; mais une fois fixée, elle est faci-
lement njaintenue à deux degrés près, pendant plusieurs heures. Jusqu'ici,
le fonctionnement de l'appared qui est en service depuis six mois est
des plus réguUers. Cependant, pour donner toute garantie contre une
élévation excessive de température, dans le cas où il arriverait un accident
au régulateur, il sera établi dans l'étuve un pyromètre à lames métalliques
dont la dilatation fermera progressivement le robinet d'arrêt du gaz. Dans
ces lamés métalliques sera intercalée une plaque fusible dont la destruction,
à température limite de fusion, amènera la fermeture complète de ce robinet
soiis l'action d'un contrepoids.
La consommation du gaz ne dépasse pas, dans cet appareil, six mètres
cubes à l'hpure, lorsque le régime est établi; elle serait certainement
réduite, si l'étuve, qu'on a utilisée telle qu'elle existait, se trouvait à
l'abri dans l'intérieur d'un bâtiment et si sa forme était plus appropriée
à l'usage auquel elle est destinée. L'ouve: ture fréquente de la porte pour
le chargement et le déchargement, dont la durée est d'environ cinq minutes,
et qui abaisse brusquement la température de plus de 23 degrés, cause
434 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
une perte de chaleur considérable, récupérée par un supplément de con-
sommalion qui figure dans la dépense indiquée ci-dessus. »
Chambre à air chaud de M. Herscher. — A la suite des
différentes publications que nous avions faites sur la
désinfection par l'air chaud, nous avions reçu un grand
nombre de lettres de collègues nous demandant à quel type
d'étuve il fallait donner la préférence, l'administration hos-
pitalière de leur ville ayant consenti à la construction d'une
chambre de désinfection dans l'hôpital. Sur notre propo-
sition, la Société de médecine inihlique et d'hygiène pro-
fessionnelle a décidé, en 1881, la formation d'une com-
mission chargée de présenter un modèle réunissant tous
les desiderata. M. Herscher, l'ingénieur et constructeur bien
connu, a présenté, au nom de cette Commission dont il
était rapporteur, un appareil qui a été approuvé par la
Société (1) dans sa séance du 22 juin 1881.
La Commission a cherché, avant tout, à assurer une
distribution égale de la chaleur dans toutes les parties de
la chambre destinée à la désinfection. Dans presque tous
les appareils construits jusqu'ici, le foyer est installé en
contre-bas du sol, ce qui fait que l'air circule de bas en
haut. C'est le contraire qui doit avoir lieu, si l'on veut
éviter les veines de température, parfois très inégales, que
le thermo-régulateur le plus exact ne pourra jamais révéler,
puisqu'il n'indique que des moyennes. Dans les séchoirs
industriels méthodiquement installés, le chauffage se fait
toujours par couches horizontales isothermes, avec orifice
d'évacuation près du sol, correspondant à une cheminée
de sortie.
La circulation de l'air chaud de haut en bas exige que
(!) Des appareils à dJsinfeotionpar l'air chaud, destinés d la purifi-
cation des vêtements, literie, etc., Rapport fait au nom d'une Commission
composée de MM. Marié-Davy, André, Hudelo, Napias, Rochard, Vallin, et
Herscher, rapporteur, Société de médecine publique, 22 juin 1881 [Revue
d'hygiène et de police sanitaire, juillet 1881, p. 585.
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 455
les parois de l'étuve soient parfaitement garanties contre
le refroidissement extérieur. Il faut donc construire les murs
FiG. 10. — Vue perspective de l'étuve proposée par M. Herscher
et adoptée par la Société de médecine publiquu.
456 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
de la chambre en briques, et les revêtir intérieurement d'un
parement en bois de 3 à 4 centimètres d'épaisseur simple-
ment juxtaposé. Les deux portes sont à double paroi,
fermant hermétiquement, avec bourrelets en corde talquée.
Pour éviter de surchauffer la paroi de l'étiive en contact
'm.
Echelle de 0.02 p.rm.
FiG. n. — Intérieur de l'étuve.
LÉGENDE DES FIGURES 10 et 11.
a. Chambre de chauffe.
h. Etuve à désinfeclion, garnie en bois intérieurement.
c. Rampes d'allumage, toujours ouvertes.
d. Rampes de chauffage réglables par le thermomètre rcgulateur.
e. Régulateur de température (système d'Arsonval, à air).
ë . Tube d'air du régulateur, exposé à la chaleur.
f. Porte à coulisse pour l'introduction de l'air nécessaire au fonction-
nement de l'appareil.
Q. Cheminée d'évacuation de l'air qui a traversé l'étuve.
ft. Ecran de garantie en lôle.
k. Chariot à pattes couplées, avec traverses pour l'accrochage des objets
à désinfecter.
/. Châssis fixe en avant de l'étuve et portant des rails de roulement.
V . Châssis analogue devant l'autre porte de l'étuve.
mm. Cadres en bois pour accrocher les matelas.
direct avec le foyer, l'air est chauffé à la température vou-
lue avant son entrée dans la chambre de désinfection.
DESINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 437
A cet effet, on a ménagé une chambre latérale de chauffe,
séparée du reste de l'enceinte par une cloison en briques
qui s'arrête à quelques décimètres du plafond. Dans cette
chambre de chauffe, on peut installer soit une rampe de
becs de gaz, soit simplement un poêle ordinaire à coke, ou
mieux un calorifère muni du foyer Perret, ce dernier per-
mettant de brûler du combustible de très faible valeur
d'acquisition (poussier de coke, menus de charbon, houilles
maigres, etc.) Une cheminée d'évacuation placée dans
un coin de la chambre de chauffe, et recevant l'air par une
ouverture ménagée à la partie la plus inférieure de la cloi-
son de séparation, entraîne au dehors l'air qui s'est chargé
d'humidité et de souillures après avoir traversé l'enceinte
réservée à la désinfection.
M. Herscher croit que pour ces étuves à air chaud le
gaz d'éclairage est de beaucoup le meilleur moyen de
chauffage ; on l'allume au moment précis où l'on en a
besoin, et les 5,000 calories que fournit chaque mètre cube
de gaz brûlé sont entièrement utilisées au profit de la
chambre à désinfection. En outre, le gaz en brûlant dé-
gage une quantité considérable de vapeur d'eau, environ
600 grammes par mètre cube de gaz brûlé, et l'on sait que
l'air chaud et humide détruit bien plus sûrement que l'air
chaud et sec la vitalité des protorganismes. Le gaz enfin
permet seul de régulariser rigoureusement la température
avec un thermo-régulateur automatique.
Dans le cas où l'on n'emploierait pas le gaz comme
source de calorique, il faudrait ménager dans les parois de
la chambre des ventouses de ventilation, afin de modérer
la température quand le thermomètre ordinaire, qu'on
aurait fréquemment consulté, indiquerait un degré trop
élevé. Pour ne pas être obligé de compter sur la vigilance
d'un employé subalterne, il serait possible sans doute
d'installer un bon thermomètre à mercure, actionnant une
sonnerie électrique placée à l'extérieur quand la colonne
438 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
mercurielle atteindrait le degré maximum (-[- 110° C.)
au niveau duquel on fixerait l'autre électrode.
Il se fait d'ordinaire une grande déperdition de calo-
rique lorsqu'il faut maintenir les portes del'étuve ouvertes
pendant tout le temps nécessaire pour suspendre ou reti-
rer chacune des pièces qu'on veut désinfecter. Pour éviter
cet inconvénient, M. Herscher a disposé des traverses rou-
lant sur des espèces de rails fixés en dehors de l'étuve :
quand les vêtements, les matelas ont été attachés à ces
traverses, on ouvre rapidement la porte de l'étuve, et en
un instant on fait glisser ces traverses à l'intérieur de
l'enceinte. Pendant cette courte opération,, la température
ne baisse que d'un petit nombre de degrés.
L'étuve doit toujours avoir d'un côté une porte d'entrée,
et du côLé opposé une porte de sortie.
La chambre d'épuration a 1"\ 50 de largeur intérieure,
2 mètres de hauteur et 2''\ 23 de longueur ; on y peut donc
désinfecter à la fois plusieurs matelas. Si ceux-ci ne sont
pas défaits, et quand ils ne sont pas humides, un séjour de
4 heures nous paraît suffisant pour que les parties centrales
aient dépassé la température de -j- 100° C. Sans défaire
les matelas, ce qui entraînerait une grande main d'œuvre
et une assez forte dépense, il est avantageux sinon néces-
saire de couper tout au moins les fils qui servent à les
piquer, et de soulever la laine et le crin avec les deux
mains à travers l'enveloppe, pour rendre le passage de
l'air chaud plus facile et plus rapide.
Pour les vêtements ordinaires, une heure d'exposition
suffit, pourvu qu'ils ne soient pas trop humides. L'étuve
décrite cube G™, 750; elle dépenserait au maximum 4 à 6
mètres cubes de gaz par heure.
M. Herscher a calculé qu'une étuve de la sorte, avec sa
cour d'enceinte, les constructions accessoires, coûterait au
moins 7,000 à 8,000 francs. On diminuerait la dépense
en diminuant la profondeur de l'étuve, ce qui obligerait à
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 4o!J
suspendre les matelas en hauteur et non plus en largeur,
et en substituant des suspensions fixes au châssis mobile
d'accrochage. On la réduirait encore en employant des
poêles à charbon au lieu du gaz, ce qui abaisserait le prix
à 2,000 francs et peut-être même jusqu'à 1,500 francs. La
suppression du régulateur de température ne donnerait
qu'une économie insignifiante (30 à 150 fr.) et compro-
mettrait le bon fonctionnement de l'appareil.
Nous croyons personnellement qu'il y aurait avantage
à munir cette grande étuve sèche d'un générateur à va-
peur qui pourrait être mobile sur le poêle placé dans la
chambre de chauffe. On pourrait à un moment donné, au
cours de l'opération, dégager pendant une demi-heure un
fort jet de vapeur à -f- 100° ou -f- 105° qui rendrait la dé-
sinfection beaucoup plus sûre et plus rapide. On enlève-
rait ensuite le générateur, et l'étuve mixte, désormais sèche,
continuant à fonctionner, enlèverait toute l'humidité de
l'enceinte et des objets, sans que ces derniers aient pu
être altérés.
Dans le groupe d'étuves sèches que nous allons mainte-
nant décrire, l'air se chauffe au contact de doubles parois
ou de larges tuyaux circulaires ou ovoïdes, serpentant le
long des parois internes de l'appareil, et dans lesquels la
vapeur atteint une pression de 2 atmosphères au moins et
une température de -j- 120°. La vapeur, toutefois, ne pé-
nètre pas directement dans l'étuve et n'arrive pas en con-
tact avec les objets exposés.
Déjà, en 1832, pendant l'épidémie de choléra qui régna
à Manchester, le D-- Henry (1) avait établi plusieurs étu-
ves de désinfection à l'air chaud, qui quoique très simples,
paraissent avoir très bien fonctionné, mais dont la des-
cription n'est pas donnée.
(l) D'' Henry, de Londres, Nouvelles expériences sur les propriétés dé-
sinfectantes (les températures élevées [Journal de pharmacie et des sciences
accessoires, 18:32, T. XYIII, p. 229).
460 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
Le D"" Esse, qui a étudié particulièrement ces questions
d'hygiène hospitalière dans son grand ouvrage, a fait éta-
bhr à l'hôpital de Berlin deux systèmes d'étuves à désin-
fection dont la description doit trouver place ici.
Dans un premier appareil, deux cylindres de fer de di-
mension un peu différente sont emboîtés l'un dans l'autre,
de telle façon qu'un intervalle de quelques centimètre^ les
sépare latéralement et à la partie inférieure. Le plus petit
(diam. ^ 90 c. ; haut. = 4,40), est destiné à recevoir les
vêtements à désinfecter ; on les suspend au moyen de cro-
chets disposés circulaireraent le long de la paroi ; celle-ci
est intérieurement tapissée d'un treillage en bois pour em-
pêcher le contact avec la surface métallique surchauffée.
Ce cylindre est introduit dans un autre un peu plus grand
(diam. =: 1 mètre, haut. 1,50), recouvert à l'intérieur de
douelles et de feutre pour éviter la déperdition du calori-
que; on peut encore enterrer ce cyhndre dans le sol, de
telle façon que son bord supérieur soit à la hauteur d'une
table, ce qui en rend le maniement et l'abord plus fa-
ciles.
Ces deux caisses sont hermétiquement fermées au moyen
d'un couvercle assez compliqué qui se manie à l'aide d'un
contrepoids. Dans l'intervalle qui sépare ces cyhndres, on
fait arriver de la vapeur à une pression de deux atmo-
sphères ; une soupape de sûreté permet de mesurer exacte-
ment la pression, et par conséquent la température; l'air
contenu dans le cylindre intérieur s'élève en moins d'une
heure h ^ HT C. L'eau de condensation qui se dépose
entre les deux cylindres s'écoule à l'aide d'un tuyau dans
le générateur de vapeur, quand la pressioji devient moins
forte dans cette chaudière que dans l'espace intercylindri-
que; la température se maintient avec une grande con-
stance, pendant un temps très long; elle ne baisse que fai-
blement et pendant très peu de temps lorsqu'on est forcé
de soulever le couvercle.
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. AUl
Ce petit modèle, qu'on peut considérer comme une ébau-
che du second, ne sert guère que pour la désinfection des
pièces d'habillement, en particulier pour les habits des ga-
leux ou des gens souillés de vermine. Pour la désinfection
des matelas, on a construit une grande caisse en tôle de
8 pieds de long sur 3 1/2 de large et 4 de haut : sa paroi
interne est tapissée par les spirales assez rapprochées d'un
système de tuyaux en fer, de 2 centimètres 1/2 de dia-
mètre, dans lesquels circule de la vapeur à une pression
de deux atmosphèr.es. Une garniture en bois treillage est
superposée à cette série de tuyaux parallèles, dont la cha-
leur élevée serait peut-être capable d'endommager légère-
ment les objets suspendus dans l'intérieur de la boîte et
exposés à leur contact. L'appareil fonctionne à peu près
comme celui qui vient d'être décrit, le tuyau en serpentin
qui nous semble trop étroit remplaçant le cylindre inté-
rieur ; il est plus simple, moins coûteux et on peut lui
donner les plus grandes dimensions (1).
L'appareil de Esse a un inconvénient qu'il ne faut pas
dissimuler. Les cylindres étant hermétiquement fermés,
l'air chaud reste stagnant dans l'intérieur de l'étuve, ce
qui rend tout d'abord plus difficile la pénétration de la cha-
leur dans les parties centrales des masses volumineuses et
mauvaises conductrices, comme les matelas ou les pa-
quets de couvertures. Cet inconvénient est surtout évident
quand les pièces sont humides ; l'évaporation de l'eau qui
imbibe les tissus entretient pendant une partie de l'opéra-
tion un refroidissement relatif des parties centrales, sur-
tout quand les articles sont de gros volumes ou superpo-
sés.
C'est à cette influence qu'il faut attribuer le résultat
d'une des expériences de Ransom : un coussin de crin,
(1) On trouvera ces deux étuves très clairement décrites et figurées
dans le livre de MM. Rotli et Lex, Handbuch der militar. Gesundlieits-
pflege; 1872, t. I, p. 504.
462 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE .
très épais, très humide, fut soumis dans son appareil à
la température de -f 1"^^° G. ; au bout de 3 heures 20, le
crin était sérieusement altéré par la chaleur, et cepen-
dant la température centrale du coussin n'avait pas dé-
passé -j- 81" C. ; l'intensité de l'évaporation avait maintenu
à ce chiffre modéré les parties centrales dont la désinfec-
tion était insuffisante, quoique la température des cou-
ches superficielles eût déjà gravement altéré la matière
première. Il ne faut pas oublier toutefois que c'est là un
cas exceptionnel, et un coup d'œil jeté sjur le tableau de la
page 429 montre que la température pénètre d'ordinaire
plus facilement les parties centrales (1).
Un renouvellement rapide de l'air chaud dans l'appa-
reil retarderait beaucoup moins réchauffement des parties
centrales ; aussi l'appareil d'Esse, excellent pour les vête-
ments, doit désinfecter plus difficilement les matelas qu'on
y porte entiers, sans les défaire.
Ce défaut a été évité dans la grande étuve qui a été éta-
blie en ces dernières années à Vhdpital de Moabit, près
de Berlin (2). A la suite des deux grandes épidémies de
fièvre récurrente et de typhus pétéchial qui régnèrent à
Berlin en 1813, on se décida, sur le conseil de Virchow,
à instituer une désinfection sérieuse ; on renonça définiti-
vement aux fumigations de chlore et d'acide phénique,
qui ne peuvent avoir d'efficacité réehe quand il s'agit d'un
hôpital de SOO lits ; on recourut à l'emploi de la chaleur
sèche. L'appareil, établi sur le principe de ceux de Esse,
après avoir subi diverses modifications, a été reconstruit
en mars 1879.
(1) Voir à ce sujet la discussion qui a eu lieu, à la Société de médecine
publique, de notre mémoire : De la désinfection par l'air chaud [Bulletin
de la Société de médecine publique et dlvjgiène professionnelle, T. I,
1877-1878, p. 231 et 31;^).
(2) H. Merke, Die Desinfection-Einrichtung im stadtischem Barracken-
Lazareth zii Moabit (Borlia) [Virchoui's Archiii.,'^i septembre 1879, p. 498,
avec planches).
DliSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. mîi
Des fondations, s'élève une cliambre carrée dont les
murs sont à double paroi ; l'externe a 13 centimètres
d'épaisseur, l'interne, 25 centimètres ; entre les deux existe
un intervalle de 1 centimètres, rempli de sciure de bois
sèche et formant un matelas isolant pour empêcher la dé-
perdition du calorique intérieur. Le fond de la chambre,
en ciment imperméable, est également à double paroi et
l'intervalle qui les sépare est beaucoup plus considérable.
Il en est de même du plafond, de sorte que l'étuve repré-
sente deux chambres en maçonnerie, emboîtées l'une dans
l'autre, dans toute leur étendue, et séparées par une cou-
che isolante.
Les dimensions intérieures utilisables sont les sui-
vantes : longueur, 3 mètres ; largeur 1"\50 ; hauteur,
2"\24, soit une capacité de 9™", 390. Cet édicule de 3'", 40
environ est surmonté d'une cheminée de 2 mètres de hau-
teur ; celle-ci contient une valve métallique à contrepoids,
qui permet d'ouvrir ou de fermer hermétiquement toute
communication avec l'extérieur.
L'étuve est fermée par une première porte intérieure
en fer, de l",oO de hauteur sur O'^^IS de largeur ; une se-
conde porte extérieure, superposée à la première, mais
séparée par un intervalle de 0"\20 à 0"\30, assure l'oc-
clusion hermétique et empêche la déperdition du calori-
que. Aux quatre angles du toit sont disposées de petites
cheminées en poterie ou mitrons; elles communiquent
avec l'espace isolant qui sépare les deux parois de la cham-
bre et empêchent l'humidité de la sciure de bois qui rem-
pHt cet intervalle.
Un épais tuyau de cuivre, de 8 centimètres de diamètre,
traverse la double paroi et va à l'intérieur s'aboucher avec
une chaudière à vapeur assez puissante servant d'ordinaire
à d'autres usages, bains, buanderie. Ce large tuyau, véri-
table serpentin, décrit tout le long de la paroi interne de
la chambre, en bas et sur les côtés, un très grand nombre
46i
DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
de spires écartées entre elles de 12 centimètres et restant
distantes de la paroi également de 12 centimètres. Cet
Fig. 12. — Étuve à désinfeclioii do l'hôpital Moabit, prés de Berlin.
C. d. e. Intervalle isolant, rempli de sciure do bois, entre les deux
parois a el b.
f. Cheminées de ventilation des espaces c.
g. Cheminée do ventilation de l'étuve, avec registre en h.
k. Section des tubes dans lesquels circule la vapeur sous pression.
M. Crochets pour suspendre les effets.
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC- i^
écartement rend faciles des lavages fréquents à grande
eau, non seulement des spirales métalliques, mais aussi
des murs de la chambre ; les parois sont en ciment imper-
méable et le fond est incliné en pente vers un caniveau
qui conduit l'eau de lavage au dehors. Le serpentin est
complètement fermé et sans discontinuité; aux points décli-
ves se trouvent des robinets qui permettent d'évacuer au
dehors l'eau de condensation qui pourrait s'accumuler dans
les tuyaux. De chaque côté de la porte, un peu au-dessus
du sol, l'on voit deux orifices de 5 centimètres de dia-
mètre qui font office de ventouses et permettent d'établir
une ventilation très puissante dès qu'on ouvre la plaque
obturatrice de la cheminée ; le courant d'air résultant de la
différence de la température est alors si violent, que des
feuilles de papier sont rapidement entraînées dans la che-
minée d'évacuation. A droite de la porte se trouve un
« pyromètre » donnant exactement la température de la
chambre, et dont le cadran se trouve à l'extérieur.
Il est regrettable que le mémoire ne donne aucun détail
sur la nature, le mécanisme et le fonctionnement de ce
« pyromètre » {sic). S'agit-il d'un thermomètre à mercure
ou à un autre liquide, ou bien d'un véritable pyromètre?
Rien surtout n'indique qu'il fonctionne comme régulateur
automatique de la température. Ici, d'ailleurs, ce doit être
la pression de la vapeur dans la chaudière ou dans le ser-
pentin qui règle la température, et les détails sur ce point
font presque complètement défaut.
Quand on veut faire fonctionner l'étuve, on remplit la
chambre d'objets de literie ou de vêtements accrochés à
des tringles horizontales; on ferme hermétiquement les
deux portes. Le tuyau de la machine à vapeur est ouvert,
et celle-ci circule sous pression dans l'intérieur du serpent-
tin, jusqu'à ce que le « pyromètre » marque -|- 125" cen-
tigrades; cette température est obtenue au bout d'une
demi-heure environ ; on la maintient à ce degré pendant
Vallin'. — Désinfectants. .30
463 DÉSENFECTION NOSOCOMIALE.
une heure encore. Durant la première demi-heure, on tient
ouvertes les ventouses inférieures et la plaque obturatrice
de la cheminée, afin de chasser rapidement l'humidité qui
se dégage des effets ou de la literie (1); enferme ces orifices
fendant la seconde demi-heure pour que réchauffement
soit bien complet.
L'opération terminée, les portes sont ouvertes, et la tem-
pérature de Tétuve tombe en 15 minutes à -\- 35° ou
-f-^O^G. Quand on pénètre dans la chambre, on ne sent au-
cune odeur appréciable. Deux heures suffisent pour le char-
gement, le déchargement de l'étuve et une opération com-
plète de désinfection. On peut y porter à la fois 120
couvertures de laine, ou les vêtements de 60 personnes ;
il est donc facile de faire 8 à 9 fonctionnements en 24 heu-
res, et un hôpital de 1,000 lits peut être desservi par un
seul appareil.
En 1813, pendant l'épidémie de choléra, en 1876 et 1878
pendant l'épidémie de typhus et de fièvre récurrente, on
n'observa pas un seul cas de ces maladies parmi le person-
nel employé au blanchissage, tandis que ces cas de trans-
mission étaient autrefois communs. On est donc en droit
de penser que cette désinfection par la chaleur a détruit ou
neutralisé les principes morbides ou virulents.
L'un des médecins de l'hôpital, M. le D" Werner, a fait
d'ailleurs avec cet appareil des expériences qui sont vrai-
ment satisfaisantes. Il a imbibé des boules d'ouate de liqui-
des putrides dans lesquels fourmillaient vibrions et bac-
téries; ces boules souillées furent enveloppées et serrées
dans cinq nouvelles couches d'ouate neuve ; le paquet ainsi
préparé fut laissé pendant une heure dans l'étuve chauffée
à -j- 125°. Au bout de ce temps, les tampons d'ouate furent
(1) Nous nous demandons s'il ne serait pas plus avantageux de fermer
au contraire ces ventouses pendant la première heure de l'opération, afin
d'avoir un excès d'humidité favorable à la destruction complète des
germes; les orifices de ventilation ne seraient ouverts que pendant la
dernièrô heure, pour dessécher complètement les objets.
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 467
déroulés; ils étaient très secs à l'intérieur; on les introdui-
sit dans des flacons flambés, remplis de liquide de culture
et au bout de quatre semaines ce liquide était resté stérile,
L'expérience paraît péremptoire, cependant Wolffhiigel
nous apprend dans son mémoire publié en 1881 qu'il a
répété cette même expérience en présence de M. Merke,
dans un appareil à peu près identique ; au bout de 1 h, 1/2
d'exposition dans l'étuve sèche chauffée de -j- HOà -|- 125",
la plupart des spores et bacilles avaient conservé leur
aptitude à se reproduire. (Voyez plus loin, p. 487.)
L'appareil, tel qu'il existe aujourd'hui à l'hôpital Moabit.
a coûté au total 2,035 marcks, soit 2,544 francs. On se
proposait de faire construire, sur un modèle analogue, des
appareils portatifs qui pourraient, en cas d'épidémie, être
transportés aux foyers même de la maladie, et rendraient
les plus grands services, à la ville comme à la campagne,
contre la propagation de la variole, de la scarlatine, de la
diphthérie, de la fièvre puerpérale.
Four à désinfection de Christiansand (Norvège.). — Il
existe dans le port de Christiansand un établissement quaran-
tenaire, dans le lazaret duquel on a construit en ces dernières
années un four de désinfection assez analogue à ceux que
nous venons de décrire. Il est chauffé par la chaleur qui
circule dans de larges tuyaux à section ovale et rangés
sous la sole même de l'étuve. Celle-ci est disposée de ma-
nière à pouvoir être au besoin chauffée directement à feu
nu. On se loue beaucoup de la facilité et del'efficacité d'em-
ploi de cet appareil.
Appareils a désinfection par la vapeur. Les expérien-
ces toutes récentes de MM. Koch, Gaffky et Loeffler ont
confirmé l'opinion que nous émettions dans notre premier
mémoire, en septembre 1817, à savoir que la chaleur humide
doit être préférée à la chaleur sèche dans l'établissement
468 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
des étuves à désinfection. Nous avons vu p. 426 que,
d'après ces auteurs, l'exposition des parties les plus cen-
trales des objets infectés, pendant 10 ou 15 minutes, à
de la vapeur marquant + 100" à 105° C, était suffisante
pour détruire sans retour et sûrement toute vitalité des
spores et toute virulence.
La projection directe d'un jet de vapeur dans une en-
ceinte bien fermée contenant les objets suspects aurait l'in-
convénient d'abaisser immédiatement la température de la
vapeur au-dessous de -|- 100°, par conséquent de condenser
celle-ci : non seulement la température ne serait plus suffi-
sante'pour désinfecter, mais les objets seraient profondé-
ment mouillés, et il serait long et difficile de les faire sécher.
La caisse en communication avec l'alambic, dont se ser-
vaient MM. Koch, Gaffky et Lœffler dans leurs expérien-
ces, avait tout au moins l'inconvénient de laisser les objets
complètement humides ou mouillés au sortir de l'appareil,
dans un état où il est impossible de les rendre à leurs
possesseurs. Il est donc nécessaire, dans la pratique, de
pouvoir terminer l'opération par le passage d'un courant
rapide d'air très chaud et très sec.
Nous ne connaissons guère qu'un appareil affecté spé-
cialement à la désinfection par la vapeur ; il a été construit
par M. Washington Lyon de Gornhill, à Londres (1). C'est
un vaste tonneau en fer forgé, suspendu suivant son dia-
mètre horizontal entre deux roues, ou sur deux supports
fixés dans le sol de telle sorte que le bord inférieur n'est
distant du sol que de quelques centimètres. D'après le
dessin que nous avons sous les yeux, ce tonneau doit avoir
environ 2"', 25 de profondeur, et 1™,20 de diamètre. Il est
intérieurement revêtu d'un véritable tonneau en bois, de
dimension un peu plus petite, de manière à laisser entre
(1) D. Paddock Bâte, The disinfection of clothing and bedding, [Médi-
cal Times and Gazelle, 10 décembre 1881, p. 686; et Sunitary Record,.
15 avril 1881, p. 373, et 13 octobre 158, avec figures).
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, l'TC. 4ii9
les deux enveloppes un intervalle de quelques centimètres.
Ces enceintes se ferment toutes deux en môme temps
d'une façon très hermétique au moyen d'une porte repré-
sentée par la partie postérieure du tonneau. Une chau-
dière allante pression, tout à fait indépendante de la cham-
bre de désinfection, envoie à l'aide de tuyaux de raccord
de la vapeur surchauffée, à une pression de 28 livres an-
glaises par pouce carré, dans l'enceinte oîi l'on a disposé
les vêtements, la literie, etc. On commence par dégager
la vapeur dans l'intervalle qui sépare la chambre en bois
du tonneau métallique, afin d'échauffer les parois de l'é-
tuve et de diminuer la condensation de la vapeur refroi-
die. Cet inconvénient ne doit pas être complètement évité,
car des tuyaux de dégorgement existent dans l'étuve même
et dans l'espace intermédiaire, pour laisser écouler les eaux
de condensation.
Cependant le D'" Bâte qui a vu fonctionner l'appareil
fixe de Washington Lyon à Londres et qui s'en loue
beaucoup, ne paraît pas avoir constaté cette condensation,
ou plutôt celle-ci ne lui a pas semblé avoir d'inconvénients
pratiques. Au contraire, il croit que la pression directe
de la vapeur et le mouvement, le renouvellement de
celle-ci, rendent beaucoup plus rapide la pénétration de la
chaleur au centre des gros objets à désinfecter, tels que des
matelas. Il rapporte quelques expériences qu'il a faites
à ce sujet avec le D"" Sedgwick Saunders, médical officer
of health pour la cité de Londres. Un matelas, au milieu
duquel avait été placé un thermomètre à maxima et à mi-
nima, fut porté dans l'étuve à vapeur de M. Lyon. Au bout
de quelques minutes, la température de l'intérieur de
l'étuve était de -f- 127" C. Le matelas y séjourna pen-
dant 1 heure et demie, et quand on le retira le thermomè-
tre placé tout à fait au centre marquait -f 126° C. M. Bâte
ajoute qu'on n'a jamais trouvé les objets endommagés ou
mouillés, parce que dès que la pression cesse, l'eau qu'ils
470 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
contiennent s'évapore rapidement; « les objets restent
donc presque secs », ce que nous ne comprenons pas
très bien. M. Bâte ajoute que « cet appareil a rincoïivénient
de coûter plus cher que les autres et de nécessiter pour
le faire marcher un employé habile et exercé ; mais la rapi-
dité et la certitude d'un échauffement suffisant sont une
compensation suffisante ».
Pour dessécher rapidement les objets que la vapeur en
se condensant vient d'humecter, il serait sans doute pos-
sible de faire alterner dans l'enceinte, avec le jet de vapeur,
un jet d'air brûlé et sec, à -{- 110°ou 115°, qui, en se re-
nouvelant, absorberait et entraînerait toute l'eau condensée.
De petites machines à vapeur, munies d'un injecteur Giffard,
pourraient servir à atteindre ce but. Cette combinaison
peut avoir des avantages quand il s'agit de désinfecter
de grandes masses de matières peu susceptibles : des amas
de chiffons, par exemple, dans un lazaret, de grandes quan-
tités de laine et de crin pour literie des services publics ;
elle parait moins facilement applicable aux conditions plus
restreintes de la désinfection nosocomiale.
Nous ne connaissons pas d'appareils fonctionnant
actuellement et disposés pour désinfecter la literie ou les
vêtements par la vapeur. Mais il nous semble qu'il serait
extrêmement facile d'utiUser dans ce but les divers modèles
d'étuves sèches que nous avons précédemment décrits, en
particulier ceux où l'air intérieur est chauffé à l'aide de
vapeur sous pression circulant dans des tuyaux fermés. Il
suffirait d'établir sur un de ces tuyaux un robinet de déga-
gement, permettant à un moment donné de remplir l'en-
ceinte de vapeur à plus de 100 degrés, soit alors que les
objets ont déjà séjourné dans l'air chaud et sec, soit au
moment même de leur introduction. Au bout de 15 à 45
minutes, on fermerait le robinet, et les orifices de venti-
lation ménagés dans la plupart de ces appareils, en parti-
culier dans celui de l'hôpital de Moabit, entraîneraient de
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 471
grandes quantités d'air chaud qui enlèverait très rapide-
ment toute l'humidité. Nous allons voir tout à l'heure que
dans le lazaret de désinfection établi par le docteur Petruchs-
ky à Stettin, en 1871, en 3 minutes on séchait complè-
tement, dans un séchoir ad hoc, les vêtements mouillés
par l'exposition pendant 5 minutes à de la vapeur à
-f-lOO" C. L'étuve sèche, chauffée au gaz ou autrement
mais bien ventilée et dont nous avons décrit plusieurs
types, pourrait servir de caisse à désinfection, en y
dirigeant un jet de vapeur provenant du générateur
le plus élémentaire, placé sur un simple fourneau ; dans
une enceinte déjà chauffée à -{- 100 degrés, on n'aurait
pas à craindre que la température de la vapeur tombât
au-dessous de -[-100°; en ouvrant les orifices de ventila-
tion, l'étuve sèche transformée en séchoir ferait en quel-
ques instants disparaître toute humidité. L'on aurait ainsi
une étuve mixte, et la possibilité d'utiliser avec un appareil
unique la désinfection par l'air sec pour les objets facile-
ment altérables, et la désinfection par la vaj)eur à-f-100°
pour les autres.
Pour éviter l'abaissement delà vapeur d'eau au-dessous
de -|-100% et en même temps la nécessité d'une pression
de la vapeur dans des chaudières ou des tuyaux hermé-
tiques, MM. Koch, Gaffkyet Lœffler (1) ont imaginé de dé-
gager la vapeur de solutions aqueuses de différents sels.
Magnus a en effet démontré que la vapeur qui se dégage
dans ces conditions est presque à la même température que
celle à laquelle bout le liquide salin ; il a vu que la tempé-
rature delà vapeur était -|- 105", 25 C. quand l'ébullition
avait lieu à -j-lOI", C. et -\-i\i\'l C, quand le point
d'ébullition de la solution sahne était -{-[HQ". MM. Koch,
(1) Koch, Gaffky et Lœffler, Versiiche ueber die Verwerthbarkeit
heisser Wasserdûmpfe zti Desinfectionszwecken, (Recherches sur la valeur
de la vapeur d'eau bouillante au point de vue de la désinfection) in
Mittheilungen aus dem Kaiserlichen Gesundheitsamte, T. 1., Berlin, 1881,
in-4» ; p. 321.
472 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
Gaffky et Lœffler se servent de l'appareille plus rudimen-
taire, contenant 40 litres d'une solution de sel de cuisine
à 25 0/0. Dans l'intérieur du chapiteau de l'alambic
sont disposées des tablettes, sur lesquelles on place des pa-
quets de vêtements ou de tissus qui ont jusqu'à 40 centi-
mètres d'épaisseur et 50 de longueur. Au bout de 1 heure,
la température à l'intérieur du chapiteau s'élève à -j-92°C.,
au bout de i h. 1/2 à -j-97°, et 10 minutes plus tard
à -|-99° C. Quand l'appareil est en marche depuis 2 h. 1/2,
la température reste presque indéfiniment à -|-100°, sans
baisser d'un degré. Au centre des plus gros paquets, la
température variait toujours de-]-101°à -1-101°.5, et ne
descendait jamais au-dessous. Il va de soi qu'il serait aisé
de diminuer de beaucoup le refroidissement de cette va-
peur, dont la température initiale était de -|- 105° à 110".
Il ne s'agit évidemment que d'un appareil rudimentaire
suffisant pour des expériences de laboratoire. Mais il serait
facile de construire, sur ce principe ingénieux et fécond, de
grandes étuves à désinfection qui pourraient être utilisées
dans les établissements publics.
APPAREILS MOBILES. A côté de CCS appareils fixes, à
demeure, nous devons en décrire quelques autres qui peu-
vent se transporter au domicile des malades ; c'est la dé-
sinfection qui vient pour ainsi dire au-devant de l'individu
ou du matériel infecté.
Au premier rang se place Vétuve ambulante de Fraser (1)
(Fraser's perambulatory disinfecting apparatus). C'est
un fourgon à quatre roues, traîné par un cheval, et à peu
près identique aux fours roulants (à pain) de l'armée fran-
çaise en campagne. Un coup d'œil sur le dessin ci-joint
rend toute explication inutile. Cette voiture, avec son
fourneau par avance allumé, s'arrête devant la porte des
maisons où l'on a signalé des maladies contagieuses et la
(1) Sanitary Record, loco cilalo, 13 décembre 1880, p. 208.
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. ATS
désinfection se fait sur place pendant le stationnement de
la voiture qui reste attelée.
FiG. 13. — Étuve ambulante de Fraser.
Un autre appareil, inventé par le D"" Rogers (1) d'East
Retford, diffère du précédent par les détails d'exécution,
mais est construit sur le même principe. Pour éviter les
poussières dangereuses qui peuvent se dégager par la
manipulation du linge infecté soit dans la chambre du ma-
lade, l'escalier, soit dans la rue même où des curieux sta-
tionneraient autour de la voiture, on a imaginé le disposi-
tif suivant. On porte une caisse en bois, une sorte de
malle, dans la -chambre du malade ; on remplit la caisse des
objets suspects ; on descend dans la rue la malle fermée
qui s'ajuste exactement sur un orifice ménagé à la partie
supérieure de la voiture. En tirant successivement le fond
de la malle qui est à coulisses et le couvercle qui ferme
l'orifice de la voiture, le contenu de la malle tombe dans
la chambre de désinfection par avance chauffée. Quand
l'opération est terminée, on ouvre directement l'étuve pour
(1) Saniiary Record, 13 décembre 1880, p. 208
474 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
retirer les effets qui ne peuvent être dès lors la cause d'au-
cun danger. Il nous paraîtrait encore préférable de porter
dans le four ambulant, la malle remplie des objets souil-
lés ; sans l'ouvrir, l'opération serait peut-être un peu plus
longue, mais le possesseur des objets, pouvant conserver la
clef de la caisse pendant la durée de la désinfection, serait
rassuré contre la chance de tout contact de ses vêtements
avec d'autres plus malpropres ou plus souillés.
Dans rappureil de Stobès etni Seagrave de Londres^
traîné également par un cheval, le système de chauffage
est tout à fait en dehors de la caisse désinfectante ;; il est
placé entre le cheval et la voiture, à la place occupée or-
dinairement par le siège du cocher. Un fourneau à coke
chauffe une série dé tablettes horizontales et superposées en
terre réfra;Ctaire; au moyen d'un soufflet fixe semblable à
un soufflet de forge, on fait traverser ces intervalles dis-
posés en zigzag par un courant d'air ou par de la vapeur
d'eau.. Cet air brûlé ou cette vapeur surchauffée sont conduits
par un large tuyau à la partie supérieure de la chambre
désinfectante, dont ils élèvent la température au degré
voulu. Cet appareil est figuré en plan et en élévation dans
le Dictionnary of sanitary appliances de W. Eassie {Sani-
tary Record, 1880.)
L'un des appareils de Scott et Maguire dont nous avons
déjà parlé (p. 446) est disposé sur roues et transportable à
la main ; il se chauffe au gaz ou au charbon. Ses dimen-
sions sont variables ; le plus petit modèle mesure 0™%671,
(61X91X'^»21) '■> il P®"* ^^^® transporté au voisinage im-
médiat de la chambre infectée.
A ce point de vue, il présente quelque analogie avec
celui que M. le D"" Albenois, (1) de Marseille, a fait cons-
truire en 1881 pour la désinfection des vêtements des va-
rioleux. A la suite des épidémies de variole qui ont sévi à
(/) Bulletin mensuel de démographie de Marseille, isinvier 1881, p. 100,
et Revue d'hygiène et de police sanitaire, 30 avril 1881, p. 342.
DÉSINFKGTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 47S
Marseille en ces dernières années, le service municipal avait
décidé l'incinération deshardes souillées par les varioleux;
une indemnité pécuniaire était payée par la ville aux in-
téressés. Cette mesure resta sans efficacité, parce que les
parents des malades ne remettaient que les vêtements hors
de service, et gardaient les vêtements neufs quoique
souillés par les varioleux ; en outre, on ne brûlait que les
vêtements des individus qui avaient succombé, et nulle-
ment ceux des 3/4 des sujets atteints qui guérissaient.
C'est alors qu'on recourut à la désinfection, et M. Albenois
fit construire une étuve simple, portative, efficace. Elle se
compose d'une caisse en tôle, garnie de bois, mesurant
1"\10X1'"X^'"^^- Au-dessous de la paroi inférieure, se
trouve un fourneau que l'on peut chauffer au charbon de
bois ou au coke. La paroi inférieure porte un cadre grillagé
sur lequel on dispose les objets à désinfecter : entre la
paroi inférieure et ce cadre se trouve une rigole remplie de
solution phéniquée que la chaleur évapore, de sorte que l'ac-
tion d'une vapeur désinfectante s'ajoute à celle de la cha-
leur. Un thermomètre dont la boule est à l'intérieur de la
caisse et la tige à l'extérieur, indique la température. Une
petite cheminée donne issue à la vapeur et aux émanations
provenant des effets. L'appareil ne coûte que 400 francs ; les
gardiens de la paix, chargés de la désinfection, portent
l'appareil à domicile et désinfectent sur place avec facilité
les objets suspects. Sans doute le système est rudimentaire;
mais il est simple, économique, et il permettra d'intro-
duire dans la population les habitudes de désinfection, qui
sont encore si peu répandues dans notre pays. ^
Au cours de la discussion qui eut lieu au congrès
allemand d'hygiène publique à Stuttgard, le 16 septem-
bre 1879, le D' Heussner (1) préconisa un moyen extrème-
(1) D-- Franz Hofmann, Ueber DesinfecHonsmaasregeln ; Bericht der
Auschusses iiber die siebente Versammlung der deiilschen Vereins fur
{ôffentliche Gesundheitspflege z-u Stuttgart von 15 bis 17 seplember 1879,
Deutsche Viertelj. fur âff Gesundh. T. XII, 1880, p. 41 à 53).
470 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
ment simple, qu'on emploie avec succès depuis longtemps
à l'hôpital de Barmen pour désinfecter la literie et les vête-
ments souillés. On introduit tous ces objets, même les ma-
telas, dans une grande cuve en bois munie d'un cou-
vercle, et l'on projette, à l'aide d'un tuyau, de la vapeur
au centre de la cuve. Au bout de quelque temps {uach
einiger Zeit), on retire tous ces effets, et l'on ne saurait
croire, dit l'auteur, avec quelle rapidité ils deviennent secs.
Il est regrettable que Heussner ne dise pas plus précisé-
ment combien de temps dure l'opération complète, quelle
température atteint le centre des objets exposés, et quelle
preuve on a que la désinfection a été bien réelle.
Lazarets de désinfection. Il ne suffît pa-^ ' adopté
un type d'étuve, il faut l'aménager. ^ ction-
nement, la garnir de ses acc'^ talla-
tion complète qui mé»"''' nfec-
tion.
Dans les Iles Brit . hui dans
presque toutes les gr ans beaucoup
de petites, des institu poration disinfec-
ting Stations, affectées au oervice public de la commune.
Indépendamment de l'étuve réservée à l'hôpital, on a établi
dans un quartier reculé de la ville un véritable lazaret de
désinfection. Lorsque l'officier sanitaire est informé, par
la déclaration de la famille, du logeur ou du médecin trai-
tant, de l'existence d'une maladie transmissible dans une
maison particulière, il visite les locaux et prescrit des me-
sures d'isolement et d'assainissement, parmi lesquelles la
désinfection du linge, de la literie, des vêtements qui ont
servi au malade, est de rigueur. Dans certains cas, cette
désinfection est faite d'office, mais souvent aussi les inté-
ressés, les parents, envoient tout ce matériel suspect à la
station. La rétribution est minime, parfois gratuite, et le
service est assuré avec la même régularité que, chez nous,
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 477
celui de la voirie, ou plutôt des bains et lavoirs munici-
cipaux. Nous avons sous les yeux les noms de plus de
vingt-cinq communes (Corporations) où cette institution
fonctionne ; à Londres, il existe quatre ou cinq stations de
ce genre. M. le D"" Bâte nous apprend que sur ol paroisses
qui ont un service sanitaire organisé, 44 possèdent des
appareils spéciaux de désinfection pour les vêtements et
la literie.
Comme exemple de cette installation en Angleterre,
nous donnons la description de la station municipale de dé-
sinfection de Nottingham {Public disinfecting station for
ISottinghani borough) dont M. le D'' Ransom a bien voulu
nous adresser le dessin.
La station se compose d'une enceinte de 18 mètres de
longueur sur 7"", 5 de largeur. A gauche et à droite se
trouvent deux cours, avec remises pour les voitures de
transport, et ayant chacune environ 6 mètres de largeur,
sur l"", 5 de profondeur. Au mur de séparation des deux
cours s'appuie un petit pavillon, contenant un fourneau
pour brûler le contenu des paillasses souillées ou les objets
de peu de valeur qui ne valent pas la peine d'être désin-
fectés. Au milieu de l'enceinte s'élève le bâtiment de l'é-
tuve; celle-ci est au centre, elle ouvre à droite et à gauche
sur deux chambres servant de vestiaires et ayant chacune
environ 4°\ 5 de côté. L'ensemble se compose donc de
deux moitiés symétriques, absolument distinctes et indé-
pendantes ; à gauche arrivent le linge et la literie sus-
pects; à droite, ils sortent purifiés. La seule communica-
tion a Heu par l'intérieur de l'étuve, qui est constamment
chauffée. Des fourgons fermés vont chercher le matériel
contaminé chez les particuliers ou dans les établissements
publics (prisons, dépôts de mendicité, asiles de nuit, etc.j ;
les employés exclusivement affectés au service de l'arrivée
entrent par la porte de gauche, déchargent les colis sur les
étagères dans la chambre qui précède l'étuve, et remisent
4~8 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
leurs voitures sous un hangar fermé au fond de la pre-
mière cour. Les objets sont successivement enfournais par
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 479
la porte d'entrée de l'étuve. Au bout de quelques heures,
les employés du service de départ ouvrent de leur côté la
porte de sortie de l'étuve, et disposent les objets dans le
vestiaire ; puis, des voitures remisées dans la deuxième
€our et consacrées exclusivement aux transports vont
restituer ce matériel purifié à leurs propriétaires.
On peut dire que ce système si simple ne laisse rien à
désirer ; il est probable qu'on lave de temps en temps
avec des liquides désinfectants les voitures qui vont cher-
cher et apportent le matériel contaminé.
Il faut insister sur la nécessité de munir toute étuve de
deux portes opposées, l'une servant à enfourner, l'autre à
défourner les objets en traitement. Cette indépendance
absolue du service d'arrivée et du service de départ s'im-
pose, elle doit se traduire par un personnel et un matériel
erttièrement distincts, n'ayant aucune communication et ne
pouvant jamais dans la même journée passer d'un des
deux services à l'autre. La commission de la Société de
médecine publique en 1881 a particulièrement insisté sur
cette séparation des services, et M. Herscher n'a pu faire
mieux que de reproduire presque tous les détails du lazaret
anglais, dans le modèle qu'il a figuré dans son rapport et
que la Société a adopté.
A la suite d'un rapport de MM. Pasteur et Colin au Con-
seil d'hygiène et de salubrité de la Seine (11 juin 1881), le
Préfet de police a prescrit la création à Paris d'un certain
nombre de postes ou lazarets municipaux de désinfection
munis d'étuves chauffées à la vapeur, à régulateur auto-
matique, et élevant la température intérieure entre 100
et 110 degrés sur l'un des modèles que nous avons pré-
cédemment décrits. A l'heure où nous écrivons ces lignes
ce projet est en pleine voie d'exécution, mais aucun
poste n'est encore en fonctionnement, et il nous est impos-
sible d'en donner une description de visu.
Nous devons ici une mention spéciale au lazaret de dé-
480 DÉSINFECTION NOSOGOMIALE.
sinfection que M. le D' Petruchsky (1) a établi à Stettin en
4870-11, pendant l'épidémie de variole qui sévissait sur les
troupes et les prisonniers réunis en grand nombre dans
cette place. La disposition était telle que le corps et les
vêtements de l'homme étaient désinfectés en même temps
et d'une façon complète.
L'appareil de désinfection (/7{/ 15) proprement dit se com-
posait d'une chaudière à vapeur remplie d'eau phéniquée :
la vapeur chargé d'acide phénique pénétrait dans un vaste
cylindre métallique B, où l'on plaçait les habits du soldat : en
une minute, ces vêtements étaient profondement humec-
tés, pénétrés par une chaleur égale au moins à 100°, et
par l'acide phénique ; au bout de 2 minutes, on les reti-
rait de l'un de ces cylindres et on les passait rapidement
dans une étuve sèche (12), chauffée au gaz ; au bout de 3
à 4 minutes la dessication était parfaite. Pendant ce
temps, le soldat après s'être déshabillé dans une cham-
bre voisine de l'entrée, avait passé sous une forte dou-
che ou pluie d'eau chaude alcaline ou phéniquée ; au sor-
tir de la douche, on lui rendait, par une lucarne située
dans la chambre destinée à se rhabiller, les vêtements
laissés 5 minutes auparavant au vestiaire et qu'on avait eu
déjà le temps de désinfecter et de sécher. Après un court
séjour dans une chambre à peine chauffée (8), l'homme
sortait définitivement du lazaret ; 16 hommes et leurs vête-
ments pouvaient ainsi être désinfectés à la fois, et l'opé-
ration ne durait pas plus de 10 minutes pour l'escouade.
Cette installation, improvisée dans des circonstances épi-
démiques spéciales pour toute une garnison, a fonctionné
à la satisfaction générale, et cet exemple mérite d'être re-
tenu et imité.. Le dispositif adopté est excellent et peut
servir de modèle pour les établissements de ce genre .
(1) W. Rolh und Lex, Ilandbiich der militur Gesundheitspflege, T. 1,
p. 544, planche I.
DÉSINFECTION DES^VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 481
Mètres
Fig. 15. Lazaret de désinfection établi à Stetlin en 1871,
par le D"" Petruschky.
1. Poste de garde. — 2. Cabinet du médecin. — 3 et 4. Gardiens. —
o. Salle où les hommes se désliahillent. — 6. Salle de douches chauffée,
avec chaudière et serpentin en cuivre. — 7. Salle où les hommes se rha-
billent. — 8 Salle d'altentô à température fraîche. — 9. Poste et sortie.
— 11). Salle des visites médicales. - 11. Étuves à vapeur figurées
en B. — 12. Étuve sèche pour sécher les vêtements au sortir des chau-
dières à vapeur.
Vallix. — Désinfectants.
31
182 DtÉSINFECTIOJ* NOSOtOMlALET..
? II. ACIDE SULFUREUX.
Nous avons déjà dit que, malgré certaines expériences;
contradictoires de Schotte et Gartner, de Koch et Gustave
Wolffhiigel, la dose de 2.0 grammes de soufre brûlé par
mètre cubenous-paraît, en général, suffisante pour détruire
les miasmes et la plupart des principes suspects ; la dose
de 30 grammes et au delà n'est nécessaire que dans des
cas exceptionnels, quand la virulence est réelle. Nous de-
vons rechercher ici quelle est l'action; de l'acide sulfureux,
produit de la combustion du soufre, sur les tissus et les
parties accessoires des vêtements, les> boutons métalliques,,
garnitures, etc. Nous avons fait surce- point un grand nom-
bre d'expériences dont nous donnerons ici le résumé :
ces expériences étaient faites dans une chambre cubant
50 mètres, bien close et servant habituellement à la désin-
fection du matériel d'un grand hôpital.
Action sur la couleur et la résistance des tissus. —
Des bandes de toile, de coton, de drap d'uniforme (bleu,
gris, rouge), de flanelle, de couvertures de laine, furent
déchirées dans une même pièce ; la moitié de chaque bande
fut soumise aux fumigations sulfureuses. Une moitié de
chaque bande, laissée intacte, fut soumise à des tractions
à l'aide d'un dynamomètre, et l'on inscrivit le nombre de
kilogrammes sous l'effort desquels elle se rompait. L'autre
moitié de la même bande était soumise aux fumigations
sulfureuses, soit à l'état sec, soit après avoir été trempée
dans l'eau ; au bout de 48 heures d'exposition, on mesu-
rait la traction nécessaire pour amener la rupture.
Ces expériences furent faites successivement après avoir
brûlé 50 grammes, 30 grammes, et 15 grammes de sou-
fre par mètre cube. Nous croyons inutile de reproduire ici
pour chaque espèce de tissu et pour chaque dose de soufre
les chiffres que nous avons relevés. Il suffit de dire que
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 483
nous n'avons pas, contrairement à notre attente, relevé la
moindre différence dans la résistance, même après avoir
exposé le tissu à une atmosphère où l'on avait brûlé
50 grammes de soufre par mètre cube. Il n'y eut de même
aucune différence entre les bandes sèches et les bandes
mouillées.
Il n'est pas douteux qu'en employant des doses de sou-
fre beaucoup plus considérables, nous serions arrivé â dé-
truire la solidité des tissus ; mais nous n'avons pas voulu
dépasser les doses usitées dans la pratique de la désinfec-
tion.
Les résultats furent un peu différents en ce qui concerné
la décoloration. Il est inutile de parler ici de l'action de
l'acide sulfureux sur les tissus de soie, de coton et de fil :
quand ces tissus sont teints et surtout mal teints, l'acide
sulfureux en altère la couleur; cela est évident, puisque cet
acide sert journellement dans l'industrie à blanchir, à dé-
colorer les tissus. La soie résiste mieux que le coton, peut-
être parce qu'elle reçoit d'ordinaire des teintures plus
soignées. Quand les étoffes sont humectées d'eau, la dé-
coloration est notablement plus marquée.
Nous avons de préférence multiplié les expériences sur
les tissus de laine, en particulier sur les draps d'uniforme
usités dans l'armée.
Pour les draps d'uniforme, de couleur bleue et grise,
qu'ils aient été secs et mouillés, et même avec la dose de
50 grammes de soufre par mètre cube, il n'est pas possible
de distinguer les bandes exposées au soufre de celles qui
ont été conservées comme échantillons.
Qudnd au drap rouge garance, il n'y a pas de différence
appréciable après exposition pendant 48 heures à la dose
de 15 grammes, à l'état sec ou à l'état mouillé.
Lorsque la dose de soufre a atteint 30 grammes, les
bandes humectées ont déjà une teinte plus crue, un peu
jaune, qui permet de les reconnaître; quand le drap est
resté sec la différence n'est pas appréciable.
484 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
Il en est tout autrement à la dose de 50 grammes : la
bande de drap garance mouillée prend une teinte rouge
jaune fort déplaisante et la confusion n'est pas possible à
première vue : si le drap est resté sec la différence est moins
évidente, mais elle est très nette et l'hésitation est difficile.
L'odeur des objets de laine soufrés n'est persistante
et désagréable que pour les couvertures de laine ; les draps
perdent plus facilement cette odeur.
Action sur les métaux. Les boutons en cuivre des tuni-
ques d'uniforme ont pris une teinte brune des plus pro-
noncées et qui ne disparaissait que par un fourbissage com-
plet.
Pettenkofer, dans des expériences faites en 1817 pour
le gouvernement allemand, a noté que les métaux brillants,
excepté l'argent, n'étaient pas altérés par les fumigations
au soufre. Nous avons obtenu un résultat tout différent.
Des instruments de chirurgie en acier poli (bistouris, ci-
seaux^, ont été laissés dans la chambre à désinfection par
le soufre; ils ont pris une teinte grisâtre ou noirâtre et
un aspect terne rappelant la rouille. Dans la salle de désin-
fection, les supports en fer, les verrous des portes, les clous,
sont couverts de rouille et dans un état de dégradation
manifeste. Cette altération est d'autant plus marquée que
l'air était plus humide; l'oxydation du fer continue et
augmente longtemps après que les opérations de désinfection
sont terminées. Cette action est due évidemment à l'acide
sulfurique qui tend à se former pendant la combustion du
soufre, par l'oxydation de l'acide sulfureux. Les expérien-
ces que nous avons faites avec M. Marty (p. 245) démon-
trent en effet que la quantité d'acide sulfurique engendré
est considérable: c'est là certainement un des inconvé-
nients de la désinfection par le soufre.
Nous avons ^'nulu voir quelle était la diffusibilité, la
force de pénétration des vepeurs sulfureuses, si ces vapeurs
pouvaient atteindre les parties les plus reculées des paquets
DESINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA HTEÎ\IE. ETC. 485
volumineux. Gartner et Schotte avaient tire de leurs ex-
périences cette conclusion que la désinfection est très diffi-
cilement obtenue quand les tissus sont épais, poreux, peu
accessibles à l'air. Nous n'avons pas reproduit les expé-
riences de ces auteurs, qui s'assuraient du résultat de la
désinfection par la faculté que conservaien les tissus
exposés de pouvoir, au sortir de la fumigation, inoculer
les bactéries dont ils avaient été précédemment imprégnés
à des liquides de culture préparés aseptiquement. Nous
avons été arrêté par la difficulté d'une telle étude et par
cette considération qu'il ne faut pas juger trop rigoureuse-
ment des résultats à obtenir, au point de vue de l'hygiène
pratique, par la manière dont se comportent les protorga-
nismes quelconques de la putréfaction dans un bouillon
d'épreuve. Nous avons montré que la dose de soufre de
20 à 30 grammes par mètre cube, en brûlant, détruit
l'inoculabilité des virus morveux et vénérien frais, etc. ;
nous avons alors recherché si les vapeurs sulfureuses pé-
nétraient les parties les plus profondes des objets exposés.
Des carrés de papier bleu de tournesol ont été enfermés
dans des enveloppes gommées et cacheté/^s ; celles-ci ont
été portées au centre de matelas recousus exactement apèrs
l'insertion; d'autres ont été laissées au centre de traversins
et d'oreillers de plumes, les uns suspendus par un angle,
d'autres superposés au nombre de trois; d'autres enfin
ont été placées au milieu de couvertures de laine pliées en
32 plis, reposant à plat sur une table.
Dans la chambre cubant 46 mètres, toutes les issues étant
bien fermées, nous avons fait brûler dans 5 plateaux en
fer au total 2 kilogr. 300 gr. de soufre, soit 50 grammes
par mètre cube. Au bout de 48 heures, la chambre fut
ouverte; tout le soufre était brûlé, il n'en restait aucune
trace.
Le papier de tournesol avait dans tous les cas passé au
rose vif, ce qui prouve que l'acide sulfureux avait pénétré
486 DESINFECTION NOSOCOMIÂLE.
au centre même des matelas et des traversins superposés.
Le même résultat fut obtenu dans plusieurs expériences
semblables.
Il fut également obtenu en ne brûlant que 15 grammes de
soufre par mètre cube, et cependant, dans un de ces der-
niers cas, le papier bleu de tournesol avait été placé dans
une enveloppe de lettre bien cachetée ; celle-ci avait été
fortement roulée et serrée dans une pièce d ouate, puis
enveloppée dans un grand carré de drap bleu d'uniforme
roulé et serré fortement avec une corde ; ce paquet avait
été porté au centre d'un traversin ; et celui-ci, après avoir
été recousu, avait été placé sur une table et recouvert
d'un oreiller rempli de plumes. Malgré tous ces obstacles
à la pénétration du gaz, ce papier fut trouvé d'un rose vif.
Les vapeurs d'acide sulfureux sont donc très diffusibles,
très pénétrantes et l'on peut à la rigueur purifier des matelas
et des traversins sans être obligé de les défaire, ce qui est
un avantage précieux au point de vue de la rapidité et de
l'économie.
Nous devons toutefois reconnaître que ces expériences
ont été tout récemment reprises par leD''G. Wolffhiigel (1),
et qu'elles ont donné des résultats beaucoup moins satis-
faisants.
L'auteur opérait sur des balles de chanvre et de lin qui
avaient été comprimées à la presse hydraulique, puis desser-
rées ; quand on se contentait de faire brûler 15 grammes de
soufre par mètre cube d'espace, au bout de 6 heures l'acide
n'avait pas pénétré les parties profondes, ce qui peut à la
rigueur se comprendre. En opérant sur des paquets de vê-
tements en drap, de flanelle, d'ouate, de 30 à 60 centimè-
tres de diamètre, l'action destructive pénétrait difficilement
(1) Wolffhiigel, Ueber deii Werth der schivefligen Sauve als Desinfec^
tionsmiltei [Mittheilungen aus dem Kaiserlicheii Gesundheitsamte; Berlin,
1881, T. 1, p. 22-i, et Revue d'hygiène et de police sanitaire, mars 1882,
p. 239).
DÉSINFECTION DES TÉTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 487
au centre des paquets; même au bout de 6 heures, les spo-
res placées en ces points pouvaient après l'opération ense-
mencer des liquides de culture. Nous rappelons quel'auteur
expérimentait surtout sur les spores de la terre de jardin, le
bacillus subtilis du foin, etc.^ c'est-à-dire sur les éléments
dont la résistance aux agents de destruction est extrême,
qui ne sont pas tués par l'ébullition prolongée pendant
plusieurs heures, et qui ont fait très longtemps le déses-
poir de Tyndall, de Pasteur, de Panum, et de tous ceux
qui ont étudié expérimentalement la génération dite spor
tanée. Ces spores de la terre de jardin, du bacillus sublUis,
résistent à ce point, que Wolffliiigel ne réussissait pas à les
stériliser, même après une exposition de 93 heures dans
une atmosphère contenant jusqu'à 10 pour 100 d'acide
sulfureux (en volume), c'est à dire dans le produit de la
combustion de plus de 140 grammes de soufre par mètre
cube d'espace! On pourrait dire de la même façon que l'é-
bullition prolongée dans l'eau est incapable de désinfecter
des vêtements souillés, parce que les spores charbonneuses
ont pu résister à cette ébullition; faut-il pour cela nier l'ac-
tion désinfectante de l'eau bouillante?
Nous ne craignons pas de dire que malgré ces excep-
tions et des inconvénients (rouille des objets en fer, colo-
ration noire du cuivre et de l'argent, altération faible des
tissus teints, de coton, de fd et même desoie; décoloration
des draps d'uniformes par les doses très élevées), malgré
ces inconvénients, l'acide sulfureux est un désinfectant
puissant et d'un emplo-i facile ; il donne moins de sécurité
que la chaleur et que la vapeur portées à plus de 100 de-
grés ; il est bien des circonstances oîi il ne peut remplacer
cette dernière, et réciproquement; mais il vient au second
rang, immédiatement après elle, et l'hygiéniste serait
désarmé s'il rejetait ce précieux agent sous le prétexte qu'il
n'est pas infaillible.
488 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
g III. — CHLORE, CHLORURES, ETC.
Nous ajouterons peu de chose à ce que nous avons déjà
dit du chlore. Ce gaz altère profondément les étoffes aux
doses que l'expérimentation a montrées capables de neu-
traliser les virus. Nous rappelons le résultat auquel est ar-
rivé le D' 0. Doremus, à New- York ; la désinfection avait
été si bien faite, et le dégagement de chlore avait été si
abondant, que les draps abandonnés sur les lits tombaient
en écailles au moindre attouchement! On est donc placé
entre ces deux alternatives : ne pas détruire les principes
infectants, ou détruire les tissus.
M. le professeur Regnault (1), rapporteur de la sous-
commission de désinfection à l'Assistance publique en
1866, a montré que l'hypochlorite de chaux est préférable
au mélange de bioxyde de manganèse et d'acide chlorhy-
drique pour exécuter dans les hôpitaux des fumigations
chlorées, rapides et énergiques. Voici la formule qui aurait
le mieux réussi pour la désinfection des matelas et au-
tres objets de hteris, en cas d'épidémies puerpérales ou
cholériques ; mais oii était le contrôle ?
FUMIGATION CHLORÉE POUR DÉSINFECTION.
Chlorure de chaux sec 500 grammes.
Acide chlorhydnque, 1,000 —
Eau 3,000 —
Mélangez l'eau et l'acide dans une terrine en grès, d'une capacité de
8 à 10 litres, et, au moment de sortir de la salle, projetez dans ce mé-
lange le chlorure de chaux préalablement renfermé dans un sachet de
toile dont l'ouyerlure est soigneusement liée. Ces quantités de matières
fournissent environ 45 litres de chlore.
Cetle formule a été adoptée par le Formulaire des
hôpitaux de Paris. Dix terrines semblables suffisent pour
désinfecter 20 à 25 matelas contaminés ou suspects. La
(l) Regnault, Traité de pharmacie, 8" édition, 1875, t. II, p. 497.
DÉSINFECTION DES VÉTEMENNS, DE LA LITERIE, ETC. 489
pièce exactement close ne doit être ouverte qu'au bout de
48 heures.
En 1871, Payen indiquait dans une séance de l'Aca-
démie des sciences les moyens suivants, adoptés d'après
lui par le service de l'Assistance publique, pour l'as-
sainissement du mobilier et des objets de literie. Les ma-
telas, avant d'être cardés, sont soumis aux fumigations
d'acide hypoazotique (on ne dit pas si les vapeurs altèrent
ou non le crin et la laine) ; tous les objets en laine et le
linge peuvent sans inconvénients être immergés, durant
plusieurs heures, dans des cuves contenant une partie de
chlorure de soude marquant 200° chlorométriques, et trois
parties d'eau. Les lits de fer peints à l'huile, les buffets,
tables de nuit, sont soumis d'abord à la fumigation, puis
lavés avec la solution de chlorure de chaux.
La notice n° 8 annexée à l'article 324 du règlement
provisoire sur le service de santé dans les hôpitaux mili-
taires français, contient les prescriptions suivantes en ce
qui concerne l'emploi du chlorure de chaux, comme agent
de désinfection des objets de fil et de coton.
« Quant, aux toiles des paillasses et des matelas, elles doivent, comme
tous les objets en toile, être désinfectées, lavées et blanchies au moyen
d'une solution de chlorure de chaux (150 litres d'eau pour 1 kilogramme
de chlorure).
« Les objets en toile sont mis à Iremper, pièce à pièce, dans cette so-
lution; après un quart d'heure d'immersion, on les foule et on les passe
une seconde fois dans une nouvelle solution faite au même titre que la
première. On les rince ensuite à l'eau claire. A défaut do chlorure de
chaux, les effets en toile, linge de corps ou objets de literie, doivent être
lavés à grande eau, puis lessivés et blanchis. »
La quantité de chlorure de chaux indiquée dans cette
notice, émanée sans doute du Conseil de santé de l'armée,
de longues années avant les travaux de Baxter, contient
précisément la proportion de chlore reconnue par cet au-
teur être nécessaire pour détruire la virulence du vaccin,
c'est-à-dire un demi-litre de gaz chlore par litre d'eau.
En effet, 1 kilogramme de chlorure de chaux, marquant
490 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
au moins 80° chlorométriques, représente 80 litres de
chlore gazeux, ce qui, pour 150 litres d'eau, donne un
demi-litre par litre.
Nous avons fait quelques expériences pour savoir dans
quelle mesure cette dilution pouvait altérer la solidité ou
la couleur des tissus. Nous avons laissé des étoffes de coton,
de soie, de laine plonger pendant un temps variable dans
la solution indiquée, et nous avons obtenu le résultat sui-
vant.
Solution contenant 15 grammes de chlorure de chaux
sec par litre d'eau :
1° Immersion pendant une heure, suivie d'un lavage à
grande eau;
Drap gris bleuté d'imifornie. — La teinte bleuâtre a
notablement pâli.
Drap bleu de roi. — La teinte paraît un peu moins
foncée.
Drap garance d'uniforme. — Il a pris une teinte plus
foncée, un peu vineuse, la différence est grossièrement
appréciable ;
2° Immersion pendant 15 minutes, suivie d'un lavage
à grande eau. — Les draps ont subi les mêmes altérations
que ci-dessus, et l'œil ne peut faire de différence entre ceux
qui ont été immergés un quart d'heure et ceux qui ont été
immergés une heure. Un écheveau de laine à tricoter, de
couleur rouge foncé, de belle qualité, a pris une teinte
beaucoup plus claire, un peu jaunâtre, après quinze mi-
nutes seulement d'immersion. La comparaison a été faite
avec des morceaux des mêmes bandes de drap, plongés
pendant une heure dans de l'eau pure, puis séchés. La
résistance de ces tissus ne paraît nullement diminuée,
même après une heure de séjour dans la solution chloru-
rée : la couleur seule est atteinte.
La soie, les tissus teints de coton, de toile, subissent
des altérations de couleur très variables suivant la qualité
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 491
et la nuance des étoffes. En général, les étoffes de coton
et de toile sont fortement décolorées, même au bout d'un
quart d'heure; la soie résiste davantage, et plusieurs
échantillons étaient presque intacts au bout d'une heure
d'immersion. Le résultat dépend évidemment de la qua-
lité de la teinture. La solidit j des bandes de calicot et de
toile ne paraît pas compromise, au bout d'une heure, à
cette dose.
La désinfection par l'immersion dans des liquides, ad-
missible pour le lainage blanc et le linge de corps, est donc
une opération compromettante pour les vêtements propre-
mentsdits ; les fumigations gazeuses, et surtout l'exposition
;à la chaleur sont de beaucoup préférables-
Le règlement sanitaire de l'armée allemande du 29 avril
1869, dit que pour désinfecter le linge de corps et de lit
souillé par les malades atteints de maladies contagieuses,
on doit employer l'un des agents désinfectants ci-dessous,
aux doses suivantes : acide phénique et sulfate de zinc, à
i sur 120 ; chlorure de zinc, à 1 sur 240 ; l'immersion doit
durer de 12 à 36 heures. Ce dernier sel nous paraît, ici
comme ailleurs, bien supérieur aux deux autres.
Tandis que Smith employait les acides en fumigations,
John Dougall (1) les emploie sous forme de solutions
aqueuses assez concentrées, et il a consacré un long tra-
vail à démontrer la supériorité des désinfectants acides.
« L'acide chlorhydrique, à la dose de 1 partie d'acide
« concentré pour 20 parties d'eau, est principalement em-
« ployé pour désinfe'cter les selles typhoïdes, les literies
« et le linge des personnes atteintes de maladies infec-
« tieuses. »
Pour les selles, il fait verser par avance au fond du
bassin une tasse de ce mélange à o 0/0. 11 fait asperger avec
cette solution les vêtements et les conserve humides pen-
(1) John Dougall, de Glascow, Duinfetioii by acid {British midicai
Journal, la nov. 1879, p. 771).
492 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
dant 4 heures, ou simplement il les trempe dans la solu-
tion pendant 1 heure ; les tissus de laine résistent beau-
coup mieux à l'action de l'acide que les tissus de coton
ou de toile. On lave ensuite à l'eau froide et l'on fait
bouillir pendant 1 heure dans l'eau pure.
Nous avions peine à comprendre comment une solution
d'acide chlorhydrique à 5 0/0 pouvait ne pas altérer pro-
fondément les tissus, surtout les tissus de laine. Nous
avons répété les expériences de Dougall : les morceaux
de drap de troupe, de couleur garance, qui avaient été
plongés pendant 1 heure dans le liquide et qui avaient
ensuite été lavés à grande eau, avaient pris en séchant une
nuance jaunâtre des plus désagréables; leur résistance dy-
namométrique n'était cependant pas diminuée.
Dans la solution à 1 0/0, après immersion pendant une
heure, le résultat était aussi mauvais ; la nuance garance
était devenue légèrement jaunâtre et la différence n'était
douteuse pour personne quand les deux morceaux d'une
même bande étaient placés à côté l'un de l'autre.
Dougall dit cependant que les tissus de laine résistent
beaucoup mieux que les autres, c'est ce qui nous a décidé
à ne pas poursuivre davantage nos expériences.
Le National Board of Health de Washington (1) et le
Conseil sanitaire de Californie recommande d'immerger les
serviettes, les mouchoirs, draps, couvertures, etc., ayant
servi à un varioleux, dans 4 litres et demie d'eau bouil-
lante contenant 250 grammes de sulfate de zinc, ou 15 gram-
mes de chlorure de zinc, ou un mélange de 120 grammes
de sulfate de zinc et de 60 grammes de sel commun. L'ins-
truction ajoute que le cadavre du varioleux sera lavé avec
une solution de force double, puis enveloppé dans un drap
trempé dans le même liquide.
(1) Small-pox régulation in California {National Board of Health
(Washington), 24 (Jéce.nbre 1881, p. 219 el 23 février 1882, p. 319).
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, LTC. 493
g IV. — PRATIQUE DES OPÉRATIONS DE DÉSINFECTION.
Sous le bénéfice des indications qui précèdent, nous
allons passer rapidement en revue de quelle façon il con-
vient d'intervenir dans chaque cas particulier.
VÉTEMEMS. Tout iudividu qui entre à l'hôpital doit im-
médiatement déposer ses vêtements au vestiaire; ceux-ci,
avant d'être rangés et étiquetés, doivent être désinfectés,
pour détruire les parasites (poux, punaises, acarus de la
gale, etc.), les virus (fièvres éruptives, etc.), ou les mias-
mes qu'il peuvent retenir dans leurs plis. Avec une étuve
bien installée, un séjour pendant 1 heure, à une tempéra-
ture de 4- 110° C, donnerait toute sécurité, A défaut d'é-
tuve, ces vêtements doivent être passés au soufre (10 à 30
grammes par mètre cube d'espace) et séjourner dans le
local à fumigations pendant 24 heures. Dans les prisons,
les asiles, les dépôts, etc., la même mesure est indispensa-
ble ; un appareil à désinfection devrait toujours exister
entre la porte d'entrée et le vestiaire.
Lorsque ces vêtements sont souillés par des déjections
ou sont dans un état extrême de malpropreté, le passage à
la chambre de désinfection par le soufre ou la chaleur est
insuffisant; le lavage est indispensable. On a peine à
comprendre que dans certains établissements que nous
avons visités (1), on fasse un paquet des vêtements apportés
par l'arrivant, « quel que soit l'état de sordidité dans lequel
ils se trouvent », et qu'après un court séjour dans le local
de désinfection, on les emmagasine dans un vestiaire où il
resteront pendant plus d'une année. Un pareil état de cho-
ses est intolérable et, quelle que soit la valeur d'un désin-
fectant, il ne peut remplacer le lavage, le plus élémentaire
comme le plus indispensable des moyens de purification,
(1) E. Vallin, Des appareils à d'sinfeciim, (Revue d'hygiène et de po-
lice sanitaire, octobre 18"9, p. 816).
494 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
En Angleterre, quand les vêtements apportés à l'hôpitaE
par un malade sont trop sordides, on les détruit par le feu
et on indemnise le porteur ou sa famille à l'aide dune pe-
tite somme. Depuis que les étuves à désinfection se sont
multipliées, on a trouvé avantage et économie à rempla-
cer l'action destructive du feu par l'action épuratrice de la
chaleur limitée à -{• 120° C. Nous avons dit (p. 475) qu'à
Marseille on a dû renoncer également à cette destruction par
le feu ; les familles n'apportaient que les vêtements sans
valeur et conservaient ceux qui étaient en bon état, bienque-
souillés par le principe contagieux ; on a recours main-
tenant à la désinfection obligatoire paruneétuve portative.
L'on vient de voir que les désinfectants chimiques, aux;
doses préconisées, altèrent facilement la couleur des tissus-
ou des étoffes teintes, mais compromettent plus difficile-
ment leur résistance et leur solidité. Les étoffes de coton,
de fil, de soie même, déteignent assez rapidement par les
fumigations d'acide sulfureux et surtout par l'immersion
dans l'eau chlorurée ; les draps de couleur sont eux-mê-
mes atteints dans leur nuance quand la dose est trop forte..
Au contraire, le linge de corps, ou le lainage blanc (cou-
vertures, gilets de flanelle, etc), supportent sans aucun
inconvénient le contact de ces agents chimiques. Pour les
tissus teints, surtout ceux de fil et de coton, la chaleur
nous paraît le seul moyen de désinfection qui ne soit pas
compromettant. Les draps et laines de couleur supportent
impunément l'action des vapeurs produites par la combus-
tion de 15 à 30 grammes de soufre par mètre cube. Cette dose
ne doit pas dépasser 10 grammes, si l'on veut ne pas
compromettre l'intégrité des robes de femmes, blouses
d'hommes, pantalons en toile de couleur, etc.
Dans les maisons particulières, lorsqu'il survient un
cas de maladie transroissible (variole, diphthérie), il faut
désinfecter les vêtements portés par le malade ; un enfant ne
peut retourner à l'école avec les vêtements qu'il portait
DÉSINFECTION DES VÊTEMENTS, DE LA LITERIE, ETC. 493
quelques jours avant. En attendant qu'il existe dans chaque
quartier ou chaque ville un lazaret de désinfection, des
étuves publiques gratuites ou non, ou des étuves portati-
ves qu'on fera venir chez soi, devant sa porte, comme
on y fait venir un bain chaud, on peut improviser les res-
sources suivantes :
Dans un réduit, un placard profond ou une armoire, on
suspend les vêtements suspects ; dans un coin éloigné et
avec les précautions nécessaires pour éviter un incendie,
on place un réchaud allumé qui chauffe à -f- 100° l'espace
clos, ou bien on y allume du soufre. Le moyen est, en som-
me, d'une application assez facile; un thermomètre traver-
sant la porte ou suspendu en dedans montre si l'on a
atteint la température nécessaire.
A la rigueur on peut employer la chaleur d'un four de
cuisine ou de boulanger, dont la chaleur est tombée à quel-
ques degrés au-dessus de-{- 100°. En temps d'épidémie, à la
campagne, le four banal, quelques heures après la cuisson
du pain, pourrait rendre de grands services pour désinfec-
ter la hterie ou les habits. Il faudrait vaincre une répu-
gnance assez naturelle, quoique les dangers de souillure
du four ne soient réellement pas admissibles.
LlXGE SALE ET LIXGE A PANSEMENTS. Le linge Salc Ct IcS
linges à pansement salis ne doivent jamais séjourner dans
les salles, dans les chambres des malades ni dans leur
voisinage immédiat. Dans beaucoup d'hôpitaux d'appa-
rence magnifique, en entrant dans des salles luxueuses,
l'odorat est révolté par l'odeur qui se dégage des cabinets
oi^i l'on entasse le linge sale ou les pièces qui ont servi aux
pansements. Dans l'antichambre de chaque service devrait
s'ouvrir et se fermer hermétiquement l'orifice d'une tré-
mie, d'un conduit incliné en planches ou ménagé dans la
muraille, par lequel le linge sale descendrait directement
vers l'étuve ou le local de désinfection.
496 DÉSliNFECTIOIV NOSOCOMIALE.
En l'absence d'appareils de toute sorte, en temps d'épi-
démie ou pour certaines maladies contagieuses, on peut
procéder comme il suit :
A la porte de la salle, on place un réservoir (baquet ou
tonneau), rempli d'une des solutions désinfectantes ci-
dessous : chlorure de chaux 1 kilogr. pour 300 litres
d'eau; — chlorure de zinc, acide phénique ou sulfate de
zinc, 2 à 10 grammes par litre; — acétate d'alumine,
2 grammes par litre. On y plonge, au moment même où
on les éloigne du malade, les draps, le linge de corps,
etc., qu'il vient de souiller. Après une immersion d'une
ou de plusieurs heures, on retire de l'eau ces objets, on les
exprime rapidement, et on les porte à la buanderie. Nous
avons utilisé avec profit un pareil système, à l'ambulance
des varioleux installée au théâtre du Mans, en janvier 1871,
de telle sorte que le linge souillé par les varioleux n'était
plus exposé à contagionner le linge des habitants de la
ville dans les bateaux à laver où il était porté.
Un bassin spécial doit être affecté au linge à pansements
sali; le titre de la solution désinfectante peut alors être dou-
blé. D'ailleurs, le linge à pansement qui n'a pas encore servi
doit être l'objet d'une désinfection particulière. Avant d'être
introduit chaque jour dans les salles, les compresses, les
bandes, la charpie, — puisqu'on la conserve encore, —
devraient avoir été portées pendant 1 heure dans l'étuve
à désinfection qui nous semble l'accessoire indispensable
d'un hôpital; c'est le complément, ou plutôt l'élément de tout
pansement antiseptique. La ouate, dont l'emploi se gé-
néralise, ne devrait jamais séjourner dans les salles: les pa-
quets, cachetés encore et ficelés, devraient passer par l'é-
tuve avant de servir à un pansement. Un jour viendra où
cette pratique paraîtra aussi simple et aussi naturelle que
celle qui consiste à chauffer le linge qu'on apporte à un
baigneur; l'une n'est pas plus difficile que l'autre.
DÉSI>TECTIO.\ DE LA LITERIE. 497
Matelas, literie. Trop souvent, après une maladie ou un
décès, on se contente de faire carder les matelas, opération
qui doit être considérée comme nulle au point de vue
de la désinfection proprement dite, de la destruction
des germes. Il faut bien l'avouer, c'est à peu près la seule
qui se fasse dans nos hôpitaux, et l'on citerait difficile-
ment un établissement qui possède une installation où l'é-
puration se fasse par la vapeur, ou par des fumigations
véritablement efficaces. Ce statu quoest intolérable, et cette
réforme est une des premières qui s'imposent à ceux qui
voudraient transformer notre hygiène nosocomiale.
Lorsque le cardage se fait dans des appareils mécaniques
bien fermés, munis de ventilateurs et de [uyaux d'aspira-
tion pour les poussières, il ne cause que peu de danger;
les débris de laine, conduits par les cheminées d'appel,
sont retenus dans une sorte de chambre fihrante qu'on
débarasse toutes les semaines des poussières ténues, irri-
tantes et infectes qui en tapissent les parois. Il serait
désirable de détruire ces poussières dans les tuyaux d'éva-
cuation eux-mêmes; si l'on pouvait en obtenir la destruc-
tion par le feu sans dégagement d'odeurs insupportables,
ce procédé donnerait à ce point de vue une sécurité com-
plète.
On peut se demander, en effet, ce que deviennent les
poussières ainsi jetées dans l'atmosphère ; elles contiennent
parfois des germes morbides qui peuvent se développer et
engendrer des maladies, des inoculations peut-être, quand
elles tombent sur un terrain favorable. Comment s'étonner
après cela que certaines maladies contagieuses se dévelop-
pent sans qu'on puisse remonter à la source, et que faut-
il penser de l'opinion, aujourd'hui bien surannée, de la
génération spontanée de cet ordre de maladies ?
Dans une discussion récente à la Société de médecine
publique, M. Du Mesnil citait le cas suivant : les locataires
d'une maison très peuplée se plaignaient de l'odeur fétide
VaLLIN. — DÉsl>FECTAMi. 32
498 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
qui se dégageait d'un atelier d'épuration de matelas et
objets de literie. Le locataire du rez-de-chaussée dans
la cour, dont le logement était en face du local où l'on
épurait les matelas, fut bientôt atteint de variole ; la
femme fut atteinte à son tour; le mari mourut; trois
ouvrières travaillant dans cette maison furent égale-
ment atteintes de la variole (1). Le fait n'est-il pas con-
cluant?
Au Congrès international d'hygiène, à Turin, en 1880,
M. le D"- Drouineau (2) a signalé le danger que fait courir
à la voie publique l'industrie des matelassiers ambulants
qui viennent encore parfois carder les matelas en plein
air, dans les cours étroites au centre de nos maisons.
M. Drouineau va jusqu'à demander que tout matelas qui
circule sur la voie publique soit muni d'une étiquette
comparable à la patente nette ou brute que doit présenter
chaque navire. C'est aller un peu loin. Il nous a semblé
suffisant de concentrer cette industrie gênante et malsaine
dans des usines soumises à l'autorisation, par conséquent
surveillées, et munies de tous les appareils nécessaires
pour détruire les poussières suspectes.
Même dans une grande ville comme Paris, il n'existe qu'un
nombre très restreint d'établissements où l'épuration de la
literie se fasse d'une façon sérieuse et efficace : nous avons
visité les plus importants de ces établissements, et nous y
avons fait quelques observations qui peuvent avoir de l'in-
térêt.
Mais, auparavant, nous croyons devoir rappeler quelques
faits empruntés à un important travail de M. Lefranc(3),
pharmacien principal de l'armée.
(J) Bertillon, Un mode de propagation de la variole et de la diphthérie ;
Discussioa par M.VI. Vidal, Léou Colin, Vallio, Du Mesnil. {Revue d'hygiène
et de police sanitaire, 13 juin 1880, p. 470).
(3) Drouineau, De la désinfection des objets de literie (Revue d'hygiène
et de police sanitaire, 15 novembre 1880, p. 965; Discussion, loc. cit,
p. 904).
( b\Lefranc, Des laites de couchage au point de vue hygiénique [Recueil
DÉSINFECTION DE LA LITERIE. 499
Afin de conserver aux laines destinées aux matelas
leur force, leur souplesse et leur élasticité, on n'en pratique
le désuintage que d'une façon très incomplète, à l'eau
froide non alcaline. Le suint, qui est le produit de la trans-
piration du mouton, est un mélange de sels minéraux et
d'une grande quantité de composés organiques. Dans les
laines en suint non lavées, le suint représente près de 50
pour 100 du poids total. La suintine et les suintâtes secs
ne descendent jamais au-dessous de 15 pour 100, de sorte
que dans une salle de 30 lits, chaque matelas pesant 10 ki-
logrammes, il peut exister de 35 à 50 kilogrammes de ma-
tière éminemment putrescible, en contact direct avec les
malades. Sous l'influence de l'humidité et de réchauffement
par les malades couchés, par l'action combinée des ma-
tières contaminantes de toutes sortes (germes, miasmes,
déjections fécales et pathologiques, débris et excréments
de la teigne fripière et des mites), cette fermentation pu-
tride est très active, surtout pendant l'été, dans les ma-
telas en service et contribue pour une forte part à la mau-
vaise odeur qui règne dans les habitations collectives. En
expérimentant sur plusieurs milliers de kilogrammes de
laine en service dans les hôpitaux, M. Lefranc s'est assuré
que les débris et excréments des animaux parasites, que
les poussières de la laine rongée par les vers, véritable
guano, atteignent souvent 1 pour 100 du poids des laines,
soit 100 grammes pour un matelas de 10 kilogrammes.
Nous possédons un large flacon de ce guano d'un genre
particulier, ainsi que 200 grammes d'acide urique extrait
par notre collègue de l'urate de chaux provenant des excré-
ments de la larve de cette teigne de la laine. M. Lefranc a
pu fabriquer plusieurs kilogrammes d'acide urique avec le
guano résultant du cardage des matelas dans un grand
hôpital.
des mémoires de médecine militaire, octobre 1879, p. 510, et Revue
d'hygiène et de police sanitaire, 15 janvier 1880, p. 73).
500 • DÉSINFECTION NOSOCOftlIALE.
On comprend que cette matière organique en décompo-
sition putride puisse devenir un milieu de culture favorable
pour le développement de protorganisnles morbifiques. Il
est donc indispensable d'épurer fréquemment la laine des
matelas, non seulem.ent pour détruire les larves qui y font
presque constamment des dégâts, mais encore et surtout au
point de vue de l'hygiène. La difficulté ici est sérieuse : c'est le
suint qui donne l'élasticité de la laine; or, l'élasticité est
une des qualités que le commerce recherche le plus pour
les matelas. Quand la laine est trop bien nettoyée, privée
de suint, elle se tasse, les matelas s'affaissent , et for-
ment une couche à la fois trop mince et trop dure.
Les matières persistantes du suint se dissolvent dans
l'eau à -|- 100°; une laine qu'on a fait bouillir pendant une
heure charge l'eau d'une matière extrêmement fétide,
riche en produits sulfurés; après ce traitement, la laine
ressemble à du coton ou à de la charpie, elle se feutre faci-
lement, elle a perdu sans retour son élasticité.
Aussi la désinfection, V épuration des matelas, exige-t-
elle certaines précautions, qu'en l'absence de toute notion
scientifique l'expérience a apprises aux industriels.
L'opération se fait de la façon suivante : la laine à épu-
rer est immédiatement placée dans des cuves en tôle, d'un
mètre de haut sur un mètre de diamètre environ, qu'on
ferme avec un couvercle pendant l'opération. Vers les
deux tiers de cette profondeur, se trouve un fond mobile,
en tôle percée d'un très grand nombre de petits trous.
Dans ce tiers inférieur est enroulée, en forme de serpen-
tin, l'extrémité d'un tuyau qui communique avec une chau-
dière à vapeur placée au centre de l'établissement, parfois
à une grande distance de certaines cuves. Le serpentin
est également percé, à son anneau supérieur, d'un grand
nombre de trous par lesquels la vapeur s'échappe dans le
compartiment inférieur, et de là, par le fond mobile percé
de trous, à travers la laine amassée sur ce dernier. La va-
DÉSINFECTION DK LA LITERIE. 50i:
peur mouille la laine, se condense, et retombe à travers les
trous de la plaque mobile dans le réservoir d'où émerge le
serpentin. Cette exposition à la vapeur dure de une demi-
heure à deux heures, suivant les besoins, le degré de
souillure supposé de la laine. Après cela on retire la laine
qui est très humectée, on la porte avec précaution, et
sans la tasser, dans un séchoir à l'air libre, sur des claies
où on l'abandonne à l'évaporation pendant sept à huit
jours. Dans les ateliers que nous avons visités, on nous a
dit que si l'on voulait brasser la laine ainsi mouillée, par
exemple dans un cylindre fermé à parois chauffées par la
vapeur, comme on le fait pour l'épuration des plumes, la
laine se feutrerait et ne pourrait plus être cardée.
Les notions que nous rappelions tout à l'heure donnent
facilement l'explication du phénomène que l'expérience a
fait connaître à l'industrie. Après l'exposition à la vapeur,
le suint est à l'état liquide, sous forme d'un enduit goni-
meux, d'un vernis qui humecte chaque poil; si en cet état
on brasse la laine, si on la comprime, il y a une sorte
d'agglutination des poils ; ceux-ci après la dessiccation du
vernis, ne peuvent plus se séparer, et la laine ne se laisse pas
carder. Au contraire, en portant la laine sur des claies au
sortir des bassins, le suint à demi -liquide se dessèche sur
chaque poil et lui restitue son élasticité primitive. On com-
prend quel inconvénient il y aurait à entasser, à presser
en ballots comprimés des laines encore humides qui au-
raient été ainsi désinfectées dans un lazaret. Ce passage à la
vapeur est toujours suivi d'un cardage ultérieur, et l'on peut
dire que cette épuration est sérieuse, efficace; sans doute,
la température de la laine n'atteint guère que 100°, mais
c'est une température humide; l'on pourrait presque dire
que la laine a traversé de l'eau bouillante; or, la presque
totalité des germes morbides sont détruits par l'ébullition.
Il résulte de ce qui précède que la vapeur doit être em-
ployée avec une certaine prudence dans la désinfection
S02 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
des laines et crins de literie ; l'étuve à air chaud et sec
est d'ailleurs, en pareil cas, un moyen dont l'efficacité est
réelle. La température sèche de -f- 120° n'altère en rien
la solidité de la laine, pourvu qu'on ne soumette pas
celle-ci au cardage au moment même où elle sort de
l'étuve; il faut lui laisser reprendre, par une exposition
à l'air libre, pendant 24 ou 48 heures, l'eau hygromé-
trique que la chaleur avait soustraite ; elle perd bientôt
une friabilité qui n'était que la conséquence d'une extrême
dessiccation.
Lorsque les literies ont été profondément souillées par
du sang, du pus, de l'urine, des matières fécales, les li-
quides d'un accouchement, ou quand un cadavre y a long-
temps séjourné, on a recours à un lavage préalable. Dans
les établissements spéciaux, ce lavage se fait avec une
lessive alcaline à une température qui ne dépasse pas
-f-60°G.; la laine est ensuite séchée et portée dans la cuve
à vapeur ou dans l'étuve.
En général, il est très désirable que les matelas soient
ouverts, que la laine soit retirée de son enveloppe et sou-
mise directement à l'action de la vapeur ou de l'air chaud;
la désinfection ne donne une sécurité complète qu'à ce
prix, car on est sûr que la chaleur a pénétré également
partout. Mais cette opération est longue, coûteuse; il n'est
pas nécessaire, il est à peine possible de la faire aussi
souvent qu'il conviendrait de soumettre la literie à la
désinfection. Nous croyons donc qu'on pourrait se con-
tenter du moyen terme suivant. Dans les hôpitaux, sou-
mettre à la désinfection avant de le porter dans les ma-
gasins, tout matelas qui vient de servir à un malade sorti
guéri pour une affection banale : dans ce cas, le matelas
peut être soumis en entier, sans être défait, pourvu qu'il
ne soit ni mouillé ni humide, à l'étuve ou à l'appareil ap-
proprié. Au contraire, toutes les fois qu'un matelas a servi
à un malade qui a succombé ou qui était atteint, eùt-jj
^
DÉSINFECTION DE LA LITERIE. 503*^
guéri, d'une affection transmissible ou suspecte, ce ma-
telas et cette literie devraient être complètement défaits ;
le contenu serait exposé directement à la désinfection par
la vapeur ou par l'étuve sèche, puis cardé ; les enveloppes
seraient lessivées à l'eau bouillante. Le crin et la plume
ont beaucoup moins à craindre l'action de l'eau chaude
et de la vapeur ; leur désinfection se fait à peu près comme
celle de la laine.
Jusqu'ici nous avons préconisé spécialement la vapeur
ou l'air chaud. Quand les appareils ad hoc sont installés,
c'est le procédé le plus sûr, le plus expéditif et le moins
coûteux. Il en est d'autres qui sont une ressource précieuse,
ce sont les fumigations d'orpiment et d'acide sulfureux.
La compagnie des lits militaires emploie, paraît-il, l'asso-
ciation de ces deux agents chimiques, et M. Lefranc qui
en a fait usage, dit en avoir retiré un très bon effet.
Il conseille de disposer la laine en couche assez épaisse
sur des toiles de tente ou des bâches superposées et ten-
dues d'une extrémité à l'autre de la chambre; un espace
de 250 mètres cubes est nécessaire pour fumiger 10 quin-
taux métriques de laine, correspondant à 100 matelas.
Au-dessous, on allume un mélange composé de 3 kilo-
grammes de soufre et 1 kilogramme d'orpiment (sulfure
jaune d'arsenic) ; cette poudre doit être répartie en un
grand nombre de foyers ; elle assure un dégagement
de près de 2,000 litres d'acide sulfureux et de 60 litres
de vapeurs arsenicales.
Cette fumigation, d'après M. Lefranc, devrait toujours
être suivie, et non précédée, d'un lavage par lixiviation à
l'eau froide légèrement alcaline ou phéniquée, soit 1 kilo-
gramme d'acide phénique cristallisé et 40 kilogrammes de
carbonate de soude dans 40 mètres cubes d'eau pour
10 quintaux de laine, sans doute pour neutraliser l'acide
sulfuriqae formé. Le premier lavage, en raison du désuin-
tage qui se complète, entraîne un déchet de 5 0/0 ; le
déchet serait moindre après les opérations ultérieures.
SOI DÉSINFECTION NOSOCOMIàLE:
L'adjonction de l'orpiment nous paraît surtout avoir en
vue la destruction plus radicale des parasites qui mangent
la laine, et de leurs œris. C'est un poison très violent qui
peut rendre l'opération de la désinfection dangereuse, non
seulement pour les hommes qui en sont chargés, mais pour
le voisinage. Il ne faudrait donc y recourir que dans le
cas où la souillure de la literie serait exceptionnelle, après
une épidémie, par exemple, ou quand la laine est envahie
par les vers. Le lavage à l'eau alcaline, après l'opération,
est dans ces cas tout à fait indispensable.
L'Instruction qui accompagne le Règlement sur les hô-
pitaux militaires recommande le procédé suivant :
« Les vêtemeiils, les couverlures, tous les effets de lainage ayant servi
aux malades atteints d'une affection contagieuse, doivent être désinfectés
avec soin. On les lave d'abord et on les laisse ensuite immergés dans
l'eau pendant vingt-quatre heures. On les soumet le lendemain à un nou-
veau lavage; chaque pièce doit être lavée séparément et frottée avec de
la terre glaise, puis rincée dans l'eau claire; enfin, on fait sécher. Quand
tous ces effets sont secs, on les suspend dans une salle dont les ouver-
tures sont bien closes, et on les soumet pendant quarante-huit heures à
l'action de l'acide sulfureux produit par la combustion d'une quantité
suffisante (?) de soufre. On les expose ensuite à l'air libre, et on les remet
en service.
« La laine des matelas est d'abord lavée et ensuite immergée dans
l'eau pendant vingt-quatre heures. Le lendemain, cette laine est passée
rapidement dans une eau légèrement alcaline, puis rincée à l'eau claire
et séchée à l'air. On l'expose plus tard, comme les effets et les couver-
tures, à l'action de l'acide sulfureux. »
La quantité de soufre à employer n'est pas indiquée ici :
elle ne doit pas être moindre de 15 grammes par mètre cube;
elle pourrait être poriée jusqu'à 50 grammes, si l'on n'avait
à craindre que l'acide sulfurique produit n'altérât peut-être la
matière première. Ici encore, "il nous semble préférable de
soumettre la laine à un lavage alcahn, après les fumigations,
et non pas avant. La laine garde pendant longtemps, après
l'exposition aux vapeurs de soufre, une odeur fade, très
tenace, capable de produire des malaises gastriques; le
lavage à la soude a l'avantage de la faire disparaître rapi-
DÉSINFECTION DE LA LITERIE, 503;
dément en transformant l'acide sulfureux en sulfite ; il em-
pêche aussi Faction corrosive de cet acide qui pourrait, en
se continuant, altérer la solidité de la laine. Il faut, toute-
fois, ne pas exagérer la nécessité de ces lessivages multi-
ples qui, pratiqués comme le conseille l'Instruction, cons-
tituent une opération longue et qui fatiguent la laine ; si les
médecins exigeaientqueleprocédéfùtminutieusement suivi,
ils ne pourraient réclamer la désinfection que dans des
circonstances exceptionnelles et rares. Si l'on veut être
pratique, il faut simplifier au maximum l'opération, afin
qu'elle devienne usuelle, journalière, expéditive et qu'elle
ne détériore pas le matériel confié à la garde des fonction-
naires administratifs.
Aussi pensons-nous que dans la plupart des cas on
peut se contenter des fumigations à l'aide de l'acide sul-
fureux ; la diffusibiUté extrême de ces vapeurs nous fait
espérer qu'on pourrait, comme dans l'emploi de la chaleur,
ne défaire complètement les matelas qu'après un décès ou
après une maladie transmissible ; la fumigation simple,
au-dessous des matelas entiers suspendus sur des claies,
suffirait pour les cas ordinaires.
Quel que soit le mode d'épuration adopté, il est une
précaution indispensable et qui est trop souvent néghgée :
les literies épurées, la laine ou la plume qui sortent des
étuves à vapeur, à air chaud, ou des chambres de fumiga-
tions, ne doivent jamais être portées et abandonnées dans
les salles où se trouvent d'autres pièces qui n'ont pas en-
core été soumises à la désinfection. Très souvent, les opé-
rations de réfection de la literie se font dans la salle même
où l'on apporte du dehors les matelas et les oreillers souil-
lés ; les poussières qui se dégagent de ces pièces au mo-
ment où on les verse ou quand on les carde peuvent
souiller de nouveau la plume et la laine désinfectées. Ces
diverses opérations doivent se faire dans des locaux dis-
tincts, sans communication au moins directe l'un avec
l'autre.
m DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
II est enfin une mesure plus radicale que les autres,
c'est la destruction par le feu de la literie contaminée par
les maladies transmissibles. Au pavillon d'isolement qu'il a
fait construire à la Maternité de Paris, M. Tarnier depuis
près de cinq ans fait brûler tout matelas qui a servi à une
accouchée, celle-ci n'eùt-elle présenté aucun accident.
M. Stadfeld, chirurgien en chef de la Maternité de Copen-
hague, nous apprenait au Congrès de Bruxelles, en 1876,
que les matelas ne servent jamais qu'à une seule accou-
chée; on les brûle également à chaque changement de
malade. M. Stadfeldt a remplacé les matelas ordinaires
par des sacs de toile remplis de paille très finement ha-
chée ; le couchage est très bon, il est économique. M. Tar-
nier emploie la balle d'avoine, qui donne un couchage ex-
cellent; le sac ainsi rempli remplace le matelas et le som-
mier ; à chaque départ, on brûle la balle d'avoine et on
envoie le sac d'enveloppe à la lessive. La dépense dépasse
à peine celle de la réfection d'un matelas. M. E. Trélat (1),
lors delà discussion sur la désinfection par l'air chaud, à la
Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle,
en 1878, proposait de généraliser cette mesure, et afin de
la rendre pratique, de s'ingénier à trouver des matières
premières très peu coûteuses, avec lesquelles on pourrait
fabriquer toutes les fournitures d'habillement et de literie
servant dans les hôpitaux. La proposition mérite qu'on y
réfléchisse.
Au risque de nous répéter, nous croyons utile de repro-
duire ici quelques-unes des conclusions du rapport que
nous avons présenté, en 1878, à la Société de médecine
publique, au nom d'une commission composée de
MM. Leroy de Méricourt, Trélat, Hudelo et Vallin, rappor-
teur, conclusions qui ont été approuvées et votées par la
Société :
(1) Bulletin de la Société de médecine publique et d'hygiène profession-
nelle, 1878, T. 1, p. 322.
DÉSINFECTION DE LA LITERIE. 507
« La chaleur est le moyen le plus efficace, le plus expé-
ditif, le moins dispendieux d'assurer une désinfection
sérieuse... Les recherches de Tyndall prouvent que ce qui
assure la destruction des protorganismes, en général, c'est
moins l'élévation de température que l'application inter-
mittente d'une chaleur voisine de -\- 100" centigrades. Les
germes ou corpuscules, souvent réfractaires quand ils sont
très anciens et très desséchés, peuvent ainsi, dans l'inter-
valle des opérations de chauffage, se transformer en orga-
nismes adultes qu'une température inférieure à -\- 100°
détruit aisément. Ces notions sont, dans une certaine
mesure et par analogie, applicables à la destruction des
miasmes et des germes morbides.
a Tout établissement sanitaire devrait être muni d'une
étuve spacieuse oii les objets contaminés seraient soumis
pendant une ou deux heures à un courant de vapeur sur-
chauffée à -{- 105° centigrades environ. Le linge sale, les
couvertures, les objets de literie ayant servi aux malades at-
teints d'affections réputées transmissibles ou suspectes (fiè-
vres éruptivcs, érysipèles, fièvres typhoïdes, grandes suppu-
rations, puerpéralité normale, etc.) devraient être portés
à l'étuve au sortir de la salle et avant d'être soumis à
aucune autre manipulation. Ce n'est qu'après cette première
désinfection qu'on procéderait au lessivage, au nettoyage,
à la réparation des objets souillés ou dégradés.
c Après ces opérations, le matériel remis en état séjour-
nerait dans les magasins ; mais chaque pièce, au fur et à
mesure des besoins, immédiatement avant d'être remise en
circulation dans les salles, passerait une seconde fois à
l'étuve ; on ferait ainsi disparaître toute trace d'humidité
et l'on rendrait la désinfection complète. La charpie, la
ouate, le linge, les coussins destinés aux pansements et
aux appareils subiraient le même traitement avant d'être
mis en service. Cette mesure pourrait sans inconvénient
être généralisée et appliquée à tout le matériel distribué
aux entrants, sans distinction de maladie.
S08 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
« Pour certaines affections plus particulièrement viru-
lentes et reconnues transmissibles (diphthérie, infection
purulente, septicémie, fièvre puerpérale, choléra, etc.,
en cas d'épidémie et sur la désignation des médecins) ,
il est désirable que les pièces de literie soient intérieu-
rement garnies d'une matière de peu de valeur, telle que
la balle d'avoine, la paille finement hachée, qui pour
rait être détruite par le feu après avoir servi à un ma-
lade ; l'expérience prouve que la dépense est minime
(2 fr.) et n'excède pas celle qu'occasionne l'épuration par
la méthode ancienne (1). »
Nous pensons que les efforts faits par la Société de mé-
decine publique et par nous-même en faveur de la propaga-
tion de la désinfection, n'ont pas été tout à fait étrangers
à la création des deux étuves qui fonctionnent aujour-
d'hui à l'hôpital Saint-Louis, et à celle des étuves munici-
pales que la Préfecture de police fait construire à Paris,
sur le rapport de MM. L. Colin et Pasteur (Annales
crhijgiène, 1880, T. IV, p. dl).
ART. V. — DÉSINFECTION DU MATÉRIEL CHIRURGICAL.
Les instruments et les objets qui servent au traitement
des malades sont parfois une cause d'infection, de transrais-
siondemaladies, d'empoisonnements. Il y a quelques années,
un certain nombre de cas de syphilis transmise par le
cathétérisme de la trompe d'Eustache, dans le cabinet du
même médecin auriste, ont causé une grande émotion dans
le monde médical. Une sonde en argent, et à plus forte
raison une sonde en gomme noire ou en caoutchouc,
peuvent déterminer une fermentation indéfinie de l'urine
dans la vessie, en transportant dans ses orifices mal lavés
(1) E. Vallin, Sur la désinfection par l'air chaud, Rapport à la So-
ciété de médecine publique et d'Iii/giène professionnelle [Bulletin de la
Société, 1878, T. I. 334.)
DÉSINFECTION DU MATÉRIEL CHIRURGICAL. 509
une petite quantité de ferment ammoniacal, provenant d'un
cathétérisme antérieur chez un malade atteint de catarrhe
purulent de la vessie. Récemment encore, au Congrès in-
ternational de Londres, M. Tarnier (1) attirait l'attention
sur le danger des sondes vésicales mal nettoyées. «: Les
sondes dont je me sers, dil-il, sont en caoutchouc rouge et,
avant leur usage, plongées dans une solution phéniquée.
C'est là une précaution indispensable ; avant d'y recourir,
j'ai vu deux cas de mort par néphrite consécutive à une cys-
tite, par suite de l'usage d'un cathéter mal nettoyé. »
Les stylets, les trocarts mal lavés et souillés de pus al-
téré, peuvent introduire dans une plaie, dans une cavité
pleurale, le poison septique ou l'infection purulente. L'opé-
ration de la saignée pratiquée avec une lancette malpropre
a causé parfois des phlébites graves, etc. Il est inutile d'in-
sister ; ces exemples prouvent la nécessité d'une désin-
fection préalable, minutieuse, des instruments destinés aux
opérations ou aux pansements.
Toutes les fois qu'il est possible, le flambage est une
excellente mesure. Rien n'est plus facile que de passer un
stylet d'argent ou une sonde cannelée dans la flamme
d'une lampe à alcool ou d'une simple bougie, immédiate-
ment avant de sonder une plaie. Les instruments plus
délicats doivent être plongés ou lavés dans une solution
concentrée d'acide phénique, ou dans l'huile phéniquée
(10 pour 100). Jamais une thoracentèse ne doit être pra-
tiquée sans avoir fait pas jer plusieurs fois un pareil mélange
à travers les aiguilles ou les trocarts, autrement on s'expose
à transformer un épanchement séreux en épanchement
purulent.
Les éponges deviennent facilement une cause d'infection
des plaies ; leur nettoyage, leur désinfection est difficile.
Après chaque pansement, une éponge devrait toujours être
(1) Transactions of the intsrnational médical Congress, honlon, 18S1,
T. IV, }j. 391.
MO DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
plongée dans une solution de permanganate de potasse au
millième, et lavée à plusieurs reprises dans des solutions
nouvelles. Certains chirurgiens gardent en permanence
les éponges plongées dans des solutions phéniquées fortes
(à 5 p. 100), et expriment ce liquide au moment même de
les porter sur une plaie. Le lavage peut encore se faire
avec une solution de chlorure de zinc à 5 pour 100, c'est
le moyen le plus économique, le plus simple et le plus sûr.
Il est même préférable de supprimer les éponges et
de les remplacer par des plumasseaux d'ouate, de filasse, de
jute, d'oakum (étoupe de vieux cordages goudronnés).
Ces matières premières sont presque sans valeur, et sont
jetées dès qu'elles ont servi à laver la plaie d'un malade.
L'éponge peut encore être remplacée par l'irrigateur, qui
lave les plaies sans les exposer à des contacts dangereux.
Les canules d'instruments doivent être également l'objet
d'une attention sérieuse ; elles ont souvent été accusées
d'avoir transmis des infections puerpérales en servant
successivement à plusieurs accouchées. Aujourd'hui, dans
beaucoup de services d'accouchement, chaque femme a
sa canule pour injection ; quand la femme est guérie ou
morte, on détruit la canule, ou bien on la désinfecte en la
soumettant, comme les éponges, à l'action des liquides
que nous venons d'énumérer.
ART. VI. — DÉSINFECTION DU PERSONNEL MÉDICAL
OU AUXILIAIRE.
Depuis un certain nombre d'années, beaucoup d'accou-
cheurs font jouer un rôle considérable dans le dévelop-
pement et l'origine de l'infection puerpérale à la trans-
mission directe d'un virus putride ou septique, du doigt
ou des instruments du médecin, à la vulve et à l'utérus
de l'accouchée ou de la parturiante. En France, MM. Her-
DÉSINFECTION DU PERSONNEL MÉDICAL. 511
vieux, Siredey, Tarnier, Pinard, etc., érigent maintenant en
principe qu'il faut s'abstenir de toute fréquentation des
-amphithéâtres d'anatomie, et même des salles de grande
chirurgie, du toucher des femmes atteintes de maladies
puerpérales infectieuses, quand on est appelé à assister
des parturiantes. MM, Tarnier et Siredey nous ont cité
plusieurs cas où des femmes, jusque là en excellent état
puerpéral, ont été accidentellement touchées ou secourues
par un médecin ou un interne qui avait quelques heures
auparavant manié des pièces anatomiques, fait des opéra-
tions sur le cadavre, etc. Dans les 24 heures, la tempéra-
ture s'élevait à -|- 41", les lochies devenaient fétides, il se
déclarait des phlébites, des péritonites, des lymphites par-
fois mortelles. Quelle responsabilité terrible n'encourt pas
le médecin entre les mains^ et par les mains de qui arrive
un pareil désastre ?
Depuis longtemps déjà l'attention est portée sur ce point,
dans tous les pays : des chirurgiens anglais ont renoncé
spontanément pendant plusieurs mois à la pratique de
l'obstétrique, parce que toutes les malades mouraient entre
leurs mains d'infection puerpérale, alors que la maladie
était presque inconnue dans la clientèle des confrères ou
des sages-femmes de la même localité. En Angleterre, où
la responsabilité du médecin est si souvent et par-fois si
abusivement mise en cause devant la justice, les tribu-
naux ont condamné des médecins à des dommages et inté-
rêts pour avoir transmis à leurs clientes l'infection puer-
pérale !
L'un des cas les plus anciens et des plus curieux est
celui de ce médecin de Philadelphie, le D'' David Rutter, qui
dans l'espace de 4 ans, vers 1840, eut dans sa clientèle
privée 95 cas d'infection puerpérale, avec 18 décès, tan-
dis que, pendant le même temps, plusieurs de ses con-
frères pratiquant dans la même ville n'eurent pas un
seul cas de la maladie. Le D'' Piutter, convaincu qu'il se-
^12 ■ DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
mjiait derrière lui la contagion, résolut de s'abstenir de
toute clientèle pendant plusieurs semaines ; au bout de ce
temps, et après avoir pris toutes les mesures de désinfec-
tion jugées possibles, il voulut reprendre l'exercice de sa
profession ; mais les cas de fièvre puerpérale qui avaient
disparu recommencèrent chez ses malades. Le cas paraissait
merveilleux, lorsqu'on apprit que le D"" Rutter était atteint
depuis plusieurs années d'un ozène très fétide; on put
dès lors supposer que ses mains, souillées de muco-pus
riche eh bactéries, allaient partout inoculer ces germes
chez les femmes en couches confiées à ses soins. M. le pro-
fesseur Depaul, dans la discussion sur la fièvre puerpérale, à
l'Académie de médecine, a fait connaître deux cas de sa
pratique, où il fut appelé à assister des femmes en couches
au moment même où il venait de terminer des autopsies
de femmes mortes d'accidents puerpéraux. Malgré les
ablutions les plus minutieuses , ses mains conservaient
encore cette odeur tenace de l'autopsie ; dans les deux
cas, les femmes assistées succombèrent en peu de jours.
Des faits analogues ont été observés et relatés par un grand
nombre de médecins (D"" Moir, d'Edinburgh, D'' Holmes,
D"" Huntley, British med. journal, 1870.) Tout le monde
connaît le fait de Semmelweis, le médecin en chef de
la Maternité de Prague, qui fît cesser les épidémies de
fièvre puerpérale en surveillant d'une manière toute spé-
ciale la propreté des mains des élèves et des sages-femmes,
et en les obligeant à les tremper, après un lavage très
soigné, dans une solution contenant 30 grammes de chlo-
rure de chaux par litre. Nous tenons de M. Siredey qu'une
sage-femme de Paris, chez qui l'Assistance publique faisait
accoucher ses assistées, lui fournissait à un certain mo-
ment un nombre inaccoutumé de cas d'infection puerpé-
rale : une enquête minutieuse apprit à notre savant col-
lègue que cette sage-femme donnait dans son domicile -les
soins les plus intimes à une parente atteinte de cancer
DÉSINFECTION DU PERSONNEL MÉDICAL. 513
ulféic (le l'iilcrus ; il est probable que le doigt mal lavé et
souillé d'ichor cancéreux allait contaminer l'utérus des
nouvelles accouchées et inoculait en quelque sorte un em-
poisonnement septique. Les exemples de ce genre sont
devenus si nombreux qu'il faudrait fermer les yeux à la
lumière pour nier la possibilité, sinon la fréquence de ce
mode de contamination.
Le pansement antiseptique des nouvelles accouchées, et
même des parturiantes, s'impose donc avec plus de force
encore aujourd'hui que pour les blessés ordinaires des
salles de chirurgie. C'est à la désinfection très rigoureuse
des mains des médecins et des élèves, des instruments
obstétricaux, des éponges, des canules à injection, etc.,
c'est aussi à F isolement immédiat de toute nouvelle accouchée
qui présente le moindre mouvement fébrile, que M. Si-
redey attribue l'abaissement considérable de la mortalité
à la maternité de l'hôpital Lariboissière. Cette mortalité
était de 1 sur 11 au lendemain de l'ouverture de ce ma-
gnifique hôpital ; malgré des soins incessants, elle n'avait
pu descendre au-dessoiis de 1 sur 18 ; elle tomba tout à
coup à 1 p. 50, et bientôt à moins de 1 p. 100, à partir du
jour où M. Siredey imposa le nettoyage antiseptique des
mains et de tout ce qui pouvait être mis en contact avec
les parties génitales des femmes en couche.
M. Tarnier exige l'abstention complète des travaux d'a-
natomie, des autopsies, de la fréquentation des amphi-
théâtres, de la part de tous les internes de son service à
la Maternité, et aujourd'hui un grand nombre de médecins
des services d'accouchement imposent aux autres et s'im-
posent à eux-mêmes le même sacrifice. A l'infirmerie
de la Maternité, M. Hervieux a depuis 10 ans arrêté pour
ainsi dire l'endémie traditionnelle des fièvres puerpérales
(10 décès jadis sur 100 accouchements) en séparant en
deux services très distincts les affections gynécologiques
communes et les femmes atteintes d'infections puerpérales.
Vallin. — Désinfectants. 33
ril4 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
Ce résultat n'est pas dû seulement à l'isolement et à la sup-
pression de l'infection miasmatique ; il faut faire une part
très grande à ce fait que les élèves, les infirmières, le
matériel qui touchent les parties génitales des femmes déjà
infectées, n'ont aucune communication avec les femmes de
l'autre service, réservé exclusivement aux maladies gyné-
cologiques communes.
M. Tarnier est allé plus loin, et il a fait adopter à l'hô-
pital Tenon et dans le pavillon qui porte son nom, dans
le jardin de la Maternité, l'isolement absolu de toute
parturiante, pendant 10 jours, depuis le commencement
du travail, jusqu'à la sortie définitive. Quand une femme
accouchée dans le pavillon ïarnier présente des symptômes
d'infection puerpérale, elle n'est plus visitée ni soignée
par la sage-femme, ni par le médecin habituel; c'est un
médecin d'un hôpital voisin qui vient chaque jour la vi-
siter, et elle est soignée par une infirmière affectée exclu-
sivement à son service. Quelle que soit l'issue de la puer-
péralité, même quand les couches se sont terminées heu-
reusement, tout le matériel est lavé, purifié, désinfecté :
le coussin de balle d'avoine qui remplace toute autre li-
terie est emporté, la toile est lessivée, la balle d'avoine est
brûlée : les parois de la chambre, le sol, le plafond sont
lavés à la pompe à incendie; le lit, les sièges, les tables,
tous en fer, sont lavés à l'acide phénique ; la place est
ainsi parfaitement désinfectée avant de recevoir une nou-
velle parturiante. Le résultat a été excellent: depuis 5 ans,
il n*y a eu que 6 décès sur 1,223 accouchemenls, dans
un hôpital! (Progrès médical, 1882, p. 511).
La désinfection ne doit pas seulement porter sur le ma-
tériel ; la méthode antiseptique ou préventive doit être
minutieusement appliquée. Personne, sans exception, ne
devrait toucher une fomme en couches sans avoir lavé ses
mains au savon, à la brosse à ongles, longuement, lente-
nient) à grande eau; après le lavage, et pour enlever toute
DÉSINFECTION DU PERSONNEL MÉDICAL. 515
trace de ces émanations fétides que laisse par exciii[)lcr(Ui-
topsic du péritoine, les mains doivent être humectées avec
une solution pliéni(piée forte (5 p. 100), ou plus faible mais
alors additionnée d'alcoolé de thymol. Cette solution a une
odeur désagréable, excorie les mains ouïes rend rugueuses;
M. Tarnier se sert avec le plus grand avantage d'une
solution au millième de sublimé, de liqueur de Van-Swié-
ten : c'est un antiseptique des plus puissants, inodore, qui
n'altère nullement la peau des mains et qui ne peut
avoir aucun inconvénient. L'acide salicylique, dissous dans
de l'eau de Cologne, à la dose de 5 p. 400, est également
un désinfectant très pratique préconisé en Belgique. Nous
comprendrions que chaque médecin appelé auprès d'une
accouchée suspecte prescrivît dès la première visite une
deces solutions, qui resterait à demeure dans la chambre et
lui servirait chaque jour à se purifier les mains avant de
quitter la maison pour aller voir ou toucher peut-être une
autre malade.
L'on peut encore employer la pommade dont se sert jour-
nellement Nussbaum: vaseline, 90 grammes ; acide phé-
nique cristahisé, 10 grammes. Ce mélange ne rancit pas,
il pénètre profondément dans les pores et les plis de la peau ;
Une produit pas cette rudesse de la peau qu'entraîne l'u-
sage prolongé des solutions phéniquées et qui s'accompagne
trop souvent d'une diminution de la délicatesse du tou-
cher.
Le professeur Volkmann (1), de Halle, M. Lucas Cham-
pionnière, croient qu'avec ces lavages rigoureux et anti-
septiques, il n'est pas indispensable d'interdire aux élèves
et aux médecins accoucheurs la pratique des travaux
anatomiques. M. Volkmann passe deux heures, en été-, à
son cours de médecine opératoire, où il manie des cada-
vres à demi-corrompus; quelques instants après, il ne
ii] Volkmann, Centralblall fur Gijnœcologie, septembre 1880, et Revue
d'hijgiène et de police sanitaire,- 1881, p. 3-il.
516 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
craint pas d'aller faire ses opérations à la clinique obstétri-
cale, où néanmoins il obtient de remarquables succès. Il
est vrai que le chirurgien allemand savonne pendant un
quart d'heure ses mains et ses avant-bras jusqu'au coude,
et qu'il enduit ensuite l'épiderme, bien essuyé, mais ramolli
et gonflé, avec une solution forte de vaseline, de glycérine
ou d'huile phéniquées.
M. Lucas Championnière a obtenu de la même manière,
à la maternité de Cochin, le résultat suivant en 1878 : on
a fait à l'hôpital, dans l'année, 770 accouchements; un
bon nombre ont nécessité des opérations obstétricales sé-
rieuses. Il y a eu en tout 5 décès, dont 2 seulement par
maladies puerpérales ; les 3 autres décès comprennent : 1
phthisique, arrivée au dernier période de la maladie, et
morte vingt et un jours après l'accouchement, d'accidents
thoraciques ; I malade, venue d'un service de médecine
avec une péricardite aiguë au cours de sa grossesse, et qui
mourut 4 jours après l'accouchement; 1 éclamptique, morte
deux heures après son entrée.
Résultat : aucun décès à la suite d'opérations.
mortalité brute — 6,0 décès pour 1,000 accouchements.
' mortalité puerpérale — 2,3 pour 1,000.
Et cependant chaque matin les femmes en couches
étaient explorées par les élèves du service; mais on exi-
geait de ceux-ci, avant le toucher, un lavage minutieux des
mains etl'imbrocation des doigts avec l'huile phéniquée à
haute dose. Pour les deux années 1878 et 1879, en retran-
chant les décès dus à des causes tout à fait exceptionnelles,
M. Lucas Championnière, sur i,455accouchements, ne trouve
que 6 décès, soit 4,1 décès pour 1,000 accouchements.
M. Lucas Championnière, et peut-être aussi M. Siredey,
en tireraient volontiers cette conclusion que nous n'oserions
admettre, à savoir, qu'il est inutile de consacrer des som-
mes considérables à des nouvelles maternités composées
de chambres parfaitement isolées, puisque, avec des soins
DÉSINFECTION DU PERSONNEL MÉDICAL. 517
rigoureux de propreté et la méthode antiseptique on peut
réduire à ce point la mortalité des accouchées.
Tout récemment, un médecin distingué de Cologne, le
D'' Rheinstaedler (1), proposait de rendre obligatoire pour
les sages-femmes l'emploi des antiseptiques. Nous n'ose-
rions aller jusque là; il suffit à l'accoucheur consciencieux
de savoir que la moindre négligence dans l'emploi des dé-
sinfectants peut faire de lui un meurtrier.
De même en ce qui concerne l'abstention absolue des
études cadavériques, il est possible qu'on puisse l'éviter à
l'aide de précautions minutieuses. Mais ici le danger est si
redoutable qu'il vaut mieux pécher par excès de prudence
et s'imposer la gène très grande de la suppression tempo-
raire des autopsies; il est d'ailleurs facile de faire prati-
quer celles-ci par une personne qui n'entre pas dans les
salles d'accouchement. Les vêtements qui ont séjourné an-
térieurement dans l'amphithéâtre d'anatomie, ou bien ceux
avec lesquels on a assisté une femme atteinte d'infection
puerpérale, doivent être préalablement désinfectés, par
exemple par l'exposition aux vapeurs de soufre.
Autrefois, il existait dans chaque salle d'accouchement
un vase contenant de la ouate et de l'huile, qui pendant
toute l'année servait à oindre le doigt et les instruments
avant le toucher ou une opération gynécologique; il y a
peut-être là une cause fréquente de souillure et même de
contagion. L'huile doit être très fréquemment renouvelée
et contenir de 1 à 2 pour 100 d'acide phénique.
Les placentas, après l'accouchement, doivent être im-
médiatement plongés (Empis) dans une solution de chlorure
de zinc (à 5 p. 100) ou de chlorure de chaux (à 30 gr. par
litre) ; un baquet rempli de cette solution, et placé en de-
hors de la salle d'accouchement, serait destiné à recevoir
(1) D"' Rheinstaedler, Vorschlage ziir Einfïtli iing der obligatorischen
Antisepsis fur die Hebammeiv {Vierteljahresbericht fiir gerichtliche
Medicin und offentliche Sanitatswesen von H. Eulcnberg, octobre 1882,
ï. 3oS p. 323).
.•>18 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
ainsi tous les débris placentaires, les caillots, etc. ; le
mieux serait peut-être de les détruire dans le foyer de la
chaudière des bains ou de la buanderie.
Les linges souillés par les lochies, le pus, le sang,
devraient être jetés immédiatement dans le même hquide,
en attendant qu'ils puissent être conduits de chaque cham-
bre, par une trémie, dans une étuve à désinfection ados-
sée au pavillon. Pour éviter le transport direct des germes
dangereux par les mains souillées de l'accoucheur ou
par l'air, les parties génitales , après l'accouchement et
même pendant le travail, peuvent d'ailleurs être recouver-
tes d'une compresse trempée dans une solution de phénol;
à mesure que la tête se présente à la vulve après les fortes
douleurs, l'on badigeonne les parties de lanière et de l'en-
fant avec un pinceau chargé d'huile phéniquée; immédia-
tement après l'accouchement, on injecte dans le vagin de
l'eau tiède phéniquée à 2 p. 100. Quand les lochies de-
viennent fétides, la plupart des accoucheurs, Tarnier,
Siredey, Lucas Championnière, Pinard, Zweifel, Bischoff,
Shucking,Fritsch et Kiistner, font immédiatement des injec-
tions vaginales avec la solution phéniquée ou salicylée à
2 p. 100. Les injections intra-utérines doivent être réser-
vées pour les cas exceptionnels où la fétidité persiste, oi^i
des caillots, des débris de placenta ont séjourné dans l'u-
térus (1) ; elles nécessitent des soins particuliers, une canule
à double courant, une pression très faible, pour éviter le
passage du liquide dans le péritoine. M. Lucas Champion-
nière voudrait qu'on supprimât complètement l'eau pure
des services d'accouchements, et qu'on évitât tous les cata-
plasmes, cérats, épithèmes, capables de transporter des
germes morbides.
Nous ne pouvioi s ne pas insister sur cette désinfection
(1) Revue des sciences médicales de IJaijem, 18"0, T. XIII, p. 198. —
J. Rendu, De l'utilité des larcirjes inirn-utérins nntiseptiques dans tin-
fectiun puerpérale. Thèse de Paris, 1879.
DÉSIISFIXITIUN DU l'El\SUNNl:L MlÏDlCAL. r,IO
puerpérale que les accoucheurs modernes tendent de \)h\9.
en plus à considérer comme la condition essentielle du
succès. Le pansement antiseptique dans toute sa rigueut'
serait appelé à rendre encore plus de services en gynê-
cologie et en obstétrique que dans la pratique de la
chirurgie générale.
Ce n'est pas seulement pour les accoucheurs que ces
pratiques rigoureuses de désinfection sotit nécessaires.
Sans doute, les anciens médecins, ceux des deux ou trois
siècles qui ont précédé le nôtre, sont tombés dans un excès
ridicule en revêtant, pour aller visiter les pestiférés, les
varloleux, les contagieux en général, ces vêtements de
formes bizarres, ces masques grotesques à figure d'oiseau
que nous ont transmis les vieilles estampes, et qui trans-
formaient les visites des médecins en promenades de carna-
val. La réaction nous a fait tomber dans Uti excès contraire.
Nous ne prenons aucune précaution pour aller voir Un
malade contagieux, et le dédain que nous avons pour notre
propre danger tious expoS'3 à compromettre la sécurité des
familles où nous allons porter nos soins. Nous connaissons
un cas récent, où un médecin étiiinent a, de son pro-
pre aveu, apporté d'un hôpital la scarlatine et ultérieu-
rement Une diphthérie très grave à un enfant auprès
duquel il était appelé en consultation', pour une rougeole
qui commençait cette série de trois infections successives.
Qui pourrait dire qu'il n'en est jamais arrivé ainsi pour
des maladies puerpérales, des septicémies chirurgicales, des
lièvres éruptlves ou autres? La constatation rigoureuse
de ces cas est d'une difficulté extrême, nous le reconnais-
sons, mais la possibilité d'un tel accident doit tenir notre
vigilance en éveil.
Nous ne voulons pas aborder Ici tous les points de la
prophylaxie nosocomlale et professionnelle ; mais n'est-ce
pas faire en quelque sorte de la désinfection préventive
que de remettre à la fin du service ou à la fin de la journée
520 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
les visites aux contagieux, d'éviter les contacts, les ex-
plorations inutiles, etc.? Nous avons vu des médecins
découvrir presque chaque jour des convalescents de va-
riole et de scarlatine, soulever, en rejetant les draps et les
couvertures, des flots de poussières virulentes, dont les
écailles étaient visibles sur le drap noir de leurs vête-
ments. N'y a-t-il pas là un véritable danger?
La désinfection proprement dite est difficile. Les houp-
pelandes longues et serrées au poignet, en tissu permet-
tant des lavages très fréquents et adoptées dans certains hôpi-
taux, ont l'avantage de mettre le médecin à l'abri des para-
sites, des germes et des contaminations de tout genre ; la
mode les a presque partout remplacées par des tabliers,
qui sont plus élégants, mais ne préservent guère.
Nous avons vu , dans un service de varioleux, les
infirmiers soulever dans leurs bras des malades couverts
de pustules, et le pus laisser des traînées visibles sur
leurs vêtements de laine; ces mêmes infirmiers allaient
souvent chercher des aliments, des remèdes dans les par-
ties communes de l'hôpital ; n'est-il pas vraisemblable
qu'ils ont parfois disséminé dans tout l'hôpital les pous-
sières virulentes qui s'étaient desséchées sur leurs vête-
ments ? Le mieux est de ne pas laisser les infirmiers sortir
de la salle, pas plus que les malades convalescents. Mais,
dans la pratique, cette mesure rencontre de grandes diffi-
cultés. On atténuerait certainement le danger en faisant
porter dans le service à ces infirmiers des vestes de toile
ou des blouses d'une couleur très spéciale, couvrant et pro-
téo'eant leurs vêtements ; quand ils sortiraient de la salle,
ils seraient tenus de retirer ce vêtement et de le suspendre
dans l'antichambre, pour le reprendre en rentrant de nou-
veau dans la salle.
A la Maternité royale de Copenhague, d'après MM. Schleis-
ner et Stadfeld (Congrès de Bruxelles, 1876), une ou deux
élèves sages-femmes assistent exclusivement une femme
DÉSINFECTION DU PERSONNEL MÉDICAL. 521
en travail dans une chambre isolée, et la suivent six
heures après dans la division des femmes en couches.
Quand la femme sort, les élèves restent pendant trois
jours en congé, sans venir à l'hôpital. Au bout de ce
temps, elles ne peuvent pénétrer dans les salles de la Ma-
ternité qu'après s'être soumises à une fumigation désin-
fectante, par le procédé suivant. La personne tout habillée
se tient pendant un quart-d'heure dans un petit cabinet
où l'on fait brûler du soufre ; pour empêcher la toux ou
l'asphyxie, elle passe la tète à travers l'ouverture laissée
libre par l'absence d'un des carreaux de la fenêtre; la
disposition est telle qu'on n'est nullement gêné par les va-
peurs sulfureuses. Quand la parturiante a succombé à des
accidents puerpéraux, l'élève sage-femme prend un congé
de quinze jours, et pendant ce temps ne peut reparaître
à l'hôpital. Ces mesures sont bien sévères, mais M. Stad-
feld leur attribue la diminution très marquée de la morta-
lité.
A Venise (1), on impose la désinfection à toute personne
qui sort du pavillon des varioleux.
Dans plusieurs hôpitaux de Suisse et d'Allemagne, ces
pratiques sont imposées en temps d'épidémie ; la désinfec-
tion a lieu par les vapeurs de soufre ; le médecin, les"elèves
et les employés se placent tout habillés, au sortir de la
salle, dans une boîte à fumigations, la tête étant libre hors
de l'appareil.
Nous n'oserions dire que ces pratiques sont indispen-
sables ; il ne faut pas oublier que l'exagération peut dis-
créditer les mesures les plus utiles. Il conviendrait, en tout
cas, de les réserver pour les cas exceptionnels.
Pendant la dernière épidémie de peste à Wsttlianka,
instruits par rex.périence et après avoir vu succomber
presque tous leurs collègues (moins un), les médecins
(1) Joanny Rendu, De l'i/tolement des varioleux à l'étranger et en France
[Gazette hebdom acUlre, 1 81S, ii"^ 16 à "20).
522 DÉSINFECTION NOSOCOMlALE.
russes avaient reconnu la nécessité de ne pas séjour-
ner pendant plus de 5 minutes auprès d'un pestiféré. Au
bout de ce temps, ils allaient respirer au dehors et faisaient
provision d'un air relativement pur, avant de s'approcher
d'un nouveau malade. C'est à cette pratique qu'ils attri-
buent l'immunité relative qu'ils ont eue plus tard. Il y a là
quelque chose de comparable à ce que M. le D"" Mac-Cormac
recommandait récemment au Congrès international de Lon-
dres (1881) : éviter de faire des respirations profondes, sus-
pendre même sa respiration^ lorsqu'on se met eU contact
immédiat avec un contagieux pour l'explorer ou l'auscul-
ter. Il ne faut pas beaucoup compter sur de pareils
moyens.
ART. VI. — DÉSINFECTION DES VÉHICULES AYANT SERVI
AU TRANSPORT DES MALADES.
Cette désinfection a été jusqu'à présent très négligée ;
elle est indispensable, trop d'exemples l'ont démontré.
Un wagon de chemin de fer, une diligence, une voiture
de place, un brancard, une chaise à porteur, peuvent être
souillés par un malade, et transmettre ainsi une affection
contagieuse soit à un individu sain, soit à une personne
atteinte d'une maladie différente. Trop souvent en France
un varioleux en pleine éruption ou convalescent se fait
conduire à l'hôpital ou ailleurs dans une voiture publique,-
sans qu'il soit possible jusqu'ici de prendre aucune mesure
prohibitive. En Angleterre, en pareil cas, le cocher surveillé
par la police est déclaré en contravention (1); sa voiture est
saisie, conduite à la fourrière et désinfectée à ses frais,
sauf recours contre le malade ou ses représentants; la dé-
pense monte parfois à 100 francs et au delà.
(1) Fauvcl et Vallin, De f isolement des malades dam les hôpitaux,
Rapport au Congrès international fFhygiène à Paris, en 1878, Compte
rendu siénographiqiie, Paris 1880, T. 1, p. 704.
DI'.SIiNFECTION DES VI'HLGULES, ri33
En Angleterre, en Belgique, l'asslstanee publique ou la
police urbaine entretient des voitures spéciales pour ces
transports ; à Paris, le préfet de police vient d'en faire
construire un certain nombre qui sont mises à la dis-
position du public, A chaque fonctionnement, ces voitures
doivent être désinfectées, afin qu'un varioleux qui la quitte
ne})uissepas donner la variole au scarlatineux qui y rentre
une demi-heure plus tard (1). A Paris, la désinfection se fait
à l'aide de l'acide nitreux qui se dégage en se dialysant
à travers une éprouvette en terre poreuse, renversée sut*
un vase plein d'eau alcoolisée, et dans lequel on a introduit
des cristaux des chambres de plomb, d'après le procédé
de MM. Girard et Pabst. Il faut de même désinfecter le
brancard qui sert à transporteries malades de leur domicile
à l'hôpital, à moins que, comme en Angleterre, il n'existe
un grand nombre de ces véhicules, ayant chacun une couleur
spéciale affectée exclusivement à la même maladie. Ces voi-
tures ou ces brancards doivent être construits et agencés de
telle sorte que leur désinfection soit rapide, facile, peu coû-
teuse. Les parois intérieures et extérieures doivent être im-
perméables, peintes et vernies ; les tissus de laine ou autres
en seront proscrits ; les garnitures des coussins doivent
ê(re mobiles, et exclusivement en cuir ou en toile vernis,
faciles à laver à grande eau ou à l'éponge avec des solu-
tions d'acide phénique ou de chlorure de zinc à 2 0/0 (2).
L'intérieur doit pouvoir être lavé à grande eau, à l'aide de
pompes à incendie. Les acides nitreux, hypoazotique, sul-
fureux, à l'état de gaz, l'acide phénique en vapeurs obte-
nues en brûlant 5 à 10 grammes d'acide cristalHsé sur une
pelle rougie, sont des agents très utiles pour désinfecter
les voitures tendues d'étoffes et capitonnées. Les wagons
(1) A.-J. Martin, Le transport (les personnes atteintes de maladies
contar/ieKses [Revue dltygiène et de police sanitaire, 1880, p. 138).
(â) A. Collie, On some public health points in the ménagement of a
smaU-pox Hospttal. [Médical Tinws and Gazelle, 5 juin 1880, p. (303-678,
et Rei'ue d'hygiène et de police sanitaire, 1880, p. 816.)
524 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
de voyageurs ou de bagages, quand ils ont reçu des
malades suspects, pendant une guerre ou une épidémie,
doivent être désinfectés comme les autres locaux. Une com-
mission spéciale nommée à cet effet aux États-Unis vient
de consacrer un long mémoire à cette question (1). En Rus-
sie, après la guerre contre les Turcs, on y faisait des fumiga-
tions d'acide sulfureux, d'acide phénique cristallisé jeté sur
une plaque rougie, d'acide hypoazotique, de chlore, etc.
LeDr y. Fatio (:2), deGenève, a communiquéàl'Académie
des sciences (12 avril et 26 octobre 1880) le résultat
d'expériences dont il a été chargé par le département fédé-
ral du commerce et de l'agriculture en février 1880. Il a
fait voir que 50 centimètres cubes d'acide sulfureux anhydre
ou liquide par mètre cube d'air, suffiraient à tuer en deux
heures le phylloxéra et ses œufs dans un wagon fermé ; les
mêmes effets mortels pouvaient être obtenus immédiatement
à l'air libre, en pulvérisant contre les parois d'un wagon
découvert, à 40 ou 50 centimètres de distance, la même
dose d'acide liquide par mètre carré de surface. Il a répété
ces expériences dans un espace de 6 mètres cubes 15, qu'on
avait soin de clore très imparfaitement ; la dose de 50 cen-
timètres cubes d'acide liquide par mètre cube d'espace suffit
à tuer en quelques minutes soit le phylloxéra, les insectes
mous de nature analogue et leurs œufs, soit tous les végé-
taux purement herbacés ; les graines parfaitement sèches
soumises à la même influence ont pu toutefois germer et
pousser après cette désinfection.
Il serait désirable que les mêmes expériences fussent
faites sur les germes microscopiques, sur les microbes, les
virus, etc. L'auteur a vu que la destruction de la vie
ou de l'activité est d'autant plus prompte et plus cer-
taine,, que les corps exposés étaient plus humides et
(1) The Sanitarinn, New-York, 1882.
(2) D'' Fatio, Dcsinfeclion défi véhicules par l'acide sulfureux anhydre
[Archives des sciences de la bibliothèque universelle de Genève, avril ol
novembre 1B80 ; cl La Nature, 2 juillet. 1881, n° 422, p. 70).
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE. 525
pénétrés de liquides. Toutefois, l'humidité excessive de
l'atmosphère fixe une partie des vapeurs d'acide sulfureux
et diminue d'autant l'action sur les objets qu'on veutdétruire
ou désinfecter.
M. Fatio emploie un flacon muni d'une lance articulée,
et injecte sous pression la dose de fluide désinfectant qui lui
paraît nécessaire; les 50 centimètres cubes d'acide liquide
qu'il emploie par mètre cube d'espace, correspondent à la
quantité d'acide sulfureux développé par la combustion de
33 à 36 grammes de soufre dans un mètre cube. Le jour
où la fabrication de l'acide sulfureux liquide se sera géné-
ralisée et où le prix de ce produit sera notablement
abaissé, il sera sans doute possible de recourir à ce moyen
de désinfection pour les voitures destinées au transport des
malades; actuellement, l'acide sulfureux ne peut être
employé qu'à l'aide de la combustion du soufre à l'air
libre.
L'emploi de ces divers agents ne présente d'ailleurs ici
rien de particulier et nous renvoyons au chapitre consacré
à la DÉSINFECTION DES LOCAUX. Il cu cst (\q même pour les
navires (1) qui servent si souvent à l'évacuation des
malades, dans les épidémies au cours d'une campagne
(désinfection des navires). La désinfection est aussi indis-
pensable ici que dans une salle d'hôpital infectée, une
prison, et tout local où a régné une maladie contagieuse.
ART. VU. — DE LA DÉSINFECTION OBLIGATOIRE DES
MALADES, ETC.
France. — Tandisque, depuis une époque si reculée, des
lois et des règlements de police imposent la désinfection
(1) Miller et Kowalew-Runski, Note sur ra<isainissement des bateaux à
vapeur employés au transport des malades de l'armée russe de la Tur-
quie d'Europe aux ports russes de la mer Noire ; analyse par M. le D'
Milliot [Nice médical, 1879, p. 149, et Gazette médicale de Paris, 1879.)
523 DÉSINFECTION N080C0MIALE.
des écuries, desétables des voitures publiques où ont séjour-
né des animaux atteints de maladies contagieuses, et em-
pêchent la libre circulation de ces animaux sur les marchés
et les voies publiques, en France, il n'existe à notre con-
naissance, en dehors des prescriptions quarantenaires, au-
cune loi qui prescrive les mesures de désinfection pour
les hommes malades et les objets qu'ils ont contaminés. Au-
jourd'hui, dans notre pays, un varioleux ou un scarlati-
neux en pleine desquamation peut circuler dans nos
rues, entrer dans un musée, une éghse, une salle de con-
cours, de spectacle ou de restaurant ; il peut venir secouer
sur nous la poussière de ses habits et semer la maladie au-
tour de lui, sans qu'aucun règlement de police, sans qu'une
loi punisse ce délit contre la sécurité publique. S'il meurt,
sa famille pourra impunément vendre à l'enchère la cou-
verture, l'oreiller, les vêtements souillés encore de pus vi-
rulent ; presque partout l'hôtelier pourra, vingt-quatre
heures après le décès, louer la chambre à un voyageur de
passage ou à un nouvel occupant qui emménagera avec
toute sa famille. En wagon, en diligence, en omnibus,
nous sommes exposés à être enfermés côte à côte en hiver,
toutes issues fermées, avec un malade ou un convalescent
qui promène librement sa variole ou sa scarlatine ; il nous
arrive fréquemment de monter dans une voiture de place
que vient de laisser libre un même malade qui s'est fait
conduire à l'hôpital ou dans une maison de santé.
Quelques personnes étrangères à la médecine qui lisent
ces lignes trouveront peut-être que cette liberté, que cette
absence de prohibition est une chose toute naturehe ; la
crainte de porter atteinte à la liberté individuelle ne doit
pas faire oublier le droit qu'a la collectivité de ne pas
être victime.de l'imprévoyance ou de la négligence d'un
seul. Toute comparaison gardée, en quoi la liberté indi-
vidueUe est-elle plus atlehite parce qu'il sera défendu à cet
homme de renvoyer à l'école son fils couvert encore de
DÉSINFECTION OULU.ATOIHE. 527
BqLiaines variolcuses, que parce qu'il n'a pas le droit d'at-.
teler son cheval morveux à sa voiture ou de conduire un
mouton charbonneux au marché? Espérons qu'un jour vien-
dra oi!i les hommes seront aussi bien protégés que les che-
vaux et les moutons contre la transmission des maladies
contagieuses. Actuellement les Français ne sont guère
garantis que par l'article 1382 du Code civil, qui rend
chacun responsable du préjudice causé à son voisin : le
particulier à qui un voisin imprudent a donné la variole,
peut à ses risques et périls lui intenter un procès et de-
mander des dommages-intérêts, mais les représentants de
la loi et de l'autorité publique ne prendront pas l'initiative
d'une poursuite.
Nous n'avons pas à parler des règlements qui régissent
certaines administrations particulières, telles que les hôpi-
taux, les lycées, les prisons, etc. ; là encore il y a des lacunes
des imperfections à signaler. Nous devons nous restreindre
aux prescriptions émanées des pouvoirs publics et pouvant
avoir une sanction pénale. Quelques tentatives ont été faites
en ce sens dans ces dernières années par certaines muni-
cipalités, et les signaler c'est peut-être exciter à de nou-
veaux efforts.
Au cours de l'épidémie de variole qui sévissait en cette
ville et à la suite du rapport de M. Gibert sur la propaga-
tion de la variole par les chiffons et vieux vêtements, la
municipalité de Marseille prit, en 1819, un arrêté ordon-
nant la désinfection des hardes souillées par les varioleux.
Nous, maire de Marseille, vu la loi des 16-24 août 1790 ; vu la loi du
18 juillet 1837;
Attendu que l'admiaistratiou municipale, en établissant un bureau
gratuit de vaccination, a voulu mettre à la portée de tous les habitants
un moyen efficace de préservation contre les suites dangereuses de
l'épidémie variolique ;
Attendu qu'il y a lieu de rappeler au sentiment de la préservation
sociale ceux qui, par leur insouciance aveugle, compromettent non seule-
. ment leur propre santé, mais s'exposent encore à devenir «ne cause de
danger pour la santé publique ; Arrêtons :
Art. 1. — Les commissaires de pdlice de Marseille sont ténus de ntius
528 - DESINFECTION NOSOCOMIALE
adresser un rapport hebdomadaire relatant le nom et le domicile des
malades atteints de la petite vérole dans leur arrondissement respectif,
ainsi que les mesures sanitaires prescrites par eux et exécutées sous
leur surveillance.
Art. 2. — Les appartements occupés par les varioleux, les objets de
literie, le linge et les vètemenls dont ils auront fait usage durant la
maladie, devront être désinfectes, conformément aux instructions qui
seront transmises aux intéresses par les soins du commissaire de police
du quart er. Les locataires et loueurs en garni pourront être rendus
responsables de la non-désinfection des appartements infectes.
Art. 3. — II est interdit de désinfecter et de laver lo linge et les
liardes, contaminés par des varioleux, dans les buanderies et lavoirs où le
• linge du public est traité.
Art. 4. — Lorsque le malade et sa famille seront indigents, les ingré-
dients chimiques de désinfection pourront leur être délivrés gratui-
tement.
Art. 5. — Il est formellement interdit à tout directeur et directrice
d'école publique de recevoir dans leurs classes des élèves non vac-
cinés.
Art. 6. — Il est formellement interdit aux brocanteurs, fripiers et
chiffonniers d'acheter ou de vendre des objets ayant appartenu à des
varioleux.
Art. 7. — Défense est faite à tout entrepreneur de travaux pour lo
compte de la ville d'employer dans les chantiers ou ateliers des ouvriers
non vaccinés ou non revaccinés.
Art. 8. — Les dispositions des articles 6 et 7 ne sont pas applicables
aux individus précédemment atteints de la petite vérole.
Art. 9. — M. le commissaire central est chargé do l'exécution du
présent arrêté.
Fait à Marseille, le 7 mars 1879.
Signé Ramagxi.
C'est à la suite de cet arrêté qu'on a ordonné, sur un
simple ordre de service, l'incinération des vêtements conta-
minés par les varioleux, et M. le D'' Albenois, directeur
du bureau communal de démographie et de statistique de
Marseille, nous écrit qu'il n'y a pas eu d'arrêté spécial à ce
point de vue. Les indemnités^ pour l'incinération des bardes
de varioleux décédés ont grevé le budget de la ville de
13,000 francs en 1880, ce qui prouve que la mesure a été
appliquée sur une large échelle. Toutefois, elle n'a pas été sui-
vied'une décroissance parallèle de l'épidémie, parcequeson
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE 529
mode d'application laissait à désirer (1). On ne détruisait
que les effets des malades qui avaient succomba, nullement
ceux des malades qui guérissaient; de sorte que les 7/8
des sujets atteints continuaient à souiller l'air par les
germes contenus dans leurs vêtements. D'autre part, on
s'aperçut que les parents ne livraient à l'incinération que
les pièces de vêtements usées ou hors de service, et gar-
daient les vêtements neufs ou en bon élat. La mesure
était donc coûteuse et illusoire, on l'a supprimée, et l'on
fait la désinfection sur place à laide de l'étuve portative
imaginée par M. Albenois et que nous avons décrite plus
haut.
Au Havre, malgré les efforts persévérants de M. Gibert,
et de M. Launay, directeur de la santé et du Bureau muni-
cipal d'hygiène, malgré l'activité et le bon vouloir éprouvé
de M. Siegfried, maire de la ville, l'autorité n'a pris encore
aucune mesure pour rendre la désinfection obligatoire et
donner une sanction pénale à ses instructions. On a cru
préférable d'agir d'abord par persuasion, et M. le D'' Launay,
à qui nous avons demandé des renseignements précis sur
cette partie de son service, nous écrit qu'on a toujours
réussi à obtenir l'exécution des mesures de désinfection en
exposant le but et la nécessité de ces mesures ; les méde-
cins et les agents ont toujours été accueillis volontiers par
les intéressés d'abord et ensuite par les voisins.
Le Bureau municipal d'hygiène du Havre a rédigé et fait
imprimer en 1880 une Instriwtiou sur ladésinfecUon. dans
les cas de maladies épidémiques ou transmissihles ;
cette très courte brochure est claire, sagement écrite.
« Toutes les fois que le bureau d'hygièac re.;oil l'avis d'un cas do
maladie coiUagieusc, ou le buUelin d'un décès occasionne par une affec-
tion zymotique, nous écrit M. Launay, nous adressons immédiatement à
la famille un exempl.iire de cette Instruction. En outre, depuis un peu
plus de deux ans, il existe dans tous les postes de police do la vjlle un
[i)Dul l . de Marseille, janvier LSSl, p. 100,
et Revue d'hyjièns et de police s m taire, 1881, p^ 349.
Vallin. — Désinfectants. 34
530 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
dépôt de matières désinfectantes qui sont renouvelées à mesure des be-
soins par les soins du bureau d'iiyçiène. Ces matières sont les suivantes r
soufre concassé, chlorure de chaux, sulfate de fer, sulfate de zinc, eau
phéniquée à 10 pour 100. Ces matières sont délivrées gratuitement à tous
les indi!,^cnts sur la production d'une ordonnance des médecins trailants.
ou des médecins du bureau d'hygiène, qui indiquent les doses, le mode
d'emploi et surveillent rusago...
Pendant toute la durée de l'épidémie de variole qui a sévi au Havre,
c'est-à-dire depuis janvier 1880 jusqu'à ce jour, nous avons fait désin-
fecter de très nombreux logements d'indigents à l'aide de fumigations
sulfureuses.
Sauf à l'hôpital où fouclionne depuis environ un an une armoire à dé-
sinfection par la chaleur, et un petit local spé' ial pour 'a désinlccLion dos
vêtements des entrants par les vapeurs sulfureuses, nous n'avons rien
en ville pour faire cette opération. La désinlectiod des vêtements et ob-
jets de literie à conserver a donc lieu sur place, soit par fumigation, soit
par immersion dfins un liquide approprié (sulfate de zinc 30 grammes,
sel marin 13 grammes, par litre d'eau); on fait en même temps la désin-
fection du logement.
Chez les indigents, il nous est souvent arrivé de faire détruire par le
feu des vêlements el des objets de literie sans valeur, qui étaient immé-
diatement remplacés par le bureau de bienfaisance ou par les personnes
charitables.
Ce sont les agents de la police municipale, désignes à cet effet, qui opè-
rent et surveillent la désinfection. Dès leçons pratiques leur ont été don-
nées sur place pour l'accomplissement de ce travail qu'ils exécutent avec
le plus grand soin. Ces agents restent donc dans ce cas sous ma direc-
tion et sous celle des médecins du bureau municipal d'hygiène; chaque
désinfection est constatée par un courl procès-verbal.
Notre intervention n'a lieu que dans les habitations des familles indi-
gentes, s,ur l'avis des médecins du bureau d'hygiène et suivant une for-
mule inscrite au bulletin annexe, à joindre à chaque constatation d'une
maladie épidémique ou contagieuse; en voici le modèle, analogue à ceh'i
de Bruxelles :
La désinfection du | A eu lieu — aura lieu — par les soins de 'a-
logement ou des ef- < famille.
fe.ls. I Demande l'intervention de l'autorité.
Moyens de désinfection indiqués :
Employés :
Dans es fa'nilles aisées, la désinfection est aujourd'hui fréquemment
appliquée au Havre par les soins des familles elles-mêmes, sous la direc-
tion des médecins traitants ; un teinlui'ier-dégraisseur, très bien dirigé
par plu-ieurs de nos confrères, est souvent chargé de l'exécution des dé-
tails de l'opération, tant pour les appartements que pour les vêtements
et objets de literie.
Notre distingué confrère, M. Launay, nous excusera
d'avoir reproduit en grande partie les renseignements
qu'il a bien voulu nous adresser sur notice demande ; ces
renseignements nous ont paru intéressants et il nous a
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE. 531
semblé utile d'en faire profiter les lecteurs de ce livre. La
municipalité du Havre qui fait de si i^énéreux efforts pour
perfectionner l'hygiène de la ville, poursuit depuis deux
ans, par la voie de la persuasion, une tentative qui pa-
raît avoir pleinement réussi. Avant de prendre des arrê-
tés concernant la désinfection obligatoire, il faut faire
l'éducation des esprits, modifier les mœurs, faire dispa-
raître les préjugés; c'est peut-être le moyen de rendre un
jour les sanctions pénales inutiles.
A Paris, VOrdonnance du préfet de 'police, en date du
T mailSlS, concernant la salubrité des logements loués en
garni, fait allusion au cas où des maladies contagieuses se
développeraient dans une de ces habitations, et voici ce
qu'elle dit :
Art. 12. Tontes les fois qu'un cas de maladie épidémiqne ou conta
gieiise se sera manifesté dans un i^arni, la personne qui tiendra ce garni
devra en faire immédiatement la déclaration au commissaire de police de
son quartier ou de sa circonscription, lequel nous transmettra cette dé-
claration.
Un membre du conseil de salubrité sera délégué pour constater la gra-
vité de la maladie et provoquer les mesures propres à en prévenir la
propagation.
L'on voit que l'ordonnance ne prononce pas même le
mot de désinfection. Cependant, depuis quelques années,
à Paris, le commissaire de police sanctionne les pres-
criptions faites par le membre du conseil d'hygiène délé-
gué d'après l'aiHicle cité, et impose les mesures de désin-
fection qui auront pu être jugées nécessaires.
Plus récemment, le Préfet de police, qui a tous les droits
attiMbués aux maires par les lois des 16 et 24 aoi^it 1790
et du 18 juillet 1837, a rédigé, en date du 20 février 1880,
une Instruction sur les préca utions à prendre concer-
nant la variole, qui contient les paragraphes suivants ayant
trait à la désinfection :
532 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
INSTRUCTION
sur les précautions à prendre concernant la variole.
Après cvacuatiou de la chambre contamiuce par le malade, on pla-
cera aux quatre coins quatre terrines contenant chacune un kilogramme
de chorure de chaux et, dans ce chlorure, il sera versé environ 2o gram-
mes d'acide chlorhydrique étendu d'un décilitre d'eau. La chambre res-
tera fermée 48 heures. Elle sera, immédialement après, lavée à l'eau phé-
niquce.
Le meilleur mode de désinfection des objets qui ont été en conlact
avec le malade consisterait à les maintenir quelques heures dans une
ctuve à 113" environ. Si celte mesure ne peut être prise, on procédcia
comme il est dit ci après. Tous les linges, les matelas (enveloppe et
laine), etc., seront submergés dans de l'eau phéniquée au centième. Les -
meubles resteront exposés aux vapeurs de chlore qui se dégageront du
chlorure de chaux pendant les 48 heures. Les habits, robes, etc., seront
suspendus dans la chambre pendant le même laps de temps.
Les balayures et les papiers de tenture qui auiaiont. été arrachés
seront détruits par le feu et non jetés aux ordures.
Pour le transport d'un malade a l'hôpital, on emploiera de préférence
le branrard et surtout le brancard à roulettes, s'il en existe un au com-
missariat ou dans un poste de police voisin. Ce brancard sera ensuite
désinfecté avec soin. Si ce transport ne peut avoir lieu que dans une
voilure de place, le cocher recevra l'ordre de battre et de brosser les
coussins elles parois de sa voiture.avant do prendre d'autres voyageurs.
Quand un décès par variole a eu lieu, la notification
arrivée l'état civil; le commissaire de police, averti, fait
distribuer l'instruction précédente aux personnes qui
habitent la maison, et pi^évient l'un des membres de la
commission d'hygiène de l'arrondissement; ce membre
vient par lui-même s'assurer que les mesures conseillées
ont été bien exécutées : en cas de négligence ou de re-
fus, le service de la police fait opérer la désinfection par
ses agents.
On ne peut méconnaître que les moyens de désinfection
indiqués dans l'Instruction sont tîncore assez insuffisants.
La submersion des matelas (enveloppe et laine) dans de
l'eau phéniquée au 100" est un moyen peu pratique et d'une
efficacité qui n'est pas absolue. Qui oserait dire qu'une
voiture de place sera désinfectée après le transport d'un
varioleux, quand on en aura battu et brossé les coussins et
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE. 533
les parois? Ce n'est là qu'un commencement ; c'est le
moyen d'introduire peu à peu les habitudes de désinfection
dans nos mœurs, ce n'est pas une désinfection définitive.
Le Règlement du 31 août 1863 sur les hôpitaux mili-
iaires, consacre plusieurs articles à la désinfection des
effets et des locaux.
Art, 324. Lorsque les effets en laine ont besoin d'être désinfectés, la
désinfecliou est prescrite par le médecin en chef, et est exécutée sous la
direction du pharmacien en chi'f, d ns le local à ce destiné, en se con-
formant aux procédés indiqués dans la notice n" 8, faisant suite au pré-
sent règlement. Il en est de même de la laine des matelas, après un ser-
vice prolongé dans les salles.
Art. 6.o5. Les salles blanchies à l'eau de chaux reçoivent un premier
blanchissage au commencement du printemps, et un second au commen-
cement (le l'automne, lorsque c la est reconnu nécessaire; celles peintes
à l'huile sont entretenues par dos lavages fréquents. Les corps des latri-
nes sont toujours blanchis aux deux époques indiquées ci-dessus; les
enceintes, les corridors, les vestibules ne sont blanchis que lorsque la
nécessité en est reconnue. On a soin de faire gratter les murs avdnl d'ap-
pliquer le nouvel enduit.
Art. 656. Les fournitures de coucher sur lesquelles un malade est dé-
cédé sont immédiatement enlevées et remplacées; la toile des malelas est
lavée, ainsi que celle de la pai lasse dont la paille est mise hors de ser-
vice. Les autres effets sont exposés à l'air pendant quelques jours et soi-
gneusement nettoyés; ils sont désinfectés, ainsi que li lame et le crin
des matelas, si le médecin en chef le juge nécessaire. Dans le cas où,
par suite de maladie contagieuse, ces effets ne peuvent être désinfectés,
ils sont brûlés suivant les formalités prescrites à l'article 381 du présent
règlement.
L'article 657 prescrit les mêmes recommandations pour les effets de
coucliage des sortants.
Nous avons reproduit (p. 504) la Notice n" 8, indiquant
la manière de procéder aux opérations de désinfection des
vêtements. A ces indications sommaires se borne ce qui
concerne la désinfection dans les hôpitaux militaires; les
médecins de l'armée sont d'ailleurs restés presque complè-
tement étrangers à la rédaction de ce règlement.
Pays-Bas. — L'une des meilleures lois qui règlent la
désinfection obligatoire à la suite des cas de maladies
contagieuses de l'homme, est assurément celle que le
gouvernement des Pays-Bas a édictée il y a peu d'années,
S34 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
et qui est connue sous ce titre : Loi de prévoijance contre
les maladies contagieuses, du 4 décembre 1872. Nous
croyons devoir en reproduire ici un certain nombre d'ar-
ticles où il est question plus particulièrement des mesures
de désinfection.
LOI HOLLANDAISE DU 4 DECEMBRE 1872.
Art. 2. Le bourgmestre est autorisé, après avis d'un méitecin, à faire
transporter les malades atteints de maladie contagieuse (choiera, typhus
et fièvre typhoïde, variole et varioloïde, rougeole, diphlhérie, scarlaiine),.
et qui se trouveraient dans un logement, aux hôpitaux publics institués
dans ce but, pourvu que la situation du malade le permelte. Les frais
de transport sont, en cas d'indigence, à la charge des cummunes.
Art. 3. Le bourgmestre est autorisé à ordonner des mesures de désin-
fection dans les logements mentionnés à l'article précédent, sur l'avis de
l'employé médical, pour prévenir le développement de la maladie, et en
cas de besoin, de les exécuter d'office. En cas d'opposition à cette me-
sure, le bourgmestre fermera ces logements pour un temps désigné d'ac-
cord avec l'employé médical.
Art. 4. Le bourgmestre est autorisé, sur le rapport de ce fonctionnaire
ou d'un médecin de la commune, à nettoyer et à désinfecter, aux frais
de la commune, les maisons, cabanes et bateaux, qui constitueraient
des foyers de contagion ou qui menaceraient de le devenir.
Art. 5. Le bourgmestre est autorisé à faire désinfecter, aux frais de la
commune, tout objet contaminé ou soupçonné de l'être, ou de les dé-
truire après en avoir fait l'acquisition.
Art. 6. Après l'apparition de la maladie contagieuse, les bourgmestres
et les échevins peuvent faire enlever aux frais de la commune tout entas-
sement de fumier ou d'immondices, en quelques lieux qu'ils se Irouvent;
nelloyer les égouts et les canaux et prendre toutes mesures en faveur de
la propreté publique. Toutefois, l'intéressé aura préalablement été mis
en demeure d'y pourvoir à ses propres frais dans un délai fixé...
Art. 9. Le transport des malades aux hôpitaux ou à leur demeure est
permis en se conformant au'c prescriptions indiquées dans les ordonnan-
ces royales... Ce transport est défendu par les moyens dont le public
fait usage. Les voitures ou bateaux par lesquels le transport a eu lieu
doivent être immédiatement désinfectés par les soins et aux frais du pro-
priétaire...
Art. 14. Les habitants des maisons et bateaux où ont sévi des mala-
dies contagieuses, ne pourront fréquenter les écoles que huit jours après
la terminaison de la maladie et avec une dérlaration écrite d'un méde-
cin. Ce; le défense cessera aus-itôt que la désinfection aura eu lieu, selon
l'article 25 (îe cotte loi. Le premier paragraphe de cet article n'est pas
applicable dans les maladies sus-dénommées, pour les écoles exclusive-
ment fréquentées par des élèves âgés de plus de douze ans...
Art. 23. Les prescriptions concernant la manière de brûler ou détruire
de toute autre façon les objets saisis d'après la présente loi, la désinfec-
BESINFECTIOX OBLIGATOIRE. ."35
lion tles objets susp'^cts désignés à l'arlicle 8, celle des bâtiments, vélii-
■cules ou bateaux, la mise hors d'ctal de nuire de las de fumier ou d'im-
mondices, le placement et la disposition d(-s marques dont il s'agit à l'ar-
ticle 20 fafliches portant : Mala'lies conlighusei), seront rù-jd.is par nous.
Art. 30. Les contraventions aux stipulations précédentes seront punies
d'une amende de o à 100 florins, et de un jour à un mois do prison
(suit le détail).
Donné à La Haye, le 4 décembre 1872.
Glillaume.
A cette loi, se trouve annexée une Instruction indi-
quant les règles à sui\re pour assurer la désinfection des
personnes et des objets suspects.
IXSTRLCTIOX AXXEXÉE AU DÉCRET ROYAL DU 17 AVRIL 1873,
Concernant la combiisUon et l'incinération des objets infectés, conformé-
ment à la loi du 4 décembre 1872. (Bulletin des lois du royaume des
Pays-Bas, n" 43.)
La combustion ou la désinfection des objets infectés ou expropriés, aura lieu
dans un ou plusieurs endroits, désignés par le bourgmestre, de manière
que la sauté pub'iquc n'en soit nullement mise en d^m^ier.
Avec l'approbation du bourgmestre et sous sa surveillance, la rlésin-
fection pourra également avoir lieu dans des établissements particuliers,
disposés pour cet usage, ou dans la maison et les dépandaiices où se
trouvent les objets infectés.
g l. Hardes, tant habillement de dessous que de dessus et literie, nom-
mément : draps, taies d'oreillers, courtes-pointes, couvertures. Les effets
de na ure à être lavés, draps et taies d'oreillers, seront rapidement plongés
dans un seau contenant une solution suffisante d'acide ph 'nique (à 4 0/0.)
Puis ils seront lavés dans de l'eau chaude et ensuite soumis à l'ébuUitioa
pendant un quart d'heure dans cette même eau; enfin, ils seront nettoyés
dans de l'eau froide.
Les pièces qu'endommageraient la lessive et l'ébullition seront furaigées
au gaz acide sulfureux ou à l'acide phénique, ou humectées avec une
solution de ce dernier acide, pourvu que la nature de l'étoffe admette
l'un ou l'autre de ces moyens.
Les effets de dessus des personnes qui ont été en contact avec les
malades ou avec les cadavres, en cas de maladie contagieuse, seront mouil-
lés avec une solution d'acide phénique, puis brossés et exposés à l'air.
Matelas, traoersins, oreill''rs, lits. Les plumes, la laine et le crin
seront étendus dans un local aéré et ariosés deux ou trois fois avec une
solution d'acide phénique ; ils seront bien imprégnés et remués à l'aide
d'un râteau, plusieurs fuis par jour. Puis on f^•ra sécher et l'on mettra
à l'air les objets nettoyés. On pourra également recourir au nettoyage
â la vapeur; l'emploi de cellc-d est obligatoire pour la désinfection
de tout remplissage de matelas, traversins, oreillers, comme paille,
varech, fougère, etc.
Les sommiers élastiques seront arrosés d'une solution d'aciJe phénique
536 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
do force double ; par conséquent de une partie d'acide phéniq-ie sur
vinql-cinq parties d'eau, ou 1/4 de kilogramme sur un demi- seau rrcau.
Ensuite ils saront sécliés, é,ioussetés et expoiés à l'air.
Bois de lits. Les bois de lits, coiicheties, berceaux, nattes, bamacs, lits
de camp, même déjà fumigés, seront frottés aussitôt que possible avec de
l'eau plicniqucc, nettoyés avec do l'eau, ensuite lavés avec du savon,
scchés et acres.
Meuble^, ustensiles de ménage et autres petits objets. Les objets qui ne
peuvent être lavés devront subir une fumigation parle gaz acide sulfureux;
les meubles d'acajou et d'autre bois fin seront soumis à cette fumigation,
à moins qu'ils ne proviennent d'un appartement déjà fumigé.
Les objets qui ne peuvent être ni lavés ni fumigés au gaz acide sulfu-
reux, d àvent cire exposés à des fumigations d'acide phénique, et épon-
gés avec une solution pbéniquée.
Les papiers, livres, journaux, portefeuilles seront ouverts ou dévelop-
pés, puis exposés aux vapeurs d'acide phénique.
Les instruments, par exemple les instruments de chirurgie et d'ob-
stélrique, seringues, outils d'arlisan, seront lavés avec de l'eau phcniquée.
Les marchandises qui doivent être désinfectées seront traitées d'après
leur nature selon les règles ici données.
Objets en contact avec les cadavres. Les tréteaux et couvercles de cer-
cueils, lîs couvertures, manteaux de deuil, seront humectés avec une so-
ution d'acide phénique, puis brusscs.
I !2. Déjections des malades. En cas de choléra asiatique ou de fièvre
typhoïde, on versera dans les pois où seront recueillies les déjections
environ un verre à bière d'une mixture de sulfate de fer et d'acide phé-
nique. Les vases devront être directement portés hors de l'appartement,
nettoyés et garnis par avance de ladite solution. L'éloignement de ces
matières et des eaux de lavage se fera de telle manière que la santé pu-
blique n'en soit pas mise en danger; on évitera de les jeter dans les
égouls ou dans les eaux publiques.
En cas de scarlatine ou de diphlhérie, les matières provenant de la
cavité nasale, de la bouche et de la gorge on de la trachée, lorsqu'elles
auront été recueillies dans des vases, crachoirs, etc., seront traitées comme
les déjections des cholériques. Si ces matières sont recueillies sur des
linp'cs de colon nu de toile, ceux-ci seront soumis à l'ébullition pendant
une heure, à moins qu'on ne préfère les brûler.
Les eaux de lavage ou de pansements à la suite d'autres maladies
contagieuses seront désinfectées par l'addition d'eau phéniquée,
g 3. Rèr/les concernant la désinfection des locaux. On éloignera d'un
appartement qui doit être désinfecté tout ce qui pourrait être endomma;,'é par
le gaz acide sulfu.-eux, tels que objets dorés, étoffes teintes de coton,
de toile, de soie, de laine et de velours. Sauf la literie, on peut laisser
dans l'appartement les autres objets de couchage, tels que couvrtures,
courtes-pointes de coton ou de soie teintes. Tous ces objets, de même que
les meubles de l'app^irtement, qui de plus pourront être lavés et désin-
fectés à l'acide phénique, seront traités selon les règles données au
paragraphe 2.
Après que les fenêtres, la cheminée et autres ouvertures auront été bien
closes, on placera dans l'appartement un récipient contenant de la braise
sur laquelle on répandra du soufre en fragments. L'appartement restera
fermé pendant 6ou Sheures. Ensuite la cheminée etles autresbaies seront
DESINFECTION OBLIGATOIRE. 537
flosobslruées et les fenêtres restcronl ouvertes pendant quelque temps. Puis
les tapis de pieds, s'il y en a dans l'appartement, seront enlevés et épousse-
tcs en plein air. Le plancher ou le parquet, li boiserie, le plafond, se-
ront froitôs avec de l'eau pliéniquée, lavés à l'eau simple, puis à l'eau de
savon. Ensuilc l'apparlemonl sera largement aéré. Les chambres où se
trouvent des malades seront désinfectées à l'aide de fumii;ations d'a-
cide phonique, de manière que l'odeur en soit sensible sans incommoder
les malad' s. Devant la partie extérieure de la porte d'une chambre de
malade, on suspendra un drap plus grand que la porte, trempé dans de
l'eau phéniquce et qui en sera tenu mouillé.
Dans un appartement où se trouve le cadavre d'une personne morte de
maladie conlaj,'ieuse, on dégagera des vapeurs d'acide phénique. Les habits
et la couverture du cadavre seront humeclés avec une solution phéniquce.
An fond du cercueil, on répandra de la sciure mêlée d'acide phénique
(loO grammes d'acide pour !2 litres de sciure.)
Entre les plis des vêtements et du linceul, ou répandra le même mé-
lange.
Quand le cadavre aura été éloigné de l'appartement, on y fera des fu-
migations d'acide plitnique. Si l'appartement a servi comme chambre de
malade, on procédera selon les règles prescrites plus haut
Les maisons où on dépose des cadavres seront désinfectées avec du
gaz acide sulfureux.
§ -4. Règles concernant la désinfection des voitures et bateaux. Les voi-
tures ou bateaux ayant servi au transport d'un malade ou d'un cadavre
seront désinfectés, après chaque transport, par des fumigations d'acide
phénique. La boiserie intérieure sera ensuite frottée avec de l'eau phéni-
quée. Ces voitures ou bateaux tendus de drap, peluche, velours, soie,
damas ou coton, ne peuvi'nt être exposés au gaz acide sulfureux.
Les objets existants dans la chambre du bateau qui a servi à trans-
porter un malade ou un cadavre, seront traités comme ceux d'une chambre
de malade.
Les caisses, paniers, chariots, brouettes, traîneaux, brancards, dans
lesquels des objets infectés ont été transportés, seront, après chaque
transport, fumigés au soufre dans un local fermé, et ensuite frottés avec
de l'eau phéniquce.
§ 5. Règles concernant l'assainissement des fumiers et autres agglomé-
rations d'ordures.
Fumiers, tas d'ordures. Quand l'enlèvement n'est pas possible ou est
inopportun, les tas d'ordures, fumiers, ou immondices, seront cou-
verts d'une couclie de charbon, de poussière de tourbe, de cendres ou de
terre, ou bien de gazons.
Quand, après l'enlèvement, la désinfection est nécessaire, elle sera faite
avec un mélange de sulfate de fer et d'acide phénique.
Etables à cochons et autres an'maux, à proximité des habitations.
Chaqu'î jour le fumier et les ordures seront enlevé-, les c.ables seront
nettoyées. Tout autour on arrosera avec de l'eau phéniquée.
Cabinets d'aisances, égouts, puisards, tuyaux, conduites d'eau, fosses.
Les cabinets d'aisances, urinoirs, fosses mobiles et puisards, surtout les
parois des entonnoirs, seront désinf -ctés avec une quantité suffisante du
mélange de sulfate de fer et d'acide phénique. Les amas provenant du
curage des égouts, puisards et conduites d'eau, seront traités selois les
règles concernant les fumiers et les tas d'ordures. Ensuite ils seront lar-
538 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
gement arrosés d'une quantité de la mixture de sulfate de fer et d'acide
carbolique. Cette opération sera renouvelée chaque jour.
De même, les fosses seront curées, et l'on y jettera de la solution
de sulfate de fer, jusqu'à ce que l'odeur ait disparu. On recommencera
toutes les fois que la mauvaise odeur reparaîtra.
Les balayures des rues, ruelles, passages, couloirs ou portes, après
avoir été enlevées, seront traitées selon les règles concernant les amas d'or-
dures. Ensuite, les places où ces ordures ont été déposées seront arrosées
avec une solution d'acide phénique, lavées et frottées.
Quand des lombes devront être désinfectées, on les couvrira d'une
couciie de cliarbon, poussière de tourbe ou cendres, d'au moins un dé-
cimètre d'épaisseur ; on disposera par dessus de la terre ou du gazon. La
ten-e sera ensemencée de plantes luxuriantes.
Notre ami, M. leD''Ruysch, inspecteur adjoint des pro-
vinces duBrabantetdu Limbourg, en nous envoyant la tra-
duction qu'il a bien voulu faire pour nous des Instructions
qui précèdent, ajoute les observations suivantes : « Le con-
seil des inspecteurs médicaux de l'État, présidé par le
Ministre de l'intérieur, a compris que ce règlement a be-
soin d'être revisé. Dans notre dernière séance annuelle,,
qui a eu lieu à La Haye, le comité a nommé une com-
mission de revision, composée de MM. les inspecteurs
Lubach, Dozy et Riiysch. Nous déposerons notre rapport
d'ici peu de temps et nous demanderons probable-
ment la construction obligatoire d'étuves à désinfection
par la chaleur, dans chaque hôpital, garnison, station ma-
ritime et quarantenaire, suivant le modèle que j'ai décrit
dans ma hrochure : Jets over onts-metting (1). »
Belgique. — Toutle monde sait avec quelle perfection est'
organisé le bureau d'hygiène de Bruxelles par son savant
directeur, le Dr Janssens, et avec quelle précison il fonc-
tionne. Ce n'est pas le lieu d'exposer cette organisation :
nous nous contenterons de rappeller ce qui concerne les
mesures de désinfection.
En vertu de \ Arrêté royal du 31 mal 1848, sur la pré-
(1) Voyez l'analyse de ce travail, Revue d'hygiène el de police sani-
taire, 1881, p. 807.
DESINFECTION OBLIGATOIRE. 539
:servalion des maladies épidJmiques etconiafjieuses, et par
un arrêté du collège des bourgmestres et échevins de la
ville de Bruxelles, tout médecin qui a été appelé à donner
ses soins à une personne atteinte de maladie contagieuse
ou transmissible, doit envoyer immédiatement au bureau
d'hygiène un Avis sanitaire donnant l'indication de la
maladie et l'adresse exacte du malade. Sous la rubrique :
Observations, il indique s'il y a ou non possibilité d'isoler
complètement le malade dans son habitation ; si des mesures
spéciales d'assainissement et de désinfection sont néces-
sitées par l'état du logement, des égouts, par la qualité
de l'eau à boire, etc. ; si le patient, en cas de variole, a
été ou non vacciné ou revacciné, si la désinfection a eu
lieu ou doit avoir lieu par les soins de la famille, quels
sont les moyens de désinfection indiqués ou employés.
Au bout de quelques heures, ces renseignements arrivent
au bureau d'hygiène, qui envoie immédiatement un méde-
cin divisionnaire pour faire une enquête et des agents pour
exécuter tous les travaux ou opérations de désinfection et
d'assainissement qu'il a jugés nécessaires. En même temps
un avis est adressé à M. Van Mierlo, ingénieur du service
des égouts, lequel fait procéder par des employés de la
voirie à la désinfection des égouts publics situés dans le
voisinage de la maison contaminée, ainsi que des latrines
et branchements d'égouts qui existent dans l'habitation
même.
L'état de ces latrines, urinoirs, puisards, embranche-
ments d'égout, fait l'objet d'une enquête spéciale, qui porte
principalement sur le degré d'immersion des sterfpusts
ou coupe-air destinés à intercepter toute communication
entre les gaz de l'égoût public et l'air de l'habitation ; un
bulletin signé par le conducteur, visé par l'ingénieur de
service, et constatant cet état, est envoyé immédiatement au
directeur du bureau d'hygiène. Ce dernier transmet ces
documents au bourgmestre, qui, dans la même journée.
MO DESINFECTION NOSOCOMIALE.
prescrit par un arrêté les travaux à faire, sanctionne ceux
qui ont été déjà faits et met les dépenses à la charge de
qui de droit (1). Tout cela se fait rapidement, sûrement,
sans protestation, parce que tout le monde en reconnaît la
nécessité, et que l'opinion publique, mieux éclairée à
Bruxelles qu'ailleurs, se prononcerait contre les récalci-
trants. Les vêtements appartenant ou ayant appartenu aii
malade sont portés dans des étuves désinfectantes à l'air
chaud, complètement gratuites ; ce sont les fours Léoni,
dont nous avons donné la description plus haut.
Les linges sont plongés dans un seau contenant une
solution de chlorure de zinc. Une histruction autogra-
phiée pour l'emploi des désinfectants est distribuée à
toutes les personnes intéressées : elle contient un grand
nombre des prescriptions reproduites dans l'Ordre du Con-
seil sanitaire de l'Etat de l'illinois, qu'on trouvera plus loin.
Nous croyons utile de donner ici le fac-similé du bul-
letin de désinfection établi à l'occasion de chaque cas de
maladie transmissible, à Bruxelles :
PROPHYLAXIE DES MALADIES TRANSMISSIBLES
Désinfection.
En conformilé de l'art. 13 des instruclions qui régissent le service mé-
dical de l'état civil, et des ordres de Service des 5 Août 1879 et 5 Jan-
vier 1881, je soussigné, porte à la connaissance de M. le commissaire de
police de la e Division que les mesures de désinfection suivantes ont
été prescrites à l'occasion.
,, l cas j
d un • j , . de
/ deces
Signalé au bureau d'hygiène le
Dans la maison sise n» " étage.
(1) Nous remercions ici notre excellent confrère et ami, M. Janssens, des
renseignemcnis qu'il a bien voulu nous adresser sur noire demande. On
consultera avec fruit la brochure suivante : Prophylaxie administrative
contre la propagation des malaiies contagieuses et spécialement delà va-
riole, par le Dr E. Janssens {Rapport pri^senté à l'Assemblée nationale
scientifique d'hygiène et de médecine publique de 1880; Bruxelles, 1880.)
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE. 541
,, , . 1 fuiui''atioiis sulfureuses.
Habitation j f^^^^;^,,^;^,,, phcuiquccs.
Lieux d'aisances, cgouts : Sulfate de fer 1 kilog. par 10 litres d'eau.
Linges, etc., 240 grammes de sulfate de zinc et 120 grammes de sel com-
mun par 10 litres d'eau. Solution de chlorure de chaux. Ébillition.
Autres moyens
Bruxelles, le 188 a heure.
Le médecin de la " Division.
Transmis à M. l'Inspecteur en chef du service d'hygiène avec information
que les mesures indiquées ci-dessus ont été appliquées le IfeS .
Bruxelles, le 188
Le Commissaire de police,
D'autre part, le bureau d'hygiène met à la disposition
des médecins et des particuliers des bulletins dits d'assai-
nissement des rues ou impasses et des habitations insa-
lubres. Ce bulletin contient dans autant de cases renon-
ciation des principales causes d'insalubrité : humidité, dé-
faut d'aération, encombrement, dépôts de fumiers et
d'immondices, stagnation des eaux pluviales ou ménagères,
malpropreté des chambres, des cours et escaliers, cons-
truction vicieuse des cabinets d'aisances, des urinoirs, des
regards d'égouts, etc. Chacun peut remplir ces bulletins,
signaler au bureau l'existence de la maison ou de l'égout,
et indiquer les mesures de désinfection ou d'assainissement
qui lui paraissent utiles. Le bureau utilise ces renseigne-
ments, qui servent avant tout à attirer son attention sur les
causes d'insalubrité.
Une ordonnance du Conseil communal, du 21 mars 1881,
assure le transport des contagieux exclusivement par des
voitures spéciales appartenant à l'administration. Après
chaque transport la voiture est désinfectée au moyen des
procédés recommandés par le service d'hygiène, et sous sa
surveillance.
542 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
Toute voiture quelle qu'elle soit, qui, en contravention à la présente-
ordonnance, aura servi au transport d'une personne atteinte de maladie
contagieuse ou transmissible, sera soumise à une desinfection immcdiato-
et complète. »
Les infractions seront punies des peines de police, sans-
préjudice des mesures que l'autorité locale croirait devoir
prendre ou prescrire dans l'intérêt de la salubrité publique.
Italie. — La désinfection se faisait depuis longtemps, à
Turin, par les soins de l'autorité municipale, et c'est en
voyant le fonctionnement du bureau d'hygiène de cette-
ville, que M. le D'' Janssens, qui a fait une partie de ses
études à cette Université, a eu l'idée de créer à Bruxelles
ce service municipal d'hygiène, à l'imitation duquel se
sont créés récemment ceux du Havre, de Nancy, de Mar-
seille, de Reims, etc.
A Turin, le syndic (maire) a pris depuis de longues
années une ordonnance de police (VII Uffizio, Polizia), dont
voici les termes principaux :
Attendu que le sieur X,.. est déclaré atteint d'une maladie dange-
reuse et transmissible (diffusiva), ordonne ce qui suit : 1° son habita-
tion est interdite. 2" Il egt défenlud'en emporter des objets quelconques,
avant que les opérations de dosinfecLion aient eu lieu. 3° On fermera les
pories et les fenêtres pendant 12 heures ; durant ce temps, tous les objets
et particulièrement ceux ayant servi a l'usage personnel du malade, tels
que paillasse, matelas, couvertures de lit, seront soumis aux fumigations
de gaz chlore ; le linge de corps, avant d'être emporte, sera plongé dans
une solution d'hypochlorite de chanx. 4° Les parois intérieures seront
grattées et blanchies au lait de chaux auquel on ajoute ) OiO d'hypo-
chlorite de chanx. Le sol sera lavé avec une solution d'acide phénique
ou d'hypochlorite de chaux. 5° Ceci fait, on tiendra les fenêtres et les
portes largement ouvertes jour et nuit ; l'on ne pourra y habiter que
quand tout sera bien sec. 6" Les latrines seront désinfectées par de l'acide
phénique ou de l'hypochlorito de chaux. 1" En cas d'infraction, on pro-
cédera aux fins que de droit.
Le bulletin imprimé contenant ces prescriptions se
termine par une constatation, signée par le médecin ins-
pecteur, que les mesures prescrites ont été réellement
appliquées.
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE. 543
Angleterre. — En Angleterre, c'est la loi désignojc sous
le nom de Public Health Act, 1875, qui impose tou-
tes les mesures capables d'empêcher la propagation des
maladies épidémiques ou contagieuses.
L'article 120 autorise les autorités sanitaires à prendre
toutes les mesures nécessaires pour assurer la désinfection
des locaux ou des vêtements souillés par les malades
atteints d'affections contagieuses, pendant le cours de la
maladie, après l'évacuation à l'hôpital, après la mort ou
après la convalescence. Ce sont les employés subalternes
{servants) de l'autorité sanitaire locale qui sont chargés de
ce soin, sous le contrôle des médecins sanitaires. (Médical
officer of Health.)
L'article 122 ajoute qu'il est nécessaire, pour désinfecter
convenablement et rapidement tous les objets matériels,
d'avoir dans chaque ville ou quartier un local et des
appareils affectés spécialement à cet usage, le tout en bon
état de fonctionnement et prêta servir. Partout où cette ins-
tallation n'existera pas déjà, elle devra dorénavant être
assurée. Il vaudra souvent mieux détruire les objets, en
particulier la literie et les vêtements profondément souiUés
quede les désinfecter; l'article 121 donne explicitement ce
droit aux autorités sanitaires, sous la réserve d'indemniser
les intéressés.
L'article 123 de la même loi dit que pour empêcher
la propagation des maladies infectantes par l'usage de
voitures publiques, l'autorité sanitaire assurera des moyens
de transport pour conduire les malades à l'hôpital et les
en ramener.
Les articles 126 à 129 indiquent les pénalités encourues:
1° Par toule personne qui, altcinte d'une maladie infectieuse dange-
reuse, s'expose volontairement et sans prendre de précautions conire la
propagation de cette maladie, dans une rue, une place publique, une
boutiijue, une hôtellerie, une voilure publique, ou qui pénétre dans une
de ces voitures sans avoir averti le propriétaire ou le conducteur qu'il
est dans un tel état de santé;
544 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
2' Toute personne qui, élant chargée de soigner un tel malade, permet
à ce dernier de s'exposer ainsi;
3° Toute personne qui donne, prête, transmet ou expose sans désinfec-
tion préalable, des pièces de literie, de vêlements, de cliiffons, susceptibles
d'avoir été conlamiuées par de tels malades;
4° Tout propriétaire ou conducteur de voiture qui n'a pas as'^uré la
désinfection de sa voiture immédiatement après qu'il a transporté une
personne atteinte d'une maladie contagieuse ;
5° Le propriétaire de toute maison dans laquelle une personne a été
atteinte d'une de ces maladies, qui louera sciemment à prix d'argent celte
maison ou partie de cette maison sans l'avoir auparavant désinfectée,
ainsi que le< objets qu'elle contient, de manière à saLisfaire le médecin
légalement qualifié qui en fera l'inspection ;
6» Toute personne qui, montrant une maison ou une partie de maison
pour la donner en location, fera de fausses déclarations quant à l'exis-
tence lie malades infectieuses, soit actuellement, soit dans les six semai-
nes précédentes.
Nous avons décrit précédemment les lazarets ou sta-
tions publiques de désinfection qui existent dans un grand
nombre de municipalités ou de paroisses en Angleterre
(p. 441 et suiv.); nous n'avons pas à y revenir.
Dans le Règlement du service médical dans Varmée
anglaise (1), la section V consacrée aux maladies infec-
tieuses contient de nombreuses prescriptions concernant la
désinfection (§ 644 à 662). Nous croyons utile d'en résu-
mer ici les principaux articles.
g 044. En cas de maladie infectieuse (choléra, scarlatine, etc.), le malade
sera envoyé à l'iijpital avec sa literie; la paille sera brûlée; le ri^ste delà
literie, ainsi que ses vêlements et tous les effets portés par le malade, se-
ront désinfectes par la chaleur sèche ou par tout autre moyen ; ces piè-
ces spront ensuite plongée, dans l'eau bouillante, et savonnées et lavées.
Les pièces d'équipement qui, par leur nature, ne pourraient subir ce trai-
tement, seront portées à l'hôpital, fumigées, exposées à l'air et au soleil
pendant une semaine, baltucs el brossées. Ces objets ue seront mis en
service qu'après la cessation complète de l'épidémie.
g ()4S. Quand un cas de scarlaline a eu lieu dans une caserne, on évacue
les chambrées, on maintient les fenêtres ouvertes pendant un temps suf-
fisant pour assurer une ventilalion complète. L'équipement, le plancher,
les boiseries peintes seront frottés; la literie, les couvertures seront com-
plètement nettoyées et désinfeclées avant d'être remis en service, les pla-
fonds seront blanchis ; les papiers de tenture, s'il y en a, seront com-
plètement arrachés avant d'èlre renouvelés; s'il n'y a pas de papier, les
murs seront grattés, blanchis ou réparés. Le médecin qui a soigné ou
(il Régulations for thc médical Depnrlmenl of Ber Majesiy's Anni/,
War Office, l'''- novembre 1878, in 8", p. 109.
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE. M5
dvacuo le malade adresse son rapport à l'ofricicr commandant qui assure
l'éxecution des mesures précédentes. Ces opérations seront faites par les
soins du génie. Le renouvellement du papier ou de la pointure sera limité
à la cliambre où le cas a eu lieu.
g 653 à 633. Toutes les fois que celaserajugé nécessaire, les locaux d'une
caserne souillés par une maladie infectieuse seront évacués, laissés inoc-
cupés, blanchis, fumigés, aussi longtemps qu'il le faudra. La literie et les
vêtements qui, dans un hôpital, auront servi à un homme atteint d'une
maladie infectieuse, subiront le même traitement que ci-dessus. Le crin du
matchis sera retiré, mis à l'air, battu, et si cela est possible soumis à la
chaleur sèche, à une température qui ne sera pas inférieure à -f- 100"
centigrades, pendant au moins deux heures. Le reste de la literie, les
couvertures, tous les vètenienls portés par l'homme depuis son admis-
sion à l'hôpital seront également désinfectés par la chaleur sèche ou les
agents chimiques, plongés dans l'eau bouillante, battus à l'air, puis sa-
vonnés à l'eau chaude, etc.
g 6S7. Quand les fumigations seront jugées nécessaires, on les fera
par l'un des procédés suivants :
FUMIGATIONS DE CHLORE.
Sel commun 115 grammes.
Oxyde de manganèse en poudre .... 28 —
Acide sulfurique 28 —
Eau S6 —
On mêle l'eau et l'acide, on verse les sels dans un vase de faïence, qu'on
pose sur un pot rempli de sable chaud. (On ne dit pas malheureusement
pour quel espace cube suffit cette faible quantité do réactifs.)
FUMIGATIONS DE GAZ ACIDE NITREUX.
Rognures de cuivre lo grammes.
Acide nitrique -10 —
Eau 40 —
Versez les liquides sur lo cuivre, dans un petit ballon.
FUMIGATIONS AVEC LE GAZ ACIDE SULFUREUX.
Brûlez deux onces de soufre dans un pot do terre ; on ferme toutes les
ouvertures avant de commencer l'opération et l'on sort rapidement. Au
bout de deux à trois heures, on ventile largement. Les chambrées strout
complètement vidées avant la fumigation. (Le règlement ne dit pas pour
quelle capacité conviennent les doses prescrites ci-dessus.)
Toutes ces opérations seront faites par les subordonnés du service mé-
dical de l'armée. Le commissariat fera face à toutes les dépenses néces-
saires .
États-Unis. — Aux États-Unis d'Amérique, le National
Board of Health, institué à Washington par décret du
Vallin. — Désinfectants. 35
546 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
3 mars 18T9 (1), a pour but principal de prévenir Fintro-
duction des maladies contagieuses et infectieuses aux
Etats-Unis; aussi a-t-il donné une grande importance à
toutes les questions qui concernent la. désinfection en géné-
raF, et celle des navires en particulier.
Ge Conseil a le droit de préparer des ordonnances sani-
taires qui ont force de loi dès qu'elles sont approuvées
par le Président des États-Unis. Plusieurs de ces ordon-
nances sont consacrées à la désinfection, aux cas où elle
est obligatoire, aux moyens à l'aide desquels elle doit être
faite; on en trouvera le texte dans le Bulletin hebdoma-
daire publié régulièrement par le Conseil {National Board
of Health Bulletlri) et dans le volumineux compte rendu
déposé chaque année sur le bureau da Congrès. Mais, outre
ces prescriptions applicables aux provenances extérieures,
aux quarantaines, etc., il en existe d'autres imposées soit
par le Conseil national de santé de Washington, soit par
les Conseils sanitaires de chacun des États-Unis, conseils
institués sur les mêmes bases que le précédent. Dans l'im-
possibilité d'indiquer les mesures de désinfection obliga-
toires prises dans les divers États, nous nous contentons
de résumer les règlements {régulations) édictés par le
Conseil sanitaire de l'État de l'Illinois, en janvier 1882,
pour empêcher l'extension de la variole (2), et qui repro-
duisent en grande partie ceux que la ville de Bruxelles
met en vigueur depuis plusieurs années avec tant de suc-
cès.
1° Dès qu'il est rendu compte de l'existence d'un cas de variole dans
une localité, la vaccination et la revaccina Lion doivent avoir lieu d'une
façon systématique ;
(1) E. Vallin, Le régime sanitaire des Etats-Unis [Revue (Vhijrjiène et de
police sanitaire, 1880, p. 353).
(2) Order, rides and rerjulalions of ihe Illinois Slate of Health, con-
cerning the prévention of Small-Pox, 3 janvier 1882 [National Board of
Health BuJlelin, vol. 3., n°32, 4 février 1882, p. 279, et 10 décembre 1881,
p. 187).
DESINFECTION ODLIGATUIHE. 547
ii" L'isolemcnl des makules tloil avoir lieu prompt jmeiit cl rigoureuse-
■jnent..., nue alHclic porluut le mot Vahioliî est appliiui-e sur la mai-
son, etc. ;
3" La cliambre choisie pour y placer le malade doit cire grande, aérée,
isolée. Tous les orûcments, tapisseries, draperies et tous les objets qui ni
sont pas indispensables doivent être enlevés. La chambre doit être ven-
tilée nuit et jour; rien n'est plus désinfectant que l'air pur. Placez le lit
«autant que possible au milieu de la chambre; évitez cependant les cou-
rants d'air sur le malade; si la chambre du malade communique avec une
autre qui soit occupée, ne laissez ouverte qu'une seule porte pour l'entrée
et U sortie; fixez devant le cadre de la porte des pièces de tissu de coion
dépende valeur, qu'on humecte en pcrm;incnce avec une solution aqueuse
de thymol (thymol 28 grammes, alcool à 8o", 84 grammes; une cuillerée
à thé pour deux litres d'eau), ou de chlorure de zinc (35". .50 pou
deux litres d'eau). Le drap ainsi tendu ne doit pas être cloué par tous les
bords à la porte, mais il doit être laissé libre et flottant du côté de la ser-
rure, pour qu'on puisse le soulever et le porter de côlé en entrant. Il doit
être assez long pour traîner de 10 à 12 pouces sur le sol; il faut l'enlre-
Icnir constamment humide par le desinfectant ;
4° Toutes les sécrétions nasales, buccales du malade doivent être reçues
sur des chiffons et immédiatement brûlées ; les mêmes préc;iulions doi-
vent être prises pour les produits de la desquamation. Les vases de nuit
doivent contenir conslamment un litre environ d'une solution de sulfate de
fer à 1 kilogramme de sel pour o à 8 litres d'eau.
Les évacuations alvines et l'urine seront rcueillies dans ces v^ases, et
enfouies au moins à 100 pieds de tout pu ts ou source. Les cuillers, les
plats ou vases qui ont servi au malade doivent être immédiatement plon-
gés dans l'eau bouillante. Ln seau rempli d'une solution de chlorure de
zinc (sulfate de zinc .oOO à 800 grammes, sel commun 400 à 500 grammes
eau 2o litres), doit rester en permanence dans la chambre; on y plongera
immédiatement tous les linges, objets de literie ou d'habillement qui au-
ront servi au malade, avant de les emporter hors de la chambre : ces ob-
jets seront ensuite soumis à la lessive bouillante aussitôt que pos-
sible ;
5° On ne doit pas employer dans la chambre du malade plus de deux
personnes, dont une, autant que possible, garde-malade de profession et
exercée; les relations du malade avec les autres membres de sa famille ou
les étrangers doivent être aussi restreintes que possible. Si l'une des per-
sonnes qui soignent le malade était obligée de sortir de la maison, elle
devrait au|)aravant changer complètement de vêtements, et ne porter au
dehors que des effets qui n'ont jamais été exposés à l'infection; les mains
la face, les cheveux devraient cire lavés avec un demi-gallon (2 litres
230) d'eau auquel on aura ajouté une grande cuillerée d'esprit de thymol
ou deux cuillerées d'acide phJnique. Après cela, la personne devrait
s'exposer au grand air avant de s'approcher de qui que ce soit ;
6» Les médecins et les autres visiteurs indispensables, avant d'entrer
dans la chambre du malade, devraient prendre un vêtement de pardessus,
le bien boutonner du haut en bas, et placer un mouchoir ou un foulard
autour de la gorge et du cou. Ce pardessus improvisé peut être en toile
cirée ou en caoutchouc; dés qu'on a quitté la chambre du malade, le vê-
tement et le cache-nez doivent être purlés au grand air, plongés dans la
solution de chlorure de zinc, et pendus hors de la maison, JAisqu'à lapro-
548 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
chainc visite. La séciirilô n'est obtenue qu'au prix d'une exposition au
grand air de tout objet d'habillement qui a été de quelque façon que ce
soit sujet à la contagion. Toutes les fois que cela sera possible, les pré-
cautions recommandées au n° o pour les gardiens obligés de sortir devront
être prises par le médecin et les visiteurs. Les médecins et les prêtres
peuvent transporter la contagion tout aussi bien que les laïques ; ils
doivent donc prendre les mêmes précautions (1).
"7° Aucun habitant de la maison, pendant toute la durée de la maladie
ne doit s'aventurer dans une voilure publique, une assemblée, un lieu de
rassemblement tel qu'une église ou une école ; après la maladie terminée
les habitants de la maison doivent attendre la permission du médecin
pour reprendre ainsi la vie publique. On ne doit pas envoyer les lettres
écrites par le malade, et tous les colis postaux (i) proveuant de la maison
devraient être exposés par avance à une chaleur sèche de + 120 à 130" G.
On ne doit pas laisser les animaux domestiques, chiens, chats, etc., en-
trer daas la chambre du malade ; il vaut encore mieux les renvoyer de la
maison.
Les latrines doivent être complètement désinfectées, pendant toute la
durée de la maladie, avec la solution de couperose obtenue en dissolvant
environ 60 livres (27 kilogramme?) de sulfate de fer qu'on suspend dans
un panier au centre d'un baril [d barre!) d'eau ; trois ou quatre gallons
(13 à 2-2 litres) de cette solution, à laquelle on peut ajouter un demi-litre
d'acide phénicpie impur, doivent être jetés dans la fosse tous les trois ou
quatre jours. Los walcr-closcts doivent ê;re désinfectés en jetant dans la
cuvette, après chaque visite, environ 1 litre de cette solution.
8° Après la guérison, le malade doit chaque jour et pendant trois ou
quatre jours, prendre un bain avec une faible solution désinfectante, par
exemple la solution aqueuse de thymol précédemment indiquée, ou une
solution de 35 grammes de chlorure de zinc pour 22 kilogrammes d'eau.
La tête doit être soigneusement savonnée (shimpoed) pendant le bain, et
le convalescent doit revêtir des vêtements et linges qui n'aient jamais été
exposés à la contamination.
Les malailcs doivent être gardés à la maison au moins deux semaines
après que les croûtes ont toutes disparu ;
9° En cas do mort, les vêtements qui servent à ajuster le corps doivent
être aspergés de solution de thymol, et le corps doit être enveloppé dans
une toile cirée désinfectante (3). et placé dans un cercueil bien herméti-
que (in an air tigbt cof tîu; ; ce dernier doit rester dans la chambre du ma-
lade jusqu'au moment même de l'enterrement. On ne doit point permettre
(1) L'esprit de thymol peut s'obtenir dans ce cas en ajoutant 28 gram-
mes do thymol à 85 grammes d'alcool à 8.^°. Ce désinfectant n'a pas
l'odeur désagréable de l'acide phénique et est très efficace.
(2) D'après un ordre récent de M. Halton, les colis postaux déclarés sus-
ceptibles de contagion (liable lo contagion) peuvent être exclus des cour-
riers, mis en quarantaine jusqu'à ce que la prohibition soit levée, et alors
seulement adressés après qu'on les aura complètement désinfectés sous la
surveillance de l'autorité médicale.
(3) On peut employer à cet usage une chemise complètement imprégnée
du liquide désinfectant indiqué ci-dessus, mais d'une force double, soit
225 grammes de sulfate de zinc et 112 grammes de sel commun pour
4 kilogrammes et demi d'eau.
DÉSINFECTION OBLIGATOIRR. 549
dans ce cas de funérailles publiques soil à la maison, soit ;ï l'église, et
les personnes seules qui sont nécessaires pour enlerrer le cor|)s doivent
cire autorisées à aller au cimetière. Les autorités locales doivent prendre
la charge de l'enterrement, et surveiller les soins à donner à la prépara-
tion du corps ;
10° Après la guérison ou la mort, tous les objets qui ont été portés par
le malade ou qui ont été en contact avec lui, tout ce qui se trouvait dans
la cliambre doit être désinfecte à fond par des fumigations d'acide sulfu-
reux. Pour faire celte opération, il faut exactement fermer toutes les is-
sues (fenêtres, portes, trous de serrures, foyers de cheminées) en y collant
sur les joints des bandes de papier. On place alors un fourneau rempli
de braise sur un vase contenant un peu cî'eau, pour éviter les incendies,
et l'on y fait brûler trois ou quatre livres (1 k. 400 à 1 k. 800) de soufre.
Tous les objets contenus dans la chambre qui auraient trop de valeur
pour être détruits par le feu, ceux qui ne pourraient être l-ivés ou exposes
à la chaleur sèche, doivent être étalés sur des chaises ou sur des claies
(matelas et descentes de lit), de manière que les deux faces soient bien ex-
posées aux fumigations ; les rideaux doivent être bien étalés et dégagés
dans toute leur hauteur, afin que les vapeurs de soufre ou de chlore les
atteignent partout. La chambre doit être tenue bien close pendant vingt-
quatre heures. Après celte fumigation, qu'on pourra renouveler, le sol et
les boiseries seront lavés à l'eau chaude, les murailles et les plafonds se-
ront blanchis ; s'ils :.ont tendus en papier, le papier sera enlevé. Les ob-
jets exposés aux fumigations devront être abandonnés pendant plusieurs
jours à l'air libre et au grand soleil. Si malheureusement ou avait été
obligé de laisser les tapis sur le sol de la chambre pendant la maladie, il
ne faudrait les lever qu'après la fumigation, et alors les battre et les se-
couer en plein air, et les lai.-ser hors de la maison pendant une semaine
et plus. S'ds n'avaient pas grande valeur, il faudrait les brûler; il vaut
beaucoup mieux les enlever de la chambre dès le début de la maladie,
toutes les fois que cela est possible.
Quand ces opérations sont terminées, il faut laisser les portes et les
fenêtres de la chambre largement ouvertes autant que possible pendant
une ou deux semaines. Quand la maison est suffisamment isolée, on peut
exposer au dehors les objets qu'elle contenait; tous ceux qui restent sus-
pects, doivent être détruits. Cette désinfection et la destruction des objets
doivent être faites par les soins de l'autorité.
11° Tous les objets de vêtements et de literie qui peuvent être lavés doi-
vent être plongés de suite dans la solution de chlorure de zinc ; on les
fera ensuite bouillir complètement et sans retard. Les toiles des matelas
et des oreillers devront être traitées de la même manière, et le contenu,
crin ou plume, doit être chauffé au four. Si cela est impossible, il faut le
détruire par le feu, comme on doit toujours le faire pour la paille, le va-
rech, la mousse, les feuilles de maïs et autres remplissages. Les vêtements
des gardes-malades doivent èlrc parfaitement fumigés et nettoyés avant de
sonir de la chambre, et encore mieux brûlés quand cela est possible.
L'attention a déjà été attirée sur la réalité du transport de la maladie
à des points éloignés par les chiffons et hs vieux papiers. Les autorités
devront mettre en quarantaine le chargement de navire de cette espèce
qui ne seront pas accompagnés d'un certificat attestant qu'ils ont été dé-
sinfectés sous les yeux d'inspecteurs compétents. En tout cas, les pro-
priétaires des établissements où les matières sont employées sont invités à.
revacciner tous leurs ouvriers.
550 DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
Enfin si, par suite de négl'igence ou de retard dans l'application de ce&-
mesures, la maladie tend à devenir cpidémiquc,. les écoles privées et pu-
bliques doivent être fermées, les services rcliiçieux suspendus, et les réu-'
nions j^opulaires prohibées, dans les exhibitions, cirques, théâtres,
foires, etc . .•
Liste des meilleurs désinfectants.
En général, lumière du soleil, savon et eau, propreté parfaite. Pour
les cas particuliers, les moyens suivants sont les plus efficaces, les plus
simples et les moins clxers.
Désinfection par la couperose.
Sulfate de fer . . 1 livre à 1 livre et demie (453 à 678 grammes).
Eau 1 gallon (4 k. 500).
Désinfection par le soufre.
Soufre en bâtons. . . 2 livres f900 grammes).
Pour une chambre de 10 pieds carrés (ou 3' m. 048), et dans la
même proportion pour les chambres plus grandes.
Désinfeclion par les sels de zinc.
Sulfate de zinc . . . 450 à 675 grammes.
Sel commun .... 340 grammes.
Eaa 27 litres.
On peut encore employer la dissolution de 15 grammes de chlorure de
zinc clans 4 litres d'eau.
Solution aqueuse de thymol.
Elle se fait en ajoutant une cuiller à thé d'esprit de thymol à deux
litres d'eau. L'esprit de thymol a la composition suivante :
Thymol — 1 partie
Alcool à 83 — 3 parties.
Cette solution remplace toutes les préparations d'acide phonique ; elle
est aussi efficace et a une odeur agréable.
Nous n'avons pas craint de traduire et de reproduire
ces Instruclions malgré leur grande étendue, parce qu'elles
indiquent jusqu'où Ton a pu aller aux Etats-Unis, dans c»
pays si jaloux do la liberté individuelle, lorsque les inté-
DÉSINFECTION OULIGAïOIUE. 5S1
rèls de la communauté sont exposés à être compromis par
la négligence ou l'imprudence d'un seul. L'Ordre qmenous
avons sous les yeux dit que les officiers de police, les
shérifs, les constables et autres fonctionnaires de l'Etat
doivent concourir à l'exécution de ces règlements. Au-
cune indemnité n'est due par la communauté au proprié-
taire des objets qu'il aura infectés par sa faute, et qu'il aura
fallu détruire. Toutefois, on accordera une indemnité aux
personnes qui ne sont en aucune façon responsables de la
contagion et dont les objets, souillés malgré eux ou malgré
les précautions qu'elles ont prises, auront dû être détruits
par les autorités sanitaires dans l'intérêt de la sécurité pu-
blique. L'Ordre recommande de poursuivre aussi sévère-
ment que des meurtriers ceux qui cherchent à dissimuler
les cas de variole. Une copie des instructions qui précè-
dent est envoyée immédiatement dans toute maison où se
développe un cas de variole, et la reproduction en a lieu en
temps d'épidémie dans tous les journaux.
Quelques-unes de ces prescriptions nous paraissent ex-
cessives, par exemple celle de faire laver avec une solu-
tion de thymol la figure, les mains et les cheveux du mé-
decin ou de tout visiteur qui quitte la chambre d'un ma-
lade. Une précédente ordonnance de juin 1881 prescri-
vait même ce lavage avec une solution d'acide phénique
ou de permanganate de potasse, ce qui devait singulière-
ment parfumer les personnes ou donner une couleur
acajou fort désagréable à la peau !
Dans plusieurs des Etats de l'Union, où la variole a sévi
par petites épidémies en ces dernières années, les Con-
seils de santé ont édicté des règlements analogues dont la
sévérité paraîtrait insupportable en France. Il faut ajouter
qu'avant ces derniers temps, les cas de variole, c'est-à-dire
de la maladie évitable (preventible) par excellence, éLaient
extrêmement rares et que ces mesures étaient par suite
rarement applicables. En 1819, il y a eu dans toute l'an-
S52 DESINFECTION NOSOCOMIAlE.
née, à New-York, 2S décès par variole sur une population
de 1,206,577 habitants, et ce chiffre paraissait tellement
élevé qu'on a pris les mesures les plus sévères contre l'im-
portation de la variole par les immigrants ! A Paris, on
compte fréquemment dOO décès varioleux par mois, pour
une population de 2 millions d'habitants sans que l'atten-
tion soit éveillée et que le public s'inquiète (1). La va-
riole s'éteindrait peut-être chez nous, aussi bien qu'en
Amérique, si les mesures de précaution n'étaient pas
aussi dédaignées, et si la désinfection devenait un jour
obligatoire.
Suisse. — Une loi sur les épidémies, votée par les
Chambres fédérales le 31 janvier 1882, mais qui sera sou-
mise dans quelques mois au vote populaire ad référen-
dum, rend obligatoires non seulement la dénonciation par
le médecin de tout cas de maladie contagieuse, l'isolement
des malades et de ceux qui les soignent, mais la désin-
fection du malade, de toute personne et de tout objet avec
lequel il aura été en contact. La loi ne s'applique en temps
ordinaire qu'à la variole, au choléra asiatique, au typhus
pétéchial et à la peste ; mais, temporairement et en cas
de danger général, les autorités cantonales peuvent éten-
dre l'application de la loi à la scarlatine, à la diphthérie, au
typhus, à la dysenterie et à la fièvre puerpérale (2). Les
particuliers ou fonctionnaires qui éludent les prescriptions
de la présente loi sont punis d'une amende qui peut s'éle-
ver jusqu'à 1,000 francs, sans préjudice d'un emprisonne-
ment qui peut être de six mois.
Nous ne reproduirons ici que les articles de la loi qui
ont trait à la désinfection obligatoire.
(1) E. Vallin, La variole aux Etats-Unis. [Revue d'hygiène et de police
sanitaire, 1881, p. 995.)
(2) D. L. Dunant, La loi fédérale suisse concernant les épidémies.
[Revue d' hygiène et de police sanitaire, avril 1882, p. 299.)
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE. 553
LOI fi<;deuale suisse
Concernant les mesures à prendre contre les épidémies
offrant un danger général (Du 13 janvier 1882.)
Anr. 2. Le Conseil fédéral est chargé de surveiller l'exécution de la loi
et de prendre les mesures à cet effet.
Art. 3. L'exécution de la loi appartient aux cantons.
AitT. 5. A l'approclie d'épidémie offrant un danger général, les au-
torités cantonales doivent se pourvoir à temps des matières désin-
fectantes...
Art. 1. Toute personne atteinte d'une maladie épidémique offrant
un danger général doit cire isolée... L'isolement doit durer jusqu'à ce
quelaguérison ait été constatée par un certificat médical, ou que le ma-
lade ouïe cadavre ait été transporté ailleurs, et que la désinfection ait
été effectuée.
Art. 10. Dans chaque cas de maladie, toutes les personnes et tous
les objets qui ont été en contact avec le malade ou avec le décédé
doivent être désinfectés sous la surveillance et la lesponsabilité de l'au-
torité locale compétente et à frais publics. Après la guérison ou la mort
du malade, sa maison ou sa demeure doivent être également désinfectées,
ainsi que les fosses d'aisances et les canaux (d'égoutsj.
Art. 11. Les objets dont la valeur ne serait pas en rapport avec
les frais de la désinfection, ainsi que ceux dont l'usage offrirait un dan-
ger de contagion même après cette opération, peuvent être détruits sur
l'ordre de l'autorité. Le propriétaire aura, toutefois, droit à une indem-
nité équitable.
Art. 12. Le trafic et le commerce de linge sale, ainsi que des vê-
tements, hardes ou chiffons ayant déjà servi, sont interdits dans toute
commune ou règne une épidémie grave.
En cas de nécessité, les autorités cantonales devront étendre cette in-
terdiction aux communes avoisinantes, et, s'il y a danger pour les can-
tons limitrophes, elles devront provoquer des mesures analogues de la
part des autorités de ces cantons.
Dans le cas où l'exécution de ces mesures serait négligée, le Conseil
fédéral devra intervenir d'office. De même, en cas de danger pressant, il
pourra interdire l'importation en Suisse des objets onumérôs plus haut,
ainsi que tous autres facilitant la transmission des virus.
Les industries et les fabriques qui manipulent ces objets, soit pour les
écouler, soit pour les travailler, ainsi que celles qui s'occupent du blan-
chissage du linge sale, seront surveillées par la police sanitaire, confor-
mément aux dispositions de la présente loi, spécialement en ce qui con-
cerne la désinfection.
NoRwÈGE. — En Norwège, la Loi du 16 mai 1860 et le
Règlement du 14 mars 1874 de la Commission sanitaire- de
Christiania, imposent la déclaration et la désinfection des
maladies contagieuses; des agents subalternes, sous les or-
554 DESINFECTION NOSOCOMIALE.
dres des médecins de la municipalité, s'assurent que les-
locaux et les vêtements ont été bien désinfectés.
Les infractions sont punies d'une somme de 11 francs
à 1,000 francs (1).
La désinfection se fait à l'aide de l'acide sulfureux et de
la chaleur.
Danemark. — Les prescriptions sont à peu près identi-
ques à celles qui sont imposées en Norwège et en Belgique,
Allemagne. — A Berlin, où l'article 9 du Règlement du
8 août 1835 rend obligatoire la déclaration des maladies-
graves et dangereuses, la préfecture de police, où sont cen-
tralisés les services sanitaires, fait prendre les mesures
suivantes :
Quand un cas de typhus pétéchial ou abdominal, ou de
variole, se déclare dans une maison particulière, le méde-
cin du district est chargé de faire des recherches sur la
salubrité locale; le malade est transporté dans un hôpital
d'isolement quand il ne peut être suffisamment isolé chez
lui. Une commission sanitaire désinfecte l'habitation et
les effets du malade ; la désinfection est faite avec les
substances spécifiées et d'après une instruction jointe aux
règlements.
En 1868, le ministre de la guerre, en Allemagne, a pu-
blié une Instruclion sur la désinfection en général; nous
y relevons quelques indications.
Les moyens auxquels on peut avoir recours sont : 1" le permanganate-
de potasse ou de soude; 2° le sulfate de fer (solution contenant 1 partie
de sel pour 33 à 40 parties d'eau ; 3' le sulfate de zinc; solution forte,.
1 partie sur 80 parties; solution faible, 1 partie sur liO parties d'eau. Oq;
peut le remplacer par le chlorure de zinc; en solution forte conteuant.
1 partie sur 1 jO partie d'eau ; en solution faible, contenant 1 partie sur
248 parties d'eau.
(1) D'' Bantzen, L'i prophylaxie des maladies contagieuses en Norwège,
Revue dlujgiène et de police s:ni/<aire, juillet 1882, p. 534].
DÉSINFECTION OBLIGATOIRE. tioH
Pour la (lésiufertioii des plaies, on emploie le permanganalc ; pour
relie des cxcrémenl-, la solulion de sulfate de fer. Quand on aura lieu
d'^ redouter l'ullératiou des objets par la rouille, on substituera les sels
de zinc à ceux de fer. Pour la désinfection des chaises pecées et des
objets analogues dont il y aurait inconvénient à mouiller les parois
avec les solutions précitées, on peut brûler du soufre ou des mèches
soufroes. Pour le ncltoyaijc des vases de nuit, l'acide chlorhydrique est
très utile.
En ca< de maladie contagieuse (choiera, typhus, variole), les linges et
objets de literie des malades si ront plongés pendant quarante-huit heures
dans une solution de sulfate de zinc, afin de préserver de toute contagion
les personnes chargées du blanchissage. La paille des paillasses sera
brûlée, le crin et la laine des matelas seront passés à l'eau houillante (?)
Les pièces d'iiabillemcnt seront pour plus de sûreté désinfectées par l'air
chaud dans des étuves de + 93 à 112" ; on pourra dans certains cas
les laver dans une solution faible de sulfate de zinc. Les espaces habités,
seront désinfectés par des fumigations d'acide acétique. On désinfectera
les salles vides, des hôpilaux en y plaçant des vases remplis de chlorure
de chaux. Le sol et les parois des chambres seront nettoyés avec soin et
laves avec la solution forte de sulfate de zinc. Les enduits seront renou-
v^e'és toutes les fois qu'on le jugera nécessaire.
Les locaux plus petits, après avoir été bien clos, pourraient être désin-
fectés par les fumigations directes de chlore ou d'acide sulfureux.
Pour faire disparaître l'o leur de chlore après la fumigation, on peut'
faire évaporer dans la chambre de J'ainmoniaque liquide. On détruira
par le feu les objets capables de transmettre la contagion, en particulier
tout le matériel qui a servi au pansement des plaies.
Un autre règlement Sur le service médical des armées
en campagne, du 29 avril 1869, dit que le linge de corps
ou de litei'ie sou'llé par les malades (typhus, variole), doit
être lavé dans une solution de chlorure de chaux, d'acide
phénique, ou dans une solution faible de sulfate de zinc
(1 : 120), de chlorure de zinc (1 : 240) ; on le laissera sé-
journer dans les solutions pendant 12 à lo heures, puis
on lave de la façon ordinaire.
556 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
CHAPITRE II
DÉSINFECTION QUARANTENAIRE
Sans entrer dans le détail de notre régime quarante-
naire, il est indispensable de rappeler ici les distinctions
établies par le Règlement de police sanitaire maritime
du 22 février 1876, en particulier par les articles 36, 37
et 38.
Quand un navire arrive en patente nette, c'est-à-dire
provient d'un port où il n'existe aucune maladie conta-
gieuse, il est admis à la libre pratique ; il n'est soumis à la
désinfection que dans des cas exceptionnels, par exemple si
son chargement présente de mauvaises conditions hygié-
niques et comprend certaines marchandises dites suscep-
tibles.
Un navire est dit suspect, quand il arrive en patente
brute, c'est-à-dire d'un port ou règne une maladie épi-
démique, et qu'il n'a pas eu de cas de la maladie pendant
la traversée. Dans ce cas, il est soumis à une courte quaran-
taine d'observation, pour attendre les limites de l'incuba-
tion. Cette quarantaine d'observation, pour les passagers,
peut avoir lieu à bord, et non dans un lazaret ; elle n'entraîne
pas nécessairement la désinfection générale du navire,
excepté quand ce dernier provient d'un pays où règne la
peste. A part cette exception, et d'autre part quand les
marchandises ne sont ])as susceptibles, quand les conditions
hygiéniques du bord sont bonnes, la désinfection ne se fait
pas. Elle a lieu, si le mauvais état du navire, l'encombre-
ment, la malpropreté des passagers, la nature des mar-
chandises paraissent dangereux au point de vue de l'hy-
giène. La désinfection du navire ne peut avoir lieu tant
que les passagers restent à bord ; Mélier, dans sa relation
RÈGLEMENT SANITAIRE MARITIME. 557
de la fièvre jaune à Saint-Nazaire, en 1863, a montré en
effet qu'il est difficile d'ouvrir les panneaux d'un navire
mal tenu, de ventiler les cales, de déplacer la cargaison,
sans menacer la santé des personnes continuant de sé-
journer à bord. On peut toutefois profiter du temps de
l'observation pour désinfecter les vêtements des passa-
gers. Lorsque le navire n'a pas de passagers, la désin-
fection peut commencer à bord dès le début de la qua-
rantaine d'observation. L'autorité sanitaire, c'est-à-dire le
directeur de la santé du port, est juge de la nécessité du
déchargement sanitaire ou de la désinfection, dans tous
les cas de quarantaine dite d'observation, excepté pour
les provenances de peste.
Quand un navire est infecté, c'est-à-dire que non seule-
ment il vient d'un port infecté, mais qu'il y a eu des ma-
lades ou des cas suspects à bord pendant la traversée,
on lui impose une quarantaine de rigueur. Cette quaran-
taine ne peut se faire que dans un port à lazaret ; elle né-
cessite le débarquement des passagers au lazaret, le dé-
chargement dit sanitaire des marchandises susceptibles,
soit au lazaret, soit sur des allèges, avec les purifications
convenables ; elle comprend, en outre, la désinfection des
effets à usage, celle des objets dits susceptibles et celle
du navire. Le déchargement sanitaire et la désinfection
ne peuvent commencer que lorsque tous les passagers et
les personnes inutiles à bord ont quitté le navire.
Nous n'avons pas à insister ici sur l'utilité, la modéra-
tion et l'opportunité de ces mesures de désinfection. On en
trouvera la justification dans le savant rapport de M. Fau-
vel, inspecteur général des services sanitaires, rapport
qui a servi de base et qui contient les commentaires au
décret du 22 février 1816 (1).
(1) Rapport au Comité consultatif d'hygiène publique, piéseiué à l'ap-
pui du règlement tjéiicral de police sanilairo marilime, préparé par une
commission composée de 3IM. Ozennc, Amé,Bergeroû, Dumoulier de Fré-
558 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
Nous croyons ne pouvoir nous dispenser de reproduire
ici la partie du Règlement sanitaire maritime, consacrée
à la désinfec;ion,
TITRE VIII. — Bes mesures de désinfection.
Art. 47. — Les mesures de désinfection peuvent être appliquées aux
hardes et effets à usage, à la cargaison et au navire lui-même.
Art. 48. — Les marchandises et objets de toute sorte arrivant par un
navire en patente nette et en bon état liygiénique, qui n'a eu ni mort
ni malades suspects, sont dispenses de tout traitement sanitaire et admis
immédiatement à la libre pratique, comme le bâtiment lui-même, l'équi-
page et les passagers.
Art. 49. — Sont exceptés les drilles, les chiffons, les cuirs, les crins
et en général tous les débris d'animaux qui, même en patente nette, peu-
vent être l'objet de mesures de désinfection que déterminera l'autorité
sanitaire. Sont également exceptées les matières organiques en élat de
décomposition. Dans ce dernier cas, s'il y a impossibiliié de désinfecter
'ces matières et danger de leur donner libre pratique, l'autorité s;ini-
. taire en ordonne la destruction, après avoir fait constater par procès-
verbal (conformément à l'art. 3 de la loi du 3 mars 1822) la néceisito de
là mesure i-t consign-r sur ledit procès-verbal les observations du pro-
priétaire ou de son représentant.
Art. 50. — Les marchandises et objets de toute sorte arrivant par un
navire (-n patente brute, ou dans des conditions hygiéniques dangereuses,
ou, à plus forte raison, par un navire qui a eu pendant la traversée des
accidents de maladie réputée importable, peuvent être soumis à des me-
sures de désinfection.
Art. 51. — Sauf le cas de peste, de fièvre jaune, do choléra, de variole,
de typhus à bord, ces mesures ne sont point obligatoires ; la nécessité de
leur application est laissée au jugement dé l'autorité sanitaire.
Art. 52. — Ces mesures elles-mêmes sont variables suivant les cas et la
n.'iture des olijets à désinfecter.
Art. 53. — Sous ce rapport, les marchandises et objets divers sont ran-
gés dans trois classes :
La première est composée d'objets dits susceptibles, et, à ce titre, sou-
mis à une désinfection oi ligatoire. Elle comprend les hardes et tous effets
à usage, les drilles, chiffons, cuirs, peaux, plumes, crins, les débris d'ani-
maux en général, la laine, les matières de soie.
La seconde, comp isée de matières moins compromettantes et pour le^-
guell^s la désinfection est facultative, comprend le coton, le lin, le cliun-
vre à l'état brut.
La troisième, formée d'objets ou de substances considérés comme non
dilly, Le?oucst, Meurand, Roux, Tardieu, Proust, secrétaire, et Fauvel , rap-
por leur. (Recueil des travaux du Comité consulta lif d'hygiène, 'iS~\ T. V.
p. 41 à 91.) — On consultera également avec grand profit l'excjllent ar-
ticle Quarantaines du Dictionnaire encyclopédique, par M. Léon Golin, et
du même auteur l'ouvrage désormais classique : Traité des maladies épi-^
démiques, Paris, 1879.
CFUFFONS. 5S9
■susceptibles, est exempte do désinfection. Elle comprend les objets neufs
manufac urés, les iji-ains et autres suhstance^ alimentaires, les bois, les
rùsines, les mélaux, enlin toutes les marchandises et objets qui ne rentrent
pas daus les deux, premières clas-cs.
Art. 5i. — En cas de patente brute ou d'infection à bord, les lettres,
papiers et paquets sont soumis aux purifications d'usage. Toutefois, ces
papiers ou objets quelconques, provenant d'un pays sain et embarqués
sur un navire en patente brute pourront être admis immédiatement à la
libre pratique, après purification extérieure, si le tout est contenu dans
une cnveloiipe scellée officiellement.
Art. 55. — Le droit est réservé à l'administrai ion dos postes de se faire
représenter à la purification des lettres et dcpcches qui lui sont confiées;
le même droit est réserve aux consuls et autres repr^'sentants des puis-
sances étrangères pour les lettres et dépèches olTicielles.
Art. 5â. — Los animaux vivants peuvent être l'objet de mesures do dé-
sinfection.
Des certificats d'oiigine peuvent être exigés pour les animaux embar-
qués sur un navire provenant d'un port au voisinage duquel règne une
épizoolie.
Des certificats analogues peuvent être délivrés pour dos animaux em-
barques en France.
Lorsque dos cuirs verts, des peaux ou débris frais d'animaux sont ex-
pédiés de Fraace à l'étranger, ils peuvent, à la demande de l'expéditeur,
être l'objet de certificats délivrés après la déclaration d'un vétérinaire
assermenté.
Art. S7. — Les procédés de désinfection sont appropriés à la nature
dos objels auxquels on les applique, depuis l'ohjet de prix, qu'il faut désin-
fecter sans l'altérer, jusqu'à la substance sans valeur qu'il peut être con-
venable lie détruire.
Des instructions déterminent les procédés à mettre en pratique.
Le Règlement français de 1816, continuant une distinc-
tion d'ailleurs assez bien fondée, établit ainsi que nous
venons de le voir trois catégories de marchandises ou
d'objets, au point de vue de la désinfection : P" classe, les
matière dites susceptibles, dont la désinfection est obliga-
toire et peut èti^e imposée mémo en certains cas de patente
nette (diùUes, chiffons, crins, cuirs, débris d'animaux ou
matièt^es organiques en voie de décomposition) ; S** classe,
matières pour lesquelles la quarantaine est facultative (co-
ton, lin, chanvre, à l'état brut); 3' classe; matières non
susceptibles : ce sont toutes les autres.
La désinfection des matières susceptibles mérite une
attention spéciale ; nous devons nous y arrêter.
Chiffons. — Les mesures sévères prises contre les chif-
560 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
fons sont justifiées ; il est peu de marchandises qui soient
plus dangereuses. Même en dehors de toute importation,
le commerce des chiffons à l'intérieur est une cause d'in-
salubrité et de propagation des maladies contagieuses.
M. E. Gibert (1) a montré qu'à Marseille, où le commerce
des chiffons se fait sur une énorme échelle, la variole était
d'autant plus fréquente dans un quartier, que le nombre
des dépôts de chiffons y était plus grand ; les maisons des
chiffonniers et des fripiers étaient particulièrement attein-
tes. A Paris, l'insalubrité des maisons où se trouvent les
dépôts de chiffons est incessamment signalée par les com-
missions des logements insalubres, et la variole exerce
constamment des ravages dans certaines cités où ce com-
merce se fait sur une large échelle. Dans un grand nombre
de papeteries à New-York, en Belgique, en Hollande, la
variole, la fièvre typhoïde ont atteint les personnes occu-
pées à trier des chiffons provenant des localités où ré-
gnaient ces maladies.
On sait quelle quantité extraordinaire de vieux vête-
ments, de chiffons, arrive chaque année dans nos ports
de tous les points de l'Orient (20 millions de kilogram-
mes par an). Ces débris, abandonnés par les Arabes, les
Turcs ou les Asiatiques, sont dans un état de sordidité
extrême, contiennent souvent des germes de variole, de
fièvres et de maladies pestilentielles parmi lesquelles la
peste et le choléra. Il y a là un danger véritable sur lequel
l'attention a été plus vivement encore attirée en ces der-
nières années.
La France consomme pour ses papeteries 100 millions
de kilogrammes de chiffons par an ; l'étranger en importe
dans nos ports 20 millions, et Marseille reçoit le tiers de
cette importation ; on voit donc que les mesures de désin-
(1) E. Gibert, Influence du commerce des chiffons et vieux vêtements non
désinfectés sur la propagation de la variole et autres maladies contagieuses.
[Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1879. T., 1. p. 596).
CHIFFONS. 531
fection sont indispensables. Aussi, cette question a soulevé
de longues discussions au Comité consultatif d'hygiène en
1879; elle a été l'objet de plusieurs rapports de M. Fau-
vel (1) et un décret en date du 15 avril 1879 a rendu obli-
gatoire la désinfection de cette marchandise, dans tous
les ports où elle serait admise et où la désinfection serait
praticable. Voici l'historique de cette mesure.
En 1878, en raison du mauvais état sanitaire de beau-
coup de pays d"où vient l'exportation des chiffons, le Con-
seil sanitaire de Marseille, usant du droit donné par l'ar-
ticle 49 du Règlement général, décida que la désinfection
obligatoire serait étendue aux chiffons et drilles de toute pro-
venance. Les navires chargés de cette marchandise désertè-
rent dès lors le port de Marseille, débarquèrent les balles
de chiffons dans les autres ports du littoral, en particulier
à Cette, ou en Espagne d'où les navires espagnols les intro-
duisaient en France. C'est alors qu'intervint le décret du
15 avril 1879, par lequel l'importation en France des chif-
fons et drilles par la voie maritime ne pouvait avoir lieu
dans la Méditerranée que par Marseille, dans l'Océan que
par Pauillac et Saint-Nazaire, dans la Manche que par Cher-
bourg, c'est-à-dire par les ports où la désinfection, rendue
obligatoire, pouvait être opérée d'une manière suffisante.
Le décret toutefois « ne s'applique qu'aux chiffons pro-
prement dits, c'est-à-dire à toute la friperie, à tous les vieux
vêtements en laine, lin, soie et coton, lesquels doivent
toujours être soumis à la désinfection obligatoire, à rai-
son des dangers qu'ils présentent. Quant aux vieux cor-
dages (drilles), aux mèches d'étoupes, aux filets et autres
objets analogues, aux vieux papiers et registres, enfin aux
substances végétales qui constituent ce qu'on nomme pâte
(1) Fauvel, Rapport sur V imporlation et la désinfection des drilles et
chiffons en France [Recueil des travaux du Comité consultatif d'hygiène
publique de France, 1880, T. IX, p. 29 à 64). — Analysé dans la Revue
d'hygiène ec de police sanitaire, 1830, p. lIOS.j
Vallin. — Désinfectants. 36
m DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
à papier, ils ne doivent pas, à moins de circonstances
exceptionnelles, être soumis à la désinfection ; celle-ci leur
sera cependant applicable toutes les fois qu'ils se trou-
veront mélangés dans une proportion quelconque avec les-
objets de la première catégorie. »
A la suite de nouvelles réclamations, et sur l'avis du
Comité consultatif, une circulaire ministérielle du 2S août
1879 fit savoir aux Directeurs de la santé que tout port
français où la désinfection des chiffons aurait été recon-
nue possible au moyen d'un procédé économique et sur,
pourrait être autorisé par l'administration, sur la demande
du Directeur de la santé, à recevoir cette marchandise et
à la désinfecter, sauf le cas de patente brute de choléra, de
fièvre jaune ou de peste du pays d'origine.
La plupart des importateurs, pour éviter les retards et la
dépense de la désinfection dans les ports français, firent
dès lors décharger leurs navires dans les ports de l'Es-
pagne, et entrer leurs marchandises par la voie de terre à
travers les Pyrénées. Le Comité consultatif fut conduit à
proposer au Ministre l'installation d'un service de désin-
fection à la frontière de terre, service qui serait annexé au
bureau dédouanes; l'importation par voie de terre doit être
limitée aux seuls bureaux de douane munis de chambres
ou appareils de désinfection.
Ces sages mesures n'ont pu être qu'incomplètement ap-
pliquées, parce que l'on n'est pas fixé sur les appareils les
plus avantageux pour assurer cette désinfection.
La Circulaire ministérielle du 9 août 1879 fit appel à
l'expérience de tous les Directeurs de santé, et les pria de
faire connaître en détail les procédés de désinfection qu'ils
appliquaient dans leurs stations, avec les améliorations que
leur suggérerait leur pratique. Pareille invitation fut faite
à tous nos consuls dans les ports étrangers de faire con-
naître les procédés en vigueur dans les lazarets de ces
ports; c'est en partie à l'aide de ces renseignements, que
CHIFFONS. 56?
M. Fauvel a rédigé en 1881, au nom d'une Commission
composée de MSI. Wurtz, président; Chatin, Girard, Jac-
quot, Legouest, Proust, Quentin, Rochard et Fauvel, un
rapport considérable sur la désinfection appliquée aux
provenances maritimes {i), rapport qui, après une longue
discussion, a été approuvé définitivement par le Comité
consultatif d'hygiène.
La circulaire du 25 août 1879 imposait, en attendant, un
mode uniforme de désinfection par le dégagement du
chlore ; les quantités de substances indiquées (chlorure de
sodium 100 grammes, oxyde noir de manganèse 15 gram-
mes, acide sulfurique 50 grammes, eau 60 grammes, pour
un local de 100 mètres cubes), pour la production de ce
gaz sont évidemment insuffisantes; il faudrait les décu-
pler, et au delà (voy. p. 121 et 215).
hQ chlore d'ailleurs convient mal pour une aussi énorme
quantité de matière; il est peu efficace, son emploi est
coûteux ; le dégagement du gaz est toujours de beaucoup
inférieur à celui que la théorie indique, parce qu'il est im-
possible d'agiter constamment le mélange et de renouveler
le contact de l'acide et des sels ; enfin, les industriels an-
glais ont constaté que la désinfection par le chlore nuisait
notablement à la qualité du papier (Parsons).
Le sereinage, ce moyen primitif bien qu'efficace, dont
abusaient singulièrement les anciens lazarets, est impra-
ticable : l'exposition à l'air et à la rosée demanderait ici un
espace considérable, une surveillance difficile, un retard
(plusieurs mois) très préjudiciable au commerce. Il n'y
faut pas songer.
L'immersion dans la mer ou dans un liquide désinfec-
tant (solution de chlorure de zinc) aurait de grands incon-
(2j Le décret du 15 avril 1879 et les circulaires du 9 et du 25 août 1879
sont imprimés à la fin du Recueil des travaux du Comité consultatif d'hy-
giène publique de France, T. IX. 1S80, p. 3i7. Le Rapport sur la désin-
fection est en cours d'impression et parailra dans le T. XI du recueil.
564 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
vénients pour une marchandise encombrante, qui se vend
au poids, et dont la dessiccation ultérieure serait rendue
longue et difficile, surtout en raison de la propriété hygro-
métrique de ces sels.
Le D"" Bayhs, en Angleterre, avait proposé de répandre
sur les chiffons une poudra fortement phéniquée que le
triage aurait disséminée partout; mais la dépense s'élevait
à 2 francs 50 par tonne et la sécurité n'était pas absolue.
On ne peut songer qu'aux fumigations et à la chaleur.
V acide hypo azotique altérerait peut-être trop les tissus :
il n'a aucun avantage sur V acide sulfureux qui est écono-
mique, expéditif, efficace, et qui a beaucoup d'avantages.
La dose de soufre par mètre cube d'espace du local occupé
doit être de 30 grammes ; on multipliera les foyers de com-
bustion. Les balles seront défaites et les chiffons étalés en
couches épaisses de 20 à 30 centimètres, sur des claies
disposées en étage. On chauffera un peu la salle, on y
rendra l'air humide en arrosant fortement le sol. Vingt-
quatre heures après la clôture des issues et l'allumage du
soufre, on peut rendre la marchandise à ses proprié-
taires. S'il ne fallait faire, avec i»IM, Gartner et Schotte,
quelques réserves sur l'action neutralisante du soufre,
nous penserions que ces fumigations (1) viennent au pre-
mier rang après la désinfection par la chaleur, au moins
quand il ne s'agit que de chiffons proprement dits, des-
tinés à la fabrication du papier, et dont on ne craint pas
d'altérer la couleur (2).
(1) Toutefois, clans un excellenl rapport adressé au Local government
Board en 1881, à l'occasion do diverses épidémies do variole parmi les
trieurs de chiffons dans les papeteries, M. le D"" Franklin Parsons nous
apprend que la désinfection par l'acide sulfureux rend le chiffon moins
résistant, altère plus tard la couleur du papier fabriqué par suite de la
transformation de l'acide sulfureux en acide sulfurique, et que les pape-
tiers l'ont rejetée. 11 donne la préférence à la vapeur d'eau à -\- 120° C.
Des expériences rigoureuses lui ont montré qu'il n'était pas nécessaire de
défaire les balles quand elles n'avaient pas été serrées à la presse hydrau-
lique. {Revue d'hygiène et de police sanitaire, août 1882). ■
(2) Dans le rapport que nous venons de citer, 31. Fauvel propose de
CHIFFONS. 565
Toutefois la chaleur nous paraît, ici encore, l'agent de
désinfection par excellence, et c'est celui auquel M. Fauvel
donne la préférence dans son rapport. La chambre à air
chaud proposée par M. Herscher (page 454), chauffée par
un ou deux poêles en fonte, nous semble parfaitement
adaptée au but qu'on poursuit, 11 serait facile de trans-
former dans ce sens une vaste salle de chacun de nos
lazarets ; les murailles épaisses de ces bâtiments, et à
l'intérieur une cloison de séparation en briques, rendraient
inutiles les détails ingénieux décrits pour une étuve de
petit modèle, à construire de toutes pièces dans nos hôpi-
taux. Il ne s'agit plus ici d'une étuve, mais d'un magasin
d'une capacité de 100 mètres au moins, où l'on doit pou-
voir désinfecter en 24 heures le chargement d'un navire
de moyen tonnage. Une séance de désinfection ne dure-
rait pas 2 heures, en disposant les chiffons sur des claies ;
un intervalle de deux heures entre deux opérations serait
largement suffisant pour le refroidissement et la manuten-
tion des marchandises ; on pourrait donc en 16 heures faire
au moins 4 opérations, portant chacune sur 10 ou 20 mille
kilogrammes et peut-être beaucoup plus.
La projection, dans une chambre ainsi disposée et bien
close, d'un jet considérable de vapeur surchauffée, et, une
heure après, à l'aide d'un injecteur Giffard, d'air brûlé à
-j-130° ou 140°, conduirait encore mieux au même but.
L'expérience seule, faite sur une grande échelle, dira quel
procédé est le plus pratique et le plus économique.
Pour éviter le transbordement, toujours long et coûteux,
du navire aulazaret, M. Fauvel propose très judicieusement
de construire une vaste chambre à air chaud, en tôle, à
doubles parois rendues non conductrices par l'interposition
substituer l'acide sulfureux au chlore pour toutes les fumii^'ations désin-
fectantes dans les lazarets; en même temps il conseille de laver les lin-
ges et objets contamines susceptibles de lavage, à l'aide d'une solution
de cLlorure de zinc.
566 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
de laine, de scories, et disposée sur le pont d'un chaland
qui serait conduit le long du navire. Les balles de marchan-
dises seraient directement portées dans cette étuve mobile,
ouvertes ou au moins desserrées, et désinfectées presque
sur place, sans perte de temps ni main-d'œuvre. Un gé-
nérateur de vapeur spécial, établi à proximité, alimente-
rait une sorte de batterie de chauffage formant calorifère,
installée dans une chambre contiguë à la première. L'air
pris à l'extérieur serait porté, au contact de ces surfaces
de chauffe, à une température suffisante, et introduit par la
partie supérieure dans la chambre aux chiffons par un in-
■ jecteur spécial ayant la double propriété de produire l'en-
traînement et l'humidification de l'air chaud.
Cette double action est déjà appliquée industriellement
à d'autres usages, et on peut compter sur son fonctionne-
ment pratique. La marine fait usage, pour un autre objet,
de petites machines soufflantes alimentant d'air comprimé
des injecteurs d'entraînement. Ces injecteurs ne sont pas
pourvus d'un jet central ; mais l'industrie fabrique des in-
jecteurs comportant ledit jet, se réglant d'une manière in-
dépendante, au moyen d'un simple robinet, et permettant
une humidification facultative. Une petite machine souf-
flante à vapeur, desservie par le générateur dont nous
avons parlé plus haut, alimenterait d'air comprimé la base
de l'injecteur, au centre duquel existerait facultativement
une injection d'eau; cette eau serait prise au générateur
lui-même, de telle sorte que le mélange lancé à travers les
chiffons remplirait ainsi les conditions de température et
d'humidité nécessaires à la désinfection. Cette manière
d'opérer aurait en outre pour conséquence d'éviter soit les
veines de température inégale, soit le rayonnement. (Ncte
manuscrite de MM. Geneste et Herscher.)
Voilà des moyens pratiques, immédiatement utilisables,
dont une courte expérience faite dans un port et particu-
lièrement à Marseille montrerait les avantages et les desi-
CUIRS, CORNES, CRINS ET LAINES. 567
derata. Une salle de ce genre dans tous nos lazarets, ou
un tel ponton dans chaque port, assurerait la désinfec-
tion de bien d'autres marchandises encore que des chiffons
et permettrait peut-être d'abréger la durée des quarantai-
nes.
CUIRS, CORNES, CRINS ET LAINES, — Le transport des cuirs
de l'Amérique du Sud, de la Turquie et de l'Egypte dans
nos ports constitue un commerce très important, et à di-
verses reprises des circulaires ministérielles en France ont
été nécessaires pour prévenir l'insalubrité que ces ma-
tières engendrent sur les navires et dans les ports (1).
On doit distinguer d'une parties cuirs secs, dont l'insalu-
brité est nulle ou minime, et d'autre part les cuirs frais ou
verts et les peaux non tannées ni salées, qui causent une
infection extrême. D'après les dépêches du Ministre de l'agri-
culture et du commerce, en date du 30 juin et du 12 juillet
1867, les cuirs secs peuvent être débarqués immédiatement
ou après une simple exposition à l'air {sereinage) ; les cuirs
frais doivent être préalablement soumis à une préparation
désinfectante capable d'annihiler leur virulence ou de faire
disparaître leur mauvaise odeur; l'immersion dans un bain
chloruré, la salure, sont recommandées par une dépêche
ministérielle du 2 mars 1872. Ces prescriptions sont par-
ticulièrement sévères pour les provenances des pays oii
sévissent des épidémies ou des épizooties bien constatées.
Même en patente nette, les cuirs peuvent être le sujet
de mesures sanitaires, quand ceux qui sont en balles ont
reverdi Tpeudànt la traversée, et quand ceux qui sont en
saumure ont subi une décomposition putride. Ces cuirs
altérés ne sont pas tolérés en balles, sous les hangars;
selon les cas, ils sont soumis au sereinage, à la venti-
(1) Du traitement sanitaire imposé, à Marseille, aux cuirs et autres
débris animaux, etc. Rapport par M. H. Boiiley {Recueil des travaux
du Comité consultatif d'hygiène publique, T. V, 187G, p. 511).
îJG8 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
lation, à la dessiccation. Il est rare qu'il faille les remettre-
en état par un traitement aluné, phéniqué ou chloruré.
Quand les cuirs secs et d'ailleurs en bon état arrivent en
patente brute, on les soumet pendant quatre ou cinq
jours à l'étalage à l'air libre, puis chaque peau est succes-
sivement livrée au baguettage. Jusqu'à présent, aucune
épidémie de peste bovine n'a été importée de Turquie ni
d'Egypte dans nos ports de la Méditerranée, où se font de
grands arrivages de ces cuirs.
INfon seulement les peaux en saumure et les cuirs verts
sont une cause d'infection par la fermentation qu'ils su-
bissent dans les cales chaudes et humides, mais encore ils
peuvent transporter des germes de maladies contagieu-
ses (1), en particulier la morve ou la pustule maligne.
L'aspersion avec des solutions de chlorure de chaux
(1 pour 100), d'acide phéniqué (1 pour 1000), nous paraît
un moyen de désinfection à peu près illusoire. Les fumiga-
tions d'acide sulfureux pourraient rendre ici encore des
services ; il serait sans doute possible de faire les fumiga-
tions directement dans les cales, qu'on désinfecterait du
même coup.
Les crins, les laines, méritent une attention particuliè-
re ; ils s'imprègnent facilement, dit-on, du principe des
maladies épidémiques (fièvre jaune, peste, choléra), et de
fait, on comprend qu'ils emprisonnent et immobilisent une
certaine couche de l'air contaminé provenant directement
du foyer. En outre, ils ont comme les cuirs, et plus
fréquemment, déterminé des cas isolés de pustule mali-
gne ou de charbon, en particulier à la prison de Metz en
1844 (2). En ces dernières années, on s'est beaucoup ému
(1) C'est à un chargement de cuirs verts que M. Jaccoud attribue la
petite épidémie de typhus qu'il vil sévir sur le paquebot la Gironde,
revenant de la Plala, en 1873.
(2) D"" Ibreliste, Compte rendu des travaux de la Société de médecine de
Metz, 1844, p. 48. — Tardieu, Dictionnaire d'hygiène publique, 1882, T. I.
Art. CniNiERs.
CUIRS, CORNES, CRINS ET LAINES. 569
en Angleterre de petites épidémies de maladies charbon-
neuses, de symptomatologie obscure (pneumonies septi-
ques, etc.) survenues dans les fabriques de tissus de laine ;
dans le sang de la plupart des individus qui ont succombé,
on a trouvé les bacilles du charbon. Ces petites épidémies
ont été surtout constatées à Bradfort, à Shipley, dans les
manufactures de mohair et d'alpaga ; comme on les observe
de préférence parmi les ouvriers qui font le triage des lai-
nes et qui respirent les poussières que l'opération dégage,
on les a désignées sous le nom de luoolsorters disease (ma-
ladie des trieurs de laine (1). A Glasgow, M. Russell a ob-
servé des cas analogues parmi les ouvriers d'une fabrique
où l'on travaillait des crins provenant de Russie. Ces faits
avaient déjà été signalés depuis longtemps ; leur fré-
quence plus grande montre combien des mesures de désin-
fection sont nécessaires pour prévenir ultérieurement les
maladies des ouvriers des fabriquas. Les crins et les laines
provenant des pays oîi le sang de rate fait habituellement
des ravages, devraient être désinfectés sur place, s'il est
possible, à l'aide de l'acide sulfureux, ou dans les lazarets
aa moyen de la chaleur sèche. Cette désinfection, que l'ar-
ticle 49 du règlement sanitaire permet de rendre obliga-
toire, ne nous paraît pas beaucoup moins nécessaire pour
le crin et la laine que pour les chiffons. Avec une bonne
installation, le dommage pour le commerce serait insigni-
fiant, le bénéfice pour l'industrie et la santé publique, con-
sidérable. Reste la question de savoir si l'État a le droit
d'intervenir, quand il s'agit non d'un danger public, d'une
menace d'épidémie qui peut s'étendre à toute une popula-
tion, mais simplement d'accidents professionnels limités à
(1) D"- Bell, On luoolsorters disease. (The Lancet 1880, p. 871, 61, etc.
— Revu". d'hygiène et de police sanitaire. Août 1880, p. 727.) — Report
on the so-called^i Woolsorters' disease y>. as observed ai Bradford and in
neighbouriiitj di trlcts in the West Riding of Yorkshire {Report of the
médical officer of the Local Government Board for 1880; London, 1881,
p. 66 à 136. — D-- J. B. Russel's, Report, [eodem loco, 1880. p. 521,545}.
570 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
un petit nombre d'ouvriers qui connaissent les dangers
auxquels ils s'exposent en venant volontairement travailler
dans une usine.
VÊTEMENTS ET OBJETS QUI OiNT SERVI A l' USAGE DES MALA-
DES A BORD. — Ils doivent être l'objet d'une désinfection
rigoureuse ; le linge sale, la literie sont particulièrement
dangereux. On devra détruire les objets sans valeur, lessi-
ver le linge ou le plonger dans des liquides désinfectants ;
on emploiera d'ailleurs les moyens indiqués précédemment
et en particulier la solution de chlorure de zinc à 2 pour
cent.
LETTRES, COLIS POSTAUX, ETC. — Lcs lettres et colis pos-
taux seront soumis, dit l'article 54, aux purifications
d'usage. D'ordinaire on taillade légèrement les lettres et
les papiers, pour y permettre la pénétration des gaz dé-
sinfectants ; on les soumet ensuite aux vapeurs de soufre.
Il serait très facile de les porter, sans les lacérer, dans une
étuve à -}- 120°, à l'aide d'une caisse en fil de fer treillage
pour les mettre à l'abri de tout incendie et des détourne-
ments ; ce procédé de désinfection est assez expéditif pour
qu'il n'en résulte aucun retard sérieux. Jadis on les expo-
sait aux vapeurs du vinaigre projeté sur une plaque rou-
gie, procédé complètement illusoire.
On a discuté l'utilité de la désinfection des lettres pos-
tales. Certains faits semblent cependant prouver que des
maladies contagieuses ont pu être transmises par ce véhi-
cule. Récemment, en Angleterre, on a donné une impor-
tance exagérée à quelques cas de transport de la variole
ou de la scarlatine par des lettres écrites par des convales-
cents, en pleine desquamation ; certains même avaient
craint que la boîte aux lettres tout entière ne fût ainsi con-
taminée, et que les lettres en contact avec la première ne
fussent capables de propager au loin des épidémies !
LA CARGAISON. S71
LES PERSONNES. — La désinfection des personnes s'entend
de celles qui sont bien portantes, et des malades. Ces der-
nières doivent être rigoureusement isolées pendant la tra-
versée : leurs déjections (vomito, choléra, etc.) sont je*-
tées immédiatement à la mer ; les taches de souillure sur
le parquet ou les murailles des cabines doivent être lavées
sans aucun retard avec des liquides désinfectants, parmi
lesquels la solution forte de chlorure de zinc à 5 pour 100
nous paraît excellente. La literie, les linges souillés par
ces déjections, devraient être immédiatement lessivés à
l'eau bouillante, soumis à la vapeur de la machine, ou
même jetés à la mer; le sacrifice est nul quand il s'agit
d'empêcher un cas de fièvre jaune de transmettre l'épi-
démie à bord. La promiscuité, presque inévitable sur un
navire de transport ou de commerce, doit rendre encore
plus nécessaires et plus rigoureuses les mesures de désin-
fection que nous avons indiquées pour les hôpitaux. A
l'arrivée au port de débarquement, les malades sont débar-
qués dans les lazarets de 1^'' ou de 2" ordre, où ils sont
rigoureusement isolés des autres quarantenaires. En cas
de mort ou de guérison, les vêtements qui leur ont servi
avant ou pendant la maladie doivent être désinfectés ou
même brûlés.
Les passagers bien portants, mais ayant fait la traversée
sur un navire où il y avait eu des malades, sont tenus en
quarantaine d'observation ou de rigueur, suivant la nature
de la maladie et le port d'arrivée. Au lazaret, ils sont isolés
rigoureusement par groupes de même provenance ; là on
leur assure la possibilité de prendre des bains, on leur
fournit du linge blanc, on désinfecte leurs vêtements par
les moyens indiqués précédemment ; c'est la mesure que
l'on désignait jadis sous le nom de spoglio dans les laza-
rets italiens.
LA CARGAISON. — Jusqu'cn I80I, époquc où eut lieu la
572 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
conférence sanitaire de Paris, les mesures prises contre les
marchandises étaient excessives. Jadis, par la combinai-
son des règlements et des différentes pratiques : quaran-
taine swr fer, quarantaine au lazaret, etc., la quarantaine
des marchandises pouvait aller de 10 à 80 jours et au delà;
et ce n'est que plus tard, en 1837, que la durée en a été
diminuée (1). Celle des hommes était toujours plus ou
moins exagérée : un de nos ministres actuels , disait
Mélier en 1863, en a fait une de 90 jours. Mélier, dans son
rapport à l'Académie, cite l'exemple d'un navire, parti de
Marseille en 1850 pour un port étranger, et chargé vd'ar-
ticles de Paris, modes, meubles divers, curiosités. Comme
il y avait alors quelques cas isolés de choléra à Marseille,
le navire, arrivé au port étranger, fut envoyé au lazaret
pour y subir le déchargement avec déballage de la mar-
chandise, dispersion des objets, exposition à l'air, se-
reine, etc., qui salit, défraîchit, perdit tous ces objets;
l'armateur fut ruiné.
Il serait injuste de méconnaître la valeur de cette
sereine ou exposition prolongée à l'air, au soleil, à la
rosée ; il se produit là, par l'action de l'oxygène ou de
l'ozone, des phénomènes chimiques dont nous avons la
preuve par le blanchiment des toiles écrues, de la cire, etc.
Mais que do temps exige une telle opération ! Quelles im-
menses surfaces elle nécessite ! Que de manutentions dis-
pendieuses et de retard pour le commerce ! Quels dégâts
inévitables cette exposition à la pluie et au soleil n'en-
traîne-t-elle pas pour la plupart des marchandises.
Ces pratiques vexatoires, ridicules et peu efficaces,
n'ont disparu qu'avec une extrême lenteur sous le décri
pubhc ; nulle part la routine n'a conservé plus longtemps
son empire que dans nos anciens lazarets : aujourd'hui,
{\) Recueil des procès-verbaux de la conférence sanitaire, tenue à
Paris en 1851, 2 vol. in-folio; Paris, Imprimerie impériale.
LA CARGAISON. 513
i'on admet que dès que les marchandises ont ?'o?wp?^ charge,
c'est-à-dire sont sorties de la cale, les germes morbides
sont dissipés ou détruits ; il faut se défier de toute exagé-
ration dans cette nouvelle voie.
Dans la marine de l'État, le désarrimage des navires de
guerre est parfois prescrit comme mesure de salubrité et
d'assainissement : de nombreux exemples prouvent l'effi-
cacité de cette mesure, qui ne se distingue pas de
ce que 31élier a institué sous le nom de déchargement sa-
nitaire en 1863, à l'occasion de l'épidémie de fièvre jaune
à Saint-Nazaire.
Voici comment Mélier décrit ce déchargement sanitaire,
dans le rapport qu'il adressa à cette époque à l'Académie
de médecine.
On fait d'abord descendre à terre les passagers et toutes
les personnes qui ne sont pas indispensables à bord, afin
de les soustraire à l'action du foyer qui va être mis à dé-
couvert; ces hommes débarqués sont mis en observation
sur un ponton ou dans des locaux isolés. On leur donne un
bain, du linge blanc et des effets propres (spoglio des Ita-
liens). On enlève les panneaux du navire, on ouvre les
écoutilles, afin de faire pénétrer Fair jusque dans les par-
ties bondées, encombrées et reculées du navire ; il est de
plus nécessaire d'enlever le premier plan des marchan-
dises, afin de mettre à nu le haut de la face interne des
parois du navire. On prépare alors un lait épais de chlo-
rure de chaux, à l'aide d'une partie de chlorure pour 1 par-
ties d'eau. On projette cette solution contre les points de-
venus accessibles des parois intérieures du navire; Fas-
persion à l'aide d'un balai est un moyen plus commode
que la projection à l'aide d'une pompe. La solution des-
cend ainsi lentement, en humectant les surfaces, jusqu'au
fond de la cale, et pénètre dans le fardage, c'est-à-dire
dans Famas de fagots et de menu bois sur lequel reposent
les premières couches de marchandises. Cette solution,
814 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
agitée par les mouvements de tangage et de roulis du"
navire, pénètre partout et désinfecte tout ce qui s'y trouve;:
le chlore devenu libre se dégage entre les interstices, et.
peu à peu gagne les régions supérieures; il y a donc en;
quelque sorte un chlorurage descendait, puis un chloru-
rage ascendant. On continue ces aspersions pendant tout
le temps que dure le déchargement, et l'action incessante
du chlore diminue ou fait disparaître le danger de l'opéra-
tion. En outre chaque caisse, à mesure qu'elle est déchar-
gée, est badigeonnée avec un balai trempé dans le lait de
chaux. Ces caisses ou marchandises ne sont expédiées
qu'après une exposition à l'air de 12 à 24 heures.
Après ce déchargement, Mélier faisait procéder à V as-
sainissement : ce dernier consistait en un nettoyage com-
plet, un grattage à vif, des lavages à l'eau chlorurée, puis
en un et quelquefois plusieurs blanchiments au moyen du
lait de chaux chlorurée. Parfois, on y joignait des fumiga-
tions de chlore gazeux.
Les désinfectants doivent être non seulement répandus
à la surface de la paroi interne, mais dans l'intervalle qui
sépare les divers feuillets constitutifs de la paroi, à sa-
voir : le vaigrage, que Mélier compare ingénieusement à
la plèvre, le hordage, qui est le tégument externe, alors
que les courbes ou couples représentent les côtes ou l'os-
sature de la paroi du navire. Les feuillets circonscrivent
des espaces incomplètement clos, où les détritus peuvent
pénétrer^ dont ils ne peuvent que très difficilement sortir,
et où la stagnation de l'air est presque complète ; on
comprend qu'à la rigueur ces cavités puissent retenir, jus-
qu'au port d'arrivée et jusqu'au jour du déchargement,
une petite partie de l'atmosphère infectante du port de
départ. Il faut donc désobstruer, ramoner en quelque
sorte ces espaces ou 7nailles dont la souillure est extrême :
on se ferait difficilement idée, dit Mélier, de tout ce qu'elles
contiennent de vase durcie, de détritus divers, de saletés
LE NAVIRE. 875
de toutes sortes. On doit y verser des solutions désinfec-
tantes, y pratiquer de véritables injections forcées au
moyen du jet de la pompe.
Ainsi que nous allons le voir tout à l'heure, il est rela-
tivement facile de désinfecter la surface libre de la paroi
interne ; mais il est évident que le grattage, le flambage,
ne sont pas applicables à ces surfaces irrégulières, étroi-
tes, inaccessibles.
LE NAVIRE. — Autrefois, on incendiait les navires en-
vahis par une épidémie grave ; le Donostiara fut incen-
dié dans le port du Passage; le 6 octobre 1821, au dire
de Robert, le navire du capitaine Fohn, qui avait eu
deux décès à bord par fièvre jaune fut brûlé sur la rade
de Séon, près de Marseille (1). Plus souvent encore on
les submergeait, "on les coulait.
Le sabordement est un souvenir et aussi un diminutif
de ces mesures barbares. Au niveau de la Hgne de flottai-
son, on ouvre un certain nombre d'ouvertures opposées;
la mer y entre à la marée haute, inonde toutes les par-
ties, et l'agitation du navire par les flots y détermine des
courants violents qu'on a comparés à ceux qu'on déter-
mine en secouant une bouteille pleine d'eau pour la laver ;
à la marée basse, cette eau de lavage s'écoule et est rem-
placée par de l'eau pure 6 heures plus tard.
C'est cette mesure que Mélier fit prendre en 1862 pour
désinfecter le navire V Anne-Marie qui avait apporté la
fièvre jaune à Saint-Nazaire. Mélier raconte que le sa-
bordement de ce navire eut lieu le 13 août ; V Anne-Marie
resta huit jours entiers, c'est-à-dire jusqu'au 22, soumise
au mouvement seize fois répété de la marée. Au bout de
ce temps, les ouvertures ayant été fermées à marée basse,
le navire se releva de lui-même à la marée haute.
(1) Robert, Guide sanitaire des gouvernements européens; Paris, Cre|
TOt, 1826.
576 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
« Après l'avoir mis à flot, dit Mélier (1), il s'agissait de
le nettoyer. Cette opération du nettoyage a été des plus
laborieuses. Comme on le sait, les eaux de la Loire, te-
nant en suspension un sable fin et vaseux, sont généra-
lement troubles. Déposé dans le navire, ce sable s'y était
accumulé pendant les huit jours d'échouage et avait
formé dans la cale un dépôt considérable. Tout ce qui
était dans le navire en était recouvert et comme enve-
loppé. Il y avait sous cette vase des bois, des débris de
toutes sortes, des voiles de rechange, des restes de provi-
sions, de la literie, des vieux effets, etc., tout cela en dé-
composition plus ou moins avancée, prêt à fermenter ou
en fermentation. »
L'opération ne demanda pas moins de quinze jours du
travail le plus pénible et le plus insalubre. Tl fallut in-
staller et maintenir allumés en permanence plusieurs
poêles , pour dessécher la cale et les parois du navire
que l'eau de mer avait pénétrées. Il n'est pas douteux que
le dessèchement partiel est resté très incomplet, et que
le bois imprégné d'eau de mer s'est maintenu humide
pendant plusieurs mois et plusieurs années après cette
série d'opérations. N'est-ce pas ici le lieu de rappeler que
Turner, et après lui la plupart des hygiénistes, ont figuré
l'hygiène navale par un triangle, dont les trois côtés sont :
la propreté, la sécheresse et la ventilation des navires.
On ne peut méconnaître le bénéfice réalisé par la mé-
thode que préconisait Mélier, bénéfice qui se résume
en deux mots : sécurité plus grande, économie de temps ;
c'est l'intervention efficace et rationnelle, substituée à la
temporisation décevante et arbitraire qui formait la base
de l'ancien système quarantenaire. Cependant, M. Le-
roy de Méricourt (2) croit avec raison qu'on peut faire
mieux encore que ne proposait Mélier.
(1) Mélier, lielalion de la fièvre jaune survenue à Saint-Nazaire en 1662,
{Mémoires de VAcfidémie de médecine, T. XXVI, 1863, p. 47),
(2) Leroy de Méricourt, Assainissement de la cale des navires contc~
mines {Archiv s navales, 1865, T. III. p. 201).
LE NAViRR. 57-7
Le sabordement est une mesure extrême, plutôt faite
pour rassurer les populations par son apparente rigueur,
qu'elle n'est vraiment efficace ; c'est une opération longue,
coûteuse et difficile, qui rend humide pour toujours le
navire ainsi rempli par l'eau de mer ; rien ne prouve
d'ailleurs que les miasmes et les vers dont le bois peut
être imprégné soient de la sorte détruits par l'eau.
M. Leroy de Méricourt propose de faire le décharge-
ment sanitaire et le lavage à l'eau douce des cales in-
fectées, en munissant les hommes employés d'un appa-
reil respiratoire à air comprimé. L'ouvrier ne respire
plus dès lors l'air souillé des navires, mais l'air comprimé
contenu dans un appareil qu'il porte sur le dos ; on pour-
rait le mettre d'ailleurs en communication avec l'air pur
pris librement à l'extérieur, à l'aide des scaphandres qui
servent journellement pour le travail sous l'eau. On peut
faire dans les cavités du navire des fumigations désin-
fectantes^ qu'un ouvrier muni d'un de ces appareils pour-
rait diriger et surveiller. Mais aucun moyen n'est plus effi-
cace que le flambage et la carbonisation légère des parois
par la méthode qu'a préconisée le savant directeur des
constructions navales, M. de Lapparent. M. Leroy de Méri-
court propose de généraliser cette méthode d'assainisse-
ment et de désinfection pour tous les navires infectés ; il
décrit ainsi le procédé de flambage par -un gaz inflam-
mable, qui rend tant de service contre lo. pourriture des
bois :
« Avec un chalumeau communiquant à un réservoir de
gaz d'éclairage muni d'un régulateur, on lèche la superficie
du bois comme avec une véritable langue de feu. On dé-
termine à sa surface une chaleur considérable qui a pour
premier effet de chasser l'eau contenue dans les couches
superficielles et de faire passer à l'état sec les parties fer-
mentescibles ; en second lieu, au-dessous de la couche
externe complètement carbonisée dans l'épaisseur d'un
Vallix. — Désinfectants 37
57g DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
quart ou d'un tiers de millimètre, se trouve une surface
torréfiée, c'est-à-dire presque distillée et imprégnée des
produits de cette distillation qui sont des matières créoso-
tées empyreumatiques ; sur les navires à parois en fer, le
flambage suroxyde et fait tomber en poussière la couche
de rouille qui les tapisse. »
On ne saurait trop louer ou généraliser ce procédé si
simple, si ingénieux et si efficace ; il est appelé à rendre
de grands services, non seulement sur les navires, mais
dans nos demeures fixes, sur les murailles de nos hôpi-^
taux après une épidémie. 11 n'est malheureusement pas
applicable aux faces opposées et profondes des revête-
ments intérieurs et extérieurs de la paroi du navire, à ces
espaces irréguliers et inacessibles qui recouvrent d'une
double cuirasse la carcasse du bâtiment et qui servent de
réceptacles à des immondices de toute espèce. Il n'est
guère que la vapeur surchauffée ou les gaz désinfectants
(chlore, acide sulfureux, acide hypoazotique, etc.), qui
puissent assurer cette désinfection profonde.'
Depuis de longues années, M. le W Fauvel a préconisé
l'utilisation de la valeur provenant des machines mêmes
qui sont à bord, pour purifier toutes les parties du navire.
M. Leroy de Méricourt a plus récemment montré combien
cette méthode était d'un emploi facile, aujourd'hui que le
nombre des navires marchant à la vapeur augmente de
plus en plus.
Il nous semble évident que cette ressource est supé-
rieure à toutes les autres, autant par son efficacité à peu
près absolue que par la facilité de l'exécution ; car, pour
les navires qui ne possèdent pas eux-mêmes de machine,
il suffirait de faire approcher un remorqueur ou tout autre
bâtiment à vapeur, qui assurât ainsi leur désinfection.
Cette opinion a recueilli récemment l'unanimité des suf-
frages dans la discussion sur les quarantaines maritimes,
qui a eu lieu le C mai 1879 au Congrès de l'Association
LE NAVIRE. 979
médicale américaine, à Atlanta. M. le D" A.-N. Bell, de
New-York, est venu faire le récit des opérations d'assai-
nissement dont il a été chargé en 1847, sur les steamers
le Vixen, le Mahones et le Cumherland, tous trois sus-
pects ou infectés de fièvre jaune (1). La cargaison fut
portée sur le pont, les écoutilles furent fermées, et au
moyen d'une manche en cuir la vapeur de la chaudière fut
directement projetée sur toutes les parois intérieures du
navire; pendant 3 heures, la vapeur fut lancée avec toute
la force que les chaudières pouvaient déployer. Puis on
ouvrit les écoutilles, et en quelques minutes toutes les
surfaces étaient parfaitement sèches ; la peinture était sou-
levée en ampoules, quelques minces cloisons étaient fen-
dues ou fissurées, mais les rats et les cancrelats qui in-
festaient le navire furent tous détruits ; ils avaient été
cuits et bouilUs dans leurs repaires et on les ramassait à
pleins seaux. A la campagne suivante, l'état sanitaire de
l'équipage fut excellent, et bien qu'on croisât à Port-au-
Prince, à Saint-Domingue, à Kingston, aucun cas de fiè-
vre jaune ne reparut à bord. L'opinion fut généralement
admise, au Congrès d'Atlanta, que la vapeur surchauffée
était le plus puissant de tous les désinfectants, et que les
agents chimiques donnaient trop souvent une sécurité trom-
peuse.
A cette époque, les hygiénistes américains étaient encore
sous le coup du dépit causé par les tentatives infructueu-
ses de désinfection par le soufre, du navire le Plymouth^
revenu des Antilles avec la fièvre jaune à bord, en 1818.
Non seulement on avait évacué le navire, on l'avait re-
mis sur les chantiers, on l'avait lavé et réparé dans toutes
ses parties, on l'avait laissé pendant 3 mois exposé, du-
rant l'hiver rigoureux de Boston, à une température de
(1) The American médical Association {The Sanitarian, Juin 1879,
n° 7S, p. 236-286; — Bévue d'hygiène et de police sanitaire^ octobre
lS79j p. 827).
580 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
— 17° C. ; mais encore on avait fait brûler dans ses ca-
vités jusqu'à 100 livres de soufre, et on avait retenu pen-
dant 48 heures dans ses flancs cette atmosphère purifiante.
Au bout de 3 mois, le 15 mars, il appareille de nouveau, il
emporte un équipage neuf, et huit jours après son dé-
part, en pleine mer, sans avoir eu aucun contact sus-
pect depuis Boston, deux cas de fièvre jaune se dévelop-
pent à bord !
Cette expérience prouve assurément combien il est dif-
ficile de désinfecter un navire contaminé : il ne faut pas
cependant exagérer son importance et sa signification. Le
navire, quoique de construction assez récente, était at-
teint de pourriture, c'est-à-dire que le bois avait subi cette
transformation humique dont la nature et la cause sont
encore si obscures et qui semble rendre plus facile l'im-
prégnation du navire par les miasmes ou les germes vi-
rulents. En outre, on avait bien débarqué tout l'équipage ;
mais une partie du matériel débarqué avant la désinfection
avait été placée dans des magasins, y resta plusieurs mois
enfermée, et fut replacée dans le navire au moment du
départ sans avoir été soumise à des fumigations purifica-
trices. Quel désinfectant pourrait être efficace, si on ino-
cule de nouveau la maladie au navire avant de l'envoyer
faire une nouvelle campagne dans les régions tropicales?
Ici, dès que les conditions de température deviennent fa-
vorables, dès que le navire arrive dans la zone méridio-
nale, les germes introduits à Boston avec le matériel réin-
tégré se développent et créent une nouvelle épidémie; il
ne faut point se presser d'accuser l'inefficacité de l'acide
sulfureux.
En 1877, à la suite de la conclusion de la paix et pen-
dant l'évacuation de l'armée russe de Turquie, des bateaux
à vapeur transportèrent les blessés de l'armée des Balkans
à Odessa, Sébastopol, Nicolaiew, Théodosie. Un grand
nombre de malades atteints de fièvre typhoïde ou de
LE NAVIRE. S81
typhus avaient souillé les navires ; ceux-ci furent désin-
fectés par le chlore qui rendit peu de service, par le sou-
fre qui parait avoir mieux réussi ; mais le D"" Kowalew-
Runski (1) nous apprend que le mécontentement fut gé-
néral, parce que les vêtements des soldats transportés
conservaient une odeur désagréable de soufre longtemps
après la désinfection.
Nous croyons cependant que ce moyen pratique, éco-
nomique, peu dangereux en ce qui concerne le danger
d'incendie, peut rendre, quand il est convenablement ap-
pliqué^ de bien autres services que le chlorure de chaux
et même que le chlore gazeux.
On ne peut méconnaître que l'aspersion avec un lait de
chlorure de chaux, recommandé par Mélier, soit d'une
efficacité bien incertaine quand il s'agit de fléaux comme
la fièvre jaune, le choléra, la variole, etc. Les médecins
russes ne paraissent pas en avoir tiré grand profit pour
la désinfection des paquebots ramenant les malades de la
Turquie d'Europe, Et cependant on employait la dose
élevée de 3 kilogrammes de chlorure de chaux mélangés
à 3 kilogrammes d'acide chlorhydrique pour 20 mètres
cubes, et les écoutilles restaient fermées pendant 24 heures
après le début de l'opération. Puisque le chlore n'a eu
qu'une action douteuse à une telle dose, comment aurait pu
agir la solution plus faible de 1 partie de chlorure de chaux
pour 20 parties d'eau, avec laquelle on humectait le lest
et les parois de la cale? Si le chlore gazeux ainsi prodigué
n'a pas empêché quelques cas de contagion de se produire,
c'est peut-être qu'ici encore, immédiatement après la dé-
sinfection, on introduisait dans le navire, avec le maté-
riel réintégré ou les passagers, de nouveaux germes de
contagion. On n'a pas tout fait quand on a laissé fumer du
(1) D"" Kowalew-Runski, Désinfection des paquebots employés au trans-
port de l'armée russe de la Turquie d'Europe à Nicolaieiv, (Gouiple-
rendu par M Milliot, Gazette médicale de Paris. 1880 p. l60\.
5S2 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
soufre OU du chlorure de chaux dans un local infecté, et la
désinfection comprend une série d'opérations et de soins
vigilants qu'un médecin instruit et attentif est seul ca-
pable de bien diriger.
Le flambage, la vapeur surchauffée, les fumigations de
soufre, celles de chlore gazeux, voilà, dans leur rang d'ef-
ficacité, les moyens qui nous paraissent véritablement ca-
pables d'assurer l'assainissement des parois, des espaces,
de la cargaison d'un navire.
Même en l'absence de toute souillure épidémique, le
navire a une tendance naturelle à s'infecter, et l'emploi
des désinfectants est souvent nécessaire. La cale est le
véritable foyer d'infection d'un navire ; c'est sur ce point
que s'est concentrée depuis plusieurs siècles la vigilance
des hygiénistes de la marine. La sentine est le confluent
des divers égouts de la cale ; au milieu d'un limon ferru-
gineux qui se décompose par l'action des matières orga-
niques et qui déverse des émanations sulfureuses, sont
ensevelis des monceaux de blattes, de cancrelats, de rats,
de débris animaux et végétaux de toutes sortes ; l'eau qui
délaie cette boue noire et infecte constitue le marais nautique
dont M, Fonssagrives a rendu la notion classique. En tout
temps il faut nettoyer, désinfecter la cale ; à plus forte
raison, qurind le navire est en quarantaine (1).
Un navire est rarenient étanche, même quand il est
neuf; les vaisseaux en feF, les cuirassés, donnent seuls à
cet égard une satisfaction presque complète à l'hygiéniste:
la cale contient donc inévitablement de l'eau. Les uns pensent
qu'il y a toujours trop d'eau dans la cale d'un navire en
bois et qu'il ne faut pas remuer les boues ; d'autres, qu'il
vaut mieux délayer et entraîner cette boue noire et fétide
et la laver à grande eau. C'est cette dernière opinion qui
ssrable aujourd'hui prévaloir dans la marine. Les grands
(1) Instructions ministérielles du 30 août 1861, et du 14 Juin 1862
prises sur le rapport de Mèlier.
LE NAVIRE. 883
navires de l'Etat ont presque tous dos rohinetsiWtH de cale,
situés bien au-dessous de la ligne de flottaison et permet-
tant de faire arriver avec une grande force l'eau extérieure
dans les bas-fonds qu'il faut laver ; les pompes expulsent
ensuite l'eau qui a remué et entraîné les boues. Parfois,
on ouvre le soir les robinets de cale et on laisse séjourner
l'eau tonte la nuit, afin que le marais nautique soit couvert
et que l'exhalation des miasmes putrides soit moins active ;
on ne fait jouer les pompes que le matin, M. Fonssa-
grives (1) approuve ce mode de lavage, employé sur cer-
tains vaisseaux de l'État. ..
Mais avant de verser au dehors à l'aide des pompes une
eau infecte et corrompue qui, lorsqu'on l'agite, empeste
l'atmosphère autour du navire, il est bien préférable de la
désinfecter. M. le D'" For né (2) a, dans ce but, expérimenté le
sulfate de fer dont M. Fonssagrives, dès 1856, avait proposé
l'emploi ; 15 kilogrammes de sulfate de fer projetés à
l'état de cristaux, suffisaient pour désinfecter chaque fois
les eaux vannes d'un bâtiment-écurie, pendant l'expédition
du Mexique ; le sel coûtant 20 centimes le kilogramme,
M. Forné estimait que pour une somme de 100 francs un
bâtiment peut ainsi désinfecter sa cale tous les six jours
pendant un an. M. Fonssagrives pense même que le sul-
fate de fer peut avoir une action favorable pour la conser-
vation des bois, ou arrêter la marche de la carie du bois
en détruisant les champignons qui la produisent. M. Leroy
de Méricourt a proposé d'utiliser pour cet usage les eaux
de décapage qui abondent dans nos arsenaux ; elles sont
très riches en sulfate de fer et leur valeur vénale est pres-
que nulle. Les observations ultérieures de M. Bourel-Ron-
(1) Fonssagrives, Traité d'hijgiène navale; Paris, Baillicre, 1877, 2" Edi-
tion, p. 407.
(2) Forné, Du protosiilfate de fer comme désinfectant des eaux de la
cale [Archives de médecine navale, 1864, T. 1. p. 239).
384 DÉSINFECTION QUARANTENAIRE.
cière semblent toutefois avoir diminué les espérances et
satisfaction qu'avaient causées les premiers essais.
M. Bérenger-Féraud (l),qui a eu d'ailleurs Toccasion de
constater les bons effets du sulfate de fer, donne la pré-
férence au permanganate de potasse; deux litres d'une
solution au centième lui ont suffi pour désinfecter la cale
du Jérôme-Napoléon. Mais la dépense est grande, puisque
la désinfection d'un vaisseau coûterait ainsi 300 francs
par mois; ne fût-ce que par cette raison, le moyen est peu
praticable.
Nous avons déjà parlé des expériences rigoureuses faites
par Max Pettentkofer (2), en 1876, sur plusieurs navires
de l'empire d'Allemagne et sur la proposition du gouver-
nement ; en voici le résultat sommaire :
Ainsi que nous l'avons dit plus haut (p. 71), le lait
de chaux agit comme absorbant bien plus que comme an-
tiseptique; il n'est donc pas étonnant qu'il fasse incom-
plètement disparaître la mauvaise odeur. En outre , il
forme des dépôts lourds qui encrassent les pompes éva-
cuatrices et les mettent rapidement hors de service.
Le chlorure de zinc a donné au contraire d'excellents
résultats. En dissolvant une partie de chlorure de zinc
cristallisé dans 200 parties d'eau de cale, ou 1 partie de
liqueur de Burnett (qui contient 1 kilogr. de sel pour
2 kilogr. du liquide) dans 100 parties d'eau de cale, toute
odeur disparaissait, et au bout de 4 semaines le mélange
était sans changement. Mais ces doses énormes ne sont
pas pratiques.
La dose adoptée par la commission allemande, à la
suite d'expériences répétées sur une très vaste échelle et
sur plusieurs vaisseaux de la flotte, est de 2 litres de
1) Bérenger-Féraud {Archives navales, 1864, T. 1).
(2) Max vou Pettenkofer, Bericht iiber Désinfection von Schiffen,
(Berichte der Cholera-Kommission fur das Deutsche Reioh; Berlin, Cai 1
Heymann's Verlag, 1871J, in-4», p. 310.)
LE NAVIRE. 583
liqueur de Burnett par mètre cube ou 1000 litres 'd'eau
de cale ; elle correspond à un kilogramme de chlorure de
zinc cristallisé par mètre cube. Dans ces conditions,
l'odeur sulfhydrique disparaissait complètement et n'ava't
pas reparu au bout de 14 jours; on percevait cependant
encore une légère odeur de graisse rance, caractéristique
des acides gras qui existent en abondance dans l'eau des
cales ; cette odeur très tenace et d'une fétidité qui n'a peut-
être pas son égale, n'était pas détruite par une dose moitié
moindre de sel de zinc; avec la proportion indiquée
(1 kil. de chlorure solide par mètre cube) la désinfection
pouvait être considérée comme suffisante. Ce sel et le
précipité qu'il forme n'altère pas les métaux, les cuirs,
les bois, et les dépôts ne gênent nullement le jeu des
pompes.
Toutefois, M. le professeur Pettenkofer, à qui nous
avions demandé quelques renseignements sur la com-
position de la liqueur de Burnett employée dans ces expé-
riences et sur la valeur de cette désinfection, a bien voulu
nous transmettre les renseignements qu'il avait à cet effet
demandés à M. leD'' Wenzel, médecin général de la marine
militaire allemande. Nous extrayons de la lettre de M. le
D'' Wenzel les indications très intéressantes qui suivent.
« La solution de Burnett employée dans la marine impé-
riale de l'empire d'Allemagne contient 50 à 60 pour 100
de chlorure de zinc. Cette solution agit bien plus comme
désodorisant que comme désinfectant proprement dit. Les
conclusions de 1876 ne reposaient que sur le résultat de
l'examen microscopique; les organismes étaient immo-
biles, mais on n'avait pas recherché s'ils étaient capables
d'ensemencer et de fertiliser des liquides de culture. Des
recherches plus récentes faites au lazaret de la marine à
Kiel ont montré qu'une solution contenant jusqu'à 8 pour
100 de chlorure de zinc ne stérilisait pas définitivement
tous les germes. Les expériences faites à l'Office sanitaire
586 DÉSINFECTION QUARÂNTENAIRE.
de Berlin {Mittheilungen des Kaiserlichen Gesiindheitsamte,
1881, p. 261 et 262) concordent avec ces résultats. Il faut
donc faire des réserves sur la valeur vraiment désinfec-
tante du chlorure de zinc; au contraire son action désodo-
rante est puissante et incontestable... »
Le chlorure de zinc était jadis d'un emploi vulgaire
dans la flotte anglaise ; en 1870, il a été interdit par les
lords de l'Amirauté, à la suite de quelques empoisonne-
ments dont avaient été victimes des marins qui en avaient
accidentellement avalé (1). La causticité du chlorure de
zinc est en effet redoutable, et cet agent réclame une sur-
veillance qui ne doit pas être très diPficile à bord. La puis-
sance antiseptique de ce sel, son prix modéré, quand on
se contente de solutions concentrées et impures prove-
nant des résidus de fabrication, nous paraissent des rai-
sons sérieuses pour le préférer au sulfate de fer et à tous
les autres désinfectants des eaux de la cale.
Nous ne pouvons mieux faire que de terminer ce cha-
pitre par les paroles suivantes de M, Fonssagrives : « Il ne
faut pas oublier que la désinfection chimique constitue
Vultima ratio de l'hygiène navale, et que l'idéal qu'il faut
toujours poursuivre est de n'en pas avoir besoin. Je n'irai
pas jusqu'à dire qu'il faut renoncer aux désinfectants;
mais j'estime que, dans des circonstances ordinaires, on
peut sinon s'en passer au moins en user avec modération
et que tous les désinfectants du monde ne sauraient sup-
pléer, pour la bonne tenue d'une cale, la propreté et la
vigilance. Mieux vaut prévenir la fétidité d'une cale, que
d'avoir à la combattre. »
(1) De Freycinet, Assainissement industriel, p. 57.
LOI DU 21 JUILLET 1881. 587
CHAPITRE III
DÉSINFECTION VÉTÉRINAIRE
Les règles applicables à la désinfection nosocomiale sont
également applicables aux animaux malades, et une écurie,
une étable, les objets qui ont été en contact avec des ani-
maux infectés, ne sont pas purifiés autrement qu'une salle
de malades, des literies souillées, etc.
La question se simplifie d'ailleurs beaucoup en ce qui
concerne les bètes malades ; le plus souvent, quand elles
sont gravement atteintes, on ne les soigne pas, on les
abat ; on abat même les bètes suspectes ; c'est une désin-
fection préventive, ou plutôt on prévient l'infection. Même
dans ce cas, il faut désinfecter les locaux et les objets
souillés par les animaux malades ou suspects, il faut désin-
fecter leurs cadavres, afin d'empêcher la propagation et
la dissémination.
La police sanitaire des animaux est fort en avance sur
celle des hommes : ceux-ci ne sont pas aussi bien protégés
que ceux-là contre les dangers provenant des voisins; il
est vrai qu'on ne reconnaît pas aux animaux le droit qu'on
attribue à l'homme de se rendre malade ou de s'empoi-
sonner si tel est son bon plaisir. Une loi récente, qui ser-
vira peut-être dans l'avenir de modèle pour une loi sem-
blable en faveur des hommes, vient de régler la police
sanitaire des animaux. Cette loi, en date du 21 juillet 1881,
à l'élaboration de laquelle M. Bouley a eu la plus grande part,
contient les prescriptions suivantes qui ont trait à la
désinfection :
Titre le*". Art. 5. Après la constatation de la maladie (contagieuse),
le préfet statue sur les mesures à mettre à exécution dans le ca§
588 DESINFECTION VÉTÉRINAIRE.
particulier. Il prend, s'il est nécessaire, un arrêté portant décla-
ration d'infection. Cette déclaration peut entraîner, dans les localités
qu'elle détermine, l'application des mesures suivantes :
1° (Isolement)
2° et 3" (Interdiction des localités et des foires ou marchés)
4° La désinfection des écuries, étables, voitures ou autres moyens
de transport, la désinfection ou même la destruction des objets à
l'usage des animaux malades ou qui ont été souillés par eux, et
généralement des objets quelconques pouvant servir de véhicules à
la contagion.
Un règlement d'administration publique déterminera celles de ces
mesures qui seront applicables suivant la nature des maladies
Art. 14. La chair des animaux morts de maladies contagieuses
quelles qu'elles soient, ou abattus comme atteints de la peste
bovine, de la morve, du farcin, du charbon et de la rage, ne peut
être livrée à la consommation.
Les cadavres ou débris des animaux morts de la peste bovine et
du charbon, ou ayant été abattus comme atteints de ces maladies,
doivent être enfouis avec la peau tailladée, à moins qu'ils ne soient
envoyés à un atelier d'équarrissage régulièrement autorisé.
Les conditions dans lesquelles devront être exécutés le transport,
l'enfouissement ou la destruction des cadavres seront déterminées
par le règlement d'administration publique prévu à l'article o.
Art. lo. La chair des animaux abattus comme ayant été en con-
tact avec des animaux atteints de la peste bovine peut être livrée à
la consommation, mais leurs peaux, abats et issues, ne peuvent être
sortis du heu de l'abattage qu'après avoir été désinfectés.
Art. 16. Tout entrepreneur de transport par terre ou par eau qui
aura transporté des bestiaux devra en tout temps désinfecter, dans
les conditions prescrites par le règlement d'administration publique,
les véhicules qui auront servi à cet usage.
Titre iv. Art. 33. Tout entrepreneur de transports qui aura con-
trevenu à l'obligation de désinfecter son matériel, sera passible d'une
amende de 100 à 1,000 francs. 11 sera puni d'un emprisonnement de
dix jours à deux mois, s'il est résulté de celte infraction une con-
tagion parmi les autres animaux.
Art. 33. Si la condamnation pour infraction à l'une des disposi-
tions de la présente loi remonte à moins d'une année, ou si cette
infraction a été commise par des vétérinaires délégués, des gardes
champêtres, des gardes forestiers, des officiers de police à quelque
titre que ce soit, les peines peuvent être portées au double du
maximum fixé par les précédents articles.
Titre v. Art. 37. Les frais d'abattage, d'enfouissement, de trans-
port, de quarantaine, de désinfection, ainsi que tous les autres frais
auxquels peut donner lieu l'exécution des mesures prescrites en
vertu de la présente loi, sont à la charge des propriétaires ou con-
ducteurs des animaux
WAGONS ET VOITURES DE TRANSPORT. 589
La'désinfectioa des wagons de chemins de fer, prescrite par l'ar-
licle 16, a lieu par les soins des compagnies; les frais de celte
désinrection sont iixcs par le ministre des travaux publics, les com-
pagnies entendues.
Déjà, avant la promulgation de la loi actuelle sur la po-
lice sanitaire des animaux, le Ministre de l'Agriculture et
du Commerce avait adressé en date du 22 octobre 1880 une
circulaire à tous les préfets de la République, réglant les
mesures de désinfection à appliquer aux wagons qui au-
raient servi au transport des animaux. Nous reprodui-
sons ici l'ordonnance du Préfet de police de la Seine, ré-
digée en conformité avec la circulaire ministérielle.
Vu l'arrêté du Ministre des travaux publics, en date du 27 oc-
tobre 1877, quia prescrit aux compagnies de chemins de fer de faire
désinfecter, à la réquisition des préfets, les wagons ayant servi au
transport du bétail, et qui a autorise ces compagnies à percevoir,
pour frais de désinfection, une taxe de trois francs par wagon ;
Vu la loi des l(j-2i août 1790 ;
A'u les arrêtés du gouvernement, du 12 messidor an VIII et 3 bru-
maire an IX;
Vu les instructions de M. le Ministre de l'agriculture et du com-
merce, en date du 22 octobre 1880;
Ordonne ce qui suit :
Art. l". Il est prescrit aux compagnies de chemins de fer qui
ont des gares situées dans le ressort de la Préfecture de police, de
faire nettoyer et désinfecter, dans les vingt-q latre heures qui sui-
vront le déchargement, tous les wagons qui auront servi au trans-
port des animaux de quelque espèce que ce soit.
Immédiatement après l'embarquement des animaux, il sera collé
sur chaque wagon une étiquette imprimée, portant la mention sui-
vante.
GARE DE {nom de la gare ejcpéditrlce ou de transit .■).
A DESINFECTER A l' ARRIVEE.
Après la désinfection, cette étiquette sera remplacée par une.
autre portant :
GARE DE {iioni de la gare desti?ia faire).
DÉSINFECTÉ.
590 DÉSINFECTION VÉTÉRINAIRE.
Il est interdit de mettre en chargement aucun wagon à bestiaux
qui ne porte cette seconde étiquette.
Ai't. 2. Les hangars et cours servant à recevoir les bestiaux dans
les gares des chemins de fer ; les rampes et quais d'embarquement et
de débarquement ; le matériel spécial employé pour l'introduction
des animaux dans les wagons, devront être nettoyés par le balayage
et le lavage à grande eau après chaque expédition ou chaque arrivée
d'animaux.
Art. 3. La présente ordonnance sera notifiée aux compagnies de
chemins de fer qui ont des gares situées dans le ressort de la Préfec-
ture de police.
La circulaire ministérielle du 22 octobre 1880 est
venue réaliser un vœu maintes fois exprimé dans les rap-
ports sur les épizooties, présentés aux Conseils d'hygiène
des départements. Des exemples extrêmement nombreux
ont prouvé que des épizooties désastreuses avaient souvent
pour origine la maladie contractée dans les wagons par des
animaux transportés d'une ville ou d'une contrée dans une
autre. On peut lire à ce sujet les doléances faites en 1878
par M. Verrier de Rouen, M. Griois d'Amiens, M. Canone
de Bourg, devant les conseils d'hygiène de leurs départe-
ments (1). En 1880, au Congrès d'hygiène de Turin, sur
la proposition de M. le professeur Bassi, là section vétéri-
naire avait adopté un ordre du jour exprimant le vœu
qu'une désinfection régulière des wagons fut adoptée par
tous les gouvernements, en vue de prévenir la diffusion
des maladies contagieuses des animaux domestiques (2).
Une grave question, qui intéresse au plus haut point
l'hygiène publique comme aussi l'hygiène vétérinaire
et agricole, est celle de la disparition des cadavres des ani-
maux morts de maladies virulentes. Depuis une époque
très ancienne, ces cadavres doivent être enfouis profon-
(1) E. Vallin, Rapport au Ministre de l'Agriculture et du Commerce
sur les travaux des Conseils d'hygiène et de salubrité en 1878, fait au
nom du Comité consultalif d'hygiôno; {Recueil des travaux du Comité
consultatif d'hygiène. 1880, T-X. p. 130)
(2) Compte rendu du Congrès de Turin {Revue d'hygiène et de police sa-
nitaire, 1880, p. 912.)
CADAVRES DES ANIMAUX SUSPECTS. 591
dément et avec certaines précautions bien déterminées.
L'article 5 de l'arrêté du Parlement de 1145 et celui du
Conseil du 16 août 1784 sont à ce point de vue très-expli-
cites.
Ces décisions ont été confirmées par les arrêtés du 27
vendémiaire an II, l'article 461 du Gode pénal, l'ordon-
nance du n janvier 1815.
Aussitôt que la béte est morte, au lieu de la traîner, ou doit la
transporter à l'endroit où elle doit être enterrée, endroit qui sera,
autant que possible, au moins à 50 toises des habitations. On la jette
seule dans une fosse de huit pieds de profondeur, avec toute sa
peau tailladée en plusieurs parties (afin qu'elle ne puisse être
vendue), et on la recouvre de toute la terre sortie de la fosse... Il
est défendu de jeter les bêtes mortes dans les bois, les rivières ou
la voirie, et de les enterrer dans les étables, cours et jardins, sous
peine de 300 francs d'amende.
Nous avons vu que l'article 14 de la loi du 21 juillet
1881 confirme ces prescriptions, tout en réservant pour
un règlement d'administration qui n'a pas encore paru les
conditions du transport, de l'enfouissement ou de la des
truction du cadavre.
Pendant longtemps, en effet, on a cru que la décompo-
sition au sein de la terre, que la putréfaction, assurait la
destruction des germes virulents que les cadavres d'ani-
maux pouvaient contenir. En 1876, à l'Académie de méde-
cine, M. H. Bouley rappelait que pendant le siège de Paris
il avait fait enfouir dans les fumiers un grand nombre de
cadavres de bovidés qui avaient péri par suite du typhus du
bétail ; cette opération paraissait avoir eu un plein succès,
puisque plusieurs années après il n'avait encore été fait
nulle mention d'épizooties survenues dans le voisinage des
fermes où ces enfouissements avaient eu lieu ; on pensait
alors que la température élevée qui existe au centre des
fumiers était capable d'activer la destruction des matières
organiques et même des particules virulentes. Aujourd'hui
une plus grande réserve s'impose et l'on pourrait craindre
592 DÉSINFECTION VÉTÉRINAIRE.
que cet ensevelissement dans du fumier ne convertît ce-
lui-ci en un immense champ de culture où se développe-
raient des microbes pathogénétiques.
Les célèbres expériences de M. Pasteur ont montré en
effet que les corpuscules-germes de plusieurs des microbes
viruliformes résistent presque indéfiniment à la putréfac-
tion, oii à une température voisine de 100°. Les vers
de terre ramènent à la surface du sol, avec leurs dé-
jections, ces spores microscopiques qu'ils sont allés cher-
cher au fond des fosses d'enfouissement et la terre
pulvérulente amassée au-dessus de ces fosses peut, en
s'introduisant dans les fosses nasales ou la bouche des
moutons qui passent ou séjournent en ces endroits, leur
inoculer le charbon. C'est ainsi que les épizooties de sang
de rate se perpétuent dans certaines localités ; c'est ainsi
que justifient leur nom ces places maudites, où l'on a en-
foui jadis des moutons charbonneux et qu'un troupeau ne
peut traverser sans payer immédiatement son tribut à la
maladie.
Un médecin de Limoges, M. le D"" Thouvenet, a récem-
ment proposé de faire dans tous ces cadavres d'animaux
des injections antiseptiques ou désinfectantes, avant de les
enfouir. Il conseille de faire dans une veine l'injection
forcée d'un certain nombre de litres d'une solution au cen-
tième d'acide sulfurique, azotique ou chlorhydrique. Par un
mécanisme comparable aux procédés d'hydrotomie, les
tissus seraient imprégnés de ce liquide et l'auteur pense
que toute crainte de danger ultérieur serait évitée. Mais
il est évident que cette opération serait difficile, longue,
coûteuse, qu'elle nécessiterait l'usage d'un bon instru-
ment et d'un opérateur assez exercé; le fermier ne se
résoudra jamais à cette perte de temps et à cette dépense.
En outre, il est inadmissible que dans un cadavre où les
microbes pullulent, tous ces protorganismes soient atteints
et détruits par le liquide. Il serait plus rationnel d'en-
CADAVRES DES ANIMAUX SUSPECTS. 593
voyer, avec certaines précautions et sous de bonnes ga-
ranties, ces cadavres à l'équarrisseur ou à la fonderie de
suif qui les transformerait par la cuisson en matière d'en-
grais. Mais il n'y a pas partout d'équarrisseur, et les fon-
deries de suif où une telle opération est possible sans dan-
ger n'existent qu'au voisinage immédiat de l'abattoir d'une
très grande ville. La destruction parle feu, l'incinéra-
tion, est au contraire une ressource radicale, qui assure
la désinfection d'une façon absolue.
Au Congrès internationnal d'hygiène réuni à Turin (i), au
mois de septembre 1880, la section d'hygiène vétérinaire
a voté l'ordre du jour suivant, à la suite d'un rapport de
M. Brusasco, sur la transmissibilité du charbon.
" La section propose de joindre aux mesures prophylactiques
déjà en vigueur, dans les cas de mort des animaux charbonneur,
les mesures suivantes :
l'^ La cuisson dans des chaudières ou des fourneaux ambulants,
dans les lieux où il n'y a pas d'équarrissage ;
2° La, torréfaction de la terre des écuries et du produit d'incrusta-
tion des murs ; la torréfaction et la désinfection de toutes les matières
et de tous les outils infectés ;
3° Le revêtement du sol des écuries par une couche d'asphalte ;
4° L'établissement de stations destinées à l'enterrement, avec
cuisson préalable, des animaux morts du charbon ou d'autres
maladies qui les rendent impropres à l'alimentation. »
Enfin, à la même époque, le Congrès d'hygiène réuni
tout entier au Crématoire de Milan, a acclamé et signé, sur
la proposition de MM. de Cristoforis et Lacassagne, un
vœu en faveur de V Incinération obligatoire des animaux
atteints ou morts de maladies transmissibles. Il n'est pas
douteux que tous les hygiénistes ne s'associent à ce
postulatum ; le difficile est de rendre cette incinération
pratique, facile, peu coûteuse, dans toutes les campagnes.
On voit qu'on ne peut plus dire comme autrefois, morte
(1) Compte-rendu du Congrès d'hygiène de Turin, Revue d'hygiène et
de police sanitaire, 15 octobre 1880, p. 913.
Vallin. — Désinfectants. 38
594 DÉSINFECTION VÉTÉRINAIRE.
la bête, mort le venin. Cela est surtout vrai pour les lo-
caux, les objets de toutes sortes que l'animal malade a
pu souiller pendant sa vie. Ici, comme dans nos hôpitaux,
il faut tout désinfecter. Renault, dont les nombreuses ex-
périences sur les désinfectants ne sont parvenues jusqu'à
nous que par les notes que M. Reynal a pu utiliser pour
son article Désinfection du Nouveau dictionnaire pratique
de médecine, de chirurgie et d'hygiène vétérinaires (T. IV,
1858, p. 685), Renault avait la plus grande confiance
dans l'emploi de l'eau bouillante pour désinfecter les ob-
jets ou les locaux souillés par des virus. Dans ces expé-
riences, les matières virulentes traitées par l'eau bouillante
et inoculées ensuite sont toujours restées sans effet.
Quand une écurie a été souillée par des animaux malades
ou simplement suspects, il est donc très utile de répandre
à grands flots de l'eau bouillante sur le sol, les murailles,
les cloisons de séparation, les mangeoires, les râteliers ; la
friction avec des brosses rudes ou des balais de toutes
les parties ainsi échaudées assurera la destruction et l'en-
lèvement de toutes les particules virulentes. Les harnais,
les ustensiles d'écurie, les couvertures de laine, la plupart
des objets qui ont été en contact avec les animaux peuvent
être traités de la même façon. Le ciiir devient dur et cas-
sant après cette immersion dans l'eau bouillante ; on peut
diminuer cet inconvénient en imprégnant les cuirs encore
humides avec de la graisse,' de l'huile de pied de bœuf, etc.
Il va de soi que les litières anciennes, les fumiers seront
préalablement enlevés. Il serait prudent d'humecter d'abord
ces détritus avec des liquides antiseptiques et anti-vi-
rulents ; le chlorure de zinc, à 10 et même 50 grammes par
litre d'eau, nous paraîtrait ici très bien indiqué ; les acides
sulfurique, chlorhydrique, azotique dilués (à 50 grammes
par litre) seraient sans doute très applicables. Le sol impré-
gné par les liquides des litières devrait être également
arrosé de solutions plus concentrées ; il serait même utile,.
ÉCURIES, LITIÈRES, ETC. 595
dans certains cas, d'enlever la première couche de terre
et de la remplacer par un cailloutage ou un pavage neuf.
Mais ces lavages ne sont pas applicables aux parties
élevées et reculées des étables, où les toiles d'araignées
sont des réceptacles à poussières de toutes sortes. Avant de
pratiquer l'enlèvement de ces souillures, il est néces-
saire de faire des fumigations énergiques : celles d'a-
cide sulfureux sont supérieures à toutes les autres ; la
dose de soufre doit être portée à 100 grammes par mètre
cube, en raison delà porosité des murailles mal construites,
des larges fissures de la toiture, de la difficulté en un
mot d'assurer l'occlusion du local qu'on désinfecte. Les
fumigations d'acide hypoazotique, d'acide chlorhydrique,
seraient ici particulièrement applicables, si les opérations
et les ingrédients chimiques qu'elles nécessitent n'expo-
saient pas à de sérieux dangers les personnes souvent
très ignorantes qui en pourraient être chargées.
Après ces fumigations, quelles qu'elles soient, les murs
seront blanchis à feau de chaux chlorurée et phéniquée; il
est désirable que les locaux restent inoccupés et large-
ment ventilés pendant quelques semaines.
M. Pasteur, - en faisant connaître plus parfaite-
ment l'épizootie qui dépeuple les basses-cours sous le nom
de choléra des poules, a montré que les lavages avecFa-
cide sulfurique dilué ou la térébenthine suffisent d'ordinaire
à désinfecter le sol, les fumiers, les perchoirs, les clôtures
des poulaillers. Une instruction spéciale sur le choléra des
poules a été rédigée par le Ministre de l'agriculture et du
commerce, en date du 6 avril 1880, et envoyée à tous les
préfets des départements. Nous y trouvons les indications
suivantes, concernant la désinfection des basses-cours :
« Des recherches scientifiques récentes ont établi d'une façon cer-
taine que le choléra des poules est produit par un organisme mi-
croscopique, qui se développe dans les intestins, passe dans le sang
et s'y multiplie avec une rapidité extraordinaire. Ce parasite est
596 DESINFECTION VETERINAIRE.
évacué dans la fiente et peut ensuite passer dans les animaux qui
picolent les fumiers ou mangent les grains qui ont pu être salis par
la fiente.
Si cet animal vient à mourir et qu'il y ail lieu de craindre le clio-
léra des poules, il faut aussitôt faire sortir les volailles de la basse-
cour et les maintenir isolées les unes des autres. On doit ensuite
nettoyer la basse-cour et le poulailler en enlevant le fumier et en
lavant à grande eau les murs, les perchoirs et le sol. L'eau employée
contiendra par litre 5 grammes d'acide sulfurique, et on se servira
pour ce lavage d'un balai rude ou d'une brosse. Quand il se sera
écoulé une dizaine de jours sans qu'aucune mort se soit produite,
on pourra considérer le mal comme disparu, et on ne maintiendra
plus dans l'isolement que les volailles qui manifestei'aient de l'abat-
tement, de la tristesse, de la somnolence.
Ces conseils et ce procédé opératoire nous paraissent
applicables à la plupart des maladies épizootiques ; il n'y
aurait aucun inconvénient à doubler tout au moins la dose
d'acide sulfurique ; la solution au vingtième n'est même ni
coûteuse, ni caustique.
Dans un travail récent et qui peut servir de modèle,
MM. Arloing, Cornevin et Thomas, suivant la voie tracée
par Baxter, Davaine, etc., ont fait de nombreuses expé-
riences pour juger l'action neutralisante des divers désin-
fectants sur le microbe du charbon symptomatique, de
cette maladie qu'ils ont démontrée être voisine, mais
spécifiquement différente du charbon ou sang de rate. Ils
ont montré, par le résultat de leurs inoculations, combien
l'action destructive est plus facilement obtenue sur le
virus frais que sur le viras desséché, et combien la répu-
tation de certains désinfectants est usurpée, au moins pour
ce virus particulier. Ils ont enfoncé dans de la chaux vive
de très minces lanières musculaires des tumeurs char-
bonneuses ; triturées après 48 heures de contact, leur suc
était presque sûrement inoculable. Le tannin est inactif,
de sorte que le tannage des peaux d'animaux infectés ne
doit pas donner de garantie. Le sulfate de fer au cinquième
est inerte. L'acide sulfureux, héroïque contre certains
virus, n'a pas d'action sur le microbe du charbon symp-
ÉCURIES, LAITIÈRES, ETC. 597
tomatiqiie. Le chlore et le sulfure de carbone, qui agissent
sur le virus frais, sont impuissants sur le virus desséché.
Le brôiiie en vapeurs est le plus héroïque de tous les
agents, môme contre le virus sec. L'alcool phéniqué, même
à saturation, est beaucoup moins efficace que la solution
aqueuse à 2 p. 100, résultat très inattendu que Koch
vient de signaler à l'Office sanitaire de Berlin, L'essence
de térébenthine, dont M. Pasteur a montré l'efficacité contre
le bacillus anihmcis ou microbe du sang de rate, ne dé-
truit pas le microbe du charbon symptomatique.
Au premier rang, les auteurs placent la solution aqueuse
de sublimé, même au titre de 1 p. 5,000 ; puis l'acide
salicylique au millième, et l'acide phéniqué à 2 p. 100; ce
dernier agent annihile le virus frais après 8 hernies de
contact, et le virus desséché après 20 heures.
Nous reproduisons ici le tableau de leurs expériences (1) :
ACTION SUR LE VIRUS FRAIS
Ne délruisent pas la virulence :
Alcool phéniqué (à saluration).
Glycérine.
Ammoniaque.
Benzine.
Chlorure de sodium (dissol. salurce)
Chaux vive et eau de chaux .
Polysulfuie de calcium.
Chlorure de manganèse (dissol. 1 : 3j
Sulfate de fer (dissol. 1 : 5).
Sulfate de quinine (dissol. 1 : 10).
Borate de soude (1 : 5).
Hyposulfite de soude (1:2).
Acide tannique (1 : 5).
Essence de térébenthine.
Ammoniaque
Acide sulfureux ^ en vapeurs.
Chloroforme
Détruisent la virulence :
Acide phéniqué (solution à 2 : 100).
— salycilique (1 : 1000).
— borique (1 : 5).
— ■ azotique (dii. 1 : 20).
— • sulfurique (dihié).
— chlorhydrique (1 : 2).
— oxalique (à saturation).
Alcool salicylique (id).
Soude (solution 1 : 5).
Potasse (solution 1 : 5).
Iode.
Salicylate de soude (solution 1 : o).
Permanganate de potasse (1 : 20).
Sulfate de cuivre (1 : S).
Nitrate d'argent (solution 1 : 1000).
Sublimé (dissol. 1 : 5000).
Brome 1
Chlore < en vapeurs.
Sulfure de carbone /
(1) Arloing, Cornevin et Thomas, Note relative à la conservation et à
la destruction de la virulence du microbe du charbon symptomatique,
{Lyon médical, 11 juin 1882, p. 182; Société de biologie, séance du 10
imnlS^2, et Recueil de médecine vétérinaire, deBouley, 15 mai 1882, p. 467).
598
DESINFECTION VETERINAIRE.
ACTION SUR LE VIRUS DESSECHE :
Ne détruisent pas la virulence
Acide oxalique.
Permanganate de potasse.
Soude
Chlore
Sulfure de carbone
en vapeurs.
Détruisent la virulence :
Acide phénique (2 : 100).
— salicylique (1 : 1000).
— nitrate d'argent (1 : 1000;.
Sulfate de cuivre (1 : 5).
Acide chlorhydrique (1 : 2).
Acide borique (1 : 5).
Alcool salicylique (à saturation).
Sublimé (1 : 5000).
Brome en vapeurs.
Ces résultats ont une grande importance ; ils substituent
des notions précises et rigoureuses à des hypothèses ou à
des idées préconçues. Il est nécessaire de faire remarquer
une fois de plus qu'il ne s'agit ici que du microbe du
charbon symptoraatiqjie, et qu'il serait prématuré de con-
clure à la même action des divers désinfectants sur les
autres virus. Il serait désirable que le même travail fut
entrepris pour toutes les maladies virulentes et inocu-
lables.
DÉSINFECTION DES ALIMENTS ET DES BOISSONS. 599
CHAPITRE IV.
DÉSINFECTION DES ALIMENTS ET DES BOISSONS.
En principe, les aliments ne devraient jamais avoir be-
soin d'être désinfectés ; quand ils sont infectés ou infects,
on doit les jeter ou les détruire et ne pas les introduire
dans le corps de l'homme. Toutefois, il faut tenir compte
de certaines nécessités inévitables (villes assiégées, armées
■en campagne), de la cherté des subsistances et des diffi-
cultés de vie pour les classes pauvres ou peu aisées, etc. ;
il faut donc dans bien des cas de la pratique pactiser
avec l'ennemi, et améliorer, rendre au moins inoffensif, ce
qu'il n'est pas possible de détruire. Ce sujet d'ailleurs ne
nous arrêtera pas longtemps.
Nous avons donné au mot désinfecter une acception si
large, que nous devons y rattacher les opérations ou les
procédés capables de faire disparaître le danger provenant de
l'ingestionde viandes souilléespar des virus (viande d'ani-
maux charbonneux, septicémiques, etc) ou par des para-
sites (trichines, échinocoques, etc.). La chaleur est le.
moyen par excellence de détruire tous les germes doués de
vie : la trichine ne résiste pas à la température de 70^ C.
maintenue pendant un quart d'heure ; il est probable que
cette température minimum suffit également pour détruire
les échinocoques, les principes du charbon, de la morve
et des autres maladies virulentes. Mais la température ne
pénètre que très lentement les parties centrales des mor-
ceaux volumineux ; nous avons démontré (1) par des ex-
(1) E. Vallia, De la tempéralure centrale des viandes préparées
[Bulletin de la Société médicale des hôpitaux, 28 janvier 1878, p. 9) ; et
De la résistance des trichines à la chaleur, mémoire lu â l'Académie de
dnédecine {^eywe dlnjcjiène et de police sanitaire, 1881, p. 177).
600 DESINFECTION DES ALIMENTS.
périences très nombreuses que certains points limités des
viandes rôties servies sur nos tables (roastbeefs ou gigots)
n'atteignaient parfois qu'à peine -j-SO" G. Pour les jambons,
au bout de 2heures l/2d'ébullitionla température centrale
n'atteignait que -[-52° à 55" C, température insuffisante
pour détruire avec certitude absolue les trichines ; elle
était de -|- 70° au bout d-e 4 heures ; l'ébullition doit
être continuée au moins trois quarts d'heure par kilo-
gramme pour donner toute garantie contre l'empoi-
sonnement par les trichines. Il est évident que pour de la
viande fraîche et non desséchée une ébullition continuée
pendant 1 heure élèverait à 80 ou 100 degrés la tempé-
rature, au centre de morceaux assez volumineux. C'est ce
qui explique la rareté très grande des accidents chez les
gens de la campagne qui mangent la viande de moutons
charbonneux, après l'avoir fait longtemps bouillir; toute
viande suspecte perd une grande partie de sa nocuité par
une ébullition ou une cuisson prolongée ; la répugnance
qu'elle inspire quand elle est insuffisamment cuite est
d'ailleurs une bonne garantie contre le danger.
Des recherches récentes de MM. H. Bouley et Gibier (1)
ont montré qu'en faisant séjourner des jambons volumi-
neux et infectés de trichines vivantes, pendant deux heures,
dans une chambre refroidie à 12 degrés au-dessous de 0,
les trichines sont définitivement mortes et que la viande
peut dès lors être mangée impunément ; au dégel, ces viandes
salées restent fermes et peuvent être conservées pendant
plusieurs semaines ou plusieurs mois, comme auparavant.
Les altérations de la viande déjà cuite sont beaucoup
plus dangereuses, par le développement de moisissures
toxiques ou de ptomaïnes ; une nouvelle cuisson serait le
seul remède dans le premier cas ; mais comment savoir
(1) Bouley et Gibier, De l'action des basses températures sur la vîtalilé
des trichines contenues dans les viandes {Comptes-rendus de l'Académie
des sciences, '■26 juin 1882).
DÉSINFECTION DES VIANDES ALÏÉIAÉKS. 601
s'il s'agit de parasites végétaux, destructibles par la cha-
leur, ou de poisons chimiques (ptomaïnes) qui ne sont nul-
lement décomposés à -[-100 degrés ?
L'enveloppement dans de la poudre de charbon est un
bon moyen de désinfection ou tout au moins de désodori-
sation, quand la viande crue a subi très rapidement un com-
mencement de fermentation putride pendant l'été ou par un
temps d'orage; mais la cuisson est indispensable pour écar-
ter ou diminuer le danger. L'humectation des surfaces avec
une solution saturée d'acide salicylique ou borique pré-
serve assez bien les viandes des accidents de ce genre,
en été ; les surfaces imprégnées doivent être lavées ou
enlevées avant que les viandes ne soient soumises à la
cuisson ou servies sur les tables. Les fumigations d'acide
sulfureux ou les lavages avec les solutions de cet acide
peuvent arrêter le travail de fermentation et faire disparaître
la mauvaise odeur, non seulement de la viande, mais de
divers aliments. Quand ceux-ci sont destinés à être soumis
à une haute température, rôtis ou bouillis, toute trace d'a-
cide sulfureux disparait et cet acide ne semble pas pouvoir
causer le moindre accident. Trop souvent, on désinfecte le
poisson, les crevettes avancées ou avariées, en les lavant
dans une solution de chlorure de chaux ; ces artifices re-
lèvent plus delà police sanitaire que de l'hygiène et doivent
être condamnés ; un aliment gâté et envahi par la fermen-
tation ammoniacale ou putride doit être jeté et détruit.
Nous renvoyons à ce que nous avons dit (p. 181 et suiv.)
sur l'emploi alimentaire de l'acide salicylique pouîr la
conservation du lait, du vin, de la bière, du beurre, du
poisson, etc., et pour le traitement de ces aliments déjà
altérés ou décomposés; tout au plus pourrait-on autoriser
son emploi pour la conservation des vins et des bières fai-
bles, en fixant un maximum qui ne dépasserait pas 15 gram-
mes par hectolitre de vin, et 6 à 8 grammes pour la bière.
Malheureusement, le dosage rapide de ces petites quan-
€02 DESINFECTION DES ALIMENTS-
tités d'acide est presque impossible dans des liquides
aussi complexe que le vin et la bière, et le contrôle de-
viendrait illusoire.
Depuis quelques années, en Allemagne, le bisulfite de
chaux fait concurrence à l'acide salicylique pour la conser-
vation des bières faibles. On ajoute 100 à WÙ"'^' de la
liqueur par hectolitre. Ce produit contient en moyenne 5 à
6 pour 100 d'acide sulfureux, dont une partie reste libre ;
c'est donc une addition de 0s'-06 à 0,12 d'acide sulfureux
par htre de bière. Cet antiseptique ne semble pas être
nuisible à une telle dose ; nous n'avons toutefois aucune
expérience personnelle sur ce point, et il est prudent de
réserver son jugement, quand il s'agit d'une substance
alimentaire, d'un usage journaher, qui se consomme à
hautes doses comme la bière.
L'eau destinée aux boissons est parfois de mauvaise qua-
lité, chargée de principes suspects ou nuisibles ; pendant les
expéditions en Afrique, dans les déserts arides, plus rare-
ment sur les navires, on est pourtant obligé d'en faire usage.
On améliore l'eau gâtée des citernes en y versant une notable
quantité de charbon de bois ou mieux de braise de bou-
langer récemment éteinte ; l'odeur sulfhydrique disparaît
presque immédiatement; les gaz et même une partie de la
matière organique sont fixés par le charbon. Chevallier a
beaucoup insisté sur la valeur de ce moyen de désinfection
de l'eau (1). L'emploi de filtres au charbon rend les mêmes
services ; mais il est indispensable de les nettoyer au moins
une fois par mois en les imprégnant d'une solution au
centième de permanganate de potasse, et en les rinçant
ensuite avec de F eau acidulée par quelques grammes d'a-
cide chlorhydrique.
Quand Faltération de l'eau est plus forte, l'ébullition puis
(1) Chevallier, Du charbon sous le rapport de l'hygiène publiqîie (An-
nales d'hygiène et de médecine légale, 1856, T. VI, p. 68, et 1874,
T. 42).
DÉSINFECTION DES ALCOOLS. (.03
la précipitation des matières organiques par une très
petite quantité d'alun, la liltration et l'aération, constituent
la série d'opérations à l'aide de laquelle on peut user
sans danger d'une eau impure qu'on est forcé de boire.
Dans une circulaire adressée en janvier 1879 à toutes
les autorités sanitaires de la Grande-Bretagne, le médecin
en chef du Local Government Board, M. Seaton, recom-
mandait les mesures suivantes de désinfection de l'eau en
cas de maladie épidémique (1) :
« Quand malheureusement la seule eau disponible est soupçonnée de
contenir des impuretés organiques dangereuses, elle doit tout au moins
ctre bouillie avant de servir aux boissons, mais elle ne doit pas être bue
plus de vingt-quatre heures après qu'elle a été bouillie. Sous la sur-
veillance d'un médecin ou d'une autre personne compétente, la quantité
d'eau nécessaire pour la journée peut être désinfectée en employant
avec précaution la liqueur désiufeclante de Condy (solution de permanga
nate de potasse).
On doit ajouter cette liqueur goutte à goutte, en ayant soin d'agiter de
telle façon que, une heure après le mélange, l'eau à boire ainsi traitée
présente encore une teinte rosée, mais la plus légère que l'œil puisse
encore distinguer. La filtration simple, par les procédés ordinaires, ne
■donne par elle-même aucune garantie de purification ; mais la filtration
combinée avec les moyens qui précèdent (ébullition, action du perman-
ganate), est un bon moyen de désinfection. On ne saurait trop répéter
que l'addition du vin et de l'eau-de-vie à l'eau n'enlève pas à celle-ci
ses qualités dangereuses. »
La désinfection et la rectification des alcools « mauvais
goût » est une question industrielle qui se rattache par
certains côtés à l'hygiène. Depuis que la destruction d'une
partie de nos vignes réduit considérablement la production
d'alcool vinique en notre pays, on est forcé d'utiliser plus
qu'autrefois les alcools de grains, de betteraves, etc. On
sait que ces produits doivent leur goût détestable et leurs
propriétés pernicieuses à certains alcools et acides de la
série grasse : aldéhydes éthylique et butylique, alcools
amyhque, isopi^opylique, dont la toxicité est aujourd'hui
démontrée.
(1) Edv. Seaton, General mémorandum on the proceedings luicli are
advisable in places attaked or threatened hy épidémie disease, [Local
Government Board ^ Médical Report for 1878 ; London, 18~9, p. 346).
604 DÉSINFECTION DES ALIJIENTS.
Déjà les distillations fractionnées et bien conduites ont
réussi à débarrasser l'alcool éthylique des principes nui-
sibles qui l'accompagnent ; M. Isidore Pierre (1) a parti-
culièrement étudié cet important sujet, distingué les mau-
vais goûts de tête, les mauvais goûts de queue, c'est à
dire les parties qui se condensent au commencement ou à
la fin des opérations de distillation. On a essayé d'autres
moyens de désinfecter les phlegmes : l'huile d'olives, le
charbon de bois, le noir animal; ces moyens ont de sérieux
inconvénients. Plus récemment on a proposé des procédés
qui ont pour but de brûler (insufflation de l'air dans les
phlegmes à une température variable), ou déshydrogéner les
principes empyreumatiques toxiques ou désagréables qu'en-
traîne la distillation : l'électrolyse (méthode Naudin et Schnei-
der), l'action du froid et du vide (méthode Raoul Pictet), l'ac-
tion de l'ozone (brevets Widemann, Einsenmann) (2). Nous
nous garderons bien d'insister sur les avantages ou les incon-
vénients de ces procédés industriels, très prônés par les in-
venteurs brevetés. Il nous suffît d'indiquer une tendance
et des efforts qui peuvent aboutir' à un progrès au point
de vue de l'emploi hygiénique de ces alcools. Reste à sa-
voir si la désinfection, la suppression du mauvais goût de
ces alcools, serait une garantie de la disparition com-
plète de leur toxicité (3),
(1) Isidore Pierre, Sur les produils qui accompagnent l'alcool vinique,
[Annales de physique et de chimie, seplembre 1878. — Revue d'hijgiîne
et de police sanitaire, 1879, p. 138).
(2) Alf. Riche, Désinfection de Valcool du commerce, [Journ. de phar-
macie et de chimie, mai 1882, T. V. pages 480 et suiv.)
(3) bclilumberger, Rectijîcatiun et désinfection des alcools mauvais
goût {Journal d'hygiène, 1882j p. 69). — {Journal des débats, 4 dé-
cembre 1881).
DORTOIRS OU CHAMBRÉES. GOo
CHAPITRE V.
DÉSINFECTION DES HABITATIONS COLLECTIVES
^ET PRIVÉES.
ART. I. — LOCAUX D'HABITATION.
Bien que nous ayons déjà traité au Chapitre I (désinfec-
tion nosocomiale) de la désinfection des locaux, des vête-
ments, etc., nous croyons utile de réunir dans un chapitre
spécial certaines recommandations applicables aux habita-
tions collectives et privées. Nous renverrons pour plus
amples détails aux différents articles du chapitre I. Nous
avons surtout en vue ici les casernes, les prisons, les ou-
vroirs et ateliers, les écoles et collèges, les habitations
privées, c'est-à-dire les établissements où sont réunis non
plus des malades, mais des individus jusque là bien por-
tants.
Prenons par exemple une caserne, une chambrée, un
dortoir de collège: l'odeur y est désagréable et persistante,
l'état sanitaire laisse à désirer, la désinfection est jugée
nécessaire; comment faut-il y procéder? Avant tout, il
faut rechercher les causes de l'infection ou de l'insalubrité,
afin de les faire disparaître. Il y a-t-il encombrement,
c'est-à-dire moins que le minimum déjà si bas de 12 à
15 mètres cubes et 4 mètres superficiels par personne
dans la chambrée ou le dortoir? il faut commencer par ré-
duire la population du local.
L'on doit ensuite s'assurer qu'il existe des orifices de
ventilation, que ces orifices sont ouverts, qu'il ne sont pas
obstrués par des corps étrangers, des toiles d'araignées, des
606 DESINFECTION DES HABITATIONS.
poussières, etc., qu'il ont des dimensions suffisantes,
c'est-à-dire au moins 1 centimètres de côté, soit 50
centimètres de surface par personne; on veillera à ce
que ces ventouses restent ouvertes pendant les heures de
séjour, et à ce que la ventilation s'y produise sans être
une cause d'incommodité pour les hommes.
L'on devra tenir toutes les fenêtres complètement ouver-
tes, des deux côtés, pendant tout le temps où la salle reste
inoccupée, quelle que soit la saison. Cette observation est
particulièrement nécessaire pour les locaux scolaires, les
salles de cours publics, etc. : un exercice ne doit jamais
durer plus d'une heure de suite; la même salle ne doit ja-
mais servir à un nouveau travail sans que les élèves ou
les auditeurs évacuent la salle et que les fenêtres de celle-ci
soient tenues largement ouvertes pendant au moins 10 mi-
nutes. Dans les lycées où le même local sert à la fois de salle
d'étude et de salle de classe, dans les cours publics de nos
Facultés, cette désinfection élémentaire est trop souvent
négligée.
Avant de commencer l'usage des désinfectants propre-
ment dits, il faut encore s'assurer que les personnes appe-
lées à faire un séjour prolongé dans le local sont dans un
état de propreté corporelle suffisant : dans les ateliers, les
pénitenciers, comme aussi dans les casernes, les bains de
pieds, le nettoyage du linge de corps, des vêtements exté-
rieurs, sont les préliminaires de toute tentative de désinfec-
tion. Les objets malodorants ou souillés : les chaussures, les
selleries, tapis de cheval, harnachement, les vêtements
humides, doivent d'abord disparaître des salles ou de leur
voisinage immédiat. Les literies, en particulier les mate-
las, les couvertures de laine, les paillasses, sont après un
long service un réceptable de miasmes infects ; il faut épu-
rer, désinfecter les premiers; il faut brûler les dernières.
L'habitude ou la nécessité de fumer et de prendre ses
repas dans la salle où l'on dort est une ^des principales
DORTOIRS OU CHAMBRÉES. G07
causes de l'infection des chami^rées. On comprend à
peine, même quand on est fumeur, qu'il soit permis au
soldat d'empester pendant toute la soirée, avec l'odeur de
la pipe, le local étroit et dépourvu d'orifices de ventilation
où un errand nombre d'hommes s'entassent de 8 heures du
soir à 3 heures du matin. C'est une cause de souillure des
murs par les vapeurs qui s'y condensent, de souillure des
parquets par la salive qu'on y projette.
La nécessité de prendre les repas dans la salle où l'on
couche est encore plus déplorable ; la désinfection doit être
renouvelée indéfiniment, si l'on souille indéfiniment le
sol, les couvertures des lits, l'atmosphère, par les liquides
alimentaires qui se répandent, les vapeurs lourdes et épais-
ses qui se dégagent des mets. Déjà les réfectoires communs
et servant uniquement à cet usage s'imprègnent, dans les
lycées, les asiles de pauvres ou d'ahénés, d'une odeur nausé-
abonde dont il est difficile de les débarrasser ; à l'école Monge
on n'a réussi à éviter cette incommodité qu'en garnissant
les tables, les parois et le sol des réfectoires, de plaques de
marbre, de stuc et de mosaïques, absolument imperméables
et qu'on lave à l'éponge tous les jours. Toute tentative de dé-
sinfection est vaine, si l'on ne commence par supprimer ces
causes d'imprégnation permanente; il est temps que dans
les hôpitaux, les casernes, les locaux de jour soient dis-
tincts des locaux de nuit ; poursuivre la désinfection dans
l'état actuel, c'est rouler le rocher de Sysiphe.
En effet, dans une salle où l'on mange et où l'on dort
tour à tour, il se condense sur les murailles des vapeurs
respiratoires et des buées, chargées de matières organiques
putrescibles qui se déposent à la surface des enduits
imperméables, ou imbibent profondément les matériaux po-
reux. Pour désinfecter, il faut donc commencer par enlever
à l'aide de lavages la couche de fumier qui s'est formée sur
les peintures ; si l'enduit est mou et poreux, il faut le gratter
avec soin, avant de faire un badigeonnage à l'eau de chaux
603 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
et rien qu'à l'eau de chaux, sans mélange de craie, de
colle ou de gélatine. 11 serait désirable qu'on pût au préa-
lable détruire la matière organique des couches profon-
des, soit par le feu, à l'aide du flambage d'après la mé-
thode Lapparent, soit par la projection, au pinceau ou
avec un appareil pulvérisateur, d'un liquide antiseptique
tel que les solutions d'acide phénique ou de chlorure de
zinc au centième ; toutefois ce dernier sel est hygro-
métrique et pourrait avoir quelque inconvénient. Il se-
rait assurément préférable de remplacer le badigeonnage
à la chaux qui est médiocre, par un enduit imperméable,
le silicate de zinc, par exemple, très usité en Angleterre
dans les casernes et beaucoup moins coûteux que la pein-
ture. Les architectes et les ingénieurs auront rendu un
grand service à l'hygiène, quand ils auront trouvé un en-
duit imperméable, solide et économique, permettant le
lavage hebdomadaire des murailles dans les habitations
collectives.
Le plancher est une cause fréquente de mauvaise odeur
et d'insalubrité. Il est sali par les liquides et les débris
alimentaires, les produits de l'expectoration, les boues et
les fumiers que les chaussures apportent des écuries ou
des cours en temps de pluie.
Toutes ces matières, délayées dans les eaux de lavage,
pénètrent profondément les pores du plancher, y déposent
des matières organiques qui se putréfient lentement. Les
interstices entre les feuilles du plancher laissent pénétrer
dans l'espace laissé libre au-dessous d'elles des amas d'or-
dures de toutes sortes, dont la corruption est parfois extrê-
me: dans un assez grand nombre de cas, une odeur in-
fecte ayant été ressentie dans les chambrées de caserne,
on a levé des planches du parquet, et l'on a trouvé une
couche épaisse de débris putréfiés, remplie de vers ou de
cadavres de rongeurs envahis par la décomposition.
Des difficultés nombreuses (le poids qui charge les char-
DORTOIRS OU CILVMimÉES. 009
(lentes, la facilité des fissures, le froid), s'opposent, parait-il,
au remplacement des planchers en bois par des matériaux
imperméables (asphalte, ciments, mosaïques, etc.), dans
les dortoirs des pensions et dans les casernes. En attendant
qu'on trouve le moyen de constituer un sol idéal, il faut
prévenir l'infection des planchers en bois et assurer la dé-
sinfection de ceux qui ont été souillés. Les enduits de
cire, de paraffine, d'huile de lin siccative, de silicates, rem-
plissent plus ou moins bien la première indication, non
sans entraîner une dépense assez forte. La désinfection
s'obtient par le lessivage à l'eau bouillante à l'aide de
la potasse ou du savon noir ; mais on s'expose, quand les
joints sont relâchés, à humecter les'matières putrescibles et
les poussières accumulées dans l'espace libre situé sous
les planchers.
Ces lavages en grand entraînent en outre dans la chambre
une humidité persistante, et rendent l'habitation du local
dangereuse ou désagréable pendant plusieurs jours ; autant
il est facile d'entretenir la propreté en passant plusieurs fois
par semaine un linge simplement humide à la surface du
plancher pour recueillir les poussières, autant le lavage à
grande eau a d'inconvénients pour un parquet profondé-
ment souillé et couvert d'une couche épaisse de boues or-
ganiques.
Quand le plancher est en sapin ou en bois très poreux et
qu'il est souillé, il nous semble indispensable, pour procé-
der à la désinfection, de le laver d'abord cà la brosse avec
une très petite quantité d'eau bouillante alcaline ou conte-
nant 1 p. 100 de chlorure de zinc, et. d'éponger immédia-
tement après ; l'opération doit être recommencée deux fois
de suite, particulièrement à l'eau pure si on a fait usage du
chlorure de zinc. Il faut ensuite passer sur le bois parfaite-
ment sec une couche d'huile de lin bouillante, afin d'ob-
struer les pores du bois et d'empêcher la pénétration indé-
finie des liquides; si l'on se contente d'une simple couche,
Vallin. — Désinfectants. 39
610 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
la dépense est très modérée; au bout de quelques jours^
l'huile s'est profondément imprégnée; par la suite, elle
devient siccative par l'action de l'oxygène de l'air. Cette
opération est moins nécessaire pour les planchers en bois
de chêne. Dès lors, la désinfection sera facile, soit par le
passage d'un linge simplement humide, soit par le procédé
recommandé par le Ministre de la guerre (Circulaire du
11 avril 1877).
Nous reproduisons ici cette instruction qui résume en les
modifiant celles qui l'ont précédée.
INSTRUCTION
concernant le nettoyage des planchers des casernes.
Il résulte de renseigiienieuts qui m'ont été fournis, que le cal-
fatage des planchers des casernes prescrit par la circulaire du 11 dé-
cem jre 1876, outre les difficultés matérielles que présenterait son
exécution, occasionnerait une dépense considérable, hors de propor-
tion avec le résultat qu'on avait espéré. J'ai donc décidé qu'on renon-
cerait à effectuer cette opération dispendieuse. Mais je désire expres-
sément qu'il soit donné une suite immédiate aux autres prescriptions
de la circulaire précitée, en tenant compte toutefois de quelques mo-
difications qui m'ont para nécessitées par la suppression du calfatage.
Dans les conditions où se trouvent la plupart des planchers, l'em-
ploi de la sciure de bois, dont une partie s'introduira dans les joints,
paraît devoir augmenter les chances d'incendie, notamment quand
les bouts d'allumettes encore en ignition seront projetés sur le sol.
Il est à craindre également qu'il se produise dans la sciure humide
une fermentation nuisible à la propreté des locaux et à leur salubrité.
Le sable devra donc être employé de préférence à la sciure de bois,
partout où cela sera possible.
Les planchers seront frottés avec ce sable simplement humide,
à l'exclusion des lavages à grande eau. L'eau destinée à êlre mé-
langée au sable pourra -d'ailleurs, sur la demande du corps, être
additionnée d'une petite quantité de potasse, ou de soude, ou encore
d'acide phénique, si le médecin du corps en reconnaît la convenance.
Ces substances, y compris les sables, seront délivrées par le service
du génie.
Le sable, lorsqu'il aura servi plusieurs fois, devra être régénéré par
des lavages à. grande eau et une dessiccation à l'air libre, dans les
localités où il sera difficile ou coîiteux de s'en procurer.
Les prescriptions de la circulaire du 11 décembre 18G8 restent en
DORTOIRS OU CHAMBREES. 611
vifiieur, en ce qui n'esl pas modifié par les dispositions qui précè-
dent. Les unes comme les autres doivent être appliquées lors même
que les sols des chambres sont formés de briques ou de carreaux.
Versailles, le II avril 1877,
Le Ministre de la guerre,
Général A. Berth.vult.
Ce moyen est excellent... quand il est appliqué. On dit
que le frottement avec le sablon use les planchers ; la brosse
aussi use le drap ; faut-il défendre au soldat de brosser son
uniforme? Ce nettoyage du plancher peut n'avoir lieu que
toutes les semaines, à la rigueur tous les quinze jours. Il
sera d'autant moins nécessaire, que l'on prendra plus de
précautions pour éviter la souillure par les chaussui^es des
hommes, surtout dans les régiments de cavalerie. Serait-il
impossible d'exiger que les cavaliers laissassent à la porte de
la chambrée, avant d'y entrer, leurs sabots d'écurie souillés
par le fumier, et qu'ils se contentassent, pour circuler dans
les salles, de chaussons qu'ils porteraient dans les sabots?
C'est une question à étudier, et qui serait peut-être d'une
application plus facile dans les écoles de campagne, les ate-
liers des pénitenciers, etc.
Mais tous ces moyens nous paraissent encore insuffisants
pour assurer la désinfection des habitations cohectives.
Quand un grand nombre d'hommes sont réunis en commun
et ont vei^sé pendant plusieurs mois leurs émanations et une
partie de leurs sécrétions dans un même local, ce local est
infecté, il est insalubre. Dans toutes les casernes de l'Eu-
rope et peut-être du monde entier, la phtisie fait des ra-
vages inouïs ; plus nous vivons dans notre armée, et plus
nous sommes étonné de cette fréquence extraordinaire de
la tuberculose chez des sujets choisis avec soin, et quittées
souvent ne commencent à présenter l&s signes de la phti-
sie qu'après 15 années d'une santé iiTépi^ochable, passées au
service, dans les chambrées des casernes. C'est en vain
qu'on cherche à expliquer cette fréquence de la maladie par
612 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
des causes banales, la fatigue, les intempéries, la mauvaise
nourriture, etc. Il doit y avoir une autre cause; rien ne
prouve que la contagion ou l'infection ne joue pas ici un
rôle important; quand on voit avec quelle facilité les ani-
maux en expérience contractent la tuberculose lorsqu'ils
ne sont pas parfaitement isolés des animaux inoculés et
atteints d'ulcères ou de jetage tuberculeux , il est impos-
sible de ne pas partager les craintes exprimées dès 1868
par notre collègue et ami M. Villemin, dans son beau livre
sur la tuberculose.
Au Congrès d'hygiène de Turin en 1880 {Revue d' hy-
giène, 1880, p. 921), nous avons constaté à la fois l'unani-
mité des médecins des armées de l'Europe pour déplorer la
fréquence de la phtisie chez le soldat, et l'inanité de leurs
efforts pour en donner une explication plausible ; nous avons
exprimé avec de grandes réserves, dans une des séances du
Congrès, l'idée qu'il fallait montrer moins de dédain pour
l'hypothèse de la transmission de la maladie, des phtisiques
capables encore de continuer le service actif, aux individus
sains vivant dans la même chambrée. Nous nous affermissons
chaque jour davantage dans ces craintes et dans l'opinion
qu'il est nécessaire d'agir, en l'état d'incertitude où est encore
la science, comme si le danger était démontré. Les mêmes
observations s'appliquent à la fièvre typhoïde qui constitue,
avec la tuberculose, la grande endémie des casernes dans
toute l'Europe.
Nous croyons qu'il serait d'une sage précaution de faire
chaque année dans les habitations collectives, dans les
lycées, les prisons, les hôpitaux, et en particulier dans les
chambrées des soldats, une désinfection intime et sérieuse,
en brûlant par exemple 15 à 30 grammes de soufre par
mètre cube. Il serait facile de choisir pour cette opération
annuelle soit l'époque des vacances pour certains locaux
scolaires, soit l'époque des grandes manœuvres ou des
changements de garnison pour les casernes. La dépense
DESTRUCTION DES PARASITES. 613
serait minime; du même coup l'on désinfecterait le mo-
bilier, la literie, les murailles, les planchers, et l'on détrui
rait la vermine, cet autre fléau des casernes.
L'éminent Inspecteur général du service de santé de l'ar-
mée, M. Legouest, s'efforce depuis quelques années de géné-
raliser ce mode de désinfection dans les établissements mi-
litaires; nous sommes persuadé que c'est un grand bien-
fait pour l'armée, et que si la mesure est appliquée régu-
lièrement et uniformément dans toutes les casernes pendant
10 ans, l'expérience en démontrera le bénéfice par une
diminution croissante de la fièvre typhoïde et même de la
tuberculose dans la population militaire.
ART. II. DESTRUCTION DES PARASITES
C'est peut-être étendre un peu loin la désinfection, que
de l'appliquer à la destruction des parasites qui vivent dans
nos demeures ; nous nous bornerons à dire ici quelques
mots des moyens capables de détruire les insectes parasites,
punaises, poux, etc. Les casernes, que nous avons prises
comme le type des habitations collectives, sont souvent
rendues inhabitables pendant la nuit par la cimex lectu-
laria; le Ministre de la guerre a dû s'occuper sérieusement
de ce fléau qui concourt à compromettre l'hygiène du soldat,
et à la suite d'expériences nombreuses faites par une com-
mission dont nous faisions partie en 1871, voici les pro-
cédés de désinfection qui ont paru l'emporter sur tous les
autres.
On mélange une partie de pétrole à brûler avec une ou
deux parties d'eau ; le pétrole n'étant pas miscible à l'eau, on
agite fortement le liquide en y roulant entre les mains une
grosse brosse de peintre ; on badigeonne les planches des
châlits, les boiseries, les interstices suspects, en ayant
soin de faire pénétrer le liquide dans les pertuis profonds,
les fentes, les fissures, où se logent les parasites. La pré-
614 DESINFECTION DES HABITATIONS.
sence de bulles d'air empêche parfois la pénétration du
liquide; c'est une cause fréquente d'insuccès quand l'opé-
ration est faite sans précaution. La dépense est presque
nulle, la main-d'œuvre facile; l'odeur se dissipe en
24 heures; les hommes peuvent sans inconvénient coucher
le soir sur des lits ou dans une chambre où cette opération
a été faite dans la matinée, pourvu que les fenêtres soient
restées ouvertes pendant tout l'intervalle. Toute crainte
d'incendie doit être écartée ; l'expérience, renouvelée
bien des fois, a montré qu'une planche badigeonnée avec
un mélange à parties égales d'eau et de pétrole peut être
maintenue au-dessus d'une bougie sans qu'aucune inflam-
mation ait lieu. Deux opérations par an sont à la rigueur
nécessaires pour détruire les œufs, qui résistent plus que
les parasites à l'état de complet développement.
Les solutions de sublimé seraient peut-être dangereuses,
la térébenthine laisse une odeur plus persistante et est moins
efficace que le pétrole. La poudre de pyrèthre est presque
toujours falsifiée avec de la sciure de gayac ou d'autres
bois; il est inutile d'insister.
Les lotions de sublimé à 1 p. 500 détruisent rapidement
et sans inconvénient les pediculi capitis et pubis. Les fu-
migations de soufre non seulement font disparaître pour
longtemps toutes les punaises cachées dans les fissures ou
les écailles des murs ou des plafonds, mais elles font sou-
vent périr les petits rongeurs ; les cadavres des animaux
se putréfient dans les réduits ou sous les planchers, et
peuvent devenir une cause nouvelle d'infection qu'il faut
savoir découvrir. Sic mala de botiis.
ART. III. — ÉVIERS, TUYAUX DE CONDUITE DES EAUX
MÉNAGÈRES.
La désinfection des éviers, gargouilles, plombs, etc., s'ob-
tient assez facilement par le lavage à grande eau decessurfa-
CONDUITES DES EAUX MÉNAGÈRES. 615
•ces OU réservoirs; on peut ajouter à l'eau un à deux centièmes
d'eau de javelle, ainsi que le recommande V InstrucUoii du
Préfet de police en date du 10 novembre 18 i8, concernant
les moyens d'assurer la salubrité des habitations, ou bien du
■chlorure de chaux, du chlorure de zinc, de l'acide phénique.
Mais ce lavage est le plus souvent insuffisant : la désin-
fection n'est obtenue ici encore qu'en faisant cesser les
causes ou les sources de l'infection. La perméabilité
complète des conduits doit être rigoureusement surveillée ;
il s'accumule souvent aux parties rétrécies ou infléchies
des débris de matières organiques tapissant la surface in-
terne des tuyaux et qui, se putréfiant chaque jour davantage,
dégagent des odeurs horribles. Le curage mécanique,
parfois le démontage des tuyaux, sont ici le prélude néces-
saire de la désinfection. Même quand il n'y a pas d'obtruc-
tion relative, la formation d'une couche de matières grasses
ou autres à la surface des conduits est presque inévitable;
il est donc indispensable de garnir d'appare.ls à obturation
hydraulique les orifices qui ouvrent dans l'intérieur des
habitations: courbures siphoïdes, cuvettes à laDéparcieux,
ou autres ; il est plus facile d'établir ces appareils, que d'ob-
tenir qu'on les tienne fermés, en état de fonctionner.
Les tuyaux verticaux de conduite des eaux ménagères
ne doivent pas se continuer sans interruption jusque dans
l'égout de la rue : autrement, ces tuyaux se transforment en
cheminées d'évent par lesquelles l'égout se ventile dans
•l'intérieur des maisons chauffées (1). C'est un principe sur
lequel tous les ingénieurs sanitaires sont d'accord, en
Angleterre en particulier : une discontinuité est nécessaire
entre le tuyau vertical qui longe les maisons, et le tuyau
horizontal qui pénètre dans l'égout; quand le premier se
termine brusquement à lo ou 2o centimètres au-dessus de
(1) Ziiber, Des gaz d'égouls et de leur influence sur la santé publique,
Revue critique {Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1881, p. 633, et
1882, p. 267).
616 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
la cuvette en entonnoir qui surmonte le second, les gaz
fétides qui pourraient refluer de l'égout se dégagent dans
la rue et ne peuvent remonter jusqu'à l'appartement.
Toutefois, un coupe-air avec diaphragme vertical plon-
geant de 7 centimètres au-dessous de la nappe du trop-
plein, paraît garantir contre toute chance de reflux des gaz
par l'excès de pression dans l'égout (voy. Égouts).
ART. IV. — RÉSIDUS DE CUISINE.
Les débris alimentaires, les résidus de cuisine, sont
souvent une cause de grande infection. On ne peut son-
ger à employer ici les substances toxiques, comme le
chlorure de zinc, le sulfate de zinc ou de fer, qui pour-
raient être par erreur introduits dans les aliments : il
faut également répudier les désinfectants qui ont une odeur
flagrante ou désagréable, comme les préparations de
chlore, l'acide phénique. Une seule substance est utilisa-
ble, c'est la poussière de charbon de bois ou la cendre
du foyer, dont une couche peu épaisse versée à la sur-
face des débris contenus dans les seaux aux ordures em-
pêchera le dégagement des gaz, surtout quand ces seaux
sont munis d'un couvercle. Il vaut mieux encore ne pas
laisser ces résidus séjourner plus de 12 heures dans l'inté-
rieur des appartements, et laver fréquemment les récipients
qui les contiennent avec un des liquides que nous venons
de mentionner. En Angleterre, on a inventé en ces derniers
temps des réceptacles.à fond mobile, et dont la partie supé-
rieure sert de tuyau de tirage : cet appareil est porté fermé
au-dessus d'un des trous d'un fourneau très bien allumé
et à fort tirage; en ouvrant le fond mobile, ces débris
tombent sur les charbons enflammés et sont détruits par
le feu. Dans notre pays, où les fourneaux ne sont pas
constamment allumés comme en Angleterre, ce moyen
nous paraît moins facilement praticable.
LATRINES. 617
ART. V. — LATRINES
Les latrines doivent être désinfectées quand elles sont
malpropres, mal tenues, ou mal construites ; dans le pre-
mier cas, l'opération est assez facile, dans le second elle
est presque impossible. Pour assurer une désinfection
durable, quatre conditions sont nécessaires :
i° Intercepter toute communication entre la fosse et le
cabinet;
2° Empêcher l'infiltration des matériaux du cabinet par
les matières solides, liquides et gazeuses ;
3° Empêcher le séjour des immondices dans le cabinet ;
4" Désinfecter les matières de vidange ou les gaz qui s'en
dégagent et qui ont pu pénétrer dans les latrines.
A. Cabinets. — Nous ne pouvons admettre qu'il soit
possible de désinfecter les latrines de nos habitations,
si on laisse libre la communication entre le siège ou l'ori-
fice de chute, et la fosse ou le réceptacle inférieur. C'est là
une vérité tellement évidente, qu'elle semble n'avoir besoin
d'aucune démonstration. Et cependant, combien d'établis-
sements publics, combien de maisons particulières, même
dans les grandes villes, où rien, absolument rien, n'em-
pêche les gaz fétides de refluer de la fosse, parfois de l'égout,
dans le cabinet et de là dans toute la maison. C'est en vain
qu'on répand chaque jour dans le tuyau de chute des
substances désinfectantes (sulfate de fer ou de zinc, chlorure
de zinc, huile lourde de houille) ; l'inconvénient est di-
minué ; on désinfecte provisoirement la fosse, on ne dé-
sinfecte pas les latrines.
Nous connaissons en Algérie un hôpital bâti sur un
rocher surplombant un ravin très profond, au fond duquel
serpente un fleuve, encaissé dans un lit étroit. Les latrines
ont leurs cabinets exposés en plein soleil, et le tuyau de
618 DESINFECTION DES HABITATIONS.
chute plonge à près de 20O mètres, pour aller déboucher
dans le torrent. Non seulement les ral'fales de vent frais
s'engouffrent par l'orifice inférieur, mais encore le conduit,
exposé directement au soleil et se terminant dans des
cabinets où la chaleur est élevée, forme une véritable
cheminée d'appel : l'air reflue de bas en haut avec une
violence extrême dans ce long tuyau, se charge de tous
les miasmes et des gaz fournis par une surface énorme,
et vient, ou du moins venait, infecter tout l'hôpital. Que
peuvent les désinfectants chimiques en pareils cas, et la
base de toute tentative de désinfection ne doit-elle pas
être l'occlusion siphoïde ou hydraulique du tuyau de chute?
Même dans les cabinets des habitations aisées, les appa-
reils d'occlusion usités en France sont tout à fait insuffisants
et inefficaces. On se contente presque constamment d'une
soupape à bascule, légèrement excavée en forme de cuvette,
et retenant une très petite quantité d'eau ou plonge l'extré-
mité rétrécie de la cuvette en porcelaine. Le moindre obs-
tacle, fabsence d'eau, l'excès de tension dans le tuyau de
chute, l'abaissement de la valvule à chaque fonctionnement,
laissent refluer les gaz vers l'appartement. Les appareils à
siphon simple ou double (Jenning, etc.), d'un usage cons-
tant en Angleterre, sont à peine connus en France et nous
n'en trouvons signalés que deux, d'ailleurs tombés en
désuétude, dans le Traité très complet de M. Liger (1).
Nous n'avons pas à entrer ici dans la description des
appareils les plus convenables ; il suffit de dire qu'ils doi-
vent présenter une faible surface exposée à être souillée par
les matières solides, et constituer un siphon ou une cuvette
siphoïde dont l'inflexion restant toujours pleine de liquide,
empêche tout reflux de gaz de bas en haut. Le Traité 'de
l'ingénieur anglais Baldwin Latham (2) décrit, figure et
(1) Liger, Fosses d'aisances, latrines, urinoirs, elc, Paris, 1873, p. 224.
{^) B.Éldwin Lalham, Sanitary Engeneering, a guide to the construction
of Works of sewerage and house drainage; Loudoii, 1878, p. 380.
LATRINKS. 619
critique toutes les combinaisons qui ont été imaginées en
Angleterre et qui sont d'un emploi journalier; il serait
grand temps de les introduire dans notre pays.
Quand on poursuit l'entreprise d'une désinfection de
latrines, il faut donc avant tout s'assurer que l'interception
des gaz de la fosse est complète, hydraulique, et que rien
ne s'échappe, soit parla valvule, quand elle existe, soit par
les fissures et les solutions de continuité que peuvent pré-
senter l'ajutage de la cuvette, le tuyau de chute, le tuyau
d'évent, etc.
Il ne suffit pas d'avoir de bons appareils, il faut qu'ils
fonctionnent; pour cela il faut beaucoup d'eau. Si le ser-
vice public ne dessert pas la maison ou l'établissement,
s'il faut compter sur les corvées d'hommes pour remplir
les réservoirs, les réservoirs seront toujours vides. Les
hygiénistes anglais (Parkes) demandent par personne et
par jour 27 litres d'eau pour les latrines seulement, sur
un total de 136 litres par habitant, y compris le service
municipal. C'est un chiffre libéral, aussi en Angleterre les
appareils marchent-ils bien ; en France, l'année dernière^
M, Alphand évaluait la dépense par jour et par personne^
dans les maisons privées, à 3 litres ! Nous connaissons un
hôpital 011 l'on a installé à grands frais des appareils Jen-
ning; les latrines n'y sont pas moins infectes qu'autre-
fois; c'est que cet appareil, qui est excellent, consomme
5 à 8 litres par chaque fonctionnement; l'approvisionne-
ment d'eau étant insuffisant, le siphon s'obstrue, l'infec-
tion est parfois insupportable. Si l'on veut que les occlu-
sions soient hydrauliques et parfaites, la condition sine
qiiâ non est donc d'avoir beaucoup d'eau; voilà le pre-
mier élément de désinfection.
Cela ne suffit pas. Dans des cabinets mal tenus, tout est
imprégné de gaz, de miasmes infects, de liquides altérés :
le bois des sièges, des portes, les murailles, le sol, etc.
C'est surtout dans les latrines que les matériaux imper-
620 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
méables sont indispensables ; les murailles blanchies à la
chaux sont rapidement imprégnées dans toute leur épais-
seur par l'hydrogène sulfuré, le sulfhydrate d'ammonia-
que, les vapeurs chargées de matières organiques qui se
dégagent des fosses. Les fissures du sol, les interstices qui
existent à la jonction des murs verticaux et des plans ho-
rizontaux laissent pénétrer l'urine, les eaux de lavages ;
celles-ci en se putréfiant sont une des causes principales
de cette odeur persistante contre laquelle les désinfectants
restent inefficaces. Le sol, surtout quand il est exposé à
être fréquemment mouillé, doit être formé de matières du-
res, imperméables, non fragiles (ciments, asphaltes, etc.).
L'acide chlorhydrique dilué au dixième ou au quin-
zième réussit assez bien à faire disparaître les inscrusta-
tions urinaires ou salpètrées qui se forment au bas des
murs des latrines mal entretenues, dans les encoignures,
sur les dalles, dans certains baquets. La Direction des tra-
vaux de la ville de Paris emploie dans ces cas des solu-
tions à des titres variables : pour les dalles ou encoi-
gnures très encrassées, 1 litre d'acide pour 5 litres d'eau :
pour les lavages ordinaires, la solution à 1 p. 40 ou
pour 15; ce produit laisse après son emploi une odeur suf-
focante, m.ais qui s'évapore vite. La nitro-benzine ou es-
sence de mirbane peut être employée de la même façon et
aux mêmes doses (1 p. 10); elle est très corrosive, laisse
une odeur désagréable d'amandes amères et une couche
blanchâtre qui disparaît par le lavage.
Si l'on veut obtenir un assainissement plus sérieux, il
faut souvent repiquer les murs, surtout à leur partie infé-
rieure, c'est-à-dire enlever avec la pioche une certaine
épaisseur de la muraille ou du sol, et remplacer ces maté-
riaux saturés par des matériaux neufs ou mieux par une
couche de ciment. Au badigeonnage à la chaux, il faut
substituer les peintures à l'huiie, au blanc de zinc ou aux
silicates ; nulle part peut-être ces enduits imperméables ne
LATRINES. 621
sont plus nécessaires que dans les cabinets d'aisances, parce
que nulle part la souillure des murs poreux n'est plus facile
par les gaz méphitiques. De temps en temps, si l'odeur re-
parait, on peut laver les parois avec des solutions désinfec-
tantes d'acide phéniquc, de chlorure de zinc, etc.
Le bois des sièges est incessamment exposé à l'impré-
gnation par les liquides; au bout d'un certain temps, toute
désinfection est devenue impossible ; la destruction par le
feu est la seule ressource, ressource extrême à laquelle on
ne se résigne pas aisément. Aussi, est-il indispensable de
ne mettre en usage les sièges en bois, qu'après les avoir
imprégnés, saturés en quelque sorte par un corps gras, un
vernis qui en obstrue les pores et n'y laisse plus péné-
trer les liquides. Quand cette précaution initiale a été
omise et que la désinfection est devenue nécessaire, on
fait des lavages à la brosse avec de l'eau bouillante alca-
line ou contenant 1 à 5 pour 100 de chlorure de zinc; après
un second lavage à l'eau simple, on attend trois ou quatre
jours pour que le bois soit sec dans toute son épaisseur.
L'on fait alors une application d'huile de lin bouillante, ou
on répand une couche de paraffine en poudre, qu'on fait
fondre par le rayonnement d'un foyer ou d'une plaque
chauffée, ou l'on a recours à la peinture à l'huile, aux
vernis.
Quand les sièges sont très propres, luisants et bien
cirés, ils inspirent la confiance, on les respecte... sur-
tout si, dans les établissements publics, un gardien ou
un factionnaire est préposé à la surveillance des cabinets ;
l'éducation des personnes les plus incultes se fait peu à
peu, et la surveillance n'est plus nécessaire qu'à longs in-
tervalles. Nous avons vu ce moyen réussir à produire une
désinfection devant laquelle avaient échoué jusque-là tous
les agents chimiques. Mais l'application en est souvent
impossible. 11 faut alors réduire au minimum la surface
susceptible d'être souillée, éloigner le siège de la muraille,
622 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
l'isoler de toutes parts, et en rendre la fréquentation im-
possible autrement que dans la situation assise. Le siège
en forme de borne, adopté à l'école Monge, réalise ces
desiderata : la cuvette en fonte émaillée semble posée par
son extrémité inférieure sur le sol; son bord supérieur est
garni d'un rebord arrondi en bois verni, n'ayant pas plus
de 3 centimètres de diamètre, qu'il est difficile de souiller
et sur lequel il est impossible de monter ; la cuvette a un
bec antérieur très allongé pour recevoir l'urine, et prend
la forme d'un bidet de toilette, sur lequel on est plutôt
dans la position à cheval qu'assis. On circule librement
tout autour de cette borne, il n'existe ni anfractuosité ni
encoignure qui puisse servir de réceptacle aux immondices,
et la surveillance de la propreté est facile. Cet appareil
nous paraît offrir, plus que la lunette ordinaire, des ga-
ranties contre la projection de l'urine sur le sol.
C'est en effet l'urine, plus encore que les matières so-
lides, la véritable cause de l'infection des latrines mal
tenues. Toute installation qui permet la position accrou-
pie (1) entraîne le dardement de l'urine en avant de l'opé-
rateur et la souillure du sol. Dans une commission mi-
litaire dont nous faisions partie , nous nous sommes
récemment efforcé de faire mettre en essai une disposition
qui permet d'éviter cet inconvénient, sans imposer la po-
sition assise, laquelle répugne à beaucoup de personnes
dans les habitations collectives. Le sol du cabinet propre-
ment dit est de 25 à 30 centimètres en contre-bas du niveau
de la salle servant de vestibule ; en avant, une plaque de
marbre inchnée à 45" en haut et en arrière réunit les deux
(1) D"" E.-R. Perrin, Rapport au préfet de la Seine, au nom de la coin-
mission des lurjernents insalubres, sur les amJliorations à apporter dans
la leiuie et fusarje des c^ibinels d'aisances dans les écoles primaires et
asiles communaux de la ville de Paris; rapports généraux de 18.51 à 1869;
Paris, 1877, p. 203. — D'' E.-R. Purrin, De la réforme des latrines scolaires.
{Bulletin de la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle,
1878, T. 1. p. .445.) . .
LATRINES. 023
niveaux, reçoit le jet d'urine et fait couler celle-ci vers
l'orifice de chute. Ce dernier, garni d'une cuvette à sou-
pape hydraulique du modèle ordinaire, a son bord supé-
rieur au niveau du sol du cabinet, et est surmonté latéra-
ment de deux pédales ou marches élevées de 15 centi-
mètres pour placer les pieds'. Les parois postérieure et
latérales du cabinet sont garnies de briques vernios, et
forment des surfaces inclinées, lisses, imperméables, qui
rejoignent roriiice. Il en résulte que la surface très
étroite du sol du cabinet peut seule être mouillée ; elle est
facilement lavée, et le vestibule sur lequel ouvre la série
de cellules peut ne jamais recevoir une goutte de liquide.
Il va de soi que ce vestibule est garni d'urinoirs, non
pas formés de plaques verticales, baignées plus ou moins ir-
régulièrement par un mince filet d'eau, mais bien en forme
de cuvette, en porcelaine ou en fonte émaillée, qu'on peut,
dans certains établissements, surmonter d'un robinet à
pression, ne fonctionnant que pendant le temps où la main
presse le levier. Le principe, on le voit, est de n'exposer
à être souillée que la surface la plus petite possible, de la-
ver immédiatement les réservoirs qui ont reçu les déjec-
tions, et de tenir tout le reste dans un état de propreté
sèche et reluisante.
Il y a, en effet, deux voies différentes par lesquelles on
peut arriver à la désinfection des latrines : la propreté
sèche, la propreté par le lavage. La première nous paraît
préférable ; elle est d'une application plus difficile, elle de-
mande des soins, une surveillance attentive ; elle implique
la bonne volonté, et nous dirions la bonne éducation des
visiteurs, à qui l'on doit apprendre la décence, c'est-à-dire
le respect de soi-même et des autres. Une désinfection vé-
ritable ne sera obtenue qu'à ce prix. A ce point de vue,
les mœurs dans notre pays sont fort en retard ; c'est chez
l'enfant, c'est à l'école primaire, c'est dans les lycées que
ces mœurs doivent être changées. Presque tout est à faire;
624 DESINFECTION DES HABITATIONS.
nous connaissons de grands lycées de Paris, où les latrines,
fort heureusement isolées dans les cours, loin des bâti-
ments, exhalent dans tout le voisinage une odeur épou-
vantable ; le vice de construction est tel, que toute désin-
fection est presque impossible ; comment espérer que des
enfants se comportent d'une façon décente dans de tel-
les sentines? Si, au contraire, les orifices de chute sont
hermétiques, lavés automatiquement et abondamment; si
les sièges sont commodes, d'une propreté irréprochable,
si la surveillance est sévère, pas une goutte d'eau ou de
liquide ne sera répandue sur le sol, lequel pourrait être à la
rigueur ciré, comme dans les maisons aisées ; c'est la pro-
preté sèche; à peine est-il besoin de désinfecter, puisqu'il
n'y a plus de cause d'infection.
Cet idéal paraît à beaucoup tout à fait irréalisable dans
les établissements publics, et en général l'on considère
comme plus pratique la propreté par le lavage. Ce qui fait
maintenir dans beaucoup d'établissements les latrines à la
turque, c'est-à-dire de simples entailles linéaires ou ar-
rondies dans les dalles du sol, c'est la faciUté avec laquelle
on peut, avec quelques seaux d'eau, balayer les immon-
dices et les précipiter dans l'orifice béant au-dessus de la
fosse. On fait dissoudre par litre d'eau 50 à 100 grammes
de sulfate de fer ou de zinc, 10 grammes d'acide phénique,
de chlorure de zinc, etc. ; on y ajoute quelques grammes
d'une huile essentielle ou d'essence de mirbane en guise
de parfum; on choisit souvent, pour faire cette opéra-
tion, le moment qui précède immédiatement le passage
du directeur ou d'un inspecteur général des établisse-
ments publics, et la désinfection est obtenue... pendant
une demi-heure, une heure au plus. Les hygiénistes et
les médecins ne peuvent se contenter de ce simulacre
d'assainissement , c'est la source de l'infection qu'il faut
détruire. Cette source est sans doute dans la fosse; elle
est aussi pour une part dans les cabinets eux-mêmes.
LATRINES. 625
Quand le sol, quand les parois des latrines sont chaque
jour et plusieurs fuis par jour inondés ainsi d'eau, les
matériaux s'imb'.bent, se fendillent, et deviennent bientôt
imprégnés de liquides chargés de matière organique. Les
visiteurs répandent l'urine indistinctement sur tous les
points de la salle; on ne prend aucune précaution dans
un local mouillé, et la même négligence a lieu en ce qui
concerne les matières fécales. Les lavages à grande eau sont
un assez bon moyen de désinfection dans certaines latrines
qui sont éloignées des habitations, en plein air, au bas de
nos quais par exemple, dans celles qui sont très mal cons-
truites et très mal tenues. On peut ainsi nettoyer des
écuries d'Augias, c'est un pis aller ; on doit faire mieux
dans la plupart des établissements publics, c'est-à-dire
réformer le mode de construction des latrines, substituer
les fosses mobiles, tout au moins, aux fosses fixes, ré-
clamer l'occlusion hermétique des tuyaux de chute, l'intro-
duction de l'eau en abondance, etc.
En attendant, si l'on veut être pratique, il faut remé-
dier au mal qui existe ; la désinfection de la fosse peut
être obtenue de deux façons : ou bien en désinfectant les
matières déjà décomposées, ou bien en empêchant les
matières fraîches de s'altérer.
B. Fosses. — Pour atteindre ce but, l'on peut em-
ployer les solutions de sulfate de fer ou de zinc, de
chlorure de zinc, d'acide phénique, contenant 10 ou 20
grammes au moins de sel par litre, à la fois pour laver
les surfaces des cabinets dallés, et pour empêcher les gaz
de se dégager des fosses. Dans ce dernier cas, les solu-
tions peuvent être beaucoup plus concentrées, à peu près
saturées ; il suffit que le sel soit dissous; il y a toujours
trop d'eau dans la fosse. Nous y reviendrons encore en
parlant de la désinfection des fosses pour les opérations
de vidanges. Le sulfate de fer, précieux par son bon mar-
Valun. — Désinfectants. 40
626 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
ché, a le grand inconvénient de former partout des taches
noires de sulfure, ainsi que des taches de rouille. Le chlo-
rure de zinc, bien supérieur par son action antiseptique,
coûte près de vingt fois plus cher (5 fr. 50 le kil. au lieu
de 0 fr, 23). Toutefois, on trouve aujourd'hui dans le com-
merce des solutions très riches en chlorure de zinc, pro-
venant de résidus de fabrication, marquant 45 degrés
Baume, et contenant 50 à 6o pour cent de chlorure. Le
prix de ces liquides n'atteint pas 1 fr. 50 le litre. Les solu-
tions de chlorure de zinc ont l'inconvénient de maintenir
longtemps humides les surfaces irriguées, car le sel est.
très hygroscopique. C'est néanmoins un désinfectant fort,
utile et qui, malgré sa toxicité, nous paraît préférable aux:
sulfates de fer et même de zinc.
Nous avons, déjà mentionné les expériences faites en
1856-1858, à l'hôpital de la Salpètrière, par M. Fermoftd,
au nom d'une commission composée de MM. Bouchardat»
Tardieu, Moissenet, Cazalis et Fermond. On a soumis à
des essais comparatifs plusieurs liquides que leurs inven-
teurs ou prétendus tels proposaient à l'Assistance publi-
que : 1° le liquide désinfectant de Ledoyen (10 kil. d'azo-
tate de plomb cristallisé pour 100 litres d'eau, et marquant
12 degrés à l'aréomètre); S'' l'eau antiméphitique de Lar-
naudès (sulfate de zinc, 1 kil. 250 gr. ; sulfate de cui-
vre, 36 grammes; eau, 10 litres). Comparativement, on
employait une solution de sels de fer et de chlorure de
chaux. Nous renvoyons à ce que nous avons dit plus haut
de ces expériences. (Voy. p. 58 et suiv.). Nous reprodui-
sons seulement l'une des conclusions du rapport de M, Fer-
mond.
« Il résulte de ces observations que 500 grammes de
chlorure, dont le prix net est de 26 centimes, désinfectent
à peu près aussi bien, quant à ce qui concerne l'hydro-
gène sulfuré, qu'un litre de liquide Larnaudès du prix de
"27 centimes, et que un litre et demi de liquide Ledoyen,
LATRINES. 027
du prix de 30 centimes, mais le chlorure de chaux absorjie
mieux que ces derniers hquides l'ammoniaque libre des
matières fécales, quoique pourtant il en reijte des quan-
tités fort notables. »
M. Fermond a obtenu la même désinfection avec
2o0 grammes de perchlorure de fer (12 centimes) et
230 grammes (4 centimes) d'acide chlorhydrique, au total
16 centimes. Mais, par contre, ce mélange de perchlorure
détériore les matériaux de construction, les vêtements, le
linge, et produit une effervescence très gênante des ma-
tières de la fosse. Au point de vue de la désinfection obte-
nue, M. Fermond donne le premier rang au chlorure de
chaux ; il place ensuite le liquide Ledoyen, puis le liquide
Larnaudès ; au point de vue du bon marché, il les range dans
l'ordre suivant : perchlorure acide de fer, hypochlorite
de chaux, hqueur Ledoyen, hquide Larnaudès.
On a bien des fois essayé de faire ainsi le classement
des diverses substances employées pour désinfecter les
latrines. Flisch, dans un très bon mémoire expérimental
sur les désinfectants, plaçait le sulfate de fer à un rang
assez inférieur dans l'échelle des substances qui empê-
chent la fermentation des matières fécales fraîches, sub-
stances qu'il classait ainsi : 1° acides nitrique et phéni-
que; 2° acide sulfurique ; 3° acide chlorhydrique; 4° huiie
essentielle de térébenthine ; S° acide pyroligneux impur ;
6° sulfate de cuivre; 7° sulfate de zinc; 8° sulfate de fer;
■9° alun; 10" tannin; 11° solution presque neutre de chlo-
rure de fer; 12" charbon de bois. Roth et Lex, de leur côté,
ont vu qu'en mélangeant des matières fécales solides avec
un volume double de solution de sulfate de fer à 2 0/0, au
bout de 8 jours il y avait une grande quantité de moisis-
sures, mais pas trace de vibrioniens. Ces auteurs ont cal-
culé que pour désinfecter les matières fraîches rendues
en 24 heures par une personne, il fallait environ 24 gram-
mes de sulfate de fer ; quand les matières sont anciennes
628 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
et ont fermenté, la dose de 24 grammes par personne et
par jour est insuffisante; il faut neutraliser complètement
l'alcalinité. L'extrême bon marché du sulfate de fer (25 cen-
times le kilogr.) est un précieux avantage, et il est facile
de jeter chaque jour dans une fosse autant de fois 24 gr.
de sulfate fer, qu'il y a de personnes qui la fréquentent ;
malheureusement le sulfate de fer n'a qu'une action anti-
septique très faible.
Bien que les lavages et l'aspersion avec le chlorure de
chaux aient beaucoup perdu de leur prestige, leur action
palliative n'est pas douteuse ; le mélange doit se faire en
proportion forte : 500 grammes pour 10 litres, ou 10 parties
d'eau de javelle pour 100 parties d'eau. Un meilleur mode
d'emploi consiste à laver les surfaces avec des solutions
métalliques ou phéniquées, et à répandre du chlorure de
chaux en poudre sur le sol ; le chlore qui se dégage len-
tement détruit une partie des émanations fétides à me-
sure qu'elles recommencent à se produire. Le chlorure de
chaux est hygroscopique ; il forme des taches blanches et
boueuses désagréables, qui ne favorisent pas cette pro-
preté contagieuse qu'il faut provoquer. L'eau de javelle
et la liqueur de Labarraque, plus coûteuses, n'ont pas cet
inconvénient. Toutefois, dans les latrines mieux tenues
où les mauvaises odeurs ne sont qu'accidentelles, on ob-
tient facilement la désinfection en laissant à demeure le
chlorure de chaux dans des vases largement ouverts. Nous
avons vu obtenir d'excellents effets, en tenant allumées
pendant la durée du fonciionnement une ou deux de ces
bougies stéariques soufrées que nous avons mentionnées
plus haut (p. 143).
Les agents dont nous venons de parler ne sont que des
palliatifs; après avoir absorbé les gaz putrides, il faut em-
pêcher les matières fraîches de se putréfier à leur tour dans
la fosse; après l'emploi des absorbants, celui des antisep-
tiques ou préventifs de la putréfaction est nécessaire.
LATRINES. fj29
Nous devons placer au premier rang une substance dont
le mode d'action est multiple, qui agit sans doute par ses
propriétés antiseptiques, mais dont le rôle comme agent
physique est incontestable, toutes les fois que l'occlusion
hermétique est impossible parce que l'eau fait défaut. C'est
Vliulle lourde de lioiùlle (voy. p. 17^) ou hydrocarbure
phéniqué. Ce résidu d'un grand nombre d'usines où l'on
traite la houille(usines à gaz, couleurs d'aniline, etc.) a été
particulièrement employé sur une large échelle par M. le
D" Emery-Desbrousses(l), médecin-major de l'armée, quia
réussi à désinfecter pendant plus de deux ans les latrines
jusque-là infectes d'une caserne, et à y conjurer une épi-
démie de fièvre typhoïde.
L'huile lourde de houille ne supprime pas seulement la
mauvaise odeur, elle emprisonne les germes morbides et
arrête la fermentation. Ce liquide brunâtre, à reflets ar-
gentés, gluant et onctueux, est un mélange très complexe
où l'acide phéniqué et les phénols tiennent une place im-
portante; il a une densité de 1,030; mais quand on le pro-
jette dans l'eau, une partie tombe au fond du réservoir,
l'autre surnage comme de l'huile. La couche légère et in-
soluble qui se répand à la surface des matières, quand on
verse cette huile dans une fosse, produit donc une sorte
d'interception hermétique qui empêche l'action de l'air ex-
térieur sur les matières et arrête le dégagement des éma-
nations méphitiques (2); la partie soluble, l'acide phéni-
fl) D"" Emery-Deshrousjes, De la désinfection des fosses d'aisances par
l'huile lourde de houille. (Société de médecine publique et Revue d'hygiène
et de police .sanitaire, 18S0, p. oOj-oll.)
(2) Dans son rapport général en 1S"8 sur les travaux i!e la commission
des logiMncnls insalubres, M. le D'' E.-R. Perrin rappelle qu'il y a une
douzaine d'années, un dos anciens présidents de celte commission,
M. Robinet, avait proposé l'introduction, dans chaque fosse d'aisances,
d'une quantité convenable d'iiuile végétale quelconque; , celte huile, en
raison de sa moindre densité, devait, en formant une couche au-dessus
des matières, isoler ces dernières du contact de l'air et en prévenir la
fermentation. [Rapport cilé, p. 3i.)
630 DESINFECTION DES HABITATIONS.
que et les phénols qui constituent des antiseptiques assez:
puissants, retardent singulièrement la fermentation de-
toute la masse. Il ne s'agit donc pas ici seulement d'un
agent absorbant ou fixateur comme les sels métalliques,
mais bien d'un véritable désinfectant.
M: Dussard (Académie des sciences, 3 août 1874) jetait
3 litres de cette huile par mètre cube de matières, ou
de préférence introduisait cette huile lourde dans la fosse
vide, après la vidange. M. Emery-Desbrousses croit que
ce liquide agit surtout à la surface des fosses par sa couche
surnageante, en formant une sorte d'écran qui intercepte
les émanations délétères et leur substitue une odeur de
goudron et de phénol très prononcée. Un litre à la fois
de cet hydrocarbure, mélangé d'eau, lui a paru suffisant
pour une fosse de 50 mètres carrés superficiels. Yoici d'ail-
leurs quel est le mode d'emploi proposé par M. Emery-
Desbrousses :
« Je suis partisan d'une désinfection quotidienne, et
même bi-quotidienne en cas d'épidémie. L'huile tend à
s'agglutiner aux parois de la fosse, et les matières sans
cesse projetées doivent chasser Fhuile à la périphérie et
laisser le centre du liquide non recouvert. Par conséquent,
en ne faisant F opération que chaque semaine ou deux fois
par semaine, la désinfection ne serait complète que pen-
dant les premières heures. Voici le modiis faciendi que j'ai
toujours fait appliquer à la caserne de Vaucelles, à Caen :
« La fosse de cette caserne a environ 50 mètres carrés.
Chaque matin, à huit heures, on plaçait près des latrines
et préalablement vidés, les baquets faisant office de ti-
nettes dans les locaux disciplinaires, les postes isolés, etc.
Deux de ces baquets étaient remplis d'eau presque com-
plètement (chaque baquet a une contenance de 35 à 40 li-
tres) ; on versait alors 1/2 litre d'hydrocarbure dans cha-
cun de ces baquets et on agitait le mélange avec un bâton.
Le contenu d'un de ces baquets était alors successivement
LATRINES. 631
versé dans tous les baquets vides, lesquels par ce fait se
trouvaient désinfectés. Cette opération terminée, deux
hommes saisissaient le dernier baquet et en projetaient
le contenu sur les urinoirs ; le baquet resté plein était
également lancé sur les urinoirs et sur l'autre extrémité
des latrines. Une partie de l'huile de houille s'attachait
aux parois des urinoirs, mais la plus grande partie, en rai-
son de la pente, allait tomber dans la fosse et s'y étalait
en une couche plus ou moins épaisse suivant la quantité
employée.
« L'huile lourde de houille coûte environ 15 centimes
le litre et je sais que plusieurs établissements péniten-
tiaires, entre autres celui de Gaillon (Boulogne-sur-Merj,
en font usage avec succès depuis plusieurs années.
Pendant fort longtemps, ce désinfectant a été employé à
la maison centrale de force de Melun. Depuis le mois de
Sieptem]:ire 1818, on a remplacé l'huile lourde par le désin-
fectant Saint-Luc (chlorure de zinc). Le motif de cet aban-
don me paraît être de nature économique et a tenu peut-
être avissi à l'exagération des doses quotidiennes. On em-
ployait en effet 3^^,500 d'huile lourde par jour; il résultait
de ces doses massives une odeur un peu trop forte dans
des locaux fermés et étroits, tels que le quartier cellulaire
et l'infirmerie. Quoi qu'il en soit, le directeur de la prison
de Melun n'a jamais constaté d'épidémie dans son établis-
sement, pendant toute la durée de son emploi. »
Reste à savoir si dans de grandes maisons d'habitation
privée, à Paris par exemple, la projection d'un hectolitre
de cette huile de houille dans une fosse commune ne
dégagerait pas, par les orifices si incomplètement obturés
des latrines de chaque appartement et de chaque étage,
des odeurs goudronneuses et empyreumatiques dont se
plaindraient les locataires.
Malheureusement, l'huile lourde de houille, qui est un
résidu encombrant des usines, ne se trouve pour ainsi
632 DESINFECTION DES HABITATIONS.
dire pas dans le commerce courant, tout au moins dans le
commerce de détail. A Paris, nous n'avons pu en obtenir
un litre dans les plus grandes maisons de vente de pro-
duits chimiques; il faudrait s'adresser directement aux
usines à gaz et en demander plusieurs tonneaux. Il est à
désirer que cette substance vraiment désinfectante et jus-
qu'ici à vil prix se répande dans la pratique journalière
de l'hj'giène : que de maisons particulières, de garnis,
de cités ouvrières, d'écoles, de casernes, voire d'hôpitaux,
profiteraient de son emploi ! Nous savons que, dans cer-
taines garnisons, le service du génie militaire a passé des
marchés avec les usines locales et mis l'huile lourde de
houille à la disposition des casernes pour la désinfection
des latrines ; c'est une excellente mesure qu'il faut géné-
raliser en attendant des réformes plus radicales.
On a également préconisé la projection journalière
d'acide phénique dans les fosses. Théoriquement, on pou-
vait espérer prévenir ainsi la putréfaction des matières, à
une époque où l'acide phénique était considéré comme un
puissant destructeur de la vie des germes. Depuis .qu'on
a réduit cette action à une i>lus juste valeur, il faut aban-
donner cette illusion. D'ailleurs, au point de vue pratique,
Parkes a montré depuis longtemps que la dépense occa-
sionnée par l'acide phénique serait, dans ce cas, énorme.
Les expériences sont si précises que nous croyons utile
d'en donner un résumé (1).
A la température de + 10" à -f 36° cent., dit-il, l'acide
phénique et ses sels empêchent la putréfaction des ma-
tières d'égouts et de vidange (sewagé) ; à égalité de poids,
il est décidément supérieur à toutes les autres substan-
ces connues. Ainsi, tandis que 3 à 4 grammes d'acide
phénique cristallisé empêchent toute altération ultérieure de
(l) Parkes, On Ihe relative poiuer of certain socalled disinfectant in
preventing the putréfaction of humaii sewage [Army médical Report for
1866, T.viii, p. 318.)
LATRINES. 633
112 grammes de matières, une quantité double de sulfate
de fer (7,80) n'a pour ainsi dire aucun effet préservatif
sur le même poids de matières. Il en est de même pour la
solution de permanganate de potasse : 56 grammes de li-
queur de Condy ne suffisent pas pour prévenir l'altéra-
tion de 112 grammes de matières; le mélange de' liqueur
de Condy et de sulfate de fer n'agit pas mieux. Les sels
de zinc sont inférieurs, à poids égal, à l'acide phénique;
avec le chlorure de chaux, quand l'odeur du chlore s'est
dégagée, l'odeur reparaît extrêmement désagréable.
Mais pour que cet elfet soit obtenu, il faut des doses
d'acide phénique bien supérieures à celles qu'on emploie
d'habitude. Avec une quantité de 3gi',88 (60 grains) d'acide
phénique cristallisé du commerce, et par une température
de + 14;° C, on n'arrête pas absolument le développe-
ment des vibrions à mouvements rapides dans 112 gram-
mes de matière et l'odeur fécale est encore appréciable; à
mesure que la température ambiante s'élève, l'effet pré-
ventif n'est obtenu que par des doses croissantes.
Les chiffres qui précédent équivalent à 33 grammes
d'acide phénique cristallisé par litre de matières de vi-
dange, soit 33 kilogrammes par mètre cube!
Parkes a confirmé ces résultats par des expériences phy-
siologiques faites sur lui-même. Pendant les mois d'octo-
bre à décembre 1867, occupé à des expériences sur l'ac-
tion des gaz d'égouts, il inhalait presque chaque jour dans
son laboratoire des odeurs de vidanges. Quand les ma-
tières étaient putrides et non désinfectées, il éprouvait
une indisposition et un malaise qui duraient (le 6 à 24 heu-
res : constriction particulière de tout le voile du palais,
d'une partie de la voûte palatine, de la muqueuse nasale;
augmentation de la sécrétion salivaire, état nauséeux, sen-
sation de frisson, mal de tète et dépression. Ces effets
étaient constants. En mars 1868, il reprit ses expériences
en traitant les matières fécales avec des désinfectants. Il
634 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
laissa de la matière de vidange se putréfier, puis il y ajouta
6=%8 d'acide phénique pur pour 1,000 grammes de li-
quide; l'odeur fécale n'était pas entièrement détruite. Les
émanations eurent encore quelque action sur lui, mais
à un moindre degré ; les symptômes ne durèrent que de
2 à 3 heures, et le soir il était tout à fait rétabli. Il
doubla alors la dose d'acide phénique, soit 13°'', 6 pour
1,000 grammes de liquide putride; 2 heures après l'addi-
tion, les émanations étaient perceptibles et produisirent
encore quelques légers symptômes; mais deux jours après,
en renouvelant cette expérience, les effets éprouvés ne se
reproduisirent pas ou du moins furent à peine apprécia-
bles. En résumé, il faudrait d'après Parkes 13 à 13 gram-
mes d'acide phénique pur, par litre de liquide de vidanges
pour empêcher toute action nuisible des émanations sur
l'organisme, soit 13 à 15 kilogrammes par mètre cube
dans une fosse !
Les solutions d'acide phénique sont plus actives que les
acides en cristaux, les poudres, etc.; mais les produits im-
purs sont plus actifs que les produits chimiquement purs.
Dans les dernières séries d'expériences, 60 grains (33"', 88)
d'acide cristallisé furent trouvés beaucoup moins actifs
qu'une demi-once d'acide phénique liquide de Calvert, à
bas prix.
Parkes a comparé l'action des deux poudres désinfec-
tantes de Calvert et de Mac-Dougall, qui sont journelle-
ment employées en Angleterre, Celle de Calvert contient
20 à 30 0/0 d'acide phénique, mêlé à de l'alumine et du
silicate d'alumine; celle de Mac-Dougall est un mélange
de phénates et de sulfites de chaux et de magnésie ; cette
dernière ajoutés aux matières de vidanges leur donne
une réaction franchement alcaline, tandis que la première
ne modifie pas la réaction des matières alvines fraîches.
Ces deux poudres à la dose de 15 grammes préviennent
l'une et l'autre assez bien la fermentation de 112 grammes
LATRINES. 035
de matières fécales solides pendant 17 à 18 jours; mais
comment peut-on songer à introduire dans la pratique jour-
nalière une poudre coûteuse, dont il faut 125 grammes
pour désinfecter 1 litre de matières, soit 123 kilogrammes
par mètre cube ?
Erismann (1), dans un excellent mémoire publié en ces
dernières années, a ajouté à la matière des fosses fixes des
poids égaux de substances réputées désinfectantes, et il
a cherché quelles quantités d'acide carbonique, d'ammo-
niaque, d'hydrogène sulfuré ou hydrogène carboné, se dé-
gageaient ensuite de ces matières. Il a expérimenté sur le
sublimé, le sulfate de fer, l'acide sulfurique, la terre de
jardin, le charbon de bois. Il a constaté l'efficacité d'action
antiseptique du sublimé et de l'acide sulfurique, mais il
rejette le bichlorure de mercure à raison de sa cherté? Ces
expériences sont à reprendre en ce qui concerne le su-
blimé ; ce que nous savons de la puissance antiseptique de
cet agent à des doses extrêmement faibles, doit faire ou-
blier ce qu'il y a d'étrange au premier abord à employer
un tel poison à des usages industriels : mais n'est-ce pas
surtout parce que c'est un poison qu'il est antiseptique?
L'acide sulfurique dilué paraît à Erismann l'un des meil-
leurs désinfectants des fosses d'aisance; quand on projette
une solution d'acide sulfurique au centième dans une fosse,
l'acide carbonique continue à se dégager; nous sommes
même étonné qu'il ne s'en dégage pas plus que de la fosse
non désinfectée; mais il n'y a plus de gaz ammoniac ni
d'hydrogène sulfuré libres, et la quantité d'oxygène ab-
sorbé par une fosse de 18 mètres cubes se réduit en
24 heures de 13,860 litres à 2,800 htres. L'acide sulfu-
rique paraît être un agent très utile ; non seulement il
fixe ou absorbe l'ammoniaque, non seulement il empêche
(1) Erismann, Untersuchiinrien ïiber die Verunreinigiinf/ der Liift diirch
gewiihnl.che Abstriilsgruben iind iiber die Wirksaml;dt der gebrauch-
lislen Desinfeclionsmittel [Zeitschrift f. Biologie, 187o, T. XI, 2" Hj.
636 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
la putréfaction des matières fraîches, mais encore il détruit
la virulence des principes morbides que les matières peu-
vent contenir. La dépense est très minime; malheureuse-
ment cet acide dégrade un peu les conduits en fer, et
même désagrège ou corrode les matériaux de construction,
les ciments, etc. Il ne faut pas exagérer ces inconvénients ;
de nouvelles recherches sont nécessaires pour montrer si
en le diluant assez pour ne pas dégrader les matériaux,
il conserverait cependant une action antiseptique et neu-
tralisante.
Nous mentionnons ici un certain nombre de formules ou
de procédés très fréquemment employés à l'étranger, mais
dont les inconvénients compensent les avantages dans la
pratique journahère.
Le désodorant de Siivern a joui d'une très grande vo-
gue en Allemagne et en Hollande; pour l'obtenir, on place
dans un tonneau 55 litres de chaux vive qu'on éteint ;
on remue avec soin, en y mélangeant 4 kilogrammes
500 grammes de coaltar, de manière à bien diviser celui-ci.
On y ajoute 6 kilogrammes 750 grammes de chlorure
de magnésie dissous dans de l'eau chaude, on mélange
intimement toute la masse, et on continue à verser de l'eau
chaude de manière à obtenir une consistance sirupeuse.
Le chlorure de magnésie forme du chlorure de calcium
déliquescent, la magnésie devient libre; ce mélange en-
lève la mauvaise odeur des matières de vidanges liquides
et diminue leur adhérence aux conduits.
Avec la méthode de Siivern, on ne peut songer à écouler
directement les matières à l'égout; ces matières doivent
être reçues dans un vaste réservoir en briques, de la di-
mension de nos fosses fixes communes et plein du liquide
désinfectant au fond duquel elles se déposent lentement ;
le liquide qui surnage s'écoule à l'égout par un trop plein '■>
le dépôt est de temps en temps enlevé, mis à sécher et
transporté au loin dans des charrettes. La masse déso-
LATRINES. 637
dorante de Siivern, analysée par le professeur Hoffmann
de Leipsig a donné la composition suivante pour 100 par-
ties :
Eau 61,5
Chaux 30,y
Chlorure de magnésie 1,5
Goudron 1,2
Malicres étrangères 5,3
100
La masse a la consistance d'une pâte épaisse, ayant
l'odeur du goudron, un reflet argentin et une couleur que
M. B.-G. Beyer (1) compare à celle des selles décolorées
des ictériques. La proportion notable de matières étran-
gères provient de l'état d'impureté de la chaux et de la
magnésie employées.
Le mode d'action de cet agent paraît être le suivant : la
chaux se combine avec l'acide carbonique qui se dégage
des matières de vidanges, et le carbonate de chaux ainsi
produit se précipite au fond du réservoir en raison de son
insolubilité. Mais en même temps, il entoure chaque par-
celle de matière fécale divisée d'une mince couche de
carbonate de chaux; le développement ultérieur de l'acide
carbonique du centre des masses fécales divise ceHes-ci
indéfiniment, et multiplie les surfaces de contact de ces
matières avec le sel de chaux. Le précipité se compose
donc en définitive de parcelles extrêmement fines de ma-
tières fécales enrobées de carbonate de chaux ; les protor-
ganismes ne peuvent se développer ou être dangereux
sous cette mince, mais solide enveloppe. Le chlorure de
magnésie transforme l'ammoniaque volatile en chlorhy-
drate d'ammoniaque non volatil, qui reste en solution
dans le liquide surnageant et s'écoule à l'égout avec ce
dernier. Le chlorure de magnésie qui est très hygrosco-
(1) H.-G. Beyer, Art uceoiint of Silvern's melhod of the disposai of ex-
créta, de, {The New-York Sanitarian, janvier 18S2, n° 106, p. 1).
638 DESINFECTION DES HABITATIONS.
pique a encore pour effet de maintenir la masse de Sû-
vern dans un état d'humidité convenable. Le goudron
de houille, outre ses propriétés désinfectantes, a enfin
l'avantage de former à la surface de la masse un enduit
gras qui empêche l'action rapide de l'acide, carbonique
sur la chaux du mélange, pendant tout le temps que celui-
ci est en service.
Dans le réservoir placé sous les lalrines, le liquide qui
surnage est presque incolore, a une od^ar prononcée de
goudron de houille, une réaction alcaline et ne semble pas
se décomposer, même au bout d'un temps assez long. Il
contient 0,353 de résidu solide par htre, constitué surtout
par du chlorhydrate d'ammoniaque et du chlorure de
chaux. Chaque jour, on dissout une quantité variable de la
masse de Sùvern dans de l'eau, et on verse le mélange
dans le tuyau de chute des cabinets ; les matières fécales
et les parties insolubles du mélange Siivern se précipitent
lentement, pendant que la partie du liquide clair qui sur-
nage se déverse à l'égout par un trop plein. Très fréquem-
ment on vide la fosse ; on enlève le dépôt, on le fait
égoutter sur une claie, où il se dessèche lentement. Ce dé-
pôt ne dégage pas de mauvaise odeur, peut servir comme
engrais, mais nécessite une manutention encombrante.
Cette méthode est très appréciée en Hollande.
Le mélange de Midler-Schur est composé de 100 par-
ties de chaux, 20 parties de charbon de bois en poudre,
10 parties de poussière de tourbe ou de sciure de bois, et
d'une partie d'acide phénique du commerce, représentant
60 à 70 0/0 de son poids d'acide cristallisé. Quand le mé-
lange est fait, on le laisse pendant une nuit sous un han-
gar couvert pour éviter les chances de combustion spon-
tanée, on le fait sécher et on le met en barils (Parkes).
Nous n'avons pas d'expérience personnelle de ce com-
posé qui nd semble pas avoir été employé en France ;
mais le discrédit dans lequel il est tombé dans son pays
LATRINES. 639
d'origine nous encourage peu à l'expérimenter chez nous.
Dans l'armée allemande, une Instruction du 21 février
1868 avait recommandé l'emploi du désinfectant Siivern
pour les latrines des casernes. Mais l'expérience a montré
•que la dépense était considérable (10 à 12 silbergr. par
tète et par an; 200 à 500 thalers, soit 7o0 à 1,000 francs
par an, pour un bataillon); une décision ultérieure du
16 octobre 1871 a recommandé de préférence l'emploi
■de la chaux phéniquée, qui produit un aussi bon effet. Ce
■dernier mélange est fait de la façon suivante : on prend
100 parties de chaux récemment cuite, on la réduit en
poudre et on la mélange avec 60 parties en poids d'eau ;
•après complet refroidissement, on arrose la masse avec
5 parties en poids d'acide phénique pur en paillettes, on
mêle et on agite la poudre à l'aide d'un tamis. On l'em-
ploie en aspersion ou en mélange intime avec les ma-
tières, jusqu'à ce que l'odeur d'acide phénique devienne
manifeste. La poudre se garde dans des barils en un lieu
sec; elle se conserve sans altération pendant 2 à 3 mois
(Roth, T. I, p. 481). (Voyez en outre Vidanges).
Il est inutile de dire que la ventilation la plus libérale
par des fenêtres constamment ouvertes est une condition
indispensable de la désinfection des latrines. Lorsque les
cabinets font partie d'un appartement bien clos et bien
chauffé, l'air tiède des corridors voisins détermine un
appel d'air des parties profondes et froides vers les locaux
habités, et l'odeur devient désagréable. Il est donc indis-
pensable que la séparation scit complète, et que l'air as-
piré vienne des fenêtres, non de la fosse.
Pour empêcher le reflux des gaz de la fosse par des ori-
fices béants ou mal fermés, l'ordonnance du préfet de police
du 24 septembre 1819 impose l'établissement de tuyaux
d'évent, de 25 centimètres^au moins de diamètre, condui-
sant les gaz méphitiques à la -hauteur de la bouche des
640 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
cheminées de la maison où ils se trouvent, ou des maisons
contiguës, si celles-ci sont plus élevées. On a discuté la
question de savoir si cette ventilation des fosses n'avait
pas plus d'inconvénients que d'avantages; le renouvelle-
ment continuel de l'air favoriserait la fermentation putride,
en mettant incessamment de nouvelles quantités d'oxy-
gène en contact avec les matières putrescibles; les gaz,
rejetés au faîte des maisons, en souilleraient l'air, leur re-
flux en sens inverse par un tuyau serait parfois une cause
plus grande d'infection de la maison et des quartiers
plus élevés. Nous croyons avec M. de Hennezel (1) que
les dangers d'asphyxie et d'explosion seraient singuhère-
ment augmentés dans des fosses complètement closes, et
qu'il n'y a pas lieu de rejeter, dès à présent, la ventilation
par les tuyaux d'évent. Mais l'éminent ingénieur en chef
des mines a montré par des expériences anémométriques
très rigoureuses que dans ces tuyaux d'évent le courant
était presque aussi souvent descendant (10 fois) qu'ascen-
dant (1 fois), nul ou presque nul (6 fois). Il est donc in-
dispensable d'y assurer un fort tirage en plaçant un foyer,
et en particuher en faisant brûler un bec de ga-z, dans la
partie du tuyau qui est au-dessus des derniers orifices des
cabinets. On ne se contente pas ainsi de produire un cou-
rant qui ferait passer les gaz méphitiques dans l'atmos-
phère des maisons ou des quartiers plus élevés, car on
peut espérer les détruire en les brûlant. Toutefois, quel-
ques explosions survenues par la projection d'allumettes
enflammées dans les fosses des latrines ont montré que
ces feux de tirage n'étaient pas sans quelque danger (2);
(1) de Hennezel, Rapport sur la ventilation des fosses et l'assainissement
des cabinets d'aisnnces, (Rapports généraux de la commission des logements
insalubres (1851-1869; Paris, 18"7, p. 22S à 244).
(-2) Perrin, Rapport sur l'inflammation des gaz produits dans les fosses
d'aisances, (Rapports généraux de la ëommission des logements insalubres;
Paris, 1877, p. 245 et 1878, p- 82.)
LATRINES. 641
les becs devraient être par précaution entourés d'une toile
métallique. La dépense en outre est très forte et rend l'ap-
plication du moyen difficile dans les établissements mal te-
nus qui en auraient le plus besoin. M. de Hennezel indi-
que le résultat d'expériences qu'il a faites à ce point de
vue; il pense qu'on peut assainir le tuyau de chute des-
servant un seul cabinet d'aisance à siège béant et de 4 mè-
tres cubes, en faisant brûler par heure 26 litres de gaz
dans le tuyau d'évent ; on évacue de la sorte 41 mètres
cubes d'air par heure. La dépense sera donc de 624 litres
par jour, soit, à 30 centimes le mètre cube, 19 centimes
par jour ou 10 francs par an. Un bon appareil d'occlusion
hermétique et une bonne installation coûteraient moins
cher.
En faisant passer le tuyau d'évent au contact extérieur
ou dans l'intérieur des cheminées, et surtout en le faisant
déboucher directement dans la cheminée comme en Belgi-
que, comme à Lille (1), on augmente singulièrement la
force d'aspiration; mais il faut craindre que les gaz fétides
qui s'échappent au sommet des tuyaux d'évent, à plus
forte raison ceux qui se dégagent directement dans les
cheminées, ne refluent de haut en bas par celles-ci quand
on n'y fait pas de feu, et ne viennent infecter l'appar-
tement.
Le type le plus complet de ce mode de désinfection des
latrines et des fosses par un courant aspirateur est fourni
par la prison de la Santé, où la ventilation, le renouvelle-
ment de l'air de chaque ceUule, se fait par la cuvette du
siège affecté à chaque prisonnier. Le tuyau de chute s'ar-
rête à quelques centimètres au-dessus de la tinette mo-
bile, placée dans un couloir souterrain. Ce couloir fermé
de toutes parts communique par une large ouverture avec
une haute cheminée où l'on entretient à cet effet un feu
(1) Lcltre de M. le professeur Joire, de Lille, {ibidem, p. 93).
Vallin. — Désinfectants. 41
642 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
très vif : l'air chaud qui s'élève est remplacé par l'air
de la cellule, lequel traverse le tuyau de chute pour
arriver dans le couloir souterrain. Malheureusement,
quand les portes de ce couloir restent largement ouvertes,
soit par négligence, soit pendant l'enlèvement des tinet-
tes, l'appel se fait non plus par la cellule, mais par cette
porte, et les mauvaises odeurs provenant de la vidange
arrivent alors directement jusqu'aux prisonniers.
Les appareils ventilateurs, turbines, girouettes à gueule
de loup, etc., établis sur l'orifice supérieur des tuyaux
d'évent, augmentent généralement le tirage et rendent
plus difficiles les courants renversés. Dans quelques mai-
sons mises en expériences, M. de Hennezel a trouvé par-
fois des vitesses ascensionnelles produisant l'évacuation
de 94 à 116 mètres cubes par heure dans la fosse; mais
quand la température était presque la même à l'intérieur
du tuyau et à l'extérieur, l'appel était très faible et l'éva-
cuation n'était que de 20 mètres cubes par heure, soit une
vitesse de 10 centimètres par seconde dans le tuyau. 11
semble donc avantageux de garnir l'orifice supérieur des
tuyaux d'évent avec les ajutages qui réussissent pour les
cheminées ordinaires (ventilateur Noualhier, appareil Le-
roy, système Gilles, bonnet de prêtre, etc.); ces tuyaux
doivent en outre être élevés de quelques mètres ou de
quelques pieds au-dessus du faîte même de la maison.
Malgré tout, on déplace le raéphitisme, on ne le détruit
pas. Cela nous semble surtout vrai par ces appareils ven-
tilateurs à force centrifuge ou tarares, qu'on actionne à
l'aide de poids, de ressorts, de l'eau ou d'un mouvement
d'horlogerie ; on prétend ventiler ainsi les fosses d'aisance
comme on ventile un puits de mine ou une salle de spec-
tacle. On a pu avec certains de ces appareils évacuer 40 à
60 mètres cubes d'air par heure; on désinfectait le ca-
binet, mais c'était aux dépens de l'atmosphère. Qu'on sup-
pose un instant que les 86,075 fosses fixes de Paris soient
LATHllNES. G43
ventilées et désinfectées de la sorte; Paris ne sera plus
qu'une sentine.
On a parfois conseillé de maintenir une lanterne ou un
bec de gaz allumé au-dessous ou au devant d'une cheminée
d'appel s'ouvrant au sommet ou sur une des parois du ca-
binet. Lorsque ie tuyau de chute n'est pas herméti.quement
fermé, cette disposition ne peut avoir qu'un effet : rem-
placer par l'air de la fosse, l'air du cabinet transformé en
cheminée d'appel. Au contraire ce moyen peut rendre de
grands services quand toute communication est interrom-
pue avec la fosse ; l'air aspiré ne peut dès lors se renou-
veler que par les portes ou les fenêtres. Cette ventilation
supplémentaire a d'ordinaire pour but d'entraîner toute
odeur fétide qui pourrait être produite par la cuvette mal
tenue, par les matières dont elle n'est pas débarassée ou
par l'extrémité supérieure du tuyau de chute. Ce système
fonctionne au Palais de Justice pour les cellules des dé-
tenus, aux bâtiments d'administration du chemin de fer du
Nord ; il est dispendieux, mais très efficace.
Un espace libre ménagé entre la tablette du siège et le
bord supérieur de la cuvette communique avec un petit
conduit ventilateur, et celui-ci débouche dans une chemi-
née principale de ventilation où se rendent les conduits
correspondants à tous les sièges. Un bec de gaz brûle dans
chacun de ces conduits, à 1"\50 au-dessus du siège, et
détermine un courant d'air aspirateur qui assainit le cabi-
net, la cuvette et l'extrémité supérieure du tuyau de chute
(de Hennezel). Pareille ventilation peut être établie à la
partie supérieure de chaque dalle verticale servant d'uri-
noir. L'on peut utiUser ce bec de gaz, à l'aide d'une glace
dormante fixée dans la muraille, pour éclairer le cabinet ;
le grand jour ou la grande lumière fait fuir la malpropreté,
prévient l'accumulation des immondices, les accidents et
les maladresses.
Nous avons vu fonctionner récemment ce système à
644 DESINFECTION DES HABITATIONS.
l'école Monge, et l'on ne perçoit aucune odeur dans le
vaste local fermé où sont réunies toutes les latrines. Mal-
heureusement la dépense est forte ; chaque bec allumé ou
chaque siège coûte 65 francs par an; c'est une désinfection
de luxe, qui n'est praticable que dans le cas oii chaque ca-
binet est fréquenté par un grand nombre de personnes.
Il ne nous est pas démontré qu'un lavage supplémentaire
représentant une dépense égale en eau simple n'assurerait
pas une désinfection plus complète. Car la moindre inter-
ruption dans l'occlusion du tuyau de chute transforme ce
moyen de désinfection en une cause active d'infection par
l'appel des gaz de la fosse.
Même en laissant constamment brûler un bec de gaz
dans le tuyau d'évent qui dessert chaque fosse, on n'a
aucune garantie que les gaz seront détruits et n'iront pas
contaminer l'atmosphère au voisinage de la maison ; les
gaz qui se dégagent des matières fécales ne sont qu'excep-
tionnellement inflammables, et fort heureusement, sans
cela le danger des explosions ferait rejeter le procédé.
Dans les hôpitaux de la Suède et du Danemarck, on
emploie journellement un siège ou tonneau mobile où l'as-
piration des gaz odorants se fait de la même manière. Cet
appareil, d'origine suédoise (fîg. 16), dit Closet Marino,
est basé sur la séparation de l'urine et des matières soli-
des ; un urinoir fixe, disposé à la partie antérieure du siège,
recueille automatiquement l'urine et la conduit à l'exté-
rieur ; toutefois cette disposition doit être inefficace pour
les latrines fréquentées par les femmes. M. le D"" Schleis-
ner (1) dit cependant qu'une longue expérience montre
que cet appareil répond aux exigences hygiéniques.
On peut placer sur le trajet des gaz qui traversent le
tuyau d'évent des substances capables de détruire chi-
miquement les émanations pestilentielles. MM. C. Girard
(1) Schleisner. Exposé statistique de l'organisation des hôpitaux civils
en Danemarck, avec IX planches ; Copenhague, 1876, p. 27,
LATRINES 645
et Pabst (1) ont trouvé qu'en mettant les gaz des fosses, et
tous les gaz odorants produits par les fermentations, en con-
tact avec l'acide sulfurique contenant une certaine propor-
tion de cristaux des chambres de plomb (sulfate de nitro-
£^
FiG, 16. — Closet de Marino.
syle), tous ces gaz sont décomposés par les oxydes nitreux
mis en liberté sous l'action de la vapeur d'eau qu'ils con-
tiennent. Non seulement, d'après eux, les odeurs seraient
ainsi détruites, mais encore les germes morbides seraient
chimiquement anéantis. Les appareils disposés par MM. C.
Girard, Pabst et Sulliot, ont été mis en expérience à Thô-
pital do la Pitié et au laboratoire municipal de la Préfec-
ture de police; nous en empruntons la description et les
figures suivantes au journal La Nature, et à une note ma-
nuscrite que les auteurs ont bien voulu rédiger sur notre
demande.
(1) La désinfection par les acides nitreux [La Nature, 9° année 1881
p. 38o). —Girard et Pabst, Désinfection des vidanges par les produits ni
ireux {Comptes-rendus de V Académie des Sciences, séance du 10 octobre
1880, et Revue d'hygiène et de police sanitaire; 1881, p. 166).
646 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
« Les gaz de la fosse sont appelés par le tuyau d'évent
dans une colonne en grès, d'environ 1"',20 de hauteur,
FiG. 17. — Appareil de dcsintcclion de fosses d'aisancei, inslallc à l'hô-
pital de la Pilio à Paris.
remplie de morceaux de coke arrosé d'acide sulfurique
nitreux; celui-ci vient s'amasser dans la partie inférieure
LVTRINES. 647
de l'appareil, au-dessous de la prise des gaz. La vapeur
d'eau contenue dans l'air et le gaz de ces fosses, en ve-
nant se condenser sur le coke de l'appareil, dégagent
constamment les oxydes nitreux contenus dans l'acide sul-
furique nitreux, et ceux-ci détruisent alors les corps odo-
rants et délétères, tels que l'hydrogène sulfuré. Le tirage
du tuyau d'évent est aidé par un appel développé au moyen
d'une flamme de gaz.
La figure 17 représente l'appareil ouvert, de façon à mon-
trer la disposition de la colonne de coke et du petit vase
poreux où l'on verse de temps en temps l'acide sulfurique
nitreux, par l'intermédiaire d'un entonnoir extérieur. Le
bec de gaz destiné au tirage est visible en partie.
« Le système a été essayé à l'hôpital de la Pitié, oii se
trouve une fosse de 40 mètres cubes desservant le pavil-
lon des femmes en couches. Les cabinets recevant toutes
les déjections, les placentas et autres détritus du service,
,se trouvaient à côté de la cuisine et communiquaient avec
la salle des malades par une entrée de quelques mètres
carrés non ventilée. Bien que l'on eût disposé des sièges
à soupapes, l'odeur était épouvantable. La fosse possédait
un tuyau d'évent encastré dans le mur et par conséquent
. fonctionnant mal, et en outre deux orifices de vidange.
Le tuyau d'évent a été bouché ; sur l'un des orifices on a
disposé une prise d'air avec un tuyau de grès de 20 cen-
timètres aboutissant à une colonne en grès de 50 cen-
timètres de diamètre et 1 mètre de haut, remplie de coke,
sur laquelle on a disposé un couvercle avec un tuyau de
tôle de 3 mètres; un bec de gaz déterminait le tirage .'Des
trous percés dans le couvercle et fermés par des bouchons
permettaient de verser l'acide neuf; l'acide épuisé était
soutiré par un robinet en porcelaine au bas de la colonne
en grès. Au bout de quelques jours, le tirage était établi et
les cabinets désinfectés; les gaz sortant de l'appareil étaient
complètement inodores. Enfin, à la première vidange, on
648 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
constata que la fosse était aérée et que les liquides étaient
moins odorants que d'habitude. Ce résultat s'est maintenu
pendant près d'une année; après quoi, divers accidents
étant survenus aux appareils et le nouveau directeur ayant
demandé quelques modifications aux expériences entre-
prises, on a cessé d'enlretenir les appareils de la Pitié. Un
autre avait été disposé sur une fosse de 120 mètres cubes,
et les résultats, quoique moins nets à cause des condi-
tions défectueuses où l'on se trouvait placé, étaient satis-
faisants. Le système a été appliqué depuis à la Préfec-
.ture de police, à l'hôpital des Enfants assistés, chez divers
grands industriels, enfin sur le quai du Louvre, où l'ap-
pareil, ingénieusement caché dans une colonne-affiches,
désinfecte les latrines publiques. » (Note manuscrite de
MM. Girard et Pabst.)
Une part du mérite de ces ingénieuses dispositions
revient à M. Sulliot (1), qui a combiné l'emploi du sulfate
de nitrosyle ou cristaux de chambres de plomb, imaginé
par MM. Pabst et Girard, avec l'emploi de l'éther azoteux
préconisé par M. Peyrusson (voir p. 207). Dans sa com-
munication à l'Institut, il a montré de quelle façon on
pouvait modérer l'action irritante de l'acide azoteux, rem-
placer à volonté ce produit par l'éther nitreux, etc. L'ap-
pareil qu'il a proposé a beaucoup d'analogie avec celui
que MM. Girard et Pabst ont adopté.
Ces appareils peuvent en outre, à l'aide de modifica-
tions très légères, servir à désinfecter les gaz qui pro-
viennent du traitement des vidanges par la distillation.
Le problème si difficile d'établir des fabriques de sels am-
moniacaux, sans inconvénient pour la salubrité et la com-
modité publique, pourra peut-être être résolu à l'aide de
l'acide sulfurique nitreux. Cet acide en effet se produit
journellement en grande quantité dans les colonnes à
(1) Sullioi, Sur l'action des cristaux des chambres de plomb. {Comptes
rendus de l'Académie des sciences, séance du 4 avril 1881, p. 881.)
LATRINES. 649
coke placées à l'issue des chambres de plomb ; la fabrica-
tion du fulmicoton et celle de la nitrobenzine laissent
d'abondants résidus d'acide sulfurique nitreux, jusqu'ici
sans emploi. Enfin, avec l'emploi de ce désinfectant, la
combustion des sulfures organiques, tout en amenant la
destruction de l'acide nitreux, laisse intact l'acide sulfuri-
que, lequel peut dès lors, après avoir fonctionné dans les
colonnes désinfectantes, rentrer dans la fabrication du sul-
fate d'ammoniaque ou des superphosphates (P. Dehérain).
Il nous reste à dire quelques mots d'un mode spécial de
désinfection des déjections humaines et à la rigueur des
latrines. Nous avons déjà parlé (p. 44) du pouvoir absor-
bant et désinfectant de la terre sèche et des poussières ;
nous devons donner ici la description des appareils qui
peuvent servir à cet usage.
Le plus simple consiste en un baquet en zinc ou même
en bois, recouvert d'une planche percée d'une lunette, ou
placé au-dessous d'un châssis fixe représentant la tablette
d'un siège ordinaire. A côté se trouve un seau rempli de
terre desséchée au four ou au soleil et réduite en poudre
grossière ; on peut se servir encore de poussières sèches
provenant des balayures des magasins de fourrages, de
déchets de graines, de fannes sèches, de poussier de
tourbe, de tan épuisé, de résidus des filatures et fabri-
ques de tissus, de tontisses de laine; tous ces produits or-
ganiques sont bons, pourvu qu'ils soient parfaitement
secs. Chaque visiteur jette dans le tonneau, à l'aide d'une
pelle, 1 kilogramme au moins de cette poussière avant de
se retirer ; 1 kilogramme suffit s'il n'y a que des matières
solides ; il faut doubler la dose s'il y a eu en même temps
émission de 200 grammes d'urine. Si l'on doute de l'exac-
titude des visiteurs, et l'on fera bien d'en douter, on
pourra se contenter de faire passer dans les cabinets,
3 fois ou 4 fois par jour, un agent qui recouvrira chaque
650 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
fois les matières d'une couche suffisante de poudre; la
quantité de terre versée dans le tonneau en 24 heures
doit égaler 5 ou 6 fois la quantité totale des matières
rendues. Dans ces conditions, la désodorisation est absolue ;
c'est à peine si dans le cabinet même on soupçonnerait
l'existence des matières contenues dans le tonneau. Au
bout de quelques jours, quand ce dernier est rempli, on le
transporte dans une cour ou un jardin, on vide le compost
qui est solide, n'adhère nullement aux parois et ne dégage
pas d'odeur quand on le remue. Cet amas est laissé sous
un hangar couvert, à l'abri de la pluie, pendant plusieurs
semaines ou plusieurs mois ; il reste indéfiniment inodore,
à moins qu'il ne soit délayé par la pluie. Si on veut faire
servir le mélange plusieurs fois de suite à de nouvelles
désinfections, il faut l'étaler afin qu'il se dessèche com-
plètement; c'est à cette condition expresse qu'il conserve
toutes ses propriétés. Quand toute la masse s'est trans-
formée en terreau par une humification lente et insensible
on s'en sert comme engrais; même à l'état frais, au sortir
des cabinets, ce compost peut être immédiatement enfoui
pour fumer la terre; dans ce dernier cas, les champs ainsi
engraissés dégagent par les temps de pluie une odeur de
vase un peu fécaloïde.
La main-d'œuvre est difficile : il faut des bras pour
faire le transport, il faut avoir à proximité de la terre en
abondance, de la chaleur perdue pour la dessécher, des
champs à engraisser. Ces conditions se réalisent facilement
dans les fermes, les exploitations agricoles, dans les usines,
les manufactures établies à la campagne, à la rigueur
dans les écoles, les pénitenciers, les camps, les casernes.
Dans presque tous ces établissements, au moins à la cam-
pagne, les latrines sont dans un état déplorable et sont
une cause incessante de maladies typhoïdes ou autres;
toute tentative de désinfection sérieuse au moyen des agents
chimiques est d'ordinaire impossible. Le mieux est sou-
LATRINES. 651
vent de combler la fosse et d'installer dans une au(re place
un système moins insalubre. Nous trouvons décrit et figuré
dans les mémoires de MM. Buchanan et Netten Radcliffe
une disposition fort simple qui paraît très usitée en Angle-
terre. Un cabinet en planches ou en briques, avec double
toit, est dressé dans une cour ou un jardin. Derrière la
paroi postérieure, et abritée par le bord saillant du toit, se
trouve accrochée une hotte de bois, en forme de boîte
aux lettres, où chaque matin l'on jette les cendres des
foyers, les balayures, de la terre sèche. Le fond de la
boîte est garni d'un crible ou tamis en toile métallique ;
une poignée mobile passant à l'intérieur permet de secouer
la boîte ou d'ouvrir un opercule inférieur qui laisse échap-
per une certaine quantité de poussière; celle-ci suit une
plaque inclinée qui traverse la cloison et vient tomber dans
le tonneau ou le baquet placé sous le siège. Ces appareils
n'ont pas un jeu très régulier; ils paraissent cependant
moins fragiles, moins prompts à se déranger que ceux qui
fonctionnent automatiquement par le poids du visiteur. Au
bout de quelques jours, quand le baquet est rempli, on le
porte directement dans le champ où on enfouit le contenu.
C'est en somme une fosse mobile parfaitement inodore.
Malheureusement, si par négligence ou par oubli on vide
les vases d'urine ou les eaux de lavage dans ces sortes de
latrines, on perd tout le bénéfice de cette désinfection par
la méthode sèche.
Un industriel français a imaginé une disposition fort
ingénieuse pour assurer plus complètement le mélange des
déjections avec la terre ou les poussières sèches. Dans le
procédé Goux-Thulasne, le fond d'une barrique est garni
d'une couche de matières absorbantes. L'on introduit en-
suite un moule tronc-conique en tôle, d'un calibre un peu
plus petit que la cavité du tonneau, et l'on remplit Tin-
tervalle qui sépare ce dernier du moule, avec des matières
pulvérulentes qu'on tasso avec soin. Quand l'opération est
652
DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
terminée, on enlève le moule, et il reste à sa place une ca-
vité centrale en forme de cuvette destinée à recevoir les dé-
jections. Ces tonneaux ainsi garnis sont portés sous un
châssis servant de siège; au bout de quelques jours, on les
ferme avec un couvercle avant de les enlever, et en les
faisant rouler on mélange plus complètement les matières
absorbantes avec les déjections qui ne souillent jamais les
parois. La manutention de ces tonneaux se faitsans aucune
odeur; on les transporte au loin soit dans les champs,
soit dans des entrepôts, à Tabri de la pluie, où ils se
transforment lentement en un riche engrais. Quand au
contraire on abandonne le compost à la pluie, les amas
de boue et d'eau ne forment plus qu'un dépotoir infect,
comme nous l'avons constaté au voisinage du camp de
Saint-Maur, comme M. le D'" Grandjux l'a observé en 1872
au camp de Villeneuve-l'Étang (1).
FiG. 18. — Appareil Goux-Thulasnc.
Ce système, qui fonctionne depuis près de 20 ans dans
plusieurs villes d'Angleterre, depuis plusieurs années au
(1) D"- Grandjux, De la désinfection dans les quartiers ' militaires,
{Revue militaire de médecine et de chirurgie, janvier 1882, p. 74S).
LATRINES. G33
camp de Vincennes, à l'hôpital militaire de Bourges, est
un excellent moyen de désinfection des matières fécales.
Il est évident qu'on doit disposer, au voisinage, des urinoirs
spéciaux, parce que le mélange de l'urine aux matières
fécales sature trop rapidement d'humidité les poussiè-
res absorbantes. 11 serait facile d'ajuster à la partie anté-
rieure du tonneau un réservoir infundibuliforme, destiné
à recueillir séparément l'urine, comme on le voit repré-
senté dans la figure 16. La quantité de poussière sèche
nécessaire pour la désinfection serait ainsi réduite des trois
quarts. Mais que fera-t-on de l'urine?
En Angleterre on a voulu généraliser cette sorte de
latrines à la terre dans les maisons particulières ; on a dit
que l'on faisait ainsi disparaître toutes les causes d'insa-
lubrité et d'incommodité qui proviennent des fosses fixes
ou mobiles, des opérations de vidanges, et même de la
communication directe des latrines avec l'égoût. Nous
croyons que ce système n'est vraiment pas praticable dans
les grandes villes, au moins d'une manière générale ; mais
il peut rendre des services dans des cas particuliers, par
exemple pour garde-robes destinées à la chambre d'un
malade. Nous avons déjà dit que c'était un bon moyen de
désodoriser les selles extrêmement fétides de certains mala-
des (diarrhée de Cochinchine, dysenterie, cancer du rec-
tum), surtout quand les matières sont exposées à séjourner
toute la nuit ou une partie de la journée dans la chambre
du malade.
Le dessin ci-après (fîg. 19) permet aisément de com-
prendre le mécanisme de ces sortes d'appareils.
Il faut éviter que les serviteurs ne vident les bassins
ainsi remplis de terre dans les fosses fixes ou mobiles ou
dans les cabinets communiquant directement avec l'égoût.
La terre en produisant des amas, des bancs sohdes,
obstruerait les égoùts et deviendrait un obstacle au bon
fonctionnement de ces canaux. Ce n'est pas un des moin-
654
DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
dres inconvénients de l'usage de ces appareils dans les
villes, où l'on trouve malaisément un lieu de dépôt pour
FiG. 19. — Chaise percée à la terre, fonctionnant automatiqucmeul
[Self-acting earlh-closet.)
A. Réservoir rempli de terre sèche. — B C. Plans en bois destinés à di-
viser la terre et à en modérer l'écoulement. — D. Plaque en tôle con-
duisant la terre sur les matières, et ouvrant la caisse A par le jeu des
leviers J H G E, actionnncs par le poids du visiteur.
LATRINES. 655
porter chaque jour ces matières encombrantes. La difficulté
est bien diminuée quand il s'agit d'un hôpital, d'un éta-
bhssement public, oii il existe de vastes cours ou jardins.
Nous devons mentionner ici l'excellent effet désinfec-
tant qu'on obtient avec la suie des cheminées et en général
avec les poussières de charbon, pour enlever la mauvaise
odeur des baquets, urinoirs, tinettes mobiles de toutes
sortes qu'on est souvent forcé de placer dans des locaux
où il n'existe pas de latrines; dans les locaux pénitentiaires
des casernes, dans les corps de garde, dans les cours, ces
récipients dégagent souvent des odeurs intolérables. Une
petite quantité de suie provenant du ramonage des chemi-
nées et projetée à la surface du liquide ou sur les ma-
tières, fait presque instantanément disparaître toute odeur.
Ce moyen est très anciennement connu, il est trop négligé
et mérite d'être plus souvent employé (1); la difficulté de
conserver la suie, la malpropreté qu'elle entraîne, sont les
véritables causes du discrédit relatif dans lequel il est
tombé; c'est une ressource précieuse qu'il ne faut jamais
oublier.
Nous n'avons pas besoin d'insister sur les avantages
qu'on retirera de l'emploi de l'huile lourde de houille pour
la désinfection préventive et ultérieure de ces tinettes mo-
biles. L'huile lourde non seulement adhère aux parois qu'elle
désinfecte, mais encore en surnageant les liquides des
déjections prévient ici surtout le dégagement des mau-
vaises odeurs. Le badigeonnage des parois internes des
tinettes avec du goudron produit également un excellent
résultat : l'opération peut être renouvelée toutes les se-
(1) Salinier et Brault, Note sur l'emploi de la suie de houille comme
moyen de désinfection des baquets à urine [Recueil des mémoires de mé-
decine militaire, 1842, T. 54% p. 339). — R. Elliot, On soot as a déso-
doriser of privies (Tiie Lancet, 1833, T. II, p, 323). — Chevallier, Du,
charbon sous le rapport hygiénique [Annales d'hygiène, juillet 1856, p. 68).
Moridc, De l'application du coke de Boghead en poudre à la conser-
vation et à la désinfection des matières animales et végétales [Journal
de chimie médicale, 1859, T. V, p. 569).
636 DÉSINFECTION DES HABITATIONS.
maines : le goudron empêche la fermentation et la décom-
position de l'urine.
La désinfection de tous les récipients ayant contenu
des matières infectes sera obtenue par l'un des- liquides
que nous avons déjà plusieurs fois énumérés : solution de
sulfate de fer, de sulfate de zinc, de chlorure de zinc,
d'acide phénique, à 2 pour cent, eau bouillante. En cas
d'imprégnation profonde, il est facile de retourner le réci-
pient sur le sol, de faire brûler au-dessous quelques
grammes de fleurs de soufre, ou de carboniser très légè-
rement les parois internes en les flambant avec de la paille
ou des copeaux.
Pour les ustensiles destinés à recevoir les déjections
dans les appartements, nous renvoyons au chapitre
DÉSINFECTION NOSOCOMIALE.
ÉMANATIONS ET DÉGAGEMENTS. «,n
/
CHAPITRE VI.
DÉSINFECTION INDUSTRIELLE
La désinfection industrielle peut se résumer sous trois
chefs principaux, désinfection : 1° des dégagements (gaz
ou vapeurs); 2'' des liquides; 3° des résidus solides. Nous
passons très rapidement en revue ces diverses questions,"
qui fourniraient aisément la matière d'un traité spécial (1).
ART I. —ÉMANATIONS INDUSTRIELLES, DÉGAGEMENTS.
La plupart des usines dégagent des vapeurs, des gaz,
des odeurs, qui en rendent le voisinage incommode et
insalubre; c'est ce qui a déterminé leur groupement en
trois classes, et leur éloignement plus ou moins grand
des habitations humaines. Les vapeurs d'acide chlorhy-
driqiie caractérisent les fabriques de soude et de chlorures ;
Vacide sulfureux est produit par la combustion de la
houille, la fabrication de l'acide sulfurique, le raffinage
du soufre, le grillage des sulfures métalliques ; les va-
peurs nitreuses (acides nitreux et hypoazotique) sont
communes dans les fabriques d'acides nitrique, sul-
furique, oxalique, arsénieux, picrique, de nitrobenzine ;
Vhydrogène sulfuré, l'ammoniaque, se dégagent surtout
des usines à gaz, et accidentellement d'un grand nombre
d'industries ; les émanations putrides ou cadavéreuses
sont propres aux usines où l'on traite les matières orga-
ganiques par la chaleur, fonderies de suif, fabriques de
colle forte, traitement des -vidanges, etc.
(1) Voir à ce poial de vue l'excellent Manuel d'hygiène industrielle, de
M. le Dr A. Napias; Paris, Masson, 1882, Ghap. iv el v, p. 130 à 240.
Vallin. — Désinfectants. 42
658 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
Nous passerons très rapidement en revue les moyens
généraux de préservation ou de désinfection.
1° Condensation des vapeurs et des gaz par l'eau. —
Les gaz et les vapeurs peuvent être condensés de plusieurs
façons :
a. Dans des vases de saturation remplis d'eau , on
conduit les gaz, qui viennent barbotter à travers le liquide ;
c'est ainsi qu'on obtient des solutions saturées utilisées
dans l'industrie: les inégalités ou les excès de la pression,
les fuites, rendent souvent l'application de ce procédé dif-
ficile.
h. Les gaz ou vapeurs, au lieu de traverser une couche
épaisse de liquide, sont mis en présence de larges surfaces
simplemement humides, qui sont rapidement saturées.
Tantôt on fait passer ces gaz à travers des batteries de
50 à 300 bonbonnes, dans lesquelles un mince filet d'eau,
arrivant en sens inverse, humecte constamment les pa-
rois ; c'est le système français. Tantôt, on construit en
maçonnerie des iours à cascade, des colonnes, remplies
de coke ou de briques qui multiplient les surfaces, et
qu'on arrose d'une pluie fine ; les gaz ou les vapeurs tra-
versent ces colonnes, saturent les minces nappes d'eau
qui tapissent les vacuoles des corps spongieux, qu'on
lave ensuite dans de l'eau pure; c'est le système anglais.
c. On lance des jets de vapeur ou d'eau froide pulvéri-
sée dans les conduits parcourus par les dégagements;,
chaque gouttelette retient mécaniquement, ou par dissolu-
tion, les principes volatils qui tendent à s'échapper au
dehors; c'est ainsi qu'on désinfecte les gaz qui se déga-
gent des fonderies de suif, etc. ; depuis quelques années,
en Angleterre, ce moyen est employé pour retenir non
seulement les principes volatils, mais encore les fumées.
C'est une imitation de la purification de l'atmosphère par
la pluie. •
ÉMANATIONS ET DÉGAGEMENTS. 659-
Nous croyons inutile de parler ici des hottes, qui na
sont qu'un moyen plus actif et plus direct de ventilatioû.
Il en est de même des opérations en vase clos ; dans beau-
coup de cas, c'est en quelque sorte la hotte descendue jus-
qu'aux bords de la cuve ; les guérites ou cages vitrées sont
intermédiaires aux hottes et aux vases clos ; elles rendent
de grands services pour protéger les travailleurs contre
les poussières. Mais, dans tous ces cas, on déplace la
source d'insalubrité, on ne la détruit pas; on dissémine
les principes nuisibles dans l'atmosphère, on les envoie
chez les voisins, on ne les fait pas disparaître ; ce n'est pas
de la désinfection véritable.
2° Passage a travers les foyers. — Lorsque les gaz
malodorants ou dangereux sont inflammables, on les
détruit en les dirigeant à travers les foyers, auxquels ils
fournissent un aliment de chauffage économique ; mais
les dégagements ne sont souvent qu'incomplètement
combustibles, et ils se décomposent difficilement au con-
tact des foyers (produits de la fabrication du suif, du
savon, de la colle forte, des vernis, traitement des matières
de vidanges, hydrogène sulfuré). Les buées ou gaz odorants
sont d'ordinaire amenés des générateurs ou des chaudières
sous le foyer de la façon la plus simple. Nous donnons ici,
d'après le D"" Ballard (1), le schéma de l'appareil le plus
ordinairement employé (fig. 20).
Les soins les plus minutieux ne réussissent pas toujours
à empêcher une partie de ces principes volatils de tra-
verser les foyers sans être complètement détruits par le
feu. Les mauvaises odeurs dégagées par les fabriques
d'engrais qui entourent Paris prouvent la difficulté qu'on
éprouve à brûler ainsi ces émanations infectes. Le plus sou-
(1) D"' Ballard, Report in respect of the inquiry as to effluvium nui--
sances (vi'= Annual report of the local Government Board; Report ofthe
médical offlcer for 1876 London. 1878, p. 203.)
660 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
vent on se contente de faire appel par la cheminée des généra-
teurs sur les gaz ou vapeurs qui se dégagent des appareils ;
Nord
FiG* 20. — Schéma de Ballard pour la combustion des buées et fumées.
A. Chaudière. — B. Foyer. — D. E. Portes. — F. Couvercle. —
G. Conduit faisant passer les gaz de la chaudière au-dessous du foyer.
H. Tuyau de fumée se rendant dans la cheminée.
mais la rapidité du tirage par des cheminées de 50 mètres
de haut est si grande dans la plupart des cas, qu'une
grande partie de ces gaz n'a pas le temps d'être décompo-
sée, ou qu'ils refluent au moment où l'on ouvre les foyers
pour les charger de combustible. Il va sans dire, que les
portes figurées par exemple en D et en E, dans la figure
20, doivent être hermétiquement fermées.
ÉMANATIONS ET DÉGAGEMENTS. G31
M. Aimé Girard a montré (1) que les buées et les gaz
devaient être directement conduits sur des appareils de
combustion spéciaux, entièrement indépendants de la che-
minée de l'usine. Quant à la construction de cet appareil
spécial « les uns le veulent constitué par un véritable
foyer chargé de coke, et de disposition particulière; les
autres préfèrent le composer de chambres de briques
chauffées au rouge et analogues au four Siemens ; d'autres
encore lui préfèrent les foyers à dalles, etc. C'est à l'expé-
rience de décider entre les uns et les autres. » M. Aimé
Girard croit qu'avec les usines ainsi construites, le traite-
ment à chaud des matières de vidanges par l'acide sul-
furique peut se faire sans aucune infection de l'air du voi-
sinage.
Les opérations les plus infectes, telles que la transfor-
mation des débris d'équarrissage en gélatine ou en engrais,
doivent se faire à une pression de plusieurs atmosphères,
dans des chaudières autoclaves^ munies d'appareils spé-
ciaux, dans lesquels les vapeurs odorantes viennent se
condenser ; il est souvent nécessaire de mettre les chau-
dières en communication, non seulement avec des con-
denseurs, mais aussi avec des foyers.
Les salles de séchage des toiles vernies et goudron-
nées, etc., doivent être mises en communication, par
un appel puissant à travers des canaux, avec des foyers
capables de détruire tous les principes volatils, ordinaire-
ment très infects.
Les grandes cheminées, malgré des hauteurs qui attei-
gnent parfois 100 mètres, n'agissent guère qu'en dispersant
dans l'atmosphère et en diluant dans l'air les gaz causti-
(1) Commission clo l'assainissement de Paris. Rapport de M. Aime Gi-
rard, sur l'infection provenant des établissements qui reçoivent ou mani-
pulent les matières de î;irfan^es. Paris, Imprimerie nationale, 1831, p. 173
— Vallin, Les projets d'assainissement de Paris, Revue d'hygiène et de
police sanitaire, octobre 1881 p. 809.
662 DESINFECTION INDUSTRIELLE.
ques comme l'acide chlorhydrique, ouïes principes odorants;
elles n'empêchent souvent ni la destruction des arbres ni
rinfection dans un immense périmètre; c'est un moyen
infidèle, sur lequel il faut moins compter que sur une
tonne installation intérieure des foyers et des conduits de
dégagements. Ces hautes cheminées permettent parfois de
mélanger les produits d'opérations différentes, de neutra-
liser, par exemple, l'acide chlorhydrique et l'ammoniaque
qui se dégagent chacun de leur côté dans ce conduit termi-
nal commun. Les fumées sont une cause de gène consi-
dérable, et la fumivorité est un problème si difficile à ré-
soudre, qu'on n'a pu encore imposer aux usines, non plus
qu'aux chemins de fer, l'obligation de brûler leurs fumées,
inscrite dans les règlements sanitaires ou dans les cahiers
des charges des compagnies. Cette question capitale, à la-
quelle des travaux récents paraissent avoir fait faire de
grands progrès, sort trop du cadre général de ce livre
pour être traitée incidemment ici (1).
Dans les ateliers où l'on travaille le phosphore, le D'' Le-
theby, de Londres, a singulièrement diminué la fréquence
des accidents de nécrose, en faisant placer des vases rem-
plis d'essence de térébenthine (2); il propose, en outre, de
faire porter aux ouvriers, suspendue au cou et appuyée
sur la poitrine, une petite boite de fer blanc, remphe de
térébenthine, et à orifice ouvert. Le D'' Letheby a constaté
qu'une proportion de moins de 1 sur 4,000 d'essence de
térébenthine dans l'air, suffisait à empêcher la diffusion
des vapeurs phosphorées. On pourrait trouver une autre
(1) Voyez: Instruction du Conseil d'hygiène delà Seine (27 avril 185S),
Sur les 7Uoyens d'empêcher la production de la fumée ; rapport de
M. Combes (8 juillet 1859), Sur la suppression de la fumée [Traité d'hy-
giène industrielle de Vernois, T. I, ' p. 74, et Dictionnaire d'hygiène, de
Tardicu, Fumée. FijMivorité. — De Frcycinet, Traité d'assainissement
induslriel, 1870, p. 307 à 328. — E. Vallin, Les brouillards de Londres
et la fumivorité (Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1882, p. 201).
(2) L'essence de térébenthine antidote du phosphore [Gazette hebdo-
madaire, 1869, p. 154; 1872, p. 833 et 1873, p. 1).
ÉMANATIONS ET DÉGAGEMENTS. G63
explication de l'action avantageuse de la térébenthine,
dans le fait découvert et signalé par Personne. Eu fai-
sant avaler de l'essence de térébenthine à un sujet empoi-
sonné par le phosphore, ce poison se combine avec la té-
rébenthine qui est éliminée par les poumons ; la térében-
thine peut donc être considérée comme un véritable anti-
dote du phosphore.
Dans les usines où l'on fabrique le chlore, le chlore en
excès est neutralisé par un lait de chaux, oii l'on fait bar-
boter le gaz. Dans les usines de gaz à éclairage, tous les
hydro-carbures produits doivent être absorbés ; on se sert
avantageusement dans ce but du résidu de la propre
combustion du boghead; quand ce boghead est entière-
ment brûlé, il est blanc, et peut, en outre, servir aux mou-
leurs en bronze , à l'égal du poussier de charbon ou de la
fécule; il est formé en grande partie de poudre alumi-
neuse.
Il nous est impossible de passer ici en revue tous les
moyens d'assainir l'air des ateliers et des locaux industriels ;
le sujet comporte un traité spécial (1), et il ne faut pas
confondre assainissement avec désinfection. Il est évident
qu'il ne peut être ici question des masques et appareils
respirateurs qui empêchent les poussières ou les gaz nui-
sibles d'atteindre les voies respiratoires des ouvriers (2).
Les hottes, les cheminées d'appel ne sont, en somme, que
des moyens spéciaux de ventilation. L'humectation préa-
lable des substances capables de former les poussières
(1) Au moment où fo termine l'impression de co volume, nous rece-
vous le Manuel, d'hygiène industrielle, par le D^ H. Napias; Paris,
Ma?son, 1882, 1 vol. in- 8° de VllI-580. On trouvera dans l'excelleiu ou-
vrage de notre collègue et ami les indications les plus précieuses po^r
il'assainissemenl des établissements industriels en général, el pour chaque
industrie en particulier.
(2) Congrès d'hygiôno de Pans (1878), Des moyens de diminuer les dan-
gers qui résultent, pour les travailleurs des différentes industries, de
remploi des substances minérales toxiques. Rapport par MM. Gubler et
JNapias {Compte rendu officiel, T, I, p. 599).
664 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
dangereuses (préparation des sels de plomb par la voie
humide) est un moyen préventif, bien plus qu'un moyen
de désinfection, etc.
Certaines substances chimiques agissent vraiment en
désinfectant l'air chargé de principes toxiques. On a con-
seillé de dégager l'ammoniaque dans les ateliers où se
produisent des vapeurs mercurielles ; c'est ainsi qu'à
Saint-Gobain, dans les ateliers où se fait l'étamage des
glaces, on répand chaque soir sur le sol, après la sortie
des ouvriers, un demi-litre d'ammoniaque hquide pour
saturer les vapeurs de mercure.
On a parfois employé les fumigations d'acide sulfureux
dans le même but, les particules de sulfure insoluble
étant moins dangereuses que les vapeurs mercurielles.
Nous avons déjà parlé des applications que MM. Girard
et Pabst ont su faire des propriétés désinfectantes des cris-
taux des chambres de plomb, et indiqué l'appareil qu'ils
ont disposé pour assainir les latrines.
« Le même appareil, agrandi et avec quelques modifi-
cations de détail, s'emploie dans les usines d'engrais, de
colle-forte, de poudrette, etc. On peut utiliser les pro-
priétés désinfectantes du sulfate de nitrosyle dans les la-
boratoires de chimie ou dans les usines, pour se débar-
rasser des gaz odorants qui se dégagent d'un appareil ou
d'un récipient quelconque, d'une fosse ou d'une cuve con-
tenant des matières soumises à la fermentation butyri-
que, putride, etc., en faisant passer ces gaz à travers une
colonne remplie de coke que l'on imbibe d'acide sulfuri-
que nitreux; si les gaz sont humides, on condense l'excès
d'humidité par le refroidissement ou par des moyens mé-
caniques. L'air, en passant sur ce coke, se trouve en con-
tact avec l'acide, lui cède son eau, reprend une très petite
quantité d'acide nitreux et sort désinfecté.
« Dans les laboratoires, on^emploie dans ce but les éprou-
vettes dites à dessécher les gaz, remplies de coke en mor-
EAUX INDUSTRIELLES. 665
ccaux gros comme des noix ; le gaz arrive par la tubu-
lure du bas, et s'échappe par le goulot qui porte aussi un
entonnoir à robinet, destiné à faire couler goutte à goutte
l'acide sur le coke. La concentration de cet acide peut va-
rier suivant la vitesse et le degré d'infection des gaz ; on
peut aussi disposer plusieurs éprouvettes à la suite l'une
de l'autre. .Dans ces conditions, l'acide iodhydrique est
transformé en iode, l'acide sulfhydrique en soufre, les hy-
drogènes arsénié, phosphore, antimonié, en arsenic, phos-
phore, antimoine; le gaz des marais, l'éthylène sont oxydés
en tout ou en partie, suivant la concentration de l'acide
et la durée de son action. » (Note manuscrite de MM. Gi-
rard et Pabst.)
ART. II. — DÉSINFECTION ET ÉPURATION DES EAUX
INDUSTRIELLES.
Trop souvent les industriels et le public considèrent
les cours d'eau comme une propriété commune dont tout
le monde a le droit d'user et d'abuser ; les immondices
qu'on n'oserait pas déposer dans les rues, on n'hésite pas à
les jeter dans la rivière dont on est exposé à boire l'eau
plus ou moins bien filtrée. Une usine regarde volontiers
un cours d'eau comme un émonctoire, comme un égout,
etc., et y laisse couler ses eaux résiduelles.
Les lois, les arrêtés et les circulaires défendent d'in-
fecter les rivières par la projection des eaux et résidus
industriels ; ces produits doivent être préalablement puri-
fiés ou dénaturés. Bien qu'il ne s'agisse pas ici de désin-
fection proprement dite, mais plutôt des mesures à pren-
dre pour prévenir l'infection, nous croyons devoir indi-
quer sommairement les moyens capables d'assurer la
666 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
purification des eaux résiduelles, aussi bien de celles qui
sont déjà mal odorantes, putrides, pestilentielles, toxiques,
que de celles qui le deviendront quelques jours plus tard,
d'une façon directe ou indirecte. N'est-ce pas faire en quel-
que sorte de la désinfection, que de précipiter parla chaux,
dans des bassins de dépôt, l'acide sulfurique des vinasses
avant de rejeter celles-ci dans un cours d'eau, pour em-
pêcher la matière organique de réduire plus tard ces sul-
fates en sulfures et en hydrogène sulfuré ? Au point de vue
du but à atteindre, au point de vue de l'hygiène publique,
c' est-là une véritable opération de désinfection? On pourra
sans doute appeler cela de la désinfection préventive,
mais c'est dans un livre sur la désinfection qu'on cherchera
tout d'abord les notions les plus sommaires sur la conduite
à tenir en pareil cas; c'est dans les traités d'hygiène
industrielle ou de technologie , qu'on trouvera pour
chaque cas particulier les développements nécessaires.
En France, un certain nombre de lois et d'arrêtés or-
donnent de désinfecter les eaux industrielles avant de les
déverser dans les rivières, ou tout au moins interdisent
de troubler les eaux courantes. Tels sont l'ordonnance
des eaux et forêts d'août 1669, les ordonnances royales
du 16 décembre 1672, du 20 février 1773, les arrêtés du
Conseil du 24 juin 1777, du 17 et 23 juillet 1783. Les
lois des 22 décembre 1789 et 16-24 août 1790 permettent
aux autorités départementales et municipales d'assurer par
des arrêtés l'intégrité des cours d'eau. C'est en vertu de
ces lois qu'ont été rendus les décrets ministériels du 9 jan-
vier 1858 et du 25 janvier 1858, le règlement d'eau des 23
et 25 novembre 1867 , qui prohibent l'évacuation des
eaux résiduelles dans les rivières. Une décision ministé-
rielle en date du 24 juillet 1875, visant l'avis du conseil
général des ponts et chaussées, a rappelé que l'ordonnance
du 20 février 1773 et l'arrêté du conseil du 24 juin 1777
« interdisent de jeter dans la Seine des liquides ou des im-
EAUX INDUSTRIELLES. 667
mondices ou déjections quelconques susceptibles de ren-
dre ses eaux insalubres et impropres aux usages domes-
tiques. »
Il serait désirable, en attendant, qu'il existât en France
une loi récapitulative et bien précise, analogue à celle, qui
est intervenue récemment en Angleterre, sous ce titre :
The rivers pollution prévention, (15 août 1876). De
l'autre côté de la Manche, les autorités sanitaires con-
naissent des contraventions commises, prescrivent après
expertises les mesures à prendre pour assurer la désinfec"
tion des eaux polluées avant leur écoulement dans les cours
d'eaux, et condamnent à une amende qui peut s'élever
à 1,260 francs par jour, en cas de retard dans l'exécu-
tion des travaux prescrits. En Prusse, les lois des 28 fé-
vrier 1843 et 28 octobre 1846 portent des prescriptions
qui défendent, dans certaines limites, la pollution des
rivières. En Belgique, une série de règlements provin-
ciaux portent défense de jeter aux cours d'eau des matières
solides ou des liquides impurs (1).
Dans presque tous les pays civilisés, il se fait depuis plu-
sieurs années de grands efforts pour garantir, à l'aide de
lois, la pureté des eaux courantes, et pour concilier les
droits de la santé publique avec les justes exigences de l'in-
dustrie. En France, comme chez beaucoup de nations voisi-
nes, à part les lois anciennes et générales que nous venons
d'énumérer, la protection des cours d'eau n'est guère assurée
que par des règlements émanés des autorités locales, par
des arrêtés préfectoraux, des décisions du préfet de police
à Paris. Ces arrêtés sont modifiés d'année en année dans
un même département, et il est presque impossible, à
moins d'être un légiste consommé, de connaître cette ju-
risprudence sanitaire; il n'existe d'ailleurs aucun recueil
(1) Sclilœsing, A. Durand-Claye et Proust, De Valtéralion des cours d'eau.
[Comptes rendus du Congrès international d'hygiène de Paris, en 1878
1880, T. II p. 317.)
668 DESINFECTION INDUSTRIELLE.
imprimé où l'on puisse trouver réunies toutes les circu-
laires et décisions ministérielles sur ces matières.
Ce n'est pas ici le lieu de tenter une classification mé-
thodique des eaux industrielles et de leurs moyens de pu-
rification. Maison peut dire que toute eau industrielle doit
être soumise à l'une des opérations suivantes : 1° clarifi-
cation, par séparation des matières en suspension, soit di-
rectement, soit après l'emploi de réactifs qui font passer
les matières dissoutes à l'état insoluble; 2° épuration par le
sol, des substances dissoutes; 3° neutralisation de l'acidité
ou de l'alcalinité ; 4° évaporation et destruction des rési-
dus ; ^"puisards.
l I. — CLARIFICATION, FILTRATION, PRÉCIPITATION.
Les eaux ont déjà subi un premier degré de purifica-
tion et même de désinfection, lorsqu'elles ont abandonné,
par le repos ou par la filtration, une partie des matières
qui y étaient suspendues. On comprend la difficulté d'une
filtration qui doit porter sur des centaines ou des milliers
de mètres cubes dans la même journée ; et cependant, cette
filtration à travers des couches de graviers a été tentée
pendant plusieurs années sur les eaux résiduelles d'une
ville de 300,000 habitants comme Birmingham, et sur les
eaux provenant du lavage des laines de la viUe industrielle
de Blakburn, etc. Les résultats ont été aussi peu satisfai-
sants que coûteux ; il était facile de le prévoir. Cepen-
dant l'on a établi avec succès dans certaines usines le fil-
trage mécanique par de très larges surfaces : les presses
filtrantes de Needham font passer en quelques minutes à
travers des toiles qui n'ont pas moins de 20 mètres carrés
de surface, les eaux troubles de brasseries, papeteries,
poteries, etc., et la clarification est presque complète en
un temps assez court.
Précipitation spontanée. — La précipitation spontanée
EAUX INDUSTRIELLES. 669
nécessite la retenue et l'immobilité, pendant un certain
temps, des eaux chargées de débris organiques ou miné-
raux. Cette opération se fait à l'aide de bassins de dépôt. Il
en existe de deux systèmes : ceux où l'écoulement est inter-
mittent, ou bassins fermés ; ceux où l'écoulement est con-
tinu, ou bassins ouverts. Dans les premiers, on ne décante
le liquide, on ne le laisse couler hors du bassin, que lors-
que la précipitation des matières solides est achevée. Dans
les derniers, le liquide clarifié s'échappe lentement à une
extrémité, pendant que l'eau trouble y arrive par l'extré-
mité opposée, avec une lenteur exactement calculée. L'art
de l'ingénieur consiste à savoir dans quel cas l'un des sys-
tèmes doit être préféré à l'autre, et comment l'installation
doit être agencée; disons seulement que l'expérience, par-
ticulièrement celle que M. Lechatelier a faite à Gennevil-
liers en 1868, a sanctionné l'avantage, pour les bassins
continus, des digues fdtrantes ou perméables de M. Par-
rot (1), soit à l'aide de gazons, de fascines, de couches
de sable, etc., soit à l'aide de planches de barrage percées
d'un grand nombre de petits trous.
Précipitation par les réactifs chimiques. — La forma-
tion des précipités a toujours lieu avec une grande lenteur,
et c'est une source de difficultés sérieuses, quand la masse
d'eau à clarifier journellement est considérable. Aussi,
s'est-on ingénié à trouver des substances qui activent cette
opération, en même temps qu'elles exercent une certaine
action antiseptique sur les matières organiques en disso-
lution ou en suspension. M. Schlœsing a montré que le
chlorure de calcium, qui est en même temps un désinfec-
tant, accélère notablement la précipitation de l'argile et des
troubles en suspension dans feau. L'on sait depuis long-
temps que la chaux produit ce même effet d'une façon très
marquée et l'usage de cette matière est général dans la
(1) Pairot, Annales des mines, 2° série, 1830, t. Vlli, p. 33.
670 DESINFECTION INDUSTRIELLE.
plupart des industries, M. A. Gérardin (1) a cherché à
donner une exphcation de cette facuhé qu'ont certaines sub-
stances d'accélérer la précipitation des matières en sus-
pension. En général, les eaux potables les meilleures et
les plus pures, les eaux bleues, restent très longtemps
troubles, quand leur limpidité a été troublée par un corps
en suspension tel que de l'argile, de l'amidon; même
après plusieurs jours de repos, le liquide sort trouble et
chargé de la matière en suspension. Au contraire, les
eaux industrielles ou eaux vertes jouissent de cette pro-
priété très recherchée de se clarifier complètement par
l'abandon rapide des précipités. L'examen microscopique
a montré à M. Gérardin que dans les eaux les plus pu-
res en tant qu'eaux de table, on découvre, quand on les
a rendues troubles, tous les corpuscules en suspension
agités du mouvement brownien le plus vif. D'après lui,
c'est ce mouvement brownien dont la cause lui est restée
inconnue, qui empêche la précipitation des matières
en suspension ; ces eaux justifient donc parfaitement le
nom d'eaux vives qu'on leur donne. Les eaux indus-
trielles, au contraire, qui sont si précieuses parce que les
matières organiques n'y font pas de mousses et parce que
la clarification des liquides troubles est rapide et complète,
ces eaux ne laissent apercevoir aucun mouvement brow-
nien proprement dit ; on y voit les mouvements tout diffé-
rents d'un grand nombre dinfusoires, etc. M. Gérardin
croit que les substances qui détruisent dans une eau le
mouvement brownien sont les meilleurs agents de la cla-
rification.
C'est ainsi qu'il explique ce fait observé en 1872 dans
une cartonnerie. Il s'agissait d'épurer les eaux rési-
(1) A. Gérardin, Traitement des eaux industrielles; mouvement
Brownien, Paris, Jules Lecuir, 1876, in-4°, p. 20, et Mémoire sur l'al-
tération, la corruption et V assainissement des rivières, 1873, Imprimerie
nationale.
EAUX IiNDUSTRIELLES. 671
duaires d'une grande fabrique de carton, qui corrom-
paient les cours d'eau voisins. Ces eaux, répandues sur un
terrain drainé, ne déposaient que des quantités insigni-
fiantes de débris de pâte sur le terrain, et encrassaient
les drains d'une couche de carton assez épaisse pour
les obstruer complètement. « Alors, dit-il, j'ai traité ces
eaux préablement par la chaux ; le dépôt de la pâte fine
s'est fait en grande partie dans le bassin de décantation,
et a cessé de se produire dans les drains. A cette époque,
je n'ai pas compris la théorie de ces faits ; aujourd'hui, ils
s'expliquent avec la plus grande facilité. La pâte de
carton diluée dans l'eau de ce puits artésien y prend le
mouvement brownien, et ne peut se déposer même au
contact de la terre ; mais, dans le drain, l'oxydation mo-
difie l'eau, le mouvement brownien s'arrête, et aussitôt la
pâte de carton se dépose au point de mettre les drains hors
d'usage. »
M. Gérardin s'est efforcé de reconnaître les substances
qui arrêtent ce qu'il appelle le mouvement brownien, et
qui facilitent ainsi à un haut degré la clarification des
eaux industriehes. Une solution acide de phosphate na-
turel de chaux traité par l'acide chlorhydrique lui a paru
remplir ces conditions. L'expérience, bien des fois répétée
par le savant inspecteur des étabhssements insalubres du
département de la Seine, lui a montré qu'il y avait tou-
jours avantage à ajouter une faible quantité de l'un de
ces agents aux eaux troubles, avant de les soumettre au
moyen de désinfection et d'épuration par excellence, l'oxy-
dation par l'oxygène de l'air, à l'aide de l'irrigation inter-
mittente sur un sol parfaitement drainé. La chaux, même
à faible dose, favorise la précipitation mécanique de toutes
les matières suspendues en dehors de toute réaction chi-
mique : c'est l'agent le plus usuel de l'épuration des eaux
industrielles.
Nous avons déjà vu (p. 71) quel excellent résultat Pet-
672 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
tenkofer a obtenu de la chaux pour la désinfection des
eaux de la cale. Dans les expériences faites sur plusieurs
vaisseaux de la flotte allemande, la désinfection était assez
complète en ajoutant 1 kilogramme de chaux par mètre
cube d'eau de cale; mais un dépôt boueux encrassait les
pompes et les mettait rapidement hors de service. La
chaux servait ici par ses propriétés absorbantes, elle gê-
nait par ses propriétés clarifiantes.
L'application de la chaux vive ou du lait de chaux à la
désinfection des eaux industrielles des vinasses, des vi-
danges, des eaux d'égout, est très ancienne et d'un usage
journalier. La chaux agit de plusieurs façons : en préci-
pitant et en entraînant les matières en suspension, en
neutralisant les acides, et en faisant subir des transfor-
mations encore mal connues aux matières dissoutes. Des
expériences faites sur la plus large échelle sur les eaux
d'égout de Londres, par MM. Hoffmann et Witt, ; à Lei-
cester, par MM. Wicksted, Aikin, Taylor; en France, par
un grand nombre d'industriels (système Leplanque), ont
montré que l'eau de chaux précipite la plus grande partie
des matières en suspension, et environ le cinquième ,
parfois le tiers des matières dissoutes. Le liquide de dé-
cantation conserve pendant plusieurs jours une certaine
résistance à la fermentation. Il est donc difficile de bien
déterminer le mode d'action de la chaux et la place qu'il
faut donner à cet utile agent de désinfection ; il agit à la
fois comme absorbant, comme coagulant et comme agent
physique, accélérant le mouvement de précipitation des
matières en suspension (1).
La chaux sert presque toujours à la fois à clarifier et
épurer partiellement les liquides, et aussi à neutraliser les
résidus acides. Quand la réaction acide est forte, on em-
(1) Boudet, Rapport au Conseil d'hygiène de la Seine sur les latrines
publiques établies à Paris; 19 mars 1833 [Traité d' hygiène de Vernois,
T. 2% p. 577.
KAUX IIN'DUSTRIKLLES. 67S
ploie de préférence le calcaire en morceaux, qui est moint;
coûteux et encrasse moins les canaux d'écoulement. Quand
l'acidité est faible, on fait arriver les eaux à épurer dans
un bassin spécial, ou simplement dans un tonneau, où l'on
fait tomber un jet de lait de chaux plus ou moins fort sui-
^■ant la quantité des résidus. Le mélange doit être brassé
longuement et intimement, à l'aide d'un agitateur à ai-
lettes ou à roues, mû à la main ou par la vapeur. La
chaux s'empare des acides gras pour former des savons
calcaires, qui entraînent dans leur précipitation la plupar
des matières en suspension. Les bassins successifs de dé-
cantation et de brassage, d'ordinaire au nombre de cinq,
retiennent le mélange avant de laisser l'eau clarifiée
couler à la rivière. La quantité de chaux nécessaire est
très variable ; elle varie de 2 kilogrammes par hectolitre à
oOO grammes par mètre cube ; elle est indiquée par la
réaction du papier de tournesol ; le liquide ne doit s'écou-
ler que neutre ou légèrement alcalin.
M. Chevreul et 3L Wurtz ont insisté depuis longtemps
sur la nécessité de traiter par le lait de chaux les vinasses
et, les résidus de distillerie ; M. Kuhlmann a montré que
la chaux pouvait séparer d'une vinasse le tiers des ma-
tières organiques qu'elle tenait en dissolution. Nous ve-
nons de dire que la quantité de chaux à employer doit
être suffisante pour rendre le liquide neutre ou alcalin.
Il faut éviter que l'alcalinité ne devienne trop marquée,
car un excès considérable de chaux ajouté aux vinasses
peut sursaturer le liquide, mettre en liberté de la potasse
et de f ammoniaque ; f excès d'alcali favorise la fermen-
tation acide, et particulièrement la fermentation butyri-
que. C'est ce que M. Chevreul et M. Wurtz ont pu con-
stater à l'usine de Boyelles, où les vinasses clarifiées et
fortement alcalines au sortir des bassins ne tardaient pas,
en coulant lentement dans le lit du Cojeul, à perdre cette
YaIJ.IN. — DKSINFrCTAMS. 43
674 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
alcalinité, à devenir acides, et à dégager une odeur re-
poussante d'acide butyrique (1).
Il ne faut pas oublier que l'épuration par la chaux est
toujours incomplète; ainsi que l'ont montré Way, Le-
theby, Hoffmann et Frankland. Les eaux clarifiées se pu-
tréfient au bout de quelques jours si on les conserve im-
mobiles dans les réservoirs, surtout si ces derniers ne
sont pas fréquemment curés. Elles peuvent infecter les
édlirs d'eau quand le débit journalier de ceux-ci est trop
faible; aussi le déversement des vinasses clarifiées dans
les cours d'eau a-t-il été ainsi réglé par un arrêté préfec-
toral, dont nous n'avons pu retrouver la date et l'origine.
« Les vinasses seront déversées directement dans un cours d'eau peu
éloigné, pourvu que leur volume n'excède pas 1 pour 200 de la quanlilé
d'eau à l'étiage.
Dans ce cas, l'emploi d'un acide quelconque pour la préparation des
jus sera faculiatif ; mais l'industriel devra traiter chaque hectolitre de
vinasse bouillante par un kilogramme de chaux vive, à l'état de lait ;
construire les bassins do dépôt et n'en laisser sortir les vinasses que
franchement alcalines et parfaitement limpides (i).
Le Conseil d'hygiène du département du Nord propo-
sait en 1858 de ne laisser s'écouler ces vinasses clarifiées
que dans les cours d'eau ayant un débit journalier égalant
de 300 à 500 fois le volume des vinasses, suivant la rapi-
dité des courants, le voisinage d'un grand fleuve ou de
la mer, etc. Une réserve était faite pour les vinasses cla-
rifiées provenant du traitement du jus de betterave par
l'acide chlorhydriqué' au lieu de l'acide sulfurique: elles
pouvaient être évacuées dans des cours d'eau offrant un
débit journalier égal au minimum à 100 fois le volume des
vinasses. Nous allons voir que l'épuration n'est complète
qu'après irrigation sur le sol.
(1) Wurtz, Rapport sur V insalubrité des résidus provenant des dis-
tilleries. [Recueil des travaux du Comité consultatif d'hygiène, 1872,
T. I, p. 217.)
(2) Cet arrêté est sans doute du préfet du Nord. — Max Vernois,
raité d'hygiène industrielle, T. 2° p. 478.
EAUX INDUSTRIELLES. 675
En Angleterre, on emploie depuis quelques années avec
un certain succès un procédé d'épuration des eaux par
précipitation, connu sous le nom de procédé ABC; ces
initiales sont les premières lettres des mots Alum (alun),
Blood (sang), Clay-Charcoal (argile et charbon), c'est-à-
dire des substances qui entrent dans la composition du
réactif. Les proportions sont les suivantes pour purifier
648 grammes d'eau.
Alun Ogr,388
Sang Ogr.OOS
Argile lgr,296
Charbon de bois . Ogr,388
On y ajoute quelquefois un peu de chaux (1).
La précipitation des résidus organiques contenus dans
les eaux industrielles peut encore être obtenue par le per-
chlorure de fer, le phosphate double de magnésie et de
fer, etc. A Bruxelles, M. le D"" Kœhné a réussi à désin-
fecter et à décolorer les eaux de l'abattoir par une faible
quantité de perchlorure de fer, et le dépôt obtenu pro-
duisait un engrais qui a été reconnu excellent. Ce moyen
a complètement échoué entre les mains de M. Way, pour
la désinfection et l'épuration des eaux d'égouts de Croy-
don.
M. Rabot, de Versailles, a tiré un grand profit de l'as-
sociation à la chaux des sels de fer ou de manganèse. Dans
une ferme près d'Orsay, une mare contenant un millier
de mètres cubes recevait les eaux d'une grande distillerie
ainsi que les excédents de purin; elle était tellement in-
fecte que le voisinage en devenait dangereux. La chaux
n'avait donné aucun résultat satisfaisant. M. Rabot (2)
(1) The ABC process [Médical Times and Gazette, 10 décembre 1881,
p. 693). — Eulenborg, Handbuch der uffenilichen Gesundheitswesens ;
Berlin, A. Hirschwald, 1881, T. l, p. 41.
(2) Rabot, De l'application des eaux vannes, des eaux de distilleries et
de féculeries à la grande culture, et des procédés d'épuration chimique
et industrielle de ces eaux.{Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1882,
p. 1.)
6"6 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
Qmploya pour 1,000 mètres cubes d'eau de distillerio les
proportions suivantes :
Sulfate de fer 200 kilogrammes.
Cliaux 1 métro cube.
Par ce procédé, on enlevait 75 p. 0/0 des matières or-
ganiques dissoutes. L'eau de la mare, après ce traitement,
fut envoyée dans une autre mare contenant de l'eau de
pluie ; les bestiaux continuèrent à boire l'eau ainsi mélan-
gée sans aucune répugnance.
M. Rabot rappelle que « les oxydes de potassium, de
sodium, et tous ceux des métaux de la première section
(lithium, calcium, baryum, strontium), ainsi que l'ammo-
niaque, décomposent la solution" des sels des métaux ap-
partenant aux autres sections. En ajoutant de la chaux, le
seul oxyde non nuisible et le moins coûteux, dans une
solution de sulfate de fer, on précipite le fer à l'état d'hy-
drate insoluble, tandis que l'acide sulfurique se porte
sur la chaux pour faire un composé insoluble. En se pré-
cipitant, ces deux composés entraînent mécaniquement
toute matière en suspension. L'eau ne retient que des
traces de chaux qui se carbonate rapidement à l'air et de-
vient insoluble; au bout de quelques jours, l'analyse n'y
trouve que des traces de carbonate et de sulfat-î de chaux.
Lorsqu'on agit sur des eaux infectées, les produits de fer-
mentation sont entraînés de même; le sulfate de fer, en
effet, fixe les gaz odorants et insalubres, ammoniaque,
acide suif hydrique, etc. Lorsque ce premier effet est pro-
duit et qu'on ajoute le lait de chaux, on obtient une sorte
de collage laissant au bout de quelques heures une eau
parfaitement limpide, inodore et sans saveur désagréable.
La chaux décompose les dernières traces de sulfate de fer
restées en solution et les précipite à l'état d'oxyde hy-
draté; le double précipité se dépose régulièrement. »
Dans le département du Nord, on a obtenu un bon ré-
EAUX INDUSTRIELLES. 776
sultat par l'association à la chaux du chlorure de fer ob-
tenu en traitant les }Dyrites par l'acide chlorhydrique ; on
pourrait également combiner la chaux avec le chlorure de
manganèse. M. Rabot trouve plusieurs inconvénients à
l'emploi de ces deux sels métalliques. Le chlorure de fer
provenant des résidus industriels est d'ordinaire une li-
queur très acide contenant trop peu de fer pour avoir son
maximum d'action. Pour neutraliser cette liqueur, il faut
employer un excès de chaux en pure perte; les liquides
retiennent en solution une forle proportion de chlorure
de calcium qui peut n'être pas sans inconvénient quand
il s'agit de les écouler dans des cours d'eau peu considé-
rables, et qui ne permettrait probablement plus d'employer
ces eaux en irrigations. Il faudrait donc n'employer que
du chlorure de fer où l'acide est saturé. M. Rabot signale
un autre inconvénient du chlorure de manganèse, qui a
une importance assez sérieuse au point de vue écono-
mique et industriel : quand l'action de la chaux n'a pas
été suffisante pour enlever les dernières traces de manga-
nèse, les eaux rejetées dans les cours d'eau où se trou-
veront des lavoirs iront tacher le linge de points noirs
indélébiles ou de marques brunes dues à un dépôt d'oxyde
de manganèse, ce qui amènerait nécessairement l'inter-
diction du déversement des eaux traitées de la sorte.
Dans les usines de gaz à éclairage, l'eau des gazomètres
peut être désinfectée avec les résidus de la fabrication de
l'eau de Javelle, ou la solution de sulfate de fer : trois
litres de résidu d'eau de Javelle pour un hectolitre d'eau
de lavage des gazomètres, ou 30 grammes de sulfate de
fer par hectolitre de cette eau infecte. Cette dernière dose
de 30 grammes recommandée par Vernois (1) nous paraît
beaucoup trop faible.
La brasserie du Liesing, près de Vienne, en Autriche,
(l) Vernois, Traité pratique de Vhijgiène industrielle et adminisLralive ,
ISCO, T. ">, p. 48.
678 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
OÙ se fabrique la bière dite Fanta, désinfecte chaque jour
1,000 mètres cubes d'eau fermentée et fétide qui corrom-
pait les cours d'eau du voisinage. MM. Béranger et Sting
emploient à cet effet de très petites quantités de sesqui-
chlorure de fer provenant de la réaction de l'acide chlo-
rhydrique sur un minéral de ferliydraté(l). Il nous semble
préférable d'associer le chlorure de fer à la chaux, comme
le conseille M. Rabot et comme on le pratique dans le
Nord.
Un ingénieur civil, M. A. Huet, a récemment préconisé
une liqueur désinfectante qui a été employée pour com-
battre la décomposition putride dans les abattoirs de Paris
et au dépotoir de Bondy. Ce produit minéral s'obtient en
traitant par l'acide chlorhydrique des laves calciques, très
riches en sihcates. Le magma gélatineux, d'un jaune ver-
dâtre, analysé par M. Millot, professeur de chimie à l'Ecole
de Grignon, a donné la composition suivante :
Chlorure d'aluminium. 61,73
» de potassium 19,01
de fer 1S,09
» de calcium 2,13
Silice gélatineuse 1,22
Ce mélange, dont le degré de dilution varie suivant
le degré d'infection des eaux ou des surfaces souillées, a
des propriétés antiseptiques énergiques, et on le dit rela-
tivement peu coûteux (5 fr. le litre). Deux grammes du
liquide sirupeux empêchent la fermentation de 100 gram-
mes d'urine. Cependant, les expériences faites au nom
de la préfecture de la Seine, par une commission dont
M. Marié-Davy était le rapporteur (30 mars 1881), n'ont
pas donné un résultat satisfaisant au point de vue de l'épu-
ration des eaux d'égouts, puisque 1 litre d'eau d'égout
(1) Analyse in Annales d'hijgiène et de médecine légale, 1876, T. XLV,
P. 384.
EAUX INDUSTRIELLES. 679
vieillie, traitée par deux grammes de magma laviquc de
Huet, contenait encore après cette opération 25 grammes
d'azote ammoniacal, sur 31 gramrnes que cette eau pré-
sentait avant le traitement.
On sait que l'alun est, depuis un temps immémorial,
employé par les Chinois pour purifier l'eau généralement
trouble et légèrement boueuse de leurs fleuves. L'alun pré-
cipite les matières albuminoïdes ; il produit un phéno-
mène comparable à celui qu'on observe quand on colle
du vin ou une liqueur, en l'agitant avec du blanc d'œuf
ou de la colle de poisson. Il forme avec la matière orga-
nique un composé insoluble qui, en se précipitant, en-
traîne et englobe avec lui la plus grande partie des ma-
tières en suspension. Le sulfate d'alumine impur a été
employé dans l'industrie pour purifier de la même façon
les eaux industrielles les plus souillées.
M, Lechâtelier, ingénieur en chef des mines, a institué
sur une grande échelle des expériences de ce genre à
Gennevilliers, de 1866 à 1868. Il se proposait de préci-
piter des matières organiques et autres contenues dans les
eaux d'égouts de la ville de Paris, en y ajoutant une faible
quantité de sulfate d'alumine. Il faisait usage de sulfate
d'alumine ferrugineux, à la tenem^ de 10 pour 10.0 .d'alu-
mine, et de 2 à 3 pour 100 d'oxyde de fer, fourni soit
par la dissolution de la bauxite dans l'acide sulfurique,
soit p^iî^ les magmas rouges de Picardie. Pour clarifier un
mètre cube d'eau d'égoût, il employait 1 à 2 litres d'une
dissolution au cinquième du sel, à la teneur de 20 gram-
mes d'alumine par litre; la dépense par mètre cube était
de 2 à 3 centimes. Plus tard, en se servant de dissolu-
tions titrées à 10° Baume, de l'usine Pommier, le même
résultat était obtenu avec 500 grammes d'eaux -mères,
coûtant 0 fr. 0125. Le dépôt se faisait dans des bassins
successifs de décantation, et contenait la moitié de l'azote
existant dans l'eau impure; l'eau était clarifiée et désin-
680 DESINFECTION I^DlISTRIELLE.
fectée, et ne se troublait qu'au bout de plusieurs jours;
de même le dépôt ne s'infectait pas par l'exposition à l'air.
Ce dépôt, formé d'abord d'une boue liquide, était aban-
donné à l'évaporation en plein air; au bout de 15 jours on
pouvait le reprendre à la pelle, le porter sur les séchoirs,
où il se transformait en engrais riche en azote et sans
odeur. Chaque mètre cube d'eau d'égout donnait un dépôt
de 1 à 2 kilogrammes. Mais l'eau clarifiée contenait en-
core près des 2/3 de la matière corruptrice ou fertilisante ;
la quantité d'eau d'égouts pour une ville comme Paris
étant immense, l'opération demandait un ternps trop long,
il était presque impossible de se débarrasser des dépôts,
la dépense était considérable.
On a dû renoncer à ce système pour Paris, mais les
résultats obtenus ne doivent pas être oubliés, et le moyen
de désinfection peut rester une ressource précieuse pour
la désinfection des eaux industrielles au voisinage des
usines. C'est ainsi que, au Congrès d'hygiène de Paris,
en 1878, M. Vivien disait avoir obtenu les meilleurs effets
du procédé Lechâtelier, pour assurer la désinfection des
eaux résiduelles d'une sucrerie à Saint-Quentin. Il est vrai
qu'il ajoutait de la chaux pour compléter la précipitation
des laques et de la matière organique, et qu'il rendait
l'épuration et l'aération de l'eau plus parfaites, en la fai-
sant couler sur une prairie artificielle avant de l'envoyer
dans la rivière de l'Aisne, dans une partie qui est la plus
peuplée de poissons.
C'est de la même façon que, dans le département du
Nord, on réussit pendant d'assez longues années à faire
cesser l'altération des eaux de l'Helpe mineure, dans la
traversée du territoire de Fourmies, où un grand nombre
d'ateliers de peignage et de dégraissage des laines sont
établis. M. Meurein (1) a fait voir dans un travail des
(J) Meurein, Épuration des eaux de désuintage des laines (Rapport
sur les travanx du Conseil d'hygiène et de saiubriié du département du
EAUX 1NDUST1\IRLLES. G81
plus intéressants, les vicissitudes qu'a présentées cette
désinfection ; c'est un excellent exposé des difficultés
qu'on rencontre dans la pratique, il nous a semblé utile
d'en donner ici un résumé.
Les eaux de lessivage, chargées de savon, de suint et
de matières organiques putrescibles, se rendent dans un
cours d'eau unique, l'Helpe mineure, qui n'est alimentée
que par l'eau d'étangs situés en amont, et qui va se jeter
dans la Sambre, à Landrecies, avec une extrême lenteur.
Peu à peu, avec l'accroissement de cette industrie, la
rivière s'altéra à tel point que les poissons y mouraient
jusqu'à la hauteur de Maroilles, et que les bestiaux refu-
saient de la boire. En 1849, un arrêté préfectoral près-,
crivit de retenir les eaux de lessivage dans des réservoirs
ou puisards de décantation, qu'on devait vider une fois
par semaine, le dimanche. L'orifice du conduit qui ame-
nait ces eaux à la rivière, devait êfre placé à 30 centi-
mètres du fond des réservoirs, au-dessus de la couche de
dépôt; le curage devait avoir lieu également toutes les se-
maines et le dépôt servir comme engrais. Ce procédé ru-
dimentaire ne fit qu'assurer la décomposition de ces eaux
grasses, séjournant pendant huit jours dans les réservoirs,
et par conséquent augmenter la corruption de la rivière.
On décida bientôt que les réservoirs de toutes les fabri-
ques seraient vidés chaque jour à la même heure, de 8 à
40 heures du soir. L'infection ne diminua pas; les lessives,
conservées chaudes pendant la journée dans des réser-
voirs mal tenus, y étaient dans un état permanent de fer-
mentation ; elles y entraient inodores, elles en sortaient
infectes. La rivière devint un réceptacle d'eaux savon-
neuses et de mousses en fermentation putride ; au voisina-
ge des barrages, l'eau se couvrait d'une croûte écumeuse,
^ord pendant l'année 1877, Lille, 1878. — Revue d hygiène et de police
sanitaire, 1879, T. 1, p. 383.
682 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
noire, infecte, sur laquelle les oiseaux marchaient facile-
ment.
Sur les réclamations des riverains devant les tribu-
naux, un nouvel arrêté préfectoral imposa aux industriels
la clarification de leurs lessives, au moins du V avril
la fin d'octobre, avant de les laisser couler à la rivière.
L'arrêté recommandait divers procédés de clarification;
d'abord la neutralisation par l'acide chlorhydrique ou sul-
furique, le chlorure de manganèse, dans la proportion de
1 pour 100. Pour hâter la précipitation du dépôt, il con-
seillait de mélanger avec la dissolution acide employée
une certaine quantité d'argile commune, dont l'action mé-
canique fournit un noyau aux globules provenant de l'ac-
tion des réactifs. L'administration recommandait encore :
le sulfate d'alumine et de fer, très abondant dans l'arron-
dissement d'Avesne et dans le département de l'Aisne;
4es sels d'alumine, mélangés à une certaine quantité d'ar-
gile non crayeuse qu'on maintient en suspension par l'agi-
tation. L'épuration par la chaux était signalés comme don-
nant ici des résultats moins satisfaisants, parce qu'elle met
en liberté de la soude ou de la potasse caustique, qui favo-
risent la dissolution des matières grasses ou azotées. Les
dépôts pouvaient servir comme engrais ou pour la fabri-
cation du gaz à éclairage.
Le mode de purification qui prévalut consistait à traiter
la lessive par une dissolution de magma de sulfate double
d'alumine et de fer; on y mélangeait ensuite une certaine
quantité de lait de chaux ; le précipité floconneux se for-
mait très bien, le liquide surnageant était décanté et on le
laissait s'écouler dans la rivière. Pendant plusieurs années
le résultat fut assez bon, mais bientôt l'excès de sulfates
dans un cours d'eau presque dormant produisit un fort
dégagement d'hydrogène sulfuré; puis les prescriptions
furent négligées et l'infection redevint intolérable.
C'est alors qu'on essaya, puis qu'on adopta le procédé
EAUX INDUSTRIELLES. G83
fie MM. Walocque et C'®; au moyen d'un désuintagc préa-
lable et complet, on élimine les composés organiques ré-
fractaires à la saponification; on ne traite plus par le savon
que des laines déjà purifiées ; les eaux de désuintage sont
concentrées, et les résidus calcinés servent à la fabrication
du savon. On décante les lessives dans des bassins de
dépôt et on les traite par l'acide chlorhydrique; les ma-
tières insolubles sont filtrées, et le liquide clair légère-
ment acide, après avoir été neutralisé par la chaux, peut
s'écouler sans inconvénient dans la rivière. Non seule-
ment on a fait de la sorte cesser l'infection des cours
d'eau, mais le procédé, qui a beaucoup d'analogie avec
celui de M. Holden de Roubaix, peut être une source de
bénéfices industriels. Ce moyen paraît avoir produit de
bons effets dans le Nord ; il ne reste plus qu'à le compléter
par l'irrigation des eaux épurées, sur des prairies qui les
conduiraient à la rivière.
La plupart des procédés d'épuration par précipitation
exigent l'établissement de vastes réservoirs, pour laisser
le dépôt se former lentement et n'écouler que des eaux
clarifiées ; de là une perte de temps et un encombrement
considérable. MM. Gaillet et Huet, ingénieurs à Lille, ont
construit en ces dernières années un appareil consistant
en un système de colonnes de décantation terminées
par un filtre-presse. La décantation est ainsi , dit-on,
plus rapide et plus complète; les eaux résiduaires, au
sortir de l'appareil, ont perdu 60 à 70 pour 100 de la ma-
tière organique qu'elles contenaient, et elles peuvent le
plus souvent être déversées dans les cours d'eau. Les dé-
pôts comprimés, au sortir du filtre-presse, ont l'apparence
de terre humide et peuvent être transformés en briquettes.
g 2. — ÉPURATION PAR LE SOL.
Quelle que soit la méthode adoptée pour la clarification
des eaux, il reste presque toujours dans l'eau redevenue
684 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
limpide une quantité notable de matières dissoutes ; il n'y
a guère d'exception que pour les eaux troublées par des
matières inorganiques insolubles, par exemple l'argile ou
le kaolin des fabriques de porcelaine. L'eau clarifiée qui
retient des substances organiques est souvent une cause
d'infection des rivières, soit par la fermentation putride
ultérieure, soit par la réduction des sulfates contenus
dans l'eau, le dégagement d'hydrogène sulfuré, la priva-
tion d'oxygène, et la mort des poissons.
Tous ces dangers sont évités par l'irrigation et la filtra-
tion à travers le sol (1). Le sol doit être très perméable
ou drainé, l'écoulement doit être intermittent, afin que
les couches souterraines soient bien ventilées, que l'air
soit aspiré dans les interstices du sol par les dernières
gouttes qui s'écoulent; c'est à cette condition que la ma-
tière organique est oxydée, que la matière azotée se trans-
forme en acide azotique, que la nitrification a lieu. Les
brins d'herbe ou de gazon qui recouvrent le sol brisent
incessamment les innombrables filets de la nappe d'eau
qui s'écoule, et rendent encore son aération plus com-
plète.
M. Wurtz (2), dans un de ces mémoires précurseurs qui
hâtent la solution d'une question, considérait dès 1859
« la fillration des vinasses à travers une surface limitée
d'un terrain drainé » comme le complément presque in-
dispensable du traitement par la chaux de ces liquides
sucrés et fermentes, dépouillés de leur alcool par la distil-
lation. Un grand nombre de sucreries ont adopté ce moyen
(1) D<3 Froycinet, Principes de V assainissement des villes, 1870, p. 16t
à 300. — Schlœsing, A, Du ranci -CI ayo et Proust, Congrès d'hygiène de
Piiris en 1878. — Falk, Experimentelle ziir Frage der Canalisation mit
Uerieseinng {Vierteljahischrift f. gerichliche Medicin und offentliches
Savitatswesen, d'Euleriberg, 1878, T. XXIX, p 273, et Revue d'hygiène
et de police sanitaire, 1879, p. il8).
(2j A. Wurtz, Rapport sur V Insalubrité des résidus provenant des
distilleries, {Recueil des travaux du Comité consultatif d'hygiène, 1872,
T. T. p. 213-231.)
EAUX INDUSTRIELLES. G85
rigoureux d'épuration de leurs résidus liquides, et l'on
peut dire qu'il s'impose dans tous les cas où les conditions
topographiques ne le rendent pas impraticable.
Actuellement beaucoup de papeteries, de féculeries, de
tanneries, en France, en Angleterre, on Belgique, ont gé-
néralisé ce moyen d'épuration de leurs eaux industrielles,
avec lequel M. A. Gérardin a obtenu des succès exception-
nels dans certains établissements oij jusqu'alors la désin-
fection des eaux vannes avait été vainement tentée (1).
L'épuration par le sol est un des rares procédés qui
réussissent à empêcher l'infection produite par les eaux de
désuintage et de rinçage des laines. Il est peu d'industries
qui polluent à ce point les cours d'eau sur lesquels elles
sont placées. M. Durand-Claye (2) a fait connaître le ré-
sultat excellent obtenu par l'irrigation agricole à l'usine
de Balan, sur le bord de l'Indre, près de Châteauroux, qui
fabrique par jour 2,000 mètres de drap en laissant absolu-
ment pure la rivière de l'Indre qui coule au pied de l'usine.
Les prés sur lesquels ou conduit toutes les eaux de désuin-
tage ont une fertilité extraordinaire et la salubrité est par-
faite. Il serait facile de citer, soit en France, soit à l'étran-
ger, un grand nombre de filatures ou de fabriques de drap
où le même moyen d'épuration est employé avec succès.
La désinfection par l'irrigation intermittente et la filtra-
tion à travers le sol soulève une question parfois délicate
dans la pratique. D'après les lois en vigueur, les proprié-
taires d'usines qui détournent une partie d'un cours d'eau
sont tenus de déverser de nouveau dans ce dernier les eaux
qu'ils lui avaient empruntées; ainsi, une usine placée sur
la rive escarpée et rocheuse d'une rivière qui l'alimente, ne
Gérardin, Annales d'hygiène et de médecine légale, 1873, T. XLIIi.
(2) Durand-Claye, Epuration des eaux de désuintage des laines à l'usine
Balan, de Chàleauroux, {Revue dliygiène et de police sanitaire, 1877>
p. 331.) — Rabot, De rapplication des eaux-vannes, etc., à la grande
culture, etc. {Revue d'hygiène et de police sanitaire, Janvier 1882, p. 1).
686 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
peut ni perdre dans des puisards ses eaux résiduelles,
même après les avoir épurées, ni les répandre en irriga-
tions sur des champs descendant vers un autre thalweg.
Si l'onahmente l'usine à l'aide d'un puits, on peut donner
aux eaux résiduelles telle direction qu'on veut, pourvu
qu'elles ne souillent ni les eaux ni les terres publiques et
privées.
Les eaux fétides conduites à une grande distance, soit
sur des terrains à irriguer, soit dans un très large cours
d'eau, doivent toujours être retenues dans une canalisation
fermée, sans communication avec l'atmosphère des centres
habités qu'elles traversent. La canalisation couverte de la
Bièvre et du canal Saint-Martin, dans une partie au moins
de ces deux cours d'eau souillés parles déchets industriels, a
diminué d'une façon notable leur insalubrité, leur incommo-
dité et leurs dangers de toutes sortes.
Parfois les conditions topographiques ne permettent
pas d'épurer l'eau des usines par Firrigation sur le sol,
et l'on se trouve en face de nécessités qui peuvent rui-
ner une industrie prospère. Il faut s'efforcer de concilier
les exigences de la santé publique avec les justes réclama-
tions du commerce : une étude minutieuse sur place per-
met souvent de résoudre la difficulté. Qu'on suppose une
sucrerie placée dans ces conditions défavorables, comme
la sucrerie d'Etrépagny dans l'Eure, qui a nécessité plu-
sieurs rapports de M. Wurtz (1) au Comité consultatif d'hy-
giène. On peut élever les eaux résiduelles à l'aide de ma-
chines, pour les répandre en irrigation sur des champs
éloignés, situés en contre-haut de l'usine. Toutes les eaux
provenant de l'usine ne sont pas également infectes et
nuisibles; on peut clarifier par le plus simple dépôt les
eaux les moins impures, celles qui, dans une sucrerie par
(1) Wurtz et Proust, Rapports sur les eaux provenant de la sucrerie
d'Etrépagny, {Recueil des travaux du Comité consultatif d'hijyiène, 1877,
T. VI, p. 416-21.':); 1879, T. VHI, p. 334; et T. X, p. 287.)
EAUX INDUSTRIELLES. 687
exemple, résultent simplement du lavage des betteraves,
et les envoyer sans danger à la rivière ; elles ne doivent
jamais être mêlées avec les eaux profondément souillées
provenant du lavage des sacs à pulpe ou des filtres à
défécation. Ces dernières eaux, chargées de détritus or-
ganiques facilement putrescibles, peuvent être seules sou-
mises à un traitement désinfectant, dans des bassins à
épuration par la chaux. De la sorte, la dépense et la
difficulté sont réduites de moitié. Une industrie produit
souvent une très petite quantité d'eaux oj. de résidus li-
quides infects, dont l'épuration résiste à presque tous les
moyens ordinaire ; parfois, moins d'un mètre cube de ces
produits est versé dans les rigoles communes et va trans-
mettre sa puanteur ou son insalubrité à plusieurs centaines
de mètres cubes d'eaux vannes à peine altérées. Dans ces
cas, il faut réserver ces produits impurs pour un traite-
ment spécial, au premier abord coûteux, mais dont la dé-
pense est fort atténuée par la petite quantité de liquide à
traiter; à la rigueur, ces eaux pourraient être concentrées
par la chaleur perdue des fourneaux, et le dépôt serait
brûlé dans les foyers.
§ 3. — NEUTRALISATION.
L'épuration, même en l'absence des matières organi-
ques en suspension ou dissoutes, n'est réelle qu'à la con-
dition d'avoir neutralisé la réaction acide ou fortement al-
caline des eaux industrielles. Ces eaux ont, dans un grand
nombre de cas, une acidité très marquée : liquides de
décapage des métaux, eaux sûres des féculeries, eaux des
fonderies de suif où le tissu adipeux est détruit par l'acide
sulfurique; eaux résiduaires des fabriques où se fait l'épail-
lage chimique ou nopage des laines, des fabriques d'ani-
line, de stéarine, de produits chimiques et en particulier
de chlorures où l'acide chlorhydrique forme un résidu en-
GS8 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
combrant de la fabrique du chlore. Ces eaux acidulés dé-
tériorent rapidement les matériaux de construction des
égoutset les ciments dont ils sont revêtus.
M. Baldwin Latham (1) a montré par des expériences
la perte en poids que supportait une même quantité de
ciment moulé en cylindres de mêmes dimensions, quand
on la plongeait pen.lant 10 jours dans de l'eau distillée
contenant 10 pour 100 d'acide nitrique. La perte de poids
pour 100 parties variait ainsi avec les divers ciments.
Perte pour lOJ pnrties.
Cliaiix de Dorkiiig et sable (parties égales)., 40,3
Ciment de Keene et sable .53,0
Ciii:eiil de Keeue pur ' 1,1
Ciment de Portland et sable 11,3
Ciment de Portland pur 4,5
Ciment romain et sable 8,0
Ciment romain pur 3,6
On comprend donc que pour empêcher la détérioration
des égouts, les ordonnances de police à Paris et en parti-
culier celle du Conseil d'hygiène de la Seine en date du
16 septembre 1859, exigent que les eaux envoyées aux
égouts ne marquent pas plus de 1 degré à 1 degré et demi
à l'aréomètre de Baume.
Le déversement de ces eaux acides dans les égouts dé-
veloppe parfois des réactions tumultueuses et le déga-
gement subit de grandes quantités de gaz qui peuvent
entraîner l'asphyxie. A Londres, en 1862, plusieurs ou-
vriers occupés à travailler dans l'égout de Fleet Lane
furent trouvés asphyxiés ; la mort eut lieu en quelques
instants, sans cause appréciable. Une enquête permit de
croire qu'il s'était fait un dégagement rapide d'hydrogène
sulfuré par l'action sur les dépôts vaseux d'eaux acidulés
qu'on avait déchargées dans cet égoût (2). Cette dernière
(1) Baldwin Latham, Sanitarij engineeriiig, a guide fo tlie comlruc-
Ihn of toorks of seivage and hoiisc drainage, London, 1873, p. 137.
(2) De FreyrincI, Principes de l'assainissement des villes 1870 p. G7 .
EAUX INDUSTRIELLES. 689
réaction toutefois est moins à craindre avec l'acide nitri-
que qu'avec l'acide sulfurique. En outre, l'acide sulfurique
ou les sulfates sont réduits par les matières organiques
contenues dans les cours d'eau et les égouts, et donnent
progressivement naissance à des sulfures et à de l'hydro-
gène sulfuré. Nous venons de voir que M. Wurtz avait
conseillé de remplacer l'acide sulfurique par l'acide chlo-
hydrique dans le traitement des jus de betteraves, pour
éviter cette source d'infection des cours d'eau par la dé-
composition des sulfates.
Dans la fabrication des bougies stéariques, les acides
gras sont soumis à l'action de l'acide sulfurique concentré
à une température de -[- 120° et les eaux de lavage con-
tiennent parfois près de un cinquième de leur poids d'a-
cide sulfurique libre ; le débit en est de 60 hectolitres par
jour dans certaines usines du Pas-de-Calais (Pagnoul). On
comprend aisément le danger de l'écoulement libre de
pareilles eaux.
Les Conseils d'hygiène prohibent sévèrement cet écou-
lement des eaux acides dans les rivières ou les égoûts,
La neutralisation s'obtient soit à l'aide du traitement par
la chaux dans les bassins de dépôt, soit, en raison de l'éco-
nomie quand l'acidité est très forte, par le passage à tra-
vers des amas de pierre calcaire grossière. Depuis quel-
ques années on la réalise en faisant séjourner les eaux for-
tement acides sur des rognures de zinc, de fer, de cuivre,
etc; c'est ainsi qu'on obtient dans le commerce, à des prix
extrêmement réduits, de grandes quantités de sulfate et de
chlorure de fer et de zinc, (liquide de Larnaudès, eau de
Saint-Luc), dont l'action désinfectante est très puissante.
Ailleurs ces acides servent à saturer les eaux savonneuses,
alcalines, ou ammoniacales, provenant du lavage des laines
brutes, du foulonage et du dégraissage des draps, des les-
sives alcalines qui ont servi, à préparer la pâte du papier
de paille, des eaux ammoniacales des usines à gaz, etc.
Vallin. — Désinfectant?, 44
693 DÉSINFECTION INDUSTRIELLE.
Cette double neutralisation se fait non seulement au grand
bénéfice de l'hygiène, mais encore au bénéfice des usi-
niers : « le problème de l'assainissement, dit M. de Frey-
cinet, se résout très souvent par un progrès industriel. »
g 4. — ÉVAPORATION ET DESTRUCTION DES RÉSIDUS PAR LE FEU
pans quelques -cas, l'évaporation rapide de l'eau et
la destruction par le feu des résidus dessécîiés est le seul
moyen de faire disparaître le danger d'infection par certai-
nes eaux résiduelles. C'est ainsi qu'en Angleterre on a im-
posé cette concentration par le feu aux distilleries de pé-
trole, qui déversaient dans les rivières des eaux dont rien
ne pouvait détruire l'infection.
Les eaux de désuintage des laines sont, dans quelques
usines du département du Nord et du Pas-de-Calais, éva-
porées et calcinées pour en retirer le carbonate de soude.
On a proposé de soumettre au même traitement les vinas-
ses de distilleries, soit par l'action directe du feu sur les
chaudières, soit à l'aide d'appareils de graduation, par
l'évaporation sur des fascines, comme pour la concentra-
tion des sources salées. Dans ce dernier cas, l'hygiène
pourrait être gravement compromise, et nous ne croyons
pas que l'on ait jamais réalisé ce projet. Au contraire nous
lisons dans une excellente brochure de M. Pagnoul(l),
d'Arras, que dans le département du Pas-de-Calais, la con-
centration des vinasses, des eaux de papeterie de paille,
de celles provenant du dégraissage des laines, est devenu
un moyen industriel très répandu permettant de se débar-
rasser de ces eaux et d'en retirer les sels de potasse ou de
soude. A l'usine de Courrières, pour une production jour-
nalière de 250 hectolitres d'alcool à 90" provenant de
90,000 kilogrammes de mélasse, on obtient 400 mètres
1) A. Pagqoul, Eiude sur les eaux du Pas-de-Calais, Paris, 1881,
Masson, in-8° de 104 p. avec carte et tableaux, p. 77, 86 et 95.
EAUX INDUSTRIELLES. 691
cubes de vinasses d'où l'on retire 10,000 kilogrammes de
salins et de matières condensables, lesquelles, recueillies et
traitées par le procédé Vincent, donnent encore 1,500 ki-
logrammes de sulfate d'ammoniaque, 100 kilogrammes
d'alcool méthylique, 5,000 kilogrammes de goudron et des
sels de triméthylamine. L'emploi des fours Porion, où l'on
utilise les chaleurs perdues des usines, semblent avoir
grandement facilité ces opérations de concentration, au
grand bénéfice de l'hygiène publique et de l'assainissement
des cours d'eau dans la région.
Il est en effet certains liquides dont il est extrêmement
difficile de se débarrasser autrement, par exemple les eaux
arsenicales des fabriques de fuchsine. M. Rollet cite le fait
de l'usine de fuchsine de Pierre-Bénite qui évacuait ses
eaux arsenicales dans un bras perdu du Rhône dont Feau
était stagnante : à plusieurs reprises, des accidents graves
et parfois mortels d'empoisonnement arsenical furent ob-
servés chez des personnes qui avaient bu l'eau du cours
d'eau (1). Dans des cas semblables, l'extraction et l'utilisa-
tion industrielle des composés chimiques est presque le
seul moyen de se débarrasser de ces eaux. L'irrigation sur
un sol drainé qui est en général une ressource suprême,
peut même ici avoir des inconvénients et des dangers.
§ 5. — PUISARDS.
Trop souvent, dans ces cas difficiles, on a recours aux
puisards ou hoit-tout, c'est-à-dire à des excavations creu-
sées dans un sol perméable, à parois non maçonnées ou
maçonnées sans ciment, de manière à laisser filtrer les eaux
vannes dans les profondeurs du sol. Rien n'est plus dan"
gereux qu'une telle pratique; les puits sont souillés à une
(1) J. Rollet, Des résidus solides et liquides des industries au point
de vue de la salubrité [Lyon médical, 1879, p. 327) et Bévue d'hygiène
et de police sanitaire, 1880, p. 71).
692 DESINFECTION INDUSTRIELLE.
distance souvent considérable, parce que les nappes d'eau
souterraines sont elles-mêmes corrompues sur une vaste
étendue, comme pourrait l'être un cours d'eau à fleur du
sol. Parfois même, on a vu des incendies souterrains, des
explosions graves se produire par la chute d'un charbon
enflammé de la machine dans le puisard (1). Dans le dépar-
tement du Rhône, le Conseil d'hygiène a interdit ces puits
perdus : il en est de même dans un grand nombre de dé-
partements ; sur l'avis du Conseil d'hygiène de la Seine
et du Comité consultatif d'hygiène, le Ministre du com-
merce vient de les prohiber sur presque toute l'étendue
du terntoir&. {Arrêté du 31 juillet 1882.) Ces puisards con-
stituent en effet une ressource dangereuse et égoïste qui
compromet l'intégrité de nos sources; on peut toujours
les remplacer par des citernes étanches et des bassins de
dépôt, où les eaux encombrantes sont purifiées par la chaux
avant d'être déversées dans les rivières ou sur des prairies
bien drainées.
ART. m. — DÉSINFECTION DES RÉSIDUS SOLIDES.
Les déchets et les résidus solides que chaque industrie
accumule dans les usines, les manufactures ou les chan-
tiers, sont une cause commune et puissante d'infection. La
première condition d'une désinfection véritable, c'est 1 e-
loignement fréquent, sinon journalier, de toutes ces ma-
tières, avant qu'elles aient été envahies par la putréfac-
tion. La négligence et les difficultés de la main-d'œuvre
laissent parfois s'accumuler au milieu ou au voisinage des
habitations des masses énormes de ces résidus, et la per-
sistance de ces foyers d'émanations fétides rend illusoire
l'emploi de tous les agents de désinfection. L'enfouisse-
ment dans le sol à une grande profondeur, la destruction
Cl) Rollet, loco citato, p. 337.
RÉSIDUS SOLIDES. 693
par le feu des chaudières, sont les meilleurs moyens de se
débarrasser de ces résidus ; ces moyens sont malheureu-
sement d'une application souvent difficile.
La fabrication des engrais à l'aide de composts est une
source d'émanations insupportables. Naguère encore, au
grand dépotoir municipal de Clichy, les matières fécales
étaient étalées en plein air au bord des bassins, et sou-
mises à l'évaporation et à l'action du soleil pour être ame-
nées à l'état solide! En 1881, certaines usines autour de
Paris ont encore des dépotoirs à l'air libre; toutes les me-
sures de désinfection sont vaines, tant que les opérations
n'ont pas lieu en vases clos. L'addition des subtances
antiseptiques ou désinfectantes se fait toujours en quan-
tité insuffisante. Il faut au moins 2 kilogrammes de sul-
fate de fer par hectolitre de matières demi solides.
Au voisinage des ateliers d'équarrissage, les matières
extraites de l'estomac et des intestins, les viscères eux-
mêmes, les débris de toutes sortes, sont parfois transformés
en engrais par la décomposition lente, presque à l'air
libre. L'on peut obtenir une désinfection partielle en recou-
vrant ces amas de couches épaisses de charbon animal,
de tan épuisé, de terre sèche, de sciure de bois, de tourbe,
de plâtre ; on y mêle 5 0/0 de sulfate de fer en poudre ou
en solution concentrée, ou bien on arrose les couches avec
du chlorure acide de manganèse provenant de la fabrica-
tion du chlore. C'est ainsi qu'à l'abattoir d'Aubervilliers on
arrivait à supprimer presque complètement l'odeur des
tas, hauts de 3 mètres 50, et cubant 200 à 300 mètres, où
les intestins de chevaux, les résidus divers, se transfor-
maient en une sorte de guano au bout de 8 mois à un
an (1).
Le sang provenant des abattoirs, avant d'être transformé
en engrais, est souvent mélangé avec de l'acide sulfu-
(1) De Freycinet, Traité d'assainissement industriel, 1870, p. 302.
694 DESINFECTION INDUSTRIELLE.
ri que, du chlorure de zinc, ou des matières goudronneuses
provenant de l'épuration des huiles de schiste, pour être
transformé en un magma presque imputrescible ; ce magma
peut être dès lors, sans trop d'inconvénient, abandonné
à l'évaporation, avant d'être pulvérisé et mêlé à des phos-
phates minéraux.
Le sang provenant des abattoirs est aussi utilisé par les
industriels pour en extraire l'albumine. Les manipulations
que nécessite ce traitement durent assez longtemps, et
le sang coagulé dégage, en se putréfiant, des odeurs in-
salubres et incommodes. A l'occasion de la demande en
autorisation d'un établissement de ce genre à Pantin, en
1814, MM. Boussingault et Boudet, délégués du Conseil
d'hygiène de la Seine, constatèrent que les industriels
obtenaient un excellent effet du liquide suivant :
Sulfite de soude crislallisé 0'' 600 \
Acide phénique brut G, 160 I
Vinaigre ordinaire 0,150 \ 3,423
Acide sulfuriquc 0,025 i
Eau 2,500 )
Disssoudre et mêler pour ajouter à 100 kilogrammes de sang.
Mélangé avec cette liqueur antiseptique, le sang se con-
serve très bien pendant 15 jours au moins. Si, au bout de
ce temps, il s'y manifestait une légère odeur urineuse, il
suffirait d'y ajouter 150 centimètres cubes de bisulfite de
soude acidifié par l'acide acétique, pour arrêter de nouveau
la fermentation.
La dessiccation rapide, soit par la chaleur ou le vide sec,
soit par la compression, est souvent un moyen utile d'as-
surer la désinfection. C'est ainsi que dans certaines fécu-
leries ou amidonneries, les gras ou boues résiduaires qui
se putréfient si rapidement, sont ensachés, exprimés à la
presse hydraulique, et réduits en une matière pulvérulente
inodore, qui sert à fabriquer de la colle pour les carton-
niers, tapissiers, etc. Un grand nombre de résidus facile-
RÉSIDUS SOUDES. 69S
ment putrescibles ou déjà altérés peuvent ainsi être trans-
formés en tourteaux où l'absence d'eau arrête tout travail
de fermentation .
Dans nos départements du Nord, les cultivateurs désin-
fectent les fumiers entassés au voisinage des fermes en y
mêlant du plâtre qui arrête le dégagement du carbonate
d'ammoniaque en le fixant à l'état de sulfate et en formant
du carbonate de chaux. On augmente ainsi la valeur fer-
tilisante du fumier de toute celle du plâtre, et la dépense
est minime, car le plâtre ne coûte que 3 à 4 francs les 100
kilog. Le phosphate acide de chaux, (12 à 14 francs les
100 kilog.) peut être employé de la même façon. M.Fis-
cher (1) recommande aussi le sulfate, de fer qu'on répand
à la dose de 1 kilog. par semaine sur les fumiers, après
la vidange des étables ; il conseille de recueillir le puriti
ainsi désinfecté dans un puisard en contrebas de la fossé à
fumier, et de le verser sur celui-ci une ou deux fois par
semaine. Reste à savoir ce qu'il y a de fondé dans lé
reproche adressé au sulfate de fer de nuire à là fertilité
du sol.
En résumé, la destruction par le feu, l'enfouissement,
l'emploi des poussières absorbantes, la dessiccation, les
chlorures et sulfates de zinc, de fer, de manganèse, et
l'acide phénique, les huiles lourdes de houille, la chàùx
vive, et dans une mesure moindre le chlorure de chaux,
tels sont les moyens d'obtenir la désinfection dés rêsidus
solides. Les emplacements occupés par ces résidus sont
d'ordinaire imprégnés dans une grande profondeur par
les liquides putrides qui s'en écoulaient; il est souvent
nécessaire de les désinfecter, soit en faisant piériêtrét' dans
le sol les solutions ci-dessus indiquées, soit en allumant
des feux à la surface, soit en retournant la terre par .le
labourage et en y faisant des ensemencements.
(1) E. Fischer, Congrès d'hygiène de Paris en 1878 {Compte-rendu
sténôgraphifjiie, T. l, p. 581).
696 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
CHAPITRE VII
DÉSINFECTION MUNICIPALE
M. le D^ de Chaumont (de Netley), dans un discours
remarquable et plein d'humour qu'il prononçait à la Réu-
nion annuelle du Sanitary Institute de la Grande-Bretagne,
le 14 juillet 1881, définissait la science sanitaire moderne :
« l'art de mettre chaque chose à sa vraie place » .
En effet, la matière organique qui se décompose et se pu-
tréfie est très utile quand ce travail a lieu dans le sol d'un
champ qui a besoin d'engrais ; elle est dangereuse et très nui-
sible quand ce travail se fait en plein air, au milieu des villes
et des habitations humaines. Rien ne se perd dans la nature,
mais l'homme doit veiller incessamment à ce que la matière
dépense son énergie potentielle en travail productif utile,
et non pas en effets nuisibles, capables de détruire rapi-
dement ou graduellement là race humaine.
Il nous a semblé qu'on pouvait donner cette ingénieuse
pensée pour épigraphe à un chapitre consacré à la désin-
fection et à l'assainissement municipal. Employer les ma-
tières de vidanges et les immondices d'une ville à ferti-
liser les campagnes, au lieu de les projeter dans un fleuve
et de souiller l'eau destinée à l'alimentation des riverains,
c'est mettre les choses à leur place, c'est prévenir l'infec-
tion, ce qui vaut mieux que désinfecter ; c'est faire de
bonne hygiène, et surtout de bonne hygiène municipale.
ART r^ — DÉSINFECTION DE LA VOIE PUBLIQUE
Désinfection des immondices et des boues. — Les
immondices ménagères, les résidus domestiques que l'on
VOIE PUBLIQUE. 697
dépose chaque matin sur la voie publique, en attendant
qu'ils soient enlevés par les tombereaux du service de
la voirie, sont fréquemment une source d'émanations fétides.
De 1853 à 1870, à Paris, les ordures ménagères jetées
chaque soir sur la voie publique, étaient fouillées chaque
nuit par 10,000 chiffonniers et par les chiens errants,
et souillaient au plus haut point de leurs émanations l'air
de nos rues. Depuis cette époque et par un arrêté du 11 sep-
tembre 1870, toutdépôt d'immondices sur la voie publique
est interdit ; les ordures ménagères sont portées de o à 7
heures du matin, dans des boîtes individuelles, sur le bord
du trottoir par chaque locataire ou chaque concierge, et
vidées dans les tombereaux par les boueurs au cours de
leur tournée. Les ordures ménagères, auxquelles se joignent
les balayures de la voie publique, formaient en 1881 à Paris
un cube journalier de 2,000 mètres environ, transportés par
600 tombereaux. (1) Des entrepreneurs, au nombre de 16
actuellement, prennent en adjudication cet enlèvement des
boues etdébris, moyennant une indemnité de 500,000 francs
payée par la ville ; ils transportent ces gadoues dans la
banlieue de Paris, où on les transforme en engrais,
mais où elles sont une cause insupportable d'infection pour
les habitants du voisinage. La désinfection directe de ces
amas est difficile ; on ne peut en effet rattacher à la désin-
fection des mesures telles que la plantation de rideaux
d'arbres pour arrêter les transports des mauvaises odeurs
par le vent ; l'établissement des routes ou d'aires pavées
pour permettre le déchargement de voitures dans un lieu bien
défini ; l'éloignement de ces dépôts à une distance suffi-
sante de toute habitation ou de tout cours d'eau. On a
proposé de dresser ces amas en tas réguliers et aplanis,
comme pour les détritus des abattoirs, et de les recoa-
(1; Du Mesnil, Les dépôts de voiries dans Paris. Discussion à la Société de
médeciae publique. [Revue d'hygiène et de police sanitaire, janvier 1882,
p. 50.;
698 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
vrir de terre glaise ou d'une couche de terre végétale qui
serait ensemencée ; au bout d'un an et plus, les matières
seraient mûres et pourraient être portées sur les champs
comme engrais. La désinfection par ce procédé n'est pas
toujours suffisante et entraîne des difficultés pratiques à
peu près insurmontables.
En Angleterre, cette question de la désinfection des
amas d'immondices a pris une importance singulière, et
l'on a essayé de la résoudre en détruisant ces débris de
balayage et ordures ménagères par le feu. Le D"" W. Sed-
wick Saunders a présenté au Comité sanitaire de la Cité
en 1881, un rapport sur les moyens de se débarrasser
des rebuts et résidus des maisons, sans créer de foyers
d'infection. L'enfouissement dans des fosses à peine re-
couvertes est un système insuffisant même à la campagne,
dangereux et incommode au voisinage d'une ville aussi
populeuse que Londres.
M. Saunders propose un système basé: 1° sur la destruc-
tion par le feu, de tout ce qui est combustible dans ces
détritus ; 2° sur la séparation des diverses matières et leur
conversion en charbon, M. Saunders décrit et figure
divers appareils construits à cet effet à Armley Road, à
Manchester, à Bradfort, à Birmingham, et depuis à Kra-
lingen, près Rotterdam, en Hollande, Ce sont de vastes
fournaises où les résidus sont consumés par le feu et trans-
formés en charbon. A Armley Road, on consume 1 tonnes
de rebut en 24 heures, et 80 p. 100 de la masse totale
sont anéantis par le feu au moyen d'appareils dits l'un
Destructor, l'aulre Carboniser ; l'un et l'autre coûtent
ensemble 112,000 francs. Un système analogue (Fryer's
method) fonctionne depuis quelques années à Leeds et à
Birmingham (1).
(1) De l'incinération des rebuts, résidus el immondices des maisons d'ha-
bitation. [Journal d'hygiène, 188i, p. 22, avec figures, sans indication
d'origine.) — Parkes. A manual of hygiène, 1878, p. 393.
VOIE PUBLIQUE. 699
M. Haussmann avait émis jadis l'idée « d'ouvrir dans
les cours des maisons, des trémies par lesquelles toutes
ces saletés seraient descendues dans les galeries des
égouts, oi^i l'on recueillerait pour le transporter au loin,
sans offenser la vue et l'odorat du public, ce que les
chasses d'eau ne suffiraient pas à enlever, » Il faut espérer,
avec M. de Freycinet, qu'un jour viendra où les peuples
policés éprouveront le besoin de reléguer dans les profon-
deurs des sous-sols, à l'abri des regards, les opérations qui
sont en quelque sorte les besoins secrets de la vie des
cités (1).
M. Chevreul (2) a depuis longtemps montré que la cou-
leur noire du sol de nos rues tient à la sulfuration, par
le gaz à éclairage, des particules métalliques abandonnées
par les fers des chevaux et les roues des voitures. Il se
produit là un rudiment de désinfection spontanée, comme
dans le traitement des matières fécales par le sulfate de fer
ou les solutions métalliques. Sainte-Claire-Deville (3) a
montré récemment que le gaz qui se dégage par les fuites
souterraines égale la dixième partie du gaz total qui cir-
cule à travers ces tuyaux ; mais ce gaz contient des cristaux
de naphtaline et du goudron en vésicules très ténues,
substances éminemment antiseptiques qui embaument,
pourrait-on dire, les matières organiques contenues dans
le sol, et en préviennent la putréfaction. Les fuites de
gaz, d'après l'illustre chimiste, seraientdonc une cause d'a-
sainissement du sol. Il ne faut pas pousser trop loin ce
raisonnement, et ne pas oublier que le gaz d'éclairage
verse dans l'air non seulement de l'hydrogène carboné,
(1) De Freycinet, loc. cit. p. 89.
(2) Chevreul, Principes de l'assainissement des villes. {Journal des sa-
vants, 1871, p. 484 et S40, 187^, p. 313, 449 et 597.) On ne saurait assez
louer cette étude magistrale souvent citée et trop peu lue.
(.3) Sainte-Claire-Deville, Côinptes-rendus de V Académie des nciences,
T. 91% séance du :20 septembre 1880.
700 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
qui est peu nuisible, mais de l'oxyde de carbone qui est
toxique au plus haut degré.
La surface des rues, des chaussées, des trottoirs, doit
être promptement débarrassée des immondices qui la
recouvrent, afin d'empêcher l'infiltration dans le sol des
liquides altérables ou altérés que les pieds de l'homme et
des animaux y font pénétrer ; les enduits imperméables,
comme le bitume, ont à cet égard une grande supé-
riorité sur le macadam et surtout sur le pavage en bois.
Aux points d'arrêt temporaire ou de station habituelle
des voitures publiques, des omnibus, des tramways, les
déjections solides ou liquides des chevaux accumulent des
quantités considérables de matières organiques, et pendant
les chaleurs de l'été, la décomposition de ces immondices
est si rapide que l'on est suffoqué par les vapeurs am-
moniacales qui s'en dégagent. Non seulement l'enlèvement
mécanique, le balayage de ces places devrait avoir Ueu
plus fréquemment , c'est-à-dire 3 fois au moins par jour,
mais encore il serait nécessaire de désinfecter les couches
du sol imprégnées de ces produits en fermentation. Le
lavage à grande eau, l'aspersion avec une solution de chlo-
rure de zinc, de chlorure de chaux et d'acide phénique,
rendraient ici de véritables services. Il en est de même
du lavage fréquent des ruisseaux, des orifices d'égouts, des
trottoirs, des chaussées; l'eau doit couler pendant plusieurs
heures spontanément dans les ruisseaux, et en même temps
ces derniers doivent être balayés à plusieurs reprises
pour empêcher toute stagnation. L'abondance de l'eau et
les lavages fréquents sont la condition indispensable de la
désinfection des ruisseaux, des conduits des eaux ména-
gères, etc. Au voisinage des halles, des marchés, des la-
trines publiques, la prodigalité dans l'arrosage et les
lavages est encore plus nécessaire.
A Paris, la direction des travaux a adopté pour le net-
toyage et la désinfection de la voie publique un certain
VOIE PUBLIQUE. 701
nombre de désinfectants (1) d'après les indications suivantes
approuvées par l'Inspecteur général, M. Alphand.
Le chlorure' de chaux, marquant de 100 à 105 degrés, provient des
usines de Saint-Gobain. On l'emploie avec succès partout où sont dépo-
sées des urines, des matières fécales ou putréfiées. Il sert aussi à la
désinfection des cabinets d'aisances, des gargouilles et des ruisseaux
recevant des eaux corrompues. Pour le lavage des ruisseaux, le
mélange est au 20", soit 1 kilogramme pour 20 litres d'eau. (Prix
du kilogramme : 0 fr. 31).
Le sulfate de fer et le sulfate de zinc s'emploient i'ua et l'autre
dans les mêmes conditions; on emploie la dissolution del kilogramme
de sel dans 10 litres d'eau. Ils servent à la désinfection des baquets
des postes de police et des récipients pour le transport des boyaux,
du sang, des viandes et poissons corrompus, provenant des halles et
marchés. Le sulfate de fer laisse une couche de rouille sur les objets
avec lesquels il est en contact. Le sulfate de zinc est plus énergique,
mais coûte un peu plus cher que le précédent. Il ne dégage aucune
odeur, ne laisse aucune trace : il est très employé en été pour
les lavages et arrosages, aux Halles centrales, des sous-sols des
pavillons pour les poissons, la volaille et les triperies. Coupé à 1 : 8
et mélangé à 3 p. 100 de sulfate de cuivre, le sulfate de zinc consti-
tue une très bonne liqueur désinfectante (eau Larnaudès) (1), qui se
conserve très longtemps et peut rendre de très grands services dans
es habitations privées (prix par kilogramme sulfate de fer, 0 fr. 09 c.;
sulfate de zinc, 0 fr. 23 ; eau Larnaudès, 0 fr.25c.).
L'acide phênique n'est pas un désinfectant proprement dit; il
n'agit pas sur les corps odorants, comme le chlore ;il ne fait pas dis-
paraître, ainsi que ce corps, la mauvaise odeur, mais il arrête et
prévient la fermentation, sans doute en tuant les germes, lessporules
et les ferments. Il possède des propriétés antiseptiques considérables,
et doit être considéré comme un agent préventif de premier ordre.
L'acide phênique doit donc être employé toutes les fois qu'on veut
détruire les germes delà fermentation putride. Le coupage en est
fait à 1 : 40, soit 1 litre d'acide dans 40 litres d'eau. Les coupages
à 1 : 100 et à 1 : 20 donnent de bons résultats pour les arrosages,
une ou deux fois la semaine en été, dans les endroits infectés (la-
trines, boyauderies, triperies, tueries, pavillons aux poissons et aux
fromages) des Halles centrales. On l'emploie encore à 1 : 1000, soit
1 litre dans un tonneau d'arrosement, pour l'arrosement en été des
(1) Vaissière, Notice sur le nettoiement delà voie publique (Ville de Paris
Direction des travaux) ; Paris, Chaix, 1876, in-i", p. 11. La Notice dit
ailleurs, p. 78 que l'eau Larnaudès « est composée d'eau ordinaire dans
laquelle on a fait dissoudre 23 0/0 de sulfate de zinc et 2 0/0 de sul-
fate de cuivre » .
70-2 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
abords des Halles centrales, ou dans certaines rues dont les ruis-
seaux contiennent des eaux corrompues, (Prix 1 fr. 75 le litre).
On a usé aussi de poudres pliéniquées (naphtaline), de sulfate
d'alumine, d'huiles lourdes de houille, et de vingt autres produits prô-
nés par des industriels ; mais on a dû y renoncer, soit à cause de
leur odeur ou couleur désagréables, soit en raison des difficultés
de leur emploi.
V acide chlor hydrique sQvi au lavage des urinoirs ou des encoignures
encrassés de tartre, ainsi qu'au lavage des murs et baquets dans les
latrines et violons des postes de police. Son usage est indispensable
pour le lavage des tueries, boyauderies, etc., des halles et marchés.
Pour les parties très encrassées, l'acide chlorhydrique est employé à
1 : 6, soit 1 litre pour 5 litres d'eau. Coupé à 1 pour 10, il nettoie
très bien les murs et dalles à surfaces lisses ; pour les lavages ordi-
naires, le coupage à 1 : l.'j suffit. Ce produit laisse après son emploi
une odeur désagréable, mais qui s'évapore très vite (prix: 0,055 le
kilogr.)
L acide de mirbane (nitro -benzine impure) est plus énergique
mais il laisse sur les parties nettoyées une odeur désagréable
d'amandes amères, et une couche blanchâtre qui disparaît par un la-
vage à l'eau ordinaire. Les coupages pour cet acide sont les mêmes
que pour l'acide chlorhydrique(prix: 12fr. la tonne de 75 kilogrammes.
Ces acides oxydent les métaux et brûlent les étoffes ; ils exigent par
suite certaines précautions dans leur emploi ; les coupages doivent
être faits d'avance et par un ouvrier intelligent. Coupés à 1 pour
10, ils sont inoffensifs.
Il nous a semblé utile de reproduire presque intégra-
lement ce chapitre des instructions officielles qui sont très
peu connues du public médical ou hygiéniste.
Désinfection de Veau des bains sulfureux. — A Paris, les
ordonnances de police défendent de déverser sur la voie
publique ou dans les ruisseaux l'eau des bains sulfureux,
sans que cette eau ait été au préalable désinfectée. Le pro-
cédé le plus pratique consiste à dissoudre dans l'eau sul-
fureuse d'une baignoire, avant le déversement sur la voie
pubhque, 100 grammes de sulfate de zinc en poudre gros-
sière ; la désinfection est alors complète et ne coûte que 3
centimes pour l'eau d'un bain. Le sulfate de fer aurait l'in-
convénient de donner une teinte noire insupportable de sul-
PORTS DE MKR. 703
fure de for. On peut aussi se servir d'acétate de plomb, à
la dose de 50 grammes pour un bain ; mais outre l'incon-
vénient de l'emploi d'un agent toxique, ce procédé est
coûteux et noircit le pavage des ruisseaux ; il a toutefois
l'avantage de fixer plus complètement l'hydrogène sulfuré
libre. Le chlorure de chaux produit également un bon ré-
sultat, mais il se dégage une notable quantité de chlore qui
peut être fort gênante.
ART. II. — DÉSINFECTION DES PORTS DE MER.
Les ports de mer, au centre ou au voisinage immédiat
des grandes villes, deviennent facilement les foyers d'une
infection extrême, surtout sur les mers qui n'ont pas de
marée : le Vieux port de Marseille, dont le goulet est si
étroit et où l'afflux des navires de commerce est considé-
rable, peut être regardé comme le type de cette insalubrité
sur la Méditerranée; la Tamise à Londres est un autre type,
sur une mer oij les marées sont cependant de plusieurs
mètres .
M. le D'" S. Maurin (1) a fort judicieusement étudié les
moyens d'obtenir la désinfection du Vieux port de Mar-
seille, et ses conseils sont applicables à tous les ports placés
dans les mêmes conditions.
Il propose: 1" de supprimer le déversement direct des
égouts dans le port, mais de conduire ces eaux vannes à
travers un tuyau de 1"' 50 de diamètre, dont l'extré-
mité libre s'ouvrirait au-delà des goulets. Cette disposi-
tion a été adoptée au nouveau port de la Joliette à Mar-
seille, et produit un excellent effet,
2° Les immondices accumulées sur les quais, au lieu
d'être jetées dans le port, devraient être portées au large
par des chalands spéciaux.
(1) s. Maurin, Marseille au point de vue de l'hygiène, 1864, ^^ Edition.
704 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
3° Les jetées qui protègent le port devraient être per-
cées d'ouvertures ou fenêtres de plusieurs mètres de largeur,
à des hauteurs différentes, de manière à établir des cou-
rants sous-marins qui empêchepaient la stagnation de dé-
pôts en arrière de l'obstacle formé par ces murailles. Cette
disposition a également été adoptée à la jetée de la Joliette.
4» Enfin, des dragages, des curages doivent être faits
fréquemment, mais exclusivement pendant la saison froide
pour éviter l'aggravation qui pourrait momentanément
en résulter.
A Londres, pendant cette année où l'infection de la Ta-
mise a failli rendre impossible les séances du Parlement
anglais, on a versé dans le fleuve une quantité extraordi-
naire de chlorure de chaux ! mais que peuvent des tonnes
de désinfectant contre l'infection d'un fleuve, alors que
le flux et le reflux de l'Océan sont impuissants à déplacer
l'énorme masse de détritus qui en couvre le lit, et le meil-
leur moyen de désinfection ne serait-il pas de n'y plus
déverser les eaux vannes et les vidanges d'une ville de
trois millions d'habitants?
ART. III. — DÉSINFECTION DES HALLES ET MARCHÉS.
L'ordonnance du 31 octobre 1831 concernant les me-
sures de salubrité à observer dans les halles et marchés
contient les prescriptions suivantes :
Il est enjoint aux marchands de changer l'eau de leurs baquets
assez fréquemment pour qu'elle n'ait aucune odeur, sans jamais
laisser la même eau plus de six heures ; — de rincer les baquets et
de laver à l'eau pure les ruisseaux où ils ont vidé leurs eaux cor-
rompues ; — les tables à étalages, les ustensiles, seront lavés et
grattés chaque soir au moins ; une fois par semaine au moins, ils
seront lavés sur tous les points avec une solution de chlorure de
chaux (une livre de chlorure de chaux sec pour une voie d'eau).
Les lavages des ustensiles et baquets avec des liquide
HALLES ET MARCHÉS. 705
désinfectants ont ici un danger qu'il ne faut pas oublier ;
le chlorure et le sulfate de zinc, en particulier, sont
dans une certaine mesure toxiques et doivent être évités ',
le chlorure de chaux et l'acide phonique ont une odeur si
forte que les négligences ne sont pas à craindre. L'eau
pure, surtout l'eau bouillante ou la vapeur, convient le
mieux pour les ustensiles ; l'eau additionnée d'agents dé-
sinfectants, pour le lavage des murailles, du sol, des
tuyaux d'égout.
Les paniers à poissons'imprègnent d'ordinaire d'uneodeur
fétide d'une ténacité extrême. Chevalher raconte qu'en 1874,
l'administration municipale de Paris dût intervenir pour
faire cesser cette cause d'insalubrité et de gène. Les man-
nettes en osier furent trempées dans une solution de chlo-
rure de chaux à 1 pour 100, et après le lavage à grande
eau toute odeur avait disparu. Chevallier proposait, en
1860 (1), d'établir dans tous les marchés deux bassins :
l'un recevant l'eau commune, servirait à faire tremper les
ustensiles employés à la vente du poisson ; le second se-
rait destiné à recevoir de l'eau additionnée de chlorure
d'oxyde de sodium ou de calcium hquide. Cette eau,
après avoir désinfecté les paniers, pourrait être ensuite
employée au lavage des lieux qui auraient acquis une
odeur infecte par la décomposition des matières organi-
ques. Les tinettes destinées à recevoir les débris organi-
ques doivent être désinfectées, enlevées et vidées deux ou
trois fois par jour, comme on le fait dans certains marchés
de Paris.
Les niches ou cages à volailles, qui sont d'ordinaire la
source d'odeurs pénétrantes, doivent être badigeonnées à
la chaux une ou deux fois par an. Les cheminées d'appel
dans lesquelles on maintient allumé en permanence un
bec de gaz, sont un bon moyen de ventiler les sous-sols
(1) Chevallier, Journal de chimie médicale, décembre 1830.
Vallin. — Désinfectants. 45
706 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
OÙ s'entassent les provisions et parfois des détritus. Le
sol doit être partout imperméable, à dalles jointoyées
au ciment, à pente suffisante, de manière à éviter toute
stagnation, lavé et brossé plusieurs fois par jour, etc.
L'excellent résultat obtenu récemment à la Morgue de
Paris, par l'établissement d'appareils frigorifiques, permet
d'espérer qu'il deviendra possible d'installer, dans les sous-
sols des marchés des grandes villes, des chambres à réfri-
gération à 0 degré, où l'on pourrait conserver pendant
l'été les viandes, le poisson, le beurre, à l'abri de la dé-
composition par la chaleur. On supprimerait de la sorte la
cause principale de l'insalubrité de ces édifices.
Par un arrêté récent (Avril 1881) le Préfet de la Seine
a rendu obligatoires le lavage et la désinfection du marché
aux bestiaux de la Villette.
Après chaque tenae du marché, le sol des halles, des étables, des
parcs de comptage du marché aux bestiaux, ainsi que tous autres
emplacements où les bestiaux auront séjourné et les parties en élé-
vation qu'ils auraient pu souiller, seront lavés à grande eau, et après
chaque lavage, arrosés avec une solution désinfectante. Ces lavages
et arrosages ne pourront être suspendus en raison du refroidissement
de la température, qu'avec l'assentiment des agents des deux préfec-
tures. Ces opérations de désinfection seront exécutées sans préjudice
de l'accomplissement de celles prescrites par l'arrêté du 23 juillet
1874, qui reste en vigueur.
ART. IV. — MORGUES, AMPHITHÉÂTRES DE DISSECTION
ET ABATTOIRS.
Morgues. — L'état souvent très avancé de putréfaction
dans lequel sont apportés les cadavres à la morgue, la
nécessité de prolonger le plus possible la durée de l'ex-
position des cadavres non reconnus, sont des causes iné-
vitables d'infection de ces établissements. Les moyens de
désinfection ont été très variés et souvent infructueux.
MORGUES, AMPHITHÉÂTRES, ABATTOIRS. "îOl
D'Arcet (1) avait proposé en 1831 l'emploi de tables
spéciales d'autopsies et de dissection ; la table sur laquelle
reposait le cadavre était percée de trous, et l'air, aspiré
par un conduit souterrain aboutissant d'un côté sous la
table, de l'autre à la clieminée d'un foyer, descendait des
parties élevées de la salle vers ces perforations, et à tra-
vers le pied creux de la table arrivait au foyer. Dans une
autre disposition faite en vue des autopsies judiciaires à la
morgue, l'expert opérait sous une hotte pouvant se fer-
mer avec des rideaux du côté opposé à la glace sans tain
derrière laquelle se tenaient les témoins.
M. Devergie (2) fit installer en 1866 une de ces tables
à la morgue; il en a reconnu l'efficacité; mais en hiver, les
mains de l'opérateur étaient refroidies d'une façon insup-
portable par le courant d'air qui balayait la table ; l'ap-
pareil est d'ailleurs coûteux et nécessite un foyer allumé
en été.
Lors de la construction de la nouvelle morgue de Paris,
en 1864, l'architecte avait assuré la désinfection des corps
au moyen de deux cheminées cylindriques placées aux
angles du local où les charrettes déposent les corps ; un
poêle calorifère placé au bas de chaque cheminée détermi-
nait un appel considérable dans la salle des morts, d'au-
topsie et d'exposition des corps ; des ouvertures très
larges ménagées au niveau de la toiture assuraient la
libre circulation de l'air. En réalité, les locaux restaient
infects, sans doute parce que la diffusion et le mélange
de l'air sont toujours très difficiles dans une enceinte
(1) D'Arcet et Parent Duchâtelet, De Vinfluence et de V assainissement
■des salles de dissection (Annales dlujglène et de médecine légale, 1831,
T. V, p. 244. Description de la figure, p. 314). — D'Arcet, Projet pour la
construction d'une salle d'exhumation et d'autopsie [Annales d'hugiène,
1830, T. m, p. 21 av. planche).
(2) Devergie, Expériences pour la désinfection des cadavres déposés à
la morgue {Rapport général sur les travaux du Conseil d'hygiène de la
Seine, 1870, p. 140 et 1878, p. 122 ; et Annales d'hygiène, 1878,
T. XXXIV, p. 324).
708 DESINFECTION MUNICIPALE.
fermée: l'on dépensait par an jusqu'à 1,200 francs de
charbon, sans obtenir la désinfection, par ce mode de ven
tilation fort gênant pendant l'été, où il élevait encore la
température de l'enceinte.
C'est alors que Devergie proposa l'irrigation permanente
des cadavres à l'aide de très minces filets d'eau conte-
nant une faible quantité d'acide phénique impur (1 litre
d'acide pour 2,000 litres d'eau). Cette quantité était suffi-
sante pour assurer l'irrigation permanente de 4 corps pen-
dant 12 heures. Devergie déclare dans son rapport que ce
procédé a fait disparaître toute odeur putride de la mor-
gue, même pendant les fortes chaleurs ; l'odeur de l'acide
phénique avait tout envahi ; la salle des morts était habi-
tuellement pleine de mouches , on trouvait dorénavant
celles-ci mortes sur le sol ou dans les fissures. Déjà, dès
les années 1827 et 1829, Devergie avait établi à l'an-
cienne morgue des robinets irrigateurs d'eau pure sur les
corps, ses études lui ayant appris que la putréfaction dans
l'eau se faisait moins vite que dans la terre et dans l'air.
L'addition de l'acide phénique à l'eau lui avait paru réali-
ser le problème difficile de la désinfection des morgues.
Une expérience plus prolongée a montré que le résultat
obtenu était encore très incomplet, et M. Brouardel (1) a
proposé, par analogie avec ce qui existe dans plusieurs
Universités allemandes, l'établissement de glacières oîi les
corps pourraient être conservés très longtemps pour les
recherches médico-légales et pour les constatations d'iden-
tité (voy. p. 83).
Ces appareils, qui sont très supérieurs à ceux que nous
trouvons décrits en Allemagne, fonctionnent depuis peu
de temps à la Morgue de Paris ; nous les avons examinés
(1) Brouardel, Rapport pour l'examen des divers systèmes relatifs à
l'installation d'appareils frigorifiques à la Morgue [Annales d'hygiène et
de médecine légale, janvier 1880, p. 63. — Rapport de M. Luiiyt, au nom
d'une commission nommée par le conseil municipal, en 1881.
MORGUES, AMPHITHÉÂTRES, ABATTOIRS. 709
à plusieurs reprises et ils nous semblent nécessiter ime
description spéciale (1).
Le principe est celui de l'appareil Carré : dans un réser-
voir hermétique en fer, capable de supporter une énorme
pression, on fait bouillir de l'ammoniaque ; le gaz dissous
dans l'eau se dégage dans un autre réservoir identique,
relié au premier par un tube de fer, et s'y comprime à tel
point qu'il se liquéfie ; quand on cesse de chauffer le pre-
mier récipient, le gaz ammoniac liquéfié dans le second
sous sa propre pression tend à passer de nouveau à fétat
gazeux, et pour ce changement d'état absorbe du calorique
à l'eau dans laquelle plonge le récipient ; cette eau se con-
gèle. Dans l'appareil de MM. Carré— Mignon-Rouart établi
à la Morgue, le cylindre où se trouve le gaz comprimé
plonge dans un liquide à peu près incongelable, une solu-
tion saturée de chlorure de calcium, qu'on refroidit à
— 20°. Ce liquide glacial circule dans des tuyaux métalli-
ques qui serpentent à la paroi interne de cellules en bri-
ques, où l'on introduit un cadavre ; le degré d'écartement
des tubes, en faisant varier la surface refroidissante, fait
aussi varier le refroidissement de l'air dans la logette; on
peut ainsi obtenir — 4 à — 20° centigrades. L'expérience
a prouvé qu'en refroidissant les cadavres brusquement à
— 10 ou — 20°, ceux-ci restent intacts au dégel, et l'on
peut ensuite les conserver à l'air libre aussi longtemps que
des cadavres frais. Au contraire, quand la congélation s'est
faite lentement, à — 4°, les cadavres se putréfient très ra-
pidement au dégel, et prennent une coloration rouge vif,
par la décomposition de l'hémoglobine et la dissolution de
l'hématine dans le sérum. Les cadavres congelés, à demi-
autopsiés, peuvent se conserver presque indéfiniment dans
ces cellules; on peut faire de nouvelles recherches mé-
dico-légales, au cours d'un procès, sans avoir besoin d'.une
(l) E. Vallin, Le froid à la Moi'fjue (Revue iVhyçjiène et de police sani-
taire, 20 juillet 1882, p. 54o).
710 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
seconde exhumation, qui ne livre d'ordinaire que des-
restes décomposés.
À la Morgue de Paris, dans la salle d'exposition où l'on
conserve les cadavres jusqu'à ce qu'ils soient reconnus,,
on a employé un procédé un peu différent. La solution
glaciale de chlorure de calcium est élevée par un tuyau
jusqu'au sommet delà salle qui a 500 mètres cubes ; à la
partie supérieure de cette salle de 5 mètres de haut, sont
disposées des lamelles parallèles, imbriquées et inclinées,
sur lesquelles la solution tombe en cascade; une rigole
placée à la partie la plus déclive de cette espèce de toit
double, formé de persiennes, recueille le liquide dont pas
une goutte ne tombe dans la salle. L'air chaud s'élève, il
se refroidit extrêmement au contact de cette cascade de
liquide à — 20° qui s'étend sur une large surface, et sur
une pente de plus de 1 mètre ; en se refroidissant, sa den-
sité augmente, il retombe dans les couches basses de l'at-
mosphère de la salle, et la température générale de celle-
ci atteint bientôt 0° et s'y maintient indéfiniment. Il serait
facile d'obtenir un froid plus grand, mais cette tempéra-
ture suffit pendant l'été pour conserver longtemps les ca-
davres à l'abri de la putréfaction.
Un autre effet très curieux est obtenu par ce procédé ;
le chlorure de calcium étant très avide d'eau, l'air de la
salle devient extrêmement sec, et l'on évite complètement
cette humidité et ce suintement des murailles qui sont le
fléau des locaux artificiellement refroidis. Cette sécheresse-
de l'air contribue beaucoup à la conservation des cada-
vres.
Depuis que ces appareils fonctionnent à la Morgue de
Paris, toute odeur putride a disparu, ce qu'on n'avait ja-
mais pu obtenir jusque-là. Malheureusement, la dépense
de première installation est considérable ; la dépense d'en-
tretien est très faible ; la provision d'ammoniaque et de
chlorure de calcium sert indéfiniment ; il faut une assez.
MORGUES, AMPHITHÉÂTRES, ARATTOIRS. 711
grande quantité de combustible pour dégager le gaz de la
solution ammoniacale. Néanmoins, des appareils de ce
genre, d'un petit modèle, nous paraissent capables de
rendre d'immenses services dans les amphithéâtres de dis-
section, et surtout pour les recherches médico-légales.
Aucun autre moyen de désinfection des corps déjà putré-
fiés ne peut être comparé à celui-là, et il a l'avantage de
n'introduire dans le cadavre ni dans l'enceinte de la Mor-
gue, aucune substance toxique qui pourrait troubler les re-
cherches de la justice.
Les cadavres et leurs débris doivent toujours être, lors
de l'inhumation, enfermés dans des cercueils garnis de
couches épaisses d'un des mélanges désinfectants dont
nous donnons la formule plus loin (p. 725). Des réclama-
tions ont été adressées, il y a quelques années, au Préfet
de police et au Conseil d'hygiène de la Seine par les rive-
rains du cimetière où l'on inhumait les corps provenant
des hôpitaux et de la morgue. L'enquête montra que les
cadavres provenant de la morgue étaient simplement en-
veloppés de serpillières et déposés directement dans une
tranchée. Le Conseil d'hygiène réclama et obtint l'em-
ploi pour chaque corps d'une bière, avec addition d'une
grande quantité de poudre de tan et de sulfate de fer; les
réclamations depuis ce temps ont cessé.
Amphithéâtres de dissection. — Les amphithéâtres de
dissection sont presque toujours placés dans l'enceinte
même des hôpitaux, parfois même beaucoup trop près des
salles de malades ; ils sont une cause réelle de dangers
pour les grands blessés, les accouchées, etc. ; leur désin-
fection doit être rigoureusement assurée. Il faut savoir
reconnaître que les médecins n'échappent pas toujours, à
ce point de vue, au reproche de contribuer eux-mêmes à
l'insalubrité d'un hôpital ; c'est eux, et pour ainsi dire eux
seuls, qui doivent être responsables de la propreté et de
712 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
la nocuité des locaux qui servent aux autopsies et aux
travaux anatomiques.
Nous avons déjà décrit les comburateurs à couronnes
de gaz proposés par M. Wœstyn, pour détruire par le feu l'air
expulsé des salles de malades. C'est un appareil de ce genre
que semble avoir projeté un des ingénieurs de l'Assistance
publique, pour désinfecter l'amphithéâtre de l'hôpital Té-
non; on sait que dans cet hôpital, l'amphithéâtre est très
voisin du pavillon de la Maternité et est une menace con-
tinuelle pour ce service. L'architecte a proposé de con-
struire au-dessus de la salle d'autopsie une large chemi-
née béante dans laquelle brûleraient des couronnes de
gaz ; on obtiendrait ainsi un appel très puissant qui puri-
fierait par le feu et incessamment tout l'air qui aurait pé-
nétré dans la salle par les ouvertures inférieures. L'appa-
reil coûterait, dit-on, 3,000 francs de première installa-
tion, et nécessiterait une consommation annuelle de gaz
coûtant 10,000 francs environ. Le chiffre nous paraît ex-
cessif ; il serait sans doute facile d'établir dans cette che-
minée un écran en toile métallique chauffée à -j- 150° par
des becs de gaz, et qui flamberait l'air traversant cette
cheminée; au premier abord, 10 becs de gaz pourraient
suffire, ils coûteraient 3,000 francs par an, et la chaleur
ou la lumière produites pourraient être utilisées. Quoi
qu'il en soit, c'est une ressource extrême, à laquelle on ne
pourra recourir que dans des conditions tout à fait ex-
ceptionnelles.
La désinfection peut être obtenue par d'autres moyens,
et surtout par un ensemble de précautions et de soins
journaliers. Ici encore, il faut prévenir l'infection non
moins que la détruire.
1° Le sol des salles de dissection, des locaux de macéra-
tion, etc., doit être absolument imperméable; les pavés
ou les dalles en pierre dure exactement jointoyés en ci-
ment, ou encore les couches continues de ciment, sont pré-
3I0RGUES, AMPHITHÉATRi:S, ABATTOIRS. 713
férables à tout autre enduit; l'asphalte se fendille, se dé-
prime, s'imprègne. Les pentes doivent être ménagées de
telle sorte que des lavages à grande eau puissent se faire
fréquemment, rapidement, sans occasionner de stagnation.
Ces lavages peuvent être faits avec la solution de chlorure
de zinc à o p. 100 qui n'altère que très peu les métaux.
A l'Institut anatomique de Leipzig, M. Wurtz (1) a
trouvé dans la salle de dissection des planchers en chêne
verni, et M. le professeur His, directeur de l'Institut, se
louait beaucoup de cette disposition qui donne à la salle un
air de propreté et aux élèves l'habitude de travailler avec
soin. On ne tolère ni liquides répandus, ni débris aban-
donnés sur le sol ; c'est la propreté sèche, et nous avons
dit plus haut à quel point nous y avons confiance. Il va
de soi qu'on doit chaque jour passer un linge humide sur
le plancher pour en enlever les taches et les poussières.
2° Les tables doivent être en matière complètement im-
perméable ; celles en marbre, en verre, en porcelaine,
sont excellentes ; elles seront légèrement déprimées vers
les parties centrales, et mobiles sur un support métallique
creux, contenant un tuyau en communication avec l'égout;
ce tuyau doit être muni d'un ob.turateur hydraulique, si-
phoïde, hermétique. L'eau sera fournie en abondance; au-
dessus de chaque table doivent être disposés plusieurs
tuyaux fixes, à ajutage mobile permettant d'entraîner im-
médiatement au moyen d'un jet les liquides infects rete-
nus dans les cavités splanchniques ou sur la table d'au-
topsie ;
3° Les canaux d'écoulement de l'eau au dehors ne doi-
vent jamais être ouverts à l'air libre ; ils seront à parois
circulaires, complètes, de large dimension, pour ne pas
être obstrués par les débris ; il est nécessaire qu'ils soient
munis comme les bouches d'égout, d'une large cuvette
(1) Wurtz, Deuxième rapport sur les hautes études pratiques des Uni-
versités d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie. Paris, Masson, 1882, p. IH.
714 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
siphoïde (Égouts), pour éviter leur obstruction et pour
empêcher le reflux des gaz de l'intérieur de l'égout cen-
tral. Les eaux venant de l'amphithéâtre ou des cuves de
macération ne doivent dans aucun cas s'écouler sur la voie
publique ou dans un faible cours d'eau.
A l'Institut anatomique de Leipzig, les eaux de lavage
des tables et des salles de dissection aboutissent, à l'aide
de tuyaux fermés, dans une série de cuves ou récipients
disposés dans le sous-sol et remplis par avance de mélan-
ges désinfectants ; tous ces liquides se réunissent dans un
grand bassin collecteur situé à l'embouchure de ces con-
duits dans les égouts de la ville, de sorte que ces égouts
ne reçoivent de l'amphithéâtre que des liquides déjà dé-
sinfectés (1).
4° Les baquets à macération sont d'ordinaire une puis-
sante cause d'infection ; il y a là des habitudes déplora-
bles à réformer : on accumule et on oublie des pièces inu-
tiles, on abandonne à la putréfaction des membres volu-
mineux recouverts de tous leurs tissus mous ; l'anatomiste
oublie trop souvent que tout médecin a des devoirs à rem-
plir envers l'hygiène publique, sinon envers l'hygiène in-
dividuelle. Les macérations en bloc devraient être sus-
pendues pendant les chaleurs de l'été, surtout dans un
hôpital. L'eau doit être courante dans les bassins de ma-
cération, et ce renouvellement continu peut se faire avec
assez de lenteur pour ne pas entraîner une consommation
d'eau excessive ; les pièces doivent être maintenues sub-
mergées dans toutes leurs parties par des poids ou des
pièces de bois ; les parties molles seront préalablement en-
levées ; des perforations dans le tissu spongieux permet-
tront les lavages hydrotomiques à forte pression dans l'in-
térieur des os. En pareil cas, le meilleur désinfectant est
l'eau en excès et constamment renouvelée. Dans les cours
(l) Wurlz, loco citato, p. 109, planche XIII.
MORGUES, AMPHITHÉÂTRES, ABATTOIRS. 715
à macération, la propreté doit être extrême ; les débris de
lissiis y sont trop souvent abandonnés et oublies ; des
grilles à barreaux très serrés doivent empêcher leur en-
traînement à l'égout.
A l'Institut anatomique de Gratz (1), on a construit des
appareils spéciaux servant d'une part à la macération des
os, d'autre part à leur dégraissement. Les premiers con-
sistent en une série de cuves, hermétiquement closes,
dans lesquelles les parties de cadavre sont constamment
lavées par un courant d'eau chaude provenant d'une chau-
dière à vapeur; cette eau se dirige immédiatement dans
l'égout; des tuyaux partant du sommet de la cuve dirigent
les gaz putrides sous les foyers des chaudières ; sous l'in-
fluence de ce courant d'eau chaude incessamment renou-
velé, la macération est achevée en trois jours.
Pour obtenir le dégraissement des os, ceux-ci sont in-
troduits dans un réservoir hermétiquement clos, dans le-
quel on dirige des vapeurs de benzine qui s'y condensent.
La benzine condensée et chargée de graisse reflue dans
l'appareil distillatoire où elle reprend la forme de vapeur
et où elle abandonne la matière grasse. Ces opérations se
font absolument sans odeur.
5° Les cadavres ne sont presque jamais une source d'in-
fection dans les vingt-quatre heures qui suivent le décès.
Mais l'autopsie est parfois retardée d'un ou de deux jours
dans certains hôpitaux, et les cadavres commencent à se
putréfier, dans la saison chaude, avant d'avoir servi en
quoi que ce soit à l'instruction. Après toute autopsie, les
parois des cavités ouvertes, les parties dénudées pourraient
être badigeonnées avec une solution concentrée (à S
pour 100) de chlorure de zinc ; un simple lavage à l'eau
froide suffirait ensuite à laver les parties servant ultérieu-
rement aux dissections. Les cadavres destinés aux travaux
(1) Wurtz, loco citato, p. 109.
716 DESINFECTION MUNICIPALE.
anatomiques proprement dits devraient toujours être in-
jectés, par une grosse artère, avec une solution de chlo-
rure de zinc à 40° Baume (procédé Sucquet), de sulfite
neutre de soude à 20°, de biborate d'ammoniaque., ou par un
mélange d'alcool, de glycérine et de phénol, etc(l). Mais
cette injection devrait avoir lieu dans les vingt-quatre heu-
res qui suivent l'arrivée du corps à l'amphithéâtre, et non
pas lorsque la putréfaction est déjà commencée, comme il
arrive trop souvent. A l'Institut anatomique de Leipzig, la
ressource principale pour les dissections est fournie par les
cadavres des suicidés qui y sont envoyés par les chemins
de fer, de toutes les parties da royaume de Saxe. Pour ne
pas perdre ceux qui arrivent pendant les vacances et en
général pendant Tété où les travaux anatomiques chôment,
on les conserve dans de grandes caisses remplies d'alcool
et placées dans le sous-sol. Mais le dégagement de l'alcool
n'est pas sans inconvénient pour les étudiants qui restent
une partie de la journée penchés sur leurs dissections.
Dans beaucoup d'universités allemandes, il existe des
glacières où l'on porte les cadavres, ou plutôt au-dessus des-
quelles se trouvent des chambres à air froid dans les-
quelles les corps sont conservés à une température voi-
sine de 0. A l'Institut de Gratz, on avait naguère ménagé
dans le sous-sol des logettes assez analogues aux cases
des cimetières de Pise, de Milan, de Gènes ; les parois
doubles de ces cases étaient remplies de glace, et les
cadavres étaient introduits par une des petites extrémités
dans ces cercueils glacés : on y portait même pendant la
nuit les corps à demi-disséqués qui devaient servir aux
travaux du lendemain. Mais ces espaces froids, où l'air ne
circule pas, étaient dévorés par la rouille et les moisis-
(1) L'ordonnance du 31 octobre 1846 dcSfend l'emploi de l'arsenic pour
l'embaumeuaent et la conservation des corps. Cette prescription n'est pas
appliquée dans les amphithéâtres de dissection, à la Faculté de Paris, où
l'on emploie depuis plusieurs années avec succès une injection conser-
yatrice contenant une énorme quantité d'acide arscnieux.
MORGUES, AMPHITHEATRES, ABATTOIRS. 717
sures ; on y a renoncé, et l'on s'en tient à l'injection
préalable des cadavres avec des liquides antiseptiques. Il
serait bien préférable d'y faire le froid au moyen de ser-
pentins où circulerait une solution incongelable de chlorure
de calcium, refroidie à — 20° par le gaz ammoniac liquéfié
sous sa propre pression, comme dans l'appareil Carré,
Mignon-Rouart qui fonctionne à la morgue de Paris. En
tout cas, nous pensons qu'il serait facile de faire dispa-
raître cette humidité, le fléau des locaux artificiellement
refroidis, en suspendant dans la cellule des linges imbi-
bés d'une solution saturée de chlorure de calcium, et en pla-
çant au-dessous une rigole ou des vases destinés à recueillir
l'eau d'écoulement. La sécheresse extrême de l'air contri-
buerait beaucoup pour sa part à retarder la putréfaction
des corps.
Les cadavres soumis aux dissections sur les tables pour-
raient, dans l'intervalle des heures de travail, être toujours
recouverts d'une sorte de couvercle métallique ou en bois,
en forme de cercueil renversé ; ce serait une défense con-
tre les mouches et les odieux rongeurs, et un moyen d'em-
pêcher la dissémination des miasmes ; il serait aisé de
répandre sur la table ou sur les parties non dénudées du
cadavre quelques poignées de sciure de bois imprégnée
de chlorure de zinc, d'acide phénique ou de chlorure de
chaux. Il n'en résulterait aucun dégât pour les prépara-
tions commencées ou achevées, et l'hygiène de l'amphi-
théâtre y gagnerait certainement.
6° La désinfection ne peut être obtenue qu'à la condition
de réunir incessamment les débris les plus fins venant
des dissections, dans des baquets remphs d'une solution
forte de chlorure de zinc ou de chaux (1 à 10 pour 100).
11 faut empêcher, à l'aide de grilles à barreaux rapprochés,
ces débris d'être entraînés par les eaux de lavage ; ils doi-
vent être inhumés avec le cadavre ; c'est à ce prix qu'on
évite l'obstruction des canaux, l'infection des locaux et
718 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
plus tard celle des égouts de la ville. A Leipzig, le profes-
seur Fr. Hoffmann a constaté qu'à Tlnstitut pathologique,
on consomme pour chaque cadavre 30 à 40 litres d'eau
qui entraînent 74 grammes de matériaux solides, soit
23 kilogrammes par an pour 300 cadavres. En un an, un
seul homme évacue un poids 3 fois plus grand de matières
fécales solides (1). Nous ne comprenons pas comment il
est possible de n'emprunter à un cadavre qu'on dissèque
ou qu'on autopsie que 14 grammes de matière organique :
le sang, le pus, la matière intestinale dépassent de beau-
coup et inévitablement ce chiffre ; il doit y avoir là une
erreur matérielle. En tout cas, le précepte est bon ; les dé-
bris solides doivent être retenus, désinfectés, et placés
dans le cercueil.
M. le professeur Tréîat a récemment proposé de dé-
truire par le feu tous les débris informes, et trop souvent
putréfiés, provenant des salles de dissection. Un petit
appareil crématoire aurait été installé à cet effet dans une
des dépendances de l'Ecole pratique, et l'on eût fait de la
sorte une opération de crémation qui eût concilié, beau-
coup plus que les procédés actuels, le respect qu'on doit
aux débris humains et les exigences de l'hygiène publi-
que. L'une des causes principales d'infection dans l'am-
phithéâtre de dissection est l'accumulation de ces restes
innomés et impersonnels; leur transport n'a lieu que tar-
divement, à intervalles éloignés, alors souvent que la pu-
tréfaction est avancée. L'on ne comprend guère qu'on
n'applique pas à ces débris, avec plus de rigueur encore
qu'aux cadavres complets, les prescriptions de pohce con-
cernant les inhumations ; le cercueil devrait toujours con-
tenir une quantité suffisante de tan ou de sciure de bois
rendue absorbante et désinfectante par des sels métalli-
ques ou de l'acide phénique.
(1) Wurtz, Deuxième rapport sur les Universités d'Allemagne, 1882,
p. 109.
MORGUES, AMPHITHÉÂTRES, ABATTOIRS. 719
T Dès que rôdeur devient, fétide dans une salle de dis-
section, il faut, quand le travail est terminé et que la salle
est devenue libre, projeter dans l'air, contre les murailles
et toutes les surfaces exposées, un nuage de poussière à
l'aide d'un liquide désinfectant ; il existe aujourd'hui dans
le commerce de volumineux et solides appareils pulvéri-
sateurs, semblables à des pompes de jardin, et servant
journellement à laver les feuilles des arbustes dans les
serres. Ils conviennent parfaitement pour cet usage,
La solution d'acide pliénique, de chlorure de zinc à 5
pour 100, celle de permanganate de potasse àl pour 500,
le vinaigre antiseptique de Pennés étendu d'eau, peuvent
être employés avec avantage sous cette forme. L'on ob-
tiendra aussi un bon effet des vapeurs d'éther azoteux,
d'après le procédé indiqué par M. Peyrusson (p. 207),
en laissant dans la salle pendant la nuit un certain nombre
d'assiettes remphes du mélange d'alcool et d'acide azotique.
Les murs doivent être imperméables, dans toute leur
hauteur ; il est désirable qu'ils soient garnis de marbre ou
de faïence jusqu'à la hauteur d'un mètre cinquante au-
dessus du sol, comme dans les salles de dissection de l'école
du Val-de-Grâce ; la partie supérieure peut étrestuquée ou
simplement peinte à l'huile au sulfure de zinc ; les lavages
à l'éponge de ces murailles auront lieu au moins chaque
semaine et contribueront beaucoup à faire disparaître l'o-
deur fade que dégagent les amphithéâtres, même en l'ab-
sence de cadavres. Il serait même nécessaire de temps en
temps, une fois par mois, surtout pendant la saison chaude,
de faire des fumigations de soufre dans les salles closes, au
commencement de la nuit ; en faisant brûler 15 à 30
grammes de fleur de soufre par mètre cube, la dépense
serait minime ; la main d'œuvre est nulle, la détérioration
des objets métahiques peut être bien réduite.
Mais on peut obtenir une désinfection plus sérieuse en-
core à l'aide de l'acide sulfonitreux, ou des cristaux de
720 DESINFECTION MUNICIPALE.
sulfate de nitrosyle, suivant la méthode préconisée par
MM.Ch. Girard etPabst.
Au fond d'une grande terrine en terre vernissée ou
mieux en porcelaine, on place le soir un bocal en verre,
à très large ouverture, contenant 500 grammes d'acide
nitro-sulfurique liquide. Cet acide coûte 20 francs les
100 kilogrammes, et contient en dissolution 5 à 10 0/0
de sulfate de nitrosyle (cristaux des chambres de plomb) ;
on pourrait également employer ces cristaux qui coû-
tent de 2 à 12 fr. le kilogramme, et dont il faudrait une
dose beaucoup moindre (100 à loO grammes pour une salle
de oOO mètres cubes). L'on place la cuve au-dessous d'un
robinet qui laisse l'eau couler dans le bocal goutte à goutte
ou par un très mince filet, de manière à remplir par dé-
bordement la terrine en 18 heures environ; l'afflux brus-
que d'une grande quantité d'eau pourrait causer des acci-
dents. A mesure que l'eau se mêle à l'acide sulfo-nitreux
ou au sulfate de nitrosyle, il se dégage des vapeurs ruti-
lantes d'acide azoteux et d'acide hypoazotique(2o0 litres de
gaz environ par 100 grammes de cristaux) et le liquide prend
une couleur verte, indice de la présence de l'acide nitreux.
Ces vapeurs sont beaucoup moins suffocantes que celles
de l'acide hypoazotique, et leur présence en petite quantité
dans une chambre est bien loin de causer la gène et l'irri-
tation que produisent les vapeurs rutilantes de l'hypoazo-
tide. L'année dernière, au laboratoire municipal d'hygiène^
MM. Girard et Pabst ont décomposé par l'eau 2o0 gram-
mes de sulfate de nitrosyle ; ils ont désinfecté de la sorte, en
48 heures, les laboratoires du sous-sol qui avaient été
infectés par des opérations de vidange; des lapins, conser-
vés dans ces salles cubant environ 1,000 mètres, n'ont
nullement souffert de ce dégagement de gaz. A l'amphi-
théâtre du Yal-de-Grâce, des cobayes et des lapins furent
trouvés bien portants le matin, dans une salle de 250
mètres cubes, bien fermée, où la veille au soir nous avions
MORGUES, AMPHITHEATRES, ARATTOIRS. Ti'l
placé sous un filet d'eau un vase contenant 100 grammes
de cristaux d'acide sulfo-nitreux.
Toutefois, il est indispensable que l'opération se fasse
alors que la salle a éié complètement évacuée; il n'y faut
entrer que le lendemain matin. Les vapeurs se sont alors
dissipées par les fissures des portes ou en se dissolvant
dans la vapeur d'eau condensée sur les murailles. La mince
couche de matières organiques qui recouvre celles-ci a été
détruite par l'action puissante de l'acide azoteux, toute
odeur a disparu, tous les germes ont péri. Les métaux
sont assez fortement altérés, sans doute par la formation
d'une petite quantité d'acide nitrique ; mais on prévient
presque complètement cette altération en frottant légè-
rement les surfaces métalliques avec du pétrole.
Avant d'ouvrir les fenêtres et les portes, on jette sur le
sol, sur les dalles souillées, le contenu de la terrine qui
tient encore en dissolution une petite quantité d'acide ni-
treux, et l'on ne ventile définitivement qu'au bout d'une
heure. La désinfection est radicale; aucune mauvaise odeur
ne résiste à cette opération, qui ne doit être renouvelée
qu'à de rares intervalles, tous les huit jours par exemple.
8. Les voitures qui servent au transport des cadavres
sont le plus souvent une cause insupportable d'infection,
non seulement dans les lieux de remisage, mais dans les
rues qu'elles traversent : elles laissent derrière elles
en été des odeurs révélatrices, des miasmes dangereux.
On y entasse des cadavres déjà putréfiés que l'on a
conservés trop longtemps dans les hôpitaux, et qu'on
transporte aux amphithéâtres de dissection, à Paris, alors
que leur degré avancé de décomposition devrait les faire
conduire directement au cimetière. M. Landrieux (1) a in-
sisté sur le danger que causent de la sorte les cadavres des
varioleux dont l'inhumation retardée compromet la salu-
(1) Landrieux, Du transport des corps des varioleux, décédés dans les
hjpitaux [Progrès médical, 11 juin 1S81, p. 478).
Vallin. — Désinfectants. 4j
7i2 DESINFECTION MUNICIPALE.
brité de l'hôpital et des quartiers populeux qu'ils traversent
dans des voitures mal fermées. Il demande l'inhumation
immédiate (au bout de 48 heures), dans le cimetière le plus
rapproché du lieu du décès.
Sans doute il vaut mieux prévenir l'infection que de la
combattre quand elle existe ; mais certains moyens nous
paraissent capables de désinfecter ces voitures et de faire
disparaître les odeurs qui s'en dégagent pendant qu'on les
décharge. Chaque corps pourrait être enveloppé dans une
serpillière humectée avec une solution forte de chlorure de
zinc, de sulfate de fer ou mieux de zinc (5 à 10 pour 100)
additionnée ou non d'acide phénique ; les parois du véhi-
cule, garnies de lames métalliques, seraient chaque jour
lavées avec le même liquide. Il serait facile d'y installer
à demeure l'un de ces appareils à dégagement d'acide azo-
teux dont la Préfecture de police se sert aujourd'hui pour
désinfecter les voitures destinées au transport des malades
contagieux dansles hôpitaux (voy. p. 523). La pulvérisation
d'une solution d'acide sulfureux ou d'acide sulfureux an-
hydre, recommandée par M. Fatio de Genève (voy. p. 524),
pourrait encore être faite quelques instants avant le déchar-
gement. Nous nous sommes assuré que la pulvérisation,
à l'aide d'un gros soufflet ad hoc. de la solution concen-
trée (à 5 p. 100) de chlorure de zinc (eau de Saint-
Luc) faisait en quelques minutes disparaître l'odeur de ces
voitures pendant l'été. L'appareil pulvérisateur peut être
fixé dans l'intérieur du véhicule et actionné à l'extérieur
sans ouvrir celui-ci.
Abattoirs. — La désinfection des abattoirs s'obtient
par les méthodes et les procédés généraux que nous avons
indiqués pour les voiries : elle résulte aussi de l'applica-
tion rigoureuse des prescriptions imposées par les règle-
ments de police, et qui sont trop souvent négligées. Nous
nous bornerons à résumer ici les obligations contenues
MORGUES, AMPHITHÉATIIES, ABATTOIRS. 723
dans l'ordonnance royale du 19 mai 1839, dans celles
du Préfet de police du 12 avril 1841, du 29 avril 182o,
etc.
Le s:iug des aiiiaiaiix abaltus ne doit pas être répandu dans la cour de
travail, ni couler aux cgoiUs; il doit être rerueilli dans des baquets ou
emporlé dans desfutaillei fermées. — Les abals, panses, résidus de tri-
perie seront enlevés tous les jours ou désinfectés avec de la poudre dé-
sinfeclanle et ne doivent jam.iis séjourner dans les cours. — Il est défen-
du de laisser séjourner dans les échaudoirs des suifs, graisses, iniîslins,
cuirs et peaux en vert, etc. — Les fumiers doivent être enlevés au moins
toutes les semaines. — Les bouchers et charcutiers, quand ils en sont
requis par le maire ou par les agents de l'autorité, devront faire gratter
les mûri iatériears ou extérieu" des échaudoirs, ainsi que les portes.
Pour prévenir la putréfaction du sang provenant des
abattoirs, on recueille souvent le sang dans des vases plats
où il se coagule : les caillots subissent l'égouttage sur
des toiles métalliques, puis sont soumis à la presse et
transformés en tourteaux secs qui se putréfient très len-
tement. On hâte très souvent la coagulation par l'action
d'acide sulfurique ; Boussingault et Boudet (1), au Conseil
d'hygiène de Paris en 1874, ont constaté l'efficacité de
l'addition à 100 kilogrammes de sang, du mélange sui-
vant :
Sulfite de soude cristallisé .... 0\, 600
Acide phénique brut loO
Vinaigre ordinaire 150
Acide sulfurique 025
Eau 2k, 500
3k, 425
Le sang se conserve pendant quinze jours au moins. Si
au bout de ce temps il prend une légère odeur urineuse,
on y ajoute loO centimètres cubes de bisulfite de soude
acidifié par l'acide acétique.
On peut encore recourir au procédé suivant, qui permet
(1) Rapport sur les travaux du Conseil d'hi/giène de la Seine, de 1872
à 1877, p. 473.
724 DESINFECTION MUNICIPALE.
un dessèchement plus complet et plus rapide. A 100 kilo-
grammes de sang coagulé par l'acide sulfurique, on ajoute :
Eau 250 litres, sulfate de fer 350 grammes, hypochlorite de soude à
1-47° 5S0 grammes; on ajoute au mélange 500 grammes de chaux éteinte;
on égoulte, on soumet le dépôt à l'essorage et on le sèche à l'air libre.
Le sang desséché ne retient que 15 à 20 p. 100 d'eau;
il peut être transporté au loin sans cesser d'être imputres-
cible.
Sans doute les arrosages avec la solution de sulfate ou
de pyrolignite de fer (100 grammes à 500 grammes par
10 litres) la projection de la vapeur des chaudières (1) sur les
parois des murailles, des tables, des bassins imprégnés de
liquides en fermentation, sont des moyens sérieux de dé-
sinfection ; mais ici encore rien ne vaut la propreté, la
bonne disposition des constructions, du sol, des égouts,
l'abondance de l'eau, la fréquence des lavages et l'exécution
des mesures préventives d'hygiène imposées par les
rèsrlements.
ART. V. — INHUMATIONS, EXHUMATIONS, CIMETIÈRES.
Lors du projet du cimetière de Méry-sur-Oise, l'admi-
nistration de la Seine dut se préoccuper des inconvénients
que pourrait avoir le transport à 25 kilomètres de Paris,
de cercueils exposés à des chocs violents en chemin de
fer, pendant les chaleurs de l'été. Le Conseil d'hygiène de
la Seine fut consulté sur les mesures à prendre pour pré-
venir l'infection provenant des cercueils, et sur les mix-
tures désinfectantes qu'on pouvait employer. Le rapport
(I) Voir l'excellent Rapport de M. Dominé, Sur l'abattoir de Laoïi,
lïupport général sur les travaux des Conseils d'hygiène du département
de l'Aisne pour l'année 1879; Paris, 1881, p. 21.
CIMETIÈRES. 723
de Devcrgie (10 juillet 1868 et 3 janvier 1869) contient
des renseignements et des conseils très utiles.
On a proposé d'envelopper les corps de suaires carboni-
fères, dans lesquels le charbon est associé intimement à
de la carde de coton ; ce suaire, destiné à absorber les gaz
et les liquides putrides, est coûteux et ne donne pas une sé-
curité complète, mais peut rendre de grands services pour
l'ensevelissement des corps que l'on conserve dans le lit
pendant 1 ou 2 jours, en été.
C'est ici le lieu de rappeler le procédé d'inhumation pro-
posé au congrès de Bruxelles, de 1876, par le D"" Horne-
mann (1) de Copenhague, lequel ensevelissait le corps au
milieu d'une couche épaisse de poudre de charbon pilé,
disposée d'une façon ingénieuse. Le procédé doit être très effi-
cace, au moins pendant un certain nombre de jours; c'est
assurément le meilleur moyen de désinfecter un corps dont
l'inhumation est retardée (voy. p. 38).
En 1866, au Comité consultatif d'hygiène, M. Dumas
avait proposé de placer dans la bière, autour du corps de
tous les cholériques, du chlorure de chaux et de la sciure de
bois imprégnée d'acide phénique impur du commerce. Le
mélange se composait ainsi : sciure de bois, 1 hectolitre pe-
sant 16 kilogrammes, arrosée et mêlée pendant 10 minutes
avec 1 à 4 kilogrammes, suivant la saison, d'acide impur
fourni par la Compagnie du gaz au prix de 1 fr. 50 c. le ki-
logramme. On peut remplacer cette mixture par 25 kilo-
grammes desciure, et 20 pour 100 de son poids de goudron
desséché provenant de la distillation du bois et extrait de
résidus sans emploi et de peu de valeur vénale.
On a proposé une mixture où la sciure de bois était mé-
langée à un tiers de son poids de sulfate de zinc ; la désin-
fection se fait bien, mais le sulfate de zinc du commerce
provient d'ordinaire du grillage de la blende, qui est souvent
(1) Du Mcsiii], ^exposition et le congrès d'hygiène de Bruxelles en 1876
[Annales d'hygiène et de médecine légale, 1877, t. 47, p. 51).
726 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
arsenicale, et l'on s'expose à contrevenir à l'Ordonnance du.
29 octobre 1846 qui interdit l'emploi de l'arsenic pour
l'embaumement des corps. Le mélange de poudre de char-
bon, de sciure de bois et de plâtre peut aussi rendre des
services et est économique. Dans tous les cas, le corps
doit reposer sur une couche de poudre ayant au moins
6 centimètres d'épaisseur.
L'on a préconisé un grand nombre de modèles de cercueils
désinfectants ou imperméables, fabriqués les uns avecdu bois
imprégné d'acide phénique, les autres garnis à l'intérieur
de carton goudronné, d'un enduit pâteux formé de résine
colophane, de craie, de gutta-percha, de caoutchouc, d'huile
de colza. Ces cercueils peuvent donner une sécurité trom-
peuse : dans les cas ordinaires, la couche épaisse de sciure
de boisphéniquée retient suffisamment lesgazetles liquides
qui pourraient s'échapper ; dans le cas de transport au
loin, de putréfaction avancée, le doublement intérieur du
cercueil par une caisse herm.étique en plomb ou en fer-
blanc exactement soudée, donne seul une garantie cerlaine
contre le danger des gaz putrides ; dans certains cas
même, on a vu la bière se rompre et le cercueil métal-
lique prendre une forme cylindrique sous l'effort des gaz.
Nous avons déjà di: qu'en cas de décès par suite d'une
maladie contagieuse, il était nécessaire d'ensevelir le corps
dans un drap imbibé d'une solution de chlorure de zinc
à 10 pour 100 (soit 200 grammes pour 2 litres); 17 kilo-
grammes de sciure de bois et 4 kilogrammes d'acide phé-
nique impur doivent être en même temps placés dans le
cercueil, au-dessous et autour du corps.
Le transport des corps hors du ressort de la Préfecture de la
Seine ne peut avoir lieu que dans un cercueil de chêne de
27 millimètres d'épaisseur, et si la distance excède 200 kilo-
mètres, dans un cercueil de plomb en feuilles laminées
de 2 miUimètres au moins et solidement soudées. Le fond
du cercueil contenant le corps doit être rempli par une
CIMETIÈRES. 7i7
couche deO centimètres d'un mélange pulvérulent composé
de 1 partie de poudre de tan et de 2 parties de charbon pulvé-
rise. Cette mixture peut être remplacée par de la sciure de bois
et du sulfate de fer ou de zinc.
Les cimetières laissent parfois dégager des odeurs infec-
tes qui provoquent les protestations des habitants du voisi-
nage. Le plus souvent l'enquête montre que les inhumations
dans la fosse commune ont été mal faites, que les corps n'é-
taient pas recouverts d'une couche de terre d'au moins un
mètre, etc. En pareil cas, le déplacement des corps décompo-
sés ne ferait qu'augmenter le mal ; il faut asperger le sol
avec des solutions fortes de chlorure de chaux, de sulfate
de zinc ou de fer (au dixième), et élever un tumulus au-
dessus de la tranchée, de manière à porter à 1 mètre au
moins la couche de terre poreuse destinée à absorber les
miasmes.
L'on a proposé le drainage pour assainir et désinfecter
les cimetières humides ; c'est en effet un moyen d'activer
la circulation de l'air et de l'eau dans un sol chargé de
matières organiques. On a drainé de la sorte un grand
nombre de cimetières en Angleterre et dans notre pays :
au cimetière de Versailles, les drains ont été placés à
2"\20 de profondeur sur un fond d'argile imperméable, et
à 14 mètres les uns des autres. En 1862, on draina égale-
ment le cimetière de la Chartreuse, à Bordeaux, à 4 mètres
de profondeur.
Quand le sol est humide, le bénéfice est grand, mais il
faut se débarrasser des eaux d'infiltration, qui ont souvent
au sortir des drains, dans ces conditions, une odeur into-
lérable. A Bordeaux, ces eaux traversent une chambre
épuratrice ou filtrante; c'est une galerie en maçonnerie
étanche, remplie de gravier, à laquelle aboutissent les
collecteurs percés de trous ; l'eau se filtre de bas en haut,
et après s'être ainsi décantée remonte pour s'écouler défi-
nitivement par un orifice ménagé à la partie supérieure
7i8 DESINFECTION MUNICIPALE.
de Fépuraleur (1). Il n'est pas douteux qu'une tulle épura-
tion des eaux de drainage est bien incomplète ; il faut la
compléter par le traitement chimique et le déversement à
la surface des prairies gazonnées. Les inconvénients et
les difficultés sont tels, qu'il semblera presque toujours
préférable de renoncer à un emplacement si mal choisi.
Le gazonnement, le drainage, le creusement de puits
absorbants à travers les couches superficielles de glaise, la
suppression temporaire ou définitive des inhumations, sont
autant de mesures qui concourent activement à la désinfec-
tion des cimetières et qu'il suffit d'énumérer.
Exhumatmis. — '■ Lorsqu'on doit ouvrir un caveau afin
d'en retirer un corps en voie de décomposition, l'opération
dudescellement de la pierre qui ferme la loge peut être déjà
une opération dangereuse, surtout quand le caveau est très
profond. Il est nécessaire de lever plusieurs heures d'avance
le marbre ou la dalle extérieure qui couvre la tombe ou le
monument ; on peut projeter sur toute la hauteur des pa-
rois et sur la dalle inférieure une pluie très abondante de
lait de chaux ou de chlorure de chaux ; il est désirable
que ce liquide épais, en suivant les parois verticales, des-
cende jusqu'à l'intérieur de la cellule d'où le corps doit
être extrait. Quand la pierre est descellée, on établit une
ventilation plus large encore avant que les hommes conti-
nuent le travail d'extraction du cercueil ou des débris.
Guérard a conseillé de faire jouer avide une pompe à incendie
pour expulser les gaz délétères ; on y peut installer une
manche à air dont l'entonnoir laisse s'engouffrer le vent.
Il nous semble que tous les cimetières devraient être
munis à cet effet d'un fourneau à main, surmonté d'un
court tuyau de tirage, et dont la partie inférieure s'ajus-
terait exactement à l'extrémité supérieure d'un tuyau en
(1) De Freycinet, Traité de l' assainissement des villes, p. 394.
CIMETIÈRES. 729
tôle, forma de rallonges emboîtées les unes dans les autres
comme les tuyaux de nos poêles : ce tube serait descendu
au fond du caveau, et en très peu de temps le tirage
exercé par un feu de braise aurait renouvelé et brûlé les gaz
stagnant dans les parties profondes. En tout cas, les tra-
vailleurs ne descendront dans le caveau qu'après s'être
assurés qu'une bougie allumée y brûle comme à l'air libre ;
ils seront toujours attachés à l'aide de bricoles.
Si le caveau contient des eaux très corrompues, on
pourra les désinfecter par la projection d'une certaine
quantité de chlorure de zinc (500 grammes de sel par mètre
cube d'eau) ; l'épuisement par les pompes pourra se faire
2 ou 3 heures après cette projection.
Si l'exhumation a lieu dans une fosse creusée à la sur-
face du sol, il est nécessaire d'arroser les couches de terre
voisines de la fosse d'une solution concentrée de sulfate de
fer, de chlorure de zinc, de chlorure de chaux, ou d'acide
phéniqae, à moins que les exigences d'une analyse médico-
légale ne permettent pas de mêler des substances chi-
miques à la terre qui entoure le cercueil.
Dans certains cas, on assainit le sol en faisant brûler
de la paille à la surface de la tranchée ; on détermine de
la sorte un courant d'air qui entraîne les gaz retenus dans
les couches profondes.
Au moment de l'ouverture du cercueil, l'odeur cause
parfois des accidents ou un malaise extrême. En pulvé-
risant avec un fort soufflet muni d'un réservoir ad hoc
une solution très concentrée de chlorure de zinc (à 50 ou
10 pour 100), on la fait presque instantanément disparaître.
La poudre de charbon rend dans ces cas les plus grands
services ; on en répand une couche de plusieurs centi-
mètres dans la bière ouverte, et les gaz sont rapidement
absorbés ; malheureusement elle est très salissante et
gène beaucoup dans les autopsies judiciaires. C'est pro-
bablement à sa qualité de poudre sèche, absorbante, à
-30 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
demi-carbonisée, que le café torréfié en poudre doit l'ac-
tion désinfectante très efficace qu'on lui a attribuée ré-
cemment dans ces conditions (1). Letheby dit que dans
beaucoup de cimetières de Londres on verse une couche
de charbon de 4 à 5 centimètres sur les fosses à demi
comblées, afin d'arrêter au passage les gaz putrides qui
pourraient se dégager. Lors de l'exhumation des vic-
times de la guerre allemande près de Nancy, Tourdes {^)
a conseillé de placer au fond des caisses ou des cer-
cueils destinés à emporter les débris, une poudre absor-
bante préparée avec un hectolitre de sciure de bois et
25 litres de braise de boulanger broyée. Il recom-
mande de brûler sur place, après l'exhumation, les plan-
ches, débris de cercueils, de vêtements et autres objets
qui accompagnent le corps et sont parfois une cause per-
sistante d'infection. On versera de la poussière de coke
dans les fosses avant de les refermer, on pratiquera l'éco-
buage au niveau des fosses remuées, et l'on fera sur ces
terrains des semis d'herbages à croissance'rapide, luzerne,
ray-grass, etc.
En 1861, lors du déplacement du cimetière de Borger-
hout, motivé par les travaux des nouvelles fortifications
d'Anvers, le Conseil supérieur d'hygiène publique de Bel-
gique a rédigé, le 17 juin 1861, des instructions très
sages qui ont permis de terminer cette opération sans
accidents sérieux. Chaque soir les habits laissés par les
travailleurs étaient désinfectés par le chlore dans une
baraque en planche, construite à cet effet. A mesure qu'on
déblayait le sol et qu'on arrivait au voisinage des corps, on
répandait une solution de chlorure de chaux à 2 ou 4
(1) Barbier, Action désinfectante de la poudre de café torréfié [France
médicale, 18 février 1882, p. 250).
(2) Tourdes, Exhumation des victimes de la guerre franco-allemande .
Travaux des conseils d'hygiène de Meurthe-et-Moselle pendant les années
1873-1877).
CIMIÎTII^HKS. -Hl
p. 100, OU, quand le sol était d/Jà Imniide, du chlorure de
chaux sec en poudre. Pour transpoi-ter les bières encore
entières dans le cimetière voisin, on les entourait d'une
serpillière imbibée de désinfectant. Les terres de déblaie-
ment étaient portées dans un point éloigné, au voisinage
des fortifications, et exposées au grand air et à la pluie
qui devaient les désinfecter.
Gratiolet et Lemaire avaient proposéau Préfet de la Seine,
en 1869, d'injecter par les artères tous les cadavres, avant
l'inhumation, avec un mélange contenant une partie de coaltar
et trois parties d'huile lourde de houille ; l'intérieur de la
bière était enduit de coaltar.
Pendant cinq ans, la putréfaction eût été retardée; puis
au bout de ce temps on eût soumis les cadavres à la créma-
tion, rendue plus facile par ces substances antiputrides
qui sont en même temps très combustibles. Un homme
attaché à chaque mairie aurait été chargé de faire toutes ces
injections, les matières premières pour chaque embaume-
ment ne coûtant que 4o centimes. La répugnance qu'ins-
pirera toujours cette injection obligatoire, la nécessité
d'une exhumation au bout de Sans précédant la crémation,
ne pouvaient manquer de faire rejeter ce moyen singulier
de désinfection préventive des cimetières. La crémation
immédiate serait mieux acceptée que cette crémation
qu'on peut justement appeler posthume.
Nous craindrions de dépasser les limites de notre su-
jet en parlant ici de la crémation des corps : nous nous
contenterons de signaler ce moyen de prévenir l'infection,
et nous renvoyons aux travaux spéciaux sur cette question
d'actualité (1).
(1) De Freycinet, loco cit. p. -iOO. — E. Vallin, Une séance de crt'mc-
tion à Milan {Revue d'hygiène el'de police sa titaire, 18S0, p. 834, avec
figures).
732 DESINFECTION MUNICIPALE.
ART. VI. - DÉSINFECTION DES EGOUTS.
Les Anglais, et en particulier le General Boardof Health
de Londres, sous l'inspiration de son président, M. E. Chad-
wick, se sont efforcés depuis plus de 30 ans de faire pré-
valoir le principe de la circulation continue, comme base
de la désinfection des égouts. Les égouts doivent recevoir
tout ce que l'eau peut entraîner ; l'eau doit y être en assez
grande abondance pour que les matières n'y séjournent
jamais et soient emportées loin des villes ; les eaux vannes
doivent, avant de s'écouler dans les rivières, se purifier à
travers le sol en lui abandonnant les matières fertiles
qu'elles charrient. Pour que ces conditions soient remplies,
il faut que les égouts soient imperméables, qu'ils aient
une pente suffisante, que l'eau soit très abondante.
Ce n'est pas ici le lieu d'étudier tous ces points qui
constituent l'une des questions les plus - importantes et
les plus discutées de l'hygiène ; une pareille étude exigerait
un volume (1). Nous devons nous borner à énumérer les
mesures à prendre pour obtenir la désinfection d'égouts
qui laissent dégager des gaz malodorants ou dangereux.
1° Lavage à grande eau. — La première condition de la
désinfection est F introduction d'une grande quantité d'eau
courante dans l'égout. A Paris, on a reconnu la néces-
sité d'un service d'eau assurant 500 litres par jour et par
habitant, tant pour les besoins alimentaires, que pour l'ar-
rosement des eues, le lavage des ruisseaux, des égouts, etc.
Dans certaines villes, à Lyon par exemple, M. J. Teissier (2)
a examiné des égouts ne contenant que des matières
(1) Trélat, Rapport sur révacuation des vidanges, et discussion à la So-
ciélé de médecine publique [Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1882,
p. 112 et suivantes).
(2) J. Tessier, Des égouts et des fosses d'aisances de la ville de Lyon,
(Lyon médical, 19 scptcmhre 188J, p. 181).
ÉGOUTS. 733
pâteuses, presque sèches, en pleine putréfaction, à travers
lesquelles de minces filets d'eau avaient creusé des rigoles.
Dans de pareilles conditions, toute désinfection est im-
possible tant qu'on n'a pas au moins inondé ces amas
stagnants, et qu'on ne les a pas transformés en marais
couverts.
Au lieu de laisser couler continuellement, pendant
24 heures, un mince filet d'eau incapable de balayer
vigoureusement les radiers, il est bien préférable de faire
passer en une minute et en un seul coup, la même quantité
d'eau. Il suffît d'établir, à certaines places, de larges
réservoirs munis d'un siphon disposé de telle sorte, que
ce dernier ne s'amorce qu'au moment où l'eau atteint le
niveau supérieur du réservoir ; toute la masse d'eau
accumulée s'écoule alors en quelques minutes, et la force
du courant est assez grande pour chasser les matières
lourdes qui se sont déposées dans l'égout.
FiG. 21. — Lavage intermittent des égouts (Siphon de Rogers-Field).
Depuis que M. Rogers-Field a imaginé les disposi-
tions très simples et très ingénieuses que nous représen-
tons ici, beaucoup de grandes villes ont adopté ce lavage
734
DESINFECTION MUNICIPALE.
intermittent, à l'aide d'appareils qui ne sont qu'une imi-
tation plus ou moins étroite de celui de l'ingénieur anglais^
FiG. 22. — Ciivetle d'égout à écoulement intermittent, ,di Rogsrs-Field
Ces chasses rapides entraînent les matières en suspension
et les dépôts qui ne sont pas très denses ; elles déterminent
des courants d'air violents, qui déplacent et diluent les gaz
méphitiques. Elles favorisent l'oxydation de l'hydrogène
sulfuré ; quant aux gaz ammoniacaux, leur solubilité dans
l'eau est telle, qu'ils se dissolvent immédiatement dans
l'eau courante ; c'est d'ailleurs en raison de cette solubilité
extrême du gaz ammoniac, qu'on ne perçoit pour ainsi dire
jamais d'odeur ammoniacale dans les égouts.
2° Curage des égouts. — Même quand l'eau est assez
abondante, si les matières organiques restent stagnantes
sur les radiers, elles s'y décomposent, et les gaz putrides se
dégagent à travers la couche d'eau qui les recouvre. La
désinfection implique donc le curage à fond vif des égouts;
les boues de macadam, les déjections des animaux, les
ÉGOUTS. 735
immondices projetées dans les éçouts avec les neiges,
forment souvent d'énormes amas, de véritables bancs,
qui constituent des barrages. Le curage à l'aide de bateaux
vannes onde sphères de bois obstruant, incomplètement les
tnyanv qu'elles parcourent, n'esL possible que dans les
cgouts larges, réguliers, recevant une grande quantité
d'eau, comme ceux de Paris et des grandes villes.
Parfois il est nécessaire de faire ce curage directement,
à l'aide de pelles, de seaux et de tombereaux, opération
dangereuse pour les ouvriers et pour les habitants de la
surface. Cette opération doit avoir lieu dans les saisons
froides ; pendant sa durée, les égouts seront largement
ventilés, à l'aide de cheminées d'appel s'il est nécessaire ;
on versera au préalable dans l'égoutdes solutions concen-
trées de sulfate de fer, d'acide phéniqiie, de chlorure de
chaux, etc ; on interrompra le travail plusieurs fois par jour,
des chasses d'eau entraîneront les matières remuées et
activeront les courants d'air.
3° Établissement de pentes suffisantes. — Pour que la
désinfection soit durable, il faut faire cesser les causes de
stagnation des eaux vannes et la précipitation sur place
des matières solides, qui en est la conséquence. L'in-
suffisance des pentes est la cause la plus fréquente de la
lenteur d'écoulement ou de la stagnation habituelle des
liquides ; la difficulté est souvent presque insurmontable.
Cependant, la rapidité de l'écoulement dépend moins delà
pente du radier, que de la différence du niveau de la
couche supérieure des liquides : en disposant des barrages
temporaires, on peut déterminer presque partout des
pressions puissantes, des chasses, qui réussissent à
balayer le fond des réseaux oi^i l'inclinaison n'est que de
quelques décimètres par kilomètre. M. Durand-Claye a
proposé dans les cas extrêmes, pour les rues ou groupes de
-maisons où le sol est en cuvette, d'aller chercher plus
736 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
haut une pente suffisante, à l'aide de tuyaux de fonte
passant en quelque sorte au-dessus de la région déprimée.
4° Imperméabilité des conduits. — L'infection tient sou-
vent à l'infiltration des liquides à travers les fissures, les
ruptures des conduits ; dans ces cas le meilleur moyen
d'obtenir la désinfection est d'assurer l'étanchéité des
égouts, par la reconstruction des voûtes et par l'emploi de
matériaux imperméables.
Quand on a ainsi lavé, curé, rendu étanches les égouts,
la désinfection peut n'être pas complète ; elle peut surtout
n'être pas durable. Il faut la circulation continue non seu-
lement des matières et de l'eau, mais encore de l'air. Une
cinquième condition est donc nécessaire: la ventilation des
égouts.
5° Ventilation des égouts. — L'accord n'est pas encore
unanime sur la nécessité de cette ventilation ; les uns
réclament l'occlusion hermétique et constante des bou-
ches ouvrant sur la rue ; d'autres pensent que le
meilleur moyen de détruire l'infection des égouts est de
les mettre librement en communication avec l'atmosphère
de la rue. On a dit que, dans ce cas, l'égout se ventilait au
détriment de la voie publique ; nous croyons, au contraire,
que la ventilation ne dissémine pas les gaz odorants, elle
les décompose et les détruit chimiquement, et nous ne
craignons pas de redire : « l'égout ne verse des gaz méphi-
tiques dans la rue, que lorsque l'air de la rue n'a pu péné-
trer librement dans l'égout (1). »
En effet, M. Brouardelet la Commission mixte de 1881 (2)
(1) Vallin, Des proje.ts d'assainissement de Paris [Revue d'hygiène et
de police sanitaire, 20 octobre 1881, p. 822).
(2) Brouardel, Rapport de la commission d'assainissement de Paris sur
l'infection produite dans l'intérieur même de 1% ville, Paris, 1881, p. 43.
— Etudes chimiques sur les eaux et les houes d'égout, par MM. Wurtz et
Ch. Girard, p. 109 et 152.
EGOUTS. 737
ont constaté que partout où les égouts étaient bien ventilés,
ils n'avaient aucune odeur ; même au bout d'une visite de
trois heures, le papier de plomb ne présentait pas de colo-
ration; dès qu'on interceptait toute communication avec
l'air extérieur, surtout quand l'eau restait immobile, l'odeur
devenait infecte, des bulles se dégageaient et formaient
une écume épaisse à la surface du liquide.
MM. Wurtz et Ch. Girard ont donné une excellente ex-
plication de ce phénomène. Tant que les mouvements de
l'eau renouvellent les surfaces de contact avec l'oxygène,
tant que l'air circule librement dans les égouts, l'hydro-
gène sulfuré s'oxyde rapidement, l'hydrogène se combine
avec l'oxygène pour former de l'eau, le soufre se dépose
ou bien il s'oxyde, et il se forme des sulfates d'ammonia-
que inodores et non volatils. Cette réaction est rendue
plus active par l'humidité; l'atmosphère de l'égout étant
chargée de vapeur d'eau, cette vapeur se condense sur les
murailles, sur les parois des conduits d'eau, des tubes
pneumatiques, etc., qui obstruent en partie les égouts;
ces larges surfaces métalliques retiennent à l'état de dis-
solution les parties de ces gaz très solubles qui n'ont pas
encore été transformés et empêchent leur expansion au
dehors. Au contraire, dès qu'on empêche l'accès de l'air
dans l'égout, ou quand l'eau, devenue stagnante, cesse de
multiplier la surface du contact avec l'oxygène, non seu-
lement l'hydrogène sulfuré cesse de s'oxyder et de se
transformer en sulfate, mais encore les sulfates précédem-
ment formés sont réduits par les matières organiques en
voie de décomposition ; celles-ci, en leur enlevant de
l'oxygène, les ramènent à Fétat de sulfures ou d'hydro-
gène sulfuré.
Nulle part on ne voit mieux ce que nous avons essayé
de démontrer plus haut, à savoir : que la ventilation n'as-
sainit pas seulement en dispersant les miasmes, mais en
les détruisant chimiquement, en les brûlant; la ventilation
Vallin. — Désinfectants. 47
738 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
est donc réellement l'un des désinfectants les plus actifs.
Ce qui est vrai pour l'air et les gaz libres l'est également
pour l'eau et les dépôts vaseux. MM. Wûrtz et Ch. Girard,
dans des eaux noires recueillies dans l'égout infect et non
ventilé du boulevard Henri IV, ont trouvé, immédiatement
après la prise, 4 milligrammes d'hydrogène sulfuré par
litre ; le lendemain, après avoir été exposées à l'air, ces
eaux n'en contenaient plus que 1 milligramme. Malheu-
reusement, il n'est pas prouvé que cette action comburante
de l'air soit aussi énergique sur les miasmes que sur le
gaz acide suif hydrique.
Nous croyons donc que le meilleur moyen de désinfecter
un égout malodorant c'est de le ventiler largement. A
Paris, les égouts sont en communication directe avec l'at-
mosphère de la rue, par les bouches des trottoirs et par
les larges galeries, munies d'escaliers, qui donnent accès
aux ouvriers. Il est rare qu'on sente une odeur désagréable
quand on stationne à l'entrée de ces bouches; le méphi-
tisme se produit d'ailleurs accidentellement par des causes
diverses dans des égouts très ventilés ; la production des
gaz peut être plus rapide que leur destruction.
Les égouts doivent être désinfectés : 1° au point de vue
de la salubrité extérieure, dans l'intérêt des habitants de
la surface; 2° au point de vue de la salubrité intérieure,
dans r intérêt des ouvriers qui pénètrent dans les galeries.
Cette distinction, formulée par M. de Freycinet (1), est pra-
tique et mérite d'être conservée : il ne suffit pas, en effet, de
placer des filtres au charbon, fussent-ils efficaces, au-des-
sous des bouches d'égout ouvrant sur la rue ; il faut encore
que les égouts soient assez parfaitement désinfectés pour
que les ouvriers qui les traversent n'y trouvent pas la
mort.
En Angleterre, on s'est efforcé d'assurer cette désin-
(1) De Freycinet, Prv'oipes de V assainissement des villes, 1870, p. GO,
ÉGOUTS. 731)
fection permanente par une ventilation libérale, tantôt
par des bouches grillées ouvertes au milieu de la chaussée,
loin des trottoirs, tantôt par des tuyaux d'évent partant
de l'égout et s'élevant au-dessus du toit des maisons.
Comme ceux des fosses d'aisances, cos tuyaux rabattent
parfois les gaz méphitiques dans les cheminées voisines
ou dans les mansardes dont les fenêtres sont restées ou-
vertes. Pour èlre vraiment efficaces, leur extrémité supé-
rieure devrait dépasser de plusieurs mètres le toit des
plus hautes maisons ; même dans ce cas on souillerait
l'atmosphère des quartiers plus élevés.
Plusieurs villes d'Angleterre et de Belgique ont tenté
la ventilation permanente artificielle des égouts à l'aide de
cheminées où l'on entretenait un puissant foyer de com-
bustion (Carlisle, Liverpool, Londres, Bruxelles) ; ailleurs
onaut lise le foyer de grandes usines (Woohvich,Deptford),
ce qui offrait l'avantage de brûler les gaz fétides aspirés
des égouts. Une expérience prolongée a montré que le
bénéfice obtenu n'était pas en proportion avec la dépense,
parce que l'aire de la cheminée est extrêmement inférieure
à celle du réseau des égouts. M. Bazalgette (1), ingénieur
des égouts de Londres, a montré en 1869 l'inefficacité
d'une cheminée semblable établie dans la tour de l'Hor-
loge à Londres, pour ventiler les égouts du quartier de
Westminster. La section totale des embranchements à
aérer était de 6o mètres carrés, tandis que la galerie sou-
terraine alimentant le foyer n'avait que 0"\73, et était
par conséquent 90 fois plus petite. Aussi, avec une vitesse
de courant d'air de 2 mètres 70 par seconde à l'orifice su-
périeur de la cheminée, le déplacement de l'air dans les
embranchements n'était que de 3 centimètres par seconde;
fair était donc presque immobile, et cependant un si
mince résultat aurait nécessité 250 cheminées semblables
(1) Baldwin Lalham, Sanilanj engineering, 1873, pages 218 et 225
110 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
et une dépense annuelle de 20 millions pour la ville de
Londres. Enfin, cette ventilation artificielle par des foyers
fait courir le danger d'explosions formidables par le déga-
gement brusque d'hydrogène carboné, et des accidents de
ce genre ont été observés en Angleterre. C'est donc un
moyen sur lequel on ne peut compter que dans des circon-
stances exceptionnelles.
Nous ne nous arrêterons pas à d'autres moyens de
ventilation artificielle, tels que la mise en communication
des égouts avec les cheminées des habitations privées ou
avec les supports des becs de gaz des rues et des places
publiques ; les ventilateurs mécaniques à vis d'Archimède
employés à Liverpool ; la projection de jets de vapeur dans
les [cheminées d'appel, la ventilation des égouts par les
tuyaux de chute des eaux pluviales provenant des maisons
particulières ; ce dernier moyen, très usité en Angleterre,
n'est pas exempt de dangers, et l'on a constaté des explo-
sions épidémiques, à Croydon, etc. Insister serait fah'C
invasion sur le domaine de l'ingénieur, et nous renvoyons
aux livres spéciaux, en particulier à celui de M. Baldwin
Latham, où toute cette question est traitée d'une façon
remarquable.
La ventilation artificielle désinfecte réellement l'égout et
y rend le travail des ouvriers moins insalubre. Le D"" Sten-
house a cherché, au contraire, à désinfecter l'air qui est déjà
sorti de l'égout, et ne s'est préoccupé que d'épargner une
incommodité ou un danger aux habitants de la rue. Il a in_
t-roduit l'usage de filtres formés de cadres en toiles métalli
ques, dont l'intervalle est rempli de charbon de bois con-
cassé (environ oOO grammes) (1) ; un certain nombre de ces
tiroirs superposés forment un filtre qu'on dispose sur le
passage de l'air qui doit sortir de l'égout. Des expériences
(1) M. Spencer a proposé de remplacer le charbon, dans ces filtres à
air, par du carbure de fer (carbide of iron) qui a les mêmes propriétés
absorbantes.
ÉGOUTS. 741
nombreuses ont montré que ces filtres empêchaient pen-
dant plusieurs mois toute odeur d'être appréciable au-des-
sus des égouts ainsi disposés. D'après Stenhouse, un
demi-gramme de charbon de bois absorbe 98 centimètres
cubesde gaz ammoniacet 30 centimètres cubes d'hydrogène
sulfuré. Le charbon est un lieu de conflit entre l'oxygène
de l'air et les matières organiques contenues dans les mias-
mes. Létheby a montré par l'analyse de filtres ayant ainsi
servi pendant neuf à vingt mois, que presque toutes les
matières organiques retenues par le charbon avaient passé
à l'état de nitrates alcalins. Malheureusement le charbon
perd son action désinfectante quand ses pores ont été
obstrués par la poussière, ou quand il a été mouillé soit par
la condensation de la vapeur d'eâu, soit par l'eau qui tombe
dans l'égout. MM. Baldwin Latham (l), et Bailey Denton
FiG. 23. — Venlilaleur de Brooke, à filtre de charbon.
ont inventé et figuré dans leurs ouvrages des dispositions
très ingénieuses dont nous croyons devoir ici donner ,quel-
(IJ Baldwin Latliam, Sanitary engineering, London, 1873, pages 238,
219 et 270.
742 DESINFECTION MUNICIPALE.
ques spécimens. La dépense est d'ailleurs minime : à Croy-
don, où il existe 562 filtres au charbon pour la désinfec-
tion des bouches d'égouts, chaque filtre, contenant de 3 à
6 litres de charbon, coûte 6 francs d'entretien annuel.
Nous donnons ici (fig. 23) la figure d'une bouche d'égout
munie du ventilateur de Brooke. Ce modèle n'est peut-être pas
le meilleur de tous, mais il fait parfaitement comprendre le
mécanisme de ces filtres au charbon, et figure en même temps
le type de ces cuvettes siphokles à lame plongeante empê-
chant tout reflux des gaz de' l'égout vers la bouche exté-
rieure. L'air ne peut s'échapper au dehors qu'en traversant
le filtre de charbon mis à l'abri, par une disposition ingé-
nieuse, de l'eau qui pénètre dans l'égout.
La figure 24 représente le ventilateur de Latham, le
plus généralement adopté à Londres et ailleurs. Il ne
s'agit plus ici d'une bouche d'égout destinée à laisser
couler l'eau des ruisseaux, mais simplement d'un orifice
ventilateur faisant communiquer la voûte de l'égout avec
une grille placée au milieu de la chaussée. Ce n'est qu'ac-
cidentellement, par les temps de pluie, pendant l'arrosage,
qu'une petite quantité d'eau peut s'introduire par là dans
l'égout. La courte cheminée qui traverse verticalement
l'épaisseur delà chaussée est fermée par un opercule épais,
en fonte, au centre duquel sont incrustés des paves en bois,,
c, pour donner prise aux pieds des chevaux ; à la péri-
phérie sont ménagées deux fentes ou rainures circulaires
g, par lesquelles l'air de l'égout peut s'échapper au dehors
après avoir traversé le filtre au charbon p. Mais par ces
fentes tombent aussi la poussière, la boue, l'eau pluviale
et d'arrosement ; tout cela tombe dans une boite à ordures
circulaire, d, placée au-dessous des fentes de' la grille, A
intervalles fréquents, on soulève la plaque de fonte hc, et
on retire la boue ou la poussière contenue en d. Mais
l'eau ne peut s'écouler dans l'égout qu'après avoir atteint
le trop plein o, ménagé dans une sorte d'auge ou cuvette
ÉGOUTS. U
circulaire disposée en spirale, et dontl'exlrémité inférieure
est libre dans la cheminée de l'égout. Entre les spires de
cette étroite cuvette, on introduit facilement le fdtre jp
FiG. 24. — Ycntilalcur dos cgouts de Londres (Type Latham).
formé d'une plaque verticale sur laquelle sont soudés
plusieurs plateaux destinés à retenir des morceaux de char-
bon de bois, de la grosseur d'une amande. L'air de l'égout
ne peut s'échapper en ^ sur la rue qu'après avoir traversé
les divers étages de ce fdtre.
Actuellement, à Londres la ventilation des égouts se fait
de deux façons: l^par ces grilles ouvertes au milieu même
de la chaussée, munies du ventilateur de Latham ; mais
des visiteurs nous ont dit que parfois le filtre au charbon
faisait défaut ou n'était pas renouvelé ; l'on pense qu'avant
d'arriver au miheu de la chaussée, au pied delà maison ou
au trottoir, les gaz de l'égout sont trop dilués pour être
nuisibles; 2° par des tuyaux ventilateurs, plus ou moins
744 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
élevés au-dessus du sol, surmontés d'une cage ou boîte
contenant également un filtre au charbon, et dont l'ex-
FiG. 23. — Ventilateur des éffouls de Londres.
trémité supérieure est protégée contre la pluie par une
plaque horizontale maintenue à quelques centimètres au-
dessus du bord du tuyau pour laisser passer l'air de l'é-
gout, comme on le voit dans la figure 25.
Nous avons déjà dit que des égouts bien ventilés cessent
d'être infects. Toutefois, dans certaines circonstances, quand
il y a accumulation et stagnation de détritus en décompo-
sition, lors des opérations de curage ou de vidange à l'égout
de grandes accumulations de matières, il peut èlre utile
d'empêcher les émanations infectes de se déverser par les
bouches ouvrant sur la rue. Trois moyens peuvent alors
être employés : les trappes mobiles, à contre-poids, qui
CGOUTS. 745
basculent SOUS la charge des résidus et se referment après
l'écoulement, système infidèle, sujet aux dérangements ;
les siphons, où une masse d'eau accumulée dans une partie
déclive du tuyau d'émission forme piston et empêche
tout reflux vers l'orifice extérieur ; les cuvettes hydrauli-
ques, coupe-air, où un diaphragme plongeant de quelques
centimètres au-dessous de la surface du liquide transforme
une cuvette pleine d'eau en un véritable appareil siphoïde
(fig. 23, 26 et 27). Quand l'écoulement est abondant, sinon
continu, l'inflexion siphoïde de tous les tuyaux réunit les
avantages de la simplicité et delà sécurité, pourvu que des
différences rapides de pression par les gaz n'amènent pas
le reflux de la couche d'eau protectrice.
Fig. 26. — Cuvctlc siphoïde pour cgouts.
C'est pour obvier à ce dernier inconvénient que, en
Angleterre, on établit toujours une discontinuité entre
l'extrémité inférieure du conduit adducteur et la cavité de
l'égout. Ainsi, le tuyau d'émission des eaux ménagères,
terminé par une flexuosité siphoïde ou par un déversoir
Guinier, s'ouvre à l'air libre, au pied de la maison, au-
dessus d'un caniveau légèrement obhque, passant sous le
trottoir, et se terminant lui-même par un tuyau en siphon
dans la cavité de l'égout. Au cas où, malgré cette première
interception siphoïde, les gaz de l'égout reflueraient dans
le caniveau, ils se disperseraient dans l'atmosphère de la
rue, et ne pourraient remonter par le tuyau de chute
dans la cuisine ou l'appartement. Nous figurons ici l'une
746
DESINFECTION MUNICIPALE.
des dispositions les plus simples et les meilleures (fig. 27) (4).
Fig. 27. — Dôverscment des eaux ménagères vers l'cgout.
Désinfection chimique des égouts. M. J.-W. Bazalgette
a fait en 1871 des essais très sérieux de désinfection des
égouts de Londres, à l'aide de l'acide sulfureux. Les expé-
riences furent faites dans Northumberland Street, à la
jonction de Euston Road et de Tottenham Court Road.
Dans l'égout, il disposa horizontalement des tuyaux en
terre poreuse de deux pouces de diamètre intérieur, et
mesurant un développement de 7 pieds et demi ; ces tuyaux
ajustés à angles droits sur quatre côtés, formaient une
(1) Baldwin Latham, Sanilary engineering, London, 2» édition, 1880.
— Mans, Vau Mierlo, etc., Assainissement de la ville de Bruxelles
{Annales cVhygiène et de médecine légale, 1876, T. 43% p. 97 et âi7). —
Aruould, Nouveaux éléments d'hygiène, Paris, 1881, p. 599. — De Frey-
ciiiet, Principes de l'assainissement des villes, 1870, atlas, planche III,
iig. 5 et 10. — Ligcr, Fosses d'aisance, latrines, Paris, 1873, p. 273 et 281.
ÉGOLTS. ■ m
cavité fermée. La paroi d'iiii des tubes était traversée par
l'extrémité inférieure d'un tube de plomb, de 1 pouce de
diamètre, long de 5 pieds et demi, placé verticalement,
et à l'extrémité supérieure duquel était ajusté un bocal en
grès verni d'une capacité de quatre à cinq litres. En versant
dans ce bocal de l'acide sulfureux liquide, la pression
laissait constamment suinter l'acide à la surface externe
des tuyaux ; cette surface d'évaporation et d'émanation
de l'acide sulfureux, en contact avec le courant d'air fétide
de l'égout, n'avait pas moins de 224 pouces carrés. En
24 heures, on consomma 900 à 1,300 grammes d'acide
d'une densité de 1,040 ; les mauvaises odeurs étaient bien
détruites. MM. Mac Dougall ont disposé un autre appareil,
dans lequel un vase laissait tomber goutte à goutte de l'a-
cide sulfurique sur du sulfure de chaux.
M. B. Lathani, qui relate ces essais, dit qu'il y a à
craindre de souiller l'air des villes par un excès de ce gaz
sulfureux dont la combustion de la houihe charge déjà
l'atmosphère de Londres ; à son avis, la désinfection des
égouts par ce gaz est bien moins sûre et bien plus coûteuse
que par les filtres au charbon, pour lesquels il a naturel-
lement une paternelle bienveillance.
Dans un rapport autographié présenté par M. Marié-Davy
le 30 mars 1881 à la Préfecture de la Seine, au nom d'une
commission, Sur les égouts et les mauvaises odeurs de
Paris, nous trouvons le tableau suivant où MM. A. Lévy
et AUaire, chimistes de l'Observatoire de Montsouris, ont
consigné le résultat d'expériences sur la valeur désinfec-
tante des divers agents de désinfection présentés à la
commission et dont la composition n'est pas toujours indi-
quée. Dans une première série, on opéra sur de l'eau d'égout
vieille ; on y ajoutait 2 grammes de désinfectant par litre ;
dans une seconde série, on opéra sur de l'eau d'égout
beaucoup moins chargée de matière organique, et à laquelle
on ajoutait une plus forte proportion de désinfectant.
74S DÉSINFECTION MUNICIPALE.
RÉSULTAT PAU MÈTRE CUBE d'eAU d'ÉgOUT FILTRÉE.
Ammoniaque Azote organique
grammes grammes
1° Eau d'égout sans désinfectant 31,60 21,50
Chlorure de zinc 28,40 12,50
Sulfate de fer pliéniqué. . , 23,86 4,60
Désinfectant ferrugineux do Madot de Nancy 26.32 4,80
Lave chlorhydrique 23,78 4,88
Poudre Rafel 14,16 2,48
2° Eau d'égout sans dcsinfoclant 4,84 0,68
100 grammes par litre, de dé-
sinfectant de Nancy 4,88 0,38
100 grammes par litre, de
magma lavique acide de Huet. 4,82 0,32
200 grauimes par litre, du
charbon anglais 4,42 0,20
Eaux potables 0,24 0,04
Les microbes contenus dans les eaux d'égout n'étaient
pas détruits par les désinfectants essayés par la commis-
sion. Un fil de platine parfaitement flambé fut plongé dans
un litre d'eau d'égout, qu'on supposait désinfectée par 1 ou
2 grammes de chaque substance en expérimentation, et
on transportait ainsi à l'aide de ce fil un SO*" de goutte
du liquide suspect dans autant de vases contenant du
bouillon parfaitement stérilisé. Chaque vase a été scellé et
porté à l'étuve à 30° environ. Le résultat a été le suivant;
Date du début de la corruption
Eau d'égout simple • 36 heures.
Eau avec magma lavique 38 heures.
Poudre Rafel, 1 gramme. ... 3 jours.
Désinfectant de Nancy 4 jours.
Chlorure de zinc (Egasse), d" . 4 jours.
Sulfate de fer pliéniqué .... 5 jours.
Poudre Rafel, 2 grammes 6 jours.
A dose égale, c'est donc le sulfate de fer phéniqué qui
a le plus retardé l'apparition de la corruption dans les
liquides ensemencés avec l'eau désinfectée, La poudre
Rafel n'agit qu'à la dose de 2 grammes par litre, ce qui,
EGOUTS. 149
au prix où l'on peut actuellement délivrer cette poudre à
l'administration, entraînerait une dépense annuelle de 11
millions de francs pour désinfecter les 80 millions de mètres
cubes d'eau d'égout déversée dans la Seine. Encore n'aurait-
on aucune garantie contre le développement et la pullula-
tion ultérieure des germes. Les désinfectants ont paru à
la commission n'avoir qu'une utilité locale dans des cas
particuliers ; l'opération par le sol lui a semblé le moyen
le plus efficace et le moins coûteux.
31. Lauth, membre du conseil municipal de la Seine, a
proposé, en 1879, de désinfecter l'eau des égouts de Paris
par le barbottage prolongé d'une grande quantité d'air à
travers le liquide ; dans ses expériences, les eaux-vannes
devenaient ainsi presque imputrescibles et peu nuisibles,
bien que renfermant encore 21 grammes d'azote par mètre
cube. Mais, en application pratique, l'emploi d'un tel
moyen d'épuration pour les 260,000 mètres cubes d'eaux
vannes qui traversent chaque jour le grand collecteur eût
été d'une difficulté extrême ; on aurait dû construire d'im-
menses bâtiments de graduation, comparables à ceux
qu'on employait jadis pour extraire le sel des eaux salines ;
ces bâtiments de graduation eussent été une cause puis-
sante de souillure de l'air. Le projet proposé a donc été
rejeté.
En 1838, M.John Cliisholm proposa d'employer les cou-
rants électriques ou galvaniques pour détruire les pro-
priétés nuisibles de l'air des égouts. Il prétendait que le
dégagement continu d'électricité dans un espace contenant
des gaz méphitiques devait produire des effets analogues à
ceux de l'ozôae, sinon un dégagement abondant de cet
agent lui-même. Le raisonnement peut être juste en théo-
rie, mais le système a paru complètement inapplicable.
Nous renvoyons, pour tout ce qui concerne la désinfec-
tion des égouts, aux chapitres concernant les Eaux indus-
trielles et les Vidanges.
150 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
ART. VIL — VIDANGES.
Nous avons précédemment passé en revue (p. 617) les
procédés de désinfection des latrines. Quel que soit le
système adopté, les matières excrémentitielles s'accumu-
lent dans des fosses fixes ou mobiles, ou bien s'écoulent
incessamment à l'égout. Nous devons étudier d'abord les
mesures de désinfection applicables lors des opérations de
vidanges.
Au moment où on enlève la pierre qui ferme l'ouverture
d'une fosse fixe de vidanges, il se dégage souvent des gaz
qui peuvent asphyxier les hommes ou s'enflammer avec
détonation. Ce n'est donc pas sans quelque réserve qu'on
doit recommander la précaution que Lavoisier conseillait
aux vidangeurs de son temps, à savoir de ne descendre
dans la fosse cju'après y avoir jeté une boite de paille
enflammée, de manière à détruire les gaz - méphitiques et
à produire un renouvellement de l'air. Fort heureusement,
les vidangeurs ne descendent plus dans les fosses que
lorsque les opérations sont terminées, el le moyen recom-
mandé par Lavoisier, désormais moins souvent utile,
n'exposerait plus aux explosions.
Pour éviter le dégagement d'odeurs désagréables ou de
gaz dangereux au moment de l'ouverture de la fosse, il est
nécessaire d'y répandre immédiatBment des désinfectants
solides ou liquides et en attendant l'action de ceux-ci, de
recouvrir l'ouverture avec une toile ou un tampon im-
prégné d'une solution concentrée de chlorure de chaux,
de sulfate de fer, etc.
Les agents chimiques ou physiques qui peuvent être em-
ployés pour désinfecter les matières des fosses sont très nom-
breux. Les cendres, la terre sèche, les résidus ou déchets in-
dustriels de toutes sortes, bien desséchés, placés pas avance
au fond de la fosse ou jetés de temps en temps dans celle-ci,
VIDANGES. nr,i
empêchent ou retardent leur décomposition putride ; au
moment de la vidange, les matières volumineuses qu'on
relire de la fosse sont à peu près inodores et en grande
partie transformées en humus très riche et très fertile. Le
charbon, les matières poreuses et absorbantes, le plâtre
même, produisent également une désinfection qui peut
être utilisée dans beaucoup de circonstances (p. 41). En
183o, une commission de l'Institut décerna le prix Mon-
thyon à Payen père et Salmon, qui désinfectaient les
matières de vidanges en y mêlant une quantité égale de
terre carbonisée, obtenue en calcinant le vieux terreau,
la vase provenant du curage des étangs ou rivières, addi-
tionnés de débris animaux, de sciure de bois, de résidus
de goudron. Mais la préparation était coûteuse, le compost
ainsi obtenu encombrant, volumineux, le charroi en était
difficile. Ce procédé de désinfection est d'une efficacité
réelle; c'est parfois une ressource utile, et il fonctionne
dans un grand nombre de villes anglaises (1) ; mais déjà
l'on touche ici à la fabrication des engrais (noir animalisé).
En mélangeant de la chaux (43 kil. parmètrecube) aux ma-
tières contenues dans la fosse (Deplanque et Mosselmann) (2)^.
on obtient une désinfection partielle : l'hydrogène sulfuré
forme du sulfure de calcium qui reste dissous dans le liquide ,
mais qui est peu stable; il se forme, en outre, des carbonates
et des phosphates de chaux insolubles, qui en se précipitant
entraînent- les matières organiques en suspension dans le li-
quide (chaux animahséeou supersaturée). Mais le carbonate
d'ammoniaque, en se transformant en carbonate de chaux,
abandonne l'ammoniaque dont une partie se dissout dans
les liquides, l'autre se dégage au dehors et infecte l'air.
(1) NeUen Radcliffe et Buchanan, Reports Iho the Privy Council 1870 et
1814. — E. Vallin. Be la désinfection par les poussières sèches [Revue
d'hygiène et de police sanitaire, 1879, p. 43 et 106).
(:2)Liger, Fosses d'aisances, latrines, urinoirs et vidanges; Paris, 1875,
p. loO, leO et 321. — Voyez aussi l'excellent article Fosses d'aisa>'CEs,
de Layet ^Dictionnaire encycl. des se. méd.).
7S2 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
Dans le système Deplanque, la fosse transformée en
appareil siphoïde est remplie d'eau de chaux destinée à
produire la désinfection automatique dans la fosse elle-
même ; ici encore les résultats obtenus dans les latrines
publiques du quai delà Mégisserie à Paris, de 1858 à 1860,
ont été assez médiocres, et ont fait abandonner l'emploi
de la chaux pour la désinfection des fosses.
M. Boussingault a jadis proposé de recueillir les phos-
phates et l'ammoniaque des matières de vidanges et en
particulier de l'urine, en y versant une solution de sels de
magnésie; au bout de quelques jours, si l'on remue le
mélange, les liquides prennent une teinte laiteuse due à la
présence du phosphate ammoniaco-magnésien, qui peut
s'élever à 7 p. 1000 du poids de l'urine traitée (système
Dugléré). L'emploi du phosphate double de magnésie et
de fer serait encore préférables. Ce procédé est aujour-
d'hui à peu près abandonné ; toutefois le principe est
excellent, et nous verrons plus loin l'importance des nou-
velles découvertes de M. Schloesing (production écono-
mique de la magnésie), pour le traitement des matières
de vidanges et la fabrication des sels ammoniacaux.
Dans les grandes villes, les prescriptions de police exi-
gent l'emploi d'agents désinfectants plus sûrs que ceux
dont rénumération précède . Depuis l'ordonnance du
Préfet de police, en date du 12 décembre 1849,
Tout entrepreneur do curage de fosses d'aisances, avant de procéder
à l'extraction et au transport des matières, sera tenu d'en opérer la désin-
fection.
V ordonnance concernant la désinfection des matières
contenues dans les fosses d'aisances, en date du 28
décembre 1850, rappelle d'une façon plus explicite et con-
firme cette obligation :
g 1. Il e3t expressément défendu de procédera l'extraction et au trans-
port des matières conte. .ues dans lus fosses d'aisances, iîxes ou mobiles,
avant d'en avoir opéré complètement la désinfection.
VIDANGES. 753
g 5. Les entrepreneurs de vidanges pourront transporter les matières
solides dans des locaux autorisés, où elles seront de nouveau désinfectées
s'il es^t nécessaire, de manière que la désinfection soit permanente.
L'ordonnance du 8 novembre 1851 ajoutait à l'article
ci-dessus l'obligation suivante :
Il devra être procédé à cette désinfection dans la nuit qui précédera
l'extraction ties matières et aux mêmes heures que celles qui sont tixces
pour la vidange des fosses.
g 2. Aussitôt après la promulgation de la précédente ordonnance, tout
entrepreneur de vidanges devra nous faire connaître son procédé de désin-
fection, et no l'employer qu'après que ce procédé aura été approuvé par
nous, sur l'avis du Conseil de salubrité. .
Ces prescriptions sont renouvelées, avec une rédaction à
peine différente, dans Y Ordonnance du 29 novembre 1854,
qui règle également l'écoulement des eaux vannes désin-
fectées, aux égouts voisins (1).
Depuis le Décret des 10-24 octobre 1859 relatif aux
attributions du Préfet de la Seine et du Préfet de police,
le curage des égouts et des fosses d'aisances est compris
dans les attributions du préfet de la Seine.
Les prescriptions qui précèdent sont encoi^e en vigueur,
sauf quelques modifications temporaires ou de détail con-
tenues dans l'arrêté du 4 octobi^e 1817, sur lesquelles nous
reviendi^ons tout à l'heure.
La liste des désinfectants autorisés par le conseil d'hygiène
et l'administration préfectorale delà Seine reste toujours
ouverte et illimitée: les désinfectants adoptés et employés
sont presque exclusivement les sulfates et les chlorures de
fer et de zinc, de cuivre, et quelques sels (nitrate) de
plomb ; ils sont économiques, assez rapidement actifs et
ne sont pas eux-mêmes odorants.
Lorsque les eaux vannes provenant des vidanges étaient
]l)L'on trouvera cotte collection d'ordonnances reproduites in extenso -à
l'article Vidanges du Traité pratique dliijgiène industrielle et adminis-
trative de Vernois, 18'30, t. JI, p. 6-21, et dans l'ouvrage de M. Ligor:
Fosses d'aisances, latrines, etc., 1875, p. 447.
Vallin. — Dési.nfectants. 48
7o4 • DESINFECTION MUNICIPALE.
écoulées directement à l'égout, l'administration avait pro-
hibé- l'emploi des sels de fer qui donnaient une coloration
noire ou ocreuse aux pavés des ruisseaux ;• on employait
alors les sels de zinc. Mais quand les matières liquides
sont emportées au loin, comme les matières solides, dans
des tonnes de vidanges, l'emploi du sulfate de fer est
facultatif et est aujourd'hui presque exclusif.
Cependant Maxime Vernois (1) préconise le mélange sui-
vant qui serait suffisant pour quatre-vingts hectolitres de
matières :
Sulfate de fer 23 kilogrammes.
Terre argileuse 50 —
Sulfate de chaux 10 —
Charbon animal 2 , —
On introduit le sulfate de fer en dissolution dans son poids d'eau, par
quantités de cent kilogrammes en laissant un jour d'intervalle. On devra
un peu calciner la terre argileuse; les autres corps sont mis eu pou-
dre.
Il ne semble pas que ce mélange désinfectant continue
à être utilisé dans la pratique.
La solution de sulfate de fer habituellement employée
pèse ^8 degrés Baume, soit la densité de 1,240, qui cor-
respond à 250 grammes de sel pour un litre; suivant
d'autres, la densité ne serait que de 20° B, ou 1,160,
correspondant à 180 grammes de sel par litre. Les
règlements ne déterminent pas d'une façon précise la pro-
portion de substance désinfectante que l'on doit ajouter
aux matières. Dans la pratique courante, on emploie (2)
1 partie de sel pour 400 parties du contenu de la fosse,
soit 2 kilog. 500 de sulfate de fer, ou 10 litres de la solu-
tion à 28°, par mètre cube de matières ; d'après d'autres
(1) Max. Vernois, Traité pratique d'hygiène industrielle et adminis-
trative, 1860, T. 2°, p. 601.
(2) D'' Lasgoutte, Sur la désinfection des vidanges ; Thèse de Paris,
1880.
VIDANGES. 7S5
renseignements de source officielle, l'on emploierait 15 à
25 litres de la solution à 20° et coûtant 5 centimes le litre,
par mètre cube du contenu de la fosse. Bien souvent même
ces proportions ne sont pas atteintes, et l'air empesté en-
vahit toutes les parties de la maison.
Au mois de décembre 1879, un procès fut intenté à l'une
des sociétés de vidange de Paris par un brodeur de la
rue Rambuteau, parce que, à la suite d'opérations de vi-
danges faites dans sa maison, les galons et broderies con-
tenus dans ses ateliers avaient pris une teinte noire, par
l'action de l'hydrogène sulfuré. La Compagnie, par arrêt
de la cour d'appel de Paris en date du 24 mai 1882, con-
firmant le jugement rendu par le tribunal le 17 mai 1881,
fut condamnée à des dommages-intérêts pour avoir porté
préjudice à autrui et contrevenu aux règlements de po-
lice (1). Il semble en effet prouvé jusqu'à l'évidence que
la désinfection n'avait pas été suffisante, quelle qu'eût été
la quantité de sulfate de fer employée.
On comprend d'ailleurs que les ordonnances et les arrê-
tés n'aient pas fixé rigoureusement la dose ou la propor-
tion du désinfectant, car celle-ci peut varier singulière-
ment suivant l'ancienneté et le degré de fermentation des
matières ; les règlements se bornent à exiger que la désin-
fection ait lieu : il va de soi qu'elle doit être complète.
D'après Maxime Vernois, « la quantité de sulfate de fer
varie de 1 à 2 kilogrammes par hectolitre de matières
fécales, ou de 40 à 80 kilogrammes par voiture d'une con-
tenance de 80 baquets » (2). Ces quantités, désirables sans
doute, ne sont jamais atteintes.
M. Liger (3) dit que pour désinfecter une fosse mobile ou
tinette de 1 hectolitre, il suffit de mettre au fond de la
(1) Gazette des tribunaux du 30 juin 1882.
(2) M. Veraois, Traité pratique d'hijgiène inius!riclle, ISCO ; art.
Vidanges, t. II, p. 601,
(3) Liger, loc. cit.., p. 350.
75t) DESINFECTION MUNICIPALE.
tinette 200 ou 300 grammes de sulfate de fer en poudre,
et d'en ajouter encore autant quand elle est aux trois quarts
pleine, ce qui ferait 500 grammes pour 1 hectolitre, soit
1 pour 200.
Nous avons fait récemment quelques expériences sur
ce sujet. A 500 grammes de matière solide, en pleine fer-
mentation, recueillie au moment où l'on changeait une
tinette mobile à diviseur, nous avons mêlé 10 grammes de
sulfate de fer dissous dans une petite quantité d'eau ; au bout
de plusieurs heures, et le lendemain, l'odeur d'hydrogène
sulfuré avait disparu, mais non une odeur fétide, caracté-
ristique, très désagréable. De même, en mêlant 20 grammes
de sulfate de fer dissous à 1 litre de matières de vi-
danges (tout venant) provenant d'une tinette mobile
renouvelée depuis 15 jours, l'odeur fécaloïde et ammonia-
cale n'avaient pas complètement disparu le lendemain.
Dans les deux cas, le papier plombifère suspendu à l'entrée
des flacons fermés ne prenait pas de teinte noire.
Nous venons de dire que, d'après M. Lasgoutte, on
emploie d'ordinaire pour désinfecter les fosses fixes
2k, 500 de sulfate de fer par mètre cube, soit 1 pour 400.
Récemment, deux de nos savants collègues de la
Société de médecine publique et dlnjgiène 'professionnelle,
MM. les D"" Boutmy et Descoust (1), donnaient le résultat
d'expériences qu'ils firent au moment de la vidange d'une
fosse, alors que, sous les yeux d'un inspecteur, on venait
de verser dans cette fosse de 44 mètres cubes, 100 kilo-
grammes de la solution de sulfate de fer à 28 degrés, soit
1%T80 par 1000 litres. Quoique la dose eût été d'après
eux beaucoup plus forte qu'elle n'est dans la pratique habi-
tuelle en l'absence d'une surveillance rigoureuse, l'eau
vanne soi disant désinfectée contenait encore une quan-
(1) Boutmy et Descouts, De l'action asphyxiante des eaux vannes des fosses
d'aisances, Société de médecine publique, séance du 23 février 1881 (Revue
d'hijfjiène et de police sanitaire, 1881, p. 2^1).
VIDANGES. 7o7
tité considérable d'hydrogène sulfuré ; avant la désinfection ,
l'eau dégageait 140 centimètres cubes de ce gaz par litre :
après cette désinfection, elle en pouvait encore dégager
par la simple agitation 47 centimètres cubes.
MM. Boutmy et Descoust ont vu que des cobayes et des
chiens, placés sur une claire-voie dans une cage de verre
de lo litres de capacité, au fond de laquelle on avait versé
2 litres d'eau vanne soi disant désinfectée, mouraient
asphyxiés au bout de 3 minutes, sans même qu'on eût eu
le temps d'agiter le liquide pour faciliter le dégagement du
gaz.
Sans doute, il est malaisé de déterminer, d'après les ex-
périences sur les différentes espèces animales, la propor-
tions d'hydrogène sulfuré capable de rendre une atmos-
phère toxique pour l'homme ; la susceptibilité pour ce gaz
est peut-être aussi variable suivant les animaux que pour
l'oxyde de carbone. Toutefois, on sait qu'an cheval meurt
dans une atmosphère contenant 1/1000 d'hydrogène sul-
furé; en supposant que l'homme ne résiste pas plus qu'un
cheval, M. Boutmy a calculé qu'un mètre cube d'eau vanne
non désinfectée rendrait mortels 28 mètres cubes 100 litres
d'air, et qu'un mètre cube d'eau, soi-disant désinfectée
d'après les règlements de police actuels, rendrait mortelle au
bout de quelques minutes une capacité de 8 mètres cubes
140 litres, dans laquelle on agiterait légèrement l'eau
étendue en couche assez épaisse sur le sol.
L'accident survenu en 1881, dans un égout de la rue
Rochechouart, où plusieurs vidangeurs furent brusque-
ment asphyxiés, sans doute parce que dans un branche-
ment situé en amont on avait vidé des tonnes de vi-
dange, cet accident prouve que dans la pratique habituelle
les matières de vidange sont très incomplètement désin-
fectées et que les ordonnances de police sont mal exécu-
tées.
Des expériences déjà anciennes et renouvelées par un
758 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
grand nombre d'auteurs, ont montré qu'il fallait enmoyenne
employer 23 grammes de sulfate de fer par personne et
par jour pour maintenir inodore une fosse fixe de vidange.
En partant de cette donnée, on peut calculer que chaque
personne contribue au remplissement de la fosse en y in-
troduisant par jour :
Matières solides 200 grammes.
Urine 1,200 —
Eau de lavage 3,600 —
^ 3,000 grammes.
On pourrait donc admettre que pour désinfecter 5 litres de
matières de vidange fraîche, il faut employer 25 grammes de
sulfate de fer, ce qui équivaut à 5 kilogrammes par mètre
cube. C'est précisément cette dose que l'arrêté du 14 juin
1864 exige pour la désinfection préventive des fosses mobi-
les ; il devrait en être de même pour les fosses fixes ; nous
avons vu que dans la pratique journalière, à Paris, la
proportion employée ne dépasse pas 2'*^,5'00 par mètre
cube. Notre odorat nous prouve trop souvent que cette
dernière dose , qui est rarement atteinte , est tout à
fait insuffisante. Le kilogramme de sulfate de fer brut ne
coûte pourtant pas beaucoup plus de 15 centimes (la ville
de Paris le paie 9 centimes), dépense insignifiante, les en-
trepreneurs faisant payer aux propriétaires la vidange soi-
disant désinfectée au prix moyen de 8 francs par mètre cube,
d'après M. Alphand (1), de 5 francs d'après M. Liger (2).
L'administration pourrait donc exiger avec plus de ri-
gueur que la désinfection des matières, avant l'extraction
des fosses, soit sérieuse et complète. Mais les fabricants de
sels ammoniacaux se plaignent que la présence du sulfate
de fer dans les matières rende les opérations chimiques
plus difficiles et nuise à l'extraction de l'ammoniaque. Cer-
(1) Note du directeur des travaux de Paris sur le service des eaux et
égouts de Paris, 1879, p. 64.
(2) Liger, loc. cit., p. 354.
VIDANGES. 759
tains agronomes et chimistes, Lassaigne, Boussingault,
Erismann, prétendent que le sulfate de fer diminue la
qualité de l'engrais et la fertilité du sol; d'autres, MM. P.
Thénard, Isidore Pierre, contestent la valeur de cette der-
nière assertion, et croient que le fer améliore les engrais
tant que la proportion dans ceux-ci ne dépasse pas 15 pour
iOOO; la question reste donc indécise.
L'administration pourrait faire contrôler par ses agents
la réalité de la désinfection ; en 1850, quand parut l'or-
donnance concernant la désinfection obligatoire et préala-
ble des vidanges, il avait été dit qu'après la projection de
la substance désinfectante et avant de procéder à l'extrac-
tion, un contrôleur devait tremper dans le liquide de la
fosse un papier imbibé d'acétate de plomb ; c'est seule-
ment quand ce papier restait incolore, qu'on laissait com-
mencer le travail des pompes. La mesure était rigou-
reuse, elle n'a guère été appliquée ; on pourrait toutefois
s'assurer qu'un papier plombifère suspendu dans le voisi-
nage de la fosse, dans la cage de l'escalier, dans la cour,
ne prend pas la teinte noire des sulfures métalliques.
Cette désinfection préalable des matières est à vrai dire
l'opération la plus importante des vidanges ; quand elle
est bien faite , elle met en partie à l'abri des odeurs
que la manœuvre des instruments et des récipients pour-
rait verser dans l'atmosphère des rues ; eUe empêche ou
diminue singulièrement l'odeur des matières portées aux
dépotoirs ; on ne saurait donc trop la surveiller, et il est
incontestable qu'elle est très souvent mal faite. Bien }>lus,
sur la réclamation de certains fabricants alléguant que l'in-
troduction du sulfate de fer rendait plus difficiles les opé-
rations d'extraction des sels ammoniacaux, un arrêté du
n octobre 1811 avait autorisé la suppression de la désin-
fection préalable des matières de la fosse, à la condition
que celles-ci seraient refoulées dans des tonnes herméti-
ques, vides, et que les gaz seraient désinfectés par un ap~
•760 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
pareil laveur, puis brûlés au sortir des tonnes. Pendant deux
ans, ce nouveau système a fonctionné ; non seulement
pendant le brassage et l'extraction, toutes les parties des
maisons où l'on opérait étaient envahies par des odeurs
intolérables, mais l'atmosphère des rues était empoi-
sonnée, les appareils laveurs et les fourneaux ne réussis-
sant pas à détruire la quantité énorme de gaz libres dé-
gagés par ces matières.
L'arrêté du Préfet de la Seine du 11 octobre 1817 n'au-
torisait d'ailleurs qu'aux conditions suivantes et sur sa de-
mande, la Compagnie Lesage à substituer au mode actuel
de désinfection des matières dans la fosse, celui de la dé-
sinfection des gaz dans les tonnes de transport :
La Compagnie sera tenue : 1° de rendre suffisante et complètement
hermétique la fermeture mobile, servant à clore l'ouverture de la fosse
pendant le travail de la pompe ; 2° d'adapter au tuyau de refoulement
un tuyau de retour des matières à la fosse ; 3° d'établir en métal et non
en bois les récipients à placer sur trottoirs, à moins d'impossibilité re-
connue par l'administration ; 4° enfin, de désinfecter les matières restant
dans les fosses après le travail de la pompe, et de a'opcrer le travail
dit de rachèvement qu'après désinfection.
L'arrêté qui précède était exclusivement applicable au
mode de vidange par aspiration de la Compagnie Lesage.
Une circulaire du Préfet de la Seine, du 5 juin 1878, gé-
néralisa la désinfection des gaz au sortir des tonnes :
Considérant que la désinfection préventive des matières dans les fosses
n'empêche pas complètement le dégagement de gaz insalubres pendant
le remplissage des tonnes, et qu'il existe aujourd'hui plusieurs procédés
procurant l'absorption absolue de ces gaz soit en les brûlant, soit en les
mettant en contact avec des désinfectants,
Arrête : A l'avenir, et indépendamment de la désinfection préalable
des matières, les entrepreneurs seront tenus de ne laisser dégager aucun
gaz infect pendant remplissage des tonnes.
Les entrepreneurs susdits devront faire connaître à l'ingénieur en chef
des eaux et égouts le procédé qu'ils se proposent d'employer pour satisfaire
à la prescription qui précède.
Mais l'administration reprocha bientôt à la Compagnie
Lesage de ne pas remplir les conditions imposés en 1877,
VIDANGES. -01
en particulier de ne fermer qu'avec une toile tendue sur
un cadre en bois l'orifice des fosses pendant l'aspiration ;
des plaintes furent adressées par des propriétaires (le
sieur V.., rue deBagneux) parce que les parties intérieures
de leurs maisons étaient infectées lors des opérations de
vidange. Un arrêté du 21 septembre 1880 rapporta l'arrêté
du 11 octobre 1817, revint à l'application pure et simple
des prescriptions de l'Ordonnance du 29 novembre 1854
et ajouta la désinfection des gaz à celle des matières de la
fosse :
Art. 2... Tous les entrepreneurs seront tenus de procéder à la désin-
fection complète des matières dans les fosses, préalablement à toute
opération de vidange, et ce, sans préjudice des dispositions de l'arrêté
du o juin 1878, qui sont maintenues dans toute leur étendue à l'égard
de ces entrepreneurs.
Voici comment on procède à la désinfection des matiè-
res dans les fosses fixes soumises à la vidange. On lève la
pierre qui couvre l'ouverture de la fosse ; il se dégage
d'ordinaire à ce moment une grande quantité de gaz in-
fects ; on verse immédiatement dans la fosse la quantité
déterminée de solution de sulfate de fer à 20° Baume, sui-
vant le cube de la fosse. A l'aide de longues perches, des
ouvriers brisent le chapeau ou croûte dure qui recouvre
les matières, et procèdent au brassage, afin de mélanger
les liquides avec les matières solides plus lourdes qui se
sont déposées et de mêler le désinfectant avec toute la
masse. C'est à ce moment que se fait le plus fort dégage-
ment de gaz et qu'ont lieu les accidents dit du plomb.
M. Lasgoutte propose de pratiquer ce brassage en faisant
passer les perches à travers l'orifice étroit d'une feuille de
caoutchouc recouvrant hermétiquement l'orifice de la fosse.
On pourrait également le recouvrir d'une grosse toile fixée
sur un cadre trempé dans une bouillie épaisse de chlorure
de chaux ou une solution concentrée de chlorure de zinc.
On calcule que l'incorporation du sulfate de fer ne réduit
762 DESINFECTION MUNiCiPALE.
que de moitié la quantité de gaz que peuvent dégager les
matières.
Lorsque le contenu de la fosse est désinfecté ou réputé
tel, un tuyau qui ne doit jamais être en tissu perméable,
partant de l'extrémité inférieure de la tonne, est introduit
dans la fosse, et les matières brassées plus ou moins
liquides sont envoyées par des pompes à double effet dites
à soufflet, ou aspirées par le vide produit dans la tonne.
Ce vide dans les tonnes en fer peut être fait soit par une
pompe aspirante à vapeur (vidange atmosphérique de Do-
mange), soit en remplissant la tonne de vapeur d'eau qui
se condense, soit en la remplissant d'eau et en la vidant
par un tube noyé dans un puits de 11 mètres (vide de To-
ricelli), soit par une pompe aspiratrice adaptée sur l'es-
sieu de derrière de la voiture, et manœuvrant par le jeu
des roues pendant la marche du véhicule (système Datichy).
Nous avons vu que l'arrêté prescrit non seulement la dé-
sinfection préalable du contenu de la fosse,' mais encore
de désinfecter ou de brûler les gaz et l'air qui se dégagent
de la tonne à mesure qu'elle s'emplit. Voici comment se
font ces deux opérations.
Désinfection chimique des gaz des tonnes. De l'extrémi-
té la plus élevée de la tonne part un tuyau hermétique en
cuir épais, qui conduit les gaz dans un appareil épurateur
placé sur la chaussée. Cet appareil se compose de deux
boîtes superposées : dans l'inférieure se trouve une solu-
tion tenue secrète, qui est du sulfate de cuivre et où les
gaz se lavent en barbotant; le sulfhydrate d'ammoniaque
est décomposé, l'hydrogène sulfuré est fixé, il se forme
du sulfure métallique et du soufre libre qui se dépose. Le
compartiment supérieur où les gaz passent ensuite con-
tient du chlorure de chaux étalé sur des claies superposées
en spirale, afin de multiplier la surface du contact ; là, le
chlore se combine avec l'ammoniaque, il se forme de
VIDANGES. 703
l'azote, de l'acide chlorhydriqiie et du chlorhydrate d'am-
moniaque. Le coQtcnu des boîtes sert pour cinq ou six
opérations successives de vidange, ce qui est trop, les
agents chimiques ayant souvent épuisé leur action. Au
contraire, au début les appareils sont d'ordinaire mal ré-
glés, de sorte qu'ils laissent dégager au dehors de l'hy-
drogène sulfuré, de l'ammoniaque, ou du chlore.
Lorsque la désinfection préalable des matières n'a pas
eu lieu dans la fosse, l'abondance des gaz méphitiques dans
la tonne est telle, que les caisses à épuration restent inef-
ficaces, ïl en serait autrement si elles ne servaient qu'à com-
pléter la destruction des gaz qui ont échappé à la désin-
fection de la fosse.
Leur inefficacité tient encore à une autre cause : elles
retardent le passage des gaz qui sortent de la tonne
et rendent le travail de la pompe plus difficile en raison de
l'augmentation de pression; de sorte que les ouvriers, qui
ne comprennent guère à quoi servent ces appareils laveurs,
ont la plus grande tendance à disjoindre les tubulures
entre ceux-ci et la tonne et par conséquent à les rendre
inutiles. Ils sont aujourd'hui à peu près abandonnés.
Brûlage des ga% de la tonne. C'est Guérard qui, l'un
des premiers, en 1847, a conseillé de brûler dans un four-
neau allumé les gaz qu'une pompe à air retirait des tonnes.
Ce moyen de désinfection est excellent, mais ne détruit pas
toutes les odeurs.
Pendant la manœuvre des pompes, les gaz sortent de la
tonne par un tuyau qui, du sommet de celle-ci, aboutit au-
dessous d'un fourneau rempli de braise incandescente ; une
cheminée de tirage active la combustion ; il faut réserver
au-dessous du fourneau un passage suffisant à de l'air pur.
L'hydrogène sulfuré libre quia échappé à l'action du sul-
fate de fer se transforme en acide sulfureux ; il s'en dégage
(1) D'- Lasgoutte, loco citalo, p. 28.
-e4 DESINFECTION MUNICIPALE.
du fourneau une grande quantité, mais sans aucun in-
convénient, puisque ce gaz est un désinfectant et qu'il se
dilue immédiatement dans l'atmosphère. L'ammoniaque
est transformé par le feu en sulfocyanate d'ammoniaque
et en hydrogène (1). Il reste un certain nombre de pro-
duits odorants qui, en se brûlant, dégagent une odeur
empyreumatique désagréable.
Malgré ces inconvénients légers, le brûlage est le moyen
de désinfection le plus énergique ; tous les germes sans
exception sont détruits; ils sont littéralement flambés,
comme dans les appareils de culture de M. Pasteur. Il suf-
fit de s'assurer que les ouvriers, par négligence ou par une
économie coupable, ne laissent pas éteindre le fourneau,
ce qui arrive fort souvent.
Cet accident est surtout à craindre quand la désinfection
préalable de la fosse n'a pas eu lieu; l'hydrogène sulfuré
se dégage alors sous le fourneau en extrême abondance,
et l'acide sulfureux, produit de sa décomposition, étant un
corps qui arrête la combustion, le feu est éteint par l'excès
de cet acide ; on voit combien il est nécessaire de ménager
sous le fourneau un large accès à l'air pur pour assurer le
maintien de la combustion.
Pour éviter cet inconvénient, les appareils nouveaux et
très perfectionnés qu'une compagnie emploie aujourd'hui
font le vide dans la tonne à l'aide d'une pompe à vapeur,
et les gaz aspirés sont lancés automatiquement sous le
foyer de la chaudière où ils sont brûlés; l'on peut cir-
culer autour des tonnes en fonctionnement sans percevoir
aucune odeur désagréable.
Lorsque le travail des pompes est terminé, quand toutes
les parties liquides ou claires ont été poussées ou aspirées
dans la tonne, il reste souvent au fond de la fosse un amas
de parties lourdes et épaisses qui ont échappé au brassage
(1) Lasgoiitte, thèse ciléc, p. 49.
VIDANGES. -îGa
OU qui se sont déposées depuis {rachèv ement) . Ces ma-
tières, les plus anciennes d'ordinaire, les plus putrides,
doivent être recouvertes d'une nouvelle quantité de désin-
fectant, car leur extraction est toujours dangereuse. Un
ouvrier, muni de bottes à hautes tiges et retenu par un
bridage que des hommes manœuvrent du dehors, descend
dans la fosse et, à l'aide de seaux, de hottes, de trémies ou
d'entonnoirs, enlève ces résidus solides qu'on emporte
dans des tinettes bien fermées. Des accidents graves d'as-
phyxie et d'intoxication ont souvent lieu à ce moment, par
la négligence des hommes qui descendent sans bridages,
et surtout quand on n'a pas le soin de verser auparavant
dans la fosse presque vide une nouvelle quantité de dé-
sinfectant avant d'y descendre.
C'est pour empêcher cette fermentation des matières
solides les plus anciennes déposées au fond de la fosse et
qui échappent souvent à l'action du sulfate de fer projeté
au moment de la vidange, que la Commission ministérielle
de l'assainissement, en 1880, a proposé « de mettre la
substance désinfectante dans la fosse, non pas seulement
au momentdela vidange, mais immédiatement après qu'elle
est terminée, et dans le but d'agir sur la vidange sui-
vante (1) ». La même commission demande aussi que la
vérification de l'état de la fosse, que la recherche des fuites
aient lieu immédiatement après l'opération de la vidange, et
non le lendemain, ce qui oblige à laisser ouverte, pendant
214 heures au moins, une fosse dont les parois souillées
laissent dégager des gaz et des miasmes infects dans toute
la maison. La projection immédiate, dès la vidange ter-
minée, d'une solution de sulfate de fer, ou, ce qui vau-
drait peut-être mieux encore, d'un hectolitre d'huile lourde
de houille, assurerait cette désinfection actuelle et pré-
ventive.
(1) Rapports et avis de la commission d'nssainissement de Paris, ins-
tituée le 28 septembre 1880; Paris, Imprimerie nationale, 1881. {Rapport
de M. Broiiarclel, p. 37.)
7G6 DÉSiNFECTiON MUNICIPALE.
V An'été d\i préfet de la Seine, en date du 14 juin 1864,
prescrivant la désinfection préventive des tonneaux de
fosses mobiles, est ainsi conçu :
Article 1. A l'avenir, les entrepreneurs de vidanges seront tenus d'o-
pérer la désiiifeclion des fosses mobiles, avant de les meLtre en service.
Ils emploieront à cet effet le sulfate de fer ordinaire en cristaux, dans
la proportion de 5 kilogrammes par mètre cube de capacité du récipient
à désinfecter.
Art. 2. Cette opéralion sera faite soit au dépotoir d- la VilleLte, soit
à la voirie de Boiidy, après le dépotage et le lavage des appareils, et
avant leur sortie, sous la surveillance des agents de la Ville. Les tonnes
et leur contenu seront en outre contrôlés par les agents de vidanges, au
moment de l'installation des appareils dans la maison.
La quantité de sulfate de fer coïncide exactement avec
celle que nous indiquions théoriquement (p. 758), en nous
basant sur la dose de 25 grammes par personne et par
jour. Il est probable que l'administration a fait le même
calcul; c'est une raison de plus pour justifier le chiffre de
5 kilogrammes de sulfate de fer que nous réclamions pour
la désinfection d'un mètre cube de matières dans les fosses
fixes.
Il est à craindre que cette désinfection préventive ne se
fasse pas régulièrement et aux doses indiquées; sans cela,
on ne constaterait pas les mauvaises odeurs qui se déga-
gent lorsque, trop souvent (1), ces tinettes mobiles débor-
dent dans les caves ou les cours.
Il en est de même des tinettes filtrantes ; dans les mai-
sons nouvelles de Paris, les opérations d'enlèvement se
font d'ordinaire dans l'égout lui-même, ce qui duninue
beaucoup leurs désagréments. Les tinettes filtrantes ont
d'ailleurs été établies sur ce principe, que les matières
sohdes étaient seules dangereuses et que les urines pou-
vaient sans inconvénient couler directement à Fégoutsans
(1) Brouardel, rapport cité, p. 42. — Henry Guéneau do Mussy, Rap-
port sur l'évacualion des vidanges hors des habitations, Société de méde-
cine publique. [Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1880, p. 1085.)
VIDANGES. 767
être désinfectées. En ce qui concerne l'odeur, l'arine fer-
mentée dégage des émanations non moins désagréables
que celles provenant des matières solides. Qnant à l'in-
fection spécifiquo, quand aux germes morbides, l'urine
n'est peut être pas moins susceptible d'en charrier que
les matières intestinales.
En ces dernières années, M. le professeur Bouchard a
attiré l'attention en France sur les néphrites infectieuses
survenant au cours des maladies infectieuses (diphtérie,
scarlatine, fièvre typhoïde, pyémie). Dans ces cas, la né-
phrite et Talbuminarie seraient la conséquence de l'accu-
mulation, dans les vaisseaux du rein, des microbes éliminés
par le sang; la rétractilité du caillot albamineux obtenu
par l'addition d'acide picrique à l'urine serait, outre la pré-
sence des bactéries bacillaires, la caractéristique de cette
sorte de néphrites. M. Bouchard a pu produire des mala-
dies infectieuses par injection sous-cutanée d'urine émise
dans ces cas de néphrites. « On devra donc désormais compter
avec les urines comme moyen de contamination, et l'on
devra songer que parmi les déjections, les fèces ne doi-
vent pas être regardées seules comme moyen de diffusion des
germes morbides... Nous n'avons pas à insister sur l'im-
portance de ces faits dans leurs rapports avec l'hygiène
publique. »
Dans les cas de maladies infectieuses graves, il est donc
nécessaire de désinfecter, de neutraliser, toutes les déjec-
tions et sécrétions des malades, sans attendre d'ailleurs que
les faits qui précèdent soient plus complètement démontrés.
Et si quelque adversaire du système du tout à Végout
voulait en faire un argument pour démontrer que les dé-
jections ne doivent jamais être projetées dans les égouts
(1) Ch. Bouchard, Des néphrites infectieuses. [Revue de Médecine, n" âa
10 août 1881.)
(2) Kannenberg, Ueber Nephrilis bei acuten Infect ionskrankeUen.
[Zeitschrift fiir klinische Medi.iiiu . 1, H. 3,1880.)
-68 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
servant aux eaux de pluies, aux eaux ménagères et à celles
provenant du lavage des rues, nous répondrions: Comment
ferez-vous pour empêcher l'urine d'être mêlée à ces eaux
ménagères, à l'eau qui s'écoule de nos chaussées bordées
de vespasiennes et d'urinoirs, et dans cette voie, où s'arrê-
tera-t-on ? Nous allons retrouver cette question en parlant
des moyens de désinfection définitive des matières de
vidanges (épuration par le sol, irrigation).
Lorsque les tonnes de vidange ont été remplies par l'un
des procédés que nous venons d'énumérer, on les vide
dans les bateaux, cubant 2,o00 mètres, qui transportent
les matières hors de Pans, au voisinage des usines où l'on
en extrait les sels ammoniacaux. Quand ces matières n'ont
pas été désinfectées dans la fosse, comme on le tolérait de
18"7 à 1880, l'odeur dégagée par ces bateaux est horrible,
et toute tentative de désinfection est impraticable. On exige
que ces bateaux soient exactement fermés ; mais que peut
faire dans ce cas une occlusion toujours imparfaite !
Désinfection dans les fabriques de sels ammoniacaux.
Il en est de même des vidanges transportées aux voiries et
dans les usines ; il est très difficile de désinfecter dans
les dépotoirs les matières qui ne l'ont pas été dans les
fosses particulières au moment de l'extraction. Les dépo-
toirs à l'air libre, où les matières étalées se transforment
en poudrette par la dessiccation au soleil et par Tévapora-
tion, échappent à toute désinfection ; ils sont encore nom-
breux autour de Paris ; on ne doit plus les tolérer (1).
Les matières vidées dans des bassins de décantation en
maçonnerie et couverts, doivent au moins être additionnées
de sels métalliques ou de cendres de Picardie ; les matières
pâteuses acidifiées à l'acide sulfurique devraient toujours
(1; Rapport de M. Aimé Girard Infection provenant des établissements
qui reçoivent ou manipulent les matières de vidange), Commission de
rassainissement de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1881, p. l67.
VIDAlXGES. 769
être portées dans des séchoirs clos dont les gaz et l'air
seraient envoyés et brûlés sous les grilles des chaudières.
Dans les usines, les gaz qui se dégagent sous la toiture
des bassins de décantation doivent pouvoir être mis en
communication avec les foyers des générateurs ; dans le
département de la Seine, certaines autorisations d'ouver-
ture d'usines n'ont été délivrées qu'à cette condition.
M. Aimé-Girard pense qu'il est bien préférable de diriger
par propulsion ces buées et ces vapeurs vers un appareil
de combustion spécial, ne servant qu'à cela (foyer de
coke incandescent, four Siemens, gazogène, etc.)^ plutôt
que de les amener sous les foyers des générateurs
surmontés de cheminées gigantesques , la hauteur de
ces cheminées, l'intensité du tirage, déplacent trop rapi-
dement les gaz pour qu'ils aient le temps de se détruire
par le feu. « Les produits volatils qui se dégagent de ces
cheminées sont lancés dans l'atmosphère à l'état de vapeur
globulaire, analogue à la vapeur d'eau qui compose des
brouillards, incapable comme ces brouillards mêmes de se
diffuser rapidement dans l'air ambiant, et pouvant, par
conséquent, être transportés à de grandes distances. »
MM. Pabst et Girard pensent que dans ces usines on
pourrait tirer un grand profit de colonnes à cascades d'acide
sulfurique nitreux, à travers lesquelles on ferait passer
tous les produits gazeux des vidanges après le traitement
par l'acide sulfurique, au moyen d'une cheminée d'appel,
comme dans l'installation de latrines que nous avons
décrite (p. 646).
« Pour désinfecter les produits gazeux des vidanges,
« dit M. A. Pabst (1), on les fera passer dans une colonne
« de coke arrosée d'eau froide, afin de condenser autant
« que possible la vapeur d'eau en excès et les produits
« ammoniacaux ; puis on dirigera les gaz restants dans
(1) A. Pabst, Désinfection des vidanges par les produits nitreux (Revue
d'hygiène et de police sanitaire, 1881, p. IBTJ.
Vallin. — Dé3infecta:^ts. 49
770 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
« une colonne à cascades d'acide sulfurique nitreux, ana-
« logue à la colonne de Gay-Lussac, de l'appareil employé
« dans la fabrication de l'acide sulfurique, enfin, sur une
« petite colonne d'acide sulfurique et de sulfate de fer,
« afin de retenir les quelques vapeurs nitreuses entrai-
« nées. » On détruirait de la sorte non seulement l'indol, le
scatol, les mercaptans ou alcools sulfurés, les cyanures et
isocyanures de la série grasse et aromatique, dont l'odeur
est bien plus insupportable que celle de l'hydrogène sul-
furé; on détruirait du même coup les miasmes spécifiques
et les germes morbides que les matières pourraient con-
tenir. Dans certaines usines, on introduit dans les cheminées
d'appel des plateaux garnis de charbon pur ou imprégné
d'une solution de sulfate de fer ou d'acide sulfurique, pour
décomposer et condenser les gaz qui se dégagent ; il ne
faut pas trop compter sur une telle ressource, et le pro-
cédé que nous venons de décrire nous paraît bien préfé-
rable.
M. Aimé-Girard et Sainte-ClairefDeville demandaient que,
dans les fabriques de sels ammoniacaux, toutes les opéra-
tions sans exception aient lieu dans des récipients métal-
liques hermétiquement clos : réservoirs, appareils à
distillation, à évaporation, etc. Les bassins de décantation
en maçonnerie, en particulier, seraient toujours remplacés
par des bacs en tôle bien fermés ; l'on pourrait même
d'après eux supprimer cette décantation préalable, et sou-
mettre d'emblée à la distillation les matières tout venant ;
on éviterait ainsi cette accumulation et cette stagnation
prolongée des vidanges, qui constituent l'une des causes
principales d'infection autour des usines. La distillation
immédiate des matières tout venant assure, mieux qu'aucun
autre moyen de désinfection, la destruction de tqtis ces
germes morbides suspects que les vidanges poutraient
contenir et qui ne résistent pas à une température de
-f- lOOo G. En mélangeant les matières avec de la chaux
VIDANGES. -71
à la fin des opérations de distillation, on les rend, en outre,
sensiblement inodores.
C'est par des tuyaux métalliques hermétiques que les
liquides décantés doivent être amenés dans les colonnes de
distillation ou déversés au dehors. Les eaux résiduaires
particulièrement infectes qui sortent de ces colonnes
doivent toujours être traitées par la chaux et refroidies
dans des citernes couvertes avant d'être versées aux égouts:
il serait même désirable qu'au lieu de souiller ainsi les
égouts, elles fussent répandues, loin de toute habitation, à
la surface d'un sol perméable ou bien drainé.
Nous ne voulons dire qu'un mot d'un mode de traite-
ment des vidanges qui permettrait d'éviter les odeurs
infectes produites par la distillation des matières. Boussin-
gault a signalé depuis longtemps les avantages du traite-
ment des matières fécales, et particulièrement de l'urine,
par les sels de magnésie (p. 752). Jusqu'à présent la cherté
de cette base ne permettait pas de recourir à ce moyen
d'extraction des sels ammoniacaux. En 1881, M. Schlœsing
a découvert une méthode nouvelle pour obtenir à peu de
frais des quantités indéfinies de magnésie : il précipite
de l'eau de mer par la chaux ; un mètre cube d'eau de mer
donne 80 litres d'hydrate de magnésie gélatineux ; en y
ajoutant une dissolution étendue d'acide phosphorique, il
se forme un précipité de phosphate tribasique. Ce dernier
sel, mêlé aux matières de vidanges, précipite immé-
diatement l'ammoniaque sous forme de phosphate
ammoniaco-magnésien ; toutes ces opérations peuvent,
dit-on, se faire à froid et sans odeur. Reste à savoir
ce que deviendront tous les alcools sulfurés fétides
que nous énumérions plus haut, et si l'on obtiendra de la
sorte une désinfection véritable.
Désinfection et épuration par le sol. — Les matières
excrémentitielles, au lieu d'être jetées dans des fosses fixes
772 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
OU mobiles, peuvent être déversées directement à l'égout.
Les avantages et les inconvénients de cette méthode sont
actuellement très discutés, et ce serait nous éloigner de
notre sujet que d'entrer dans ce- débat; nous ne pouvons
rappeler et exposer que des principes.
Déjà nous avons montré l'action désinfectante et épura-
trice de la terre et des poussières sèches (p. 41 et 649),
du sol bien drainé (p. 684). La disparition dss odeurs par
l'irrigation sur le sol est évidente ; une promenade à
Gennevilliers, au milieu des terrains maraîchers arrosés
avec l'eau d'égouts et de vidanges de Paris, en donne
la preuve. Les expériences de Falk ne sont pas moins
concluantes ; Il a montré qu'une solution concentrée de
thymol reste odorante après avoir passé sur de la terre
calcinée et dont les protorganismes ont été détruits ; au
contraire le thymol perd son odeur quand le sol traversé
n'a pas été débarrassé de ses organismes. C'est la confir-
mation des expériences antérieures de MM. Muntz et
Schlœslng, qui volent les matières organiques dissoutes
dans l'eau versée à la surface d'une tranche épaisse de
terre, reparaître au-dessous du fdtre et ne plus arriver
comme auparavant à l'état de nitrates, dès qu'on Imprègne
la terre du filtre de vapeurs de chloroforme qui détruisent
ou engourdissent les bactéries, agents de la nltrlfica-
tion.
L'action directe de l'oxygène paraît, d'ailleurs, contribuer
pour une part aux oxydations et à la destruction de la
matière organique ; d'après Ealk, une solution septlque est
toujours détruite et n'a plus aucune virulence quand elle
a fdtré à travers de la terre calcinée ou non calcinée. Nous
avons cette fols la confirmation des faits découverts par
Pasteur, à savoir que le vibrion septlque, anaéroble,
meurt et perd toute sa virulence au contact de l'air. Par
contre, les expériences de Pasteur ont prouvé que les spores
charbonneuses oe sont nullement détruites par le séjour
VIDANGES. 773
prolongé dans le sol, et que le simple pacage de moutons
au-dessus d'une fosse où l'on a enfoui deux ans auparavant
des animaux morts de sang de rate, peut donner aux
premiers cette terrible maladie. Rien ne prouve que les
matières fécales ne contiennent pas des germes ou des
corpuscules-germes aussi résistants que les spores charbon-
neuses ; rien non plus ne prouve que ce danger est réel, et
l'on peut disserter indéfiniment sur la possibilité d'un dan-
ger imaginaire. M. Marié-Davy a montré, d'autre part, que
l'eau d'égout et de vidanges versée à la surface d'un sol drainé
en sort extrêmement pure et ne contient plus, au-dessous
du filtre, aucune trace de microbes, tandis que l'eau cou-
rante d'une rivière non souillée en contient toujours un
petit nombre.
Pourvu que la couche perméable soit suffisamment
épaisse (2 mètres), que le sol soit très poreux, bien drainé,
que l'irrigation soit intermittente, et que le renouvellement
de l'air dans le sol ainsi ventilé soit rapide, la destruction
de la matière organique est indéfinie, et les matières de
vidanges dissoutes ou en suspension peuvent être versées
sur le sol en grande quantité, 5 à 6 mètres de hauteur par
an sur une surface de un mètre, sans que la désinfection
cesse d'être obtenue. Les analyses de Frankland, de
Schlœsing, de Durand-Claye, prouvent que la saturation du
sol est impossible, pourvu que le renouvellement de l'eau
et de l'air soit continu ou alterne : l'air brûle les matières
organiques qui passent à l'état de nitrates, et ceux-ci étant
solubles, l'eau les entraîne en lavant le sol perméable. La
culture augmente l'action destructive du sol, et utilise une
partie de la matière organique à l'état d'engrais.
Nous sommes parmi ceux qui ont le plus de confiance
dans l'action épuratrice et désinfectante du sol, et nous
pensons que dans un avenir prochain, le déversement
direct des vidanges à l'égout, l'irrigation, avec le contenu
de ces égouts, de terrains bien choisis, rendront inutiles
77-4 DÉSINFECTION MUNICIPALE.
les opérations actuellement infectes et insalubres du trai-
tement des vidanges. Il sera toutefois indispensable, dans
les cas de" maladies contagieuses ou transmissibles, de
désinfecter les selles suspectes au moment même de leur
émission, avant de les livrer à Tégout.
Pour les modes d'application de cette méthode d'épu-
ration des vidanges, nous renvoyons aux ouvrages et aux
mémoires spéciaux oii cette question est actuellement dis-
cutée (1), et particulièrement au Traité cV assainissement
des villes de M. de Freycinet, dont les chapitres sur la
circulation continue ont servi de base à la plupart des
travaux sur ce sujet.
(1) De Freycinet, Principes de l'assainissement des villes, 1870, p. 202,
avec atlas. — Assainisseoient de la Seine, Epuration et utilisation des
eaux d'e'goiit ; Rapports et documents, 1877. — Schlœsing, Durand-Claye
et Proust, Congrès d'hygiène de Paris en 1878, Comptes-rendus, T. I, p.
303. — Note du Directeur des travaux de Paris, M. Alphand, Sur le
service des eaux et égouts, Paris, Chaix, 1879, p. 71. — Rapports de MM.
Brouardel, Schlœsing, Bùrard, à la Commission de V assainissement de
Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1881. — Durand-Claye, Observations des
Ingénieurs sur les rapports précédents, Paris, Chaix, 1881. — Vallin,
Les projets d'assainissement de Paris [Revue d'hygiène et de police sani-
taire, 1881, p. 812). — Van Overbeck de Weijer, Les systèmes d'évacuation
des eaux et immondices d'une ville [Revue d'hygiène, 1879, p. 967 et
1880, p. 6,176, et 163. — Du même, 2" brochure, sous le, mémo titre,
Paris, Baillicre, 1880, 1-98. — Arnould, Zes controverses récentes au sujet
de l'assainissement des villes. {Annales d'hygiène et de médecine légale,
juillet 1882, p. 5). — Trélat, BcTlier, Vidal, Brouardel, Marié-Davy, etc.
Discussion à la Société de médecine publique en 18S2. [Revue d'hygiène
et de police sanitaire, 1882.)
DÉSINFECTION DU SOL. 775
CHAPITRE VIII.
DÉSINFECTION DU SOL.
ART. 1. — ASSAINISSEMENT DES MARAIS.
Qu'il s'agisse de marais, ou de parties du sol acciden-
tellement souillées par l'accumulation de matières organi-
ques, le moyen de désinfection le plus actif, le plus rapide,
le plus sûr, est le drainage associé à la culture.
Des canaux, des fossés bien entretenus et utilisant des
pentes heureuses, dans certains cas munis d'écluses et
d'appareils élévatoires (moulins à vent, machines à va-
peur, etc.), ont assaini des contrées jusque-là très mal-
saines (mer de Harlem, Zuid-Plass, Lincolnshire, etc.).
Le drainage, obtenu soit en plaçant des fascines, des
fagots, des cailloux au fond des tranchées ayant une
inclinaison convenable, soit en y disposant méthodique-
ment des tuyaux en terre cuite, augmente la porosité du
sol, l'assèche, le ventile, y active à la fois le renouvelle-
ment de l'eau et des gaz et la destruction de la matière.
Quand on a fait disparaître l'eau de la surface et l'eau
d'infiltration profonde, quand on a égouté et aéré le sol
d'une façon permanente, il faut utiliser la force productive ;
c'est l'œuvre de la culture. Mais le défrichement, l'expo-
sition brusque à l'air et à la lumière des couches jusque
là cachées et confinées, est une des difficultés, un des dan-
gers les plus réels de l'assainissement des marais. On
active pour un temps à un "degré extrême les propriétés
nuisibles du sol exploité. Il faut travailler vite et défricher
complètement; en pareil cas, le marais est comme la pre-
mière tranchée qu'on va ouvrir sous le feu de l'ennemi ;
776 DÉSINFECTION DU SOL.
plus rapidement on la creuse et plus tôt on est à l'abri
d'une mort presque certaine (1).
Les grandes plantations d'arbres n'exigent pas une cul-
ture journalière ; l'homme n'est pas obligé de rester penché
sur le sol, respirant incessamment les émanations que cha-
que coup de pioche fait sortir. L'évaporation rapide par
les feuilles soustrait l'humidité du sol. Certaines espèces
végétales ont à ce dernier point de vue une puissance
d'absorption extraordinaire ; Chevreul, dans une expé^
rience faite au commencement du siècle au Muséum, plaça
une tige de soleil Qielianthus anniius), de l'^jSO de hau-
teur, dans un pot vernissé, bien fermé, rempli de terre
saturée d'eau; au bout de 12 heures, la transpiration avait
enlevé au vase 15 kilogrammes d'eau; on remplaçait celle-
ci à mesure que la terre cessait d'être saturée. Le D"" Van
Alstein a obtenu, en ces dernières années, des résultats ex-
cellents et un assainissement remarquable des localités
marécageuses, dans les colonies hollandaises, par les plan-
tations d'hélianthus.
V eucalyptus vient au premier rang parmi les plantes
qui pompent ainsi l'humidité du sol; en Algérie, à la Mai-
son-Carrée, à Mokta-el-Hadid près du lac Fezzara , en
Corse, etc., cet arbre a rendu les plus grands services au
point de vue de l'assainissement, comme au point de vue
de la production agricole.
Un grand nombre de plantes dites épuisantes, à végé-
tation rapide, le topinambour, e ray-grass, le gallega
offîcinalis, la moutarde, enlèvent en peu de temps une
partie de l'azote des matières enfouies dans le sol ; ce qui
dans les conditions ordinaires constitue leur inconvénient,
c'est-à-dire l'épuisement rapide de l'assolement, devient
ici une ressource utile.
Falk, dans l'important mémoire que nous avons déjà
(1) Valliu, article Marais, Li'-thnnaïre encyclopédique des sciences mé-
dicalec, T. iV, p. 747.
TERRAINS MARÉCAGEUX. 777
cité (p. 772) aétudié expérimentalement l'action de la végéta-
tion sur le sol imprégné de matières organiques. Il a fait des
plantations (ïivrmc {Lolium perenne), de cresson alènois,
et il a constaté que l'iadol, ce composé si stable, est dé-
truit par [ces végétaux d'une manière bien plus complète
que par le simple drainage ; au bout de peu de temps les
couches supérieures du sol n'en conservaient plus l'odeur
caractéristique, ce qui prouve que la végétation avait ra-
pidement décomposé ce corps. Les matières putrides,
dont la stabilité chimique est beaucoup moindre, se décom-
posaient beaucoup plus vite encore par l'action des vé-
gétaux.
L'exposition prolongée au soleil, à l'air libre, à la pluie,
contribue pour une certaine part à l'épuration du sol; le dé-
laiementparla pluie, les irrigations ou les inondations, des
terrains imprégnés de résidus de fabriques, est un moyen
de désinfection d'une utilité évidente, mais dont l'action est
lente quand le sol n'est pas naturellement perméable ou
drainé.
Vécohuage consiste à enlever de la surface d'un terrain
couvert d'herbes, des couches de terre de dix centimètres
d'épaisseur, à laisser ces pièces sécher au soleil, à les dis-
poser en une sorte de hutte ou de four qu'on remplit d'her-
bes sèches ou de paille qu'on enflamme; on brûle ainsi la
terre, comme on fait cuire les briques ou comme on fabrique
le charbon. Les cendres des parties végétales brûlées enri-
chissent le sol, le feu détruit en même temps les sources
d'insalubrité, les miasmes et les germes que la terre pou-
vait contenir; c'est une ressource précieuse, à laquelle il
est facile de recourir quand une surface peu étendue du
sol a été souillée par des dépôts de fumiers, d'immondices,
des débris d'animaux putréfiés. La destruction des fumiers
par le feu est au contraire une opération lente, insupportable
par les fumées infectes qu'elle jette dans l'atmosphère, et
ne saurait se confondre avec l'écobuage.
778 DÉSINFECTION DU SOL.
L'allumage de grands feux à la surface du sol, l'incendie
de prairies, de taillis, l'inflammation d'une couche de
paille ou de feuilles sèches intentionnellement répandues,
sont des moyens qu'on pourrait appeler classiques d'ob-
tenir le même résultat, et dont la mention se retrouve
dans l'histoire de la plupart des épidémies anciennes.
Lorsque l'on doit remuer, dans l'enceinte des villes, de
grandes quantités de terres qu'on suppose chargées de
matières organiques en décomposition, on peut craindre,
par la mise au jour des produits d'une fermentation in-
complète, le développement ou l'aggravation de maladies
épidémiques ; fièvres typhoïdes, dysenteries, érysipéles,
peut-être même suivant quelques-uns diphtérie et angines
couenneuses. Des mesures de désinfection sont nécessaires
pour prévenir ce danger. En 1877, au cours d'une épidé-
mie de fièvre typhoïde qui régnait dans la garnison de
Clermont-Ferrand, le colonel directeur de l'école d'artil-
lerie de cette ville eut à déplacer 4,000 mètres cubes de
terre, occupant la place de l'Étoile, et formés à la fois
d'immondices anciennes et de vieux matériaux de démo-
lition. Le Comité consultatif d'hygiène fat consulté sur
les mesures hygiéniques à prendre pour faire ces travaux
sans dangers.
M. Rochard (1), dans un rapport approuvé par le Co-
mité, proposa : 1° de pratiquer des sondages à la profon-
deur que devaient atteindre les fouilles, afin de constater
la nature de ce terrain de rapport ; 2" d'y creuser de pro-
fondes tranchées et, au besoin, des conduits souterrains
venant s'ouvrir à la surface du sol, et sur les orifices des-
quels on allumerait des feux pour détruire les gaz qui vien-
draient à s'en dégager; 3° dans le cas où ces terres seraient
chargées de détritus organiques et d'immondices, il y au-
(1) Rochard, Mesurer dliygiène qu'il conviendra de prendre à Cler-
mont-Ferrand au moment des fouilles, etc. {Recueil des travaux du Co-
mité consultatif d'hygiène, 1878, T. VU, p. 310.)
CHAMPS DE BA.TA1LLE. 779
rait lieu de les désinfecter, au moment de leur déplace-
ment, avec une solution do sulfate de fer au 100°, à
laquelle on mélangerait une certaine quantité de poussière
de charbon. Il suffirait d'employer 2 litres de ce mélange
par mètre cube de terrain; 4° enfin d'ensemencer après
leur transport les terres ainsi remuées, avec' des graines
de légumineuses telles que la luzerne ou le trèfle. »
L'on trouvera également dans deux rapports très étudiés
de M, Léon Colin, demandés à la Société de médecine pu-
blique et à l'Académie de médecine, en 1881, par la ville
du Havre, à l'occasion des travaux projetés du canal de
Tancarville, l'énumération des mesures à prendre pour
éviter les accidents résultant des émanations provenant
de grandes masses de terres récemment remuées: allu-
mage matin et soir de grands feux au voisinage du chan-
tier; nivellement des dépressions et des caisses d'emprunt,
drainage, assèchement, puis ensemencement des bas-fonds
marécageux desséchés ; culture intensive des terrains char-
gés de terre- végétale, etc.
Toutefois, il faut avoir soin de ne défoncer le sol par la
charrue et par un labour profond que pendant la saison
froide, au commencement ou à la fin de l'hiver, dès que
la terre n'est plus durcie par la gelée, afin d'éviter les
émanations qu'un sol fraîchement défriché ne manquerait
pas de dégager pendant la saison estivo-automnale.
ART. IL —DÉSINFECTION DES CHAMPS DE BATAILLE.
A la suite d'une campagne, les champs de bataille, le
voisinage des villes assiégées, les terrains qui ont été le
(i) Léon Colin, Rapport sur les mesures hygiéniques à conseiller au
sujet de l'exécution du canal de Tancarville, Sociéto de médecine publique
et d'hygiène professionnelle, séance du 23 mars 1881. {Revue dliijQiène et de
police sanitaire; avril 1881, p. 300). — Instructions, elc. [Bulletin de
l'Académie de médecine, 15 nov. 1881, p. 1377-1407). — Drouineau,
Conditions sanitaires des ouvriers des grands chantiers. (1881, broch. in-8',
et Revue d'hygiène, 1881, p. 498.). — Consulter aussi l'excellent chapitre
Sol des Nouveaux éléments d'hygiène, de Jules Ainould, 1881, p. 14 à 191).
780 DÉSINFECTION DU SOL.
théâtre de combats partiels et meurtriers sont parfois
rendus pestilentiels par l'inhumation incomplète ou même
l'abandon des victimes de la guerre. Des épidémies ont été
favorisées, sinon engendrées, par le sol infecté dans de
telles conditions. Bien qu'il s'agisse ici plutôt de l'hygiène
en général, que la désinfection proprement dite des champs
de bataille, il ne nous est pas permis de passer près de
ce sujet sans nous y arrêter.
Avant tout, il faut prévenir l'infection; pour cela, choisir,
aussi bien que les conditions de la guerre le permettent,
l'emplacement des tranchées destinées aux inhumations :
sol poreux, perméable, sec, déclive, éloigné du voisinage
immédiat d'un cours d'eau servant à l'alimentation; éviter
le sable, l'argile, les terres fortes, marécageuses. Les
terrains humides, où l'eau est stagnante, retardent la
décomposition des corps. Les fosses ou tranchées doivent
avoir 2 mètres de largeur et une profondeur de deux
mètres au moins. Les cadavres seront dépouillés de leurs
vêtements, car les parties couvertes de pièces d'habil-
lement résistent beaucoup plus longtemps à la destruction.
On dispose, si cela estpossible, quelques branchages au fond
des tranchées pour faciliter l'écoulement de l'eau et le
drainage du sol ; les corps sont superposés en couches et
de préférence en séries perpendiculaires entre elles.
Les fosses doivent être très incomplètement remplies,
de telle sorte qu'au-dessus du dernier cadavre il reste
un espace libre de 10 centimètres au moins pour re-
joindre la surface plane du sol. On achève de com-
bler la fosse avec de la terre et on dispose en talus toute
la terre enlevée dont les cadavres inhumés ont pris la place.
On forme ainsi une sorte de tumulus qui dépasse d'ordi-
naire d'un mètre le niveau de la plaine, et dont les dimen
sions et l'étendue mesurent exactement celles de la fosse ;
ces reliefs du sol, qui, sur certains champs de bataille
atteignent une longueur d'un kilomètre, signalent plus
CHAMPS DE BATAILI^E. 181
tard à l'attention du laboureur la présence de ces cime-
tières ; ils protègent ces tristes dépouilles des insultes des
animaux immondes ; ils les protègent aussi contre le soc
de la charrue qui a parfois mis au jour des corps à demi
consumés et donné issue, en déchirant la terre, à des flots de
gaz pestilentiels. Les cadavres d'animaux sont d'ordinaire
enfouis dans le sol avec plus de négligence encore, et
souvent c'est à peine si une couche de terr§ de quelques
centimètres en recouvre les parties saillantes.
Lorsqu'un champ de bataille a ainsi servi de sépulture
à plusieurs milliers d'hommes et à un nombre considérable
d'animaux de grande taille, il devient nécessaire de
prendre des mesures pour désinfecter le sol et empêcher la
souillure de l'air et des cours d'eau du voisinage. Le
meilleur exemple des tentatives de désinfection faites dans
des conditions semblables, est celui des champs de bataille
de Sedan et de Balan où plus de 20,000 cadavres de soldats
français et allemands avaient été rapidement ensevelis. Le
danger était évident, menaçant. Un Comité pour Vassai-
nissement des champs de bataille se forma en Belgique,
sous la présidence du prince Orloff, et une commission
dont faisaient partie MM. Guillery et Créteur se rendit
vers le milieu du mois de mars 1871 à Sedan et à Balan,
pour procéder aux premières tentatives de désinfection.
M. L. Créteur (1) nous a donné le récit intéressant
des opérations auxquelles il a présidé.
On enlevait la couche superficielle de terre et l'on
s'arrêtait quand on apercevait la teinte noirâtre et sulfu-
reuse qui annonce le voisinage des cadavres ; on arrosait
la surface avec une solution d'acide phénique impur, et
l'on découvrait le cadavre. Celui-ci était saupoudré d'une
couche mince de chlorure de chaux, aspergé d'acide
(1) L. Créteur, L'hyijiène sur les champs de bataille, Bruxelles, 1871, et
Congrès d'hygièae de Bruxelles, 1876, ï. H, p. 323.
-m DÉSINFECTION DU SOL.
nitrique, et l'on versait sur la fosse une grande quantité de
goudron de houille ; 2 tonneaux suffisaient pour les fosses
contenant 30 à 40 cadavres ; on en répandait 5 à 6 dans
les tranchées oîi 250 à 300 corps avaient pu trouver place.
Le mélange de chlorure de chaux et d'acide phénique
dégageait dans l'atmosphère de grandes quantités de chlore.
On répandait à la surface des corps ainsi mis à nu des
branchages, de la paille, qu'on imbibait de pétrole ; il
était alors très facile d'enflammer le contenu de la fosse
qui se transformait bientôt en brasier. Il se dégageait une
fumée épaisse, tellement acre que les mains et la figure
des travailleurs se couvrirent de vésicules et que les
insectes tombaient morts sur le sol. La chaleur était telle
que la terre déplacée était crevassée à une assez grande
distance des fosses.
Au bout de deux heures, le contenu de celles-ci
s'était considérablement affaissé et réduit aux 3/4 du
volume primitif ; on ne voyait plus que des ossements cal-
cinés recouverts de résine concrète et noire. Les terres
enlevées furent rejetées dans la fosse, et le talus désormais
bien réduit qui s'élevait au-dessus d'elle, fut plus tard ense-
mencé avec du chanvre et du lin. Le travail dura du 20 mars
au 20 mai, il fut arrêté sur les réclamations de familles
allemandes qui s'opposèrent à ces pratiques de crémation.,
M. Créteur dit avoir désinfecté 3,213 fosses contenant
45,855 cadavres ; mais ces chiffres ont été cortestés par
l'un des membres de la commission, le D Lante, et sem-
blent devoir être réduits à 15,000.
De même, après la reddition de Metz, les autorités
allemandes s'émurent des dangers que faisait courir à tout
le pays le nombre extraordinaire de cadavres ensevelis
dans le sol. A l'instigation du commissariat civil, le mi-
nistre de la guerre désigna à Berlin une commission dont
faisaiert partie deux médecins de l'armée prussienne,
MM. d'Arrest et Bode, et qui fut chargée d'organiser la désin-
CHAMPS DE BATAILLE. 78;)
fection des champs de bataille de cette région. Une petite
armée de soldats du génie et d'ouvriers fut mise à la dis-
position de la commission, et au mois de mai 1811, le
nombre des travailleurs ne s'élevait pas à moins de 1,200
à l,oOO par jour. Tous les débris trouvés dans les lieux de
campement furent brûlés ou enfouis ; les fosses contenant
des débris ou résidus organiques furent comblées avec de
la chaux éteinte, surmontées de 50 centimètres de terre
et plus tard ensemencées avec du chanvre.
Les tertres dressés au-dessus des tranchées qui avaient
servi à la sépulture des hommes ou à l'enfouissement des
animaux , furent généralement exhaussés de plusieurs
pieds à l'aide de terre empruntée au voisinage, et semés
de gazon. Dans certains cas, on creusait une fosse profonde
immédiatement au voisinage de la tranchée primitive ;
pendant le travail, la terre souillée par les infiltrations
était désinfectée à l'aide de chaux vive, de chlorure de
chaux, d'acide phénique, d'huile lourde de houille et de
goudron ; l'on enlevait ensuite les couches les plus super-
ficielles des cadavres inhumés, et on les portait dan^ la
fosse ainsi creusée, au fond de laquelle on avait répandu
une couche de chaux et d'acide phénique (1).
C'est à peu près la même méthode que le Comité con-
sultatif d'hygiène publique de France (2) conseilla au
ministre de l'agriculture et du commerce, dans un rapport
rédigé par A. Latour et adopté par le Comité le 20 mars
1811. Le ministre avait demandé son avis sur les mesures
à prendre, en vue de préserver la santé publique des
dangers qui pourraient résulter de l'inhumation, à une
(1) Bericht iiber die Desinfections Arbeitiing in der Uingebung von Metz,
erslattet von D-- D'Arrest imd D"' Bode, (Rapport manuscrit communiqué
à W. Woih, Handbuch der militar-Gesundheitspflege, 1812, T. 1, p. 548.)
(2j Assainissement des champs de bataille, Rapport au nom d'une
commission composée de MM. Bussy, Fauvel, Michel Lévy, Bouloy,
Reynaud, et Amôdce Latour, rapporteur. {Galette hebdomadaire, 1871,
p. lo8.)
784 DESINFECTION DU SOL.'.
profondeur insuffisante, des cadavres des combattants
dans la dernière guerre sur plusieurs champs de bataille
autour de Paris et dans les départements.
Le Comité pensa qu'il fallait rejeter absolument l'idée
de l'exhumation immédiate d'un aussi grand nombre de
cadavres en partie déjà décomposés. Il conseilla d'élever,
à l'aide de terre rapportée, des tumulus de 40 à 50 centi-
mètres seulement au-dessus de la fosse, et de les ense-
mencer avec des graines de plantes à végétation rapide
et épuisantes. Ce moyen permettrait d'attendre l'hiver
prochain, pour procéder aux exhumations qui pourraient
alors paraître indispensables.
Il était arrivé fréquemment autour de Paris, à cette
époque malheureuse, que des corps isolés eussent été in-
humés rapidement, à une profondeur insuffisante, dans les
jardins, les enclos particuliers, où étaient tombés les
combattants. Il devenait diflicile d'exiger des propriétaires
la servitude de plusieurs tumuli analogues à ceux dont il
vient d'être question. Le Comité pensa qu'il y avait lieu
alors de prendre les mesures suivantes :
« Creuser parallèlement à la fosse qui renferme le cadavre, et aussi
près que possible d'elle, une fosse i(ie Im, 30 à 2 mètivs de profondeur,
dimension prescrite par le décret du 23 prairial ou Xil enlever la couche
de terre recouvrant le cadavre, répandre sur celui-ci une quantité sufli-
sante de chlorure de chaux pour le désinfecter, puis le faire glisser dans
la fosse nouvellement creusée, et placer le cadavre sur un lit de chaux
vivo dont il sera recouvert avant de le couvrir de terre. »
Le ministre avait demandé s'il ne conviendrait pas de
chercher d'autres garanties dans l'emploi sur place de
certains agents chimiques et dans la mise en culture, sur
une zone déterminée, des terrains les plus rapprochés des
points d'enfouissement. Le Comité répondit que l'emploi
des moyens chimiques exigerait le déterrement, sinon
l'exhumation des cadavres, si l'on voulait être sur d'at-
teindre les corps placés à une assez grande profondeur,
que cette opération était inutile et dangereuse, et serait
CHAMPS DE BATAILLE. 788
très dispendieuse. Les agents chimiques pourraient d'ail-
leurs s'opposer à la culture et faire perdre le bénéfice de
celle-ci :
(i Le Comilé ne croit devoir conseiller l'emploi d'aucun agent chimique
ou désinfectant, préalablement à l'élévation du tumulus, car ces agents
s'opposeraient à la germination et au développement des graines ense-
mencées, alors que le Comité place, au contraire, toute sa confiance
dans les phénomènes de la végétation comme moyen d'absorption rapide
des produits de la décomposition putride. 11 conseille même de diminuer
considérablement l'élévation du tumulus, afin que cette absorption par
les plantes soit prompte et sûre ; ces plantes doivent d'ailleurs être
choisies parmi celles dont l'affinité pour les matières azotées est le
mieux démontrée. »
Sans méconnaître que l'élévation trop grande des tertres
qui recouvrent les fosses empêche les végétaux qu'on y
cultive de faire sentir leur action épuisante sur les corps
placés profondément, il ne faut pas oublier que la trans-
formation d'une aussi énorme quantité de matières azotées
exige un temps très long, et qu'une couche épaisse de
terre constitue la meilleure protection contre les émana-
tions méphitiques. On pourrait, d'ailleurs, semer sur le
tumulus des plantes ou des arbustes dont les racines pé-
nètrent assez loin dans le sol; l'hélianthus annuus, par
exemple, le houblon, pourraient être associés au ray-grass
ou à la luzerne.
Pour prévenir l'infection des champs de bataille par les
cadavres, on a proposé de détruire ceux-ci par le feu, non
seulement pour remédier aux conséquences d'une inhuma-
tion mal faite, mais pour la remplacer. Ici, il faut se
méfier de tout entraînement et de toute exagération.
En principe, il nous paraît désirable que la crémation des
cadavres s'introduise dans nos moeurs, et les opérations
auxquelles nous avons assisté à Milan (1) nous font penser
qu'il n'est pas impossible d'arriver à surmonter des pré-
(1) E. Vallin, Une séance de crémation à Milan {Revue d'hygiène et de
police sanitaire, 1880, p. 834.)
Vallin. — Désinfectants. .50
786 DÉSINFECTION DU SOL.
ventions ou des répugnances légitimes. Mais, ce qu'on peut
faire dans un appareil à demeure, ingénieusement ma-
chiné, dans le Crématorium d'une grande ville, sur un
seul cadavre, n'est en rien comparable avec les difficultés
qu'on rencontre lorsqu'il s'agit de détruire par le feu, en
quelques jours, plusieurs milliers de corps. Comment
installera-t-on le nombre considérable d'appareils qui de-
vraient fonctionner en même temps, nuit et jour? où trou-
vera-t-on le combustible nécessaire?
Il n'est pas soutenable qu'on songe à dresser des bûchers
en plein vent; il ne faut pas se laisser séduire par le sou-
venir des héros d'Homère et des bûchers magnifiques
qu'on réservait pour les rois et les pasteurs des peuples :
de même les initiateurs de la crémation en Italie ont bien
vu, en 1869, qu'il était plus difficile de brûler le corps
du rajah de Kelapore à la promenade des Cascine, à Flo-
rence, que sur les grands escaliers de marbre qui descen-
dent au Gange.
MM. Kuborn et Jacques (1) ont bien proposé, en 1876, de
faire suivre les armées de fourgons crématoires où deux soles
inclinées, enfonte, sur lesquelles on placerait deux cadavres,
conduiraient sous le foyer disposé au-dessous les graisses
qui contribueraient ainsi à entretenir la combustion ; l'idée
d'injecter chaque cadavre avec du pétrole pour le rendre
plus combustible ne serait pas venue à des personnes
ayant la pratique des choses de la guerre et des champs
de bataille. Chaque fourgon ne peut brûler en 24 heures
que 20 cadavres au maximum ; l'opération doit être ter-
minée au bout de S à 6 jours; faudra-t-il donc faire suivre
toute l'armée d'une longue file de ces lourds fourgons, et
songera-t-on à faire passer sous les yeux de ceux qui vont
combattre un appareil funéraire et lugubre qui sera tou-
jours insuffisant?
(l) Compte rendu du Congrès d'hygiène de Bruxelles en 1876, par
0. Du ^èsnil [Annales d'hygiène et de médecine légale, 1877. T, 47", p. 48.
CHAMPS DE DATAILLE. 787
Il faut réserver la crémation pour les villes assiégées,
pour les armées de siège campées devant une forteresse.
Quand des épidémies meurtrières multiplient les décès par
maladies infectieuses ettransmissibles, les cimetières qu'on
improvise dans l'enceinte d'une ville fortifiée deviennent
insuffisants et dangereux ; il n'est pas bon que les morts
disputent la place aux vivants, ni que les vivants foulent
la tombe des morts. Les appareils ou fours crématoires
pourraient alors rendre des services ; il est facile de les
improviser sur place. Voilà dans quelle mesure la créma-
tion nous paraît utilisable pour le champ de bataille ou
une armée en campagne.
Les animaux tués par l'ennemi ne sont pas une cause
moindre de dangers et d'infection de l'air et du sol. En
1814, on détruisit par le feu, sur de longues barres de fer,
4,000 chevaux tués pendant les batailles autour de Paris,
et qui jonchaient la plaine. L'opération fut longue, difficile,
dura 15 jours, nécessita d'énormes quantités de combus-
tible, et recouvrit pendant plusieurs semaines tout le voi-
sinage d'une fumée épaisse, salissante et infecte. Aujour-
d'hui, une telle opération se ferait sans doute plus facile-
ment, à l'aide des appareils à incinération que la pra-
tique de la crémation a fait naître. Il nous semble, en effet,
que c'est sur les animaux que l'on devrait faire l'expé-
rience des procédés crématoires ; on est sûr de la sorte de
ne froisser ni sentiments ni préjugés, et l'on diminuera
d'autant les sources d'infection du sol. Il faut espérer,
d'ailleurs, qu'il ne s'écoulera pas un trop long temps avant
que la viande de cheval n'entre dans la ration ahmentaire
du soldat, en temps de paix aussi bien qu'en campagne.
« Alors que le soldat épuisé par des marches rapides et un
travail excessif, disions-nous au Congrès international
d'hygiène de Turin (1), a tant besoin de réparer ses forces
(1) E Vallin, Quels soins faut-il prendre des cadavres sur le champ de
bataille, Compte rendu du Congrès d'hygièue de Turin. [Revue dliygiènê
et de police sanitaire, 1880, p. 928.)
788 DESINFECTION DU SOL.
par une alimentation richement animalisée, et qu'il est si
difficile de se procurer des vivres, on ne comprend pas
qu'il abandonne à la putréfaction une masse énorme de
viande fraîche, de la viande qui marche, provenant de
chevaux bien nourris, en excellent état d'entretien et qui,
quelques heures avant, ont été abattus en pleine santé par
un projectile, de la même manière pour ainsi dire qu'un
animal de boucherie à l'abattoir. Ce n'est pas sur des bû-
chers, c'est sur des grils qu'il faut porter la chair des che-
vaux tués par l'ennemi. »
Nous venons de passer en revue les principales circons-
tances où la désinfection est nécessaire ; le nombre est
grand des cas particuliers où l'on doit encore recourir à
de telles opérations. Les principes et les exemples qui pré-
cèdent traceront par analogie la marche à suivre et les
moyens à employer.
PRIX APPROXIMATIF
DES SUBSTANCES DESINFECTANTES.
Prix du kilog.
fr. c.
Acide acétique ordinaire à 8° 3,25
Acétate d'alumine ordinaire, par 100 kilog 0,50
Acide arsénieux en poudre 0,75
Acide azotique à 36°, par 100 kilog 0,70
Acide benzoïque du benjoin 50 »
— des herbivores 28 »
Acide borique cristallisé, par 100 kilog 2,50
Acide chlorhydrique ordinaire, par 100 kilog. . . . 0,20 à 0,10
Acide chromique cristallisé lo »
Acide phénique cristallisé, par 100 kilog 2.50
— brut, par 100 kilog 0,80 à 1 »
Acide picrique cristallisé 6,50
Acide pyrogallique 45 »
Acide salicylique ordinaire, par 100 kilog 22 »
Acide sulfureux dissous, par 100 kilog 0,10
— anhydre, le kilog 5 »
Acide sulfo-nitreux en cristaux . . . 2,30 à 12 »
Acide sulfurique à 66°, par 100 kilog 0,20
Acide tannique à l'alcool 7 »
Acide thymique liquide 20 ^
Acide thymique cristallisé (thymol) 75 à 100 »
Alun d'ammoniaque ordinaire 0,50
Azotate (sous-) de bismuth médicinal 25 >■
Azotate de plomb 1 »
Beuzoate de soude 38 »
Bichlorure de mercure (sublimé) 6 à 8 »
Borate de soude 2 ;>
Brome pur 8 >>
Camphre 3 >j
Charbon animal en grains 0,70
Chaux vive 0,20
-90 PRIX APPROXIMATIF DES SUBSTANCES DÉSINFECTANTES.
Chloral hydraté, par 100 kilog 10,50
Chlorure de chaux sec, de 110 à 1210°, par 100 kilog . . 0,40
Chlorure de zinc liquide à 45", par 100 kilog 0,75
Créosote de goudron ... 0,75
Eau oxygénée (bi-oxyde d'hydrogène) à 121 volumes, par
100 kilog 4 »
Essence de térébenthine ordinaire 1,50
Essence de mirbane, suivant la pureté, par 100 kilog. 5 à 20 »
Essence de Wintergreen (gaulthéria) 80 »
Eucalyptol 70 »
Huile lourde de houille, par 100 kilog 0,15
Hyposulfite de soude 0,60
lodoforme cristaUisé 80 d
Iode métaUique 30 »
Naphtaline impure, par 100 kilog 0,40
Naphtaline pure sublimée 6 «
Nitrobenzine par 100 kilog., suivant la pureté. . . . 5 à 20 »
Orpiment > 1,50
Perchlorure de fer solide, par 100 kilog. . , 3,50
Permanganate de potasse crista.lisé 10 »
Potasse caustique à la chaux 3 »
Résorcine ordinaire 35 »
— pure 80 »
Soufre en canons ou en fleurs, par 100 kilog 0,30
Sublimé 6 à 8 »
Sulfate de cuivre ordinaire, par 100 kilog 0,90
Sulfate de fer ordinaire cristallisé, par 100 kilog. . . . 0,15
Sulfate de nitrosyle brut, par 100 kilog 2,50
Sulfate de zinc ordinaire, par 100 kilog 0,30
Sulfite (bi-) de chaux liquide à 11°, par 100 kilog . . . 0,16
Sulfite de magnésie 5,75
Sulfite de soude 0,60
Thymol cristallisé 75 à 100 »
79i
TABLE DES FIGURES COiNTENUES DANS LE VOLUME
Fig. 1. Appareil pour la productiou des vapeurs nitrouses. . , . 394
Fig. 2. Thermo-régulateur de Bunsen, modifié par Raulin 436
Fig. 3. Thermo-régulateur de Schlœsing 437
Fig. 4. Thermo-régulateur à air, de MM. d'Arsonval et Wiesnegg. 439
Fig. 5. Coupe du four de la station de désinfection de Nottingham,
(appareil de Ransom, perfectionné) 441
Fig. 6. Vue d'ensemble de l'étuve de Ransom 444
Fig. 7. Appareil à désinfection par l'air chauffé au gaz, du D"" Scott,
(Maguire and Son) 447
Fig. 8. Chambre désinfectante fixe de Fraser 449
Fig. 9. Eluve à désinfection de l'hôpital Saint-Louis. ...... 4SI
Fig. 10. Ëtuve adoptée par la Société de médecine publique de Paris. 455
Fig. M. Intérieur de cette étuve. 456
Fig. 12. Etuve à désinfection de l'hôpital Moabit (Berlin) 464
Fig. 13. Etuve ambulante de Fraser 473
Fig. 14. Vue à vol d'oiseau de la station de désinfection de la com-
mune de Nottingham 478
Fig. 15. Lazaret de désinfection du D'' Pelruschky, à Stettin. . . . 481
Fig. 16. Closet de Marino 645
Fig. 17. Appareil de désinfection des fosses d'aisances, à l'aide de
l'acide sulfo-nitreux (sulfate de nitrosyle) 646
Fig. 18. Appareil Goux 652
Fig. 19. Chaise percée à la terre, fonctionnant automatiquement (Self-
acting-earth-Closet) 654
Fig. 20. Schéma de Ballard,pour la combustion des buées et fumées. 660
Fig. 21. Lavage intermittent des égouts (Siphon de Rogers-Field). . 733
Fig. 22. Cuvette d'égoût à écoulement intermittent (Rogers-Field). . 734
Fig. 23. Ventilateur de Brooke, à filtre de charbon 741
Fig. 24. Ventilateur des égouts de Londres (modèle B. Latham). . 743
Fig. 25. Ventilateur des égouts de Londres (modèle ancien) 744
Fig. 26. Cuvette siphoïde pour égouts 745
Fig. 27.> Déversement des eaux ménagères vers l'égout 746
793
TABLE ALPHABÉTIQUE
AbaUoii-s 673, 706
Absorbants en général, 31. —
Physiques, 33. — Chimi-
ques. 56
Acétate d'alumine 133
Acides en général, i238. — Acé-
tique, 133.— Arsénieux, 138.
— Azotiqne, 2iio. — Ben-
zoïque, 199. — Borique, 13y.
— Carboazotique, 136. —
Chlorhydrique, 273, 492. —
Chromique, 243. — Hypo-
azotique, 269. .392. — Phé-
nique, 138, .328. — Picrique,
136. — Pyrogallique, 133.
— Pyroligneux, 174. — Sali-
cylique, 181. — Sulfo-ni-
treux, .394, 646, fig. 45, 720.
— Sulfureux 136, 243, 482.
-- Sulfurique, 238, 633. —
Tannique, 202. — Thymique 178
Accouchées oll
Alcool, 203. — De mauvais
goût 603
Aliments 599
Alun 131, 679
Amphithéâtres de dissection. 711
Antiseptiques en général, 75,
91. — Leur valeur com-
parée, 93. — Tableau de Ja-
lan de la Croix, 110. — An-
tiseptiques en particulier. . 113
Antivirulents 216
Atténuation des virus par les
désinfectants 222
Azotate de plomb 67
Azotite d'éthyle .... 206, 410
B
Bateaux de vidange 768
Benzoates I9,i, 383
Bières 601
Bisulfite de chaux 601
Blanchiment à la chaux . . . 389
Bougies soufrées 413
Borax 140, 367
Brome 296, 597
Brûlage des gaz industriels,
658. — Des gaz de vidange. 763
Bamett's fliiid 123
Cabinets d'aisances 617
Cadavres 707, 713, 780
Cadavres d'animaux cliarbon-
neux 392
Cages à volailles 705
Cargaison 371
Casernes 605
Caveaux des cimetières . . . 729
Chaleur, 22ti, 425. — Son
action sur les virus, 227.
— Sur les vibrions et les
spores, 232, 423. — Sur les
matières textiles 428
Chambrées des casernes . . . 605
Champs de bataille 779
Charbon .... 35, 635, 665 729
Chaux vive 69
Chaux éteinte 70; appliquée
aux eaux de cale, 72, 582 ;
— aux eaux industrielles,
671. — Aux vidanges. . . "751
794
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Chiffons
559
Chloral
129
Chloralum
13-2
Chlore comme antiseplique,
119. — Comme neulralisanl.
279
Chloroforme
S02
Chlorure d'aluminium. . . .
132
Chlorure de chaux
279
Chlorure de sodium
123
Chlorure d'oxyde de sodium.
279
Chlorure de zinc .... 66,
123
Cimetières
7^,i
Closet Marina
643
Crémation 131. 781,
786
Créosote
17i
Crésol
17t
Cuvettes siphoïdespourégouts.
743
Cornes, cuirs et crins. . . .
567
Cuisson des viandes
600
Curage des égouts
733
D
Déchargement sanitaire . . . 573
Déiinition 1
Dégagements ........ 657
Désinfection nosocomiale ,
338. — Quarantenaire, 536.
— Vétérinaire, 587. — des
aliments, 599. — des habi-
tations collectives et privées,
603; — industrielle, 657 ; —
municipale, 696 — du sol,
796. — Désinfection interne
dans les maladies, 339. —
Désinfection obligatoire des
malades contagieux .... 525
Désodorants 31
Désodorant Suvern 636
Dessiccation 76
Destruction des résidus indus-
triels par le feu 690
Dissections 707, 711
Dortoirs 603
Drainage . 772
Dry-system 42
E
Earth-Closet 654
Earth-Sijstem 45, 649
Eaux acides 687
Eau des boissons, 602; — des
bains sulfureux versés sur
la voie publique, 707; —
de chaux, 71; — des cales
de navire, 73, 582; — in-
dustrielles, 605; — de Ja-
velle, 279; — de Saint-Luc,
126; — oxygénée, 309; —
savonneuses 681
Écuries 593
Égouts, 732. — Lavage inter-
mittent, 733. — Ventilation. 736
Emanations industrielles . . 657
Épuration chimique des eaux
industrielles, 679. — Des
eaux d'égout 747. — Épu-
ration par le sol 683
Essence de Wintergreen . . . 194
Eth(?r azoteux 206, 410
Etuves à désinfection, 433; —
de Ransom, 441; — Four
Léoni, 445; — de Scott, 416;
. — de Nelson et Somer, 448;
de Fraser, 449;, — d'Amers-
foort, 450; — de l'hôpital
Saint-Louis, 450; — de la
Société de médecine publi-
que, 434; ■- de Esse, 460;
— de l'hôpital Moahit, 462;
— de Christiansand , 467;
— de W. Lyon, 468; — de
Bâte, 469; — mobiles de
Fraser, 473; — de Stobbs
and Seagrave, 474: — de
Scott et Maguire, 474; —
d'Albenois 475
Eucalyptol 193
Eviers 614
Exhumations 784, 728
F
Fabriques de sels ammonia-
caux 768
Fétidité de l'haleine .... 247
Filtres comburateurs de l'air. 419
Flambage par la méthode de
Lapparent 577, 656
Fosses de vidange, 750, —
fosses mobiles 766
TABLE ALPHABÉTIQUE.
79S
Froid 81, 708, 716
Fumiers 695, 100
Fumigation au clilore, 219,
279, 399, 489. — Leur aciion
sur la couleur et la résis-
tance des tissus 490
Fumigations guy Ioniennes, 275, 415
Fumigations nitreuses,269,392, 719
Fumigations de Smith. . 265, 414
Fumigations sulfuceuses 243,
396. — Leur action sur la
couleur et la résistance des
tissus 482
Fumivorité 660
G
Gangrène pulmonaire .... 377
Gaz méphitiques (Condensa-
tion des), — 637 ; satu-
ration, 658, — brûlage. . 638
Glacières pour conservation
des cadavres, 709, — pour
halles et marchés 706
Goudron 169, 653
Goux-Thulasne (système dé
vidanges) 652
H
Halles et marchés 704
Historique 7
Huiles lourdes de houille,
172, 629, 653
Huile essentielle de gaulthé-
ria 1"4
Instruments de chirurgie et
objets de pansements . . , 509
Immondices 698
Inhumations 724
Iode 296, 597
lodoforme 379
Irrigation agricole par les eaux
vannes 684
Laines 568
Latrines 617
Lettres- 570
Lavage des murailles, des par-
quets 24, 406
Lavage des cavités patholo-
giques, 347; — de l'estomac
380 ; — de la vessie, 376;
— des égouts 733
Lazarets de désinfection des
connûunes anglaises, 477;
— de Nottingham, 478. —
de Herscher, 479, — de
Pétruschky 480
Linge sale et à pansements . 495
Liqueur de Labarraque . . . 279
Liquides de Burnett, 123; —
Larnaudès, 57, 626, 701; —
Ledoyen, 67, 626; — Egasse. 126
Literie 497
Locaux non habités, 387; —
non incessamment occupés,
402; — incessamment oc-
cupés 409
Lochies 349
Loi sur la police sanitaire des
animaux 587
M
Macérations anatomiques. . . 714
Marais 775
Marchés 704
Matelas 497
Médical (Désinfection du per-
sonnel) 510
Menthol 179
Morgues 705
Murailles 390, 607, 613
N
Naphtaline 176
Navires 575
Neutralisants des virus, 216. —
796
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Expériences sur leur valeur
comparée, 217. — Neutrali-
sants en particulier .... 226
Neutralisation des eaux in-
dustrielles acides 687
Noyer (Suc de feuilles de) . . 334
0
Ozène 346
Ozone, 313. — Appareils pour
sa production artificielle. . 319
Oxygène . , . 302, 409, 737, 749
Paniers à poisson
Pansement à l'alcool, 205. —
Antiseptique de Lister. . .
Parquets 24,
Passagers des navires ....
Perchlorure de fer
Permanganate de potasse. . .
Peroxyde d'hydrogène. . . .
Personnel médical
Phosphates amraoniacQ-ma-
gnésiens
Plaies infectes, 340. — Ve-
nimeuses, 349. — Virulen-
tes, 353. — Charbonneuses.
Plan
Planchers (Nettoyage des). 24,
Plâtre au coaltar
Ports de mer
Poudres de Calvert, 634. — De
Corne et Demeaux, 170. —
De Mac Dougall, 634 .. .
Poulailliers
Poussières sèches .... 41,
Puerpérale (Désinfection). . .
Puisards
Punaises
Purification de l'air par la
pulvérisation
Pyrolignite de for
705
339
608
571
04
323
309
510
752
354
12
608
703
695
595
649
511
691
613
407
62
Q
Quarantenaire (Désinfection) , 556
R
Bachôvements 765
Résidus in''ustriels, 690, 692.
— De cuisine .... 616, 699
Résorflne 197
Ru'^s 697
Sabordement 575
Salicylage des aliments ... 181
Sang des abattoirs 723
Selles morbides 381
Sels métalliques (n général, 56, 626
Sereinage. 304
Silicate de soude 151
Siphons 733, 747
Sol. , 775
Soufre, voyez acide sulfureux,
fumigations sulfureuses, 245, 396
Spores, leur résistance aux
agents désinfectants .... 105
Sublimé 115, 515, ^97
Sueurs fétides 357
Suie 655
Sulfate do fer, 62, 755. — Sul-
fate d'alumine gélatineux,
679. — De nitrosyle, 394,
410, 645, 719. — De zinc,
64. — Sulfate de soude, 234.
— de magnésie 336
Silvern {Désodorant de] . . . 636
Tannin 202
Térébône 176
Térébenthine, 375, 595. —
Antidote du phosphore. . . 661
TABLE ALPHABI^.TIQUE.
797
Terre sèche 43, 649
Theimo-régulaleurs automati-
ques 436
Thymol 178
Tinettes mobiles 766
Tuyaux d'égout 732; — de
conduite des eaux ména-
gènes, 615; — d'éveiit„ . . 640
u
Urines infectieuses 767
Vaccin, neutralisation par la
chaleur, 228. — Par l'acide
sulfureux 247
Vapeur d'eau, son action neu-
tralisante, 427.— Surchauffée
des solutions salines. . . . 471
Vapeurs méphitiques ; conden-
sation, 657; — saturation . 638
Varioleux; croûtes. . . . 2f), 363
Vases de nuit 385
Végétation, son action sur le
sol 776, 784
Ventilation, 27, 302, 403. —
Des cgouts 736
Vêtements 421, 493
Vétérinaire (Désinfection). . . 587
Viandes suspectes, 599. — Tri-
chinées, 600. — Tempéra-
ture centrale des viandes
cuites 600
Vidanges 730
Vinaigre des quatre voleurs . 155
Vinasses 673
Virus. — Destruction des virus
par la dessiccation , 78 ,
303. — Leur atténuation par
les désinfectants 223
Voie publique et voiries . . . 698
Voitures 523, 721
w
Wagons ayant servi au trans-
port des bestiaux ... . 589
ERRATA
P. 126, ligne 23, au lieu de 1,613, ou 16o,7 lisez 1,613 à + le-,?.
P. 258 et suivanles, en tilre, au heu. de Désinfectants en particulier,
lisez, Neutralisants en particulier.
P. 478, au lieu de fig. 74, lisez fig. 14.
P. 508, au lieu de Art. V, lisez Art. VI.
P. 510, au lieu de Art. VI, lisez Art. VIL
P. 522, au lieu de Art. VI, lisez Art. VIII.
P. 525, au lieu de Art. VII, lisez Art. IX.
P. 609, première ligne, au lieu de dentés, lisez pentes.
Soe, d'imp. P. Dupont, Paris (Cl.) 194.8.82.
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